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Politique, fais ton job, bordel !
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Marché automobile : Politique, fais ton job,
bordel !
mercredi 22 février 2012, par Pierre Courbe
L’ICCT (International council on clean transportation) vient de publier son recueil de statistiques sur le
marché automobile européen. Ce document pourrait passer pour une indigeste collection de figures
inintelligibles (bâtonnets de couleurs par-ci, lignes brisées plus ou moins enchevêtrées par-là) et de
tableaux de chiffres donnant envie de se précipiter sur le premier poème venu. Il constitue en fait une
véritable mine d’or. On y trouve (presque) toutes (enfin, disons qu’il y en a vraiment beaucoup) les
informations quantitatives pertinentes sur les comportements des Européens en matière d’achat de
voitures et de camionnettes neuves. Ces données ne peuvent cependant pas être considérées comme «
officielles ». Bien que collectées aux sources les plus fiables, elles n’ont d’autres ambitions, selon les
auteurs, que de tracer les grandes tendances du marché.
Le recueil de l’ICCT ne dit rien – ce n’est pas son rôle - des fondamentaux qui peuvent expliquer ces
grandes tendances : habitudes culturelles, orientations politiques, émergence de nouvelles technologies,
stratégies commerciales des constructeurs et rôle de la publicité, intégration des enjeux
environnementaux, …
C’est, très modestement, à l’ébauche d’un tel exercice d’interprétation de quelques-uns des indicateurs
les plus pertinents (à nos yeux d’environnementalistes) que nous tentons de nous livrer ici.
Cocorico ?
La Belgique, huitième par sa population, occupe la sixième place au sein des 15 Etats membres «
historiques » de l’Union européenne en nombres de voitures neuves immatriculées chaque année. Bien,
mais un peu court comme information : il est plus intéressant de comparer les immatriculations à la
population. Exception faite du Grand Duché de Luxembourg (dont les chiffres sont faussés notamment en
raison de la forte proportion de travailleurs transfrontaliers qui immatriculent leur véhicule dans ce pays),
la Belgique écrase les autres pays européens, avec 51 voitures neuves pour 1000 habitants par an contre
31 en moyenne européenne (EU 15 comme EU 27) et respectivement 35 et 34 pour les deux grands pays
constructeurs que sont l’Allemagne et la France. De nombreux facteurs sont à l’origine de cette
particularité : une taxe de mise en circulation modeste (voir notre dossier "Taxer plus, taxer mieux", LIEN
A ACTUALISER page 33), le rôle important des voitures de société dans notre pays (une nouvelle
immatriculation sur deux – voir notre dossier LIEN A ACTUALISER) et le fait que le Belge est réputé
avoir une brique, ou plus exactement une maison dans le ventre, et qu’il semble y avoir ménagé une petite
place pour un garage…
De la vertu de la contrainte
Sur la décennie écoulée, les émissions de CO2 moyennes sont passées, en Europe (EU 27), de 169,7 g/km
(2001) à 140,3 (2010), soit une diminution de 16,4%. Sur cette même période, le différentiel entre
essences et diesel s’est progressivement comblé : de 15,6 g/km en 2001, il est passé à 3,3 g/km en 2010.
Ces chiffres moyens masquent une grande disparité en fonction des segments. Le segment mini (exemple
de véhicules : Smart Fortwo, Fiat Panda, Citroen C1), caracole en tête du peloton, sous les 120 gCO2/km.
Les voitures de luxe (exemples : Audi A8, BMW série 7, Mercédès classe S) frôlent les 230 gCO2/km. Les
SUV ou 4X4 (exemples : Mitsubishi L200, Nissan Navara, VW Amarok) sont un peu au-dessus des 180
gCO2/km.
Sujet d’étonnement : le véhicule le plus performant de 2010 l’est moins (performant) que celui de 2001…
En effet, entre 2001 et 2005, VW commercialisait la Lupo 3 L, dont les émissions étaient de 80 gCO2/km.
