L`île-monde dans l`œil des pesticides

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L`île-monde dans l`œil des pesticides
l’île - Monde - dans l’œil des PesTicides
Première partie :
Sur la vague des organochlorés
La molécule aux deux visages
dans son pseudo tronc (le bananier n’étant pas un arbre, mais une grande herbe)
ainsi que dans la partie enterrée de celui-ci, dans le bulbe donc, les charançons noirs trouvent le meilleur des lieux de ponte. Une fois écloses, les larves se nourrissent de la
matière végétale en creusant peu à peu un réseau de galeries qui freinent le développement racinaire et qui dévitalisent complètement la plante en ouvrant de larges voies d’accès à toutes sortes de parasites. l’agriculteur concerné est alors confronté à des baisses
de rendement qui peuvent atteindre 35 %. Une fois adultes, les charançons, coléoptères
longs de 10 à 15 mm, se déplacent sur le sol, au pied des bananiers ou dans les débris
végétaux qu’ils peuvent trouver. leur durée de vie s’étend de un à quatre ans. du début
des années 1970 au début des années 1990, le Chlordécone a été la substance active utilisée massivement et en toute légalité aux Antilles françaises dans la lutte contre le charançon noir du bananier.
dans la littérature francophone, le mot Chlordécone semble employé indifféremment au masculin ou au féminin. Quel genre lui attribuer ? C’est l’approche chimique qui
permet de clarifier cette question. en fait, la molécule de Chlordécone appartient à la
famille des cétones (nom féminin), dont le plus simple représentant, est d’ailleurs l’acétone (nom féminin).
Pour ma part, n’ayant reçu que très récemment cette précision, j’attends pour m’aligner que la communauté des chimistes fasse une rectification tout à fait officielle. dans
des documents tels que ceux de l’AFSSA, on trouve le Chlordécone qui semble avoir été
validé au masculin par l’usage.
Non seulement la molécule de Chlordécone apparaît comme une sorte d’hermaphrodite, à la fois masculin et féminin, mais en plus elle présente deux visages que l’on
ne peut ignorer.
Scientifiquement en effet, Mirex et Chlordécone sont inséparables. Ces deux substances chimiques sont très proches, le premier pouvant être obtenu par dégradation du
second.
le Chlordécone a été produit en 1951, breveté en 1952 et commercialisé en 1958.
environ 55 formulations commerciales du chlordécone ont été préparées depuis son
introduction en 1958. Il constitue ainsi la substance active d’insecticides organochlorés
tels le képone, le Merex (à ne pas confondre avec le Mirex), le Curlone, le GC-1189 ou
le eNT16391. Sa formule chimique (ou structure moléculaire) est C Cl o. Il se présente
sous la forme de cristaux blancs (mats) inodores dont le point de fusion est de 350°C
(contre 485°C pour le Mirex).
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PhiliPPe Verdol
A la fois spécialité commerciale et substance active, le Mirex a comme formule chimique C Cl . C’est la raison pour laquelle le Chlordécone peut être obtenu par dégradation du Mirex dont l’une des appellations scientifique est « perchlordécone ». le
Chlordécone se trouve dans le Mirex (en tant que substance active pure) à raison de 2,58
mg/kg ainsi que dans les appâts à base de Mirex dans des concentrations supérieures à
0,25 mg/kg.
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le Mirex a également été commercialisé sous le nom de déchlorane, de GC-1283,
de HrS1276b ou de eNT25719. Ses cristaux sont blancs et brillants. Sa première synthèse date de 1946 et sa première commercialisation de 1959, par Allied Chemical
Company, sous l’appellation de GC-1283. la fabrication du Mirex fut également assurée
par Hooker Chemical Company, Nease Chemical Company. environ 25% du Mirex produit, le fut à usage de pesticide et 75% à usage de retardant industriel pour le feu. Sous
sa présentation commerciale en Gudeloupe (Mirex 450, recommandé contre les fourmis
manioc), le Mirex apparaissait sous forme de granulés verdâtres, longs de 7 ou 8 mm
environ et larges d’environ 3 mm.
les structures chimiques du Mirex et du Chlordécone sont toutes deux en forme
de cage et par conséquent particulièrement résistantes à la dégradation naturelle. d’où
une rémanence très longue qui a conduit progressivement à les interdire de fabrication,
de commercialisation et d’usage. Ces deux substances sont très peu solubles dans l’eau.
elles sont en revanche bien solubles dans des solvants organiques, l’éthanol, l’acétone, le
diméthylsulphoxide (dMSo) ainsi que, dans une moindre mesure, dans les hydrocarbures.
Ces deux substances sont quasi ininflammables.
