Une littérature de risques ou les risques de la modernité? A propos

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Une littérature de risques ou les risques de la modernité? A propos
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Wolfgang Asholt
Une littérature de risques ou les risques de la modernité?
A propos du premier roman de Michel Houellebecq
Extension du domaine de la lutte
„La littérature de l’étrange, de l’horreur
et du surnaturel lance un tonitruant NON
au monde tel qu’il est et à la réalité telle
que le monde voudrait qu’elle soit.“1
(Stephen King)
En 1994 paraît le premier roman de Michel Houellebecq, Extension du domaine de
la lutte (EdL), chez Maurice Nadeau et en 1998 son deuxième roman, Les particules élémentaires (PE), chez Flammarion. Si encore dans cette année même
paraît un article consacré à l’auteur et à son œuvre dans la revue de référence en
sciences humaines qu’est Le Débat, introduit par un commentaire de la rédaction,
donc de Pierre Nora lui-même, c’est un signe qu’il ne s’agit pas d’un début romanesque ordinaire. Houellebecq semble avoir réussi à se faire remarquer par
l’opinion publique à un tel degré que cela vaut la peine pour cette revue de lui
consacrer un article et ce faisant à la littérature: „Il arrive que la littérature en dise
plus sur l’esprit du temps et sur le mouvement de la société que bien des ouvrages
de sociologie. Ce qui justifie qu’une revue, dont l’objet n’est ni la littérature ni la
critique littéraire, en traite, à sa manière. Le Débat“2 Ecrire en tant que revue de
sciences humaines en 1998 „Il arrive que…“, donc accorder à la littérature un savoir de/sur la société qui va plus loin ou voit plus clair que les disciplines respectives, donc „histoire, politique, société“, sous-titre du Débat, fut à ce moment plus
exceptionnel (ou plus anachronique) que ce ne l’est aujourd’hui. Paul Ricœur avait
déjà constaté au cours des années 1980 concernant les relations entre littérature
et histoire: „l’intentionnalité historique ne s’effectue qu’en incorporant à sa visée les
ressources de fictionnalisation relevant de l’imaginaire narratif, tandis que l’intentionnalité du récit de fiction ne produit ses effets de détection et de transformation de
l’agir et du pâtir qu’en assumant symétriquement les ressources d’historicisation que
lui offrent les tentatives de reconstruction du passé effectif.“, pour en tirer la conclusion: „Le quasi-passé de la fiction devient ainsi le détecteur des possibles enfouis
dans le passé effectif“,3 mais à ce moment l’idéal de l’autonomie et de l’autoréférentialité régnait encore à tel point dans les études littéraires que la littérature même ne
voulait pas reconnaître ses propres capacités et c’est encore partiellement le cas une
dizaine d’années plus tard, quand paraît la critique du Débat. Depuis le début des
années 2000, la situation semble changée. Il me semble significatif qu’en 2008 les
sociologues et géographes David Lewis, Dennis Rodgers et Michael Woolcock (London School of Economics et Banque mondiale) aient pu publier un article voulant
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montrer que la littérature peut avoir un savoir spécifique sur leurs sujets scientifiques.
Dans leur article, „The Fiction of development: Literary representation as a source of
authoritative knowledge“, qui a eu un certain retentissement, ils arrivent à la conclusion: „Many of the fictional accounts of developmental-related issues which exist […]
may sometimes do a ‘better’ job in conveying complex understandings of development in certain respects.“4 Et les débats autour de la conception des études littéraires comme sciences de la vie (Literaturwissenschaft als Lebenswissenschaft), lancés
depuis 2007 par un article d’Ottmar Ette5 ont montré que la littérature possède une
capacité extraordinaire de développer un tel savoir, comme en témoigne aussi dernièrement d’une autre manière le livre de Dominique Rabaté: Le roman et le sens de
la vie. Je vais revenir à cette perspective dans l’appréciation du roman de Houellebecq.6 Il est donc de nouveau possible de proclamer que la littérature en dit plus sur
l’esprit du temps et sur le mouvement de la société que bien des ouvrages de sociologie ou d’histoire.
Cette découverte de la compétence et du savoir de la littérature par la critique
littéraire est précédée par des changements importants dans le champ littéraire en
France. Il est caractéristique que nombre de travaux ont été consacrés depuis une
quinzaine d’années aux changements intervenus dans le champ romanesque à
partir du début des années 1980, constatant un „retour au récit“, et après les „jeux
formels“ des années 1960 et 1970 se manifeste de nouveau un intérêt pour le
„réel“ qui avait déserté la littérature. De l’autre côté, on observe le phénomène que
depuis la parution des PE, les études consacrées à Houellebecq augmentent presque exponentiellement.7 Il est cependant significatif que les études consacrées
aux changements littéraires des trente dernières années ne s’occupent
qu’anecdotiquement ou de manière marginale et parfois plutôt gênée de Houellebecq et que les travaux consacrés à Houellebecq n’essaient presque jamais de le
situer dans les champs romanesques de son époque. Il en résulte que la singularité de l’auteur et de son œuvre est ainsi soulignée des deux côtés, ce qui ne peut
que servir la stylisation de l’auteur comme figure de scandale et de son œuvre
comme scandaleuse et hors des mesures valables pour le reste de la littérature.
