Mutations du secteur du courrier postal et de la messagerie
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Mutations du secteur du courrier postal et de la messagerie
Logistique & Management Mutations du secteur du courrier postal et de la messagerie : Étude du comportement stratégique de cinq opérateurs Martin BEAULIEU Professionnel de recherche au Groupe de recherche CHAÎNE, HEC Montréal. [email protected] André TCHOKOGUÉ Professeur à HEC Montréal. andré[email protected] Depuis le milieu des années 1990, l’intensité concurrentielle dans le secteur du courrier postal et de la messagerie s’accroît suite à la transformation de son environnement : changements technologiques, déréglementation, évolution des besoins des clients, etc. Face à ces mutations, différentes organisations de ce secteur cherchent à acquérir des positions dominantes : diversifier l’offre de services ou globaliser les marchés desservis. Cette étude est une analyse du positionnement stratégique de cinq grandes sociétés qui ont manifesté l’ambition d’acquérir une telle position dominante : TNT Post Group (Pays-Bas), Deutsche Post (Allemagne), La Poste (France), UPS et Federal Express (États-Unis). L’analyse est le fruit d’une étude de la littérature pour la période allant du milieu des années 1990 jusqu’au milieu de l’année 2001. L’échantillon permet d’observer une variété de démarches stratégiques provenant d’une diversité de pays. De cette étude, nous proposons une synthèse des schémas permettant de comprendre les mutations survenues dans ce secteur. Le milieu des années 1990 se caractérise par une intensification des pressions concurrentielles dans le secteur de la messagerie et du transport postal. Chacun des segments de ce secteur (voir tableau 1) a subi des pressions ou des transformations provenant de son environnement. Par exemple, depuis le début des années 1980, le segment du courrier est confronté à la concurrence d’autres médiums de communication (Internet, télécopieur). De plus, ce segment s’ouvre à une plus grande concurrence à la suite du processus de déréglementation du cadre législatif ou de l’émergence d’opérateurs hautement performants. Les segments du colis, de l’express ou de la messagerie présentent un fort potentiel de Vol. 11 – N°2, 2003 croissance en regard du commerce électronique. Justement, les sociétés postales se considèrent les mieux adaptées pour assumer la gestion du dernier kilomètre avec leurs réseaux hautement densifiés (Laurent, 2000). Le segment de l’international est pour sa part assumé par quelques opérateurs : UPS, Fedex, DHL, TNT. Enfin, le segment des services logistiques vise à répondre aux attentes des donneurs d’ordres qui souhaitent transiger avec un même prestataire pour tous leurs besoins de transport (Saccomano, 1998). Une récente étude réalisée par DHL indique que les transactions de ces différents segments représentent annuellement plus de 700 milliards de dollars américains et elles se réparti- 75 Logistique & Management Tableau 1 - Caractérisation des segments Segment Caractéristique Délais Courrier Lettres, cartes et autres objets Aucune mention particulière non prioritaires Colis Moins de 30 kilos Aucune mention particulière Express Courrier et colis J+1 jusqu’à midi Messagerie et service rapide Tout envoi de moins de trois tonnes Assurée à 90 % J+1, J+2 ou J+3 (selon la distance) International Courrier et colis pour des distances intercontinentales Aucune mention particulière Services logistiques Prise en charge d’activités logistique par un prestataire raient ainsi : courrier (18 %), express (15 %), colis et messagerie et service rapide (53,5 %), international (4,7 %) et services logistiques (8,8 %) (Doerken, 2003). Ces transformations de l’environnement amènent de nombreuses entreprises, des opérateurs logistiques ou des sociétés postales à développer des stratégies en vue d’acquérir une position dominante sur le marché. Ainsi, cet article étudie les mouvements stratégiques déployés par cinq sociétés de ce secteur en vue d’atteindre cette position dominante. Les analyses permettent d’identifier les options de croissance des opérateurs. Elles sont le fruit d’une étude rigoureuse de la littérature, soit des écrits de la presse généraliste, de la presse d’affaires ou de revues spécialisées en matière de logistique et de transport, mais aussi d’enquêtes sur le sujet. La période couverte va du milieu des années 1990 jusqu’à l’année 2001. La prochaine section vise à mettre en lumière les manœuvres stratégiques déployées par les principaux opérateurs logistiques face aux mutations de leurs secteurs d’activité. Enfin, nous procéderons à une analyse comparative des options stratégiques retenues par chacun d’eux. Celle-ci sera aussi une occasion de mettre en relief nos observations avec les résultats d’études plus récentes. Mouvements et stratégie 1 : Soulignons que le segment du courrier a été traditionnellement défini en terme de service public pris en charge par l’État et assumé par des entreprises publiques selon différentes structures. 