Voiture électrique : mensonges et contre-vérités

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Voiture électrique : mensonges et contre-vérités
Voiture électrique : mensonges et
contre-vérités
Au lendemain de la décevante mais tellement prévisible COP 21 et du scandale Volkswagen qui a levé un voile déjà bien transparent sur la tricherie organisée des constructeurs automobiles à propos des émissions
polluantes de leurs véhicules soi-disant
« propres », le chantier de la mobilité écologique et durable reste à l'abandon, entre
l'ignorance crasse des gouvernements et le
lobbying écœurant des industriels.
L'indemnité kilométrique vélo, par
exemple, s'est vue réduite à sa plus simple
expression. Alors qu'elle prévoyait le défraiement obligatoire par leurs employeurs des cyclistes qui utilisent leur deux-roues pour se
rendre au travail, l'indemnité a été plafonnée
à 200€ par an et par salarié et a été rendu fa cultative par un amendement perfide qui a fait
sortir l'écologiste Denis Beaupin de sa réserve, s'adressant ainsi au secrétaire d'État
chargé du budget : « Vous allez pouvoir
transmettre mes félicitations à vos services,
parce qu'en matière de concours Lépine pour
casser les dispositions favorables au vélo, ils
font preuve d'imagination ».
Du côté des voitures, le 3 janvier 2016, le
décret d'application de la « prime à la conversion » était publié, élargissant celle-ci aux voitures diesel de plus de 10 ans, lorsqu'on les
envoie à la casse pour acheter une voiture
électrique neuve. L'occasion de faire le point
sur l'électro-mobilité, ses vices et ses vertus,
entre le green-washing des constructeurs et
les arguments irrationnels et parfois simplement faux des anti-voitures.
Zéro est arrivé
Les constructeurs automobiles ne sont
pas tombés de la dernière pluie acide et maîtrisent mieux que quiconque les arguments
publicitaires. En face des voitures qui puent et
qui fument, ils proposent leurs modèles
« ZE », comme Zéro Émission. Renault a ainsi nommé sa gamme 100 % électrique qui
propose pour l'instant trois modèles : Twizy,
Zoé et Kangoo Z.E, Citroën affiche de son côté le modèle C-Zéro à son catalogue. Beaucoup de « Z » et des placards publicitaires on
ne peut plus verts mais qu'en est-il vraiment
des émissions polluantes de ces véhicules ?
l'électricité au fil des kilomètres puisse être
Entre deux et quinze kilomètres, la bicynon-polluant.
clette est très compétitive. Selon le relief du
parcours et le profil du cycliste, sa variante à
Comme l'essentiel des produits manufacassistance électrique permet de gagner du
turés, une voiture, qu'elle soit thermique ou
temps et d'ouvrir de nouvelles perspectives,
électrique, nous pollue l'atmosphère de trois
pour une division par 50 à 100 des émissions
façons différentes :
de CO2 par rapport à une voiture thermique.
- pendant sa fabrication d'abord, l'extrac- La vitesse moyenne d'une voiture en ville en
tion et l'acheminement des matières pre- période de pointe est de 16 km/h, soit celle
mières, leur transformation et leur assem- d'un cycliste moyen.
blage consomment de l'énergie (dite « grise »
Au delà de 100km, pensez au train. Même
parce qu'elle est invisible au consommateur),
si le maillage du réseau ferré a diminué drastiet rejettent toutes sortes de polluants,
quement en un siècle, il reste possible de se
- pendant toute sa durée de vie, ensuite, déplacer assez efficacement en train, quitte à
même si pour le cas de la voiture électrique, louer une voiture (ou un vélo !) à l'arrivée.
ce n'est pas au moment où elle roule qu'elle Dans le train, le risque d'accident est minime,
consomme et émet des particules nocives, et vous pouvez finir tranquillement votre boumais au moment où on la recharge, et ce quin et aller aux toilettes sans vous arrêter au
n'est pas à l'endroit où on le fait que les émis- bord d'une route régulièrement.
sions sont produites, mais à l'endroit où est
Reste la tranche entre quinze et cent kiloproduite l'électricité,
mètres où la voiture règne en maître. Mais là
- en fin de vie, lors de son recyclage, la aussi, des possibilités nouvelles s'offrent à
récupération des matériaux utilisables, l'inci- vous : le covoiturage et l'auto-partage, voire la
nération du reste consomment également de location ponctuelle vous permettront d'éviter
l'énergie et rejettent dans l'atmosphère des d'encombrer votre garage et de payer une astas de choses qu'on n'aimerait pas y voir.
surance à l'année.
