1 LE BOUC EMISSAIRE DANS L`HISTOIRE ET
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1 LE BOUC EMISSAIRE DANS L`HISTOIRE ET
LE BOUC EMISSAIRE DANS L’HISTOIRE ET LA CULTURE RUSSE XVIIIE – XXE SIECLES Colloque international organisé par le Centre d’Études en Civilisations, Langues et Littératures Étrangères (EA 4074 CECILLE) 24-25 novembre 2016 Université de Lille (site de Villeneuve d’Ascq) Comité d’organisation : Andreï Kozovoï (porteur du projet), Serge Rolet, Hélène Mondon, Camille Masse. Comité scientifique : Rodolphe Baudin (Strasbourg), Sophie Cœuré (Paris VII) Andreï Kozovoï (Lille), François-Xavier Nérard (Paris I), Marie-Pierre Rey (Paris I), Serge Rolet (Lille), Alexandre Sumpf (Strasbourg), Cécile Vaissié (Rennes). « Du robinet l’eau ne coule plus – ce sont les Juifs qui ont tout bu ! » Cette tchastouchka (court poème humoristique) très connue en Russie raille l’antisémitisme ambiant tout en constituant une trace du statut de bouc émissaire du Juif à travers les âges. L’histoire russe regorge d’exemples où le Juif a tantôt servi de bouc émissaire à la « base », tantôt au « sommet » de la société. Qu’on se souvienne du décret d’expulsion des Juifs d’Ukraine par Catherine Ire en 1727, des pogromes qui font suite à l’assassinat d’Alexandre II en 1881 ou après la révolution de 1905. Rappelons aussi les tristement célèbres « affaires » : celle de Beïlis – le « Dreyfus russe » – en 1911 et celle des « blouses blanches » en 1953. Il est possible d’étudier l’antisémitisme en Russie pour et en lui-même. Il est tout aussi intéressant d’inscrire celui-ci dans une étude globale des boucs émissaires en Russie. Cela ne consiste pas à orienter la réflexion vers la polémique ou la controverse. Ce n’est pas, non plus, diaboliser la Russie – tous les pays ont, dans leur histoire, connu des périodes où des individus ou des groupes ont été désignés plus ou moins arbitrairement responsables des problèmes rencontrés par la collectivité. Travailler sur le bouc émissaire en Russie, c’est examiner sous un angle original les stratégies et les pratiques de l’ingénierie sociale, la violence et les répressions d’un « État contre son peuple » (Nicolas Werth). C’est aussi s’interroger sur le rapport de la Russie au monde et globalement, à réfléchir sur sa culture politique (images, discours et pratiques), la manière dont se forment et se manifestent les représentations et les émotions, l’émergence de l’idée et de l’institution judiciaire, la mémoire d’un peuple enfin. C’est faire de l’histoire politique, mais aussi culturelle et sociale. L’histoire russe, riche en drames, offre un territoire d’exploration particulièrement stimulant pour l’étude d’un phénomène aussi fascinant. Les boucs émissaires foisonnent – individus, groupes, États, groupes de pays, organisations supranationales, aires culturelles. Une partie d’entre eux sont accusés de méfaits concrets : épidémies, catastrophes naturelles, assassinats, famines, crises économiques. Le pouvoir a souvent désigné comme boucs émissaires des personnes proches de ceux qu’il cherchait à 1 impressionner et/ou qu’il ne pouvait ou ne souhaitait pas atteindre directement. Staline cherche à faire peur à son plus fidèle lieutenant, Molotov, en arrêtant sa femme, Polina Jemtchoujina ; Olga Ivinskaïa, compagne et muse du poète et écrivain Boris Pasternak, est condamnée à deux reprises, sous Staline et Khrouchtchev, alors que l’écrivain, lui, n’est jamais arrêté. Les boucs émissaires auraient aussi eu des desseins plus vastes : empêcher la Russie d’accomplir sa « destinée manifeste », de construire le communisme, de « rattraper et dépasser » l’Occident ou de « trouver sa voie », de se moderniser ou de renouer avec ses supposées racines nationales, d’être une grande puissance enfin. Certains auraient miné la Russie de l’intérieur. Citons des exemples de dirigeants : Khrouchtchev diabolisé pour avoir « donné la Crimée » à l’Ukraine, Brejnev pour sa « stagnation », Gorbatchev et Eltsine pour avoir provoqué l’effondrement de l’URSS. Citons des groupes ethniques, sociaux et politiques : Juifs, Caucasiens, paysans, mencheviks… D’autres auraient cherché à affaiblir la Russie de l’extérieur. La Russie a toujours eu de nombreux ennemis, et tout l’abord l’Occident. « L’Occident a besoin d’une Russie faible » qu’on entend-on souvent en Russie depuis l’effondrement de l’URSS reflète bien cette tendance. À ce titre, il est intéressant de voir comment des livres et des films ont aussi devenir des boucs émissaires des problèmes sociaux aux yeux des autorités. Citons l’exemple