La loi doit-elle me permettre tout « ce que je veux »?
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La loi doit-elle me permettre tout « ce que je veux »?
Lettre mensuelle N°181 autres thèmes novembre 2015 interview Le coin des experts La loi doit-elle me permettre tout « ce que je veux » ? L a volonté individuelle peut-elle tout justifier ? Quand un malade demande l’euthanasie, quand une femme estime qu’elle a droit d’être mère, quand une femme avorte, quand un homme se suicide, quand l’épouse de Vincent Lambert demande à ce qu’il soit mis fin à ses jours parce qu’« il n’aurait pas voulu vivre dans cet état »… L’autonomie de la personne prend-elle le pas sur tout autre forme de loi ? Pascal Jacob, philosophe, répond pour Gènéthique. « La volonté individuelle ne suffit pas à déterminer ce qui est juste ». nécessité de la brider. Individus libres dans les discours mais frustrés dans les faits, nous ne voyons bientôt plus en autrui que le fossoyeur de notre propre liberté. Quel est ce médecin, ce juge, cette mère, qui empêche Vincent de mourir tandis qu’il est réputé le vouloir ? Où trouver la légitimité du droit ? Ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Vincent Lambert » est rendu difficile notamment parce que nous pensons que le droit est fait pour satisfaire la volonté individuelle. Ainsi nous cherchons à savoir si Vincent Lambert avait émis la volonté d’être soigné ou pas. Nous considérons, peut-être sans nous interroger suffisamment, qu’une décision sera légitime dès lors qu’elle se conforme à la volonté d’un individu. Or d’autres volontés surgissent : celle de l’épouse, celle des parents, des proches, du médecin, du juge, sans compter les pressions diverses issues de volontés plus sournoises, qui voient en Vincent Lambert l’instrument qui doit faire triompher leur cause. Chacun sait que ce que veut un individu n’est pas toujours légitime. Mais nous considérons volontiers que la volonté autonome et délibérée d’un adulte sain de corps et d’esprit ne doit rencontrer aucun obstacle, à la seule condition que les autres individus puissent également suivre leur volonté. Peut-être faut-il nous guérir de cette idée selon laquelle la loi serait l’expression de la « volonté générale ». Il n’y a pas d’autre volonté que celle des individus. Il y a des volontés majoritaires : le fait d’être les plus nombreux assure sans doute d’être plus fort mais pas d’être plus légitime. Qu’elle soit l’instrument du roi ou bien celle d’un peuple plus fantasmé que réel, la loi reste oppressive dès lors qu’elle ne revendique rien de plus que d’exprimer une volonté. Peut-être sortirait-on de cette difficulté en revenant à l’intuition des grands législateurs, comme Cicéron, selon lesquels la loi exprime une exigence dont la source n’est pas dans notre volonté mais dans la nature des choses. Si je dois respecter la vie d’autrui, ce n’est pas parce qu’il veut vivre, mais c’est parce qu’il est un être humain sujet d’une dignité inaliénable. Nos volontés, lorsqu’elles sont guidées par la seule poursuite de nos intérêts individuels, nous opposent. Mais si notre intelligence peut découvrir dans la nature des choses la source de l’exigence morale, il en est autrement. Nous pouvons ensemble nous reconnaître dépendant d’une vérité qui nous dépasse et rassemble nos « je » divers en un « nous ». La loi, volonté d’une majorité s’imposant à celle d’une minorité ? Notre dignité tient de l’être avant de tenir de la volonté Souvent cet état d’esprit se traduit d’une façon un peu triviale, s’appuyant sur l’adage : « La liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres ». Nous nous concevons finalement comme des atomes porteurs d’une volonté, et nous attendons de la loi, qu’elle offre à notre volonté un espace d’exercice maximal, ne tolérant de limite que par la nécessité où nous sommes de coexister pacifiquement avec d’autres atomes volontaires, que nous appelons des individus. De la sorte, notre vie sociale devient une sorte de mal nécessaire, la loi n’exprimant plus qu’un rapport de force dans lequel la volonté la plus représentée s’impose à la moins représentée, en attendant que change le rapport de forces. Nous sentons bien ce que cette réalité a de frustrant. La loi, à qui chacun demande d’inscrire sa propre volonté dans le marbre, est devenue une énorme et presqu’incontrôlable machine à créer de la frustration. Les homosexuels veulent se marier. Marions-les ! Mais ils sont frustrés dans leur désir d’enfant. Ouvrons-leur la GPA ! Oui, mais la « mère porteuse » a aussi une volonté, et puis la majorité ne veut pas. Et puis il y a les risques d’un trafic, il faut donc protéger la volonté de la « mère porteuse ». L’injonction de satisfaire notre volonté s’accompagne de la Pascal Jacob Après des études de Philosophie à la Sorbonne et à l’IPC, il enseigne en Lycée puis, l’agrégation obtenue, dans divers établissements supérieurs : l’Institut Albert le Grand à Angers, le séminaire interdiocésain de Nantes, et enfin l’Institut de Soins Infirmiers de Laval. Il