Faire l`amour avec les mots en direct

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Faire l`amour avec les mots en direct
L’amour d’écrire en direct du 27 janvier 2014
Au Pan Piper 2-4 impasse Lamier 75011 Paris
Réalisation : Marc-Michel Georges
Avec les auteurs
Nicolas Arnstam, Yasmine Briki, Natalie Rafal, Benoit Rivillon
Artistes invités : Laureline Kuntz, Triboulet, François Thomas
Une production : Fondation Inter-Fréquence, In Vivo Association
Avec le soutien des Ecrivains Associés du théâtre (EAT)
Matéi VISNIEC
Faire l'amour avec les mots en direct
Vu que les médias sont obsédés plutôt par l'information spectacle, par le côté
sensationnel et émotionnel de l'information, ce n'est pas étonnant que les grandes
chaînes d'information françaises et mondiales sont passées, lundi 27 janvier, à
côté d'un événement vraiment spectaculaire, émouvant et frissonnant.
Non, les médias de cette planète tordue et de cette société de consommation
qui consomme tout sauf l'excellence, les médias de cette planète dont l'âme est à
moitié éteinte, les médias en général donc savent tout faire en direct sauf de saisir
l'importance de l'amour d'écrire en direct.
Si les médias de cette planète directement concernés par la vie en direct
avaient su qu'à Paris se passait enfin un grand événement digne de ce qu'on
appelle "le direct", un événement intitulé l'amour d'écrire en direct, ces médias
sourds et aveugles donc auraient peut-être sauté sur l'occasion pour sortir de leur
médiocrité durable. Mais ils n'ont rien su car ils n'ont pas l'oreille musicale pour le
vrai direct
Alors, voilà, les médias n'étaient pas là, le soir de lundi 27 janvier 2014, ils
n'étaient pas au Pan Piper pour couvrir, découvrir, saisir l'ineffable, l'insolite,
l'excellence d'une opération nommée l'amour d'écrire en direct. Non, les médias
français, internationaux, galactiques, cosmiques n'étaient pas au rendez-vous pour
couvrir quelque chose qui était d'ailleurs incouvrable, le plurispectacle de poésie
et de pure créativité inventé par l'indomptable Marc-Michel Georges.
Non, les médias n'étaient pas là sauf moi, Matéi Visniec, désigné d'office
comme journaliste de la soirée, et alors, pour faire court, voilà ce que je voudrais
consigner :
Enfin, quelque chose d'essentiel vient de se passer sur la planète des mots
grâce à quatre auteurs mordus de mots, Nicolas Arnstam, Yasmine Briki, Natalie
Rafal et Benoît Rivillon, quatre jongleurs avec des mots qui ont joué le jeu proposé
par un autre mordu de mots, Marc-Michel Georges.
Ensemble, avec la complicité d'un certain Triboulet, d'une slameuse nommée
Laureline Kuntz et d'un philosophe qui a mis tous les points métaphysiques sur le i,
François Thomas, et encore avec la complicité d'un public mangeur de mots, tous
ensemble donc ont créé une sorte d'objet difficile à définir artistiquement mais
hautement culturel et bavard, une sorte de happening charmant et sonore dont
mes mots sont incapables de raconter la fraîcheur et l'intensité.
Ce fou-mordu-maître de mots qui est Marc-Michel, et dont un premier
numéro en solo a mis les mots à la bouche de tout le monde dans une salle pleine,
ce fou-mordu donc a réussi à laisser une trace de mots dans l’univers.
Alors, pour faire court et pour ne pas trop abuser de mots, je tiens encore à
dire que l’amour d’écrire en direct est un magnifique hommage apporté à notre
dernière forme d’identité, ce qui nous reste avant la mondialisation finale : notre
complicité avec les mots.
En tant qu’auteur né dans un pays totalitaire (situé très loin à l’Est) et à
l’époque de la résistance culturelle, j’avoue que ce lundi soir, pendant le marathon
de mots, de paroles d’images et d’intelligence proposé par Marc-Michel, pendant
ce marathon donc, j’ai eu effectivement l’impression d’assister à un sublime acte
de résistance culturelle. Car aimer les mots dans l’empire de l’image agressive
c’est un acte de résistance. Car jouer avec les mots dans l’empire des réseaux
sociaux qui nous appauvrissent le langage c’est un acte de résistance.
Le moment où j’ai vibré le plus : quand les auteurs ont été invité à monter
sur la scène et Marc-Michel a dit "touchez-les, ils sont vivants".
Le moment où j’ai ri le plus intelligemment possible : quand Triboulet, le
bouffon absolu, le fou du roi absolu, le bouffon qu’on cache tous en nous, nous a
regardés avec tristesse.
Mais parce qu’un journaliste doit être concis, objectif et s’appuyer sur des
sources vérifiables, je vais encore souligner que les mots prononcés et écrits le soir
de lundi 27 janvier au Pan Piper ont été autant de flèches chargées d’espoir qui
ont parfaitement touché leurs cibles parlantes.
En tant que journaliste, j’ai toujours su qu’il faut rester froid devant
l’événement raconté, mais l’amour d’écrire en direct m’a fait changer d’avis. Au
-
diable avec les dogmes de ce métier, j’avoue que je suis sorti transformé de cette
aventure.
Le moment où j’ai eu une révélation gigantesque : quand j’ai vu ce que les
spectateurs avaient apporté comme objets pour stimuler la l’inspiration des
auteurs qui devaient écrire en direct. Ça m’a fait rêver. Imaginons un seul instant
une grande surface (un hypermarché, quoi) où les gens ne viennent pas pour
acheter mais pour observer les millions d’objets (dont ils n’ont pas besoin) pour
écrire de petits textes, des notes et des réflexions.
Ce que les quatre auteurs m’ont laissé deviner :
que tout n’est pas perdu
que tout peut encore se jouer autour d’un mot bien placé
que toute vraie motivation est verbale
que la parole n’a pas encore dit son dernier mot
La phrase de la soirée, pour moi, a été prononcée par Benoit : "putain, écrire
pendant que des artistes comme Triboulet et Laureline se produisent !". Voici une
phrase qui pesé autant qu’un traité sur la générosité.
Je tiens aussi à ne pas oublier la dernière image, un spectacle sans paroles
avec des spectateurs qui dansent avec des auteurs. C’était sans mots mais dans
ma tête j’ai entendu une voix qui me disait "tu vois, la vie mérite bien qu’on lui
accorde le dernier mot".
Matéi VISNIEC
http://www.visniec.com
P.S : Bruno Solo, le parrain de la soirée, a tenu à s'excuser avec élégance, de son
absence, dans un message pour raisons personnelles

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