Compte-rendu de la soirée

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Compte-rendu de la soirée
Conférence de Monique DAGNAUD directrice de recherche au CNRS
De la fête à la teuf
Vendredi 1er octobre 2010 à Rochefort
Monique DAGNAUD a étudié de façon très spécifique les « fêtards excessifs » à savoir au moins 2 fois par
semaine.
La tranche la plus touchée est 18-25 ans et ce sont des jeunes des classes moyennes dans des familles de
type « association » où l’on cause facilement mais sans dire grand-chose finalement.
Les jeunes d’aujourd’hui sortent plus qu’avant.
Les quantités d’alcool diminuent globalement, les ivresses diminuent mais la précocité augmente et les filles
s’y mettent.
Les français rejoignent en cela les Suédois sauf que les Suédois fument très peu le cannabis et que nous
sommes champion d’Europe de la fumette.
Ces fêtes n’ont pas le même objectif qu’autrefois : il s’agit d’être fusionnels et de délirer dans un petit groupe
de potes dans un culte de la sensation jusqu’à exténuation des sens. La sortie n’est pas une recherche de
partenaires. On sort d’ailleurs souvent hors couple pour s’éclater sans jugement. Les tenues sont soignées
pourtant non destinées à la séduction. Ces fêtes ne sont pas préparées, le plaisir c’est l’improvisation.
On se chauffe d’abord, on reste peu dans le même lieu, ce sont des virées, on change dès qu’on s’ennuie.
L’intérêt est de se lâcher, d’être un autre non contraint, d’être « authentique » cela débouche sur des
absurderies, des railleries. C’est une apologie pocharde où l’on s’étourdit ensemble.
C’est la fin qui fait souvent problème. Semer les flics, avoir un accident sont des faits d’armes, c’est une
épreuve dont on est sorti vivant.
Ce n’est pas une compensation mais un style de vie. La vraie vie est dans la fête et le reste est de la grisaille
utilitaire.
Cette situation semble favorisée par une ambiance de compétition scolaire avec une obsession sur les
résultats car la place dans la société française est largement déterminée par les premiers diplômes.
Les loisirs deviennent des exutoires nécessitant des accélérateurs de détente.
Il semblerait que peu deviennent addict bien qu’on n’en sache pas grand-chose au niveau épidémiologique.
Notes de Philippe Binder
Une réflexion (de psychologue) sur la formation du 1° octobre - " de la fête à la teuf ".
Travail documentaire au demeurant fort intéressant, de nature ethnographique, et... sociologique...
Certes...
Un travail approfondi, sans contestation possible.
Mais qui de mon point de vue de psychologue mériterait un approfondissement pour être "exploitable" de notre
position de psychologues.
Le débat est d'ailleurs resté en suspens sur le thème de " de quelle réalité s'agit-il ?"...
J'ai l'impression que le travail aurait été plus "sociologique" s'il avait pu permettre de décrire ou d'affiner les
données "psychologiques" sous-jacentes.
J'ai un certain nombre de remarques... trois, pour être précis... je les livre en vrac... vous pardonnerez ma naïveté,
mon ignorance et mes maladresses... merci d'avance ...
• La première concerne le caractère trop focalisé de l'étude.
• La seconde sur le sens que l'on a cherché à donner à la conduite à risque
• La troisième concerne la sexualité
1 - Il me semble qu'il est difficile de dissocier l'émergence de cette aspiration à la défonce extrême (la fête n'est
plus ce qui organise la rencontre en premier lieu, mais l'occasion - voire le cadre où il est possible - d'atteindre
entre soi un état impossible) dans des groupes (extrêmes donc possiblement révélateurs d'un quelque chose de
plus discret), d'un autre phénomène peut-être contemporain : les jeux vidéo et le mode de vie qui s'y rattache
(une sorte de conduite addictive), bref une sorte de virtualité. (relisez plusieurs fois la phrase, elle me semble
tenir debout...). La surabondance de la musique et le bain musical permanent peut-être aussi...
Il est envisageable que si nous considérons (ce qui est envisageable, non ?) notre société occidentale
contemporaine comme permettant l'ouverture vers une infinité de possible dans l'axe des virtuels simultanément
à une réduction des possibles dans l'axe des concrets, il se peut que se jouent là des tensions "psychiques" entre
les deux mondes dans lesquels les membres du corps social se débattent.
Tout cela à un niveau collectif, donc où les jeunes, non encore individués (au sens jungien du terme) par
définition puisqu'en cours de construction, sont particulièrement sensibles.