76 Produire une analyse exhaustive recoupant l’ensemble des entreprises de ce secteur serait un exercice de longue haleine, c’est pourquoi nous nous sommes concentrés sur cinq sociétés : TNT Post Group, Deutsche Post, La Poste française, UPS et Fedex. Leur choix s’explique par leur engagement évident à prendre des positions dominantes selon la nouvelle dynamique du secteur. Cette position dominante peut viser à diversifier l’offre de services de façon à couvrir le maximum de services (voir tableau 1) ou à couvrir les territoires les plus vastes, ou à atteindre ces deux options simultanément. Par ailleurs, cet échantillon offre une diversité de formes de propriété : service public1 (La Poste française) ou en voie de privatisation (Deutsche Post) et opérateurs privés (TNT Post Group, UPS et Fedex).Nous retrouvons également une variété en terme d’origine, soit des entreprises européennes (La Poste française, Deutsche Post, TNT Post Group) et américaines (UPS et Fedex). TNT Post Group Nous débutons notre présentation par le cas de TNT Post Group (TPG) (anciennement la Poste néerlandaise, PTT). Ce choix est délibéré car les décisions prises par cette société ont constitué des références pour de nombreux opérateurs qui souhaitaient imiter son parcours. D’abord, la poste néerlandaise a été la première à être privatisée en Europe au même moment que les activités de télécommunication à la fin des années 1980 (Dowson et al., 1997). La privatisation progressive de cette entreprise lui a permis d’échapper aux contraintes gouvernementales, d’avoir une plus grande focalisation sur les résultats financiers et par conséquent, lui a permis de développer de nouveaux services ou marchés (Dowson et al., 1997). Cette société a investi plus de 500 millions de dollars par an de 1994 à 1998 dans un programme de modernisation de ses centres de tri (Franco, 1994). L’objectif de cet investissement était de traiter 98% du courrier par des systèmes automatisés comparativement à 30% en 1996 (Anonyme, 1996). Cette mesure lui permettait de passer d’une entreprise à haute intensité de main d’œuvre à une entreprise à forte intensité technologique (Franco et Lemaître, 1996). De tels investissements se sont traduits par des économies de 175 millions de dollars (Anonyme, 1998). Cette mesure combinée à d’autres a permis de comprimer ses effectifs. Ceux-ci sont passés de 47 000 personnes en 1988 à 36 000 en 1995 (Dowson et al., 1997). Aujourd’hui, cette société postale est l’une des plus rentable en Europe. Elle est bénéficiaire depuis la fin des années 1980. En 1996, elle a pris une participation majoritaire dans la société TNT, un des leaders mondiaux de la messagerie express, qui dessert plus de 200 pays (Orange, 1996). À partir de ce moment, elle a effectué en deux ans 24 Vol. 11 – N°2, 2003 Logistique & Management acquisitions dont les principales sont présentées au tableau 2 (Peters van Deinse, 1999a). Dès le milieu des années 1990, l’Asie représentait un attrait majeur pour les grands intégrateurs (Dowson et al., 1997). La création d’une société conjointe avec British Post Office et Singapore Post au niveau du courrier international (Anonyme, 2000a) a permis de conforter les positions de TPG dans cette région du monde. Dans cette même logique, TPG a procédé à une alliance avec le logisticien japonais Kintestu (Peters Van Deinse, 1999a). Reconnaissant sa faible présence sur le territoire américain, elle rechercha un partenaire pour assurer le transport des petits colis aux États-Unis. Elle a racheté la société CTI Logistics de Floride pour renforcer ses positions dans la logistique automobile (Silbert, 2000). Soulignons que TPG poursuit une stratégie de segmentation des marchés : elle vise à offrir des services logistiques crédibles pour le secteur de la construction automobile ou celui de la pharmacie, par exemple. Deutsche Post Notre second cas est celui de la poste allemande, Deutsche Post. À la fin des années 1980, la Deutsche Post a pris un virage stratégique en deux phases. La première consistait à améliorer le service de manière à rencontrer des normes internationales. Ainsi, sur l’ensemble du territoire allemand, 4 milliards de dollars ont été investis dans la construction de nouveaux centres de tri, l’implantation de technologies de l’information et la mise en place d’un réseau logistique. Ces investissements ont démarré au début des années 1990 pour se poursuivre jusqu’au milieu de la décennie et ils lui permettent de livrer 95% du courrier à J+1 (Anonyme, 1999a) alors que ce taux se situait à 80% au début des années 1990 (Dowson et al., 1997). Nous proposons à nos clients en Allemagne un niveau de qualité