Une lettre pour vous, mademoiselle

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Une lettre pour vous, mademoiselle
roman
inédit
A PROPOS DE L’AUTEUR
Elizabeth Boyle a toujours adoré la romance et elle vit
chaque jour sa passion en écrivant des histoires captivantes
et enflammées, que les lectrices du monde entier décrivent
comme des page-turners. Depuis la parution de son premier
roman en 1996, elle a vu plusieurs de ses livres figurer dans
les listes de best-sellers du New York Times et de USA Today.
Elle a également remporté un RWA RITA Award et un
A Romantic Times Reviewers’ Choice Award. Elle habite
actuellement à Seattle avec son mari et ses deux jeunes fils, ses
« apprentis héros ». Suivez son actualité sur son site officiel :
www.elizabethboyle.com.
DU MEME AUTEUR
DANS LA COLLECTION
Dans la série « Les débutantes de Kempton » :
Sous le sceau du scandale
Collection : VICTORIA
Titre original : AND THE MISS RAN AWAY WITH THE RAKE
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VICTORIA®
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© 2013, Elizabeth Boyle.
© 2016, Harlequin.
Publié avec l’aimable autorisation de HarperCollins Publishers, LLC, New York, U.S.A
Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage,
sous quelque forme que ce soit.
Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux,
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Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47
www.harlequin.fr
ISBN 978-2-2803-5133-1
ELIZABETH BOYLE
Une lettre pour vous,
mademoiselle
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par
Emmanuelle Debon
A mes lecteurs,
Ce livre, mon vingtième, est dédié à chacun d’entre vous.
A ceux qui m’ont accompagnée depuis le début et à ceux
qui m’ont trouvée sur leur chemin.
Vos lettres, messages, e-mails, encouragements, et votre
amitié m’en ont davantage appris que toute autre chose sur
le pouvoir du récit.
Merci d’être à mes côtés pour le meilleur, et surtout pour
le pire.
Vous êtes dans mon cœur, avec toute mon estime.
Merci à tous,
Elizabeth, votre admiratrice dévouée
Cher lecteur,
Dans un coin reculé de l’Angleterre se trouvait un village
du nom de Kempton frappé d’une malédiction. Certes, la
plupart des villages auraient préféré passer sous silence
le fait qu’ils étaient maudits, mais pas celui-là. Ce sort
le rendait unique, et ses habitants s’y accrochaient avec
une détermination farouche.
En effet, comment lutter contre cette fatalité qui vouait
chaque femme née dans le village à demeurer vieille fille
pour le restant de ses jours ? Et malheur à l’homme qui
se hasardait à épouser l’une des demoiselles de Kempton.
Le dernier téméraire en date, un certain M. John Stakes,
avait couru le risque en convolant avec Agnes Perts. Un
homme affligé d’un tel nom1 n’aurait jamais dû offrir au
destin pareille opportunité. Ni laisser dans la chambre
nuptiale un tisonnier à portée de main.
Mais ce n’est que mon avis.
Personne ne savait bien d’où cette malédiction avait
surgi ni comment la lever.
Or miss Theodosia Walding avait un jour avoué,
lors de la réunion hebdomadaire de la Société pour
la tempérance et le progrès de Kempton, qu’elle avait
étudié la question dans l’espoir de libérer le village de
cette calamité, mais sa confidence avait été accueillie
avec une horreur unanime — c’était impertinent, et
franchement ridicule.
1. « Stake » signifie en français « pari », « enjeu », mais aussi « pieu » ou
« bûcher ». (NdT)
Et plus jamais miss Walding n’avait abordé le sujet.
Cette histoire n’est pourtant pas la sienne. Il ne s’agit
même pas de celle de cette demoiselle remarquable qui
semblerait avoir conjuré le sort, miss Tabitha Timmons,
jeune célibataire de Kempton, aujourd’hui célèbre pour
avoir hérité sa fortune d’un oncle original (mais toutes les
grandes fortunes ne s’héritent‑elles pas d’un tel personnage ?), être partie à Londres et s’être fiancée à un duc.
Oui, un duc.
Mais comme Tabitha et son noble et scandaleux promis
ne sont pas encore mariés à l’heure qu’il est, même si
celui-ci n’a pas été retrouvé avec un objet tranchant
planté dans la poitrine ou flottant dans un étang, personne ne peut affirmer avec certitude que la malédiction
de Kempton est levée.
Cependant, une intrépide demoiselle de Kempton,
miss Daphne Dale, est sur le point d’essayer de se
trouver un époux parfaitement honnête pour lui passer
la corde au cou.
Sans jeu de mots.
L’auteur
Chapitre 1
Miss Spooner,
Je vais être franc. Votre réponse à cette annonce dans
le journal révèle clairement que vous connaissez mal les
hommes. Pas étonnant que vous soyez encore célibataire.
Vous êtes soit une affreuse rabat‑joie, soit la chipie la plus
amusante qui ait jamais vu le jour. Je suppose que seuls
le temps et une bonne correspondance pourront satisfaire
ma curiosité.
Extrait d’une lettre de M. Dishforth à miss Spooner
Londres, six semaines plus tard
— Miss Dale, je vous trouve le teint un peu vif. Avez-vous
attrapé la fièvre ? Il n’en est pas question, pendant le bal de
fiançailles de miss Timmons ! déclara lady Essex Marshom
avant de se tourner vers sa nouvelle dame de compagnie, miss
Manx. Où est ma vinaigrette ?
Tandis que la jeune femme s’empressait de fouiller dans
un réticule de la taille d’une valise pour y dénicher l’un des
nombreux objets que lady Essex insistait pour garder en
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Elizabeth Boyle
permanence sous la main, Daphne fit de son mieux pour
détromper la chère vieille fille.
— Je me sens parfaitement bien, lady Essex, dit‑elle en
décochant un regard horrifié à sa meilleure amie, Tabitha.
La dernière fois que lady Essex lui avait fait respirer cette
affreuse vinaigrette, elle avait perdu l’odorat pendant une
bonne semaine.
— Tu es effectivement un peu rouge, confirma Tabitha
avec une étincelle malicieuse dans les yeux.
Daphne ravala la repartie qui lui brûlait les lèvres : depuis
que Tabitha s’était fiancée au duc de Preston, celle-ci était
devenue aussi effrontée qu’une poissonnière, et tout son bon
sens semblait avoir fondu comme neige au soleil.
Voilà ce qui arrivait quand on épousait un Seldon.
Daphne s’efforça de réprimer le frisson qui la traversait, car
elle se trouvait en ce moment même au cœur du territoire des
Seldon — dans leur maison londonienne de Harley Street où
avait lieu le bal de fiançailles de Tabitha et Preston.
Mais Daphne n’allait pas gâcher le plaisir de Tabitha, car
il était manifeste que Preston la faisait rayonner de bonheur.
Et puis ces fiançailles les avaient menées tout droit à Londres,
où résidaient les plus grandes espérances de Daphne.
Des espérances liées à un certain gentleman. Ce soir,
Daphne chérissait l’espoir d’être… d’être… Regardant
sa chère amie à la dérobée, elle pria intérieurement pour,
lorsqu’elle trouverait le véritable amour, être aussi heureuse
que l’était Tabitha.
Or comment en douter si M. Dishforth se trouvait quelque
part dans cette pièce ?
