Frank Wedekind - Théâtre de Privas

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Frank Wedekind - Théâtre de Privas
Théâtre de Privas
Scène Conventionnée / Scène Rhône-Alpes
Direction Dominique Lardenois
©Michel Klein
Dossier d’accompagnement L’EVEIL DU PRINTEMPS
D’après Frank Wedekind
Mise en scène et adaptation Omar Porras Teatro Malandro
JEUDI 14 FEVRIER | 19h30 VENDREDI 15 FEVRIER |20h30 Théâtre DURÉE 1H45 + rencontre avec les artistes à l’issue des représentations. Lycée Place André
BP 623 – 07006 Privas Cedex
www.theatredeprivas.com Pourquoi un dossier d’accompagnement ? Le dossier d’accompagnement est un outil que nous mettons à votre disposition pour vous donner des éléments sur le spectacle et la compagnie qui l’a créé. Nous vous laissons le soin de vous emparer de ces éléments pour sensibiliser les élèves avant le spectacle ou encore continuer à le faire après la représentation. Parce que votre parole est essentielle : 0
Parce que nous souhaitons connaître votre avis sur les spectacles que vous êtes venus voir et parce que votre ressenti et le regard que vous portez sur les propositions artistiques sont essentiels, l’équipe du Théâtre de Privas vous invite à partager vos réflexions sur les spectacles. Vos impressions sont donc les bienvenues. Nous attendons aussi les retours de vos élèves : Merci de les encourager à nous rejoindre ! Contact :
Elise Deloince
Relation
avec
les
publics et
communication
Tél. 04 75 64 93 44
[email protected]
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L’EVEIL DU PRINTEMPS
D’après Frank Wedekind
Mise en scène et adaptation Omar Porras
Teatro Malandro
Sophie Botte : Madame Gabor, Ilse et une jeune fille Olivia Dalric : Madame Bergmann, Frau Fliegentod et une jeune fille Peggy Dias : La Directrice et une jeune fille Alexandre Ethève : Hans et un professeur Adrien Gygax : Otto et Monsieur Gabor Paul Jeanson : Melchior Jeanne Pasquier : Wendla, Frau Knuppeldick et une jeune fille François Praud : Moritz et le Pasteur Anna‐Lena Strasse : Martha et Frau Habebald Assistant à la mise en scène : Jean‐Baptiste Arnal Compositeur : Alessandro Ratoci Scénographie : Amélie Kiritzé‐Topor Costumes : Irène Schlatter Perruques /maquillage : Véronique Nguyen Direction technique : Olivier Lorétan Accessoires : Laurent Boulanger Création son : Emmanuel Nappey Création lumière : Mathias Roche Administration : Florence Crettol Communication : Sara Dominguez Production : Teatro Malandro, Genève, Suisse Coproduction : Théâtre Forum Meyrin, Espace Malraux Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie Avec le soutien : Ville de Genève département de la culture République et Canton de Genève ‐ Commune de Meyrin – Pro Helvetia, fondation suisse pour la culture ‐ Fondation Meyrinoise pour la promotion culturelle, sportive et sociale ‐ Fondation Hans Wilsdorf ‐ Fondation Leenaards 3
RESUME DE LA PIECE
Acte I Wendla, qui vient d'avoir quatorze ans, est censée porter dorénavant une robe plus longue, mais face à son refus de revêtir cet « habit de pénitence », Mme Bergmann accepte que sa fille continue à porter sa petite robe pendant encore un été, à condition que l'ourlet en soit rallongé de quelque centimètre. Moritz Stiefel et Melchior Gabor, au lieu de rentrer à la maison pour faire leurs devoirs comme leurs camarades, se promènent en discutant de l'école, de l'existence et de la sexualité. L'un veut dévoiler à l'autre les mystères de la reproduction, mais Moritz préfère que Melchior lui donne ses explications par écrit et les lui glisse entre deux livres, afin qu’ils les retrouvent un jour par hasard. Wendla, Martha et Ilse, bras dessus bras dessous, remontent la rue en bavardant. Martha parle de la sévérité de ses parents. Toutes trois s'accordent à dire que si elles avaient un jour des enfants, elles préféreraient avoir des garçons. Melchior passe et les salue de loin. Melchior et ses camarades attendent que Moritz sorte de la salle des professeurs, où ce dernier est entré par effraction pour consulter les registres scolaires. Le jeune homme est heureux et soulagé : il est admis en classe supérieure, quand bien même son admission ne soit que provisoire. Melchior et Wendla se rencontrent par hasard dans la forêt. Ils discutent de la pauvreté et de la charité, puis Wendla, qui ‐contrairement à son amie Martha ‐ n'a jamais été battue, prie Melchior de la frapper. Acte II Moritz, qui craint d'échouer à l'école, raconte à Melchior l'histoire de la « Reine sans tête », qui épousa un Roi pourvu de deux têtes. Mme Gabor, la mère de Melchior, leur apporte du thé et désapprouve qu'ils lisent le Faust de Goethe à leur âge. Restés seuls, les deux jeunes gens évoquent la sexualité : Moritz a enfin lu les pages où Melchior lui dévoile tout ce qu'il sait sur la reproduction. Mme Bergman annonce à sa fille qu'elle est devenue tante pour la troisième fois : la cigogne a en effet apporté un bébé à sa sœur aînée. Wendla, qui ne croit plus à ce genre de fable, supplie sa mère de lui expliquer comment on fait des enfants. Mme Bergman finit par promettre de tout lui révéler, mais elle se contente de lui dire qu'il suffit pour cela d'aimer un homme « de tout son coeur ». Melchior évoque toutes les images de femme qui ont nourri tour à tour ses rêveries érotiques et qu'il a supprimées les unes après les autres, comme Barbe‐Bleue a tué ses épouses ou Othello étranglé Desdémone. Wendla le surprend alors qu'il est seul et le jeune homme l'embrasse. La jeune fille, malgré sa frayeur, ne lui résiste pas. 4
Mme Gabor écrit une lettre à Moritz, dans laquelle elle lui signifie gentiment son refus de l'aider financièrement. Ce dernier, qui voudrait s'enfuir en Amérique après son échec scolaire, menace de se suicider si elle ne lui vient pas en aide. Moritz s'apprête à prendre congé de la vie. Il rencontre Ilse, qui mène une vie de Bohème en servant de modèle à des peintres, mais il refuse de l'accompagner chez elle. Sans regretter cette «occasion manquée » qui l'aurait détourné de son projet, il se prépare à mettre ce dernier à exécution après avoir brûlé la lettre de Mme Gabor. Wendla est sortie en cachette de sa chambre pour chercher des violettes. Profondément troublée par ce qui s'est passé entre elle et Melchior, elle n'a personne à qui se confier. Acte III On célèbre les funérailles de Moritz, qui s'est suicidé. Son père, la mine défaite, ne cesse de répéter que cet enfant « n'était pas de lui ». Les camarades du jeune homme, quant à eux, discutent des circonstances du suicide. Le couple Gabor s'affronte à propos de Melchior. Sa mère le défend bec et ongles, mais lorsque son mari, lui reprochant ses méthodes d'éducation trop tolérantes, lui révèle que leur fils a séduit une enfant de quinze ans, elle accepte qu'il soit mis dans une maison de correction. Dans le nouvel établissement qui l'accueille, Melchior ne pense qu'à une chose : s'évader et rejoindre Wendla. Wendla est alitée. Selon le médecin, elle souffre d'anémie, mais elle est convaincue qu'il s'agit d'hydropisie. Mme Bergmann, pour sa part, a fait appel aux services de la mère Schmidt. Otto et Hans, deux ex‐camarades de Melchior et Moritz, participent aux vendanges et se déclarent mutuellement leur amour. Melchior, échappé de la maison de correction et escaladant le mur du cimetière, est rongé par les remords pour avoir séduit Wendla et l'avoir conduite à la mort. Alors qu'il lit l'épitaphe gravée sur la tombe de la jeune fille, le fantôme de Moritz lui apparaît. Celui‐ci l'invite à lui donner la main et à le rejoindre dans son monde, dont il brosse un tableau idyllique. Mais un Homme masqué met Melchior en garde. Moritz n'est autre qu'un fanfaron. Quant à Wendla, elle n'est pas morte par sa faute, mais à cause des méthodes abortives de la mère Schmidt. Il invite Melchior à l'accompagner : il lui fera connaître « tout ce que le monde offre d'intéressant ». Moritz, reconnaissant ses torts, lui conseille d'accepter. Resté seul, le fantôme s'apprête sereinement à réintégrer sa tombe, dont Melchior ‐ parti à la découverte du monde ‐ avait renversé la croix par mégarde. 5
UNE FABLE INITIATIQUE...
