Document defense
Transcription
Document defense
de?fense 148 cover.qxd:de fense 127 cov.qxd 16/11/10 11:37 Page 1 ES ES MÉ NN SE AR PÉE CRI RO LA EU NS DA N° 148 Novembre - Décembre 2010 - 10e Defense UNION-IHEDN Enjeux de défense et de sécurité civils et milita ires www.revue-defense-ihedn.fr GRAND ENTRETIEN Mahamadou Issoufou Président du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) “Sahel : la réponse sécuritaire est inévitable, mais elle sera d’autant mieux perçue par les populations concernées qu’elle s’accompagnera d’un suivi visant le développement régional” Grand Reportage: En route pour la Kapisa Cinéma : Mugabe et l’Africain blanc Francis Gutmann : Incertitudes américaines Hommage à Claude Vicaire def148-pubUC-Quadri-oct2010:Mise en page 1 23/11/10 10:04 Page1 Edition dE livrEs, d’ annuairEs Et dE rEvuEs Spécialisée en édition et impression de livres, d’annuaires et de périodiques, UNICOMM a lancé plusieurs ouvrages de référence destinés aux milieux parlementaire et politique, tels que la collection « L’Abécédaire parlementaire » consacrée à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Parlement européen, le trimestriel « Les Dossiers de l’Abécédaire parlementaire », traitant de sujets d’actualité, mais aussi « La Lettre européenne » de la Maison de l'Europe de Paris, l'Annuaire de la Presse étrangère en France, et beaucoup d'autres. Ces dernières années, de nombreux ouvrages édités par uniComm concernent la géopolitique, les relations internationales et le secteur de la sécurité et de la défense. Parmi eux : la revue « Défense » et l’annuaire de l’Union des associations de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN), l’annuaire des auditeurs du Centre des Hautes Etudes de l’Armement (CHEAr) ou des livres comme le « Dictionnaire géopolitique de la défense européenne », « La France, l’Europe, l’OTAN » et bien d’autres ouvrages littéraires ou spécialisés. la collection « stratégie et prospective », lancée en partenariat avec la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, a pour ambition d'aider les décideurs économiques et politiques à analyser les défis majeurs de demain et d'en démonter les mécanismes afin de mettre en lumières les conséquences et les actions à prévoir. Les ouvrages déjà parus : « L'Espagne, quelles stratégies pour le XXIe siècle ? », « La Russie, de Poutine à Medvedev », « La Chine et la Russie, entre convergences et méfiance », « L’eau. Un bien ? Un droit ? ». l’expérience d’uniComm en imprimerie qui, jusqu'à l'an 2000 faisait partie intégrante de la société, lui a permis de créer une base logistique efficace pour optimiser la réalisation de ses propres publications ou des publications édités pour le compte d’autres organismes. Elle permet de répondre à toute demande concernant la PAO (conception et mise en page automatisée de livres, d'annuaires et de revues). Depuis deux ans, uniComm propose - grâce au procédé Digiwriters - la traduction, la transcription des colloques et le soustitrage des émissions tv. De l’oral à l’écrit, de l’enregistrement sonore au texte édité, de la diffusion TV ou de la vidéo au sous-titrage, au relevé de dialogue et compte rendu : de toutes les formes de communication sonore, live ou enregistrées, à la production en temps réel (TR) de fichiers textes normalisés : c’est une partie des prestations qui se déclinent en français, en allemand, en anglais et/ou américain. editions uniComm 94, rue saint Dominique, 75007 paris tél. : 01 43 17 31 31 - fax : 01 43 17 31 30 e-mail : [email protected] site web : www.unicomm.fr QuelQues référenCes... DAS, IHEDN, CHEAr, GICAT, UNABCC, APE, Maison de l’Europe de Paris, Mairie du 6e arrondissement, EUROLAW, Collège de France, CCIP, INRP, DYNAPOST, UNESCO, Assemblée européenne de sécurité et de défense, Institut Pasteur, ... L ivres ColleCtion “stratégie et prospeCtive” Aider les décideurs à anticiper les évolutions. En partenariat avec la Délégation aux affaires stratégiques ColleCtion “Défense européenne” Partager la réflexion des universitaires et des acteurs socio-économiques A nnuaires annuaire De l’union Des assoCiations De l’iHeDn « l’annuaire des annuaires » (G. Pompidou) 39 associations, 10 000 membres en France et dans le monde annuaire De l’assoCiation Des auDiteurs Du CHear 2 500 membres, 1 000 entreprises du monde de l’armement annuaire De l’assoCiation De la presse étrangère 5 continents, 70 pays, 600 membres R evues revue bimestrielle l’iHeDn De l’union Des assoCiations De Liens entre les membres, réflexions et propositions Comprendre les enjeux de défense et de sécurité civiles et militaires