Et pourtant, ce que Le Débat soulignait comme l’exceptionnalité de Houellebecq
(Il arrive que…) représente plutôt une tendance générale du roman contemporain
qu’il ne renvoie à une singularité de l’œuvre romanesque de notre auteur. Si Dominique Viart distingue dans sa Littérature française au présent trois courants majeurs dans le roman contemporain (Les écritures de soi; Ecrire l’histoire; Ecrire le
monde) et si le troisième courant est fortement imprégné par ce qu’il appelle
„Ecrire le réel“, Houellebecq participe certainement à cette tendance, même si les
pages qui lui sont consacrées sont réunies sous le titre „Cyniques, pamphlétaires
et imprécateurs“.8 Si le narrateur de l’EdL est désigné par Viart comme „observateur désabusé d’un monde dominé par le matérialisme économique et régi par des
rapports de consommation“ et si celui-ci „constate que le sexe a pris la place du
sentiment“9 il est clair que ce narrateur décrit le monde et que c’est une écriture du
réel, indépendamment de l’exactitude de l’observation et de la vérité, notion reven19
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diquée par Houellebecq, et qu’il présente un constat concernant l’esprit du temps
et le mouvement de la société (Le Débat). Le diagnostic par ce narrateur d’une
société de plus en plus et incurablement malade est partagé par nombre de narrateurs d’autres auteurs romanesques (voir „Le réel malade“ chez Viard10). Viard
voit la spécificité de Houellebecq dans son „cynisme“, mais il n’est pas sûr que ce
cynisme ne cache pas une certaine sentimentalité et une tendance à l’autocompassion. La singularité de Houellebecq est donc moins à voir dans une lucidité
exceptionnelle vis-à-vis de notre époque – d’autres découvrent un esprit du temps
analogue et constatent une perspective analogue du mouvement de la société. Ce
qui fait de Michel Houellebecq un cas exceptionnel de la littérature contemporaine
est plutôt l’amalgame de la dimension sociale avec celle de la sexualité, développant une perspective inconnue ou étonnante sur la vie quotidienne d’aujourd’hui et
un amalgame de postures romanesques, esthétiques et quasi-philosophiques souvent inconciliables qu’il serait inadéquat de décrire par des formules comme
l’intertextualité. Je vais donc dans une première phase me consacrer à la dimension sociale du premier roman de Houellebecq pour analyser ensuite les postures
littéraires développées par cette œuvre pour voir finalement si elle nous donne
accès à un savoir de la vie (quotidienne) peu ou pas abordé dans le reste de la
littérature et les sciences humaines et en quoi consiste le scandale (littéraire, esthétique et moral) déclenché par ce roman.
1. Cynisme social ou en dire plus que la sociologie?
Nombre de chapitres des trois parties du roman sont partiellement ou intégralement consacrés à la situation sociale contemporaine, même s’il s’agit d’un milieu
finalement limité: le monde des cadres moyens des entreprises informatiques
(vente et après-vente). Le choix de ce milieu spécifique présente deux avantages:
en situant son narrateur dans ce milieu professionnel, l’auteur peut se référer à
ses propres connaissances, ce qui a pour conséquence un narrateur homo- et parfois autodiégétique, et du côté de la réception, les lecteurs de 1994 apprécient ce
milieu à juste raison comme celui de l’avenir, lui accordant ainsi une certaine représentativité.
La plupart des chapitres abordant la situation sociale contemporaine se situent
dans ce monde professionnel spécifique, partiellement déjà avec le chapitre
d’ouverture,11 mais largement à partir du chapitre 4 de la première partie („Bernard, oh Bernard“). Souvent avec des chapitres consacrés à des cas individuels
qui en plus portent en général les noms des collègues de travail d’Houellebecq
dans la section informatique du ministère de l’agriculture, ce qui renforce
l’ambiguïté entre les narrateurs auto- et homodiégétiques, le narrateur crée
l’illusion d’une synthèse sociale de ce milieu. Le chapitre dédié à Bernard montre
l’informaticien qui s’identifie complètement avec son travail; celui qui porte le titre
„Catherine, petite Catherine“ (chap. 7) en donne la version féminine qui en plus est
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sexuellement frustrée, et le troisième chapitre avec un nom réel, „Les degrés de
liberté selon J.-Y. Fréhaut“ (chap. 10) aborde l’idéologie d’un monde complètement
informatisé, rendant possible une infinité d’interconnexions et donc „le maximum
de libertés“ (46). Il est à noter que le narrateur appelle un chat un chat: il utilise les
noms de personnes que Houellebecq a réellement rencontrées dans son travail et
n’hésite pas, par exemple avec Catherine Lechardoy, à évoquer des détails physiques désavantageux („En plus des dents gâtées elle a des cheveux ternes […]
Pas de seins ni de fesses perceptibles. Dieu n’a vraiment pas été très gentil avec
elle.“ (33)) et à montrer toute l’étendue de sa solitude sociale et sentimentale.
Ces situations sociales individualisées sont complétées et élargies par des chapitres consacrés à des réunions de travail, produisant une image tout aussi désastreuse mais plus représentative. Qu’il s’agisse d’une réunion au ministère de
l’agriculture (chap. 9), des pots de départ d’un collègue (chap. 10 et chap. 11) ou
d’une réunion à la direction départementale de l’agriculture, chaque fois la pauvreté du niveau des sujets abordés et de leur discussion est à la hauteur de
l’insipidité des personnages présents. Le cas de figure emblématique, à côté de
Catherine Lechardoy, est celui de Raphaël Tisserand, la figure centrale de la deuxième partie du roman, présenté aussi bien de manière individualisée que lors de
réunions de travail, et dont la vie, les échecs et le quasi-suicide personnifient le
théorème de l’extension du domaine de la lutte vers la vie sexuelle.
En général, la réalité sociale se réduit au monde du travail, à l’exception du
narrateur. En ce qui le concerne, nous le rencontrons à plusieurs moments brièvement dans la quotidienneté de sa vie privée, souvent le dimanche („Plus tard dans
la soirée, ma solitude devint douloureusement tangible“ (13) ou „La journée était
douce, mais un peu triste, comme souvent le dimanche à Paris […]“ [147]). Ce
quotidien privé se situe surtout dans la troisième partie du roman, car le protagoniste-narrateur ne travaille plus. Le décalage temporel entre l’avant-dernier et le
dernier chapitre du roman n’a pas la même valeur que celui à la fin de L’Education
sentimentale, mais le fait que, sur la vie du narrateur entre la sortie, un 26 mai, de
la clinique psychiatrique à la fin du chapitre 5 („Pour le reste c’était, désormais, à moi
de me prendre en charge.“ [175]) et le début du chapitre 6: „Le 20 juin de la même
année, je me suis levé à six heures“ (176), nous n’apprenons littéralement rien,
confirme qu’une vie privée en tant que telle n’existe pas; à une exception près.
