La richesse du théâtre haut en couleurs de « Zé Celso

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La richesse du théâtre haut en couleurs de « Zé Celso
La richesse du théâtre
haut en couleurs de « Zé Celso »
en deux temps, un historique et un témoignage engagé, découvrez ce texte signé par Silvana Garcia, docteur en arts du
spectacle, enseignant la théorie du théâtre à l’Ecole des Arts dramatiques de l’Université de Sao Paulo.
José Celso Martinez Corrêa et le Teatro Oficina : un bref historique
José Celso Martinez Corrêa (1937 -), mieux connu sous le nom de Zé Celso, est considéré comme l’un des artistes les plus créatifs et les
plus provocateurs de l’histoire du théâtre brésilien. Sa carrière artistique a débuté en tant que dramaturge quand il était étudiant en droit
en 1958. En 1961, il fonde le Teatro Oficina (Oficina signifiant l’atelier – le symbole du groupe étant une enclume) et essaye d’offrir une
alternative au théâtre qui règne alors : d’une part, le Teatro Brasileiro de Comédia (théâtre brésilien de comédie), assimilé aux modèles
européens ; de l’autre, l’activisme politique de la classe moyenne du Teatro de Arena. Dans les premières heures du Teatro Oficina, le
répertoire reflète le désir de produire des pièces au réalisme fort, d’auteurs renommés marqués par un souci social, comme Clifford Odets,
Maxime Gorki, Max Frisch et Augusto Boal.
Avec l’intensification de la dictature
© Arthur Max
militaire au Brésil vers la fin des
années 1960, le Teatro Oficina
subit un changement de direction,
présentant une pièce du moderniste
brésilien Oswald de Andrade, King
of Candle (1967), qui offre, avec
une exubérance irrévérencieuse,
une métaphore grotesque de la
corruption et des relations de
pouvoir au Brésil. Ce spectacle a été
une étape importante dans l’histoire
du théâtre brésilien. Il est suivi par
d’autres œuvres qui ont fait gagner
à l’Oficina la réputation d’être au
cœur du théâtre le plus audacieux
et le plus expérimental jamais
produit au Brésil, avec un accent
particulier sur deux productions de
Brecht : Galileo Galilei (1968) et In
the Jungle of the Cities (1969). En
1968, José Celso monte une pièce de Chico Buarque de Holanda (qui – plus tard – sera reconnu comme l’un des plus grands compositeurs
de musique populaire brésilienne), Roda Viva (1968), qui est remarquée, tristement cette fois : une nuit, après la représentation, l’équipe
rassemblée en coulisses est victime d’une lâche attaque de paramilitaires de l’aile-droite militante.
L’Oficina reçoit le groupe américain Living Theatre, avec qui il présente une grande affinité. José Celso joue alors Gracias, Señor (1972),
un spectacle qu’on pourrait – au mieux – décrire comme un grand rituel collectif, largement improvisé, faisant participer le public –
caractéristiques qui ne cesseront de marquer la production de Zé Celso.
En 1974, alors que la situation politique du pays devient insoutenable, Zé Celso est arrêté, puis part en exil, et ce jusqu’en 1978. Entre
ce moment et 1993, il imagine plusieurs projets et luttes pour regagner son théâtre (situé dans un quartier de la classe moyenne de São
Paulo). Finalement, en 1993, il inaugure le nouvel espace de l’Oficina – à la même adresse – remanié dans une construction architecturale
audacieuse (de l’architecte renommé Lina Bo Bardi) : une grande structure de verre et de fer, dont la scène ressemble à une rue, flanquée
de gradins. Ici, la proximité entre les acteurs et le public est presque intime et tout l’espace peut être converti en aire de jeu. Sur cette
nouvelle scène de l’Oficina, José Celso crée des spectacles-fleuves, d’une scénographie vigoureuse, qui ressemblent à des célébrations
collectives, auxquels il se consacre entièrement, imprimant sa marque sur scène et rassemblant autour de lui d’importantes équipes, qui
incluent des membres de la communauté environnante, y compris des jeunes et des enfants. C’est dans ce contexte que nous découvrons
les Bacchantes (1996), dans sa première version.
Le théâtre comme un rituel, unique
Le premier spectacle de l’Oficina auquel je me suis intéressée était The King of Candle, une œuvre qui m’a impressionnée de par les
interprétations irrévérencieuses et audacieuses, aussi bien que par le mélange de cirque, de vaudeville et d’opéra-bouffe, dans un ton
fortement grotesque. Je suis la production de José Celso depuis lors, toujours avec curiosité et intérêt, et toujours surprise par la puissance
de ses représentations.