Donner la parole aux spécialistes et aux acteurs du secteur de la défense de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:08 Page 2 L ’E D I T O R I A L d u P R E S I D E N T L’alchimie des crises Les conséquences négatives, douloureuses parfois, des crises économiques, sociales ou politiques, s’imposent à nous, elles forment un cortège évident de souffrances de toutes natures. La crise économique mondiale qui nous frappe, nous comme les autres, n’échappe pas à ce paradigme. Les conséquences de cette crise grave, n’épargnent aucun secteur, et la défense de notre pays devra, comme les autres ministères, tenir compte du besoin vital pour la France de réduire sa dette, et d’économiser chaque denier devenu rare. Et il en est de même pour chaque Etat européen, à l’image des réductions budgétaires que le gouvernement anglais vient d’initier, pour un temps long. Dès lors, nous ne pouvons qu’être inquiets, sur notre capacité nationale, à préserver malgré ces circonstances, un outil de défense pourtant indispensable dans le monde instable et dangereux qui nous entoure. Ainsi ce mélange de crise, d’inquiétudes, et de souffrances, constitue une alchimie connue, marquant de manière périodique notre histoire, débouchant parfois, à l’acmé de cette réaction, sur la guerre ou son équivalent, débouchant toujours sur la paupérisation et le repli sur soi, à l’échelle des individus, comme à celle des nations. Et pourtant, une autre écriture des conséquences d’une crise, est parfois tentée par les plus ambitieux. Vouloir écrire l’Europe, dès 1950, comme le fit Robert Schumann sur les ruines encore fumantes de la déflagration de 39/45, était un acte de foi. Il ouvrit pourtant la porte au traité de Paris et à la création de la communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). C’est de cette ambition dont nous devons nous emparer. Le récent accord de Londres, entre l’Angleterre et la France, démontre, s’il était besoin qu’une autre alchimie des crises est possible. La contrainte n’a pas pour conséquences inéluctables le déclin et le renoncement. La crise interdit désormais, et pour longtemps, à chaque Etat européen, de financer et d’assurer de manière solitaire, la totalité du champ de sa propre défense. Mais elle peut être un catalyseur puissant, permettant à ce qui était politiquement impossible de devenir une réalité partagée. La construction d’une défense européenne, s’est jusqu’à présent heurtée à tous les obstacles politiques hérités des conflits et des rivalités ancestrales entre les nations. La contrainte économique partagée est une occasion, sans doute historique, de dépasser nos clivages, de bâtir ensemble, ce que nous ne pouvons plus assumer seul, de défendre ensemble, ce que nous ne pouvons plus défendre seul. Le ministère français de la Défense vient, à la faveur du remaniement gouvernemental, de retrouver un rang protocolaire digne de sa dimension régalienne. Alain Juppé* en a pris les rênes en qualité de ministre d’Etat. Son parcours politique éminent lui confère une personnalité reconnue en France et en Europe. Osez l’Europe de la défense, monsieur le Ministre ! Nous serons là pour vous aider et vous soutenir. A l’image de ce qu’initiât Robert Schumann en son temps, cette histoire mérite d’être écrite, la crise nous en donne l’obligation, elle nous en permet aussi l’ambition. * Voir Défense n°145 mai/juin 2010, Grand entretien avec Alain Juppé 3 Jean-Raphaël Notton* AA 56 Président de l'Union - IHEDN pour la défense et la sécurité [email protected] NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 23/11/10 10:42 Page 3 SOMMAIRE NUMÉRO 148 NOVEMBRE-DECEMBRE 2010 European defence vision L’Editorial du Président P.3 Grand entretien P.8 L’alchimie des crises Jean-Raphaël Notton* P.45 Le Collège européen de sécurité et de défense (CESD) par Colin Cameron* Focus Le billet du Rédacteur en chef P.5 G-20/G-Vain : un monde sans nations unies Richard Labévière* Mahamadou Issoufou Président du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) P.7 Le point de vue du SGDSN Le renforcement de la coopération franco-britannique : une nouvelle coopération militaire et une ambition commune en matière de lutte anti-terroriste Francis Delon L’empire de la terre et l’eau en quête de ressources par Claude Chancel* L’énergie, dilemme géopolitique et écologique sino-mondial par Claude Chancel* P.46 Grand Reportage P.50 P.48 En route pour la Kapisa par J.P.Ferey* Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale Débats et opinions Grand dossier Armées européennes dans la crise P.14 P.17 par François d’Alançon* par Etienne de Durand