Paru en 1891, mais créé non sans scandale en 1906, L'Eveil du printemps (Frühl ing Erwachen) demeure une œuvre incontournable dans l'histoire du théâtre. Sa peinture des troubles de la sexualité naissante chez un groupe d'adolescents, son réalisme psychologique et la qualité de ses intuitions seront admirés par Freud lui‐même. Wedekind porte en effet très loin pour son époque la réflexion sur le problème sexuel dans une société foncièrement puritaine. Brocardant joyeusement les instances religieuses, pédagogiques et parentales, le dramaturge allemand n'hésite pas à attaquer frontalement l'hypocrisie morale de son époque, qui règle le problème posé par l'éveil à la sexualité en ignorant purement et simplement celui‐ci ! Face aux affres du désir et de la jouissance, les adolescents adoptent les solutions que le puritanisme des adultes condamne le plus: sado‐masochisme, onanisme, homosexualité, débauche, sans parler de l'avortement et du suicide. Ainsi, Frau Bergmann évite soigneusement d'expliquer à sa fille Wendla, tiraillée entre l'innocence et la curiosité, comment naissent les enfants, la condamnant à perdre d'abord sa virginité avec Melchior, puis sa vie lors d’un avortement forcé. Moritz, quant à lui, a de la peine à se concentrer sur ses études et finit par se suicider d’une balle dans la tête. Hans et Otto découvrent de leur côté leur attirance mutuelle. Melchior, enfin, le plus téméraire et le mieux informé sur les mécanismes du sexe, est envoyé en maison de correction, avant de rencontrer un mystérieux personnage qui va changer le cours de son destin… La pièce de Wedekind est une fable initiatique à la portée universelle. Elle explore de façon à la fois symbolique et poétique l'apprentissage du désir au sein de l'ordre collectif, le passage de l'adolescence à l'âge adulte tel qu'il est vécu par chaque être humain. 6
LE PROJET ET SES DECLINAISONS
L'Eveil du printemps apparaît comme un texte incroyablement actuel. Il explore les peurs et les désirs, les angoisses et les découvertes qui jalonnent la parabole de l'enfant appelé à devenir adulte: la difficulté de grandir, la tentation d'éterniser l'enfance, le rêve d'en préserver la richesse émotionnelle, de continuer à explorer les territoires du rêve et du fantasme. Ce sont là des thèmes qui nourrissent depuis longtemps la recherche théâtrale d'Omar Porras et du Teatro Malandro: l'enfance vue comme un univers fantastique, la nostalgie de cette beauté que le monde des adultes semble devoir détruire impitoyablement, frustrant les adolescents de leurs rêves, l'idée ‐propre aux artistes et aux poètes ‐ que cette fantaisie peut et doit être conservée, car l'art, comme le rappelle Baudelaire, est justement « l'enfance retrouvée à volonté ». Et parmi les expressions artistiques intiment associées à cette période de la vie que chaque être humain est appelé à traverser, la musique est celle qui traduit le mieux les rêves et les révoltes, l'angoisse et la nostalgie caractérisant le passage à l'état adulte. C'est pourquoi la mise en scène de la pièce se fondera sur ces deux éléments essentiels: la jeunesse et la musique. La jeunesse: celle de l'équipe destinée à interpréter une pièce dont c'est justement le sujet. La musique: le langage qui mieux que tout autre traduit les émotions de l'adolescent. Tout adulte associe les mélodies qui l'ont marqué durant son adolescence aux principales étapes de son évolution vers l'âge adulte, d'une génération à une autre. L'Eveil du printemps est un texte où le verbe trouve un prolongement presque naturel dans le chant et la musique, comme en témoignent les adaptations musicales récentes (Spring Awakening. A New Musical ou encore, dans le domaine de la musique classique, l'opéra Frühling Erwachen de Benoït Mernier). L’UNIVERS MUSICAL
Tel un corps qui a besoin d’un souffle pour se mouvoir et avancer, le théâtre d’Omar Porras a besoin d’un univers musical pour accompagner la construction et la progression du jeu théâtral. Ainsi, c’est parallèlement à la création du spectacle que le compositeur imagine un espace sonore et rédige l’expression musicale du spectacle. Lorsque l’on questionne le compositeur sur la ligne musicale qui guidera l’avancement de l’œuvre théâtrale, il n’affirme rien. Il parle de désir celui de faire jaillir une expression vocale de cette adolescence en révolte, d’envie celle de bousculer la barrière de la parole pour qu’elle devienne chant. Pas de styles musicaux définis, la collaboration sur le plateau entre le compositeur, le metteur en scène et les comédiens donnera naissance à l’expression musicale qu’il imagine plutôt contemporaine. La situation théâtrale et le texte laisseront également apparaître des moments musicaux (des bourdons, grondements, cœurs de feuilles...) et des comportements vocaux qui s’imbriqueront dans le décor et participeront à la création d’une scénographie sonore. 7
TRADUIRE WEDEKIND : L’ALCHIMIE DU TEXTE
PAR MARCO SABBATINI
À chaque fois qu'il s'attaque à un nouveau texte, Omar Porras l'explore directement sur le plateau, sans le soumettre à un quelconque « travail à la table », n'hésitant pas à désacraliser le verbe pour mieux en révéler les potentialités théâtrales. Ce processus de recherche tous azimuts autour des personnages et des nœuds dramatiques de l'œuvre constitue la base sur laquelle se construiront l'adaptation et le spectacle lui‐même. Pour déployer toutes ses richesses, le texte doit provisoirement s’émanciper de son carcan littéraire et s’ouvrir à l’improvisation des comédiens. Les propositions de ces derniers sont la matière première que le metteur en scène, tel un sculpteur, façonne inlassablement jusqu'à aboutir à une forme organique, où tous les ingrédients du spectacle ‐ verbe, jeu, musique, scénographie, costumes, lumière et technique ‐ s'amalgament comme par magie. L'interprétation qui en résulte, parce qu'elle se fonde sur une approche plus créative qu'intellectualisante, parvient bien souvent à restituer à l'œuvre toute sa vigueur théâtrale ; et, en réactivant les enjeux et les tensions qui l'innervent, elle l'arrache au joug d'une tradition parfois trop paresseusement ancrée dans les mémoires. Face à ce travail de réappropriation progressive où les changements de cap peuvent être nombreux, le dramaturge a pour tâche de préserver la cohérence du texte, en examinant les tenants et les aboutissants de chaque option envisagée, aussi éphémère soit‐
elle. Et s'il y a une œuvre qui se prête à une telle démarche, c'est bien L'Éveil du printemps : la pièce, dont le style allusif, voire elliptique, a parfois découragé certains lecteurs, ne prend son réel essor que devant les spectateurs. C'est en effet sur scène que le langage de Wedekind, éminemment poétique, révèle toute sa force incantatoire. Cette poésie, la traduction réalisée expressément pour ce spectacle a tenté de la restituer en évitant autant que faire se peut les deux écueils sur lesquels achoppent la plupart des transpositions françaises et étrangères : d'une part, le recours à une langue trop littéraire, mieux adaptée à la lecture qu'à la performance théâtrale ; d'autre part, dans le souci de rendre plus compréhensible un texte si difficile, le choix d'une simplification expressive frôlant parfois la banalisation. Le défi consistait donc à trouver le juste milieu entre ces deux tendances, afin de rendre la pièce accessible au spectateur francophone sans rien sacrifier de sa densité poétique. À en juger par la manière dont les comédiens se sont appropriés le texte, l'objectif semble avoir été au moins en partie atteint : proféré sur le plateau, le verbe de Wedekind devient presque limpide tout en conservant son halo de mystère, en symbiose avec l'univers d'Omar Porras. Un résultat rendu possible par dix ans de complicité avec le metteur en scène. Dans les spectacles du Teatro Malandro, la distribution des rôles ne s'établit que progressivement, parfois à quelques semaines seulement de la première : chaque changement apporte un éclairage nouveau, modifie les équilibres internes, redéfinit le parcours des personnages. Le metteur en scène se laisse surprendre par ce qui surgit sur le plateau au gré des improvisations et, tel un alchimiste, transforme ce matériau encore brut en or. Au fil des répétitions, l'adaptation se dessine : un choix délibéré en entraîne souvent un autre, inattendu mais ô combien fécond ! Ainsi, afin de resserrer l'action autour des personnages principaux, la scène d'onanisme d'Hans Rilow est‐elle prise en charge ici par Melchior, l'auteur du traité sur le coït qui scandalise tant les adultes de la pièce. 8