Oui, M. Dishforth. Elle, Daphne Dale, la plus raisonnable des demoiselles de Kempton, était engagée dans une
correspondance torride avec un parfait inconnu.
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Et ce soir elle allait le rencontrer.
Oh ! elle aurait été prête à affronter tout un bataillon de
Seldon pour assister à ce bal et retrouver son cher M. Dishforth.
— Qui est un peu rouge ? s’enquit miss Harriet Hathaway
— elle-même légèrement cramoisie —, qui venait juste
d’arriver dans la salle de bal.
Mais lady Essex commençait à perdre patience.
— Miss Manx, combien de fois vous ai-je répété qu’il est
impératif de garder la vinaigrette à portée de main ?
Harriet frémit et demanda en aparté :
— Qui est la victime désignée ?
Tabitha désigna Daphne, qui, à son tour, articula en silence
deux petits mots :
Aide-moi.
En amie loyale qu’elle était, Harriet vola à son secours.
— C’est à cause de la robe de Daphne, lady Essex. Ce satin
rouge lui fait les joues roses. Très seyant, vous ne trouvez pas ?
Dieu bénisse Harriet et toute sa descendance — elle avait
essayé.
— Et moi, je dis qu’elle est rouge, s’obstina lady Essex, qui
ne manquait pas une occasion de sortir sa fameuse vinaigrette.
Elle avait arraché le réticule des mains de miss Manx pour
en explorer elle-même les profondeurs insondables.
— Pas question que vous tourniez de l’œil, Daphne Dale.
Il est extrêmement difficile de garder un maintien élégant
quand on est étalée par terre.
Tabitha haussa les épaules. L’argument était imparable.
Mais Harriet refusait d’abandonner.
— J’ai toujours trouvé, lady Essex, qu’un petit tour de
salle était le meilleur moyen de regagner un peu de vitalité.
Elle s’interrompit pour adresser un clin d’œil à Daphne et
Tabitha pendant que la dame continuait ses fouilles.
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Elizabeth Boyle
— En outre, reprit‑elle, quand je dansais avec lord
Fieldgate, il m’a bien semblé apercevoir lady Jersey de l’autre
côté de la salle.
— Lady Jersey, dites-vous ?
Aussitôt, la vieille fille oublia la vinaigrette et redressa la
tête. Mieux encore, il ne lui vint pas à l’esprit qu’elle aurait
sans doute dû réprimander Harriet pour avoir dansé avec
cette canaille de vicomte.
— Oui, j’en suis tout à fait certaine.
Alors, surpassant tous les espoirs de Daphne, Harriet rendit
son réticule à miss Manx, glissa son bras sous le coude de
lady Essex et la guida à travers la foule.
— Ne me disiez-vous pas tout à l’heure que, si vous
pouviez lui toucher un mot, votre prochaine saison serait
assurée ? demanda-t‑elle en l’escortant.
Comme par magie, la vinaigrette honnie et les joues
enflammées de Daphne étaient passées à la trappe.
Bénie soit également lady Jersey.
Daphne et Tabitha emboîtèrent le pas à Harriet et lady
Essex — à bonne distance pour pouvoir discuter en toute
discrétion.
— Tu prends un risque terrible, murmura Tabitha. Si
lady Essex apprenait…
— Chut ! lança Daphne en posant un doigt sur ses lèvres.
Ne dis pas un mot, elle entend tout !
Il était déjà miraculeux que son chaperon n’ait pas découvert son secret le plus sombre — qu’elle avait répondu à une
annonce passée dans le journal par un gentleman en quête
d’une épouse.
Elle avait fait cela, oui. Et le gentleman lui avait écrit en
retour. Et elle avait de nouveau répondu. Ce mystérieux
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échange épistolaire durait depuis un mois. Si quelqu’un
l’apprenait, cela ferait un scandale sans précédent.
En tout cas, si lady Essex découvrait que cette infamante
correspondance s’était faite dans son dos, les seules lettres
auxquelles Daphne ne pourrait plus s’autoriser à répondre
seraient des messages de condoléances suite à la crise cardiaque de la vieille fille.
— Tu crois qu’il est arrivé ? demanda Tabitha en balayant
la pièce du regard.
Daphne passa discrètement les nombreux invités en revue
et secoua la tête.
— Aucune idée. Mais il viendra, j’en suis certaine.
Son cher M. Dishforth. Daphne sentit une rougeur familière
lui monter aux joues. Au début, ses lettres étaient hésitantes et
sceptiques, mais à présent leur correspondance était devenue
quotidienne et avait soudain pris un tour des plus intimes.
J’aimerais vous en écrire davantage, mais je dois assister
ce soir à un bal de fiançailles. Puis-je espérer que mes
obligations soient les mêmes que les vôtres ?
Daphne se mordit la lèvre. Un bal de fiançailles. Il était
forcément ici. Au bal de Tabitha et Preston. Son M. Dishforth.
Portez du rouge si pareilles festivités figurent à votre
programme, et je vous trouverai.
Elle avait donc enfilé sa toute nouvelle robe de satin rouge
et était venue dans l’espoir fou de découvrir enfin l’identité
du mystérieux M. Dishforth.
Voilà qui permettrait enfin à Tabitha et Harriet de cesser de
se ronger les sangs à son sujet. Quand elles avaient découvert
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Elizabeth Boyle
ce qu’avait fait Daphne — et ce qu’elle continuait de faire —,
elles avaient été pour le moins choquées.
— Daphne, comment as-tu pu ? Une annonce ? Dans le
journal ? avait dit Tabitha, bouleversée. Ce Dishforth pourrait
être n’importe qui !
Harriet avait été plus directe :
— Cet homme pourrait être comme ce monstre à Reading,
l’année dernière, qui se cherchait une femme alors qu’il en
avait déjà une à Leeds. C’est peut‑être lui, d’ailleurs !
Daphne avait grincé des dents, car sa cousine Philomena,
qui interceptait les lettres envoyées par M. Dishforth et les
lui transmettait, lui avait opposé par deux fois exactement
le même argument.
— Tu ne diras rien à lady Essex, n’est‑ce pas ? l’avait
suppliée Daphne.
Lady Essex ne prenait pas à la légère son rôle de chaperon à
Londres. Elle avait une idée très arrêtée du genre d’hommes
qui constituaient un parti convenable et de la façon dont les
jeunes gens devaient se courtiser. Si elle avait vent de cette
correspondance illicite, Daphne perdrait tout espoir de
découvrir l’identité de M. Dishforth.
A jamais.
Heureusement pour Daphne, ses amies — qui étaient
comme des sœurs — avaient accepté de garder le secret. En
échange de quoi elles avaient exigé d’avoir le dernier mot :
avant que Daphne commette l’irréparable, ce seraient elles
qui décideraient si M. Dishforth était ou non un homme
convenable.
Daphne était une Dale de Kempton, honorable et respectable, et elle n’avait nullement l’intention de commettre quoi
que ce soit d’irréparable.
Pourtant, elle frissonna en se rappelant la dernière ligne
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de la plus récente missive de M. Dishforth. Celle-là, elle ne
l’avait pas lue à ses amies.
Je serai le gentleman le plus malhonnête des lieux. Fou
de désir pour vous.