du film Les Sept mercenaires (1960), peut-être le film américain le plus populaire en URSS des années 1960, qui fut accusé de contribuer à la délinquance juvénile par les instances du Komsomol. La notion de bouc émissaire est dynamique. De manière synchronique, le pouvoir russe a pu instrumentaliser l’opinion publique dans sa quête de boucs émissaires, comme avec les Cent-Noirs, organisation antisémite soutenue secrètement par Nicolas II. À l’inverse, l’opinion a pu influencer la position du pouvoir, comme pour les « oligarques » dans les années 1990, accusés d’avoir pillé les ressources russes, qui aident d’abord Eltsine avant que celui-ci ne prenne ses distances, en partie sous la pression de l’opinion. De manière diachronique, les boucs émissaires participent à la formation d’une mémoire collective et d’une histoire nationale russes, non sans la caution, parfois, d’historiens occidentaux. Depuis le XIXe siècle, le « retard russe » a trouvé son explication principale dans « le joug tataro-mongol ». Le statut du bouc émissaire peut aussi fluctuer radicalement en fonction des époques. Staline fut critiqué sous Khrouchtchev, partiellement réhabilité sous Brejnev, diabolisé de nouveau sous Gorbatchev et Eltsine. Ce colloque se propose d’étudier le phénomène de bouc émissaire en Russie du XVIIIe au XXe siècle en utilisant comme fil directeur le rôle de l’État dans la création et/ou la récupération des boucs émissaires, que l’on définira comme cibles de discours et/ou de pratiques culpabilisants. À partir de la question centrale – que nous apprennent les boucs émissaires sur la nature et l’exercice du pouvoir en Russie ? – les communications pourront être problématisées à partir des thématiques suivantes : 1) Diachronie. Peut-on distinguer des périodes « riches » et les périodes « pauvres » en boucs émissaires ? Quelles sont les ruptures et les continuités, pour ce qui est des boucs émissaires, entre la Russie dite d’ancien régime au sens large (XVIIIe siècle – février 1917), ceux de la Russie soviétique (1917- 2 2) 3) 4) 5) 1991) et ceux de la Russie d’Eltsine ? Dans quelle mesure la construction d’un Empire entraîne-t-elle la multiplication de boucs émissaires ? Géographie et relations internationales. Quelles sont les logiques géographiques à l’œuvre ? Pourront être abordées la formation des « territoires d’exclusion » (« zone de résidence » des Juifs, les quartiers pour les étrangers), la diabolisation en fonction d’origines spécifiques (Caucase), la dimension transfrontalière. Les territoires cachés : le polygone de Boutovo, site d’exécution des boucs émissaires du régime stalinien ? L’impact des boucs émissaires sur les relations internationales : l’antisémitisme offre ici de nombreux angles d’approche. Comparatisme. L’interculturalité offre également un terrain d’exploration intéressant : la comparaison a déjà été tentée pour les grandes affaires antisémites, notamment par Albert S. Lindemann (The Jew accused. Three antisemitic affairs : Dreyfus, Beilis, Frank, Cambridge University Press, 1992), mais il est certainement possible de trouver d’autres exemples. On peut aussi comparer la manière dont la Russie et les anciennes républiques, ainsi que les anciens « pays satellites », invoquent les pesanteurs du passé communiste pour expliquer leurs problèmes actuels, notamment économiques. Sources. Comment écrire une histoire sociale et culturelle des boucs émissaires en Russie qui tienne compte des différentes parties en présence ? Quelle foi prêter aux sources « populaires » (tchastouchki, anekdoty) ? Qu’en est-il du discours des boucs émissaires eux-mêmes ? Quels sont les liens entre la langue russe et le phénomène de bouc émissaire ? Enjeux. L’antisémitisme et l’antiaméricanisme sont-ils des instruments politiques du pouvoir russe ? Pourraient ici être explorées les fonctions de catharsis ou d’ingénierie sociale, de légitimation ou de sortie de crise, et globalement, distinguer les enjeux stratégiques et tactiques. Les enjeux mémoriels sont également importants. Il convient aussi de se pencher sur les éventuelles conséquences indirectes. Par exemple : la lutte contre les préjugés et les boucs émissaires a-t-elle contribué à l’émergence d’une société civile russe, d’une justice indépendante, de l’institution des avocats ? En quoi l’antisémitisme a-t-il pu favoriser l’étude des langues et la traduction de textes étrangers ? Quel est l’impact sur la formation des partis politiques, notamment sur le Bund ? Les propositions de communications (200 mots), ainsi qu’un bref CV seront adressés avant le 25 octobre 2015 à Andreï Kozovoï : [email protected] Les présentations auront une durée de 20 minutes. Langues de travail : français, anglais. Date de la communication des avis du comité scientifique : 2 novembre 2015. Le colloque fera l’objet d’une publication. Droits d’inscription : 100 €. Les frais de voyage et de séjour sont à la charge des participants. 