Autrement dit, une voiture pollue toujours
plus que pas de voiture, même si c'est une
« Zéro Émission ». Paul Ariès le décroissant
dit d'ailleurs fort justement : « Il n'y a pas trop
d'humains sur Terre, il y a trop d'automobilistes ». Si l'on n'utilisait la voiture que lorsqu'on en a vraiment besoin, la plupart de nos
problèmes de pollution liés à la mobilité seraient résolus.
Choisir le bon cheval
L'éco-bilan global
Si la voiture électrique ne tient pas la promesse « zéro émission » annoncée par les
constructeurs, elle n'en reste pas moins une
solution à étudier lorsque tous les autres
choix de mobilité sont épuisés. Il ne faut pas
oublier que l'on part de loin en matière de déplacements polluants et que nos voitures thermiques actuelles sont très loin d'être assez
sobres pour envisager de les utiliser encore
durablement. Deux murs infranchissables se
dressent en effet devant les capots chauds et
bruyants des berlines à moteur thermique : la
fin du pétrole « accessible » et le dérèglement
climatique causé entre autres par les émissions de CO2.
Au lieu de gagner quelques dixièmes de
litres au cent, ou chercher dans l'électrique,
l'hydrogène ou l'air comprimé le Saint Graal
de la voiture propre, il s'agirait déjà de se poser les bonnes questions, et adapter nos
moyens de locomotions à nos usages. En
plus de limiter voire supprimer les émissions
Le prix ridiculement bas du baril de pépolluantes, c'est meilleur à la santé !
trole ne doit pas nous faire oublier que nous
sommes à la croisée des chemins. En matière
En dessous de deux kilomètres, il faut prid'énergie fossile, les problèmes n'arrivent pas
vilégier la marche à pied dont le rapport qualiau moment de la pénurie, mais au moment du
té/prix est imbattable. C'est aussi bien plus rapic. Or, le pic, nous y sommes. Personne ne
pide que la voiture sur ces petits trajets, plus
peut dire s'il est passé depuis 2005 ou s'il arriagréable, plus souple, plus pratique,… PourIl faut avoir beaucoup d'imagination pour
vera dans cinq ans, mais ce degré de précitant 40 % des trajets quotidiens parcourus en
considérer qu'un machin d'une tonne embarsion est quasi sans importance. La ressource
voiture font moins de deux kilomètres !
quant plein d'électronique et consommant de
fossile (pétrole ou gaz) mettant des millions
d'années à se former, dès que le rythme d'extraction ne suit plus celui de la consommation,
le marché devient instable. Si tout le monde
s'attendait à une flambée progressive des
prix, on constate que dans le cas d'une ressource aussi stratégique et politique que le
pétrole, le risque de déflation est tout aussi
grave : plus le prix du baril baisse, moins les
nouvelles exploitations sont rentables. Mais le
prix du baril ne peut monter que si la croissance économique permet d'en acheter toujours plus ! Mathieu Auzanneau explique (1)
que, contre-intuitivement, le pétrole bas annonce sa fin imminente, et avec elle, la fin de
la croissance.
mand beaucoup plus carboné. Dans cette
étude, toute la durée de vie du véhicule est
prise en compte, la fabrication, l'utilisation et
le recyclage des matériaux en fin de vie (y
compris les batteries).
La voiture nucléaire ?
ture électrique. Les ordres de grandeurs n'y
sont tout simplement pas, même en construisant de nombreuses centrales nucléaires supplémentaires.
Autrement dit, il ne s'agit pas de remplacer la voiture thermique par l'électrique, toutes
choses égales par ailleurs. Une telle transition
ne peut avoir de sens que si elle s'accompagne d'une réduction drastique des kilomètres parcourus, et un recours plus fréquents aux transports en commun, et aux
modes de déplacement doux.
La contribution de la filière nucléaire française au changement climatique est probablement sous-estimée comme le sont les risques
nucléaires et les conséquences désastreuses
de l'extraction du minerai sur les populations
locales du Niger (et d'ailleurs) et sur l'environnement. Il n'est bien sûr pas question de ferQuant au changement climatique, la COP mer les yeux sur ces problèmes majeurs.