José Celso est un artiste qui fusionne avec le théâtre lui-même. Sa croyance que le théâtre doit être une grande célébration qui se
prolonge au delà de la représentation est récapitulée dans la notion de te-ato (l’Acte), qu’il adopte vers la fin des années 60, remplaçant
le terme théâtre. L’Acte signifie la dimension « sans médiateur » de la vie devenue art, l’abolition de la frontière entre l’art et la vie.
Cette perception incite Zé Celso à favoriser dans ses spectacles l’état choral, ce qui implique de grandes équipes, et la participation des
personnes de la communauté - non acteurs qui côtoient les acteurs professionnels.
Les représentations de l’Oficina dure des heures. OS Sertões, la dernière production majeure du classique homonyme de l’auteur brésilien
Euclides Da Cunha (1902), a été divisée en cinq parties : la première produite en 2002, la dernière en 2006. Toutes les pièces additionnées,
elles totaliseraient plus de 30 heures de spectacle. Puisque ce sont des célébrations collectives, les œuvres de Zé Celso incluent toujours
de longues périodes d’interaction avec le public, certaines d’entre elles commençant par un défilé dans la rue (une de grande ambition
de Zé Celso a toujours été d’ouvrir l’espace du théâtre pour incorporer les abords et ainsi créer une agora énorme pour la célébration de
la culture populaire).
Ses spectacles sont intensivement préparés car ils sont essentiellement des processus collectifs, comme si c’étaient des rêves que Zé
Celso chérissait avec dévotion, sur des sujets qui lui permettent d’explorer toutes les dimensions de son existence artistique et politique.
Même en travaillant des textes précédemment écrits – comme Hamlet et les Bacchantes – Zé Celso accomplit un processus méticuleux de
réappropriation des textes, les augmentant pour inclure, à un niveau métalinguistique, d’anciennes expériences du groupe, des faits se
rapportant à la vie politique, des références à d’autres spectacles de la compagnie, à des manifestes et de appels pour des causes qu’il
considère importantes.
Cette hybridité apparait également en termes de langage puisque ces spectacles combinent chansons et enregistrement vidéo, alternant
des moments de représentation avec des moments de communion avec le public, ce qui peut inclure le partage de nourriture et de boissons,
avec la participation physique des spectateurs, qui descendent de leurs sièges pour se mêler aux acteurs. La notion du « carnivalization »
convient aux procédés adoptés par Zé Celso : inversions parodiques, blasphème, désacralisation, sensualité, impudeur, joie et exaltation
du corps. Zé Celso a toujours été un libertaire, qui s’est affranchi lui-même de l’autocensure et de la modestie hypocrite. Il n’éloigne pas
de la vue du public la nudité ou la sexualité.
Le théâtre du Teatro Oficina exerce une grande fascination parce qu’il est toujours d’une exubérante théâtralité, il offre une liberté
scénique et un rituel de communion harmonieuse qui marque une rupture avec les pratiques traditionnelles de la scène italienne. Les
spectateurs, particulièrement les jeunes, participent au spectacle avec joie et parfois avec une certaine vénération, et il n’est pas rare de
trouver les personnes qui reviennent deux, trois, plusieurs fois assister au même spectacle.
Les Bacchantes est une œuvre qui rassemble, d’une certaine manière, tous les ingrédients principaux du théâtre de José Celso Martinez
Correa, à la fois une célébration du théâtre lui-même et une fête populaire. Comme dans d’autres œuvres, les Bacchantes mélange le
texte grec d’Euripide avec des échos d’autres réalités et actualités. Cependant, ses créations ne sont jamais fixes, figées, dans leur première
version. Son travail est toujours en cours. A chaque endroit où il se trouve, il réinvente la scène avec une nouvelle réalité. Par conséquent,
chaque reprise de l’Oficina surprend toujours. Exécuté à Moscou en 2005, joué par Nelson Rodrigues, Boca de Ouro - j’en ai été témoin
- a gagné presque deux heures supplémentaires et a développé de nouvelles dimensions d’une manière originale et totalement inattendue.
Assister aux Bacchantes – comme pour tous les spectacles de l’Oficina – signifie entrer en contact avec la puissance du théâtre rituel,
avec son pouvoir « présenciel », qui nait à ce moment-là et qui est unique parce qu’il découle de la disponibilité à aimer, désirer,
s’associer à la communion du public et des acteurs.
J’ai toujours assisté aux spectacles d’Oficina dans l’attente d’être enchantée – comme toujours – par des moments de pure théâtralité, de
faire partie d’un élan d’énergie collective qui nous fortifie et nous excite. Et d’une certaine manière, qui ravive notre amour pour le théâtre.

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