Souriant à part elle, Daphne balaya de nouveau la pièce du
regard, espérant trouver un moyen de reconnaître l’homme
qu’elle cherchait dans la foule de beaux gentlemen et autres
lords qui figuraient sur la liste des invités.
— Daphne, ne lève pas les yeux, mais il y a quelqu’un
en face qui te dévisage avec insistance, chuchota Tabitha.
C’était le cas, en effet. Daphne haussa les paupières aussi
discrètement que possible, consciente que n’importe quel
gentleman dans la salle pouvait être Dishforth.
Elle secoua aussitôt la tête.
— Oh ! Seigneur, non !
— Pourquoi pas ? s’enquit Tabitha.
— La coupe de sa veste est affreuse, expliqua Daphne
d’un ton plaintif.
Car si quelqu’un, dans son groupe d’amies, était au fait de
la mode, c’était bien elle.
— Mon M. Dishforth ne porterait jamais autant de
dentelle, reprit‑elle avec un frémissement de dégoût. Et
observe le drapé exagéré de cette cravate : il y a tellement de
plis qu’on la dirait nouée par un débardeur.
Rompue aux jugements mordants de Daphne en matière
de mode, Tabitha éclata de rire.
— Tu as raison, approuva celle-ci tandis que l’homme
en question passait près d’elle, non sans poser un regard
admiratif sur le décolleté de Daphne.
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Elizabeth Boyle
Il est vrai qu’elle aurait dû s’attendre à ce genre d’œillades.
Cette robe était un petit scandale en elle-même, et Daphne
l’avait commandée sur une impulsion en se demandant ce
que Dishforth penserait d’elle en la voyant vêtue avec tant
d’élégance et d’audace.
Lady Essex s’étant arrêtée pour échanger des ragots avec
une vieille amie, Harriet en profita pour rejoindre les siennes.
— Vite, Daphne, montre-nous la liste. Nous allons essayer
de dénicher ton Dishforth.
Daphne sortit le papier de son réticule. Depuis qu’elle avait
appris que M. Dishforth assisterait au bal de fiançailles de
Tabitha, le trio avait répertorié tous les suspects potentiels
parmi les invités.
— Lord Bustow, lut Tabitha par-dessus son épaule.
Les trois demoiselles regardèrent l’homme à la dérobée —
leurs informations n’étaient peut‑être pas tout à fait exactes.
— Comment avons-nous pu nous tromper à ce point sur
son compte ? chuchota Harriet.
— Il doit avoir plus de quatre-vingts ans, fit remarquer
Tabitha avec un petit claquement de langue dépité.
— Et ses mains tremblent tellement qu’il doit être incapable d’écrire lisiblement, souligna Harriet.
Lord Bustow fut donc rayé de la liste, et elles reprirent
leur enquête.
— Redis-nous ce que tu sais de lui, demanda Tabitha.
Avec l’aide de Harriet, Daphne avait constitué un épais
dossier qui contenait tous les renseignements qu’elle avait
rassemblés sur Dishforth, tellement fourni qu’il n’aurait pas
déparé dans le bureau de Chaunce, le frère de Harriet, qui
travaillait au ministère de l’Intérieur.
— En premier lieu, c’est un gentleman, commença
Daphne. Il m’a laissé entendre qu’il avait fréquenté Eton. Et
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son écriture, son orthographe et sa syntaxe sont celles d’un
homme cultivé.
Autant dire que la plupart des hommes dans la salle
correspondaient à cette description.
— Il vit à Londres même, poursuivit Daphne. Probablement
Mayfair, à en croire la fréquence de ses envois.
— En tout cas, ajouta Harriet, il habite à Londres depuis
la parution de son annonce.
— Et il n’a pas quitté la ville à la fin de la saison, souligna
Tabitha.
Daphne le soupçonnait de résider en ville de façon permanente.
— C’est toujours un valet en livrée neutre qui apporte
ses lettres.
— Il est futé, commenta Harriet. Si le valet portait une
livrée à ses couleurs, ce serait tellement plus simple.
Certes, M. Dishforth leur donnait du fil à retordre. L’adresse
à laquelle Daphne expédiait ses lettres s’était révélée correspondre à une maison louée — très bien située, sur Cumberland
Place. Le trio d’amies avait découvert ce détail en allant se
promener dans le parc voisin pour glaner quelque indice.
— Quel dommage que nous n’ayons pu rencontrer lady
Taft, soupira Tabitha en évoquant l’occupante actuelle de la
demeure en question.
En parcourant l’exemplaire usé du Debrett’s1 emprunté à
lady Essex, elles avaient appris que lady Taft avait deux filles
mais pas de fils. Ce qui signifiait, hélas, que Dishforth habitait probablement ailleurs. Cela dit, c’était de bonne guerre :
1. Le Debrett’s Peerage and Baronetage est un annuaire nobiliaire britannique dont l’origine remonte à 1769.
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Elizabeth Boyle
Daphne se servait de l’adresse de sa grand-tante Damaris
pour cacher sa correspondance à lady Essex.
— Si nous ne trouvons pas Dishforth ce soir, proposa
Harriet, nous irons frapper demain chez lady Taft et questionnerons son majordome afin de savoir pourquoi elle sert
d’intermédiaire à Dishforth.
— Nous demanderons aussi qui est le propriétaire de la
maison, suggéra Tabitha.
— Non ! s’exclama Daphne, qui, secrètement, entretenait l’espoir que leur première rencontre se ferait dans des
circonstances plus romantiques.
Investir la demeure que louait lady Taft n’entrait pas dans
ce scénario.
Bien sûr, il lui fallait partir du principe que tout ce que
Dishforth avait dévoilé de lui dans ses lettres était vrai et pas
aussi fictif que son nom.
Elle, en tout cas, avait été honnête avec lui.
Pour l’essentiel. Pas en ce qui concernait son patronyme,
évidemment. En effet, elle lui écrivait sous le nom de miss
Spooner, celui de sa première gouvernante. Sur le moment,
elle avait jugé que c’était le pseudonyme parfait : la vraie
miss Spooner ne s’était‑elle pas enfuie un soir avec un beau
capitaine de marine ?
Il n’y avait pas que son nom qui était faux, en fin de compte.
Daphne se sentit soudain mal à l’aise, car elle n’avait pas été
tout à fait franche avec M. Dishforth. Elle avait omis de lui dire
qu’elle n’avait pas fini ses études. Et qu’elle détestait Londres.
Mais certaines choses ne se disent pas dans les lettres.
Et puis, franchement, si les amoureux se disaient toute la
vérité, personne ne se marierait jamais.
Perdue dans ses pensées, Daphne n’avait pas remarqué le
retour de lady Essex.
Une lettre pour vous, mademoiselle
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— Miss Dale, vous me semblez confuse, lança la vieille
fille en la dévisageant de son regard perçant. Et très rouge.
Miss Manx, ma vinaigrette.
Daphne s’empressa de la rassurer :
— Je me sens tout à fait bien !
— C’est sans doute la chaleur, déclara lady Essex. Quelle
idée de donner un bal en juillet ! Croyez-vous que nous
étoufferons autant à Owle Park ?
— Non, lady Essex, absolument pas, répondit Tabitha.
Owle Park est tout à fait charmant. Les pièces sont vastes et
aérées, avec une vue merveilleuse sur la rivière.
