De la tragédie grecque à l`opéra carnavalesque

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De la tragédie grecque à l`opéra carnavalesque
© Nancy Mora
EUROPALIA BRASIL
© Nancy Mora
12 c LA GAZETTE DE LA PLACE
De la tragédie grecque
à l’opéra carnavalesque
Attention les yeux, attention les oreilles ! En adaptant Les Bacchantes d’Euripide, l’inclassable pionnier du théâtre contemporain brésilien José Celso Martinez
Corrêa vous convie à une expérience sensorielle hors du commun. Célébration de Dionysos, Dieu grec du théâtre et du vin, Les Bacchantes deviennent, sous la
baguette magique du metteur en scène, un fabuleux opéra carnavalesque, une vivifiante orgie menée avec une trentaine de comédiens, danseurs, musiciens et
chanteurs. Avec l’implication du public car dans le théâtre de « Zé Celso », la frontière de la scène n’existe pas. C’est à une célébration commune, festive, jouissive,
généreuse et inventive qu’il vous invite en première belge, en clôture du festival Europalia Brasil.
Le théâtre engagé et provocant de « Zé Celso »
Né en 1937, José Celso Martinez Corrêa, mieux
connu sous le diminutif de « Zé Celso » est une
figure majeure du théâtre contemporain brésilien,
l’un des artistes les plus créatifs et provocants du
pays, où il jouit d’un immense respect, tant pour
la qualité de ses spectacles qu’à cause de son
histoire personnelle. Il a débuté sa carrière comme
comédien dès 1958 avant de fonder, en 1961, le
« Teatro Oficina », destiné à offrir une alternative
aux théâtres de tradition plutôt européenne qui
prévalaient à l’époque.
En français, « oficina » peut se traduire par « atelier »,
et le logo de la troupe est une enclume. La troupe
s’attache dans un premier temps à des spectacles
d’un réalisme certain, marqué par des thématiques
très sociales (en montant Maxim Gorky, Max Frisch,
Augusto Boal ou Berthold Brecht). L’intensification
de la dictature militaire au Brésil dans les années 60
va faire évoluer Oficina vers un théâtre plus
directement engagé dans la critique de la société
brésilienne, notamment avec O Rei Da Vela du
Brésilien Oswald de Andrade, métaphore d’une
exubérante irrévérence d’une société corrompue,
toujours considérée aujourd’hui comme un tournant
de l’histoire du théâtre au Brésil. Dès ce moment,
Oficina est devenu le cœur des propositions les plus
osées et expérimentales du théâtre brésilien et va,
forcément, s’attirer les foudres du pouvoir dictatorial.
Dès 1968, Zé Celso et son équipe sont attaqués dans
les coulisses d’un spectacle par des paramilitaires de
droite. Après avoir collaboré avec le Living Theatre
new-yorkais au début des années 70, Zé Celso est
arrêté puis forcé à l’exil en 1974.
De retour au pays en 1978, il devra longuement se
battre pour regagner le droit d’exploiter son théâtre,
installé dans un quartier de São Paulo, le rouvrant
finalement en 1993. Le théâtre de Zé Celso tient
souvent beaucoup plus du rituel collectif que du
spectacle traditionnel.
Impliquant les spectateurs, souvent largement
improvisés, construits autour de très larges castings
qui mêlent comédiens professionnels et membres de
la communauté environnante, les spectacles de Zé
Celso sont de véritables célébrations qui mélangent
allègrement les ingrédients du théâtre, du cirque, de
la danse, de la musique, du vaudeville et visent à
abolir toute frontière entre l’art et la vie.
© Nancy Mora
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www.theatredelaplace.be c 13
As Bacantes
(Les Bacchantes)
José Celso Martinez Corrêa ///
Teatro Oficina – Uzyna Uzona
Du vendredi 13 au dimanche 15/01
Ven 19:00 /// Sam et Dim 16:00 /// Manège
E 5h (entractes compris) /// Portugais surtitré FR
EXCLUSIVITÉ EN BELGIQUE
! Silvana Garcia
« Une théâtralité exubérante,
une grande liberté scénique »
Professeur de théorie du théâtre au sein de l’école d’Arts Dramatiques
à l’Université de São Paulo, Silvana Garcia est une experte de l’œuvre de Zé Celso,
auquel elle a consacré plusieurs de ses nombreux textes et ouvrages.
A quoi ressemble la version de Zé Celso
des Bacchantes d’Euripide ?
C’est une forme de théâtre qui semble
d’ailleurs attirer un large public au Brésil.
