La relation client - Association des Centraliens

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La relation client - Association des Centraliens
Le Conseil
Jérôme Mauduit (ECP 88) est
Directeur au sein d’IDRH, où il accompagne
la transformation de grands groupes privés.
La relation client :
un subtil équilibre
entre passion et raison
La relation client se construit sur le long terme, par la confiance.
Elle se nourrit d’une création de valeur constamment renouvelée.
Dans les métiers du conseil, la relation
client occupe une place centrale, plus
encore que dans la plupart des secteurs
professionnels.
La relation entre une société de conseil
et son client est marquée par de forts
aléas. Comme l’ont souligné Jean
Simonet et Jean-Pierre Bouchez1, le
client achète un service, une promesse
de résolution de son problème, une probabilité de satisfaction de sa demande,
dans des conditions de forte opacité
de l’offre et d’incertitude quant au
résultat1. Cette incertitude se retrouve
dans la perception des clients qui ont:
« une vision positive mais imprécise, ou
peu affirmée, du rôle des sociétés de
conseil »2.
La réduction de ces incertitudes passe
par la confiance que le client accorde à
une société de conseil. Le niveau de
cette confiance est le paramètre principal qui régit le cycle de vie de la relation
avec le client.
La fragilité en est donc sa principale
caractéristique. C’est pourquoi dans le
monde du conseil, la « maîtrise » du
client est le principal sésame vers le
statut suprême d’associé.
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Une relation par nature
passionnelle
Un rééquilibrage de la relation
en faveur des clients
La relation client peut aisément être
comparée à certaines passions amoureuses.
La cour, avec ses travaux d’approche
et leurs enjeux d’image, de notoriété ; à ce stade rien ne vaut la
recommandation d’un client satisfait
pour gagner un nouveau client3,
La lune de miel, pendant laquelle la
valeur ajoutée des solutions apportées par la société de conseil est
perçue comme très forte par le
client, notamment du fait de leur
nouveauté ;
La maturité liée à la progressive assimilation par l’ensemble de l’entreprise du savoir faire spécifique de
la société de conseil ; cette phase
s’accompagne généralement d’une
baisse des prix ;
L’inévitable rupture aux causes
diverses, telles qu’un changement
dans l’équipe des donneurs d’ordre,
l’incapacité de la société de conseil à
renouveler sa proposition de valeur,
l’irruption d’un concurrent, etc.
Jusqu’à encore récemment, la relation
entre un client et son consultant se
caractérisait par une certaine asymétrie.
En effet, le consultant est partiellement
juge et partie des problèmes qu’il diagnostique et des solutions qu’il préconise. Cette asymétrie relationnelle, plus
marquée encore dans certaines professions (tels que médecins ou garagistes),
a pu conduire à une forme d’abus.
Ainsi, certains observateurs vont
jusqu’à parler de dépendance au conseil
(cf. la « consultocracy »4 évoquée en
son temps pour les administrations britanniques et canadiennes). La passion
amoureuse évoquée plus haut relèverait alors des liaisons dangereuses.
Plusieurs facteurs viennent aujourd’hui
rééquilibrer la relation entre le consultant et son client, voire même faire bas1. Le conseil, Jean SIMONET et Jean-Pierre BOUCHEZ
2. Etude SYNTEC Conseil en Management, « Le conseil
en management à l’épreuve de la création de valeur »
3. Dans les démarches commerciales du conseil, l’équilibre entre développement des clients existants et
conquête de nouveaux clients fait l’objet d’une attention
toute particulière.
4. Denis St Martin, émission d’ABC « The consultocracy ».
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Dossier
culer la relation en faveur de ce dernier.
Passons-les rapidement en revue.
1. Un marché arrivé à maturité
Deux crises sont advenues, une troisième est en cours. Il s’ensuit une
contraction du marché et une tension
sur les prix. Le marché du conseil est
aujourd’hui considéré comme arrivé
à maturité, après une très forte croissance dans les années 80 et 90.
2. La montée en puissance
des services Achats
Elle a considérablement modifié la relation entre clients et sociétés de conseil.
Elle a tout d’abord induit une pression
supplémentaire sur les prix. Mais surtout, par son exigence de transparence
(que certains jugent parfois excessive),
elle a complexifié le processus de
vente. Les sociétés de conseil de taille
modeste sont les plus pénalisées ; à
titre d’illustration, bon nombre d’entre
elles ont des difficultés à intervenir sur
certains marchés publics du fait d’une
forte concentration des achats.