participe aux activités de l’association « Objection », dont l’objet est d’étendre la reconnaissance du droit à l’objection de conscience. Il a publié en 2015 La morale chrétienne, carcan ou libération ? Au fondement le plus ancien de notre tradition juridique se trouve l’idée que la loi n’est pas une simple convention des volontés, d’ailleurs impossible dans des Etats de grande taille. Ce fondement se trouve dans les choses elles-mêmes : nous protégeons l’enfant parce que nous savons ce qu’il est, et non parce que nous avons arbitrairement convenu de le faire, et cette exigence morale est l’expérience de notre dépendance à la vérité que notre intelligence saisit dans les choses mêmes. Le serment d’Hippocrate, que les médecins prêtent encore, se situe dans cette optique . Dans sa version originelle, il précisait : « Je ne remettrai à personne une drogue mortelle si on me la demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion ». Il en va de la nature de la médecine, c’est évident, mais aussi de la nature du patient : il n’est pas une pure volonté mais une personne vivante, dont la dignité tient à ce qu’il est avant de tenir en ce qu’il veut. Vincent Lambert nous pose la question : que suis-je pour vous ? Nous devons respecter ce qu’il est avant de respecter ce qu’il veut, parce qu’il ne se réduit pas à ce qu’il veut. Habitués à penser l’autre avant tout comme une volonté, nous cherchons en vain ce que Vincent Lambert aurait voulu. Nous ne le saurons pas, mais surtout la volonté individuelle ne suffit pas à déterminer ce qui est juste. La volonté ne suffit pas à fonder le droit pour une raison très simple : ce que je veux n’est pas nécessairement bon. Or seule la vérité du bien a le pouvoir de poser devant chacun une obligation morale, ce qui suppose l’intervention de l’intelligence qui reconnaît ce bien comme tel pour que notre volonté puisse le poursuivre. La volonté individuelle n’est pas le bien le plus déterminant. Le bien fondamental, sans lequel tous les autres disparaissent, n’est-ce pas la vie d’une personne humaine ? Or il est urgent de rappeler que la dignité d’une personne n’est pas dans sa seule volonté, mais dans le simple fait d’être une personne humaine, de sa conception à sa mort naturelle. ■ → Recherche sur l’embryon decryptage L’embryon en question L a question du statut de l’embryon semble incongrue. Tant les lois que la science semblent passer outre, mais la réalité résiste à ce vide statutaire. Qu’est-ce-qu’un embryon ? Un amas de cellules ou une personne humaine ? Des questions légitimes qui se posent sans se croiser ni se rencontrer quand elles ne s’opposent pas, confisquées en France par les mouvements féministes, depuis la dépénalisation de l’avortement en 1974, laquelle refuse, de fait, à l’embryon un statut propre en le réduisant à quelques cellules anodines. Dix ans plus tard, en 1984, le CCNE1 intervient pour tenter de remédier à ce vide statutaire et propose de définir l’embryon par le concept de « personne humaine potentielle ». Selon le CCNE, « cette qualification constitue un fondement de respect qui lui est dû ». Mais c’est peine perdue. La définition ne résiste pas au dictat de la recherche scientifique et des intérêts économiques : le 22 janvier 2002, l’Assemblée Nationale adopte en première lecture un projet de loi qui autorise la recherche sur les embryons surnuméraires, laquelle avait été recommandée dès 1999 par un rapport du Conseil d’Etat. D’ailleurs en mai 2009, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, ce même Conseil d’Etat déclarait que « dire qui est l’embryon ou ce qu’il est relève de l’impossibilité ». Et le 6 août 2013, le Parlement adopte définitivement un texte autorisant la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Le pragmatisme l’a emporté sur la réflexion et l’embryon est réifié, sans statut, disponible à la recherche et au marché. L’embryon, entre qualification juridique et définition philosophique Néanmoins la question persiste. Sans réponse, elle se pose et s’impose : l’embryon est-il réductible à sa matérialité biologique ?... « Il est inévitable de qualifier l’embryon mais la question n’étant pas abordée, elle reçoit au cas par cas des réponses contradictoires » déplore Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé à Evry2. « Le législateur ne sait pas si l’embryon est une personne ou non, et cette question première, dont tout découle et qui seule peut donner sa cohérence au statut, est systématiquement mise de côté ». Un vide juridique qui dénie à l’embryon le statut de personne juridique puisque la personnalité juridique s’acquiert à la naissance. N’étant pas considéré comme une personne juridique, il ne peut être reconnu comme une victime et reste sans protection, bien que l’article 16 du code civil stipule que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». « Il est vrai que l’embryon porte en lui cette ambiguïté de ne pas dire ‘tout’ de l’homme et en même temps d’en être ‘le’ porteur ». Du côté philosophique, la difficulté n’est pas