En 2010, la voiture la moins émettrice, une Smart Fortwo, émettait 86 gCO2/km. A titre d’anecdote, en
2010 toujours, le véhicule le plus émetteur était une Bugatti avec 596 g/km. Ceci étant, globalement, les
choses évoluent dans le bon sens. En 2001, 1% des véhicules se trouvaient sous la barre des 115 gCO2/km
et 50% sous la barre des 160. En 2010, 1% étaient sous la barre des 98 gCO2/km et 50% sous les 139.
Que conclure de tout ceci ? Que le règlement européen 443/2009 relatif aux émissions de CO2 des
véhicules neufs qui fixe des objectifs contraignants aux constructeurs porte ses fruits : les progrès réalisés
ces dernières années sont bien plus marqués qu’ils ne l’étaient sous le régime précédent des accords
volontaires LIEN A ACTUALISER. Que l’argument de la « liberté de choix » pour justifier l’existence de
véhicules très polluants est un peu trop aisément brandi par les constructeurs automobiles : afin de
satisfaire l’égo de certains (et surtout afin de faire plaisir aux actionnaires : les marges bénéficiaires sont
d’autant plus confortables que le véhicule est « prestigieux »), on continue à commercialiser des véhicules
très polluants qui, fondamentalement, n’offrent rien de plus que des véhicules plus modestes en termes de
réponse aux besoins de mobilité.
Mieux vaut une grosse puissante ?
Il existe une corrélation assez nette entre la masse d’un véhicule et ca consommation – donc ses émissions
de CO2. Il s’agit là de physique élémentaire : plus c’est lourd, plus il faut d’énergie pour que ça bouge.
Ceci étant, la relation « s’aplatit » au fil du temps : pour une même masse, un véhicule de 2010 émet
moins de CO2 qu’un véhicule de 2001. Mais, la masse s’étant accrue (+104 kg en EU 27), les bénéfices
ont été moindres qu’ils n’auraient pu l’être à masse constante. Si l’on était resté à 1.270 kg, les émissions
moyennes auraient plutôt été de 135 que de 140 g/km… Regardons-y d’un peu plus près. Entre 2001 et
2007, masse et puissance augmentaient tandis que les émissions de CO2 faisaient de même, mais
modestement. En 2008, avec la crise automobile induite par le renchérissement du pétrole et la crise
économique, masse et puissance ont légèrement diminué et les émissions ont fortement baissé. En 2009,
le mouvement s’est accentué : masse et puissance ont chuté tandis que les émissions plongeaient. En
2010, le cauchemar (des constructeurs) a pris fin : masse et puissance ont retrouvé le niveau de 2008
tandis que les émissions baissaient, mais plus modestement. Cette histoire confirme donc qu’une seule
chose peut détourner l’Européen moyen de sa quête du Graal moderne que constitue la grosse bagnole
puissante : les contraintes économiques.
Environnement et sécurité : même combat !
Plus une voiture est lourde, plus il faut d’énergie pour la faire
rouler – et plus elle « rend » d’énergie en cas d’accident : les
dommages sont plus importants. C’est un élément que les
assureurs ont intégré depuis des décennies. De même qu’ils ont
intégré l’importance de la puissance et de la vitesse de pointe :
plus elles sont élevées, plus est élevé le risque d’accidents – et
d’accidents graves. Et plus sont élevées, aussi, les émissions de
CO2… Or, à quoi assiste-t-on depuis des décennies ? A une
augmentation continue de ces trois facteurs, comme en atteste le
tableau 1 dans lequel on a aussi mentionné l’évolution de la
surface frontale, autre élément déterminant dans la consommation
de carburant et donc les émissions. La vitesse maximale moyenne
des voitures neuves achetées dans notre pays est de 183 km/h, très
proche de la moyenne EU 27 (185). En 2001, elle était de 177 km/h.
On poursuit ainsi une tendance lourde : à titre illustratif, en 1967,
10% des véhicules construits par Renault avaient une vitesse de
pointe supérieure à 150 km/h - et 73% 20 ans plus tard (source :
Claude Got, dommages liés aux véhicules).
Ici encore, l’effet segment est primordial : si les « mini » restent
prudemment sous la barre des 160 km/h, les « luxe » frôlent les
250 km/h. L’intérêt ? C’est celui des actionnaires des
constructeurs, toujours.