Cette exception est liée au séjour dans l’hôpital de Rouen après l’accident de la
péricardite qui a lieu après un week-end passé dans la ville normande (voir plus
bas). L’ouvrier qui partage la chambre d’hôpital du narrateur et qui reçoit la visite
de sa femme présente l’exemple d’une autre vie, certes anachronique et seulement encore possible en province: „J’ai vu sa femme, elle avait l’air très gentille; ils
en étaient même touchants, de s’aimer comme ça, à cinquante ans passés.“ (90).
Le narrateur vit pour la première fois dans une sorte de communauté: „je voyais
les gens autour de moi qui bavardaient, qui se racontaient leurs maladies avec cet
intérêt fébrile, cette délectation qui paraît toujours un peu indécente à ceux qui
sont en bonne santé; je voyais aussi leurs familles, en visite.“ (89). Bref, l’hôpital
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se révèle être un lieu exemplaire de communication sociale, et les adieux entre
l’ouvrier et le narrateur, qui peut enfin quitter l’hôpital pour rentrer à Paris, sont
presque touchants. Qu’une vie sociale ‘normale’ ne puisse plus avoir lieu qu’à
l’hôpital, au moins pour le protagoniste, en dit presque plus long sur sa situation
sociale que ses expériences professionnelles ou privées. Et l’hôpital, où tout est
pris en charge („il abdiquait toute volonté, il déposait son corps, ravi, entre les
mains de la science. Du moment où tout était organisé.“ (90)) représente en même
temps une préfiguration de la société future des PE, résolvant les contradictions
individuelles et sociales.
Le contre-modèle social de l’hôpital, qui en relativise la représentativité, se situe
aussi à Rouen. C’est d’un côté la mort d’un client dans le libre service des Nouvelles Galeries, une mort peu digne qui n’empêche pas que les affaires continuent
et quand le mort est sorti du magasin, il ressemble à une marchandise enveloppée. Cette perspective économique est généralisée sur le plan social et urbanistique dans le chapitre dédié au „Jeu de la Place du Vieux-Marché“ (Deuxième partie, chap. 3), un samedi après-midi. Le champ sémantique „observer – observation“ plusieurs fois répété montre que le narrateur entreprend une enquête sur le
terrain. Le constat est sans appel: non seulement „Tout est sale, crasseux, mal
entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution.“
(79), pire encore: „J’ai observé ensuite que tous ces gens semblent satisfaits
d’eux-mêmes et de l’univers; c’est étonnant, voire un peu effrayant. […] „ tous
communient dans la certitude de passer un agréable après-midi, essentiellement
dévolu à la consommation, et par là même de contribuer au raffermissement de
leur être.“ (81) Il n’est pas étonnant que le narrateur observe aussi sa différence
par rapport à ce comportement collectif, régi par la marchandisation des relations
humaines. Mais vu sa propre situation, cette observation renforce encore le
constat de vivre dans une société sans perspective et sans issue: la réaction individuelle est la péricardite du lundi suivant, donc une maladie quasi-bénigne,
accompagnée des symptômes d’un infarctus.
Aussi bien l’individu que la société représentent donc tous les symptômes d’une
maladie généralisée, et, à la différence de la péricardite, ce n’est pas une maladie
dont on ne peut pas mourir. Cette pathologie sociale et individuelle renvoie implicitement au modèle du naturalisme zolien et à sa base „scientifique“ de la médecine
expérimentale. Bien sûr, Houellebecq ne veut pas écrire l’histoire d’un individu
(sans famille!) sous la Cinquième République de la dernière décade du XXe siècle,
mais la pathologie généralisée nous montre une société non moins malade que
celle décrite par Zola, un siècle et demi plus tôt. Les phénomènes sociaux évoqués par le narrateur ne sont certes pas inconnus pour les „ouvrages de la sociologie“. Mais c’est le style de Houellebecq, ce que j’ai appelé ces postures littéraires,
accompagné d’une attitude qui se veut cynique, qui en souligne la dimension désespérée et sans issue, rendant possible que „le quasi-présent de la fiction devient
ainsi le détecteur des possibles enfouis (voir plus haut) dans le présent effectif“, pour
citer une nouvelle fois Paul Ricoeur.
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2. Un style scandaleux ou la mise en scène de la marginalité?
2.1. La question des références intertextuelles
De nombreuses références ont été évoquées en comparaison avec l’EdL. C’est
probablement Olivier Bardolle qui va le plus loin en posant la question de ce qu’il y
a dans la littérature française après Proust et Céline pour donner la réponse: „il
[Houellebecq] est le seul lisible après Proust et Céline […] Lui seul reflète l’époque
avec la même justesse que Proust et Céline en leur temps, jusqu’à l’incarner.“12 Et
c’est certainement Thomas Hübener (dans une thèse de presque 500 pages
consacrée uniquement à l’EdL) qui trouve le plus de références intertextuelles (par
exemple: „Georg Büchners Lenz und die Ausweitung der Kampfzone“). La gratuité
de telles comparaisons est illustrée par l’étude de Sabine van Wesemael, Michel
Houellebecq. Le plaisir du texte, qui compare les romans de notre auteur non
seulement au Fin de siècle mais aussi à Constant, à Freud, à Fuentes ou à Loti
pour en tirer la conclusion que „Le plaisir du texte [est] le plaisir du rire“,13 mais on
est loin de l’interpénétration de la littérature et de la théorie littéraire dans
l’intertexte de Roland Barthes.14 Toutes ces tentatives d’établir l’intertextualité de
l’œuvre de Houellebecq sont plutôt un symptôme du malaise provoqué par ses
textes qu’une grille de lecture, permettant une interprétation à partir de références
historiques.
