Master II Étude de l`évolution du personnage de Bérenger à travers

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Master II Étude de l`évolution du personnage de Bérenger à travers
1
Université d‟Ispahan
Faculté des Langues Étrangères
Département de la Langue et de la Littérature françaises
Master II
Étude de l’évolution du personnage de Bérenger à travers quatre
pièces d’Eugène Ionesco: Tueur sans gages,
Rhinocéros, Le Piéton de l’air et Le roi se meurt
Sous la direction de:
Dr. Anvarossadat Miralaie
Professeur Consultant:
Dr. Mojgan Mahdavi Zadeh
Par:
Saïdeh Aghahasani
Mars 2011
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Au nom de Dieu
Clément et Miséricordieux
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4
remerciement
Mes plus profonds respects et remerciements inoubliables à mon
professeur Madame le docteur Miralaie qui a suivi avec soin la préparation
de ce mémoire, étape par étape, tout en m’accordant ses importantes
annotations et qui a tout fait pour que je puisse être honorée de le soutenir.
Aussi je la remercie pour le soutien, la générosité et la confiance qu’elle m’a
témoignée tout au long de mes études. mes remerciements vont également
à Madame le docteur Mahdavi zadeh, mon professeur consultant pour avoir
accepté la peine de lire ce travail de recherche et pour les conseils qu’elle m’a
dispensés.
Je ne pourrai nullement oublier les bons conseils de
professeur,
Monsieur le docteur Kamyabi Mask dont les directives m’ont accompagnée
du début à la fin de mon mémoire, à celui qui j’aimerais dédier ce travail.
Ma dette envers lui dépasse le cadre de ce travail, et je souhaite rendre
hommage, non seulement à ses qualités magistrales de professeur, mais
également à sa personnalité exceptionnelle.
Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers tous ceux qui m’ont
enseigné le français, surtout mes chers professeurs à l’université de Tabriz,
principalement Monsieur le docteur Hossein zadeh et Madame le docteur
Shahpar rad. Je suis certaine pour ma part que, sans eux, je ne serais pas ce
que je suis et que toute ma vie dépendra, d’ un certain point de vue, de ce
qu’ils m’ont donné.
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aux trésors inestimables
de ma vie,
à mes parents
mes meilleurs professeurs
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Abstract:
Bérenger is central and constant personality in four plays of Ionesco as
Rhino, King dies, Walking in the air and The killer without wage and salary. In
Ionesco‟s plays such as myths, transition occurs by degradation of human nature
to animal nature and civilization back to nature . In fact, this process will
overturn civilization as well. In advance theater especially theater of Ionesco,
concept of personality which is the main element of the plays has been clearly
changed. The evidence is Bérenger who has constantly person as only non hiro
in the plays which we‟ve already mentioned and in spite of all exceptations his
resistance to revive humanity and ethics, has changed his personality to a
human who commits to the society. This article we will discuss the personality
characteristics of Bérenger which were factor of chosing him in some plays of
Ionesco such as Rhino, King dies,Walking the air, and The Killer without wage
and salary. Also common aspects of Bérenger in this plays and logical
transition of his personality will be investigated.
Key words: Bérenger, personality, nonpersonality,evolution, pain, death
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Résumé :
Bérenger est le personnage central et constant de plusieurs pièces de
Eugène Ionesco, notamment «Rhinocéros», «Le roi se meurt», «Le piéton de
l’air» et «Tueur sans gages». Comme dans certains mythes, nous constatons
dans les pièces ionesciennes une régression de l‟humain à l‟animalité, un retour
monstrueux de la culture à la nature selon un processus qui inverse celui de la
civilisation. La notion du personnage, cet élément central et indispensable de la
création dramatique, subit un changement significatif dans le théâtre d‟avantgarde et surtout dans celui de Ionesco: par exemple Bérenger comme l‟antihéros
dans les pièces mentionnées contre notre attente insiste sur la réhabilitation de
l‟humanité et peu à peu il se transforme en un homme engagé. Nous constatons
que l‟évolution de Bérenger était raisonnable et les aspects communs de
Bérenger dans les pièces déjà citées de Ionesco sont nombreux.