par Patrick Michon* P.21 P.23 par Jaroslaw Nawrotek P.24 propos recuellis par François d’Alançon* par Tomas Valasek P.25 P.27 par Alain Rouceau par Reiner K. Huber P.29 P.31 par Nick Witney P.33 par A. Danjean 4 par Patrice Lefort-Lavauzelle P.35 par Daniel Schaeffer P.37 P.38 par Julien Nocetti* et Philippe Pelé Clamour* par A. Lamballe P.40 P.41 Revue bimestrielle de l’UNION - IHEDN pour la défense et la sécurité 1, place Joffre, case 41 75700 Paris SP 07 Tél. 01 44 42 31 47 Fax : 01 45 51 54 65 www.revue-defense-ihedn.fr NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Cinéma Défense P.56 Mugabe et l’Africain blanc Ce n’est qu’un début par Sabine Carion* Ils/elles publient P.58 Les 7 rendez-vous Renseignement dans tous ses états par Joël-François Dumont* Les forces spéciales par Pascal le Pautremat* Armes de communication massive par François d’Alançon* Lignes de mire internationales par Philippe Leymarie L’état des recherches par Jean-François Daguzan* Guerres d’aujourd’hui par Jean-Louis Dufour* Economie & Défense par Philippe Pelé Clamour* et Patrick Rassat* P.60 P.61 P.62 P.63 P.64 P.65 P.66 Perspectives Industrie/Armement par Patrick Michon* P.55 La sécurité des systèmes d’information de la défense par C. Pénillard Incertitudes américaines par Francis Gutmann Directeur de la publication Jean-Raphaël Notton* Directeur délégué Yannick de Prémorel* Rédacteur en chef Richard Labévière* Rédacteurs en chef adjoints François d’Alançon* Joël-François Dumont* Secrétaire général Philippe Charrier* P.44 Comité de rédaction Eric Barrault*, Roger Bensadoun*, Sabine Carion*, J.F. Daguzan*, J.L.Dufour*, J.P Ferey*, Stéphane Kotovtchikhine*, Pascal Le Pautremat*, Philippe Leymarie, Patrick Michon*, Catherine Orphelin*, Henri Pinard-Legry*, Jean-Michel Pignoux*, J.P. Quittard*, Patrick Rassat*, Philippe Ratte*, Linda Thisse*, J.C. Tourneur*. Directeur artistique Jean-Louis Hélard Promotion/Diffusion Jean-Pierre Chéhensse*, René Occhiminuti* Les articles signés et opinions émises dans la revue Défense n’engagent que leurs auteurs Les auteurs marqués * sont Auditeurs de l’IHEDN. Crédit photo DICOD - MAE Edition Publicité UNICOMM Directeur : Olivier Gaude 94, rue Saint-Dominique 75007 Paris Tél. : 01 43 17 31 32 -Fax : 01 43 17 31 30 Maquette : Duellistes Dépot légal : 4e trimestre 2010 commission paritaire : 0308 G 83142 issn 0337-9434 Imprimeur : Centr’Imprim - Issoudun Web : Thierry Vagne, Cybel de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:08 Page 4 Le billet du Rédacteur en chef G-20/G-VAIN : UN MONDE SANS NATIONS UNIES... En tournée en Asie à la veille du G-20, Barack Obama a offert à l’Inde son soutien pour un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies1. Certes, ce n’est pas une première. La France réitère cette proposition régulièrement depuis plus de dix ans. Mais c’est le moment choisi qui importe ici ! A la veille du sommet du G-20, le président américain aurait-il voulu relativiser le rendez-vous mondial de Séoul qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Au vu du communiqué final du G-20, qui se limite à quelques vœux pieux pour éviter la guerre des monnaies et engager la Chine à développer son marché intérieur, on se dit effectivement qu’Obama a fait acte d’une belle anticipation en rappelant que les choses sérieuses finissent toujours par se traiter dans l’enceinte des Nations unies, seul cadre multilatéral légitime parce qu’universel. Impulsés par Valéry Giscard d’Estaing, les premiers G-7 furent instaurés pour donner aux dirigeants des pays les plus développés l’opportunité de se réunir afin d’échanger analyses et propositions pour atténuer les effets des crises économiques et financières des années 70/80. Avec la fin de la Guerre froide et l’accélération de la mondialisation, le club2 s’est élargi aux pays émergents - Chine, Inde, Brésil, Mexique, Australie, etc. - mais, en définitive, c’est toujours aux IFIs3 et principalement au FMI qu’on demande d’ajuster les flux financiers d’un système en crise depuis 1971, lorsque Richard Nixon a décidé unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or… Nouvelle machine à produire communiqués, déclarations et photos de famille, le G-20 ne régule rien. On peut se reporter aux engagements pris ultérieurement lors du sommet de Londres4 où il était déjà question de mettre les banquiers au pas et de réformer le capitalisme pour mesurer l’in-opérabilité d’un regroupement que des experts surnomment désormais le « G-Vain ». Comme l’explique si bien l’ancien ministre libanais de l’économie Georges Corm dans son dernier livre5 , le G-20 ne serait-il