3. La maturité accrue des clients
Nombre de techniques que les consultants ont antérieurement contribué à
diffuser en entreprise sont aujourd’hui
bien maîtrisées par les clients, sur des
sujets comme la conduite du changement, les techniques de base du management pour ne citer qu’elles.
Une première conséquence est que
les clients demandent aux sociétés de
conseil de concentrer leur intervention
sur la partie à plus forte valeur ajoutée,
et d’y affecter les consultants les plus
expérimentés ; ce point remet en cause
le modèle économique des sociétés
de conseil dont la marge se fait sur les
consultants dits « juniors ».
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Un deuxième impact est une plus
grande perméabilité des équipes entre
clients et consultants, avec un recours
accru des équipes conjointes. Les
clients y trouvent un double bénéfice :
réduction des coûts et intensification du
transfert de savoir faire.
Ajoutons également, le fait que bon
nombre de consultants expérimentés
ont rejoint les rangs des clients, augmentant encore le niveau d’exigence.
4. Les structures de conseil interne
Les grandes entreprises trouvent avantage à constituer des structures de
conseil interne. C’est un acteur de plus
que les sociétés de conseil doivent
intégrer à tous les stades de la relation
client : travaux d’approche et de prospection, élaboration des offres d’intervention et réalisation des interventions.
D’une certaine manière, le client a
maintenant accès à l’envers du décor et
s’en sert pour optimiser son usage du
conseil.
L’arrivée des nouveaux acteurs que
sont les services achats et les entités
de conseil interne rend plus complexe
la relation client pour les sociétés de
conseil. Elles sont dans l’obligation de
gérer un plus grand nombre de parties
prenantes, alors que l’exigence de ses
clients a, en parallèle, fortement crû
ces dernières années. En langage de
consultant « le coût de la relation augmente pour les sociétés de conseil»,
puisque quelques duègnes surveillent
d’un œil acerbe le ballet des amoureux.
Augmenter la création
de valeur
Face à ces tensions dans la relation, les
sociétés de conseil s’efforcent d’augmenter la valeur qu’elles apportent à
leurs clients. Ce thème a été pris en
charge à l’échelle de la profession.
Ainsi, le Syntec dans son étude, « Le
conseil en management à l’épreuve de
la création de valeur »2 présente les 3
principaux types de création de valeur
d’une société de conseil :
La création de valeur fonctionnelle :
amélioration de l’efficacité et de l’efficience de la fonction de production
du client,
La création de valeur normative : diffusion d’un concept relatif à une nouvelle méthode de création de valeur
pour le client (le Business Process
Reingeneering, la Gestion de la Rela-
tion Client, le recours aux Progiciels
Intégrés de Gestion, …)
La création de valeur transformationnelle : une nouvelle norme de
création de valeur s’enracine et
s’actualise dans une entreprise (souvent associé à l’accélération de cette
transformation).
Tout l’enjeu pour les sociétés de
conseil est d’accroître la création de
valeur pour leurs clients et de pouvoir
leur démontrer.
Conclusion : du caractère
systémique de la passion
Les tendances que nous avons rapidement balayées font que la relation client
dans le monde du conseil peut avoir
perdu une part de sa magie originelle,
mais pas totalement pour autant.
L’on peut invoquer au moins deux raisons à cela :
L’impact spécifique d’une action de
conseil sur les personnes,
Le besoin des entreprises de recourir
à un tiers extérieur.
Sur le premier point, il faut prendre en
compte une particularité des interventions de conseil : elles ont souvent un
impact non négligeable sur le devenir
des personnes concernées par l’intervention. On peut ainsi parler de conseil
relationnel5. Cette particularité existe
même dans les sociétés qui pratiquent
un conseil industrialisé, et où la standardisation des prestations met un fort
accent sur la dimension contractuelle.
Sur le second point, les clients ont
aujourd’hui pleinement intégré tout
l’intérêt de recourir à un tiers extérieur.
Cet atout a vocation à perdurer car, par
définition, les clients ne peuvent l’internaliser.
Ces deux raisons ont suffisamment de
force, de par leur nature systémique,
pour que la passion que nous évoquions
plus haut ne succombe pas aux assauts
de la raison.
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5. Bon nombre de professionnels du conseil se flattent
de gérer « des relations avec des personnes, et non
simplement des contrats ».
Centraliens no614 [Novembre/Décembre 2011]