Mots- clés : Bérenger, personnage, antihéros, évolution, humanité, animalité.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1
Architecture du théâtre ionescien
1-1 Le théâtre ionescien ou théâtre de tous-------------------------------1
1-2 Ionesco vu d‟un regard symbolique----------------------------------17
1-3 La notion du personnage dans le théâtre ionescien----------------25
1-4 La condition humaine à travers l‟imagination----------------------34
Chapitre 2
Bérenger face à la condition tragique
2-1 La situation tragique des Bérengers----------------------------------46
2-2 Les Bérengers face à l‟absurdité--------------------------------------55
2-3 Les Bérengers face à la solitude--------------------------------------61
2-4 L‟humour et l‟amour:le cheminement vers un paradis perdu-----66
Chapitre 3
Évolution du personnage de Bérenger
3-1L‟Évolution dans le caractère de Bérenger--------------------------77
3-2L‟Évolution dans le sentiment de Bérenger--------------------------85
3-3 Bérenger face à la métamorphose------------------------------------90
Conclusion-----------------------------------------------------------------104
Bibliographie--------------------------------------------------------------109
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Introduction
Depuis la Renaissance, le théâtre évolue vers une reconstitution de plus en
plus scrupuleuse de la réalité. Alors que cette recherche du réalisme atteint son
apogée, à la fin du XIXe siècle, on voit apparaître, sous de multiples formes, une
réaction antiréaliste. L‟art théâtral, comme l‟ensemble des expressions
artistiques, semble être à la recherche d‟un nouveau souffle et d‟un nouveau
sens. Il subit des mutations à un rythme frénétique. Piochant ici et là dans
l‟ensemble des tendances artistiques développé depuis l‟antiquité, le XXe siècle
fait preuve d‟une inventivité et d‟une énergie créatrice absolument inédite. Au
moment où l‟impressionisme révolutionne la peinture et donne naissance à l‟art
abstrait, le réalisme qui domine l‟ensemble du théâtre du début du siècle se voit
lui aussi fortement contesté. L‟attaque se fait sur deux fronts bien distincts: on
estime que le naturalisme se limite à une reconstitution limitée de la réalité et
qu‟il existe une vérité plus profonde à retrouver dans la spiritualité ou
l‟inconscient (la psychanalyse naissante est particulièrement à la mode). On
reproche au théâtre d‟avoir perdu tout contact avec ses origines et d‟être réduit à
la fonction de divertissement. En harmonie avec l‟évolution artistique de son
temps, l‟avant-garde intellectuelle: le "mouvement symboliste" se développe en
France à partir des années 1880. Basé sur les idées de Richard Wagner, ce
mouvement prône la "déthéâtralisation", c‟est-à-dire l‟abandon de tous les
artifices techniques, auxquelles doit se substituer une spiritualité émanant du
texte et de l‟interprétation.
Les pièces, dont le rythme est lent, parfois onirique ou poétique, sont
chargées de symboles et de signes évocateurs. Elles s‟adressent à l‟inconscient
plutôt qu‟à l‟intellect et cherchent à découvrir la dimension irrationnelle du
monde. Dans les années 1890-1900, les pièces de Maurice Maeterlinck ou de
Paul Claudel, illustrent parfaitement cette tendance.
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En 1896, le metteur en scène symboliste Aurélien Lugné-Pœ monte
une farce provocante et excentrique d‟Alfred Jarry intitulée "Ubu Roi". Inspirée
par "Macbeth", la pièce met en scène des personnages-marionnettes, dans un
monde improbable et à travers des dialogues souvent obscènes. Son originalité
réside dans sa transgression de toutes les normes et de tous les tabous qui pèsent
alors sur le théâtre. "Ubu Roi" est une source d‟inspiration majeure des futures
avant-gardes, et notamment du théâtre de l‟absurde des années 1950.
Dans la première moitié du XXe siècle, de nombreux mouvements, tels
que le futurisme, le dadaïsme et le surréalisme, s‟étendent au domaine du
théâtre, à travers les pièces iconoclastes de Guillaume Apollinaire ("les
Mamelles de Tiresias", 1917) ou de Roger Vitrac ("Victor ou les Enfants au
pouvoir", 1928). Des auteurs comme Jean Giraudoux ("La guerre de Troie
n’aura pas lieu", 1935), Henry de Montherlant ("la Reine morte", 1942), Jean
Anouilh ("Antigone", 1944), ou encore le Belge Michel de Ghelderode ("la
Ballade du Grand Macabre", 1935) proposent une réactualisation de thèmes
historiques ou mythiques.
