la chute de kaboul sonne l`heure du roi

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la chute de kaboul sonne l`heure du roi
Liberte Politique
LA CHUTE DE KABOUL SONNE L'HEURE DU ROI
Article rédigé par Patrick Louis, le 22 novembre 2001
LYON, [DECRYPTAGE/interview] - Ce mardi 13 novembre, l'Alliance du Nord s'empare de Kaboul.
Victoire attendue ou surprise ?
Surprise, bien sûr ! Les avancées de l'Alliance du Nord, qui en cinq jours a conquis la moitié du pays et
repoussé les talibans vers leur fief de Kandahar (Sud), ont pris de court la coalition internationale
antiterroriste dirigée par les États-Unis.
Nul ne prévoyait que cinq semaines seulement après le début de la campagne militaire américaine
déclenchée à la suite des attentats meurtriers du 11 septembre aux États-Unis, les opposants afghans seraient
de retour à Kaboul, d'où ils avaient été chassés en 1996 par les miliciens islamistes.
La chute de Kaboul éclaircit-elle ou obscurcit-elle l'avenir de l'Afghanistan ?
Sur le plan de la politique interne, l'avenir de l'Afghanistan est des plus incertains. Carrefour de civilisations,
population multi-ethnique, le futur gouvernement afghan aura les plus grandes difficultés à satisfaire et
représenter tout le monde. En prenant Kaboul, les moudjahidines du Nord se sont mis dans la position la
plus favorable pour négocier au prix fort leur place dans le futur gouvernement. Or n'oublions pas que
l'Afghanistan est le carrefour de quatre grandes civilisations et la rencontre des deux islams : le chiisme et le
sunnisme dont le waabisme.
L'Afghanistan compte 26 millions d'habitants répartis en 19 ethnies. Quelles sont les ethnies avec lesquelles
il faut compter ?
Les principales ethnies sont les Pachtounes, dont les talibans sont majoritairement issus, et qui représentent
environ 40 pour cent de la population afghane, les Tadjiks (25 pour cent), les Hazaras chiites (8 pour cent) et
les Ouzbeks (6 pour cent). Cette diversité ethnique est le résultat de la situation géographique du pays qui en
fait une plaque tournante entre la steppe d'Asie centrale, le plateau iranien et les plaines de l'Inde du nord.
Les Pachtounes (sunnites), que l'on retrouve au Pakistan sous le nom de Pathans, ont traditionnellement
dirigé l'Afghanistan au cours des trois derniers siècles. La première dynastie nationale afghane a d'ailleurs
été fondée par le Pachtoune Ahmed Shah Durrani, en 1747, à la suite du partage du pays entre les Moghols
et les Perses. Des générations de rois d'Afghanistan, notamment le roi Zaher Shah, renversé en 1973 et exilé
à Rome, étaient originaires de Kandahar (sud-est), devenu le quartier général des talibans. Les quatre
présidents qui se sont succédé, de 1973 à 1992, étaient également des Pachtounes. Originaires du sud du
pays, d'une zone s'étendant de la frontière pakistanaise à la frontière iranienne, ils parlent le pachtou, une des
deux langues officielles de l'Afghanistan, et sont eux-mêmes divisés en un grand nombre de tribus.
Les Tadjiks (persanophones), originaires de la région située à la frontière du Tadjikistan dans le nord du
pays, représentent 25 pour cent de la population. Ils sont surtout répartis dans le nord où vivent également
un million d'Ouzbeks (sunnites, d'origine turque).
Les Hazaras (persanophones), d'origine mongole, représentent 8 pour cent de la population et sont installés
dans le centre. Ce sont des musulmans chiites, ralliés au pouvoir des Pachtounes seulement depuis le début
du siècle. Ils se disent descendants de Gengis Kahn.
Parmi les autres ethnies peuplant l'Afghanistan et qui jouent un rôle plus marginal sur la scène afghane, on
compte des Turkmènes, des Kirghizes, des Kazakhs, des Baloutches, et des Nouristani.
Pourquoi la prise de Kaboul par l'Alliance du Nord ne satisfait-elle pas les États-Unis et déconcerte les
chancelleries ?
Au-delà des risques immédiats liés à l'absence de préparation politique et aux vengeances probables. La
victoire de la coalitions des minorités inquiète les pays voisins. Parmi les pays extrêmement inquiets quant
aux suites de la prise de Kaboul par les forces de l'Alliance, on peut en isoler quatre : le Pakistan, la Russie,
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l'Iran et les États-Unis.
Le Pakistan, d'abord. Si le général Mousharraf a pris le risque de soutenir les USA contre les talibans, c'est
sans doute d'abord pour éviter d'être à la merci de son ennemi traditionnel qu'est l'Inde. L'équilibre des
forces commande. En étant du côté des États-Unis, le gouvernement pakistanais bénéficie du soutien
économique et diplomatique accru de la communauté internationale. Par contre la victoire de l'Alliance du
Nord risque de renforcer l'opposition pro-taliban au Pakistan. Le général Mousharaf apparaîtra sur le plan
international comme étant celui qui a fait le bon choix : le choix du vainqueur, mais, les pachtounes étant
très nombreux au Pakistan il sera, un traître vendu à l'ennemi... D'ou la prudence du porte-parole du
ministère pakistanais des Affaires étrangères, Aziz Ahmed Khan qui s'est empressé de déclarer : " Kaboul
devrait rester une zone démilitarisée placée sous le contrôle des Nations unies, ou d'une force multinationale
approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies." Cela dit, mercredi matin la presse pakistanaise tirait
à boulets rouges sur le général-président Pervez Musharraf.
La Russie de Poutine, comme la Russie du Tzar Nicolas reste une puissance continentale privé d'accès aux
mers du sud. La nouvelle coopération de Poutine avec les USA, lui permettait d'espérer trouver en
Afghanistan l'accès à la mer d'Oman qu'elle n'a pas. Cette accès passe par une double alliance : d'abord avec
le Pakistan, ensuite avec l'Afghanistan. Or, les moudjahidines du Nord, les principaux adversaires des
Soviétiques dans les années 1980, ne se résoudront très difficilement à passer un accord avec la Russie.
Poutine le sait bien, et il va tout faire pour éviter de voir l'Afghanistan basculer dans le seul camp de
l'Alliance du Nord.
L'Iran ne veut pas d'un islam sunnite, militaire et victorieux comme celui des moudjahidines à sa frontière. Il
a déjà bien à faire avec l'Irak à l'Ouest.
Les Américains tablent depuis des années sur la construction d'un oléoduc de la mer Caspienne à la mer
d'Oman pour l'acheminement d'un pétrole qui leur assurerait une plus grande autonomie vis-à-vis de ses
principaux fournisseurs (l'Arabie saoudite). Or le seul tracé possible pour cet oléoduc passe par
l'Afghanistan et le Pakistan.
Voilà beaucoup de raisons qui poussent les diplomates à vouloir un régime politique respectant toutes les
minorités et intégrant l'ethnie pachtoune, ethnie des talibans. En ce sens, le vieux roi Zaher Shah - renversé
par son cousin qui ne jurait que par les Soviétiques - sera certainement le plus apte à assurer l'indispensable
unité dans la diversité.
Patrick Louis est professeur de relations internationales à l'université de Lyon III.
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