— Une rivière ? Voilà qui est prometteur, à condition
que cette fournaise ne gâche pas tout. Les demoiselles ne
sont pas à leur avantage quand la chaleur les fait transpirer.
Cela abîme la soie.
Sur ces mots, elle décocha un regard entendu à Daphne.
Un peu plus tôt, lady Essex lui avait en effet soutenu que la
soie de sa robe était trop chaude — une façon polie de lui
dire qu’elle était parfaitement inconvenante — et lui avait
suggéré de revêtir une tenue de mousseline mieux adaptée à
une soirée estivale. Et moins décolletée, surtout.
Mais Daphne n’avait pas cédé — elle porterait du rouge.
Quand Tabitha et Harriet avaient fait remarquer combien
Daphne était jolie dans sa nouvelle robe, la vieille fille avait
baissé les bras.
Car lady Essex tenait avant tout à ce que Daphne et Harriet
se présentent sous leur meilleur jour. Elle clamait avec délectation que c’était uniquement grâce à elle que Tabitha était
fiancée à Preston, et avait maintenant l’intention de marier
les deux autres — du moins, à condition de dénicher les
meilleurs partis possibles pour Daphne et Harriet.
— J’espère que vous saurez faire preuve de discernement,
34
Elizabeth Boyle
Daphne Dale. C’en est assez de cette attitude de midinette
que vous avez développée ces derniers temps, lança lady
Essex assez fort pour être entendue de la moitié de la salle.
Rappelez-vous que vous êtes sans dot. Heureusement, les
hommes ont tendance à oublier ce genre de détails face à une
jolie femme. Si j’avais eu des cheveux et des yeux comme les
vôtres, j’aurais été duchesse, sans nul doute.
— C’est pour ça que vous avez refusé les avances du
comte ? la taquina Tabitha. Vous vous réserviez pour un duc ?
— Tout le monde n’a pas votre chance, miss Timmons !
rétorqua la dame. Duchesse, rien que ça ! Et l’épouse de
Preston, pour couronner le tout. Les Seldon doivent se réjouir
qu’il se marie enfin. Quand je pense que nous serons toutes
à la cérémonie !
Daphne frémit, comme chaque fois qu’elle entendait ce
nom. Rien de tel que ces deux syllabes pour faire grincer les
dents d’une Dale.
Seldon.
Comment était‑il possible que le reste de la bonne société
anglaise ne voie pas cette famille sous le même jour que les
Dale la voyaient ?
— Miss Dale, auriez-vous la décence de vous réjouir du
bonheur de miss Timmons ? gronda lady Essex. Vous faites
une tête d’enterrement !
— Vas-y, dis-le, intervint Tabitha. Tu ne voulais pas que
j’épouse un Seldon.
— Ce n’est pas le genre de mariage que je ferais, en tout
cas, répondit Daphne avec diplomatie.
Elle avait fini par se résigner à l’idée que sa plus chère
amie soit follement amoureuse de Preston — et que ce soit
réciproque.
Si seulement il ne s’agissait pas d’un Seldon…
Une lettre pour vous, mademoiselle
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— Daphne, la tança lady Essex. Depuis quand cette
querelle traîne-t‑elle ? Un siècle ?
Presque trois, à vrai dire, mais Daphne n’avait pas l’intention de la corriger.
— J’aurais cru que les Dale et les Seldon étaient capables
d’oublier et de pardonner, dit lady Essex. Tout ceci est très
pénible. En outre, Tabitha aura meilleur jeu d’épouser
Preston que cet odieux Barkworth auquel son oncle voulait
la marier de force.
Une pénible querelle, pensez-vous ! Heureusement que sa
mère n’était pas là pour entendre ça, songea Daphne. Et à
plus forte raison pour voir sa fille unique assister à un bal
organisé par les Seldon — elle ne l’aurait jamais permis.
— Soyez sans crainte, lady Essex, dit Tabitha en saisissant
le bras de Daphne pour reprendre leurs déambulations. Quand
je serai mariée, Daphne sera obligée de tomber amoureuse
des Seldon, elle aussi.
— Vous avez absolument raison ! approuva lady Essex.
Une fois qu’elle aura assisté à la partie de campagne d’Owle
Park et constaté combien ce mariage te rend heureuse, toutes
ces bêtises entre les Seldon et les Dale seront oubliées. Parce
que, d’ici là, elle aussi aura trouvé un mari.
Owle Park. Ce seul nom contrariait Daphne. La maison de
campagne du duc de Preston. Le siège de la famille Seldon.
Une demeure aussi abhorrée des Dale qu’une annexe de
Sodome et Gomorrhe.
— Tu viendras à Owle Park ? demanda Tabitha avec
insistance.
Ce qui signifiait en réalité : « Viendras-tu à mon mariage ? »
Daphne se tendit. Ses parents, bien que ravis de l’excellente
alliance de Tabitha avec un duc, étaient parfaitement opposés
à l’idée de passer deux semaines en territoire ennemi.
36
Elizabeth Boyle
Dans la propriété des Seldon.
« Un endroit pareil », avait dit sa mère avec un frisson.
Mais ils n’avaient pas eu l’impolitesse de prononcer ces
mots en présence de Tabitha.
— J’en ai discuté avec maman, dit Daphne.
« Discuter » n’était pas vraiment le terme approprié.
Quand Daphne avait évoqué le sujet, sa mère s’était aussitôt
réfugiée dans sa chambre et avait passé deux jours au fond
de son lit à pleurer et se lamenter, persuadée qu’emmener sa
fille unique et célibataire à une partie de campagne organisée
par les Seldon revenait à l’envoyer dans une maison close.
Chacun savait que les Seldon étaient capables des pires
débauches, mais à la campagne, en plus ? Loin des regards
indiscrets de la société, qui sait à quelles turpitudes ils allaient
assister ou être soumis…
« Ce sera notre ruine à tous. Ou pire… », avait gémi sa
mère avant de se plaindre à son mari compatissant.
Daphne ignorait ce qu’elle entendait exactement par
« pire ». Elle espérait seulement que Tabitha ne regretterait
pas très vite d’être entrée dans une famille aussi notoirement
scandaleuse, et surtout d’avoir épousé ce duc dont on disait
pis que pendre. Sans parler des autres membres de la famille,
que Daphne était parvenue à éviter jusque-là.
— Bien sûr, qu’elle viendra à votre mariage, dit lady
Essex en tendant son éventail à miss Manx. Si votre mère
juge convenable que vous assistiez au bal de fiançailles, elle
passera outre ses préjugés et vous autorisera à être présente
lors de la partie de campagne d’Owle Park. La moitié de la
haute société se réjouit d’être invitée, et l’autre moitié est
furieuse. Votre mère n’est pas stupide, Daphne Dale.
Peut‑être, aurait voulu répondre Daphne, mais sa mère
était une Dale jusqu’au bout des ongles — de mariage et de
Une lettre pour vous, mademoiselle
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naissance. Sa haine des Seldon n’était pas née de l’expérience
mais d’une méfiance entretenue depuis des générations.
— Au moins, tu es là ce soir, dit Tabitha, souriante. Elle
ne t’a pas interdit de venir à mes fiançailles.
Daphne pinça les lèvres — sa mère ne l’avait pas expressément autorisée à venir.