C’est bien différent dans l’article de Jörn Steigerwald, „(Post-)Moralistisches
Erzählen: Michel Houellebecqs Les particules élémentaires“, qui donne une nouvelle perspective aux études sur Houellebecq en établissant dans le deuxième roman non seulement une référence implicite aux modèles du moralisme classique
mais aussi une refondation de l’écriture moraliste, partiellement déjà décelable
dans EdL.15 Et, presque exclusivement consacré à notre roman, l’article de Heinz
Thoma, „‘Amertume’. Postmoderne und Ressentiment im Werk von Michel Houellebecq (mit Seitenblicken auf Vorläufer: Huysmans, Céline, Drieu La Rochelle)“,
montre que le grand roman du Fin de siècle, A Rebours de Joris K. Huymans,
représente un modèle privilégié des observations et des expérimentations du narrateur-protagoniste d’EdL, et que ce roman participe en même temps à la tradition
de l’„amertume“ romanesque, de Drieu la Rochelle (Gilles), en passant par le Céline du Voyage jusqu’au Camus de L’Etranger. Quelque cinquante ans après le
roman de Camus, l’amertume et la dépression du protagoniste-narrateur réagissent donc au phénomène de la modernisation qui avait déjà déclenché
l’amertume, parfois cynique, des écrivains de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Mais là où ceux-ci dégageaient les premiers signes des conséquences sociales et psychiques d’un capitalisme brutal, le héros de Houellebecq
nous confronte avec les conséquences désastreuses d’une omniprésence du capitalisme néolibéral tout en ne pouvant pas quitter ou dépasser cette situation sociale, ce qui mène Thoma à parler d’une „latenter Komplizenschaft mit der Gesellschaft, gegen die er opponiert.“16
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Un autre intertexte implique des dimensions stylistiques aussi bien qu’éthiques
et sociales. Une première fois au début de la deuxième partie („Aux approches de
la passe de Bab-el-Mandeb…“ (59)) et plus tard dans une fiction animalière, le narrateur se sert du modèle du Maldoror de Lautréamont.17 Dans son livre sur Lovecraft, Houellebecq mentionne Lautréamont, dont le héros maléfique et malheureux
est devenu une figure emblématique de la littérature moderne et dont l’œuvre fut
redécouverte par les surréalistes. Le passage d’ouverture cité ne mentionne pas
seulement les requins qui sont au centre du Deuxième Chant de Maldoror, à „un
affleurement rougeâtre“ (59) chez Houellebecq correspond aussi „la surface de la
crème rouge“ chez Lautréamont.18 Le passage de EdL se termine dans une
allusion aux „beaux comme“ de Lautréamont qui sera reprise plus explicitement
plus tard („Heureusement, par une singulière compensation du ciel, le temps est
toujours beau, excessivement beau, et l’horizon ne se départi jamais de cet éclat
surchauffé et blanc que l’on peut également observer dans les usines
sidérurgiques, à la troisième phase du traitement du minerai de fer“ (59/60).19 Le
„roman“ de Lautréamont commence avec un „Plût au ciel“ et son Chant Premier
trouve son apogée dans une salutation-éloge du vieil océan; les analogies entre le
texte et son hypotexte sont donc nombreuses.
Mais l’hypotexte concerne aussi les réflexions philosophiques et esthétiques
des „Fictions animalières“. Distribuées de manière systématique (une par partie)
dans le roman de Houellebecq, elles correspondent aux récits qui rythment les
Chants chez Lautréamont, par exemple celui du grand discours de Maldoror dans
le Chant Deuxième, ou le discours de la folle dans le Chant Troisième, qui lit un
manuscrit retrouvé par hasard comme c’est le cas pour la fiction animalière des
Dialogues d’un teckel et d’un caniche dans EdL, un récit intercalé d’EdL qui
développe le théorème de la sexualité comme système de hiérarchie sociale.20 Au
début de cette fiction, pour souligner encore plus cette analogie, le narrateur au
deuxième degré qu’est celui qui a écrit ce manuscrit n’évoque pas seulement sa
propre „poitrine“, mais surtout la beauté des „deux globes ocracés constituant une
poitrine déjà plus que naissante“ (98) d’une jeune femme, évoquant ainsi une des
comparaisons de Lautréamont devenus proverbiales: „beau comme la loi d’arrêt
de développement de la poitrine chez les adultes“.21
Le protagoniste homodiégétique de Lautréamont qui s’adresse au début de son
texte de la même manière à ses lecteurs que celui d’Houellebecq (dans le chapitre
3 qui devait originellement ouvrir le roman), représente selon moi un des modèles
du narrateur-protagoniste de l’EdL. Héros maudit comme Maldoror, qui va cependant beaucoup plus loin dans sa mise en question du monde et de la société, se
révoltant autant contre Dieu qu’il hait autant les hommes, le protagoniste de l’EdL
vit dans une société sécularisée et post-religieuse. Il ne peut donc plus que
constater l’absurdité de toute révolte et trouver un dernier refuge dans l’amertume
et le cynisme.22 Mais le protagoniste-narrateur d’Houellebecq est un Sous-Maldoror: il souffre plutôt du mal jusqu’à s’identifier avec lui, mais il n’en devient pas le
représentant dépassant les limites comme le protagoniste de Lautréamont. Et ce
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manque de véritable transgression a des conséquences stylistiques: la poésie de
la cruauté devient la morne cruauté du quotidien et la fantasmagorie se transforme
en amertume résignée. Là où Maldoror acceptait les risques de la modernité et les
poussait à l’extrême, le héros d’Houellebecq les accepte comme inévitables et
trouve un refuge dans la maison de repos psychiatrique.