Ce choix permet de glisser tout naturellement vers la scène d'amour avec Wendla, qui suit immédiatement : la jeune fille, surprenant son camarade nu dans la grange, nous apparaît soudain telle Ève découvrant Adam avant la Chute. Cette double séquence, devenue le coeur secret du spectacle, place les personnages dans une perspective mythique particulièrement évocatrice : l'amour entre Melchior et Wendla, c'est celui d'Adam et Eve au commencement du monde. C'est aussi celui de Faust et de Marguerite, que Wedekind prend soin d'évoquer explicitement dans sa pièce. Enceinte de Melchior, Wendla meurt suite à un avortement, tout comme Marguerite trouvera la mort après avoir noyé l'enfant « du péché » ; Melchior, quant à lui, rencontrera un mystérieux Personnage masqué, une sorte d'anti‐Méphistophélès qui lui fera découvrir le monde. Dans le même souci de fluidité dramatique, la scène où les époux Gabor s'affrontent à propos de l'avenir de leur fils est anticipée par rapport au texte original et placée immédiatement après l'interrogatoire du jeune homme. Melchior, expulsé de l'école parce qu'accusé d'avoir conduit au suicide son ami Moritz, assiste du coup à la scène de ménage juste après avoir été jugé par ses enseignants, doublement victime de ces adultes incapables de le comprendre. Autre enchaînement non prévu par Wedekind : celui de la lettre de Madame Gabor, que Moritz lit ici peu avant de se suicider. Quant aux suppressions de scènes entières, elles sont peu nombreuses : la séquence de la maison de correction (dont Melchior s'échappe assez vite), un court monologue de Wendla et quelques interventions des adultes. La présence de ceux‐ci ne devient massive qu'au troisième acte, lorsqu'il s'agit de condamner les deux « coupables » : le mort (Moritz, le suicidé) et le vivant (Melchior, le subversif). L'espace de jeu des enfants ‐ magnifiquement représenté par la terre qui jonche le plateau ‐ est soudain envahi par des chaises lourdes et rigides, alors que dans les deux premiers actes, les grandes personnes n'étaient visibles que de dos, dans l'encadrement d'une porte ou à travers l'écho de leurs discours. Juste avant que la pièce ne bascule irrévocablement de l'univers des enfants à celui des adultes, Moritz rencontre Ilse, une camarade d'études fréquentant les artistes bohème, socialement morte pour les bien‐pensants mais brûlant de cette même vie à laquelle le Personnage masqué conviera Melchior. La rencontre de Melchior et Wendla dans la grange trouve ici son exact pendant négatif: c'est le garçon ‐ encore puceau ‐ qui va mourir, et non pas la jeune fille ; et, même si le jeune homme le regrettera aussitôt, aucun amour ne naît entre eux. Tout le spectacle se construit ainsi autour de Melchior et de Moritz, les deux amis aux destins opposés : l'un ‐ le doux poète, cancre malgré lui ‐ se suicide sans goûter à la passion amoureuse ; l'autre ‐ l'élève doué en proie aux affres de l'éros ‐ transgresse les règles sociales et, tel un nouveau Faust, s'engage résolument sur le chemin de la liberté. Dans le même souci de fluidité dramatique, la scène où les époux Gabor s'affrontent à propos de l'avenir de leur fils est anticipée par rapport au texte original et placée immédiatement après l'interrogatoire du jeune homme. Melchior, expulsé de l'école parce qu'accusé d'avoir conduit au suicide son ami Moritz, assiste du coup à la scène de ménage juste après avoir été jugé par ses enseignants, doublement victime de ces adultes incapables de le comprendre. Autre enchaînement non prévu par Wedekind : celui de la lettre de Madame Gabor, que Moritz lit ici peu avant de se suicider. Marco Sabbatini, Traduire Wedekind: l’alchimie du texte, in L’Avant‐scène théâtre, n°1309, novembre 2011. 9
ENTRETIEN AVEC OMAR PORRAS
ADAPTATION ET MISE EN SCENE
Qu'est‐ce qui a motivé votre choix de mettre en scène L'éveil du printemps ? Ce texte apparaît comme incroyablement actuel. Il explore les peurs et les désirs, les angoisses et les découvertes qui jalonnent la parabole de l'enfant appelé à devenir adulte: la difficulté de grandir, la tentation d'éterniser l'enfance, le rêve d'en préserver la richesse émotionnelle, de continuer à explorer les territoires du rêve et du fantasme. Ce sont là des thèmes qui nourrissent depuis longtemps ma recherche théâtrale : l'enfance vue comme un univers fantastique, la nostalgie de cette beauté que le monde des adultes semble devoir détruire impitoyablement, frustrant les adolescents de leurs rêves. J’y retrouve aussi l'idée propre aux artistes et aux poètes que cette fantaisie peut et doit être conservée, car l'art, comme le rappelle Baudelaire, est justement « l'enfance retrouvée à volonté ». Quels sont les axes principaux de cette nouvelle mise en scène ? Cette mise en scène se fonde sur ces deux éléments essentiels: la jeunesse et la musique. La jeunesse: celle de l'équipe destinée à interpréter une pièce dont c'est justement le sujet. Les comédiens ne jouent pas des enfants, mais l’idée que l’on se fait d’eux. L’idée au sens platonicien du terme, c’est à dire l’absence de l’enfance. Quant à la musique, c’est l’expression artistique qui traduit selon moi, le mieux les émotions, les rêves et les révoltes, l'angoisse et la nostalgie du passage à l'état adulte. Le spectacle se construit sur un mode musical où les scènes s’enchaînent selon une harmonie secrète qui crée parfois une fluidité qui a quelque chose d’insaisissable et aérien. Comment se construit le jeu des comédiens ? Dans la méthode de travail du Teatro Malandro, une place prépondérante est accordée aux improvisations des acteurs. Ce sont eux qui produisent les états d’âme. Pour ma part, c’est comme si je donnais des coups de baguette qui provoquent des étincelles. Ces étincelles représentent leur spontanéité, c’est là la matière avec laquelle je travaille. Je les accompagne pour qu’ils prennent conscience de leur corps dans l’espace. Je leur parle d’un mouvement et d’un rythme qui déclenchent des situations et des événements inespérés et surprenants. La mise en scène n’est pas préméditée. C’est l’inconscient qui dirige. Au fil des répétitions, un univers poétique se dessine, je suis moi‐même surpris et ému de voir l’évolution de notre travail. Les acteurs sont souvent très étonnés d’eux‐mêmes. Les improvisations et la liberté que je leur donne leur permettent d’aller dans des directions inattendues et découvrir des voies incroyablement fécondes. 10
ENTRETIEN AVEC AMELIE KIRITZE-TOPOR
SCENOGRAPHIE
« Un terrain comme une peau aux multiples mues, une écorce » L’Eveil du printemps est une pièce dont les didascalies ne donnent que peu de précisions spatiales : l’action de déroule dans une chambre, une rue, sous un chêne, dans un jardin ou un cimetière. Ce qui apparaît de façon plus évidente, ce sont peut‐être des ambiances ? Oui. Et la symbolique de ces ambiances importe plus que la réalité concrète des espaces. Les espaces intérieurs sont des murs clos, comme autant d’indicateurs du monde autoritaire des adultes (notamment dans la scène avec les professeurs devant lesquels Melchior comparait comme devant un tribunal). Les espaces extérieurs, quant à eux, ouvrent sur une parole poétique et libre : ce sont des chemins qui reflètent la vie intérieure des personnages. Cette dimension est très présente dans votre travail. C’est vrai, c’est un fil rouge. La déambulation physique des adolescents dans la nature est un cheminement intérieur. Cela, je l’ai appréhendé très tôt. J’ai cherché aussi à transposer les lieux de prédilection de l’adolescence aujourd’hui. Les espaces de liberté où la parole est sans tabou et où l’imaginaire peut se débrider, ce sont peut‐être les espaces que l’on peut dire « entredeux », comme les parkings, les escaliers, les terrains vagues, les chantiers d’accès interdit ou les espaces désaffectés. Des espaces entre ville et nature, comme les adolescents sont entre l’enfance et l’âge adulte. Comment définiriez‐vous in fine votre scénographie ? Comme un terrain de jeu pour les comédiens et les personnages de l'histoire, un terrain suffisamment neutre, mais assez riche de recoins pour suggérer grâce aux corps, aux costumes, et au texte le temps de l'intrigue, le mythologique, le réaliste, la violence, et l'amour. Un terrain comme une peau aux multiples mues, une écorce. Propos recueillis par Brigitte Prost, Maître de Conférences à Rennes 2‐Université européenne de Bretagne. Elle enseigne également au Conservatoire de Rennes ainsi qu’à l’Ecole du Théâtre National de Bretagne (TNB). Elle est Experte à la Direction générale des Affaires culturelles (DRAC) et à la ville de Rennes pour le spectacle vivant. 11
BIOGRAPHIE
Frank Wedekind Né à Hanovre en 1864, Frank Wedekind, auteur dramatique allemand, décède à Münich en 1918. D’un père médecin et d’une mère cantatrice ayant fui l’Allemagne pour leurs idées politiques et leurs activités révolutionnaires, Frank Wedekind mène une vie voyageant à travers les grandes métropoles européennes fréquentant les cercles littéraires, les artistes bohême, les gens du cirque. Il s’intéresse aux figures excentriques et marginales qui s’opposent à l’hypocrisie qui caractérise la société bourgeoise. De son temps, Frank Wedekind fait figure de provocateur, briseur de tabous, toujours prêt à violer les conventions esthétiques et à contester les prescriptions de la morale. En 1890, installé à Munich, il écrit L’Eveil du printemps, une pièce longtemps considérée comme scandaleuse, décrivant l’avènement de la sexualité chez un groupe d’adolescents. Un texte provocateur qui ne manque pas de révéler chez l’auteur le caractère précurseur de son génie et de l’apparenter aux grands éducateurs de la nouvelle Europe. Le diptyque Lulu, composé de L'Esprit de la terre (1895) et de La Boîte de Pandore (1902), adapté au cinéma par Georg Wilhelm Pabst et à l'opéra par Alban Berg, est l'autre chef‐d’œuvre sulfureux d'une production théâtrale qui compte une vingtaine de titres, parmi lesquels il faut aussi citer Le chanteur d'opéra (1897) et Le Marquis de Keith (1901). Omar Porras Directeur de Compagnie, metteur en scène, comédien Né en Colombie, il se forme à la danse et au théâtre en Europe. En 1990, Il fonde à Genève, le Teatro Malandro, centre de création, de formation et de recherche. Sa technique théâtrale, axée sur le corps du comédien, la segmentation de ses mouvements dans l’espace et l’utilisation des masques allie le geste chorégraphique à la musique et, ce faisant, s’inspire à la fois des traditions occidentales et orientales. Dans ses spectacles, Omar Porras explore des textes classiques avec Ubu Roi (Théâtre du Garage, 1991), Faust de Marlowe (Théâtre du Garage, en 1993), Othello de Shakespeare (Comédie de Genève, en 1995), Les Bakkantes d’après Euripide (Forum de Meyrin, en 2000), Ay ! QuiXote d’après Cervantès (Théâtre Vidy, en 2001), Pedro et le commandeur de Lope de Vega (Comédie‐Française, en 2006) et Les Fourberies de Scapin (Théâtre de Carouge, en 2009), mais aussi les textes modernes et contemporains avec La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt (Théâtre du Garage, en 1993 pour une première version et au Forum de Meyrin, en 2004 pour une seconde version), Striptease de Slawomir Mrozek et Noces de sang de Garcia Lorca (respectivement dans les Ateliers de Sécheron et à la Comédie de Genève, en 1997) ou encore Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht (Théâtre Forum Meyrin, en 2007). En tant qu’acteur, il a joué dans plusieurs de ses créations comme sous la direction d’autres metteurs en scène. En 2006, Omar Porras aborde l’univers de l’opéra avec L’Elisir d’amore de Donizetti à l’Opéra National de Lorraine ; Il Barbiere di Siviglia de Paisiello au Théâtre Royal de la 12