Bien au contraire.
En tout cas, en quittant Kempton pour venir à Londres
avec Tabitha, elle avait tenu sa promesse de ne pas passer plus
de temps que nécessaire en compagnie des Seldon.
Et dans la mesure où, ce soir, elle avait l’intention de
rencontrer M. Dishforth, sa présence ici était « nécessaire ».
Même si elle devait pour cela se forcer à danser avec l’oncle
de Preston, lord Henry Seldon.
Pourtant, cette idée la déprimait.
— Tu penses à lord Henry, n’est‑ce pas ? demanda Harriet
en lui décochant un petit coup de coude.
— Je t’en prie, ne fais pas cette grimace quand il viendra
te chercher, ajouta Tabitha.
— Je ne pensais pas du tout à lord Henry, et je ne grimace
pas, prétendit Daphne en arborant un sourire forcé.
— Si, contra Harriet, péremptoire.
Parfois, on ne pouvait rien lui cacher.
— Traîtresse, murmura Daphne.
— Cette querelle n’est pas la mienne, répondit Harriet
en haussant les épaules.
Tabitha, plantée devant ses amies les bras croisés, battait
impatiemment du pied.
— Arrêtez, toutes les deux ! s’écria Daphne. D’accord,
quand je danserai avec lui, je vous promets d’être la plus
affable et gracieuse des demoiselles de ce bal.
— Je ne vois pas pourquoi tu te mets dans des états
38
Elizabeth Boyle
pareils, souligna Harriet. D’après ce que dit Roxley, l’oncle
de Preston est quelqu’un de tout à fait aimable. Un peu
ennuyeux, peut‑être.
Lady Essex émit un claquement de langue réprobateur.
— Vous ne devriez pas écouter ce que raconte mon
vaurien de neveu, Harriet. Ses opinions ne sont pas fiables.
Et Tabitha a raison, miss Dale : vous ne pouvez pas faire cette
tête pendant tout le bal. Contentez-vous de danser avec lord
Henry, et n’en parlons plus.
— Combien de fois faudra-t‑il le répéter ? soupira Daphne,
exaspérée. C’est un Seldon. Si ma famille découvre que j’ai
dansé avec lui, dîné avec lui…
Elle ne prit pas la peine de poursuivre. Chaque fois qu’elle
s’imaginait danser avec lord Henry, elle voyait très clairement
les Dale de toute l’Angleterre ouvrir leur bible et rayer avec
véhémence son nom de la liste de la famille.
Ou même l’en extraire au couteau.
Grand-tante Damaris s’empresserait d’en commander une
neuve pour y faire inscrire un nouvel arbre généalogique. Où
Daphne ne figurerait pas.
— Daphne, je ne comprends pas ce qui te prend, la gronda
Tabitha. Je pensais que tu finirais par apprécier Preston.
— Oh ! il semble s’être assagi, reconnut‑elle. Mais je
pense que c’est dû à ton influence, Tabitha, et pas du tout à
sa nature de Seldon.
— Sa nature de Seldon ? répéta Harriet en plissant le nez.
Ecoute-toi parler. Tu es d’une condescendance !
Daphne se vexa.
— Je ne suis pas condescendante, seulement très au fait
de l’histoire de la famille Seldon. Même lady Essex te dira
que les chiens ne font pas des chats.
Lady Essex pinça les lèvres et fronça les sourcils — elle le
Une lettre pour vous, mademoiselle
39
pensait, en effet, mais ce n’était pas le moment de l’admettre.
Et elle fit mine de chercher du regard sa dernière proie en
date, lady Jersey.
— Et puis pourquoi devrais-je danser avec lui, après
tout ? demanda Daphne en affichant un mince sourire qu’elle
espérait avenant.
— C’est la tradition chez les Seldon, répéta Tabitha pour
la quatrième fois au moins. Lors du bal de fiançailles, la
demoiselle d’honneur de la future mariée doit danser avec
le garçon d’honneur.
— Et tu vas le faire, parce que Tabitha est notre plus
chère amie, intervint vivement Harriet, mi-sentencieuse,
mi-grondeuse. Et nous ne voulons en aucune façon gâcher
son bonheur.
— Tu pourrais danser avec lui, toi, souligna Daphne.
Après tout, Harriet était l’amie de Tabitha au même titre
qu’elle.
— Je t’ai déjà dit que j’avais promis cette danse à quelqu’un
d’autre, répliqua Harriet en croisant les bras. Et il ne s’agit
que d’une danse.
— Il ne s’agit pas que d’une danse, s’obstina Daphne. Il y
a aussi le repas. Je suis censée dîner à ses côtés. Et vous savez
toutes les deux que ma mère ne serait pas d’accord avec ça.
— Ta mère est à Kempton, observa Harriet. Et nous,
nous sommes à Londres.
— Dieu du ciel, Harriet ! s’exclama lady Essex plissant les
yeux vers le fond de la salle. Lady Jersey est là-bas ! Et dire
que j’ai cru que vous aviez inventé cela pour m’empêcher de
faire respirer ma vinaigrette à miss Dale.
Elle leur adressa à toutes les trois un regard perçant, comme
pour leur dire que rien, absolument rien ne lui échappait,
avant de déclarer :
40
Elizabeth Boyle
— Harriet, miss Manx, venez avec moi. Allons décrocher
ces invitations pour la saison prochaine. Nous en aurons
peut‑être besoin.
De nouveau, elle toisa Harriet et Daphne pour leur signifier
qu’elle aurait largement préféré les voir se mettre sérieusement
en quête d’un bon parti plutôt que de traîner des pieds.
Tabitha soupira.
— Je suis vraiment contente d’avoir trouvé Preston…
Seigneur, à ce propos, il est en train de se faire tenir la jambe
par lady Juniper. Sans doute au sujet du plan de table, une
fois de plus.
Daphne suivit son regard. Le futur époux de Tabitha était
en effet acculé par une dame élégante vêtue de mauve — la
fameuse lady Juniper, tante de Preston et sœur de lord Henry.
Tabitha se tourna vers Daphne avec une expression interrogative.
— Oui, va le sauver, dit Daphne à son amie. Je ne risque
rien, ici.
— Si tu le trouves — M. Dishforth, je veux dire —,
amène-le-moi immédiatement, lui intima Tabitha en agitant
le doigt. Je t’interdis de tomber amoureuse et de t’enfuir avec
lui avant que je t’y aie autorisée.
— Tabitha, je suis beaucoup trop raisonnable pour ça. Je
te promets que, quand j’aurai trouvé mon Dishforth, je ne
m’enfuirai pas avec lui. Croix de bois, croix de fer.
Satisfaite, Tabitha s’empressa de voler au secours de son aimé.
Daphne se remit à étudier chacun des hommes présents
dans la salle de bal des Seldon. Elle était sans doute la première
Dale à mettre le pied dans cet endroit maudit.
Jusqu’ ici, tout va bien, songea-t‑elle. Il y avait près d’une
heure qu’elle était là, sa réputation était toujours intacte et
on ne l’avait pas encore vendue à un harem.