D‟autres innovations vont êtres inspirées par le français Antonin Artaud, à
travers son recueil d‟essais intitulé "le Théâtre et son double" (1938). Selon lui,
la société est malade et doit être guérie. Refusant le drame psychologique, il
propose un théâtre à vocation spirituelle, communautaire pour favoriser cette
guérison. Le concept de "théâtre pur" qu‟il entend mettre en œuvre est destiné à
détruire les formes anciennes et à permettre l‟émergence d‟une vie régénérée.
S‟inspirant du théâtre oriental et des rites primitifs, il propose une rénovation du
langage théâtral, qu‟il baptise "théâtre de la cruauté". Il s‟agit d‟ébranler les
spectateurs en redéfinissant la frontière qui les sépare des acteurs, en minimisant
ou en éliminant le discours pour lui substituer de simples sons et des
mouvements.
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Après la guerre, de nombreux artistes français ressentent la nécessité
d‟instaurer un théâtre-citoyen, populaire et engagé, pleinement intégré dans la
vie de la cité. Entre 1947 et 1967, deux décennies particulièrement fécondes
dans ce siècle prolifique, on voit la triple naissance du "théâtre populaire", du
"théâtre engagé", et du "théâtre de l‟absurde".
Le théâtre de l‟absurde est le plus populaire parmi les mouvements
d‟avant-garde. Héritiers spirituels d‟Alfred Jarry, des dadaïstes et des
surréalistes, influencés par les théories existentialistes d‟Albert Camus et de
Jean-Paul Sartre, les dramaturges de l‟absurde voient, selon Eugène Ionesco,
«l’homme comme perdu dans le monde, toutes ses actions devenant insensées,
absurdes, inutiles». Rendu célèbre par Eugène Ionesco ("la Cantatrice chauve",
1951 ; "Rhinocéros", 1959), Arthur Adamov ("l’Invasion", 1950 ; "le
Professeur Taranne", 1953) et Samuel Beckett ("En attendant Godot", 1952), le
théâtre de l‟absurde tend à éliminer tout déterminisme logique. Il conteste le
pouvoir de communication du langage, et réduit les personnages à des
archétypes, égarés dans un monde anonyme et incompréhensible. Ce
mouvement connaît son apogée dans les années 1950, mais prolonge son
influence jusque dans les années 1970.
Lorsqu‟on évoque aujourd‟hui le nom d‟Eugène Ionescso, on pense d‟abord
à son théâtre et à la vague d‟innovation dramatique de l‟après-guerre qui
l‟accompagne. Ionesco sous l‟influence de l‟idée révolutionnaire, s‟insurge
contre toute imitation et toute aliénation. Ionesco pense, que l‟imitation aboutit
à l‟auto-destruction des êtres humains. Il se sent seul comme le sont toujours et
partout ceux qui sont conscients. Le théâtre classique se caractérisait par la
prépondérance accordée aux personnages et au langage, cela n‟existe plus chez
Ionesco. Ses personnages n‟ont pas une individualité très marquée, ils ne sont ni
cohérants, ni immuables. Ils ont tendance à devenir des types sociaux anonymes
ou interchangeable. Comme tous ceux du théâtre moderne, et du théâtre de
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Ionesco en particulier, les personnages se caractérisent par une psychologie
sommaire. Ils présentent les types d‟individus qui, à notre époque surtout,
composent la société et dont la vie est banale, faite des attitudes et des propos
les plus anodins, les plus pauvres et les plus conformistes. Rester toujours dans
la ligne de conduite du plus grand nombre, voilà la règle de vie d‟une société
qui se prétend basée sur la liberté et sur la dignité humaine.
Avec Tueur sans gages, Rhinocéros, Le Roi se meurt et Le Piéton de l’air
pièces écrites de 1957 à 1962, un personnage nouveau fait son apparition :
Bérenger qui exprime son désir de résister aux puissances dissolvantes de
l‟existence en s‟efforçant de trouver des solutions constructives.
