Voile Magazine N°246 - Gilles Clément Photographe
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Voile Magazine N°246 - Gilles Clément Photographe
mag ils sont formidables Seul à contresens Tour du monde Loin des feux de la rampe, un Marseillais d’origine britannique prépare son Carter 33 pour un voyage extrême : le tour du monde à l’envers, seul et sans escale. Texte et photos : Giles Clément 2 JUIN 2016 • Voile Magazine Voile Magazine • JUIN 2016 3 mag ils sont formidables En octobre 2016, alors que les pontons des Sables d’Olonne entreront peu à peu en ébullition à l’approche du Vendée Globe, un homme seul aura déjà commencé son tour de monde sur son voilier de 33 pieds. Son mérite : partir dans le sens le plus ingrat, contre vents et courants. L’exploit n’a été réalisé que par six marins jusqu’à présent ! Le bouquin du précurseur s’appelait « Le voyage impossible », c’est peu dire. Chay Blyth, en 1970, avait alors trente ans et sa détermination hors norme avait eu raison de l’enfer bleu du Grand Sud. Anthony Bridge aura le même âge quand, en octobre, il laissera sa ville de cœur, Marseille, dans son sillon. Son objectif sera de réussir une circumnavigation d’est en ouest, sans escale ni ravitaillement. Ce sera la première tentative sur un voilier aussi petit et, qui plus est, de série. Durée envisagée de l’odyssée : environ 300 jours. Aux Sables, la tension sera retombée depuis un petit moment déjà… Sous un léger mistral marseillais, Anthony s’active à quai à régler ses points de tire, impatient de recevoir son gennaker et son génois confectionnés par Michel Gendron, le dernier maître voilier de Marseille. Tout est calculé au millimètre, rien n’est laissé au hasard. Argos, son Carter 33 acheté il y a douze ans s’est peu à peu modifié et transformé sous les choix techniques de son capitaine. Tous les deux sont tournés vers cet énorme challenge de ce tour du monde insensé, ou plutôt à contresens d’une certaine logique. C’est dans son enfance qu’Anthony est allé chercher le déclic d’un tel défi. Les Jules Verne, Gerbaut et autres de Monfreid n’ont cessé de bercer l’imaginaire de ce jeune Bourguignon d’origine italo-britannique. A quatorze ans, intégré par la Baleine Blanche, association de sensibilisation à l’écosystème marin, il aura l’occasion de faire son premier tour de l’Atlantique et de démontrer son aptitude face à l’océan tout en se découvrant une philosophie de mer. A dix-huit ans, fort de cette expérience, il flashe pour les lignes généreuses de l’Argos et l’achète. Fausse commodité de logement d’étudiant, prétexte déjà à une voie toute tracée. Après, ce sont des années de polyvalence de chantier (stratification, menuiserie, charpenterie) pour subvenir aux besoins de son propre chantier qui est la refonte totale de son voilier. L’homme devient peu à peu aguerri à tout ce qu’un voilier au long cours nécessite. Son Carter 33 de 1973, issu d’un chantier d’Athènes, est un bateau construit à 200 unités. L’architecte américain l’a conçu dans les normes de solidité de l’époque avec un échantillonnage surdimensionné et d’imposantes varangues. L’étrave ronde et affinée, un large maître bau et un tableau arrière hors de l’eau lui donnent des airs de classique. C’est son profil de bateau de près qui a déterminé le choix d’Anthony de partir dans l’autre sens du Globe. Aux dires du 4 JUIN 2016 • Voile Magazine capitaine qui rationalise tout, cela semblait même plus rassurant que d’offrir aux déferlantes du portant ce bateau à l’élégance un peu ventrue. Le pragmatisme avant toute chose. Son expérience, il l’a trouvée dans la lecture de nombreux récits d’aventure de mer. L’Ecossais Chay Blyth notamment, avec son ouvrage « Le voyage impossible » jamais bien loin de sa bannette, reste sa référence. On se souviendra que ce marin, frustré d’échouer au cap de Bonne Espérance lors du premier tour du monde officiel en solitaire, le si fantastique Golden Globe, avait pris au sérieux la boutade de sa femme lui conseillant de le tenter à l’envers. le voyage de Chay blyth, sa reference Il sera le premier homme à effectuer cet exploit en 292 jours sans voir âme qui vive. Quoique… Suivront, vingt-trois ans