qui n’est atteint dans presque aucun autre pays dans le monde, affirme le président de la société (Anonyme, 1999a). Ces investissements technologiques lui ont permis de réduire son personnel de plus de 100 000 personnes depuis le début des années 1990 (Parker, 2001a). De telles mesures ont des incidences financières : pour l’année 2001, un bénéfice de 2,52 milliards de dollars a été dégagé alors que la société était largement déficitaire à la fin des années 1980 (Dowson et al., 1997). De plus, durant cette même période, la Deutsche Post a absorbé les activités postales de l’Allemagne de l’Est, une opération qui n’était pas évidente compte tenu de Vol. 11 – N°2, 2003 Tableau 2 – Acquisitions et prises de participation de TPG Société Pays d’origine Participation NVS (acquit par Jet Service) Allemagne N.D. GMA Allemagne 100% France 100% Pays-Bas N.D. États-Unis 22,5% Italie (Milan) 100% Broos Fouya France 100% AGT France 100% Chronoservice France 100% Technologista Italie et Europe 100% Italie N.D. Tranjato Portugal 100% Ansett Air Freigh Australie 100% Allemagne 100% France 100% Allemagne 100% Italie N.D. Pays-Bas 100% Tunisie 100% France 51% Jet Service Tesselaar Marketing Services Mail2000 Rinaldi Spedimacc Taylor Barnard Mendy Développement Schrader Group ALS Bleckmann Cagotech 1 Barlatier Années 1998 1999 2000 2001 Sources : Laurent, 2000, Arthur Andersen, 2001, Lawson et al., 2000 1 : Prise de participation réalisée avec le groupe industriel tunisien, Koç. la désuétude des équipements et des pratiques dans cette région (Dowson et al., 1997). Ayant amélioré ses activités internes, l’entreprise poursuivit la seconde phase de sa stratégie fondée sur une politique de croissance s’appuyant sur trois piliers : internationalisation des activités, élargissement de la gamme de produits et une offre de services à valeur ajoutée (Anonyme, 1999b). Les prémisses de base de cette stratégie étaient de constituer un réseau logistique européen répondant au besoin d’une population de 330 millions d’habitants et d’offrir une gamme complète de services logistiques à la clientèle d’affaires (Anonyme, 1999a). Pour y parvenir, l’entreprise a procédé à des acquisitions et des prises de participation pour un coût total de 5 milliards $ (Parker, 2000a) (Tableau 3). La Poste française Toujours au niveau européen, La Poste française a cherché à déployer une stratégie aussi ambitieuse que ses homologues allemands ou 77 Logistique & Management Tableau 3 – Acquisitions et prises de participation de Deutsche Post Société Pays Quickstep Parcel Service Trans-o-Flex Servisco Paketdienst G.P. Paketlogistik DHL Participation Suisse 100% Allemagne 50,4% Pologne 60% Suisse Majoritaire International 25% États-Unis 100% Ducros France 68,3% Danzas Suisse – Europe 98,1% Global Mail MIT Italie 90% Herald International Mailing Royaume-Uni 100% Securicor Omega Express Royaume-Uni 50% Nedloyd – ETD Pays-Bas 100% ITG Internationala Spedition Allemagne 80% Merkur Allemagne 51% Orgadis/Serandis France 100% ASG Suède 52,4% Qualipac Suisse 100% Danzas acquiert ASG Group Suède 78,6% États-Unis 100% YellowStone International Guipuzcoana Espagne 49% Meadowsfreight Irlande 100% AEI États-Unis 100% International Postal Consultants États-Unis 100% GWK Allemagne 51% Italie 100% Kelpo Kuljetus Finlande 49% Skymail International États-Unis 100% Quick Mail États-Unis 100% Royaume-Uni 10% adjustrightSkymail Australie 100% Letterbox Australie 100% International 51% SAV Global Freight Exchange DHL Année 1997 1998 1999 2000 Source : Anonyme, 1999b, Arthur Andersen, 2001, Lawson et al., 2000. Tableau 4 – Acquisitions et prises de participation de Chronopost Société Pays Participation International 100% Belgique 61% Panic Link Royaume-Uni 51% Taxi Colis France 61,66% Morocon Post Office (filiale commune) Maroc 66,34% Royaume-Uni N.D. Jet Worlwide TBC Habert Express (filiale commune) Mayne Nickless Europe 78 Année 1998 1999 2000 néerlandais, mais avec des moyens financiers beaucoup plus modestes. Pour éviter la marginalisation sous la pression de concurrents internationaux performants, La Poste cherche à offrir une gamme de services complète en ciblant particulièrement la PME (Palierse, 2001). Cependant, pour mettre en œuvre une stratégie lui permettant de se positionner face à ses principaux concurrents, La Poste devrait surmonter trois obstacles : le refus de la direction à augmenter le prix des timbres afin de générer une marge bénéficiaire supplémentaire, sa mission sociale qui lui impose des charges évaluées à 1,5 milliards de dollars, et finalement son statut de service public qui l’empêche de lever des fonds pour effectuer des acquisitions. Ces motifs peuvent expliquer pourquoi l’entreprise procède par une politique de petit pas (Peters Van Deinse, 1999a). Dans ce cadre, les mouvements d’acquisition de La Poste française ont été