Monnaie puis à Lausanne en 2007. Cette même année, il met en scène Die Zauberflöte au Grand Théâtre de Genève et en 2009 La Périchole à l’Opéra de Lausanne. En parallèle, Omar Porras organise et dirige de nombreux ateliers pour comédiens et danseurs, notamment dans les Ateliers de Paris avec Carolyn Carlson, au Théâtre du Grand T à Nantes et Sa Visite de la vieille dame de Friedrich Dürenmatt a été récompensée par le Prix romand des spectacles indépendants en 1994 et Pedro et le commandeur a été doublement nominé aux Molières 2007 ‐ pour la mise en scène et l’adaptation. Enfin, la Colombie lui a décerné l’Ordre National du Mérite en 2007 ainsi que la Médaille du Mérite Culturel en 2008. Il vient par ailleurs de célébrer les vingt ans de sa Compagnie, le Teatro Malandro, avec Bolivar : fragments d’un rêve (Chateauvallon, 2010), et a également signé au Japon, en janvier 2011, une reprise de El Don Juan de Tirso de Molina avec la troupe du SPAC (Shizuoka Performing Art Center). Pour la saison 2011‐2012, outre L’Eveil du printemps, il prépare Les Cabots une pièce chorégraphique menée avec Guilherme Bothelo, Compagnie Alias. Marco Sabbatini Marco Sabbatini enseigne la stylistique française à l’École de traduction et d’interprétation, et la littérature italienne à l’Université de Genève, après avoir été critique littéraire au Journal de Genève (1993‐1997) et au Temps (depuis 1998). Tout en étant aux côtés d’Omar Porras comme dramaturge depuis près de dix ans Marco Sabbatini en est à sa quatrième collaboration comme traducteur ou adaptateur. En 2000, il l’a accompagné sur Les Bakkhantes d’après Euripide, suivi par Ay ! Quixote, un spectacle inspiré de Cervantès, avant de se confronter à El Don Juan en 2005. Depuis plus d’un an, il travaille à cette nouvelle création, L’Eveil du printemps. Marco Sabbatini est aussi l’auteur d’un livre sur Alberto Savinio, L’Argonauta, l’anatomico, il funambulo, publié à Rome par Salerno. Il a traduit, pour Les Belles Lettres, l’œuvre poétique complète de l’humaniste italien Leon Battista Alberti. Suisse d’origine italienne, il est très attaché à la culture de la Péninsule qu’il s’évertue à faire découvrir. En 1996, il organise Futurismo, une manifestation autour du futurisme italien à Genève, puis, l’année suivante, une exposition pluridisciplinaire intitulée Dante/Pasolini. Il donne aussi de nombreuses lectures publiques de textes de futuristes italiens, de Dante, de Pasolini ou du poète Mario Luzi. Il fonde, en 1989, le Groupe universitaire de théâtre italien Il Ghiribizzo pour lequel il écrit, traduit, adapte, joue et met en scène des pièces de théâtre. 13
LA COMPAGNIE : QUI FAIT QUOI ?
Metteur en scène : Omar Porras Le metteur en scène est à l’initiative du projet. Il choisit la pièce, les comédiens, les décors, les costumes, les maquillages, la musique, la lumière, les mouvements, les déplacements, et donne le rythme de l’ensemble du spectacle. Il est à l’initiative du projet et il rassemble autour de lui toutes les personnes qui vont l’accompagner dans le temps de cette création. Il choisit les comédiens selon des critères personnels, après les avoir rencontrés et auditionnés. Il est présent tous les jours de répétitions et les dirige ; c’est lui qui est l’interlocuteur des comédiens. Il leur dit ce qu’ils doivent faire, comment ils doivent dire leur texte et pourquoi ils doivent le dire ainsi. Il doit défendre son idée et faire en sorte que les différents collaborateurs réussissent à comprendre son envie pour qu’ils puissent, ensemble, réaliser sa vision du spectacle. Il orchestre le spectacle pour lui donner la forme et le rythme qu’il a rêvés. Puis il suit le spectacle lors des différentes représentations et est amené à faire des changements pour modifier ou améliorer des choses qui auraient pu se décaler ou perdre leur sens. Assistant à la mise en scène : Jean‐Baptiste Arnal Dès que le choix de la pièce est fixé, l’assistant à la mise en scène collabore avec le metteur en scène afin d’organiser les rencontres et planifier les répétitions des comédiens et musiciens. Elle élabore un dossier présentant la pièce choisie en collaboration avec la responsable de la presse et de la communication. Présente à toutes les répétitions, elle note toutes les indications du metteur en scène – déplacements des comédiens, changements de décor, effets son, effets lumière –, ceci dans le but de construire la pièce et de se servir des notes pour mémoriser et déléguer les tâches à chaque corps de métier. Elle suit régulièrement la tournée. Adaptation, traduction et dramaturgie : Marco Sabbatini et Omar Porras Le dramaturge effectue un travail de recherches sur l’œuvre et son histoire. Il permet de nourrir le travail de préparation du metteur en scène et donne des informations précieuses autour de l’auteur et de son époque. Il aide à cerner les thèmes, les points d’ancrages littéraires, historiques et politiques de l’œuvre. Il assiste ensuite aux répétitions en tant qu’adaptateur et dramaturge, aide à saisir les sens, les enjeux et les articulations propres à chaque scène. Il entreprend parfois des modifications et des adaptations (coupes, inversion des scènes, suppression de rôles…) conformes aux besoins du plateau. Il prépare ainsi la version « jouée » de l’œuvre dans sa forme adaptée, et en consigne la validité littéraire. Comédiens et musiciens : Sophie Botte, Olivia Dalric, Peggy Dias, Alexandre Etheve, Adrien Gygax, Paul Jeanson, Jeanne Pasquier, François Praud, Anna‐Lena Strasse Ils sont choisis plusieurs mois avant le début des répétitions sur des critères définis par le metteur en scène. L’organisation d’entrevues puis de stages permet de sélectionner les comédiens et les musiciens. Le travail se fait en plusieurs étapes : lecture du texte, mémorisation, capacité de le réciter avec des intonations et des émotions différentes, d’y ajouter des mouvements, des déplacements. 14
Scénographie et accessoires : Amélie Kiritzé‐Topor EIle propose, à partir des discussions avec le metteur en scène et selon sa propre interprétation de l’œuvre, une forme au décor, des éléments de décor, des couleurs, des matières. Le décor et les accessoires sont dessinés par la scénographe. Elle en définit les volumes, les couleurs, les matières à utiliser. EIle fabrique une maquette représentant le décor en miniature, et sur cette base, le décor est construit par les constructeurs de décor et les accessoires par l’accessoiriste. Le scénographe est présent lors des répétitions afin de modifier le décor et les accessoires en fonction des besoins de la pièce. EIle travaille également en étroite collaboration avec l’ingénieur son et l’ingénieur lumière. Créatrice de costumes : Irène Schlatter assistée de Amandine Rutschmann
A partir des discussions, des envies et des propositions échangées avec le metteur en scène, la créatrice des costumes met à disposition pour les répétitions une certaine quantité d’éléments vestimentaires judicieusement sélectionnés qui seront utilisés librement par les comédiens au moment où la naissance des personnages s’opérera lors des répétitions. Les répétitions et discussions permettent d’échanger des idées sur le spectacle, de définir les personnages, les enjeux à défendre, les choses que l’on veut dire, montrer, l’époque à laquelle on veut situer l’histoire, les matières et les couleurs des costumes. Les personnages créés lors des répétitions représentent la rencontre entre un comédien et un masque, imposant une silhouette, une voix, une démarche, et ces informations sont nécessaires à la confection d’un costume. Sur la base de dessins indiquant la forme, la couleur, une maquette des costumes est fabriquée et c’est au cours des répétitions que les costumes sont confectionnés afin de pouvoir les modifier en fonction des souhaits du metteur en scène. Les couturières sont chargées de confectionner les costumes. Les costumes terminés sont ensuite pris en charge par l’habilleuse qui va en assurer l’entretien et le suivi. Habilleuse : Katalina Malaver & Marucha Castillo Elle veille aux changements de costumes des comédiens, à ce que tout soit prêt et que rien ne manque avant et pendant toutes les représentations. Elle est en charge des costumes et de leur entretien selon les indications données par la créatrice des costumes : lavage, repassage, mais également retouches, rangement et transport. Créatrice des Perruques et des postiches : Véronique Nguyen assistée de Julie Wintgens Lors des premières répétitions la créatrice de perruques et postiches met à disposition pour les comédiens des masques, postiches, nez, oreilles, perruques déjà existants. Elle intervient ponctuellement lors des répétitions afin de définir les souhaits du metteur en scène et de voir l’évolution de la recherche des personnages par rapport à ces divers éléments, et dessine les future perruques et postiches. Elle crée les postiches en effectuant un moulage du visage de chacun des comédiens et y ajoute différents éléments, perruques, sourcils, maquillage, etc. Les perruques et postiches sont des éléments très importants pour les comédiens. Il reflète le personnage qu’ils ont créé tout au long des répétitions et font naître à chaque représentation. 15