après Mike Golding, puis Philippe Monnet sur son 60 pieds Uunet. Jean-Luc Van Den Heede, en 2004 après quatre tentatives tout de même, devient le recordman de l’épreuve en 122 jours, avec son impressionnant 80 pieds Adrien dessiné par l’architecte marseillais Gilles Vaton. Dee Caffari, la première femme, et dernièrement Stéphane Narvaez pour le premier bateau de série de 47 pieds, le plus petit aussi, ferment le tableau, dont le minimalisme induit la complexité du challenge. Difficile de dire quels sont les avantages de bateaux plus dimensionnés qui se révèlent aussi être très physiques dans ces allures de près, mais également plus véloces pour contourner ou éviter les dépressions qui s’enchaînent tous les deux-trois jours sous ces latitudes. Toujours est-il que l’Argos et son capitaine préfigurent l’exploit en soi avec seulement 33 pieds. xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxx Laccecece.. Ça comfezcfzte. xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxx xxxxxx xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxx Voile Magazine • JUIN 2016 5 mag ils sont formidables Anthony a minutieusement peaufiné son bateau. Même l’accessoire esthétique n’est pas en reste avec son pont renforcé de cocobolo, un bois à forte densité, et des aménagements intérieurs qui ont été revus totalement par notre maître en menuiserie et marqueterie. Tout a été changé et transformé. Le coût, de belles années de précieux labeur sur les chantiers et des frais conséquents. Le résultat, un bateau neuf de quarante ans ! Les gréements dormant et courant sont neufs, le système de cadène nettement renforcé, l’accastillage est neuf, un système de bastaque en renfort de haubanage, l’ajout d’une delphinière avec une cadène rétractable pour un affalage plus sûr et un point d’amure supplémentaire, dix voiles juste pour l’avant, un bulbe de protection de descente, indispensable sas d’étanchéité. Il songe aussi à un système de gouvernail intérieur pour gérer la manœuvre en cas de coup dur, et compte fabriquer une crashbox en Kevlar pour parer à toute mauvaise rencontre. Le report du départ, initialement prévu en 2015, ne fera que valider plus finement cette préparation. Le matériel de sécurité et de communication n’est pas en reste bien sûr, avec la mise à disposition par la société Aquila, son principal partenaire, d’un radeau et d’une combinaison de survie, d’une balise de traçage et de secours et d’un téléphone satellite Iridium. Au plan vestimentaire, point à ne pas négliger car c’est la base aussi du moral du capitaine, on peut toujours faire mieux, et c’est sur ces différents points que le budget doit s’étoffer au gré des apports. En termes de navigation et de routage, tout a été pensé en plans A plus B, laissant place à une autonomie vis-à-vis de l’électronique avec cartes embarquées et sextant. Un des éléments essentiels pour Anthony reste le régulateur d’allure de modèle Orion, histoire de barrer sans déperdition d’énergie supplémentaire et en communion avec les allures du vent. L’énergie sera fournie par les panneaux solaires et éventuellement un hydrogénérateur. Voilà pour ce qui est d’ordre pratique, sans se pencher sur l’éventuelle présence du moteur ou pas, question de poids. Car ce n’est pas en termes de logistique qu’il faudra compter pour alléger le bateau. 300 jours en mer sans escale ni ravitaillement suggère de tout embarquer, et en quantité suffisante. 300 kg de vivres en conserves Un énorme défi : Anthony table sur 300 kg de vivres, principalement sous forme de conserves et produits lyophilisés, viandes, poissons, fruits et légumes en boîtes, et avec un peu de chance du frais au bout de la ligne de temps en temps. Côté eau, c’est primordial, du stock à la base puis récupération d’eau de pluie et dessalinisateur, manuel pour le moment. L’accent est mis là encore sur la santé et le moral du capitaine, clé de voûte de l’expédition avec le confort à bord et sur soi ! Nombre de récits en témoignent… Comment occuper ses journées, les allures globales donnent à penser que les moments de détente ne seront pas de trop. Enfin au cas où, les équipets sont bien fournis en lectures de toutes sortes. Le