de Francesco Rosi

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de Francesco Rosi
J.3. ( 14 Sepfemtr*
41M
de Francesco Rosi
Un film interprété notamment par Char­
les Vanel, Philippe Noiret et Michèle
Placido.
L’art de Rosi n’a rien à voir avec la fonc­
tion d’autosatisfaction que la création,
entraînée dans le tourbillon banalisant
de l’industrie culturelle, tend de plus en
plus à remplir aujourd’hui. Le rôle de
ses films est politiquement très impor­
tant. Ne serait-ce que parce qu’ils abor­
dent avec une rare sensibilité et une pro­
fonde intelligence les préocupations ma­
jeures de notre temps. A cet égard,
«Trois frères» apparaît comme une ra­
diographie synthétique de la réalité mul­
tiple et problématique de l’Italie d’au­
jourd’hui en proie à de terribles convul­
sions et déchirements.
Le drame du déracinement
On ne saurait imaginer meilleure situa­
tion prétexte que la mort d’une mère,
véritable institution en Italie, pour réu­
nir une famille. Trois frères se retrou­
vent donc dans la maison de leur en­
fance, là-bas quelque part dans ce pays
Le cadet est Nicola, l’éducateur catholi­
que dans une maison de redressement
pour jeunes délinquants animé par des
idéaux naïfs et des rêves utopiques de
purification universelle. Quant à Rocco,
c’est l’ouvrier engagé violemment dans
les luttes syndicales et empêtré dans des
problèmes conjugaux.
Trois individus, composant un échantil­
lon sociologique intergénérationnel
exemplaire, se retrouvent donc avec
leurs différences. Le destin et le temps
les ont séparés. Les cloisonnements de
classe et les codes linguistiques les divi­
sent. Leur drame est le déracinement. Ils
sont liés par le sang et pourtant ils ne
peuvent vraiment communiquer car ils
ne parlent pas le même langage. Iis se
sentent donc profondément seuls.
Quelques notes d’espoir
Charles Vanel. Toujours aussi en form e!
méridional, ce boulet douloureux atta­
ché à la botte méditérranéenne. Ces
émigrés, attirés autrefois par les mirages
du miracle économique, se rencontrent
ainsi dans un espace propice au retour
sur soi, à l’introspection, aux échanges
sur les difficultés présentes, aux réminis­
cences, aux anticipations imaginaires sur
les inquiétudes et les espoirs du lende­
main. Ils revoient leur vieux père attristé
(merveilleux Charles Vanel!), figure pa­
triarcale pétrie de fierté et de «sagesse»,
qui continue de vivre au rythme de la
nature.
Raffaële, l’aîné quinquagénaire, est juge
à Rome. H est obsédé, à la fois exalté et
angoissé, par un procès de terroristes
qu’il doit prochainement instruire. Il in­
carne une certaine rationalité et des
idées politiques libérales proches de Ro­
si. Même s’il le comprend, il condamne
le terrorisme comme moyen de lutte
pour le changement. Car, en remplaçant
la persuasion par la peur, celui-ci ne peut
déboucher que sur l’instauration d’un ré­
gime répressif et fasciste. L’essentiel est
de préserver, en la purifiant, la démocra­
tie et les libertés qu’elle garantit. Cependaût, Raffaële est conscient de l’ambi­
guïté du terrorisme. Car avant d’être le
fossoyeur de la démocratie, il est d’a­
bord le symptôme et le produit des mala­
dies (corruption, scandales, etc.) qui la
gangrènent depuis bientôt deux décen-
Indépendamment de sa prodigieuse ri­
chesse thématique, «Trois frères» n’est
pas aussi réussi qu’ «Eboli». Cet ouvrage
souffre d’un déséquilibre. Le réalisateur
n’est pas parvenu à intégrer harmonieu­
sement l’émotion et la raison. Le balan­
cement, par trop systématique parfois,
entre les scènes de poésie et de lyrisme
(concrètes et physiques) et les scènes de
réflexion et de discussion (abstraites)
manque d’unité. Sa maîtrise étonnante
de la dialectique et du débat contradic­
toire a sans doute conduit Rosi à privilé­
gier le discours et le verbe comme vec­
teur de signification. Ceci alourdit un
peu le récit, parfois très schématique­
ment construit (suite des flash-forward),
une pesanteur accentuée encore par une
mise en scène quelquefois affadie à force
de rigueur et de précision. Le film, au
rythme lent et fluide, aurait mérité da­
vantage de vibration et de chair comme
dans certaines moments sublimement
beaux et intenses (la petite fille qui ex­
plore la grange et pénètre dans le grain,
la scène du lapin, etc.)
Malgré le caractère alarmant de son ana­
lyse, le créateur responsable et lucide
qu’est Rosi ne cède jamais au désespoir.
Au contraire, cette œuvre est baignée
d’espoir et parsemée de symboles (la
mère, la mer, le grain...) qui appellent à
la renaissance et à la régénération. C’est
peut-être dans la relation affective et ins­
tinctive, faite de silence et de simplicité,
qui unit la fillette et le grand-père qu’il
faut aller chercher la possibilité d’une so­
lution. On y trouve peut-être la base
d’une connaissance et d’une communica­
tion renouvelées. L’amélioration des re­
lations humaines et de la vie moderne
semble pour Rosi passer par la redécou­
verte de certaines racines authentiques
et, plus simplement, par la reconquête
de sa capacité d’aimer et d’être ému...
Michel EGGER
Actuellement au cinéma Lido II (15 h.,
18 h. et 20 h. 15)