Accessoiriste et régisseur accessoires : Laurent Boulanger Il construit et fabrique les accessoires nécessaires au spectacle, selon les indications du scénographe. Il a en charge la forme, la couleur ainsi que l’aspect des objets à réaliser. Il prépare également les effets spéciaux (pétard, feu, fumée), et en assure le fonctionnement. Présent à tous les spectacles, il est responsable de l’endroit où se trouvent les accessoires, veille à ce qu’ils soient disponibles pour les comédiens et en assure la réparation en cas de besoin. Constructeur du décor : Jean‐Marc Bassoli Le constructeur du décor fabrique les décors à partir des plans du scénographe. Ils décident ensemble des matières à utiliser et réfléchissent aux contraintes de montage, démontage, transport et stockage imposées par les différents lieux de tournée. Directrice technique : Olivier Lorétan Le directeur technique gère l’équipe technique afin que chacun puisse effectuer ses tâches. Il est en relation directe avec l’administratrice pour l’achat du matériel, ainsi qu’avec le responsable logistique pour le transport du décor et le matériel technique. Régisseur plateau : Jean‐Marc Bassoli Il participe à la construction du décor et des accessoires, au montage et démontage du décor lors de la tournée. Le régisseur plateau est chargé, lors des représentations, des changements de décors et de tous les mouvements qui ont lieu sur le plateau. Compositeur : Alessandro Ratoci Lors des répétitions, le compositeur est présent pour accompagner musicalement les comédiens dans leurs différentes interprétations. Il joue, arrange, modifie des morceaux existants ou compose des morceaux de son répertoire, selon les souhaits du metteur en scène. Ces inventions et improvisations sont enregistrées par l’ingénieur du son puis retravaillées, remixées avec des ajouts d’effets sonores pour créer les musiques, les chansons du spectacle. Régisseur son : Emmanuel Nappey Lors des répétitions, il réagit aux demandes du metteur en scène en fournissant instantanément des sons divers et en accompagnant les comédiens de bruits tels que des claquements de porte ou encore une bouteille qui se casse, ceci afin de créer l’univers sonore du spectacle. Il note scrupuleusement toutes les interventions sonores et musicales à insérer durant le spectacle et procède à l’enregistrement de la bande son. En collaboration avec l’équipe technique, il assure le montage des éléments qui concernent le son ainsi que sa diffusion. Lors de la tournée, il doit adapter le son et sa diffusion en fonction de la salle de spectacle et faire des essais ainsi que des raccords pour offrir une bonne acoustique aux spectateurs. 16
Créateur lumière : Mathias Roche En collaboration avec le metteur en scène ainsi que le scénographe, le créateur de lumière va créer la lumière du spectacle en tenant compte des contraintes et des besoins du décor et de la mise en scène. Il va enregistrer sur une console informatique des effets et des directions de lumière, une ambiance, et créer une atmosphère au spectacle. C'est ensuite le régisseur lumière qui sera chargé à chaque représentation de suivre les directives du créateur de lumière et de les lancer au bon moment. Régisseur lumière : Mathias Roche Collaborant avec le metteur en scène, il est présent lors des répétitions afin de définir les moments de lancement d’effets de lumière. Lors de la tournée dans chaque théâtre, il est responsable du matériel technique relatif à la lumière ainsi qu’à son installation. Présent à toutes les représentations, il est chargé d’envoyer au bon moment les effets lumineux préalablement enregistrés sur la console informatique, en restant attentif aux impératifs techniques et aux souhaits artistiques du metteur en scène. Administratrice : Florence Crettol Elle a en charge le budget, qui concerne la production de la création, les co‐productions ainsi que la vente du spectacle aux plans national et international. Elle gère tout le fonctionnement administratif et financier de la compagnie et est constamment en lien avec l’ensemble des membres des équipes artistique, technique et administrative. Presse et communication : Sara Dominguez En accord avec le directeur de la compagnie, elle s’occupe de l’image de la compagnie, de la coordination et du suivi administratif de la communication (relations entre les médias, les artistes et les théâtres d’accueil), de la réalisation de divers supports de promotion et de communication (papillon, dossier de presse, revue de presse, dossier de présentation de la compagnie, photos et captation vidéo du spectacle, etc.) en relation avec le graphiste, le photographe, l’imprimeur, etc., de la gestion du contenu et de l’actualisation du site Internet ainsi que de l’organisation de divers événements liés au directeur ou à la compagnie. Relations publiques & médiation Elle représente la compagnie auprès des autres institutions (écoles, public, théâtres). Son but est d’informer les différents publics des activités de la compagnie mais également de recueillir les commentaires et critiques. Elle s’occupe également, en étroite collaboration avec la responsable de la presse et de la communication, d’adopter une communication interne et externe de qualité aux plans national et international. 17
Logistique : Yoann Montandon Il organise les déplacements et la résidence de la troupe pour la tournée, et d’une manière générale, tous les détails d’organisation nécessaires à la vie de chacun en période de répétitions ou de représentations. Il s’occupe donc, en coordination avec les théâtres d’accueil et l’administrateur de la troupe, de superviser le transport des personnes ainsi que du matériel (décors), de l’hébergement, et veille aux défraiements de chacun durant les jours de travail. Il établit des feuilles de route pour chacun avec des plans d’accès, les adresses utiles, etc. Lors des représentations, il assure le lien entre l’équipe de tournée (comédiens et techniciens) et les théâtres d’accueil. Comptabilité : Rosangela Zanella Elle a en charge toutes les transactions financières de la compagnie, de manière à connaître à chaque instant la position et les possibilités financières de la compagnie. Cela passe par toutes les dépenses (fournitures de bureau, paiement des salariés, achats de matières premières…) ainsi que par les entrées d’argent (subventions, mécénat…). La comptable est en contact avec tous les services pour mener à bien sa mission. 18
HISTORIQUE DU TEATRO MALANDRO
Après six ans passés à faire du théâtre de rue à Paris, Omar Porras s’installe dans un squat à Genève en 1990, le Garage, et y fonde le Teatro Malandro. En 1991, il crée Ubu roi d’Alfred Jarry, spectacle qui donne le ton d’un travail caractérisé par un univers baroque, un métissage des cultures, des comédiens masqués, une conscience du corps et une présence de la musique, le tout conçu de manière organique. Lieu illégitime, matériaux récupérés dans la rue, le Teatro Malandro transforme sa précarité en profusion d’imagination grâce à une ingéniosité détonante, grâce à une poésie de la nécessité dont Omar Porras est coutumier depuis son enfance, dans son quartier à Bogotá. Très vite la compagnie est remarquée et programmée dans différents lieux, notamment au Festival des arts de Nyon, mais aussi au Festival de la Cité à Lausanne : elle commence à émerger des milieux artistiques et alternatifs locaux. Un an après Ubu roi, Omar Porras et ses complices montent en 1992 La tragique histoire du Docteur Faust de Christopher Marlowe, inaugurant l’exploration des grands mythes. Après une reprise d’Ubu roi (1993), le metteur en scène s’attaque la même année à un auteur suisse – Friedrich Dürrenmatt – et à une œuvre à la dimension universelle : La Visite de la vieille dame. Ce spectacle marque une étape très importante dans l’histoire du Teatro Malandro, reconnue par le biais du Prix romand du spectacle indépendant (1994). Traitant cette œuvre de manière iconoclaste, le metteur en scène colombien installé à Genève prouve conjointement la force de son interprétation et démontre la radicalité de l’auteur suisse allemand. C’est alors que les grandes scènes internationales s’ouvrent à la compagnie et que démarre une tournée suisse et internationale sur les routes de France, d’Allemagne et d’Amérique latine. Suite à cet immense succès, le directeur de la Comédie de Genève, Claude Stratz, offre son plateau au Teatro Malandro pour monter Othello de William Shakespeare (1995) dans ce qui est l’institution théâtrale de la Ville de Genève. En 1996, une autre étape déterminante s’amorce : l’investissement – au sens de grands travaux d’aménagement – des anciens ateliers de Sécheron par la compagnie les transforme en un véritable lieu de création et de recherche théâtrale. Un espace immense qui concentre sur le même site un dojo de travail, un espace de construction de décors, des bureaux administratifs, un espace de convivialité rend possible la concentration et l’interactivité entre les différentes dimensions du travail (artistique, technique et administrative) durant les créations. La première‐née suite à cette installation est Strip‐Tease de Slawomir Mrozek en 1997. Quelques mois plus tard, le Teatro Malandro atteint un nouveau palier : créé à la Comédie de Genève, Noces de sang de Federico Garcia Lorca est joué au Canada, au Japon et sillonne une grande partie de la France, pour la plupart des Scènes nationales et Centres dramatiques. La force du texte alliée à la lecture d’Omar Porras produit un spectacle d’une énergie extrêmement puissante. Après trois ans de tournée, c’est le théâtre antique qui impose sa nécessité artistique et qui emmènera la troupe vers les Bakkhantes (d’après Euripide) pour une tournée internationale (2000). Le metteur en scène et directeur de troupe se tourne ensuite vers une figure elle aussi mythique, habitée par un idéalisme confinant au mysticisme, Don Quichotte devenu Ay ! QuiXote dans l’univers porrassien : moment de grâce pour la compagnie (2001) et pour le public, cette transposition du roman au théâtre souligne la force du langage d’Omar Porras qui souhaite s’affranchir de la tyrannie du verbe pour toucher aux autres dimensions de l’homme. Poursuivant les tournées internationales, le spectacle adapté de l’oeuvre de Miguel de Cervantès Saavedra ouvrira les portes de la Colombie au fils prodigue : c’est la première participation du Teatro Malandro au Festival Iberoamericano de teatro de Bogota, dirigé alors par Fanny Mikey. 19