2.2. Le siècle du positivisme comme référence théorique?
Dominique Noguez a raison de souligner que „la seule référence stylistique explicite de Michel Houellebecq à un autre auteur concerne l’inventeur de la médecine
expérimentale“:23 „Cette phrase est digne de Claude Bernard, et je tiens à la lui
dédier.“ (108). L’apologie suivante du „savant inattaquable“, mentionnant entre autre l’importance de l’observation24 et celle du „protocole expérimental qu’avec une
rare pénétration en 1865 tu [Claude Bernard] définissais“ (108), n’attire pas seulement l’attention par ses exagérations ironiques. En proclamant ne rien vouloir faire
„qui puisse si peu que ce soit abréger la durée de ton [Claude Bernard] règne“
(108), le narrateur évoque presque plus qu’implicitement Le Roman expérimental
(1880) de Zola, où celui-ci se réfère avec le même enthousiasme au grand médecin que le prétend Houellebecq. Il y a donc chez lui (ou chez son narrateur) un jeu
avec la conception du naturalisme zolien et comme chez Zola, le roman doit aussi
représenter une recherche sociologique. Dans ce sens-là, Rita Schober avait raison de poser la double question „Renouveau du réalisme? Ou de Zola à Houellebecq?“25
Comme nous le savons, c’est Zola qui a introduit les protocoles expérimentaux
dans la littérature et tout en supposant que Houellebecq ne procède pas de la
même manière, il ne renonce pas pour autant à un diagnostique „scientifique“ de la
société de son époque. Ceci est confirmé par son appréciation du positivisme de
Comte, comme en témoigne l’article cité qu’il lui a consacré. Indirectement, par
l’intermédiaire de Taine, beaucoup plus lu et apprécié par Zola, le naturalisme de
Zola témoigne donc de l’influence de Comte, et „Il n’en demeure pas moins que
Zola, sans trop s’être donné la peine de consulter les textes, n’a pas hésité à se
réclamer du positivisme en plusieurs occasions.“26 L’éloge de Comte et du positivisme par Houellebecq concerne aussi bien „la disparition de la métaphysique“
que „l’établissement de la religion“, titres des deux parties des „Préliminaires au
positivisme“. Houellebecq, tout en appréciant Comte, lui atteste une erreur
d’appréciation historique qui pourrait aussi valoir pour Zola: „Considérant comme
acquis le passage à l’état positif des sciences de la matière et de la vie, Comte se
proposait de l’étendre aux sciences sociales; toute sa philosophie n’est en somme
rendue possible que par une gigantesque erreur d’appréciation historique.“27 Sans
beaucoup exagérer, on peut supposer qu’un siècle et demi plus tard, Houellebecq
tient le passage à l’état positif pour envisageable dans les sciences sociales, et
son œuvre doit contribuer à progresser dans cette perspective,28 une entreprise
comparable au programme du naturalisme zolien.
25
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Sans y être le moins du monde obligé, Houellebecq se sert du double modèle
de la scientificité d’Auguste Comte et de Claude Bernard et renvoie donc clairement au contexte du naturalisme. D’un côté, c’est certainement par provocation,
en se servant d’un modèle maintes fois condamné comme anachronique au cours
du XXe siècle. Mais d’autre part, et les deux aspects sont liés, il proteste avec cette
référence contre le modèle présenté comme dominant dans la littérature contemporaine: „Le roman finit par se tourner vers sa seule, son ultime planche de salut:
l’„écriture“. Et il en donne son appréciation directement après: „Par exemple, dans
une conversation littéraire, lorsque le mot d’„écriture“ est prononcé, on sait que
c’est le moment de se détendre un peu.“29 La référence (ironique?) au positivisme
sert donc à se „marginaliser“ encore plus dans le champ littéraire d’aujourd’hui.
Mais malgré les professions de foi (positiviste), l’optimisme positiviste (partagé par
le naturalisme de Zola) s’est transformé en amertume et cynisme, au moins dans
l’EdL.
2.3. Un roman „théorique“ ou une „théorie“ du roman?
La théorie romanesque d’Houellebecq et ses conséquences stylistiques
Houellebecq développe à de nombreuses occasions sa propre théorie romanesque. Dans le premier texte (qui sert d’introduction) du volume Interventions, réunissant des articles et des interviews, il donne son appréciation générale du roman:
„Isomorphe à l’homme, le roman devrait normalement pouvoir tout en contenir.“ et
ce „tout“ comprend aussi bien ce „qu’il faut bien – faute d’un meilleur terme – qualifier de [questions] philosophiques“ que la théorie en général: „Les „réflexions théoriques, par conséquent, m’apparaissent comme un matériau romanesque aussi
bon qu’un autre; et meilleur que beaucoup d’autres. Il en est de même des discussions, des entretiens, des débats…“30 Et dans un entretien avec Valère Staraselski
il précise sa méthode: „J’ai l’impression qu’on peut procéder par injection brutale
dans la matière romanesque de théorie et d’histoire.“31 Cette „brutalité“ qui déclare
directement ses intentions, caractérise aussi les réflexions métalittéraires ou théoriques intercalées dans EdL. Cela concerne les „fictions animalières“, une sorte de
réécriture de dialogues philosophiques et de fables didactiques, qui sont introduits
sans aucune contextualisation: le lecteur doit se débrouiller avec cette séquence
hétéroclite et dérangeante. Mais cela concerne aussi les autoqualifications génériques. Quand le narrateur déclare dans le troisième chapitre de la Première partie:
„Les pages qui vont suivre constituent un roman; j’entends, une succession
d’anecdotes dont je suis le héros. Ce choix autobiographique n’en est pas réellement un: de toute façon, je n’ai pas d’autre issue.“ (18/19), on ne voit pas trop en
quoi ce qui suit se distingue de ce qui précède concernant leur statut romanesque.