Au-delà du rendement du moteur élec21 n'y a bien sûr rien changé. Chaque Mais du point de vue des émissions de CO2,
trique
(80-85%) qui est trois à quatre fois
gramme de CO2 envoyé dans l'atmosphère la différence est ici clairement perceptible.
meilleur
que celui du moteur à explosion (20creuse un peu plus notre tombe, ou plus préSurtout,
il
faut
considérer
que
le
nucléaire
25%),
les
limites actuelles de la voiture éleccisément celle de nos enfants.
n'est pas une fatalité pour la voiture élec- trique produisent un effet de bord qui n'est
La voiture électrique, dans ce contexte, trique, au contraire du pétrole pour la voiture pas sans intérêt. L'autonomie limitée à moins
peut parfois apporter des réponses. Une thermique. Il existe bien des façons de pro- de 200 km (hors modèles de luxe inaccesétude de l'ADEME (2) prenant des chiffres de duire de l'électricité, y compris locales et rela- sibles au commun des mortels) et la charge
2012 met en évidence le potentiel de change- tivement propres, alors qu'on ne fabrique du complète en huit à dix heures imposent au
ment climatique comparé des voitures ther- carburant pour les voitures qu'avec du pé- conducteur de voiture électrique de nouvelles
miques et électriques dans un graphique re- trole, ou pire : en exploitant des surfaces agri- stratégies de conduite, encouragées par un
produit ci-dessus (Figure 1-5). On y voit qu'à coles qui pourraient être utiles à nourrir des affichage permanent de la consommation inspartir de 25.000 km parcourus, la voiture élec- humains.
tantanée d'énergie et de l'autonomie restante.
trique est la plus « propre » avec le mix énerAu volant d'une voiture électrique au quotiL'autre argument à prendre en compte,
gétique français. Il faut attendre 100.000 km
dien, on lève le pied, on anticipe, on gère en
pour avoir le même résultat avec le mix alle- c'est la capacité du réseau électrique français permanence. Et on doit admettre qu'on ne
à supporter une transition globale vers la voi-
L'effet pédagogique
pourra pas traverser la France en une journée, comme on peut le faire avec une voiture
thermique au mépris des règles élémentaires
de sécurité routière et des émissions nocives
de nos pots d'échappement.
Le lobby pétrolier dans
nos têtes
Les acheteurs de véhicules électriques
sont confrontés à un problème singulier : ils
doivent d'abord convaincre le vendeur ! Les
commerciaux des concessionnaires, formatés
par des années d'imaginaire publicitaire emprunté au sport automobile, à vendre des performances, de la « reprise en fin de troisième », du « 0 à 100km/h en X secondes »,
sont totalement démunis lorsqu'il s'agit de
vanter les limites pourtant saines des modèles
électriques.
Les journalistes automobiles eux-mêmes,
shootés à la testostérone coupé au gaz
d'échappement, s'empressent de (dé)tester la
voiture électrique sous prétexte qu'elle est infoutue de faire Paris-Marseille dans la journée. Pour donner un élément de comparaison, c'est à peu près aussi pertinent que de
blâmer un Airbus A320 parce qu'il ne peut pas
amener le petit à l'école en faisant un détour
par la boulangerie ! La voiture électrique n'est
pas destinée à faire de grands trajets et c'est,
d'un point de vue écologique, son plus gros
atout.
Ce dénigrement permanent des professionnels de l'automobile, des concessionnaires aux journalistes en passant par les auto-écoles ou les garagistes, affecte profondément la vision que peuvent avoir les automobilistes de la voiture électrique. Dans l'entourage des propriétaires de ces véhicules règne
la passive-agressivité des gens dont on bouscule les dogmes assénés pendant des décennies par la publicité et les journalistes spécialisés.
Le vrai-faux de la voiture électrique
La voiture électrique est propre.
Faux : Comme les autres voitures, la voiture électrique a consommé des ressources
et de l'énergie pendant sa fabrication, et consomme de l'électricité au moment de sa recharge. En revanche, elle n'émet pas de particules ni de gaz d'échappement à l'utilisation.
La fabrication de la batterie est très polluante, mais des filières de recyclage existent pour
la fin de vie.
L'autonomie de la voiture électrique est insuffisante.