Une lettre pour vous, mademoiselle
41
Tabitha lui avait seriné que la résidence du duc de Preston
n’avait rien d’extraordinaire. Certes, le salon rouge était
un peu tape-à-l’œil, mais pas davantage que ce à quoi l’on
pouvait s’attendre dans l’enclave d’un duc. Et Daphne devait
admettre qu’il n’y avait pas trace ici du Hellfire Club1 ou de
toute autre société consacrée à la débauche. Pas à première
vue, du moins.
Toutes les preuves de luxure devaient être cachées dans la
cave, supposa-t‑elle.
Ne pas descendre au sous-sol, nota-t‑elle à part elle, par
précaution.
Cela dit, dans la mesure où elle avait pris tous les risques
en venant ici ce soir, la cave était bien le cadet de ses soucis.
Surtout si sa famille découvrait ce qu’elle avait fait.
A sa décharge, elle s’était rendue à ce bal avec la plus noble
des intentions. Parce qu’il serait là. Son M. Dishforth.
Après cette soirée, leur relation ne serait plus simplement
épistolaire. Oh ! elle savait exactement ce qui allait se passer.
Elle allait lever les yeux, et leurs regards se croiseraient. Il
lui sourirait. Non, il irradierait la joie en la reconnaissant.
En cet instant magique, ils sauraient. Ils sauraient tous
deux sans le moindre doute qu’ils venaient de trouver l’amour
de leur vie.
Dishforth serait vêtu avec élégance mais sans exagération.
Pas de cascades de dentelles mais une simple veste Weston, et
une cravate blanche classique dotée d’un nœud Mail Coach
sans fioritures mais impeccable. Et il serait séduisant. Peut‑être
autant que Preston, qui sait ?
Oui, elle devait concéder ce fait, même s’agissant d’un
1. Le Hellfire Club était un club de libertins anglais de la haute société
fondé au xviiie siècle.
42
Elizabeth Boyle
Seldon : Preston était vraiment bel homme. Mais tous les
hommes de sa famille avaient la réputation d’avoir été plus
que gâtés par la nature.
Daphne soupira. Cela dit, si M. Dishforth avait ne serait‑ce
que la moitié de leur prestance…
Elle secoua la tête — tout ceci était ridicule et n’arriverait
jamais ; elle rêvait.
Elle était parvenue à s’en persuader, lorsqu’elle regarda
de l’autre côté de la pièce. Alors, tout se passa exactement
comme elle l’avait imaginé.
— Eh, là-bas ! lança le comte de Roxley alors que Henry
tentait de se glisser en douce dans la salle de bal.
En général, Henry était toujours à l’heure aux réceptions,
mais ce soir il était en retard. Et au bal de fiançailles de
Preston, qui plus est.
Henrietta allait être furieuse contre lui. Et le comte ne
contribuait pas à rendre son entrée plus discrète.
— Ah, bonjour, Roxley, dit Henry.
Il n’appréciait pas particulièrement l’exubérant ami de
Preston, car il n’avait jamais réussi à cerner sa personnalité. Et
pourtant voilà que Roxley se comportait avec lui comme s’ils
avaient fait les quatre cents coups ensemble depuis leur plus
jeune âge. Certes, maintenant que Preston allait se marier,
le comte était probablement à la recherche d’un nouveau
compagnon d’armes pour l’accompagner dans ses virées.
Henry frissonna à cette idée extravagante. Il allait s’excuser
après du comte quand une idée l’arrêta sur place.
Un homme de la ville.
Seigneur, Roxley était exactement la personne qu’il lui
Une lettre pour vous, mademoiselle
43
fallait : c’était un véritable puits de science en matière de
haute société, et en particulier de dames.
Surtout s’il s’agissait d’en trouver une.
Henry se détendit. Après tout, c’étaient Preston et Roxley
qui avaient passé cette fichue annonce ; à présent, Roxley allait
l’aider à clôturer l’affaire. Quelle ironie, et quelle aubaine !
— C’est un plaisir de te voir, mon vieux, dit Henry en
s’efforçant de sourire.
— Bien sûr, répondit le comte en tapant dans le dos de
Henry comme s’ils avaient l’habitude de se saluer ainsi. J’ai
manqué quelque chose ?
— Je ne saurais le dire, je viens d’arriver.
— Toi ? demanda Roxley en dévisageant Henry d’un air
perplexe. Ce n’est pas ton genre, mon cher.
Comme c’était vrai ! Henry avait fait beaucoup de choses
qui n’étaient pas son genre, récemment. A cause d’elle. miss
Spooner.
— Preston m’a dit que tu te morfondais, ces derniers
temps, reprit Roxley. Il m’a demandé de garder l’œil sur toi.
— Moi ? s’étonna Henry en secouant la tête. Je ne me
morfonds jamais.
— C’est ce que j’ai dit à Preston. Et pourtant tu es en
train de raser les murs de ta propre salle de bal. Si je ne te
connaissais pas mieux, je dirais que tu es à la recherche de
quelqu’un.
Dieu du ciel, était‑ce à ce point visible ? Henry tenta de
la jouer au culot :
— Pourquoi diable dis-tu cela ?
Roxley était généralement expansif et relativement incohérent dans ses propos mais, pour une fois, il fit montre d’une
perspicacité qui n’était pas sans rappeler celle de sa harpie
de tante, lady Essex.
44
Elizabeth Boyle
— Parce que tu as regardé trois fois la porte et inspecté
deux fois la piste en moins de deux minutes. Qui est cette
femme ?
— Personne, prétendit Henry. Tu dois te tromper…
— N’essaie pas de me mener en bateau, mon vieux. Ça,
c’est plutôt ma spécialité. Alors, qui est‑ce ?
Roxley se tut, les bras croisés, prêt à entendre la confession
de Henry.
Celui-ci pinça les lèvres, car il n’avait encore rien avoué
à quiconque de ce qu’il avait fait, à savoir répondre à une
lettre et entamer une correspondance avec une femme au
nom ridicule, miss Spooner.
Pourvu que ce ne soit pas son vrai nom.
Il n’avait aucune envie de confier tout cela à quelqu’un
comme Roxley. Pourtant, le comte ne semblait pas tout à fait
le même, ce soir. Peut‑être parce qu’il n’avait pas descendu
une bouteille entière de brandy avant d’arriver et avait encore
les yeux en face des trous.
— Je… c’est‑à-dire…, commença Henry.
Roxley leva la main pour l’interrompre.
— Ça va devoir attendre. Voici ma tante. Elle arrive
droit sur nous, avec lady Jersey sur les talons. Si ces deux-là
m’attrapent, c’en est fini de moi.
Il se tourna vers l’alcôve, derrière eux, puis en entrouvrit
légèrement la porte et se faufila dans le jardin.
— Bonne chance pour tes recherches, dit‑il. Je crains de
devoir m’éclipser pour le moment.
Puis il ajouta avant de partir :
— Un petit conseil : je ne sais pas ce que tu allais m’avouer,
mais n’en dis rien à ta sœur.
Il désigna du menton un coin de la pièce et disparut.
Henry pivota dans la direction indiquée et aperçut Henrietta
Une lettre pour vous, mademoiselle
45
et Preston qui semblaient absorbés dans une discussion
enflammée. Sans doute reprenaient‑ils le débat qu’ils avaient
entamé un peu plus tôt dans la journée. Il repensa à cette
conversation, sans arriver à croire que sa famille puisse attendre
pareille chose de sa part.