Qualifier le genre comme „autobiographique“ est d’une importance autrement
importante. En premier lieu, c’est le narrateur, jusque là homodiégétique, mais
maintenant s’autoqualifiant d’autodiégétique, qui revendique une sorte de „pacte
autobiographique“.32 Mais peut-on être sûr que c’est le moi du narrateur qui parle
ou est-ce qu’il ne s’agit pas (au moins partiellement) d’une autofiction impliquant
26
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l’auteur?33 Cette ambiguïté voulue par l’auteur est une des raisons du „scandale“
déclenché par le roman, scandale renforcé par le fait que l’auteur Houellebecq partage les opinions de son protagoniste et fait des déclarations qui reprennent les
propos de celui-ci.
Le narrateur interrompt cependant assez rapidement le début du récit autobiographique („Je viens d’avoir trente ans. etc. (19)), pour exposer sa théorie
romanesque, d’abord par la négative („Mon propos n’est pas […] Je n’ambitionne
pas […] On ne me comptera pas […] pure foutaise.“ (20), et ensuite positivement,
indiquant ainsi au lecteur ce qui l’attend et comment il veut être lu. „Pour atteindre
le but, autrement philosophique, que je me propose, il me faudra au contraire élaguer. Simplifier. Détruire un par un une foule de détails.“ (21) Cette simplification
ne concerne pas seulement le style (voir plus bas) mais aussi l’argumentation ou
pour le dire avec les mots d’Houellebecq, l’“injection brutale dans la matière romanesque de théorie et d’histoire“. Le passage lui-même est un exemple de ce procédé: l’auteur ne proclame pas seulement une certaine „théorie“ romanesque: il la
pratique de manière performative. Ce procédé emprunté aux avant-gardes historiques donne au texte un arrière-fond de manifeste provoquant sinon les lecteurs au
moins une partie de la critique littéraire. Mais la combinaison de la dimension autobiographique avec celle de la „théorie“ montre aussi que pour le narrateur (pour
l’auteur?), la littérature dispose d’un savoir de la vie qui dépasse la simple observation; une des justifications données pour la „simplification“ est le fait que „Les
relations humaines deviennent progressivement impossibles, ce qui réduit d’autant
la quantité d’anecdotes dont se compose une vie.“ (21). Le savoir de la vie influence donc le style de la narration.
Une autre parenthèse métalittéraire aborde les questions du style proprement
dit. A propos de „l’effacement des relations humaines“ (auquel il semble beaucoup
tenir), le narrateur pose la question de savoir comment le roman doit réagir à cette
situation nouvelle – nous avons vu (2.1., Thoma) que cette découverte n’est pas si
originelle que ça. La solution est pour ainsi dire „simple“: „La forme romanesque
n’est pas conçue pour peindre l’indifférence, ni le néant; il faudrait inventer une
articulation plus plate, plus concise et plus morne.“ (49) Dominique Noguez34 a
bien remarqué que cette „indifférence“ pourrait rapprocher Houellebecq de ce que
Barthes a appelé une „écriture blanche“, mais Houellebecq est à l’opposé de cette
notion, pas seulement à cause de son aversion pour le concept d’“écriture“. „Le
style de l’absence qui est presque une absence idéale de style“35 constate Barthes qui voit „inaugurée“ l’écriture blanche par Camus. Cette écriture ne peut pas
convenir à Houellebecq parce qu’il en résulterait une certaine homogénéité, inacceptable pour lui. Dans son Lovecraft, il souligne l’extravagance stylistique de
l’auteur qui se manifeste surtout dans les „passages d’explosion stylistique“.36 Et
c’est la combinaison de simplification et d’injection brutale qui produit les „explosions“ qui caractérisent le style de Houellebecq. S’il recommande dans
l’introduction, qualifiée de „méthode“ de Rester vivant, „Mettez le doigt sur la plaie,
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et appuyez bien fort. […] Soyez abjects, vous serez vrai.“,37 il donne donc une
(auto-)appréciation de son style.
Une autre particularité stylistique, directement liée avec ce qu’Houellebecq
appelle „théorie et histoire“ est la présence des résultats de l’observation dans la
forme de ce que Noguez, à l’exemple de la récurrence de l’expression „en fait“,
désigne ainsi: „C’est en quoi on pourrait dire que l’œuvre de Michel Houellebecq
est un immense „en fait“ - tantôt de désublimation, tantôt de certitude attristée –
mais instituant, dans tous les cas, un discours de vérité.“38 Ce sont les „faits“ dont
le statut dans une fiction ne semble pas se distinguer des faits dans la vie réelle,
qui doivent „conduire à une zone de vérité“. Mais ce ne sont pas n’importe quels
faits. Dans la perspective indiquée par la référence à Maldoror, ce sont les faits qui
dérangent et qui montrent les points faibles de la société, ce qu’on aurait appelé
les contradictions antagonistes: „Toute société a ses points de moindre résistance,
ses plaies. Mettez le doigt sur la plaie, et appuyez bien fort. Creusez les sujets
dont personne ne veut entendre parler. […] Soyez abjects, vous serez vrai.“39
Chez Lautréamont, mettre les doigts dans les plaies rend possible la poésie du
mal, chez Houellebecq les plaies garantissent un factualisme qui est la condition
nécessaire de l’objectivité et du discours de vérité revendiqués. Dans cette perspective aussi, Houellebecq semble jouer le jeu du positivisme tant apprécié et se
situe au centre des „questions du réalisme d’aujourd’hui“.
3. Où est le scandale?
Jochen Mecke a distingué dans une étude consacrée à Houellebecq, qu’il apprécie comme figure de proue du „social dans tous ses états“, un „style de
l’indifférence“ de „l’indifférence du style“. Il ne critique pas seulement Houellebecq
pour faire perdre au „roman sa position privilégié d’observateur de la société“,
donc l’autonomie acquise au XIXe siècle, il lui reproche aussi „un mépris affiché
pour le travail de la forme en général“. Je crois avoir montré qu’il s’agit beaucoup
plus d’un mépris affiché qui veut provoquer la critique littéraire que d’une véritable
absence du travail de la forme. Et les analyses précédentes montrent aussi que le
„Ecrire le réel“ de Houellebecq fait seulement semblant de „se référer de manière
directe à la réalité“ et d’entreprendre une „intervention directe dans le champ social“.40 Le savoir littéraire de la vie peut bien jouer dans la tradition des avant-gardes historiques avec la limite distinguant l’art et la vie. Mais l’enseignement de
cette grande tentative de reconduire l’art dans la vie, comme l’a formulé Peter Bürger, a été l’impossibilité d’une transgression réelle et durable de cette limite.