3 THE SCAPEGOAT IN RUSSIAN HISTORY AND CULTURE XVIII – XX CENTURY International Conference Organised by the Center for Studies of Foreign Civilisations, Languages and Literatures of the University of Lille November 24-25, 2016 University of Lille (Villeneuve d’Ascq campus) Organisation committee: Andrei Kozovoi, Serge Rolet, Hélène Mondon, Camille Masse Scientific committee: Rodolphe Baudin (University of Strasbourg), Sophie Cœuré (University of Paris VII) Andreï Kozovoï (University of Lille), François-Xavier Nérard (University of Paris I), Marie-Pierre Rey (University of Paris I), Serge Rolet (University of Lille), Alexandre Sumpf (University of Strasbourg), Cécile Vaissié (University of Rennes). “If there is no water in the taps, that means the Jews have drunk everything!” The wellknown sarcastic ditty (chastushka) derides rampant antisemitism in Russia. Russian culture and history contain many traces of this kind, where the Jew is seen as a scapegoat. Antisemitism emanated from “below” as well as from “above”. Famous examples are the 1727 ukaz of Catherine I, the pogroms in the wake of the assassination of Alexander II in 1881 and the 1905 revolution; the infamous “case of Mendel Beilis” in 1911 and the “doctors’ plot” in 1953. During the Russian civil war, “Whites” and “Reds” were equally guilty of antisemitic violence. Thes list goes on. It is possible to examine antisemitism in Russia for itself and in itself, but it is also interesting to integrate this phenomenon in a more general study of scapegoats in Russia. To discuss scapegoating in Russian history and culture does not mean leaning towards polemics or controversy. There is no desire to demonize Russia here – all countries have at certain periods of their history designated more or less arbitrarily individuals or groups as culprits for collective problems. The concept of a scapegoat in Russian history and culture not only allows one to see in the new light certain strategies and practices of social engineering, state-instigated violence and repression (Nicolas Werth’s concept of “the State vs. society”). It can also prompt the examination of Russia’s relations with the outside world, and more broadly, the evolution of political culture in Russia (images, discourses and practices), the way representations and emotions, the idea and the institution of justice, and collective memory were formed. The study of scapegoating is the province of political, cultural and social history. The often dramatic Russian history offers an inspiring glimpse into such a fascinating phenomenon. Scapegoats in Russia abound: individuals, groups, states, groups of states, transnational organizations, cultural spaces. Some of them were accused of concrete events and calamities, like epidemics, natural disasters, assassinations, famines and economic crises. Scapegoats were sometimes found in order to bully others into submission and/or because the ‘main culprit’ was untouchable. Thus, Polina 4 Zhemchuzhina, the wife of Stalin’s most trusted accomplice, Vyacheslav Molotov, was arrested in order to pressure him. A similar fate awaited Olga Ivinskaya, Boris Pasternak’s paramour, who endured a double stint in the Stalinist and Krushchevian labour camps for her relationship with the writer, while the latter never suffered an arrest. Others supposedly had long-term objectives, such as to prevent Russia from realising her “manifest destiny”, to build communism, to “catch and overtake” the West, or to “find her path”, to modernize or to uncover her national roots, to become a great power. Some of these scapegoats were home-grown, including political leaders accused of weakening Russian power, such as Khrushchev for “offering” Crimea to the Ukrainians, Brezhnev for “stagnation”, Gorbachev and Yeltsin for the destruction of the Soviet Union. Others were not individualized, only categorized from a political, ethnical, or social point of view: Jews, Caucasians, peasants, the Mensheviks, etc. Still others acted from without. Russia always had many external enemies, principally the West. The claim that “the West strives for a weak Russia” has become almost a truism since the fall of the Soviet