— Preston, la seule solution, c’est de faire en sorte qu’il
ne la rencontre pas. Pas tout de suite.
Henrietta avait alors découvert Henry planté sur le seuil
de la porte et s’était tue.
— Qui ne doit pas rencontrer qui ? avait‑il demandé.
Henrietta avait tressailli puis, se ressaisissant, avait échangé
avec Preston un regard qui signifiait très clairement : « Pas
un mot de plus. »
Pourquoi, quand Henrietta conspirait, semblait‑elle
oublier qu’ils étaient jumeaux et qu’en tant que tel Henry la
connaissait par cœur ? Il savait parfaitement qui était l’une
des deux personnes évoquées.
Lui.
Mais qui était l’autre personne, celle qu’il ne devait pas
rencontrer ? En général, sa sœur s’arrangeait pour lui présenter
tout un défilé de débutantes, de demoiselles et de parangons
des bonnes manières. Et voilà qu’il y avait une femme qu’elle
ne voulait pas qu’il voie ? Elle aurait presque piqué sa curiosité
s’il n’avait pas été accaparé par son unique désir de découvrir
l’identité de miss Spooner. Cependant, pas question qu’il
laisse sa sœur penser qu’elle l’avait berné. Pas cette fois.
— Allons, Henrietta, serais-tu en train de dire qu’une
sublime inconnue sera sous notre toit ce soir, et que tu ne
veux pas que je m’en approche ?
— Absolument pas, lui avait‑elle répondu.
46
Elizabeth Boyle
Henry avait plissé les yeux en voyant sa sœur et Preston
échanger un regard coupable.
— Allez, dites-moi la vérité, avait‑il intimé en croisant les
bras. Vous savez combien je déteste les surprises.
— A toi de lui dire, avait alors ordonné Henrietta à Preston.
Etant l’aînée — elle était née quelques minutes avant
Henry —, elle pensait être en droit de déléguer les tâches
les plus désagréables aux autres.
— Moi ? s’était écrié Preston en secouant la tête comme
le chef de famille qu’il était. Ce serait mieux venant de toi.
Mais Henrietta ne se laissait pas si facilement intimider,
et puis elle avait un argument tout prêt. Aussi s’était‑elle
littéralement échappée de la confrontation en traversant la
pièce pour se rapprocher de la commode, avant de lancer :
— Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de lui
présenter les choses. En outre, tu es responsable d’elle, pas moi.
Puis elle avait ponctué ses paroles d’un petit reniflement
sonore, de ceux qu’elle produisait quand elle se savait en
terrain dangereux. En tant que fille de duc, Henrietta ne
renonçait pas de bon cœur à ses privilèges.
Exigeant une réponse, Henry s’était tourné vers Preston,
sourcils froncés.
Celui-ci avait redressé les épaules avant de tout avouer.
— L’une de nos invitées de ce soir est une Dale…
Henry l’avait interrompu d’un rire sonore. Une Dale ! C’était
absolument grotesque. Il avait continué de glousser jusqu’à
s’apercevoir que ni son neveu ni sa sœur ne se joignaient à lui.
— C’est une blague, avait‑il dit à Preston en lui décochant
une bourrade.
C’était forcément une blague.
— Non, avait soupiré Preston.
Rien, dans son visage fermé, ne suggérait qu’il était en
Une lettre pour vous, mademoiselle
47
train de plaisanter. Cela dit, aucun Seldon n’aurait trouvé
ce sujet amusant.
— Mais elle ne peut pas…
— Si.
— Ici ? Ce soir ? Et vous êtes certains que c’est une…
Henry n’avait pu se résoudre à le dire. A prononcer ce
nom maudit.
Henrietta n’avait pas eu ce problème.
— Une Dale. Oui, justement. Nous allons recevoir une
Dale, et apparemment mieux vaudrait nous y faire.
Sur ces mots, elle avait plissé le nez et lancé un regard
appuyé à Preston, comme pour lui signifier que tout ceci
était sa faute.
— C’est complètement absurde, leur avait dit Henry.
Décommandez-la.
De toute façon, comment aurait‑elle pu oser mettre le pied
dans cette maison ? Les Dale et les Seldon ne se mélangeaient
pas, et elle devait bien le savoir.
Mais la plus grande révélation de toutes l’attendait.
— Je crains que ce ne soit pas si simple, avait répondu
Preston. Je suis un peu redevable à miss Dale…
— Redevable ? avait répété Henry, décontenancé. Cette
fois, je suis sûr que tu plaisantes.
— Non, pas du tout, avait rétorqué Preston avec une
assurance que Henry jugea exagérée.
— Preston dit la vérité, avait ajouté Henrietta. Cette
situation est très embarrassante. Je suis heureuse que père
ne soit plus là pour voir ça. Inviter une Dale sous notre toit !
C’est impensable.
Henry n’avait retenu qu’un mot : « inviter ».
— Tu ne veux quand même pas dire…, avait‑il bégayé.
— Je crains que si, avait coupé Henrietta avec l’air de
48
Elizabeth Boyle
quelqu’un qui aurait marché dans une matière nauséabonde
en sortant de sa calèche. Preston a insisté pour qu’elle soit
invitée au bal et…
Sa sœur s’était interrompue, comme cherchant à ravaler
ses prochaines paroles, pour mieux les débiter d’un coup :
— … et à la partie de campagne du mariage.
— Non ! avait soufflé Henry sans en croire ses oreilles.
Et il avait fondu sur le duc — chef de famille ou pas, les
choses allaient trop loin.
— Preston, tu ne peux pas faire ça !
Apparemment, si. Preston lui avait raconté la suite : miss
Dale était l’amie la plus chère de Tabitha. Et dire que Henry
avait trouvé très respectable cette fille de vicaire ! Mais le pire
fut d’apprendre que miss Dale était sa demoiselle d’honneur.
— Ce qui signifie…, avait continué Preston en regardant
Henrietta avec un air pitoyable.
Mais celle-ci n’avait pas l’intention de voler à son secours.
Au contraire, elle avait détourné les yeux en reniflant, comme
si elle se lavait les mains de toute cette histoire.
— Ce qui signifie que je dois danser avec elle, avait
complété Henry avec un accent de désespoir.
Henry avait beau ne pas s’inscrire dans la tradition de
débauche des Seldon, il connaissait par cœur ses moindres
usages.
Même maintenant, des heures après cette scène, Henry
savait qu’il relevait de son devoir d’homme du monde de
respecter ladite tradition.
Sourcils froncés, il considérait Henrietta et Preston depuis
l’autre bout de la salle. Il n’avait d’autre choix que de danser
avec miss Dale, et cela ne le réjouissait guère. Heureusement,
Une lettre pour vous, mademoiselle
49
il disposait encore de deux heures pour trouver miss Spooner.
Et, tandis qu’il se frayait un chemin dans l’assemblée, les
derniers mots de la jeune femme lui revinrent :
Vous demandez-vous parfois, quand vous êtes dans une
pièce, si je m’y trouve aussi, proche et pourtant invisible ?
Henry se tourna pour scruter la rangée de demoiselles
délaissées qui faisaient tapisserie le long des murs, mais aucune
d’entre elles ne correspondait à l’image qu’il s’était construite.