Houellebecq, il est vrai, joue d’une manière provocante avec cette limite, surtout
en se référant au positivisme et, au moins indirectement, à un naturalisme tenu
pour historiquement dépassé. Mais que ce soit son (post-)moralisme, déjà sensible
dans ce premier roman, ses références au courant romanesque de l’indifférence
ou l’instrumentalisation du Maldoror de Lautréamont pour son narrateur-protago28
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niste autobiographique: tous ces procédés littéraires montrent un travail sur la
forme qu’on peut tenir pour un échec mais dont on ne devrait pas contester
l’existence et, vu la réception, un certain succès. Dans ses conseils pour apprendre à devenir poète, Houellebecq recommande: „Au sujet de la forme, n’hésitez
jamais à vous contredire. Bifurquez, changez de direction autant de fois que
nécessaire.“41 C’est cette auto-contradiction, cette coincidentia oppositorum, pratiquée d’une toute autre manière par le dadaïsme, qui dérange la littérature et la
critique littéraire jusqu’à faire de Houellebecq un auteur scandaleux.
Est-ce qu’il nous en dit dans l’Extension du domaine de la lutte „plus sur l’esprit du
temps et sur le mouvement de la société que bien des ouvrages de sociologie“
comme le suggérait la rédaction du Débat? Peut-être dans le sens de la devise de
Stephen King, en l’appliquant à l’œuvre de l’auteur auquel il se réfère. A de nombreuses occasions, Houellebecq revendique un refus radical du monde tel qu’il est et ce
rejet en bloc de la société d’aujourd’hui n’est peut-être pas original en soi, mais sa
véhémence étonne et surprend. Il constate donc l’échec du projet de la modernité
dont les risques l’ont emporté complètement sur les promesses.42 Cela ne veut pas
dire que l’EDL nous en dise plus sur l’esprit du temps, mais en tout cas, Houellebecq
le dit autrement et avec une telle intensité qu’il a réussi maintenant à faire partie de
cet „esprit du temps“, sans pourtant pouvoir ou vouloir le transformer. Revendiquer
une telle „action directe“ dans le champ social, serait en demander trop au savoir et
au pouvoir de la littérature, mais réussir à faire remarquer ce refus est peut-être le
maximum de ce qu’on peut demander à une œuvre littéraire aujourd’hui.43
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Stephen King: „Préface“, dans: Michel Houellebcq: H.P. Lovecraft. Contre le monde,
contre la vie, Eds. Du Rocher 2005, s. p. (p. X).
Pierre Varrod: „De la lutte des classes au marché du sexe. A propos de Les Particules
élémentaires de Michel Houellebecq“, dans: Le Débat n° 102 (nov./déc. 1998), 182-190;
ici 183.
Paul Ricoeur: Temps et récit. Le temps raconté, Seuil Points Essais 1995, 185 et 347.
Lewis, David/Rodgers, Dennis/Woolkock, Michael: „The Fiction of development: Literary
representation as a source of authoritative Knowledge“, dans: Journal of Developmental
Studies 2 (2008), 198-216; ici: 208-209.
L’article et (une partie de) la discussion ont été publiés dans: Wolfgang Asholt/Ottmar
Ette: Literaturwissenschaft als Lebenswissenschaft. Programm – Projekte – Perspektiven, Tübingen: Narr 2010 (edition lendemains n° 20).
Dominique Rabaté: Le roman et le sens de la vie, José Corti 2010.
Le catalogue de la BnF n’énumère pas moins de trente publications indépendantes (monographies et œuvres collectives) dont la plupart ont paru depuis 2005. Pas moins de
cinq ont été publiées en Allemagne, dont une thèse de pas moins de 476 pages consacrée exclusivement à L’Extension du domaine de la lutte: Thomas Hübener: Maladien für
Millionen: eine Studie zu Michel Houellebecqs „Ausweitung der Kampfzone“ (Hannover:
Wehrhahn 2007) qui est basée sur la traduction allemande du texte.
Dominique Viart/Bruno Vercier (eds.): La littérature française au présent, Bordas ²2008,
357-360.
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9 Viart, op. cit., 358.
10 Viart, op. cit., 230-234.
11 Demonpion relate que ce fut Maurice Nadeau qui recommande à l’auteur de remplacer le
chapitre prévu pour l’ouverture (maintenant le chapitre 3), les „considérations d’ordre
philosophique acides, aiguës, féroces, du début“, par une entrée „medias in res“, donc la
soirée chez un collègue de travail. L’“enquête“ de Denis Demonpion est une biographie
critique extrêmement bien documentée et irremplaçable pour la compréhension du „système“ Houellebecq (Denis Demonpion: Houellebecq non autorisé. Enquête sur un phénomène, Seuil 2005, 181).
12 Olivier Bardolle: La littérature à vif. (Le cas Houellebecq), L’Esprit des péninsules 2004,
46 et 47.
13 Sabine van Wesemael: Michel Houellebecq. Le plaisir du texte, L’Harmattan 2005, 181-207.
14 Voir la „Présentation du texte“ de Ottmar Ette dans: Roland Barthes: Die Lust am Text,
Frankfurt: Suhrkamp 2010, 150-389.
15 Jörn Steigerwald: „(Post-)Moralistisches Erzählen: Michel Houellebecqs Les particules
élémentaires“, dans: Lendemains 138/39 (2010), 191-208.