papier toujours pour notre marin philosophe, comme support à ses propres inspirations. Quelques instruments de musique pour compléter le son infini de la mer, dans une saudade heureuse. Eventuellement s’affairer à finaliser les magnifiques marqueteries de l’intérieur ou vaquer à observer la poésie de la mer ou l’illusoire vol de l’albatros. Mais tout cela s’il trouve un moment. Gageons qu’il pourra en avoir quelques-uns sur ces dix mois en mer ! Le ciel s’obscurcit sur le Frioul alors que la Tours du monde à l’envers, une histoire d’hommes... Si Chay Blyth est la référence d’Anthony, le tour du monde à l’envers a couronné quelques grands noms de la course au large qui se sont frotté à ses vents et courants contraires. Il y a eu Mike Golding en 1994 (161 jours), Philippe Monet en l’an 2000, qui bouclait la boucle au terme d’un voyage épique de 151 jours, et bien-sûr Jean-Luc Van Den Heede, multirécidiviste du genre et toujours détenteur du record avec 122 jours sur Adrien. C’était en 2004. Anthony Bridge, lui, ne vise pas le record avec son Carter 33. Mais il se place dans le sillage d’aventuriers comme Stéphane Naervez, que nous étions allé accueillir à Nice après son incroyable tour du monde à l’envers sans escale en Sharp 47 Oïkos (Voile Mag n°202, photo ci-contre). Et l’histoire ne s’arrête pas là, puisque Anthony Bridge partira dans la même période qu’Alain Maignan et Jacques Riguidel, qui s’attaqueront à la grande boucle à l’envres au départ de la Bretagne. En juin 2012, Stéphane Naervez revenait à Nice après 247 jours de mer. Il entrait dans le club très fermé des solitaires ayant réussi la grande boucle à l’envers sans escale... 6 JUIN 2016 • Voile Magazine Agree la ergerb etbrtrbée encore, on aurtbrrtbr Nrgvergregv. lumière éclate sur le château d’If et la Bonne Mère sous l’œil sensible d’Anthony. Les gabians rôdent. Marseille justement, pourquoi Marseille alors qu’un départ de la côte Atlantique lui ferait gagner un temps précieux ? Histoire d’affinités et de souvenirs, tout a commencé et s’est construit ici pour lui. Le départ à quatorze ans de l’expédition la Baleine Blanche de la Pointe Rouge marque le début de l’aventure, puis préparation des bateaux des autres expéditions de l’association au chantier Carène Service, suivie de l’embauche du minot qui coïncide avec la restauration de l’Argos. Comme il dit : « Je me sens bien ici, j’aime cette ville, de toute façon je veux y revenir ! ». L’arrivée de son expédition en 2017 correspond à l’année où Marseille sera capitale européenne du sport. L’enjeu est important pour la ville, pour lui cela reste un symbole de cœur. Il aimerait tant y participer à sa façon. On peut déjà imaginer l’engouement pour accueillir notre humble héros au-delà du Frioul, comme un Ulysse des temps modernes. Marin libre et attaché à sa terre. L’enjeu est aussi hégémonique, et cela devient vraiment passionnant. Deux autres navigateurs français projettent de se lancer dans ce défi de tour du monde à l’envers. Alain Maignan, le célèbre facteur-navigateur désormais retraité de La Poste et déjà auteur d’un tour du monde en six mois, dans le « bon » sens sans escale sur son Sun Rise de 10 mètres, devrait partir de La Trinité-sur-Mer. Jacques Riguidel lui s’élancera de Lorient, fort de son expérience d’un tour du monde en solitaire. Ce sera sa deuxième tentative. Tous les deux ont du vécu qu’ils ont retranscrit dans des ouvrages généreux. Ils en veulent encore plus, recherchant le défi ultime de tourner autour du Globe à « contresens ». Eux aussi partiront sur des bateaux bien modestes (respectivement 33, 34 et 35 pieds) au vu des mers qu’ils se proposent d’affronter dans ce qui s’annonce comme une mini-compétition historique et officieuse émanant de choix individuels. Compétition solidaire, qui donne encore plus de sel à l’aventure. En 2016, le Vendée Globe aura toujours les faveurs du public, mais cette aventure humaniste, voire épique de trois hommes face aux éléments mérite l’attention et force le respect. Lesrfvervrf Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Lesrfvervrf Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Suverssv Voile Magazine • JUIN 2016 7