pas l’ultime habillage médiatique et communicationnel d’un système qui ne fait qu’aggraver la déconnexion entre la finance internationale et l’économie réelle et, qui basé sur toujours plus de consommation, détruit nos patrimoines sociaux et environnementaux ? Certes, le constat est depuis longtemps établi, mais la fuite en avant se poursuit et s’amplifie. Les contraintes que fait peser une plus grande interdépendance sur les politiques nationales impliquent de vrais espaces et mécanismes de coopération internationale renforcés. Qu’il s’agisse de la régulation économique et financière, de la lutte contre le terrorisme et le changement climatique ou des politiques de développement économique, les gouvernements ne peuvent pas, aujourd’hui faire l’impasse d’une coopération internationale et multilatérale renforcée et modernisée6. Ce grand chantier finira par revenir à l’ONU et aussi par servir d’aiguillon à la réforme du Conseil de sécurité et des grandes agences techniques des Nations unies. Faut-il rappeler ici que Jacques Delors et Stéphane Hessel ont proposé, depuis une vingtaine d’années, la création d’un Conseil de sécurité économique qui préconisait une synthèse opérationnelle entre le système onusien et les institutions financières internationales, notamment entre l’Organisation internationale du travail (OIT), le FMI et la Banque mondiale ? Le cadeau symbolique d’Obama aux dirigeants indiens nous rappelle aussi que face à l’opposition de la France à la guerre contre l’Irak en 2003, les néoconservateurs américains avaient agité l’idée de céder… le siège français du Conseil de sécurité à l’Inde… Au-delà du G-20, de ses effets médiatiques et de ses déclarations d’intention qui ne suffiront pas à en faire une nouvelle organisation internationale, ses recommandations pourraient - répétons-le - aiguillonner la réforme des Nations unies et leur redonner autorité et légitimité, le G-192 représentant l’ensemble des Etats-membres de l’ONU. Ce constat nous engage - nous Français - à préserver l’héritage gaullien, principalement le siège permanent de la France au Conseil de sécurité et l’autonomie de notre dissuasion nucléaire. Sur ce dernier point, doit-on se réjouir du dernier accord de défense franco-britannique ? Rien n’est moins sûr résume l’un de nos grands officiers généraux à travers ce sarcasme, lui aussi très gaullien : « comment voulez-vous fabriquer une défense franco-britannique avec un pays qui n’a pas l’euro, qui roule à gauche et qui conserve un système métrique auquel personne ne comprend rien. Inventé pour faire des économies, ce nouveau machin risque de ne pas être très opérationnel et, surtout de nous faire perdre encore un peu plus d’indépendance et de souveraineté nationales ». C’est un peu brut de décoffrage mais ce n’est pas idiot ! 5 1/ Le Figaro du 9 novembre 2010. 2/ Le G-20 a été créé en 1999 pour répondre aux crises financières des années 90. 3/ Institutions financières internationales. 4/ 2 avril 2009. 5/ Georges Corm : Le nouveau gouvernement du monde. Editions La Découverte. 6/ Thierry Soret : Crise dans la gouvernance économique mondiale. Editions de la Fondation Jean Jaurès. Richard Labévière AA 56 [email protected] NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:08 Page 5 Bienvenue SUR LE SITE DE LA REVUE www.revue-defense-ihedn.fr PROFITEZ DES POSSIBILITES OFFERTES : (accès gratuit) POUR VOS RECHERCHES : Les archives de la Revue Défense Une Revue de presse quotidienne Un panel de sites consacrés à la défense : - Institutions françaises et internationales, - Entreprises, Revues, Think tanks… - Sites de veille internationale POUR EXPRIMER VOTRE OPINION : Auprès des auteurs, Auprès des membres du comité de rédaction. Rendez vous dans la Communauté de Défense www.cybel.fr/defense CYBEL - 9-11, avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 PARIS e-business CYBELWAY : www.cybel.fr - mail : [email protected] - CYBELWORLD éditeur@ www.cybel.fr de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:08 Page 6 LE POINT DE VUE DU SGDSN Le renforcement de la coopération franco-britannique : une nouvelle coopération militaire et une ambition commune en matière de lutte anti-terroriste Francis Delon1 Douze ans après le sommet de Saint-Malo, la relation franco-britannique en matière de défense et de sécurité a trouvé un nouveau souffle. Sous l’impulsion du Premier ministre britannique David Cameron et du Président de la République Nicolas Sarkozy, réunis à Londres le 3 novembre dernier pour le 31ème sommet franco-britannique, le Royaume-Uni et la France se sont engagés, à travers la signature d’un