En 2003, au terme de la tournée de Ay ! QuiXote au Barbican Centre de Londres, la compagnie est invitée en résidence au Théâtre Forum Meyrin, par son directeur Jean‐Pierre Aebersold. Désormais les créations de spectacles sont accueillies par divers théâtres. Cette même année, Omar Porras est invité par le Théâtre Am Stram Gram (Genève) à monter L’Histoire du soldat d’Igor Stravinski et Charles‐
Ferdinand Ramuz avec toute son équipe. Première expérience d’une collaboration avec une formation d’orchestre (l’Ensemble Contrechamps), ce spectacle lui ouvre ensuite les portes de l’opéra. Petit bijou de délicatesse, le spectacle créé à Genève sera ensuite repris au Théâtre des Abbesses à Paris. En 2004, Omar Porras décide de reprendre – dix ans plus tard – La Visite de la vieille dame pour une recréation : le rôle titre, incarné dans la première version le metteur en scène qui est également acteur, lui revient naturellement. Fable intemporelle, le spectacle tiré de l’œuvre de Dürrenmatt voyage à nouveaux sur les scènes internationales, jusque dans les régions les plus lointaines, telles que le Centre dramatique de l’Océan indien (Ile de la Réunion). Renouant en 2005 avec les figures mythiques et initiant une exploration de la relation maître‐valet, la troupe révèle au public un El Don Juan (d’après Tirso de Molina) enfantin et capricieux, mais non moins cruel, qui fascinera par une richesse picturale toujours et encore plus intense, la plupart du temps soignée par Fredy Porras (scénographe et frère du metteur en scène) ; elle ramène une nouvelle fois la compagnie genevoise sur les scènes colombiennes après avoir écumé la francophonie sur sol européen, c’est en effet la première incursion en Belgique (Namur et Bruxelles). Enorme travail de compilation, le texte se nourrit des versions de Tirso de Molina, de Molière, mais aussi de la Commedia dell’arte et de boutures anglaises, véritable création textuelle réalisée conjointement par Omar Porras et Marco Sabbatini, dramaturge. Comme toujours le metteur en scène ressent la nécessité de se réapproprier les textes, de les investir profondément, de les bousculer pour en retirer – avec le travail d’improvisation des comédiens et la force de proposition de toute la compagnie – une sorte de quintessence du sens, tant rationnel qu’intuitif. Puis en 2007, c’est la première confrontation avec l’univers textuel et donc idéologique de Bertolt Brecht : dans Maître Puntila et son valet Matti, Omar Porras explore une nouvelle fois la relation maître‐valet, mais aussi la duplicité de l’être humain, ombre et lumière coexistant dans le même personnage de Puntila. Longue tournée qui marque à la fois les premières représentations en Espagne (Festival de Teatro de Malaga ‐ Teatro Cervantès) mais également le retour du Teatro Malandro au Japon, au sein du Shizuoka Spring Festival nouvellement dirigé par Satoshi Miyagi qui propose à Omar Porras une recréation de El Don Juan avec des comédiens japonais en 2009. 20
Par le biais de ses spectacles, véritables boîtes à musique, le Teatro Malandro a ouvert à Omar Porras depuis 2006 les portes des plus grandes maisons d’opéra européennes, telles que la Monnaie à Bruxelles, le Théâtre du Capitole à Toulouse, l’Opéra national de Lorraine, le Grand Théâtre de Genève et l’Opéra de Lausanne ; dans le même élan, la Comédie‐Française a également invité Omar Porras pour la mise en scène en 2006 d’un spectacle qui a permis l’inscription au répertoire de la prestigieuse institution de la pièce Pedro et le commandeur de Félix Lope de Vega. La création 2009, Les Fourberies de Scapin de Molière, renoue avec la relation maître‐valet. Elle constitue également le premier spectacle issu du partenariat entre le Théâtre de Carouge et le Théâtre Forum Meyrin, à la fois coproduit et co‐accueilli par les deux institutions genevoises. Avant même sa première représentation, une tournée nationale et internationale est déjà confirmée au Japon, en France et en Amérique latine. La production 2010, spectacle autour de la figure historique de Simon Bolivar célèbre le bicentenaire du début des guerres d’indépendance du Nouveau Monde. C’est le philosophe et romancier colombien William Ospina qui écrit la pièce. Pour la saison 2011‐2012, trois autres créations sont prévues : au théâtre L’éveil du printemps d’après Frank Wedekind et Les Cabots, une pièce chorégraphique menée avec Guilherme Botelho de la Compagnie Alias et à l'opéra La Grande Duchesse de Gérolstein de Jacques Offenbach. 21
LE CORPS DE L’ACTEUR
La démarche du Teatro Malandro se base sur le fonctionnement du corps de l’acteur et sa projection dans l’espace. Comme l’athlète, l’acteur doit entraîner son corps grâce à une large palette d’exercices. Avec les exercices de training, par lesquels commence chaque séance de répétition, il s’agit d’élaborer chaque geste, chaque mouvement, chaque action que pourrait faire le personnage et de l’explorer avec précision. L’entraînement et la préparation de l’acteur permettent d’obtenir la connaissance de ses capacités et de ses faiblesses. L’acteur construit avec son propre corps la colonne vertébrale, la manière de marcher, la voix unique d’une créature qu’est le personnage. L’acteur doit aller sur scène en ayant envie de raconter une histoire et de défendre un personnage. « Ce personnage vient de quelque part. Il faut prendre le temps de le faire naître, de le rencontrer, de le faire vivre et de le faire grandir sur scène », indique Omar Porras. Et c’est par cette recherche du personnage à travers l’exploration du mouvement, des gestes, des rythmes musicaux que vont débuter les séances de répétitions de L’éveil du printemps. Les personnages sont en gestation, latentes. Ils ne naîtront qu’en répétition, guidés par le metteur en scène, à partir des propositions des comédiens. On trouvera, cherchera et s’adaptera aux nécessités imposées par le plateau. « Ce que je demande à un comédien, c’est de se détacher de son bagage, de se retrouver sans normes, sans règles, de se débarrasser de l’idée du théâtre qu’il se fait pour lui‐même. Le but est simplement de stimuler les sensations du spectateur, ses sensations de l’âme et du coeur. Mon maître est le plateau avec toutes les créatures qui le peuplent, dessus, dessous, sur les côtés », indique Omar Porras en exergue aux toutes premières répétitions. Ainsi L’éveil du printemps n’échappe pas à la règle : training, exercices physiques, travail du jeu masqué, improvisation, pas de distribution établie à l’avance, recherches musicales, changements… Le plateau seul posera ses règles du jeu. 22
PISTES PEDAGOGIQUES :
1. Une création théâtrale Que savons‐nous du processus que suit une production théâtrale ? Qui sont les personnes impliquées ? Combien de temps une création prend‐elle ? Par quelles étapes passe‐t‐elle ? 2. La note d’intention Que dit‐elle ? A qui s’adresse‐t‐elle ? A quoi sert‐elle ? Elle inspire des questionnements, énonce des hypothèses et des souhaits. Elle est conçue pour le dossier de présentation et apparaît parfois dans les programmes. 3. Le texte Cette création d’Omar Porras et de sa troupe, L’éveil du printemps est un spectacle basé sur un texte de Frank Wedekind. A l’origine, cette pièce ne fut pas autorisée par la censure allemande. Il fallut attendre seize ans avant qu’elle ne soit créée pour la première fois, en 1906, à Berlin. ➡ Qui est Frank Wedekind ? Connaissez‐vous d’autres ouvrages de cet auteur ? ➡ Pourquoi cette pièce a‐t‐elle été censurée en 1890 ? ➡ Dans le domaine des arts, qu’est‐ce qui est susceptible d’être censuré aujourd’hui ? ➡ Pensez‐vous qu’aujourd’hui la censure représente une menace à la liberté d’expression ? 4. Dans le texte de L’éveil du printemps les jeunes protagonistes sont en questionnement sur leur sexualité. L’absence d’images et d’informations plongent les protagonistes dans une ignorance face aux pulsions naturelles qu’ils éprouvent. ➡ Inversement qu’en est‐il aujourd’hui face au trop plein d’informations et de représentations de la sexualité véhiculées par les médias, la publicité, l’internet etc. ? Pensez‐vous être suffisamment bien informé? ➡ Qui selon vous est le mieux habilité pour communiquer des informations sur le thème de la sexualité? Un professeur, les parents, un éducateur, autres ? Justifiez vos propositions. 5. Travail sur les personnages de L’éveil du printemps : ➡ Personnages principaux : (Caractère, évolution) Wendla, Moritz, Melchior, Ilse ➡ Personnages secondaire : (Caractère, fonction) Mme Bergmann, Mme Gabor 23