plus modestes comparativement aux deux premiers cas étudiés. Elle a entrepris de prendre le contrôle du réseau de distribution allemand DPD. Ce réseau, principal concurrent de la Deutsche Post en territoire allemand était originellement constitué de 18 membres et sa structure particulière exigeait qu’un acquéreur détienne au moins 75% du capital pour être en mesure d’y exercer un contrôle de gestion (Parker, 2001b). C’est au début de 2001 que La Poste française amena sa participation à la hauteur de 85%. D’autre part, grâce aux acquisitions de sa filiale Chronopost dans le domaine de la messagerie express (tableau 4), La Poste voyait son emprise s’accroître dans ce secteur. Parallèlement, La Poste française a regroupé ses activités de messagerie autour d’une filiale dénommée Coelo, qui, par ailleurs, assurerait ses activités relatives aux colis et à la logistique (Chronopost, TAT Express, Denkhause, etc.). Elle a conclu des alliances avec les postes italienne, espagnole, portugaise et grecque qui pourraient se traduire par une participation de ces dernières au capital de Coelo. Ces différentes acquisitions et alliances ont permis à La Poste française de se constituer un réseau européen. Au niveau logistique, La Poste a pris une participation dans la société Geodis, la filiale des activités routières de la SNCF, à la suite d’un montage financier complexe à la fin de l’an 2000 (Peters Van Deinse, 2000)2. Enfin, puisqu’elle avait peu de moyen pour accompagner ses clients au niveau du transport international, elle a conclu une alliance opérationnelle avec Fedex qui lui donne accès au réseau international de cette Vol. 11 – N°2, 2003 Logistique & Management dernière et en contre partie, La Poste met à la disposition de Fedex son réseau européen (Laurent, 2000). Dans le domaine du e-courrier, la filiale Datapost, créée en 1994, a acheté en novembre 2000 la société Mikros pour devenir le numéro un français de l’éditique (passage des octets au papier), de la gestion de documents et de l’archivage électroniques. En octobre 2000, elle s’est associée aux postes américaines et canadienne pour lancer le service PosteCS qui offre aux multinationales des envois transatlantiques sécurisés et traçables de documents électroniques. En 1999, à l’attention des petites entreprises, elle a lancé le service Mailev de transformation de document informatique en mailing papier. Cette même année, La Poste a fondé avec la Sagem la société CertiNomis, le premier organisme certificateur agréé permettant d’établir le lien entre l’identité d’une personne et un identifiant électronique (Peters Van Deinse, 1999b). En plus de ces initiatives, La Poste a développé une gamme de filiales et de services variés (Tableau 5). En 2001, elle poursuivit son développement dans ce domaine en prenant une participation significative dans la société E-mail Vision et en s’associant à la société Steria pour commercialiser auprès des grands clients une offre globale de conception, d’intégration et d’exploitation en matière de courrier électronique, d’annuaires et de téléprocédures. Concernant le volet relatif au commerce électronique, sa filiale Esipost a lancé à la fin de l’an 2000 le service Axepro qui offre aux commerçants la création et l’hébergement de site, la sécurisation du paiement en ligne, la logistique et le transport, et à terme, des solutions de marketing direct (gestion de base de données) (Macke, 2001). Cette initiative s’adresse principalement aux petites et moyennes entreprises qui n’ont pas toutes les ressources internes pour procéder à un développement (Santrot, 2001). Pour l’instant, La Poste a moins à concevoir de nouveaux services qu’à réorganiser et adapter des offres existantes (Macke, 2001). Ces initiatives se positionnent face à celle de la Deutsche Post et de TPG (allié à la poste britannique) qui ont une offre solide dans le e-courrier et le e-commerce tout en ayant des moyens financiers importants (Macke, 2001). Soulignons que les derniers résultats financiers de la Poste s’avèrent décevants car elle a enregistré une perte de 93 millions de dollars pour l’exercice financier terminé en 2001. Vol. 11 – N°2, 2003 Tableau 5 - Exemples de services Internet de La Poste Service Description Dynapost Optimiser le système de courrier électronique des entreprises Esipost Offre complète de solutions de commerce électronique : marketing direct, système de commande, de paiement, de sécurisation et de gestion du flux des livraisons Seres Prestataire orienté vers la conception et l’hébergement de solutions électroniques Source : Anonyme, 2001 UPS et Fedex Compte tenu des comparaisons fréquentes entre les sociétés UPS et Federal Express (Fedex) (Grant, 1997; Haddad et Ewing, 2001; O’Reilly, 2000), nous les analysons simultanément. UPS était au départ une société de livraison terrestre. Ses 60 premières années