Seuls les USA ont officiellement produit du Képone. de 1958 à 1978, 99% de leur
production était exportée vers les pays en voie de développement. les usages du Képone
étaient variés : insecticide (utilisé notamment contre les coléoptères du bananier, du cotonier, du tabac, des citroniers, des arbustes ornementaux) ; fourmicide (anti fourmi
manioc et solénopsis) ; fongicide (mildiou; tavelure du pommier ; oïdium) ; larvicide
(traitement des sols) ; moyen de lutte contre le doryphore, le phytopte des agrumes et les
vers fil de fer (larves de taupin) qui attaquent les pommes de terre, le tabac, les glaïeuls
et d’autres plantes.
Cette production américaine fut stoppée en mai 1978. entre 1951 et 1975, environ
1 600 tonnes de Chlordécone furent produites aux USA. durant cette même période,
Allied Chemical en produisit 816,5 tonnes dans ses usines de Claymont dans le delaware,
de Marcus Hook en Pennsylvanie, et de Hopewell en virginie. du fait d’une demande
croissante de Chlordécone ainsi que du besoin d’utiliser leurs équipements de Hopewell
à d’autres productions, Allied Chemicals céda sa production de Chlordécone à life
Science Products Company. de novembre 1974 à juillet 1975, celle-ci produisit environ
771 tonnes de Chlordécone à l’Usine de la Science de la Vie, Hopewell en Virginie.
Hooker Chemical Company produisit approximativement 22,5 tonnes de Chlodécone
sur la période 1965-67 dans son usine de Niagara Falls (New York). en outre, Nease
Chemical Company en produisit 30 tonnes entre 1959 et 1966 dans ses installations de
State College en Pennsylvanie.
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en juillet 1975, un grave accident fut constaté dans l’usine de Hopewell, en Virginie.
du fait d’une organisation défaillante, l’ensemble du site (salariés, sol à l’intérieur de l’atelier et aux alentours, la James river, les animaux qui y vivaient, etc.) était exposé manifestement depuis plusieurs années à une contamination aiguë. le résultat des différentes
études qui en suivirent incita très rapidement les autorités américaines à interdire toute
production de Chlordécone et de Mirex sur leur territoire.
le Mirex était un pesticide utilisé notamment dans la lutte contre les fourmis de feu
importées dans le sud-est des USA (Alabama, Arkansas, Floride, Georgie, louisiane,
Mississipi, Caroline du Nord, Caroline du Sud et Texas). Il avait été choisi contre cet
insecte du fait de son efficacité. Initialement, le Mirex avait été utilisé en traitement aérien
à des concentrations de 0,3 à 0,5%. Ce procédé a été remplacé par des applications de
petites quantités, lorsque le Mirex a été suspecté de toxicité et parce que l’objectif d’éradication des fourmis de feu a été commué en souci de contrôle sélectif. le Mirex a aussi
été employé avec succès contre les fourmis coupeuses de feuilles en Amérique du Sud,
les termites moissonneuses en Afrique du Sud, les fourmis moissonneuses de l’ouest
aux USA, les insectes farineux des ananas de Hawaii, et les guêpes à veste jaune aux USA.
de 1962 à 1976, environ 53,4 millions d’ha furent traités dans ces neuf etats par 226
tonnes de Mirex à un taux moyen de 4,2 g/ha, ensuite réduit à 1,16 g/ha. Il fut aussi très
largement utilisé comme retardateur de feu, sous le nom commercial de déchlorane,
dans les plastiques, le caoutchouc, les peintures, le papier, et les équipements électriques,
de 1959 à 1972. Ce second usage s’explique par le fait qu’il ne brûle pas facilement. Sous
l’effet de la lumière du soleil, le Mirex, dans l’eau ou dans l’air, se décompose en photomirex qui est considéré comme encore plus dangereux que le Mirex. le Mirex se dégrade
naturellement plus vite que le Chlordécone.
Tous les produits contenant du Mirex ou du Chlordécone ont été interdits aux USA
entre 1977 et 1978.
Pour le Mirex, l’interdiction date du premier décembre 1977; mais une application
sélective au sol a été autorisée jusqu’au 30 juin 1978 ; le produit a ensuite été complètement interdit d’usage sur le sol américain, à l’exception de Hawaii où il a continué d’être
autorisé pour lutter contre les insectes farineux des ananas jusqu’à épuisement des stocks.
Tous les produits contenant du Chlordécone ont quant à eux été interdits au 1er mai
1978.
L’île Karukéra à l’heure des pesticides organochlores
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les différentes nations se sont trouvées confrontées à la nécessité de nourrir une population toujours plus nombreuse, sous
la double contrainte de son faible pouvoir d’achat et de la diminution constante de la
population paysanne. d’où la recherche d’une production agricole toujours plus abondante à des coûts toujours plus faibles.
la mécanisation se développe donc, des variétés à haut rendement sont mises au
point et les produits phytosanitaires naturels cèdent le pas aux produits de synthèse. du
fait des résistances et des mutations des espèces végétales et animales qu’ils visent, ces
intrants doivent être employés de plus en plus massivement.
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