6. Quelques thèmes de la pièce à approfondir: ➡ L’éducation sexuelle au 19e siècle versus aujourd’hui ➡ La libération sexuelle: un héritage de mai 68? Suite aux événements de mai 68, qu’est ce qui dans notre société, a changé au niveau de: la contraception, l’avortement, l’éducation sexuelle? ➡ De la naissance du désir sexuel à l’acte amoureux ➡ Le sado‐masochisme ➡ L’homosexualité ➡ Les valeurs morales au 19e ➡ Les violences domestiques ➡ Le suicide 7. Exercice sur la mise en scène Avant de venir à la représentation, imaginer quelques éléments constitutifs d’une mise en scène de « L’Eveil du printemps » en justifiant tous les choix : ➡costumes : d’époque ? Autres ? ➡décor : un ou plusieurs lieux ? Lieux définis ? ➡esthétique ? ➡musique : instruments utilisés? ➡éclairage? Après la représentation, comparer la mise en scène d’Omar Porras avec ce qui avait été imaginé. 8. La musique Omar Porras place la musique au centre de sa recherche créative. La musique est fondatrice du spectacle, telle une colonne vertébrale elle soutient le récit. ➡ Selon vous qu’apporte la musique au spectacle et au spectateur ? Connaissez‐vous d’autres spectacles musicaux ? ➡ La combinaison musique et théâtre vous a‐t‐elle plu ? ➡ Pouvez‐vous citer au moins deux instruments utilisés lors du spectacle ? 9. Après le spectacle : impressions, opinions, critique Ai‐je aimé le spectacle ? Pourquoi ? Quels critères puis‐je employer pour fonder mon jugement ? Rédaction d’une critique basée sur des critères précis. On peut s’aider du tableau suivant. Comparaison de la critique faite individuellement ou collectivement en classe aux critiques parues dans les journaux. 24
Aperçu des éléments constitutifs d’un spectacle 1 Acteurs Gestuelle, mimique ; changements dans leur apparence Construction du personnage, lien entre l’acteur et le rôle Rapport texte/corps Voix : qualité, effets produits, diction Scénographie Rapport entre espace du public et espace du jeu Sens et fonction de la scénographie par rapport à la fiction mise en scène Rapport du montré et du caché Comment évolue la scénographie ? Connotations des couleurs, des formes, des matières Lumières Lien à la fiction représentée, aux acteurs Effets sur les spectateurs Objets Fonction, emploi, rapport à l’espace et au corps Costumes, maquillages, masques Fonction, rapport au corps Son Fonction de la musique, du bruit, du silence A quels moments interviennent‐ils ? Rythme du spectacle Rythme continu ou discontinu Lecture de l’œuvre par la mise en scène Quelle histoire est racontée ? La mise en scène raconte‐t‐elle la même chose que le texte ? Quelles ambiguïtés dans le texte, quels éclaircissements dans la mise en scène ? Le spectateur Quelle attente aviez‐vous de ce spectacle (texte, mise en scène, acteurs) ? Quels présupposés sont nécessaires pour apprécier le spectacle ? Comment a réagi le public ? 1 D’après Patrice Pavis, Dictionnaire du Théâtre, Paris, Armand Colin, 2006, s.v. Questionnaire 25
REPERES BIBLIOGRAPHIQUES
L’Eveil du printemps Elizabeth Boa, The Sexual Circus : Wedekind's Theatre of Subversion, Oxford and New York, Basil Blackwell, 1987. L'Eveil du printemps. Naissance d'un opéra, sous la direction de Robert Wangermée, Wavre, Mardaga, 2007. Günter Seehaus, Frank Wedekind. Mit Selbstzeugnissen und Bilddokumenten, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 1974. Anatol Regnier, Frank Wedekind : Eine Männertragödie, München, btb Verlag, 2010. Frank Wedekind, Théâtre complet, sous la direction de Jean‐Louis Besson, Paris, Éditions Théâtrales, 1995‐2001, 7 volumes. Publications Luz Maria Garcia (entretien de), Omar Porras, Arles, Actes Sud Papiers, coll. « Mettre en scène », novembre 2011. Frank Wedekind, L’Eveil du printemps, mise en scène d’Omar Porras, Paris, L’Avant‐scène théâtre, n° 1309, novembre 2011. 26
REVUE DE PRESSE
Omar Porras, romantique et superbement tragique L’artiste monte «L’Eveil du printemps», de Frank Wedekind au Forum Meyrin. Il signe un spectacle à l’intelligence endiablée. Critique Les beaux spectacles sont des songes qui un autre flash, Moritz (François Praud), le cancre, échappent à la nuit. Le metteur en scène Omar se tire une balle dans la tête. Porras a rêvé L’Eveil du printemps de Frank La jeune troupe réunie par Porras se glisse dans les Wedekind; il y a croisé des spectres, il en a respiré habits d’effroi de Wedekind. la brume. Au Forum Meyrin, son Eveil n’est pas Surtout, elle révèle une qualité de sentiment. L’Eveil, c’est l’amour quand les mots et les gestes seulement une merveille d’intelligence musicale, font encore défaut, quand à force de manquer, ils de savoir‐faire théâtral, de rythme maîtrisé, c’est une création qui fait date, dans l’histoire d’Omar remontent en geyser. Porras, dans notre mémoire de spectateur. C’est Parmi les plus belles scènes, celle‐là peut‐être: que l’artiste, 48 ans, s’était fait une réputation de Melchior (Paul Jeanson) et Wendla se rejoignent et maître farceur, brillant imagier toujours, leurs corps se confondent dans un bain d’ombres chambellan de son désir. Avec L’Eveil, traduit pour lamées d’or. Omar Porras a le pinceau délicat. L’Eveil du printemps est l’histoire d’une aliénation la circonstance par Marco Sabbatini, il affronte pour la première fois les ombres d’une tragédie, et d’une libération. Melchior est accusé d’avoir enfantine et assassine. poussé au suicide son ami Moritz. Il aurait pollué Le tragique de l’Allemand Frank Wedekind (1864‐
son esprit en lui prêtant un traité sur le coït. Le 1918), 27 ans quand il écrit L’Eveil, peut se résumer père de Melchior exige que son fils soit envoyé en maison de correction. Sa mère s’y oppose. Dans le à une histoire de robe – trop longue – et de spectacle, les époux ressemblent à des acteurs de cartable trop lourd. C’est le poids de la robe qui film muet: ils ont le geste grandiloquent, mais leur écrase les filles, celui du cartable qui terrasse les voix vient d’ailleurs. Dans les coulisses, deux garçons. comédiens disent le texte et assurent ainsi le Wendla, 14 ans, voudrait savoir comment les doublage en direct. Ils finissent par apparaître. enfants naissent. Sa mère s’entête à différer Omar Porras n’exploite pas seulement les ficelles l’explication. Moritz, lui, tente d’assimiler de l’art. Il suggère la fatalité du conditionnement théorèmes et maximes latines. Il désespère de social, ces discours qui coulent de source et qui ne satisfaire ses parents: il se suicidera. Entre les sont que le legs malfaisant du passé. deux, Melchior joue les têtes brûlées et se passionne pour Faust, ce savant qui tutoie le Frank Wedekind attaque l’ordre du cérémonial diable, et pour le sexe. bourgeois, ses formules toutes faites, ses rituels. Le monde selon Wedekind est divisé : les garçons Sa pièce fracasse le mur de la bienséance. Ce qui la traverse, c’est la tentation du désespoir, celle de sa ravalent leurs ardeurs d’un côté, les filles de l’autre génération peut‐être, mais aussi l’aspiration à un ; les pères ne partagent pas les vues éducatives des destin, être poète ou mourir. A la fin, Moritz mères ; les maîtres – ceux de l’église et ceux de l’école – infligent leur loi. Gare à celui qui s’égare. revient d’outre‐tombe tenter Melchior, l’inciter à Le premier tableau dit justement cela, c’est le le rejoindre. talent d’Omar Porras et de sa scénographe Amélie Sur la terre meuble voulue par Amélie Kiritzé‐
Kiritzé‐Topor de le suggérer. Il fait nuit, un piano Topor, il se passe alors ceci de beau: un à un, les dispense sa caresse. Il fait toujours nuit et on comédiens jettent masques et postiches, tout en entend une rumeur de préau. Mais voici jouant, comme pour revenir à la vie. Comme pour qu’apparaissent quatre demoiselles, écolières souffler que le théâtre est un accoucheur de vérité mécaniques. Elles lèvent la jambe et s’éclipsent. intime. Une fois que la scène a accompli son Culottes courtes, des mâles paradent à présent. travail, elle laisse tomber l’accessoire. Melchior D’un coup, c’est le monde d’hier qui prend corps, vivra. Et le spectateur emportera avec lui un peu de son printemps. Le tragique selon Porras, c’est corps grotesque, corps recto‐normé. aussi ça : se délester de l’artifice pour toucher à Dans une vision de cauchemar, la jeune Wendla, l’essentiel, le désir fait poème. chevelure mauve, se drape dans une robe immaculée. Derrière elle, sa mère dans un halo gris (Olivia Dalric), un fouet de cuisine à la main. Dans Alexandre Demidoff, Le Temps, le 15 nov 2011 27
«Devenir adulte est l’une des plus grandes frayeurs» Rencontrer Omar Porras, c’est tout d’abord se laisser guider dans son univers. Ici, les costumes, là, les postiches, plus loin, la fabrication des accessoires. La scène, enfin, où se dresse le décor de L’Eveil du printemps, la nouvelle création du metteur en scène suisso‐colombien. Ce préambule dans les coulisses permet au visiteur de mieux appréhender ce qui se joue là. C’est seulement au terme d’un travail rigoureux et minutieux qu’interviendra la représentation et, avec elle, la magie du théâtre. L’artiste selon Porras reste avant tout un artisan. Comme celui‐ci, s’il perfectionne son art, c’est aussi avec le souci d’en valoriser la transmission. De l’aventure Malandro, initiée il y a tout juste vingt ans, Omar Porras compte bien tirer substance pour l’avenir. Qu’est‐ce qui vous a lancé sur la piste de Frank Wedekind ? Curieusement, c’est en travaillant Les Fourberies de Scapin, de Molière. Je me suis aperçu que la question forte de ce texte, c’est l’éducation des enfants. Un des parents demande comment il faut morigéner les enfants, et de là surgit toute une série de questions. J’ai alors pensé à L’Eveil du printemps, avec l’intention de nourrir le thème de la jeunesse et de l’éducation chez Molière. «L’Eveil…» traite de la rupture, avec la fin de l’enfance et le passage à l’âge adulte… Oui, et je pense que c’est un passage très important dans ma vie artistique comme dans ma vie d’homme, avec la question de la transmission, de la formation. Il n’est pas simplement question de psychologie ou d’éducation sexuelle : c’est un tout. En avançant dans le projet, on s’aperçoit également à quel point Wedekind interroge le théâtre lui‐même. Par exemple, question compliquée : comment allons‐nous jouer l’enfant, puisque nous n’en sommes plus un ? Dans la pièce, les personnages ont autour de 14 ans… Mais aujourd’hui, ces 14 ans n’ont pas la même équivalence. La question est aussi : est‐ce qu’il faut pérenniser cette enfance? Nous ne prétendons pas avoir des réponses, mais nous avons voulu chercher s’il restait en nous de cette innocence. Je pense que oui, mais nous la cachons. Est‐ce qu’il n’y a pas là une sorte de réflexe de survie ? Etre adulte, c’est retrouver une affirmation. Alors que nous avons tous eu peur de le devenir. Je crois que c’est l’une des plus grandes frayeurs et la plus importante frontière à franchir dans une vie. Pour survivre, il faut se nourrir, mais aussi enfiler un masque de préceptes, d’idées, qui ne nous convient pas forcément mais qui convient aux autres. Comment, dès lors, assurer la transmission ? De plus en plus, nous faisons venir les élèves dans les ateliers, qu’ils découvrent ce qu’est la technique, le plateau, l’administratif. Ils doivent comprendre que c’est un métier et qu’il y a peut‐