Bérenger est le personnage le plus important de toute l‟œuvre de Ionesco. Il
est aussi le plus représentatif en ce qui concerne l‟auteur, son œuvre et leur
évolution. Il est une incarnation du héros de l‟univers ionescien celui qui ose
s‟élèver contre son temps.
Tueur sans gages qui se passe dans le « décor de lumières» de la « cité
radieuse », dans lequel Bérenger, émerveillé, reste insensible aux signes
inquiétants qui le troublent. C‟est que la ville est hantée par un assassin qui,
sans raison, abat les passants. Mais les gens ont d‟autres préoccupations que de
courir derrière lui. Bérenger, homme de bonne volonté, un peu naïf dans ses
indignations, est conduit, dans le premier acte, à cette prise de conscience et à la
décision qui en découle : il faut démasquer le « tueur ». À contre-courant de
toute la ville, il décide d‟agir.
Le second acte laisse filtrer, depuis la chambre sombre de Bérenger, tout
un microcosme social à travers des bruits familiers. Il reçoit la visite d‟un ami,
l‟inquiétant Édouard, qui se trouve être en possession d‟une serviette contenant
toutes les pièces à conviction au sujet du tueur. Bérenger, très naïvement, décide
d‟en référer à la police.
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Le troisième acte nous conduit dans la rue, dans la foule. Bérenger tente
en vain de remettre la serviette à la police. Seul enfin dans un lieu vaste et
indéterminé, il va à la rencontre du tueur, l‟affronte et l‟arrête. Mais il se trouve
désarmé devant ce criminel qui n‟oppose à ses discours de conciliation que des
ricanements moqueurs.
En attardant sur Rhinocéros, par un beau dimanche matin, à la terrasse
d‟un café, sur la place près de l‟église et de l‟épicerie d‟une petite ville de
province, deux employés de bureau discutent, Jean et Bérenger. Ce qui, plus que
tout, exaspère Jean, c‟est le manque de volonté de Bérenger. Il ne trouve pas sa
vie d‟employé de bureau si exaltante qu‟il puisse se passer de réconfort à ses
heures de liberté.
Durant la conversation, un bruit, éloigné d‟abord puis de plus en plus
proche, de course précipitée ainsi qu‟un long barrissement, se font entendre.
Cette apparition n‟a pas secoué l‟inertie de Bérenger qui interrompt le cours de
la conversation parce qu‟il vient d‟apercevoir Daisy, une collègue de bureau
dont il est amoureux. Quand passe un rhinocéros, Jean toujours sûr de lui,
prétend que c‟était un rhinocéros d‟Asie, ou peut-être d‟Afrique, une discussion
sans queue ni tête oppose bientôt Jean, Bérenger, le logicien et le vieux
monsieur. Jean qui est furieux du manque d‟enthousiasme de Bérenger pour
discuter du rhinocéros, le laissant solitaire et regrettant de s‟être querellé avec
lui. Tous se rendent compte qu‟ils se multiplient et que ce sont des citoyens de
la ville qui se métamorphosent en ces terribles bêtes. Alors qu‟une panique
commence à se répandre, Bérenger et Daisy essaient de garder le sens de la
réalité. Bérenger se rend chez son ami Jean pour tenter de se réconcilier avec
lui. Mais peu à peu, il se transforme, sous les yeux de son collègue, en
rhinocéros. Il approuve ce que sont devenu les autres, prône la destruction de
l‟être humain et de la civilisation et se précipite, tête baissée, sur Bérenger qui
réussit à lui échapper. Mais c‟est pour s‟apercevoir que des rhinocéros
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surgissent de partout, chargent à travers toute la ville qui semble s‟être
transformée. «Tout un troupeau de rhinocéros ! Et on disait que c’est un animal
solitaire !... Comment faire?» Une importante partie de la population s‟est
transformée en rhinocéros violents et destructeurs. Bérenger reste seul,
probablement seul au monde. Il se demande s‟il n‟est pas dans l‟erreur, s‟il ne
devrait pas faire comme les autres, devenir rhinocéros lui aussi.