d’existence lui ont permis de développer son réseau aux États-Unis. Au milieu des années 1970, elle commence son expansion internationale d’abord au Canada et ensuite en Europe. Dans cette dernière région, le développement s’est effectué par l’acquisition d’une quinzaine de sociétés. Durant les années 1990, UPS s’est attelé à assurer la cohérence des différentes composantes pour constituer un seul réseau. Une tâche qui pouvait signifier une réorganisation complète de certaines entreprises acquises (Artous et Salini, 1999). Depuis 1988, la société pouvait compter sur son propre service de transport aérien (Haddad et Ewing, 2001). Par ailleurs, au milieu des années 1980, l’entreprise s’est engagée dans un effort systématique de construction d’une expertise technologique. Depuis 1986, elle a investi 10 milliards $ pour se doter d’une infrastructure technologique lui permettant de se connecter électroniquement à 99 % des sociétés américaines (Kelly, 2000). Ces investissements lui permettaient de combler le retard technologique qu’elle avait accumulé vis-à-vis de Fedex. Pour soutenir ses initiatives technologiques en Europe, UPS a conclu des partenariats avec des sociétés de développement de logiciels d’expéditions en contexte de commerce électronique (Parker, 1999). Elle s’est également associée à Oracle et IBM (Haddad et Ewing, 2001). Au niveau du commerce électronique, UPS vise à s’accaparer le maximum de volume d’activités généré par ce nouveau canal de ventes (O’Reilly, 2000).UPS mise sur le développement de services à valeur ajoutée pour ses clients : gestion de centre d’appels, conditionnement et emballage, gestion de service de 2 : Soulignons que la société Geodis a effectué des acquisitions au cours des dernières années : acquisition en 1999 de la firme italienne Borghi Trasporti, de la société néerlandaise Vitesse et finalement de la messagerie britannique United Carriers (Chevallard et Silbert, 2000). 79 Logistique & Management réparation d’équipements. Dans cette logique, la société a acquis de petites sociétés de financement américaines afin de soutenir sa société UPS capital Group. Cette dernière entité pourrait financer, par exemple, les stocks à recevoir ou gérer les comptes-clients et pour ses petits ou grands clients (Ganesan, 2003). Pour sa part, Federal Express se définit comme une entreprise de gestion de l’information, un positionnement qui lui a procuré un avantage durant une certaine période (Grant, 1997), mais qui semble s’éroder. Cette société a été la première à déployer les technologies de traçabilité des colis. Cependant, ces dernières sont maintenant accessibles à la concurrence, par conséquent les compétences technologiques de Fedex deviennent une norme plutôt qu’un avantage concurrentiel (Janah et Wilder, 1997). De plus, ses investissements technologiques sont de même ampleur que ceux de UPS (1 à 1,5 milliard $ annuellement), mais sur un chiffre d’affaires de 30 % inférieur. Au niveau du commerce électronique, Fedex a misé sur son expertise technologique et a cherché à accompagner ses clients dans le développement de solutions électroniques de gestion de la chaîne d’approvisionnement. Cependant cette expertise ne semble pas convenir à tous. Ainsi, des analystes considèrent que Fedex souhaite satisfaire totalement les exigences de ses clients sans égard aux coûts, et qu’elle surdimensionne ses solutions technologiques (O’Reilly, 2000). Parallèlement, Fedex a conservé une approche de développement maison de ses technologies, ce qui peut poser des problèmes de compatibilité des systèmes (Haddad et Ewing, 2001). Par ailleurs, bien que l’une des forces de Fedex réside dans son réseau de transport aérien, ce dernier est très onéreux à maintenir (par exemple, il doit être en mesure d’absorber les augmentations du prix de l’essence). De plus, pour les distances intermédiaires (moins de 740 kilomètres), les opérateurs terrestres ont développé une meilleure maîtrise de leur réseau ce qui leur permet de concurrencer à moindre coût le transport aérien. Pour profiter des économies du transport terrestre et assurer le développement des échanges inter-entreprises (business to business) Fedex a fait l’acquisition de la société de transport RPS inc en 1998 (O’Reilly, 2000). Plus récemment, Fedex a procédé à l’acquisition de American Freightways qui emploie 17 200 personnes; elle gère 265 centres de distribution et enre- 80 gistre 46 000 livraisons par jour en couvrant 40 états (Barjonet, 2000). Par ailleurs, les deux entreprises cherchent à prendre position sur le marché asiatique, principalement en développant le marché chinois. Pour y parvenir, UPS a ouvert une plate-forme logistique au Philippine et a signé des ententes avec des opérateurs de transport chinoises.Fedex a également conclu des accords avec des entreprises de ce même pays (Gupta, 2003). Analyse des