Tu sais pour arriver ici, y a pas de destin unique, de route to

Transcription

Tu sais pour arriver ici, y a pas de destin unique, de route to
J’irai jamais au Panthéon
Je m’appelle Sandrine, j’ai 39 ans, et mon truc c’est l’informatique,
Je suis incollable en processeurs, en disques durs et comme j’aime jouer, j’ai toujours une super carte graphique,
J’ai 3 enfants aussi, l’aînée vit à New-York comme fille au pair,
Je lis Nietzsche, je vais en boite, et le reste du temps... je suis caissière.
40 heures par semaine, 1000 euros par mois, mais ça dépend de la pointeuse,
10 minutes à la bourre, c’est 5 euros en moins, on peut dire qu’elle est pointilleuse,
Alors on tire pas trop sur nos 15 mn de pause toutes les 4 heures,
Surtout qu’au bout de 3 retards, c’est retour à la case chômeur...
« Y'en a plein qui attendent votre place », il fait marrer le patron,
Avec ses menaces à 2 balles, il fait pitié, et puis de toutes façons,
Y'en a pas beaucoup pour tenir 20 ans comme moi, il le sait,
La moitié des petites qui viennent ici finissent pas leur période d’essai.
Mais j’irai jamais au Panthéon, aussi sûr que j’irai pas aux Seychelles,
C’est pas grave, j’aime pas l'avion, et puis je préfère le Père Lachaise et le 20ème,
Même le quartier est plus sympa prolos, clandos, bobos, dandys...
J’ai rien contre les facs de droit, mais je préfère les coins plus pourris.
Tu sais pour arriver ici, y'a pas de destin unique, de route toute tracée,
Ça va des drames familiaux, aux accidents de la vie en passant par un CDI après un job d'été,
Un moment dans l'existence où malgré les rêves, il a bien fallu faire de l'argent,
On choisit pas tous l'âge auquel on va devenir grand.
Mais le premier jour, t’as pas idée,
De ce que tu vas découvrir derrière les cartes bleues et les chéquiers,
La haine, le mépris, l'arrogance, ça pue jusqu'au bout des queues,
« Pour être ici, c'est que tu vaux rien », c'est imprimé dans leurs yeux.
J'ai des exemples à la pelle de collègues sur qui littéralement on a craché,
Des filles qui se sont pris des gifles pour un bon de réduction pas encaissé.
Je me rappellerai toute ma vie cette grand-mère me pointer du doigt,
Et dire à sa petite fille d'être sage à l'école si elle voulait pas finir comme moi.
Alors j’irai jamais au Panthéon, mais je me dis qu’à tout prendre,
Si plus on s'élève plus on est con, moi je vais continuer à descendre.
Y'a des montagnes qui valent pas le coup d’être escaladées
Parfois mieux vaut faire demi-tour après trop d’escales ratées...
Mais un magasin, comme la vie, c’est pas une science exacte
Et parfois sur mon tapis y'a du bonheur derrière les paquets de pâtes,
Y'a des sourires et des regards dans des petits gestes attentionnés
Y'a des paroles comme des caresses, qui font de chaque jour des bouts d’été...
Quand le monde garde chez lui le pire de la race humaine,
Et laisse sortir ceux grâce à qui malgré tout, les nerfs tiennent,
Des petits grands-pères ou des jeunes cravatés pour qui bonjour-merci-au revoir, c’est pas une option
Des bacs-moins-6 aux yeux usés ou des thésards sans prétention.
C’est loin d’être la majorité, mais ils existent et ils font du bien,
Ceux qui raccrochent leur téléphone quand leur tour vient
Ceux qui soupirent pas en regardant ailleurs parce que « dis donc, qu’est-ce qu’elles sont lentes chez Prisunic ! »,
Ceux qui comprennent qu’après notre salaire, le plus scandaleux, c’est l’arrivée des caisses automatiques.
Tu vois, sûrement que j’irai jamais au Panthéon où dorment les héros de la France,
Mais au sous-sol de la Nation on cherche aucune reconnaissance,
Les rêves ça pousse partout, pas besoin de photosynthèse,
Et ils auront beau essayer, pas question que les nôtres se taisent.
KARIM AMI