La pièce, Le roi se meurt met en scène un drame qui se déroule en trois
grands moments. Le premier moment est, en l‟absence du roi Bérenger 1er,
mais en présence de ses deux femmes, de la bonne, du garde et du médecin,
celui de l‟annonce, alors qu‟il est déjà très malade, de sa mort inéluctable dans
un royaume en perdition. Le deuxième moment est, peu après son entrée en
scène, l‟annonce faite au roi lui-même de l‟imminence de sa mort. Il apprend
qu‟il n‟a plus qu‟une heure trente à vivre. Bérenger, roi de l‟Univers, nie son
impuissance à régner. Le troisième moment, le plus long, nous introduit au cœur
du drame : « La cérémonie commence ! » Dès lors, nous vivons avec Bérenger
les étapes à la fois spirituelles et physiques de son agonie : incrédulité,
raidissement,
colère,
révolte,
terreur,
fragilité,
tristesse,
résignation,
renoncement, abandon, acceptation de la mort, adieux à tout ce qui lui est cher,
angoisse et appel au secours. Une fois la prise de conscience acquise, il s‟agit
d‟accompagner le roi jusqu‟à son abdication délibérée. Autour de lui, ses
proches, un à un, l‟accompagnent, l‟aident à cheminer vers la fin, chacun ayant
un rôle précis à jouer, chacun incarnant une attitude différente devant la mort.
Avec sa bonne, Juliette, qui est maternelle, Bérenger recense avec
émerveillement les petits riens qui font la vie. Il revit aussi des souvenirs, ceux
de sa vie et de l‟humanité entière avec son garde, un homme âgé qui persiste,
malgré la vieillesse, à rester aimant et ébloui. La reine Marie, qui incarne la
passion, montre un chagrin déchirant et refuse cette mort éventuelle. La reine
Marguerite est lucide, pleine de détermination et encourage le roi à en finir au
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plus vite, à passer dans l‟éternité. Le médecin fait preuve de rationalité et
surveille le bon déroulement du rituel funèbre. Au fil de cette cérémonie, à un
rythme égal à celui de la progression de la mort, tout le royaume, dévasté,
s‟abîme et se défait avant qu‟il ne disparaisse lui-même dans les ténèbres. Le
décor disparaît en même temps que le roi.
Dans Le piéton de l’air, pièce écrit en 1962 et en un acte, où toute l‟action
est commenté par un «chœur» constitué d‟Anglais de tous âges, Bérenger,
auteur dramatique mondialement célèbre, s‟est retiré en Angleterre pour y écrire
tranquillement. Un dimanche, alors qu‟après avoir confié à un journaliste qu‟il
n‟a plus de raisons d‟écrire et se sent fatigué de tout, il bavarde avec sa femme
et sa fille venues le rejoindre, une bombe fait exploser le cottage de Bérenger,
qui n‟est pas touché : ignorant volontairement la présence de la mort, il fait
découvrir à sa femme et à sa fille, sur des toiles peintes, les beautés de la
campagne anglaise. Apparaît alors un passant de l‟anti monde qui ne voit
personne et vit dans un monde inversé. Bérenger se trouve envahi par une
violente joie et se retrouve dans un état de légèreté extraordinaire. Surgissent
aussi du néant une colonne rose sans fin et un pont d‟argent : Bérenger,
impatient de s‟élever dans les airs, puis par s‟envoler, tandis que sa femme subit
une violente crise de solitude au cours de laquelle elle a des visions de violence
qui la terrifient bien que sa fille lui laisse valoir que ce sont de simples
hallucinations nées de sa peur. La scène devient obscure et, à son retour sur
terre, Bérenger décrit un au-delà de sang et de destruction, où le Mal sévit
partout.
Nous avons choisi les quatre pièces sus-mentionnées, regroupées en un
« cycle » appelé « cycle Bérenger » pour étudier
l‟évolution de Bérenger,
trouver les aspects communs de celui-ci dans les pièces déjà citées de Ionesco
ainsi que les raisons de cette évolution.
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En ce qui concerne le corpus, outre les quatre pièces de Ionesco objet de
notre mémoire, nous nous appuiérons sur les ouvrages critiques les concernant,
particulièrement ceux d‟entre eux qui nous aident à compléter notre
connaissance de l‟évolution de ce personnage. Nous nous contentons ici de citer
quelques-uns de ces ouvrages de bases; (Étude sur Ionesco, Le roi se meurt,
Qui sont les Rhinicéros de Monsieur Eugène-Bérenger Ionesco?, La dynamique
théâtral d’Eugène Ionesco, Rhinocéros, Ionesco, analyse critique), (Vulliard,
Ch. (2000),
Kamyabi Mask,A. (1992), Vernois, P. (1972), Frois, E. (1970)).
