dr doom

Transcription

dr doom
Agora
Marchés financiers
Quelle est
votre plus grande
crainte?
Emmanuel
Ferry
Directeur des
Investissements, Banque
Pâris Bertrand Sturdza SA
Personne n’est (totalement) dupe: la situation
sur les marchés est tendue, très tendue. Quatre
stratégistes confient leurs pires appréhensions.
C’
est un peu comme le calme avant la tempête. Car
même si tout semble normal en apparence, les
marchés financiers ont rarement donné autant de
cheveux blancs aux investisseurs à travers le monde.
Comment gagner de l’argent lorsqu’il faut payer pour
en prêter aux plus gros emprunteurs de la planète?
Comment investir en actions lorsqu’il vous semble être assis sur
un baril de poudre? Qui croire et à qui se fier, lorsque l’Amérique
se donne en spectacle avec une campagne présidentielle qu’Hollywood n’aurait jamais osé imaginer dans ses pires scénarios – et
qu’on s’apprête à réélire les dirigeants des deux plus grands
pays d’une Europe que les Anglais veulent quitter? En tant que
stratégiste, la situation tient du cauchemar.
Posées noir sur blanc, leurs craintes prennent d’autant plus de
relief qu’elles sont fondées sur des faits et un agenda connus de
tous. Pas de “Dr. Doom & Gloom” parmi nos interlocuteurs, rien
que de très raisonnable dans leur observation du déraisonnable
qui nous entoure. Les dés sont jetés. Reste à admettre que la
peur n’est pas toujours mauvaise conseillère.
Le magazine suisse de l’asset management
Le risque à moyen terme est la
mauvaise allocation du capital
inhérente à l’action inédite des
Banques centrales menée depuis 2009 (politique de taux zéro, rachats d’actifs financiers).
La structure du marché est devenue très
risquée: toutes les classes d’actifs sont chères
simultanément et les biais de comportement
des investisseurs sont extrêmes, avec une
complaisance record. Un ajustement de ces
excès (correction boursière, normalisation des
taux d’intérêt et du risque de crédit) est
inévitable, mais difficile à prévoir. Toutefois,
le risque central est celui d’une récession aux
Etats-Unis, dont la probabilité augmente avec
une multiplication des signaux précurseurs:
retournement de la profitabilité, resserrement
des conditions de crédit, dégradation du
besoin de financement des entreprises et
remontée du taux de défaut. C’est le high yield
qui sera donc la courroie de transmission du
choc récessif aux actifs risqués. En d’autres
termes, c’est la gestion passive qui entre en
phase de risque maximal.
Extrait de BANCO N° 103 - NOVEMBRE 2016
Fabrizio
Quirighetti
Co-Head of Multi-Asset, CIO,
SYZ Asset Management (Suisse) SA
Le contexte économique
actuel se caractérise par
une croissance nominale
faible et un endettement élevé. Par
conséquent, les principales
craintes des marchés ces dernières années ont été, et
vont rester, liées soit à un ralentissement plus marqué
de la croissance chinoise ou américaine, soit à une
remontée des taux d’intérêt. En ce qui concerne les
portefeuilles, je considère qu’une brusque remontée
“injustifiée ou désordonnée” des taux constitue le
risque majeur pour les investisseurs institutionnels.
Cette tension pourrait provenir aussi bien d’un
emballement des attentes d’inflation, d’une erreur de
politique monétaire ou d’une expansion budgétaire
débridée. Elle impacterait négativement non seulement la poche obligataire, mais également les actions
dont les valorisations actuelles, historiquement
élevées, ne peuvent se justifier que dans un contexte de
taux… séculairement bas.
Michel Santi
Macroéconomiste, Directeur
d’Art Trading & Finance
Pour les marchés, mais également pour
les équilibres macroéconomiques mondiaux qui en seront bouleversés, mes plus
grandes craintes proviennent de mes plus grandes
certitudes. Que l’Union européenne est condamnée à imploser dans les 18 mois à venir. Les
grandes tourmentes qui caractériseront les
élections présidentielles françaises de mai 2017 et
le désaveu infligé à la Chancelière Merkel aux
élections de l’automne de la même année conditionneront une ère de repli sur soi des nations de
l’Union – sinistrées par la déflation et le chômage
– qui assisteront au déclin du leadership de leurs
deux plus importants membres. N’attendons nul
réconfort des Etats-Unis qui renoueront pour leur
part avec leurs instincts protectionnistes, déchirés
intérieurement par une lutte à mort entre un parti
démocrate emmené par une présidente Clinton
vindicative et par des Républicains d’autant plus
extrémistes qu’ils auront platement perdu les
élections présidentielles.
Valérie Lemaigre
Directrice, Cheffe de l’Investment Office et Economiste en Chef, BCGE
Un investisseur de long terme recherchant la rentabilité
fondamentale de l’investissement ne peut qu’être interpellé par
le manque d’accélération de la productivité (et donc de la
profitabilité), et ce, même dans des économies qui investissent dans des catalyseurs tels
que la recherche et le développement, l’innovation ou l’éducation (Etats-Unis, Suisse,
Allemagne). A titre d’exemple, en Suisse, les investissements des entreprises en
technologies de l’information ont progressé de 20% depuis 2009, alors que la productivité
stagne (+2.6% sur la même période). N’oublions pas que dans l’environnement actuel de
distorsions des autres classes d’actifs ou secteurs, affectés par le prolongement du régime
de taux négatifs (obligations, banques et assurances), seule la profitabilité des entreprises
nous offre une source de rendement à long terme. Actuellement, même hors énergie, les
profits des entreprises américaines et suisses sont en récession.
Extrait de BANCO N° 103 - Novembre 2016
Le magazine suisse de l’asset management