moindre. D’une part, « ce n’est pas à partir de l’ordre matériel que la spécificité de l’existence humaine peut être donnée » prévient Bénédicte Mathonat, philosophe. Mais la science nous apprend que « le zygote, par nature, est un être possédant son propre patrimoine génétique et, surtout, la capacité que soit développée toute la différenciation organique nécessaire. Il ne peut pas être défini comme un simple ensemble de cellules porteuses d’un génome humain de la même manière que peuvent l’être des cellules de peau qui ne sont que des parties du corps de la personne. Ni même comme des cellules souches qui ne peuvent produire que des tissus différenciés. Il est le début d’un nouvel être humain et il n’y en pas d’autre » poursuit-elle dans une réflexion de sagesse qui ne prétend ni se substituer ni s’opposer à la réflexion scientifique mais lui donner une nouvelle lumière : son sens, sa signification, son intelligibilité. « Si l’embryon peut se structurer selon un ordre qui le perfectionne, c’est qu’il porte en lui une finalité ». ©istock → Gènéthique vous informe En effet, « le développement de l’embryon atteindra sa perfection dans la forme d’une personne humaine, libre, consciente, autonome, capable de relation. Car dans son être, l’embryon possède la capacité d’y parvenir », précise Bénédicte Mathonat. « Dès le début, on doit reconnaître dans l’existence de l’embryon, la présence de la personne humaine, selon un mode qui demeure caché aux sens, mais non à l’intelligence ». L’embryon est-il une personne ? Est-ce à dire que l’embryon est une « personne potentielle » selon la définition du CCNE2 ? Mais alors, à partir de quand et selon quels critères, devient-il une personne ? Multiples sont les réponses, plus ou moins concordistes, qui tentent de faire coïncider les dernières avancées scientifiques avec les postulats philosophiques, et risquent d’éroder le concept de « personne potentielle », c’est-à-dire de passer de la compréhension de « personne en puissance », déjà présente, à celle de « potentialité de personne », autrement dit en personne possible mais non réelle. Par exemple l’embryon conçu in vitro peut-être qualifié de « personne potentielle », mais cela signifie qu’il ne pourra devenir une personne que s’il est implanté dans un utérus. « Pour statuer sur l’embryon, mieux vaut éviter de partir de la notion de personne car dans l’histoire de la pensée, ce terme est plus complexe que celui d’être humain » alerte Bénédicte Mathonat. En effet, selon Boëce, philosophe romain du 5e siècle, la personne est une substance individuée, de nature rationnelle, et donc capable d’être sujet de ses actes, ce qui n’apparaît pas comme tel chez l’embryon. Mais, dès sa conception il est tout entier ordonné à être une personne humaine et doit donc être traité dès sa conception « comme une personne ». Le caractère humain de l’embryon Mais la question demeure : si l’embryon n’est pas encore une personne, que peut-il donc bien être ? « Qualifier l’embryon de personne humaine potentielle, de projet de personne ou de personne humaine en devenir ne résout rien car, finalement, il faut traiter l’embryon comme une personne, ou pas » estime Aude Mirkovic d’un point de vue juridique tout ouvrant une autre question : « Le consensus sur la nature de l’embryon, outre le fait qu’il est introuvable, est un objectif insuffisant : il ne s’agit pas de se mettre d’accord sur ce qu’est l’embryon, mais de rechercher ce qu’il est. Cette recherche n’est pas évidente et comporte des risques d’erreur. Mais c’est là le lot de toute connaissance humaine ». Une posture d’humilité intellectuelle qui est aussi celle de Bénédicte Mathonat : « Il est vrai que l’embryon porte en lui cette ambiguïté de ne pas dire ‘tout’ de l’homme et en même temps d’en être ‘le’ porteur », ce qui peut faire obstacle à l’intelligence contemporaine qui sait davantage déduire qu’induire, remonter du multiple au principe. Mais « quelles que soient les convictions des uns et des autres quant au statut ontologique de l’embryon humain, il est difficile de nier, précisément son caractère humain, à défaut de quoi la science s’intéresserait différemment à lui » déclarait le CCNE en 2008. Une évidence scientifique pour Aude Mirkovic qui soutient que « l’embryon est un être humain », ce que confirme Jacques Testart, père d’Amandine, le premier bébé-éprouvette : « Si l’être humain ne respecte son œuf, il ne respecte pas l’humanité qui est dans l’œuf ». Mais dès le 3e siècle, Tertullien affirmait que « est déjà homme celui qui le sera ». Un simple principe de réalité mais une logique imparable qui devrait incliner les esprits forts ... ■ 1. Comité Consultatif National d’Éthique. 2. Cf. Institut européen de bioéthique : www.ieb-eib.org – « Le statut de l’embryon : la question interdite ! », Aude Mirkovic. Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15 [email protected] - www.genethique.org D irecteur de la publication : Jean-Marie Le Méné - R édacteur en chef : Marie-Anne Chéron I mprimerie : PRD - N° ISSN : 2119.1220