Pour effectuer cette recherche nous avons décidé d‟appliquer une méthode
plutôt référentielle et analytique c‟est-à-dire, nous nous sommes fondés sur
l‟analyses des fiches établies à partir des deux œuvres, sur des ouvrages
critiques et des œuvres de base sur le personnage cités ci-dessus. Cette méthode
référentielle et analytique est à son tour la base de la méthode comparative.
Notre recherche se divise en trois parties: dans le premier chapitre nous
nous attarderons sur les caractéristiques du théâtre de Ionesco. Le deuxième
chapitre portera sur Bérenger personnage submergé par la condition tragique et
enfin dans le troisieme chapitre, nous traiterons de l‟évolution raisonnable de
Bérenger.
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Chapitre 1
Architeture du théâtre ionescien
1-1 Théâtre ionescien ou théâtre de tous
Il y a beaucoup de mouvements et de courants littéraires après la deuxième
guerre mondiale; et surtout les années 1950, sont marquées par deux courants
nouveaux: le «nouveau roman» et le «nouveau théâtre». Deux voies nouvelles et
différentes, mais qui ont un certain nombre d‟analogies. Le «nouveau théâtre» a
eu plus de succès que le «nouveau roman», une dizaine d‟années après le déclin
de celui-ci, celui-là est encore à la mode, et compte plusieurs adeptes partout.
Eugène Ionesco est, comme Samuel Beckett et Alfred Jarry, l‟un des vrais
précurseurs ou fondateurs du «nouveau théâtre». Le théâtre lui plaisait et était
son genre préféré, et c‟est pourquoi il l‟a continué jusqu‟à sa mort. Le théâtre
est, peut-être, le genre littéraire le plus réussi, dans l‟expression des réalités de
la vie, et dans la présentation des malheurs de l‟existence. Car l‟on peut
entendre et voir les personnages, leurs gestes, leurs paroles et, en un mot, la vie
quotidienne et sa propre vie sur la scène. Ne peut-on donc pas dire que le théâtre
est plus touchant, plus concret que les autres genres littéraires? Le théâtre est
comme le miroir de l‟humanité. C‟est ainsi que M. Mignon prétend que
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“le théâtre est le reflet de l’humanité […]. Aucun art n’est ainsi
en prise directe sur l’actualité”.(Mignon,1986,52)
Au théâtre, même dès le temps d‟Aristote et selon lui, la tragédie est un
genre séparé de la comédie. Peu-à-peu, la loi de séparation des genres est
réfusée par des dramaturges et Ionesco lui aussi ne le respectait plus. Mais estce que la tragédie seule peut exprimer le malaise de l‟existence? Bien que le
tragique de la condition humaine soit bien montré par Ionesco dans ses pièces,
on sait qu‟il a écrit des tragédies et des comédies. En fait, il faut affirmer
qu‟Eugène, grâce au comique, et grâce aux procédés comiques, a pu bien
montrer le «mal du siècle» mais du XX e siècle l‟auteur n‟a pas utilisé des
procédés comiques seulement pour faire rire, ou pour divertir les spectateurs. Il
voulait représenter le tragique de la vie humaine, par la meilleure façon qui
existe.
“L’œuvre d’art, dit Ionesco, répond au besoin de faire œuvre de
création. Une pièce de théâtre répond au besoin de créer des
êtres, d’incarner, de donner des figures à des passions”.
(Ionesco, 1990, 213)
Elle répond aussi au besoin de pleurer, de rire, de crier, de se manifester, et
de faire enfin quelque chose pour arriver à libérer quelques âmes angoissées en
les faisant s‟identifier avec les personnages. Ionesco entreprend, consciemment
l‟exploration de la condition humaine:
“Ce qui m’engage, écrit-il, c’est le problème de la
condition humaine dans son ensemble, social ou extrasocial”. (Ionesco,1990,186)
Dans l‟histoire de la vie de l‟homme, il est arrivé maintes fois des guerres
auparavant, mais il n‟ y a jamais eu de guerre aussi atroce et aux conséquences
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aussi désastreuses que la deuxième guerre mondiale, marquée par le nazisme.