Union in public discourse. Foreign books and movies frequently become the objects of official and popular wrath for supposedly “weakening the fighting spirit of the population” or “corrupting the young.” Komsomol officials, for instance, considered The Magnificent Seven, perhaps the most popular American feature in the 1960s Soviet Union, as the main factor driving up the rates of juvenile delinquency. The notion of scapegoats is a dynamic one. Russian authorities directly made scapegoats of certain people, while simultaneously using proxies to do their bid for them, such as the Black Hundreds secretly financed by tsar Nicholas II. Conversely, public opinion sometimes influenced the autorities’ position. Yeltsin turned his back on the “oligarchs” after those billionnaires had helped him win the presidential elections of 1991. Diachronically, scapegoats contribute to the formation of collective memory and national history, sometimes with a little help from Western historians. For instance, the official national history, as well as some Western historians, hold the ‘Mongol yoke’ responsible for Russia’s continuous backwardness since the 19th century. Moreover, the same person can become a scapegoat, then shed this status later on. To wit, Stalin was criticized under Khrushchev then partially rehabilitated under Brezhnev, only to be demonized again under Gorbachev and Yeltsin. The purpose of this conference is to study scapegoating and scapegoats in Russia from the 18th to the 20th century employing as a guiding line the role of the Russian / Soviet state in creating or exploiting popular scapegoats, which are defined here firstly by guilt-inducing discourses and/or practices. The central question here is “How do the scapegoats inform the nature and practices of power in Russia?” To that effect, presenters are invited to use examples cited above, as well as explore the various aspects mentioned hereafter: 1) Diachrony. Are there certain historical periods that yield a greater or a fewer number of scapegoats? What are the breaking points and continuities between tsarist Russia, Soviet Russia and post-Soviet Russia? In which way the construction of the Russian Empire reinforced the place and role of scapegoats? 5 2) Geography and international relations. What are the geographical factors influencing the emergence of scapegoats? Various “territories of exclusion” could be relevant here (Pale of Settlement, foreigners’ quarters, etc.), as well as the demonization based on geographical origin, the transnational dimension. “Hidden” territories: for example, can the Butovo firing range be considered as a site of execution of scapegoats during the Stalin era? The impact of scapegoats on international relations: antisemitism offers many possibilities in this respect. 3) Comparative history. Intercultural history is also to be considered. For antisemitism in a European perspective, see, for instance, Albert S. Lindemann (The Jew accused. Three antisemitic affairs : Dreyfus, Beilis, Frank, Cambridge University Press, 1992), but there are many other perspectives. It is also possible to compare the way Russia and the former Soviet republics, as well as “satellite states”, explain away their current problems, especially economic, by invoking the communist past. 4) Sources. How to write a history of scapegoats in Russia that takes into consideration all the parties? To which extent can we trust “popular” sources, such as chastushki and anekdoty? Did the scapegoats influence Russian language? 5) Related issues. How did the authorities use the scapegoats as instruments of policy and social control? Themes that could be exploited are catharsis, social engineering, legitimation, exit from a crisis, and more broadly, strategic and tactical objectives. Memory issues are also important. One could consider an indirect impact on society. For instance, the fight against prejudice contributing to the emergence of Russian civil society, of the idea of independent judiciary. Did antisemitism indirectly encourage the study of foreign languages (enabling one to read foreign antisemitic texts), and translation of foreign texts? What about the development and operation of political parties, such as the Bund? Abstracts of 300 words and an abbreviated CV to be sent to Andrei Kozovoi ([email protected]) by October 25, 2015. Selection of presenters: by November 2, 2015. 20 minute papers can be presented in French or English. Participation fee: 100€. Participants are required to arrange their own travel and accommodation. 6