16 Heinz Thoma: „‘Amertume’. Postmoderne und Ressentiment im Werk von Michel Houellebecq (mit Seitenblicken auf Vorläufer: Huysmans, Céline, Drieu La Rochelle)“, dans:
ib./Kathrin van der Meer (eds.): Epochale Psycheme und Menschenwissen. Von Montaigne bis Houellebecq, Würzburg: Königshausen & Neumann 2007, 255-278, ici: 275.
17 Dominique Noguez a observé cette relation intertextuelle, tout en remarquant: la „description dont le lien avec le récit en cours reste assez énigmatique.“, dans: Dominique Noguez: Houellebecq, en fait, Fayard 2003, 3.
18 Lautréamont (Isidore Ducasse): Œuvres complètes, Livre de poche 1963, 159.
19 La „singulière compensation“ se trouve chez Lautréamont comme „triste compensation“
(début du Chant cinquième) etc.
20 Cela va jusqu’aux allusions géométriques: „un rouleau de papier“ (183) chez Lautréamont et „le bureau à cylindre“ (97) chez Houellebecq.
21 Lautréamont, 275.
22 Houellebecq va introduire la dimension religieuse dès son deuxième roman et prévoit
dans un article sur Auguste Comte: „on aura intérêt, le moment venu, à se replonger
dans Comte. Car son vrai sujet, son sujet majeur, c’est la religion.“ (Michel Houellebecq:
„Préliminaires au positivisme“, dans: Auguste Comte: Théorie générale de la religion,
Mille et une nuits 2005, 5-13, ici: 11.
23 Noguez, op. cit., 104.
24 Concernant l’observation qui joue aussi un rôle important pour le „Roman expérimental“
de Zola, je renvoie à mon article: „Die Rückkehr zum Realismus? Ecritures du quotidien
bei François Bon und Michel Houellebecq“, dans: Andreas Gelz/Ottmar Ette (eds.): Der
französischsprachige Roman heute. Theorie des Romans – Roman der Theorie in Frankreich und der Frankophonie, Tübingen: Stauffenburg 2002, 93-110, ici: 103-104.
25 Rita Schober: „Renouveau du Réalisme? Ou de Zola à Houellebecq? Hommage à Colette Becker“, dans: ib.: Auf dem Prüfstand. Zola – Houellebecq – Klemperer, Berlin:
Tranvía 2003, 195-207 (d’abord 2002).
26 Roger Ripoll: „Zola et le modèle positiviste“, dans: Romantisme vol. 8 (1978), 125-135,
ici: 125.
27 Houellebecq: „Préliminaires au positivisme“, op. cit., 8.
28 C’est surtout dans la partie consacrée à la religion que Houellebecq se voit comme continuateur de Comte:
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„L’établissement de l’immortalité physique, par des moyens qui appartiennent à la technologie, sera sans doute le passage obligé qui rendra, à nouveau, une religion possible;
mais ce que Comte nous fait entrevoir, c’est que cette religion, religion pour les immortels, restera presque autant nécessaire.“ (op. cit., 13).
Michel Houellebecq: „Lettre à Lakis Proguidis“, dans: Interventions, Flammarion 1998,
53; une variante plus avenante de la citation attribuée à Goebbels: „Quand j’entends prononcer le mot „culture“, j’enlève le cran de sûreté de mon revolver“.
Michel Houellebecq, op. cit., 7.
Michel Houellebecq: „Entretien avec Valère Staraselski“ (L’Humanité, 5/7/1996), dans:
Houellebecq: Interventions, op. cit., 119.
D’autant que ce passage est suivie d’une apologie de la lecture, ironisant le Sartre des
Mots.
Le fait mentionné des protagonistes portant leurs noms réels (et qui avaient travaillé avec
Houellebecq) indique que le narrateur de l’EdL est au moins partiellement identique avec
l’auteur.
Nouguez, op. cit., 98.
Roland Barthes: „L’écriture et le silence“, dans: Le degré zéro de la littérature, Seuil
Points 1972, 58-61, ici: 60.
Houellebecq: Lovecraft, op. cit., 90.
Michel Houellebecq: Rester vivant. La poursuite du bonheur, Flammarion 1997, 33.
Noguez, op. cit, 150. Dans une lettre à lui, Houellebecq confirme ce constat: „La remarque selon laquelle mon œuvre n’est qu’un gigantesque „en fait“ est si juste qu’elle devrait
normalement me paralyser.“ (ib., 259).
Houellebecq: Rester vivant, op. cit., 32/33.
Jochen Mecke: „Le social dans tous ses états: le cas Houellebecq“, dans: Michel Collomb
(ed.): L’empreinte du social dans le roman depuis 1980, PU Montpellier 2005, 47-64, citations des pages 62, 59, 60 et 64. Le texte allemand de cet article avait paru auparavant
sous le titre: „Der Fall Houellebecq: Zu Formen und Funktionen eines Literaturskandals“
dans: Guilia Eggeling/Silke Segler-Messner (eds.): Europäische Verlage und romanische
Gegenwartsliteraturen. Profile – Tendenzen – Strategien, Tübingen: Narr 2003, 194-217.
Houellebecq: Rester vivant, op. cit., 20.
Dans ce sens, il n’est pas sans ironie qu’il base sa perspective d’une issue de cette situation bloquée dans son prochain roman justement sur les promesses d’une manipulation
génétique qui représenter elle-même un résultat et un risque de cette modernité.
Pierre Varrod arrive dans cet article à une autre conclusion, suggérée déjà par le titre
(„De la lutte des classes au marché du sexe“). De la dominance „du sexe de stade oral à
l’exclusion de toute autre forme“ dans l’œuvre de Houellebecq, Varrod conclut à une régression infantile et fantasmatique. Une analyse d’ensemble du/des roman(s)
d’Houellebecq devrait évidemment tenir compte de l’omniprésence de la sexualité dans
l’œuvre, le sujet qui devait provoquer plus encore que le scandale littéraire.
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