Si le dépressif est sans force et sans espoir face l'infinité des possibles (ce que notre société tend à construire
(marketing, publicités, virtualité...), tout en réduisant concrètement les possibilités (menace du chômage,
dangerosité du monde, information sur les superpouvoirs (paradis fiscaux, fortunes des élites, puissances
économiques toutes puissantes que l'on ne fait que subir) hors d'atteinte (incurie des politiques, des syndicats, de
l'action individuelle (même le terrorisme !)....).
Si l'obsessionnel est celui qui réduit au maximum les possibles pour contrôler le monde et le sécuriser...
Si le comment dire... hystérique (pour reprendre E. Drewermann)?... est celui qui se ménage toujours un possible
qui ne l'aliènerait pas à un choix définitif (du coup il ne fait rien jusqu'au bout et virevolte de façon inaboutie et
infantile)...
Je me demande si nous n'aurions pas là (dans cette pratique double de la virtualité intense du jeu et dans la
défonce de la teuf) une formulation psychologique un peu singulière d'un positionnement vis-à-vis du possible et
de l'impossible, une tentative pour faire entrer l'impossible dans le possible, le virtuel dans le concret (qui sont
deux réalités)...
Le mécanisme sous-jacent à tout ça étant (éventuellement, comme hypothèse) l'angoisse face à la vie (euh, je
veux dire le caractère unique d'une vie et donc la mort, qui constitue la seule sortie possible, que la vie soit
"réussie" ou non ?).
2 - la réflexion conduite sur le caractère initiatique des conduites extrêmes a survolé les caractéristiques des
"anciens modes" et de cette nouvelle mode.
Il me semble que nous avons zappé une caractéristique des anciens modes que nous ne retrouvons pas et par
lequel on ne peut pas faire de pont entre les deux. Dans les modes de fête initiatiques le cadre permet de
"protéger" celui qui est initié et il est sous le regard des adultes, a priori, même s'il n'est pas sans danger. Le
monde adulte fournit le sens ultime de l'expérience et sa finalité ( un fondement philosophique, voire spirituel,
bref une sorte d'ordonnancement du monde)
Ici, dans la teuf, le jeune est "hors contrôle" et dans une absence de sens totale, explicitement.
D'un point de vue technique, il nous intéresse donc - en tant que professionnels du psychisme - d'aller chercher
dans l'implicite de cette absence (donc dans la présence cachée ; ce que certains appelleraient l'inconscient, qu'il
soit individuel ou collectif) ce qui est recherché.
Sachant que finalement rien de nouveau ne peut émerger qui ne soit si différent de ce qui l'a précédé qu'il ne soit
pas possible d'y référer, il n'est pas certain qu'alors notre rôle de psychologues ne serait pas d'envisager que le
mécanisme de l'angoisse sous-jacent et la solution qui y est apporté (la teuf, grave) soit une tentative individuelle,
cherchée en petits groupes spontanés pour ne pas dire sauvages, à une problématique collective de non sens là
où le groupe social ne permet plus de construire du sens...
Ce qui nous conforte dans notre positionnement de psychologues attachés à l'approche psychothérapeutique
individuelle, couplée à une attention particulière vis-à-vis des études sociologiques.
2 - J'ai par ailleurs noté que le problème de la sexualité ne se posait pas (d'après l'étude) dans le cadre de la teuf,
pour ces jeunes-là...
C'est à voir... car deux phénomènes apparaissent (me semble-t-il) (dans les extrêmes, bien sûr):
1 - il semblerait que certains nombres de jeunes font ce qui n'arrivaient qu'à un âge plus avancé chez quelques
uns de leurs aînés : ils n'ont pas de problème de sexualité car ils y renoncent, plus ou moins... sans pour autant
renoncer à la relation affective, voire à la cohabitation.
2 - il y a un phénomène lui aussi récent, c'est l'accès intense à la pornographie et au sexe pour le sexe, dans
l'esprit jeu vidéo, faisant de la relation quelque chose d'assez "virtuel"... et là encore, ils sont un peu "à côté" de la
sexualité telle qu'on la vivait et on l'imaginait encore récemment.
Du coup il est difficile de dire s'ils ont (ou non) une sexualité et s'il est "non centrale" puisque "vécue", ou si elle
est "éliminée".
De savoir si "elle" ne pose pas de problème et si la teuf est "sans lien" avec "elle" ou si "elle" si "complexe dans sa
réalisation" qu'"elle" est "mise de côté" (si vous vous y retrouvez dans les guillemets, chapeau !)
Du coup, cet aspect de la sexualité n'ayant pas été exploré dans l'étude sociologique de la teuf chez ces jeunes-là,
il est difficilement entendable qu'il soit affirmé qu'elle n'est pas "centrale"...
Bref, cette formation (que nous appellerons donc maintenant "sensibilisation") était intéressante mais m'a un
peu laissé sur ma faim...
Fabrice GILBERT

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