Miss Spooner, où diable êtes-vous ? se demanda-t‑il en
s’enfonçant dans la foule des invités.
Croyez-vous que nous nous rencontrerons un jour ?
L’oserons-nous ? Monsieur Dishforth, j’ai tellement envie
de vous voir et pourtant… J’ai peur de vous décevoir…
Oui, il comprenait ce sentiment. Au début, leur correspondance avait été d’une nature fort raisonnable — livres
préférés, goûts musicaux, un peu de politique — et ni l’un
ni l’autre n’avaient réellement envisagé de se retrouver face à
face. Qui sait si Henry ne correspondait pas en réalité avec
l’une des vieilles filles qui servaient de tantes à Roxley… ou
avec Roxley lui-même ? Avec son humour déplorable, le comte
aurait parfaitement été capable de lui jouer une telle farce.
Pourtant, au cours de cette dernière semaine, les choses
avaient pris un tour radicalement différent.
Et plus du tout raisonnable.
Cette nuit, je n’ai pas fermé l’œil. Je ne cessais de me
demander comment nous pourrions nous rencontrer.
50
Elizabeth Boyle
Il avait écrit ces mots sans réfléchir, comme un simple
commentaire. Et puis elle y avait répondu.
Moi aussi. Au petit matin, juste avant l’aube, je me suis
surprise à aller à la fenêtre, à écarter les rideaux et à me
demander quel toit était le vôtre. Sous quelle mansarde
vous dormiez. Où je pourrais vous trouver…
La seule idée que cette fascinante diablesse puisse penser
à lui jusqu’aux premières lueurs de l’aube l’avait empêché de
fermer l’œil plus d’une nuit.
Il lui avait expressément écrit qu’il assisterait à ce bal.
Qu’il voulait qu’elle porte du rouge — sa couleur préférée,
lui avait‑elle dit. Et qu’il la reconnaîtrait.
Il regarda de nouveau Preston, toujours en train de se
faire sermonner par Henrietta, mais décida de ne pas aller
le secourir. Il préférait chercher miss Spooner. S’il la trouvait
avant les danses du soir, cette satanée miss Dale pouvait bien
aller au diable, et avec elle les traditions.
Il espérait avant tout que miss Spooner avait été invitée,
quel que soit son véritable nom. Mais, apparemment, toute la
haute société qui séjournait encore à Londres semblait s’être
entassée dans sa salle de bal.
Très vite, hélas, il prit conscience que ses recherches n’allaient pas être si simples. Il se trouvait en effet que la moitié
des demoiselles présentes avaient décidé de porter du rouge,
comme il l’avait suggéré à sa correspondante.
De la mousseline rouge. De la soie rouge. Et même du
velours rouge. Du rouge sous toutes ses formes.
— Seigneur ! marmonna-t‑il avec dépit.
Mais comment aurait‑il pu savoir que le rouge était la
Une lettre pour vous, mademoiselle
51
couleur la plus en vogue de cette saison ? C’était bien sa chance,
d’avoir une sœur perpétuellement endeuillée. Les hommes
n’avaient aucun sens de la mode en termes de couleurs — en
dehors du noir, du gris, et du mauve que lui-même portait
en ce moment.
Henry progressait à travers la pièce, saluant d’un signe de
tête ses amis et ses connaissances, très amusé à l’idée qu’à
peine un mois plus tôt chaque personne ici présente tournait
le dos à la famille Seldon à cause des bêtises de Preston.
Apparemment, les fiançailles du duc avec la très respectable
miss Timmons avaient effacé comme par magie des années
de méfaits au regard de la bonne société.
Henry secoua la tête. Il ne comprendrait jamais la nature
volage de…
Sa réflexion resta en suspens. La foule venait de s’écarter
pour laisser apparaître une jeune femme, au fond de la salle,
qui se tenait de dos — un être gracile vêtu d’une robe de soie
rouge, une masse de cheveux blonds cascadant sur ses épaules
nues dans une débauche de boucles alléchantes.
Comme si elle avait senti son regard sur elle, la créature
se retourna. Elle écarquilla légèrement les yeux en le voyant,
puis lui sourit avec douceur. Henry eut l’impression d’être
harponné, foudroyé sur place. Et les lignes envoûtantes des
dernières missives de miss Spooner se mirent à résonner en lui.
M. Dishforth, vos paroles, vos désirs sans frein me
bouleversent. Je ne sais que dire. Mais, quand nous nous
verrons, je ne doute pas de trouver les mots et le moyen
d’exprimer mon affection pour vous.
Henry s’efforça de retrouver son souffle mais manifestement,
quand on croisait son destin, on arrêtait de respirer.
Seigneur, ça ne pouvait être qu’elle. Miss Spooner.
52
Elizabeth Boyle
Comment le savait‑il ? C’était étrange, mais il était absolument sûr de lui. Sa mystérieuse correspondante, avec ses
reparties acides et ses secrets charmants, était là, au beau
milieu de la salle de bal.
En homme pratique qu’il était, Henry se fichait de savoir
comment les astres avaient arrangé cette rencontre. L’important,
c’était qu’elle soit là, et il ne comptait pas laisser des notions
aussi abstraites que le hasard ou la chance gâcher son plaisir.
Lord Henry, le plus respectable des Seldon qui eût jamais
vu le jour, dénicha tout à coup son démon intérieur et traversa
la salle.
Cela dit, si c’était une chose de trouver son démon, c’en
était une autre de savoir s’en servir. Car, en arrivant devant
la demoiselle, il n’avait aucune idée de ce qu’il allait lui dire.
Et s’il ne s’agissait pas de miss Spooner ? Pas question qu’il
se ridiculise.
Mais si c’était elle ?
Il n’y avait qu’un moyen de le savoir.
Alors, à l’encontre des convenances et des bonnes manières,
il s’inclina simplement devant elle puis prononça les premiers
mots qui lui vinrent à l’esprit :
— Voulez-vous m’accorder cette danse ?
ELIZABETH BOYLE
Une lettre pour vous, mademoiselle
G
entleman honnête et fortuné cherche jeune femme
de bonne famille pour correspondance, en vue d’un
mariage.
Daphne se félicite d’avoir osé répondre à cette annonce.
Ce mystérieux M. Dishforth, avec qui elle correspond
depuis des semaines, semble en tout point parfait, et elle
n’a jamais rien attendu avec autant d’impatience que ses
lettres. Naturellement, elle a tout fait pour préserver son
identité – pour éviter d’exposer sa famille aux ragots,
dans cette petite ville où tout se sait. Mais, dès qu’elle
l’aura rencontré en personne, elle n’aura plus besoin de
se cacher derrière le nom de Mlle Spooner. Seulement, ce
que Daphne ignore, c’est que ce M. Dishforth a lui aussi
choisi un pseudonyme…
Elizabeth Boyle a toujours adoré la romance et elle vit chaque
jour sa passion en écrivant des histoires captivantes et enflammées, que les lectrices du monde entier décrivent comme des
page-turners. Auteur maintes fois primée depuis son premier
roman en 1996, elle vit aujourd’hui à Seattle avec son mari et
ses deux jeunes fils, ses « apprentis héros ».
Série Les débutantes de Kempton
De septembre 2016 à février 2017
www.harlequin.fr
2016.09.28.6539.9
ROMAN INÉDIT - 7,50 €

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