options de croissance Pour analyser et comprendre le comportement des cinq entreprises étudiées, nous retenons le modèle de développement des entreprises proposé par Baghai et al. (1999). Ceux-ci suggèrent que la croissance d’une entreprise doit être abordée selon trois horizons : à l’horizon 1, l’entreprise vise à défendre et à étendre ses métiers de base. Il s’agit d’être performant à court terme en accumulant les liquidités et les ressources permettant de bâtir la croissance à long terme. À l’horizon 2, l’entreprise construit les activités émergentes. Les initiatives de l’horizon 2 se caractérisent par une volonté d’accroître le chiffre d’affaires et les parts de marché (Baghai et al., 1999). Finalement à l’horizon 3, l’entreprise crée des options viables. Ces dernières sont rarement des opportunités prouvées, mais elles doivent être prometteuses et soutenues par la direction (Baghai et al., 1999). Pour assurer son développement à long terme, une entreprise devrait s’assurer de contrôler une gamme de produits, de services ou un portefeuille de projets couvrant les trois horizons. Une faiblesse à l’un des horizons peut handicaper à court ou moyen terme la croissance de l’entreprise. Finalement, le caractère de plus en plus aléatoire des horizons ne se limite pas uniquement aux produits, il peut s’agir d’offrir le même produit mais à des segments de marché s’éloignant de plus de plus des clients traditionnels ou d’acquérir la maîtrise de nouveaux métiers (Baghai et al., 1999). Voyons maintenant comment ce modèle d’analyse peut s’appliquer aux cinq cas étudiés (tableau 6). Une première constatation ressort : en investissant dans la modernisation de leurs installations, TNT Post Group, Deutsche Post et UPS s’assurent une efficacité leur permettant de dégager des rendements financiers; une stratégie qui s’accorde avec les principes de l’horizon 1. Dans le cas de TPG ou de Deutsche Post, des investisse- Vol. 11 – N°2, 2003 Logistique & Management Tableau 6 - Analyse des options de croissance TNT Post Group Deutsche Post La Poste française Fedex UPS Horizon 1 Horizon 2 Modernisation de ses installations Bons rendements financiers Expansion de ses activités au niveau de la logistique Expansion européenne Expansion en Asie Modernisation de ses installations Bons rendements financiers Création d’un réseau logistique européen Acquisition d’un transporteur international Développement d’une image globale Difficulté à générer des bénéfices d’exploitation Culture syndicale qui limite les projets de modernisation des opérations Acquisitions au niveau d’un réseau logistique européen Alliance au niveau des échanges internationaux Développement d’une offre de service complète au niveau du e-courrier et du e-commerce Difficulté à dégager des rendements financiers équivalents à ceux des concurrents Investissements technologiques Renforcement de son réseau terrestre de distribution aux États-Unis Alliance au niveau de la distribution européenne avec La Poste française Maîtrise d’activités d’assemblage, de conditionnement, de réparation et des centres d’appels Soutien des développements technologiques de ses clients Expansion en Asie Très bons résultats financiers Investissements technologiques Expansion européenne réalisée depuis 15 ans Discrimination de ses clients Maîtrise d’activités d’assemblage, de conditionnement, de réparation et des centres d’appels Développement de services financiers Expansion en Asie ments ont été réalisés au niveau de l’automatisation des centres de tri. Il y a ainsi un déplacement d’une industrie à forte intensité de main d’œuvre à une industrie à forte intensité technologique. Les entreprises qui ont réalisé très tôt ce passage ont dégagé des gains financiers. A contrario, l’expérience de Fedex tend à démontrer que la recherche de croissance au niveau de l’horizon 3 peut compromettre l’horizon 1.En effet, des analystes considèrent que les modestes résultats financiers de Fedex proviennent d’appréciables investissements technologiques réalisés en vue de satisfaire les exigences des clients (une initiative que nous classons à l’horizon 3). Les plus récentes analyses révèlent une amélioration de la performance financière de Fedex, mais ses principaux ratios financiers demeurent nettement inférieur à ceux de UPS (Corridore, 2003).La Poste nous semble dans une position similaire. Elle a développé une stratégie articulée au niveau de l’horizon 3. Cependant, ses deux premiers horizons semblent comporter des Vol. 11 – N°2, 2003 Horizon 3 faiblesses : d’abord financière et ensuite au niveau de la solidité des liens qui tissent son réseau logistique. À cet effet, la constitution de ces réseaux peut prendre deux formes. L’acquisition est la première forme qui, bien que comportant de nombreux avantages (par ex. contrôle) impose une charge financière importante. Outre l’aspect