Responsabilité des agences de notation : état des
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Responsabilité des agences de notation : état des
veille technique Droit des marchés financiers Responsabilité des agences de notation : état des lieux en Europe et aux États-Unis Hubert de Vauplane* Associé Kramer Levin Naftalis & Frankel Professeur associé Université Paris II Panthéon-Assas * Les propos de l’auteur n’engagent que celui-ci et ne sauraient constituer une opinion des institutions qu’il représente. 78 Revue Banque Si les agences de notation ont pu se sentir à l’abri de toute responsabilité juridique, tant vis-à-vis des émetteurs que des investisseurs, le vent a aujourd’hui tourné : elles font face à de nombreuses actions en justice à travers le monde et les réglementations votées ou à venir de part et d’autre de l’Atlantique vont leur imposer un régime de responsabilité bien plus sévère. L es agences de notation se sentent mal aimées[1]. Elles n’estiment pas justifiées les critiques qui leur sont faites quant à leur rôle durant la crise depuis 2008[2]. D’où une posture de victime, voire même de victime expiatoire ou de bouc émissaire, selon la thèse bien connue de René Girard[3]. Elles n’ont pas tout à fait tort. La responsabilité finale des décisions d’investissement restant entre les mains des investisseurs, le rôle des agences se limite à délivrer une « opinion » parmi d’autres, elles ne sauraient être responsables des mauvaises décisions de gestion prises par [1] Cf., par exemple, l’excellent article de J.-M. Naulot, « Il faut limiter le pouvoir des agences de notation », Le Monde, 3 janvier 2012, p. 20, ou encore R.G. Wilmers, « Face à leur échec, dégradons les agences de notation ! », Le Monde, 4 février 2012, p. 15. [2] Y. Le Pallec, « Nous, agences de notation, ne faisons que notre métier », Les Échos, 1er février 2012. [3] Philosophe français né en 1923, membre de l’Académie française, auteur notamment de l’ouvrage Le Bouc émissaire (Paris, Grasset, 1982). no 746 mars 2012 les investisseurs. Mais c’est bien là le problème : le marché des opinions sur le risque de crédit d’un émetteur de dettes est concentré entre quelques mains, trois agences seulement ayant une réelle présence mondiale sur cette activité. Or, cette concentration des acteurs et l’importance que certains textes réglementaires accordent aux notes attribuées par ces agences comme condition préalable à un investissement conduisent en pratique la plupart des investisseurs à voir dans ces notes une « quasi-vérité », et ce d’autant plus que dans les faits ces notes ne diffèrent pas fondamentalement d’une agence à une autre. De réelles faiblesses en matière de gestion de conflits d’intérêts tion de conflits d’intérêts, et ce, du fait du business model retenu, à savoir une opinion payée par l’émetteur de titres et non par l’investisseur. Depuis lors, régulateurs et législateurs sont venus mettre un peu d’ordre dans ce champ largement vierge de la régulation. Mais le travail est encore long avant un encadrement clair de cette activité. Il n’est pas sûr toutefois que le retour à la confiance dans les agences de notation résulte d’une réglementation plus précise et contraignante. Le mal est sans doute plus profond. C’est le modèle de business[4] qui pose aujourd’hui question. Au point que l’on voit fleurir des initiatives de création d’agences où les opinions délivrées sont payées par les investisseurs, et non par les émetteurs[5]. Ceci souligne qu’il y a bien là, au Les agences de notation n’ont pas non plus tout à fait raison dans la critique des maux qui leur sont attribués. La crise des subprime a révélé de réelles faiblesses en matière de ges- [4] Modèle dit de l’« émetteur-payeur ». [5] C’est le cas de Roland Berger, qui a annoncé début 2012 vouloir lancer une agence de notation selon un modèle différent et acceptant une pleine responsabilité pour les avis donnés.