Le pacte des vierges

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Le pacte des vierges
1er prix Encres d’automne 7
Le pacte des vierges
Bercée par les mouvements du train elle s’est assoupie. Chaque bruit est encore audible, mais feutré, du
domaine des murmures. Aux mouvements rapides de ses paupières closes on peut deviner de nombreuses
images s’y bousculer, entre rêve et réalité.
Puis le rythme ralentit, sa respiration s’alourdit, les sons s’estompent encore, jusqu’à disparaître.
L’accordeur de silences est passé. Celui dont elle avait appris l’existence lorsqu’elle était enfant. Le partenaire
du marchand de sable. Il fait disparaître le bruit, en ajustant le silence, le rendant mélodieux, telle une
berceuse qui laisse glisser les gens dans un sommeil où le présent n’a plus d’emprise.
Elle est dans un dôme insonorisé. Une pause délassante où les pensées s’apaisent, s’adoucissent, deviennent
rêves.
Elle suit un papillon sous la neige, étrange flocon multicolore qui danse dans cette atmosphère ouatée. Il se
pose à ses pieds. Dans un dernier battement d’ailes le papillon disparaît, transformé en une femme sans
âge. Ses cheveux sont aussi blancs que la longue robe qu’elle porte, pourtant aucune ride ne creuse son
visage. Son regard est rayonnant. Cette femme évanescente, qui semble flotter devant elle, l’ensorcelle.
Elle se dit que le blanc va aux sorcières. Elle se sent détendue, euphorique face à cette image rassurante
d’une mère qu’elle n’a pas connue. En mal de cette affection maternelle, elle n’a jamais su accepter aucune
autre forme d’amour, ni à donner, ni à recevoir. Pourtant cette femme l’enveloppe de chaleur, sa présence
si délicate lui fait ressentir cette tendresse, cette protection qu’elle croyait ne jamais connaître. Avec un
sourire resplendissant, l’apparition lui dit : « N’oublie pas le pacte des vierges…», d’une voix si cristalline
qu’elle se réveille.
Elle est encore inondée par cette sensation de bien-être que lui a procuré cette rencontre. Elle sourit, se
laisse aller, sans lutter, sans s’interdire cette béatitude, comme elle l’a toujours fait.
Les paroles résonnent dans sa tête, lui rappellent son enfance. Elle revoit les deux fillettes avec qui elle a
grandi. Elles rêvaient de devenir princesses, elles croyaient au prince charmant.
Elle enviait leur joie, leur insouciance. Mais elle restait toujours à l’écart de leurs jeux. Elle se sentait
comme une pièce rapportée, simple spectatrice d’un univers auquel elle n’avait pas accès. Elle était
prisonnière de sa souffrance, seul héritage d’une mère partie trop tôt.
A l’adolescence, les deux sœurs s’étaient fait une promesse. Avec amusement, elles l’avaient nommée « Le
pacte des vierges ». Serment où elles se juraient de garder toujours leur joie de vivre, quoi qu’il arrive. « Soyons
heureuses en attendant le bonheur ! » était la phrase qui accompagnait rituellement chacun de leurs réveils. Mais
elle, n’en avait été que le témoin. Elle aurait aimé pousser ce cri, prometteur d’une belle journée. Mais
chaque matin elle restait muette sur son lit.
Aujourd’hui, son rêve lui rappelle combien elle a eu tort de refuser les jeux de ses amies. Elle aurait dû se
battre contre l’armée furieuse du désespoir qui l’assaillait, plutôt que de se laisser dominer.
Ce rêve, ces sensations ressenties, lui jettent la vérité au visage. Elle a fini par se complaire dans cette vie
morne et triste, jusqu’à en faire une fatalité. Elle s’est condamnée à cette existence terne en montant dans
ce train.
Pourquoi ce retour à Killybegs ? Partir s’isoler, encore, dans l’observation des vies d’oiseaux pour oublier la
sienne. Mais n’est-il pas temps pour elle de commencer à vivre ?
Elle se revoit sur le quai de la gare. Une femme fuyant l’annonce d’un amour ardent. Elle a eu peur, incapable
de faire face, elle s’est échappée.
Plutôt que de recevoir cette déclaration comme le plus beau des cadeaux, elle est partie, s’est engouffrée
dans ce train sans se retourner.
Il lui demandait de rester, elle s’est esquivée. Il lui ouvrait son cœur, elle s’est refermée.
La voilà seule dans ce train, dévorée par les regrets. Elle aurait pu, elle aurait dû accueillir ses mots, y
répondre, se laisser aller à leur douceur.
Des larmes coulent sur ses joues, elle regarde par la fenêtre. Il fait presque nuit sous ce ciel d’orage. Elle
voudrait être dehors, sentir les doigts bleus de la pluie glisser sur son visage pour effacer sa peine.
Elle prend conscience que le seul remède pour la guérir de ce mal d’amour, c’est l’amour comme par
hasard… elle vient de le refuser.
Plus de guérison possible, il est trop tard, elle s’éloigne. En lui tournant le dos, elle a fait son choix. Elle
essaye de l’oublier, d’effacer son sourire, son regard apaisant, rassurant. Impossible, ils l’inondent. Elle
pleure en silence.
Dans le reflet de la fenêtre, elle voit vaguement le passager assis en face d’elle glisser un mouchoir sur la
tablette qui les sépare. Lorsqu’elle se tourne vers lui, son cœur explose. Elle se sent submergée par une
vague de bonheur si puissante qu’elle en a le souffle coupé.
Il est là, il la regarde, lui sourit. Ses larmes deviennent des larmes de joie, elle pleure, elle rit. C’est une
explosion de sentiments, tous plus exaltants les uns que les autres…
Il l’a suivie de loin. Refusant de la perdre, il est monté dans le train. Lorsqu’elle s’est endormie il s’est assis
en face d’elle. A son réveil, plongée dans ses pensées elle ne l’a pas regardé.
Maintenant elle ne voit plus que lui. Le voile se lève, sa vie s’illumine.
Elle se blottit contre lui, elle sait désormais qu’elle n’aura plus peur. Elle aime et elle est aimée. Elle se sent
forte, elle n’est plus seule.
Elle a enfin goûté au bonheur, une saveur si délectable qu’elle ne veut plus s’en passer. Elle est prête
désormais à signer le pacte des vierges…
Laurence Dax

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