être là un chemin pour eux. C’est à nous de commencer à leur donner l’envie. Et comment s’adresser à eux ? En parlant d’eux. En essayant de leur donner, peut‐être pas des outils de réponse, mais des outils pour questionner. Et c’est une responsabilité majeure. Ce sont les années qui vous rendent plus attentif à ce qui restera ? J’ai 48 ans, et je m’aperçois que je suis sur la route depuis trente ans. Mais la grande richesse de notre histoire, ce ne sont pas les trophées que nous avons remportés sur cette route. C’est l’expérience, la pratique, tout ce que Malandro a pu construire. Toute la matière pour constituer une méthode. Et puis la mémoire. Comme je le dis à nos subventionneurs : «Une compagnie, c’est un patrimoine». Alors, on me demande: «Est‐ce que tu veux partir de Genève ?» Je ne réponds même pas. C’est absurde. Ce qui importe, c’est comment développer ce que nous sommes en train de faire depuis vingt ans. Et qu’il ne reste pas simplement le spectacle. Lionel Chiuch, La tribune de Genève, le 07.11.2011 L’éveil du printemps par Omar Porras, un songe tragique En tournée et à Malakoff, le metteur en scène Omar Porras présente une vision originale de L’Eveil du printemps. Il plonge la pièce de Frank Wedekind dans le monde de l’enfance dont il interroge la fantasmagorie. L’univers nocturne et gothique à la Tim Burton séduit. Audacieuse et contrastée, peut‐être aussi un peu réductrice, sa lecture mêle l’effroi au rire. Un pan de mur en ruine, la pierre est lézardée et le sol recouvert de terre brune. La scénographie d’Amélie Kiritzé‐Topor fait immédiatement penser à un cimetière, l’endroit même où seront enterrées l’innocence et les illusions liées au monde de l’enfance. L’Eveil du printemps raconte justement cette étape de la vie où de jeunes gens grandissent en affirmant un nouvel être au monde. Ils se découvrent, posent des questions. En fond de scène, des arbres sombres. La forêt, lieu par excellence de l’initiation, renvoie aux images de contes et à l’effroi savoureux qu’ils suscitent. Ici, ce n’est pas le grand méchant loup qui attend au détour du chemin les enfants pour les dévorer mais la rencontre avec soi‐même en devenir. Il n’y a pas de psychologie et encore moins de pathos chez Omar Porras qui dirige les acteurs vers un jeu plutôt théâtral, déréalisé, un peu gênant au début mais qui n’évacue pas l’émotion. Le metteur en scène déploie un onirisme proche du cauchemar. Avec des masques et des postiches, les personnages prennent l’apparence fantastique de petits gnomes. C’est drôle mais aussi terrifiant. La scène de l’avortement ou le suicide très réussi de Moritz font basculer la représentation dans une tonalité très sombre qu’on n’avait pas soupçonnée au début devant les chansons et les jeux des jeunes pré‐pubères, en petits uniformes scolaires ( jupes plissées pour les filles et culottes courtes pour les garçons). Ils se déplacent en rang, cartables sur le dos qu’ils font vite valser pour faire le mur et jouer à « Eperviers, sortez ! ». Ce parti pris risqué fonctionne bien. D’autant plus qu’il est toujours délicat de faire jouer des enfants à des comédiens adultes. Ils sont ici tout à fait convaincants dans leurs rôles de composition : Paul Jeanson (Melchior) et François Praud (Moritz) en tête. Et si Porras réalise une peinture aussi tendre qu’effroyable de la jeunesse, le portrait qu’il fait de la bourgeoisie rigoriste et puritaine qui chante des cantiques à la gloire de Dieu est jubilatoire. Ce monde des adultes, tourné en dérision est vainement autoritaire et lâche car incapable de répondre aux interrogations existentielles de leur progéniture (la mère ne répond pas à sa fille Wendla qui lui demande comment on fait les enfants ! ). Sur scène, on retrouve l’esthétique baroque et poétique de Porras, avec beaucoup de musiques, de lumières… mais, qui, à la rencontre du texte de Wedekind, a perdu quelques unes de ses couleurs pour laisser apparaître un vrai sens de la tragédie. Christophe Candoni, Toute la culture.com, 17 janvier 2012 29
Puberté provisoire Il faut aller voir « l’Éveil du printemps » au Théâtre 71. Parce que le texte de Frank Wedekind est un poison magnifique qui évoque l’adolescence et la naissance brutale du désir. Parce qu’Omar Porras en a fait une sombre féerie punk fixant les derniers égarements d’une jeunesse broyée. Ils sont là, du haut de leurs 14 ans gomme les rondeurs pouponnes du visage. Malgré l’uniforme et le teint cireux, on discerne des tempéraments. Comme la jolie Wendla, sorte d’Alice grunge aux cheveux lilas, icône de pureté tenue dans l’ignorance et qui finira dans les mains d’une tricoteuse. Et puis y a Melchior, la figure érotique du poète nihiliste qui fume des roulées et qui brille à l’école sans trop se forcer. Il fait tourner les têtes, et rayon sexualité, il semble plus initié. Il a pris sous son aile le cancre de la classe, l’hypersensible Moritz, un Pierrot rock hanté par l’idée d’amour, mais obsédé par ses versions latines et ses mauvais résultats. Ils sont là, du haut de leurs 14 ans. Ils ne savent pas ce qu’ils font, traînant les pieds dans la terre qui recouvre le plateau. Leurs cartables et leurs habits sont devenus trop petits. Ils sont arrivés à cet âge où le corps déborde et où l’anxiété gomme les rondeurs pouponnes du visage. Malgré l’uniforme et le teint cireux, on discerne des tempéraments. Comme la jolie Wendla, sorte d’Alice grunge aux cheveux lilas, icône de pureté tenue dans l’ignorance et qui finira dans les mains d’une tricoteuse. Et puis y a Melchior, la figure érotique du poète nihiliste qui fume des roulées et qui brille à l’école sans trop se forcer. Il fait tourner les têtes, et rayon sexualité, il semble plus initié. Il a pris sous son aile le cancre de la classe, l’hypersensible Moritz, un Pierrot rock hanté par l’idée d’amour, mais obsédé par ses versions latines et ses mauvais résultats. Autour, le monde des adultes et des institutions se vit comme une ombre lointaine mais oppressante. Il est ici question de l’hypocrisie morale et des pressions parentales et sociétales, celles qui se chargent de pousser les enfants dans le vide. Faute d’endurance, ils rentreront dans le moule, comme les grands. Une fin tragique attend les plus libres ou les plus fragiles. On a du mal à croire que ce texte de Frank Wedekind date de 1891 tant le contenu en est à la fois subversif et moderne, et la forme poétique et drôle. La société prussienne de l’époque n’avait vu que « pure pornographie » dans cette célébration onirique des mutations adolescentes. Freud et Lacan se piquèrent d’un vif intérêt pour cette balade symboliste dans les sous‐bois des pulsions refoulées. La mise en scène est euphorisante et diablement visuelle « Je crois que l’œuvre agit de façon d’autant plus saisissante qu’elle est jouée innocente, ensoleillée, rieuse. Je crois que la pièce, si on en accentue le tragique et la passion, risque de produire un effet rebutant ». Les mots sont de Wedekind lui‐même. Mais Omar Porras semble les avoir fait siens. La mise en scène est euphorisante et diablement visuelle. Il y a une orgie de matières : d’abord, le béton d’un vieux reste de bunker où les enfants traînent après l’école; ensuite, cette terre meuble et noire déversée par tonnes; et puis la pluie, superbe et silencieuse tombant sur les premiers accords à l’harmonium du Riders on the Storm des Doors. Mais l’humour finit toujours par pointer son nez quelle que soit la noirceur du propos. L’énergie clownesque, le jeu corporel, les clins d’œil au muet donnent un joyeux contrepoint au venin des situations. C’est dans cette esthétique multiple, qui emprunte autant à la scène rock alternative berlinoise qu’au manga, que les comédiens incarnent ce qu’ils ne sont pas : des enfants de moins de 15 ans. Avec toujours ce danger de forcer et d’en donner une version mièvre et agaçante. Avec sa voix trop douce, Jeanne Pasquier, qui joue Wendla, flirte avec cette ligne rouge sans toutefois la dépasser. Paul Jeanson prête son aura énigmatique au personnage de Melchior et en fait un animal sombre, sensuel et dominant. Avec ses fausses dents de lait fendues, ses culottes courtes et son air engoncé, on se dit que François Praud va en faire trop. Mais cet immense comédien crée un personnage irrésistible et défend le monologue de Moritz avec une grâce solaire et une fragilité à faire fondre. Les scènes de duo entre ces deux comédiens sont des moments qu’on rêverait extensibles à l’infini. Alors, c’est sûr, le texte est daté. À l’ère des Skyblogs, on ne trouve évidemment plus personne pour faire croire aux jeunes que les bébés sont livrés par des cigognes. Les « bas bleu ciel montant sur le pupitre » ne font plus fantasmer personne depuis longtemps. Mais dans la tête d’Omar Porras, l’éveil n’a pas changé, c’est la découverte suave et effrayante d’une autre version de soi‐même. À la fois le deuil de l’enfance et la naissance des sens. ¶ Ingrid Gasparini, Les trois coups, lundi 23 janvier 2012 

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