Faux : Pour la plupart des trajets quotidiens, l'autonomie des modèles actuels (entre
100 et 200km) est suffisante. L'automobile électrique n'est pas conçue pour faire plus de
200km par jour.
Rouler en électrique modifie le comportement de l'automobiliste.
Vrai : Du fait de l'autonomie limitée et de la conception des voitures électriques, le
conducteur est encouragé à l'éco-conduite. La récupération d'énergie à la décélération
(frein moteur) réduit le nombre de freinages nécessaires.
Le moteur électrique est plus fiable et demande moins d'entretien
Vrai : Le moteur thermique est extrêmement complexe et nécessite un nombre impressionnant d'accessoires pour fonctionner : boîte de vitesses, transmission, embrayage,
injection, refroidissement, échappement. Dans le moteur électrique une seule pièce est en
mouvement, plus besoin de vidange, de filtre à huile, …
Il n'y a pas assez de bornes de recharge
Vrai et faux : Il est plus difficile de trouver une borne de recharge qu'une station essence. Mais la plupart des automobilistes roulant en électrique rechargent à domicile et
n'ont jamais besoin de bornes publiques. Tous les modèles récents peuvent se recharger
sur une prise domestique classique.
La voiture électrique est chère
Vrai et faux : Les batteries font monter le prix des véhicules électriques par rapport
au thermique à l'achat. Mais à l'usage, même avec un pétrole bon marché, rouler en élec trique reste moins onéreux (moins de 2€ les 100km).
Dès lors, faut-il ou non remplacer son
vieux véhicule thermique par un électrique ?
L'intérêt écologique et économique de l'opération se calcule, même si les données dont
nous disposons pour le faire sont partielles et
parfois partiales (fournies par les constructeurs). Ce qu'il faut retenir, c'est que la voiture électrique n'est ni une solution ultime et parfaitement propre, ni une aberration écologique, contrairement au manichéisme que l'on peut lire ou entendre généPour qui se soucie un minimum de l'im- ralement sur le sujet.
pact de sa consommation sur l'environneSi l'on s'intéresse au seul CO2 et en se bament, la problématique des déplacements, sant sur les chiffres de l'ADEME (voir graque ce soit pour se rendre au travail ou pour phique plus haut), mettre à la casse un vieux
rendre visite occasionnellement à sa famille diesel de plus de dix ans émettant de l'ordre
est un crève-cœur permanent. Pour la plupart de 150g de CO par kilomètre devient écolo2
d'entre nous, se passer complètement de vé- giquement rentable à partir de 50.000 km parhicule motorisé est difficile. Dans une société courus (3). Bien sûr, cette estimation peut-être
organisée pour et autour de la voiture, où revue à la baisse ou à la hausse en fonction
l'aménagement urbain et la forme même de de vos habitudes de conduite, de la façon
nos villes sont les fruits directs des possibili- dont est produite l'électricité que vous
tés et des contraintes de la bagnole indivi- consommez (des panneaux solaires photovolduelle, se passer totalement de voiture de- taïques sur votre toit ?), …
mande un courage et une abnégation hors du
La location longue-durée (LLD) ou locacommun.
Acheter à tout prix ?
tion avec option d'achat (LOA) proposées par
la plupart des constructeurs peuvent s'avérer
intéressantes pour trois raisons :
- Elles responsabilisent le constructeur qui
n'a plus d'intérêt à orchestrer l'obsolescence
programmée de son véhicule puisqu'il devra
gérer lui-même sa réutilisation à l'issue du
contrat.
- Les progrès à venir sur les batteries
risquent de bousculer grandement le marché
dans les trois à cinq années qui viennent.
- Pour les modèles qui sont vendus avec
leur batterie (Renault a choisi de louer les batteries dans tous les cas), la durée de vie des
cellules qui la composent est encore incertaine.
Jérôme Vuittenez – http://merome.net
(1) http://www.reporterre.net/Le-prix-du-petrole-estbas-C-est-pourtant-sa-fin-Qui-annonce-la-fin-de-la
(2)
http://www.presse.ademe.fr/files/cpademe_etude-comparative-ve-vt_04122013.pdf
(3) 50.000*150g = 7,5 tonnes de CO2 , soit la quantité rejetée pour la fabrication d'une voiture électrique selon l'ADEME.

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