financier, les opérateurs doivent être en mesure de dégager des synergies dans un ensemble disparate d’entreprises, ce qui peut exiger des investissements supplémentaires relativement élevés (Artous et Salini, 1999). Cette disparité peut provenir du chevauchement de certains corridors de transport, d’incompatibilité de systèmes d’information ou d’une diversité dans les pratiques de travail. De plus, un tel réseau impose des coûts fixes parfois très élevés pour ses opérateurs. Les alliances représentent la seconde forme pour constituer un réseau logistique. Lorsqu’il est constitué sur cette base, il requiert des investissements moindres que la formule d’acquisition. Au total, nous aurons 81 Logistique & Management dépensé six fois moins d’argent que la poste allemande pour être à la tête d’un réseau de taille quasiment comparable, commente le président de La Poste française (Maussion, 2001). Outre la complémentarité, l’un des critères dans le choix du partenaire, est la compatibilité des systèmes d’information. Cependant, de tels réseaux sont fragiles dans la mesure où l’une ou l’autre de ses composantes peut être acquise par un concurrent. Dans un tel cas, les clients peuvent être amenés à rompre les ententes passées (Anonyme, 2000b). Ainsi, l’acquisition par la Poste néerlandaise de TNT a amené La Poste française à ne pas renouveler l’entente de distribution la liant à TNT car ceci aurait généré des bénéfices pour un concurrent. Tel qu’établi dans le tableau 6, l’horizon 2 se caractérise par la mise en place d’un réseau transcontinental. Les analystes parlent beaucoup de la nécessité pour les opérateurs de posséder un réseau mondial; il faut toutefois préciser certaines nuances. L’analyse des mouvements d’acquisition tend à démontrer que les opérateurs souhaitent être présents sur trois principaux marchés : Amérique du Nord, Europe de l’ouest et Asie. De plus, le poids de ces zones n’est toujours égal pour les opérateurs. Ainsi, TNT Post Group semble handicapé par sa présence modeste en Amérique du Nord. L’horizon 2 met également en évidence le développement de nouvelles activités par les opérateurs (Fedex et UPS). Ils additionnent de nouvelles fonctions à celles traditionnellement couvertes par la logistique : préparation de commandes, conditionnement, gestion des commandes, gestion d’un centre d’appel, réparation des produits. Ce faisant, ils sont devenus ce qui est dorénavant convenu d’appeler les Fourth Party Logistics. 3 : Pour le marché chinois, UPS a recours à des alliances car sa connaissance de la culture lui semble un obstacle qui pourrait ralentir un développement interne dans cette région. 82 Dans une perspective internationale, des entreprises cultivent leur image. Ainsi UPS préfère développer à l’interne plutôt que de procéder à des alliances car elle souhaite que dans tous les coins du monde, les clients retrouvent la “griffe” UPS (Maillard, 2000)3. C’est dans cette optique que la Deustche Post a retenu l’appellation Deutsche Post World Net pour souligner son caractère international qui dépasse également les frontières de son métier traditionnel, la livraison du courrier, pour inclure une notion de service logistique (Parker, 2000b) (voir horizon 3).Cette notion de marque globale envoie également un signal aux clients potentiels qui sont souvent des entreprises ayant une envergure internatio- Figure 1 - Positionnement des entreprises nale. Créer une marque globale est un exercice de longue haleine qui nécessite des efforts de longue haleine pour imposer la nouvelle dénomination. Soulignons que La Poste française emprunte un chemin inverse. En multipliant le nombre de ses filiales, elle diversifie les points de contacts avec les clients ce qui peut créer de la confusion et même des actions contradictoires. Dans ce contexte, il est nécessaire de procéder à une coopération à l’intérieur de l’entreprise (Macke, 2001). Cette présentation des différentes stratégies déployées par les entreprises de notre étude nous permet de positionner les stratégies observées. La figure 1 dispose les entreprises selon une matrice en deux axes. L’axe horizontal précise les territoires couverts par le réseau alors que l’axe vertical suggère l’emphase apportée sur la composante informationnelle ou physique de la gestion du flux. À notre avis, UPS et Deutsche Poste se retrouvent dans le même ensemble car tous les deux ont la couverture du marché qui semble la plus globale (Europe, Asie et Amérique du Nord) et chacun se considère principalement comme un logisticien. UPS manifesterait une prédisposition plus grande pour la gestion du flux d’information compte tenu des partenariats qu’elle a réalisés dans ce sens et parce que son réseau est plus intégré alors que Deutsche Post est à consolider ses différentes acquisitions. TPG pourrait être associé à ce premier groupe mais elle se