C’est un spectacle qui rassemble tous les constituants
majeurs de son théâtre. Une célébration du théâtre
lui-même et une fête populaire à la fois. Comme
toujours, Zé Celso propose ici un spectacle qui est
conçu avant tout comme un processus essentiellement
collectif : c’est un spectacle choral, avec un casting
très large qui n’est pas composé que d’acteurs
professionnels, et il provoque une grande implication
du public lui-même dans la représentation, vue
comme une célébration collective. Comme dans
d’autres spectacles, As Bacantes mélange le texte
grec d’Euripide avec des échos d’autres champs de
réalité et d’actualité. Zé Celso s’approprie le texte
d’Euripide pour mieux englober les autres « textes »
que sont l’expérience du groupe, des faits de la vie
politique du Brésil, des films vidéo, des chants, de la
musique électronique produite sur fond de rythmes
tribaux brésiliens. On y alterne les moments de
représentation théâtrale avec d’autres qui sont de
l’ordre de la communion avec le public.
Oui, les spectateurs, spécialement les jeunes, prennent
part au spectacle avec joie et parfois avec une
certaine révérence. Il n’est pas rare de rencontrer des
gens qui sont retournés voir plusieurs fois le même
spectacle de la compagnie, tant cette impression de
rituel collectif est grande. Pour ma part, j’assiste
toujours à un spectacle d’Oficina avec la certitude
d’être enchantée par de purs moments de théâtralité
mais aussi avec le plaisir de faire partie d’une énergie
collective qui revigore et qui excite. Et qui, quelque
part, renouvelle notre amour du théâtre.
On parle parfois de « carnavalisation
du théâtre » à propos des spectacles
de Zé Celso …
Cela décrit assez bien les procédures adoptées par
Zé Celso : inversions parodiques, désacralisation,
sensualité, joie et exaltation du corps, absence
de pudeur. Il a toujours été un libertaire qui s’est
affranchi de longue date des chaînes de l’autocensure
et de la modestie hypocrite. La nudité ou la sexualité
sont présentes. Par ailleurs, les spectacles d’Oficina
sont marqués par une théâtralité exubérante, une
grande liberté scénique, une forme d’harmonie
collective qui représentent une cassure nette avec
les pratiques traditionnelles du théâtre pour se
rapprocher, en effet, du carnaval.
Texte Catherine Hirshi, Marcelo Drummond,
José Celso Martinez Correa
Metteur en scène José Celso Martinez Correa
Avec Jose Celso Martinez Correa, Camila
Mota Almeida, Marcelo Maximo de Almeida
Pizarro Drummond, Mariano Mattos Martins,
Acauã Sol Oliveira Brauns, Anna Gui
Knopfholz Durães, Camila de Paula Miranda,
Carina Iglecias, Celia da Silva Nascimento,
Daniele Cristina Oliveira, Fabiana Serroni
Perosa, Frederick de Amorim Steffen Benfica,
Letícia Barbosa Coura, Lucas Weglinski
Andrade, Lucia Helena da Cunha Gayotto,
Marcio Luis Teles da Silva, Naomy Scholling,
Pascoal Ferreira da Conceição, Patricia
Marsigli Afonso, Rodolfo Augusto Paes Dias,
Sylvia Prado Lopes, Vera Maria Tereza Barreto
Valdez
Musiciens Felipe Ionescu Botelho,
José Ulpiano de Castro del Picchia,
Mariana Valdez de Moraes, Pedro Henrique
Garbellotto Manesco, Uilson Alves da Silva,
Vitor Barros Barbosa de Araujo
Le mythe des Bacchantes
Les Bacchantes, c’est, à l’origine, une tragédie du grec Euripide, écrite
en 405 avant notre ère. Elle narre le retour à Thèbes du dieu Dionysos,
né d’une des multiples incartades de cet indécrottable coureur de
jupons de Zeus avec une mortelle, Sémélé, qui, comme les autres,
subira les foudres de la jalouse épouse de Zeus, Héra. Les Bacchantes
sont des femmes qui délivrent un culte extatique à Dionysos.
Déguisé en mortel, ce dernier s’oppose à son cousin Penthée, roi de
Thèbes, qui refuse de reconnaître son culte. S’ensuivent les moultes
péripéties de la tragédie grecque, quiproquos et déguisements,
veules traîtrises et violentes vengeances, destructions terribles,
orgies démesurées et parents s’entretuant par méprise. Si, comme la
plupart des tragédies grecques, le texte offre quantité de tiroirs, Les
Bacchantes a assurément pour thème central la religion et son refus,
proposant une réflexion, à la fois délirante et profonde, sur la déité via
l’avènement d’un dieu « nouveau ».