Ces conséquences, qui ont duré jusqu‟à notre époque, ont eu une grande
influence sur les écrivains et les dramaturges européens. La guerre a provoqué
une crise de conscience mondiale et a donné naissance à une véritable
civilisation de désespoir métaphysique qui a alimenté la littérature de l‟absurde.
C‟est dans ce climat d‟après guerre que Ionesco a commencé à écrire ses
pièces. Chacune de ses pièces est le reflet de tous les désastres qu‟a connus cette
période de guerre: l‟occupation, le nazisme, l‟anarchie, etc. Il est nécessaire de
dire que Ionesco a écrit des tragédies pures ou des comédies. Son genre préféré
c‟est celui qui reflète la vie réelle. Or, dans la vie humaine il n‟y a pas la
douleur ni la joie et la gaieté. Comme on voit dans Rhinocéros, dès le début de
la pièce, Ionesco nous expose, par le biais du comique, une situation tragique.
La vie réelle de l‟homme est composée de tragique et de comique à la fois.
Certes, il y a un intérêt dans ce mélange de genres, afin que Ionesco nous
présente, de plus en plus, le tragique de la condition humaine.
Au début de son activité théâtrale en tant que dramaturge, Ionesco semblait
beaucoup plus optimiste que dans ses dernières pièces. Quand il a crée La
Cantatrice Chauve, il semblait qu‟il attaquait seulement les aspects burlesque
de la petite-bourgeoisie, mais plus tard on trouvera chez lui des visions aussi
angoissantes que celles de Samuel Beckett. D‟une pièce à l‟autre, Ionesco a
présenté, de plus en plus, la peur tragique du néant, cette peur se voit surtout
dans Le Roi se meurt ainsi que dans Le Piéton de l’air.
Ionesco, lui-même, est presque entièrement mécontent de la vie, de la
société, et du travail: C‟est ainsi qu‟il manifeste son mécontentement en faisant
dire à Bérenger:
“Je n’ai guère de distraction, on s’ennuie dans cette ville, je ne
suis pas fait pour le travail que j’ai … tous les jours au bureau,
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pendant huit heures, trois semaines seulement de vacance en
été”. (Ionesco, 1963, 12)
Ionesco a recours à la comédie, pour se donner l‟énergie de supporter le
malheur, le malaise de l‟existence et de la vie de l‟homme. Le comique est seul
en mesure de nous donner la force de supporter la tragédie de la vie humaine.
Eugène a signalé plusieures fois le rôle du rire et son importance dans la vie.
Ainsi il a déclaré que l‟homme moderne et universel est un homme pressé, qui
n‟a pas assez de temps, et qui est prisonnier de la nécessité! L‟auteur des Notes
et Contre-notes dit:
“[L’homme moderne] ne comprend pas qu’une chose
puisse ne pas être utile; il ne comprend pas non plus que,
dans le fond, c’est l’utile qui peut être un poids inutile,
accablant”. (Ionesco, 1990, 211)
Et si l‟on ne comprend pas l‟utilité de l‟inutile, ou l‟inutilité de l‟utile,
donc on ne comprend même pas l‟intérêt de l‟art, du rire, ou bien de l‟art de
rire. Un public qui ne comprend pas l‟art, est vraiment malheureux. Le
Journaliste du Piéton de l’air crie:
“L’art, la littérature, ce n’est pas sérieux. L’art a perdu ses
pouvoirs, en a-t-il eu? Après tout, ce n’est plus sot qu’autre
chose”.(Ionesco, 1963, 141)
Dans le monde où il n‟y a pas le rire, la colère règne selon lui, où il n‟y a pas le
rire, il y a la colère et la haine.
Quant à la comédie propre à Ionesco, c‟est, à vrai dire, une comédie qui
suscite le rire, alors qu‟elle devrait, en fait, faire verser des larmes! En fait, cette
comédie est un lien entre la tragédie et la comédie, à vrai dire, c‟est une tragédie
cachée sous le masque de la comédie. Le théâtre de Ionesco ne recherche pas la