positionne sur des niches de marché. Elle cherche à développer une expertise pour les besoins de certains clients, comme le secteur automobile. De plus, son positionnement international est moins avancé principalement en Amérique du Nord. Nous considérons que le degré de couverture de Fedex est moindre que celui des entreprises précédentes. De plus, cette entreprise se considère d’abord comme un gestionnaire Vol. 11 – N°2, 2003 Logistique & Management d’information. Finalement, dans le cas de La Poste française, nous considérons qu’à travers les acquisitions réalisées, elle vise principalement à jouer un rôle d’accompagnateur des entreprises nationales sur les marchés étrangers. Par ailleurs, elle a une volonté manifeste d’acquérir des compétences en matière de gestion d’information. Cependant, une récente étude de Bovet et al. (2003/2004) tend à invalider une grande partie des choix stratégiques déployés par les entreprises de notre échantillon. Selon cette étude, les récents résultats financiers démontreraient que les choix stratégiques n’ont pas encore dégagé les bénéfices attendus : l’on crée de la valeur pour les clients mais pas pour les actionnaires. De mauvaises appréciations auraient mené à ce constat : d’abord, il n’est pas si évident que les entreprises veulent se départir de la gestion de leur chaîne d’approvisionnement. Ensuite, celles qui confient leur logistique à un prestataire ne souhaitent pas nécessairement une solution unique. Enfin, ces clients maintiennent une pression sur les prix en exigeant des contrats de courte durée. Conclusion On constate ainsi qu’à la suite de profonds changements dans le secteur de la poste et de la messagerie (dérèglement et ouverture à la concurrence, convergence des différents segments de marché, concurrence d’autres médiums de diffusion de l’information, etc.), des entreprises ont développé des stratégies en vue d’acquérir une position dominante sur le marché. Nous avons ciblé cinq entreprises pour présenter ces changements stratégiques : TNT Post Group, Deustche Post, La Poste, UPS et Fedex. L’analyse des mouvements stratégiques démontre clairement que la recherche d’une masse critique (taille du réseau mais également spectre des services offerts) est au centre de la démarche des entreprises. Cette recherche de la masse critique est fréquemment évoquée par de nombreux gestionnaires de l’industrie (Guillaume, 1999). En fait, pour Bovet et al. (2003/2004), cette masse est d’autant plus critique qu’il faut un seuil minimal d’actif pour répondre aux besoins des clients, en parallèle une surdose pèsera lourdement sur les résultats financiers. Les manœuvres déployées par les opérateurs considérés dans cette étude ont contribué à l’émergence de nouvelles compétences logistiques dans le secteur postal et de la messagerie. Nous croyons que le processus de Vol. 11 – N°2, 2003 mutation des organisations n’est pas encore complété. En biologie, une mutation peut entraîner certains effets visibles alors que d’autres pourraient conserver un caractère plus subtil (Vogel et Angermann, 1994). Il en va de même de l’étude de la stratégie mise en œuvre par une entreprise. Il faut se méfier des manifestations visibles ; comme le rappellent Hamel et Prahalad (1995), les compétences distinctives qui procurent un avantage concurrentiel sont rarement spectaculaires. Ainsi, les technologies peuvent être ces ressources visibles alors que les véritables avantages concurrentiels résident dans la capacité des opérateurs à maximiser leur réseau de transport. Les premières ressources sont facilement reproductibles par la concurrence ce qui n’est pas le cas des secondes. Ainsi, la mise en œuvre du réseau est une chose, comment en assurer le bon fonctionnement en est une autre, et c’est sur ce terrain que se jouera la prochaine bataille concurrentielle dans le secteur postal et de la messagerie. Dans ce contexte, la présente étude pourrait avoir comme prolongement des analyses complémentaires qui intègreraient des considérations plus opérationnelles sur la nature des actifs (flotte, centres de tri, etc.) ainsi que leur performance. De telles analyses pourraient être réalisées dans une perspective longitudinale. Ce complément permettrait d’apprécier les compétences de gestion des différentes entreprises à articuler les ressources à leur disposition dans un environnement concurrentiel intense. Références Anonyme. « Les différents services Internet de La Poste », Journal du Net, 24 août 2001. Anonyme. « TPG, British Post Office et Singapore Post s’unissent dans le courrier international », Les Échos, 10 mars 2000a, p.28. Anonyme. « Trouver une parade aux renversements d’alliances », Les Échos, 15 mais 2000b, p. 66. Anonyme. « L’offensive de la Deutsche Post en Europe », Les Échos, lundi 3 mai 1999a, p. 60. 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