Tableau 1 : évolution de la masse, de la surface frontale et de la puissance en Belgique et en Europe
entre 200 et 2010
D’autres voitures sont possibles
Il y a quelques années, dans une réunion d’environnementalistes européens, un Portugais faisait ce
constat désabusé : « les émissions de CO2 des voitures neuves sont les plus basses aux Portugal : cela ne
signifie pas que mes compatriotes sont plus vertueux, mais simplement qu’ils ont moins d’argent ».
Ainsi donc, tant que des normes strictes (vitesse maximale autorisée par exemple) ne viendront pas brider
les constructeurs automobiles, les conditions socio-économiques resteront-elles prépondérantes (tableau
2), le système automobile restera-t-il fondamentalement inégalitaire et seuls ceux dont les moyens
financiers sont modestes rouleront-ils dans des véhicules moins dangereux et moins polluants…
Tableau 2 : quelques caractéristiques des véhicules en Allemagne, en Belgique et au Portugal en 2010
Du bon usage des normes
Comme mentionné dans une nIEWs récente LIEN A ACTUALISER, les constructeurs dépensent
beaucoup d’énergie dans les actions de lobby politique visant à affaiblir les normes qui seront appliquées
à leurs produits. Ceci prend parfois une tournure surréaliste. En 2001, les véhicules à essence émettaient
en moyenne 0,04 g/km d’oxydes d’azote (NOX). La norme en vigueur à l’époque (Euro 3) fixait une valeur
maximale de 0,15 g/km. La norme Euro 5 applicable aujourd’hui (entrée en vigueur en 2009) met la barre
à 0,06 g/km… soit 50% de plus que la valeur réelle des véhicules en 2001. La normalisation constitue, en
théorie, un puissant levier politique pour protéger le citoyen en incitant les constructeurs à améliorer
leurs produits. Une norme évolutive comme le sont les normes Euro donne la visibilité nécessaire aux
industriels pour développer leurs programmes de recherche-développement. Mais quelle crédibilité le
politique garde-t-il quand les seuils de pollution maximale qu’il fixe 10 ans à l’avance sont inférieurs à la
pollution réelle des véhicules actuels ?
Agir en politique ?
Ou se laisser guider par les lobbys industriels ?
Dans le match opposant actuellement les intérêts financiers à la santé publique et à l’environnement, ces
deux derniers sont au tapis. Et la finance s’acharne. Le rôle de l’arbitre politique devrait être de siffler
une pause et d’interdire à la finance de continuer à taper sous la ceinture. Il faut aujourd’hui oser mettre
en place les instruments normatifs (concernant les voitures mais aussi la publicité automobile) et fiscaux
nécessaires pour répondre enfin aux défis sociaux et environnementaux.
Nous laisserons le mot (ou plus exactement les mots) de la fin à Monsieur C. Got (médecin français
spécialisé en anatomie pathologique, reconnu au niveau européen pour ses connaissances en
accidentologie et dont le site est incontournable) dont nous reproduisons ici l’avis :
« … faire courir des risques aux autres usagers de la route est une atteinte inacceptable à leur liberté de
vivre et de circuler ».
« Il est indéfendable d’avoir limité les vitesses maximales des cyclomoteurs, des poids lourds, des
tracteurs, pour des raisons de sécurité et de n’avoir pas adopté la même attitude pour les véhicules légers
qui produisent le plus grand nombre de décès ».
« C’est un échec grave de notre civilisation, un signe de barbarie et d’indifférence à une souffrance que
l’on se refuse à imaginer pour soi et dont on tolère qu’elle soit subie par les autres ».
« Le bruit, la pollution, la consommation de combustibles fossiles, le risque lié à la vitesse excessive
peuvent être réduits par la production de véhicules moins puissants et une meilleure régulation des
vitesses ».
« Il faut cesser d’opposer les automobilistes et les autres utilisateurs de la route, ils forment une
communauté d’individus qui se partagent les mêmes infrastructures et qui doivent bénéficier de la liberté
de se déplacer dans les meilleures conditions de sécurité. Trouver le bon compromis entre leurs exigences
a un nom, cela s’appelle la solidarité ».
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