Traité de coopération en matière de défense et de sécurité, à développer la coopération entre leurs forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipements, y compris par une interdépendance mutuelle, la construction d'installations communes, l'accès réciproque à leurs marchés de défense et la coopération industrielle et technologique. Plusieurs facteurs ont conduit à ce rapprochement historique. Dans un contexte budgétaire contraint qui pèse sur le maintien d’un effort de Défense à la hauteur des ambitions affichées par le Royaume-Uni et la France, et alors que les équilibres stratégiques mondiaux se déplacent, la convergence d’intérêts entre nos deux pays est forte. Etats membres permanents du Conseil de sécurité, tous deux dotés de l’arme nucléaire, la France et le Royaume-Uni consacrent en effet en matière de défense et de sécurité un effort qui les place aux deux premiers rangs des pays européens, s’appuyant chacun sur un tissu industriel de premier ordre, très actif sur les marchés export. Ils partagent une même perception des risques et menaces et ont une vision très proche des moyens à mettre en œuvre pour y faire face. C’est ainsi que la France et la Royaume-Uni ont décidé le 3 novembre d’engager une coopération sans précédent dans le domaine des technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires, afin de garantir leurs capacités de dissuasion nucléaire indépendantes respectives. Concrètement, il s’agit pour nos deux pays de coopérer au sein d’une installation commune en France, où sera modélisée la performance de nos têtes nucléaire et des équipements associés, afin d'en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme. Un Centre de développement technologique commun au Royaume-Uni soutiendra ce projet. Nous allons également mettre en place une force expéditionnaire commune interarmées adaptée à toute une série de scénarios, y compris des opérations de haute intensité. Cette Force comprendra une composante terrestre composée de formations au niveau brigade, une composante maritime et une composante aérienne avec leurs états-majors associés, ainsi que la logistique et les fonctions de soutien. Il ne s'agira pas d'une force permanente, mais elle sera disponible avec un préavis pour des opérations bilatérales, de l'OTAN, de l'Union européenne, des Nations Unies ou d'autres opérations. 7 Alors que le Royaume-Uni a décidé, au terme de sa revue stratégique de défense et de sécurité dont les conclusions ont été rendues publiques le 19 octobre 2010, d'installer des catapultes et des dispositifs d'arrêt sur son futur porte-avions opérationnel, nos deux pays ont décidé de se doter, d'ici le début des années 2020, de la capacité à déployer une force aéronavale d'attaque intégrée commune, composée d'éléments des deux pays. Cet exemple dans le domaine naval illustre un champ de coopération bilatérale beaucoup plus large. En matière d’équipement et de capacités de défense, celui-ci reposera notamment sur le développement de coopération dans les domaines du transport aérien tactique et stratégique, des technologies et systèmes pour les sous-marins, de la guerre contre les mines maritimes, des communications par satellite et des drones. Dans le domaine industriel, le Royaume-Uni et la France mettront en œuvre ensemble un plan stratégique concernant le secteur britannique et français des missiles afin de consolider l’offre européenne. La coopération franco-britannique se renforce également dans le domaine de la sécurité. Nos deux pays ont ainsi agréé un cadre pour le développement de solides liens en matière de cyberdéfense, afin de prévenir ensemble les menaces croissantes qui pèsent sur la sécurité de nos systèmes d'information et renforcer la résilience de nos réseaux. La France et le Royaume-Uni partageant la même détermination à combattre toutes les formes de terrorisme, la coopération franco-britannique comporte également un important volet relatif à la lutte contre le terrorisme. Ce champ couvre, entre autres, le renforcement de notre coopération en matière de sûreté de l’aviation commerciale, dont les événements du 29 octobre dernier sont venus, une nouvelle fois, rappeler l’impérieuse nécessité. 1/ Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:08 Page 7 Grand entretien Mahamadou Issoufou Président du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) BIO-EXPRESS 8 « Dans le but d’éradiquer le mal à sa racine, les pays du Nord peuvent nous aider au développement économique et social des zones pastorales. Sur le plan séculaire, ces mêmes partenaires sont indispensables pour la formation, l’entraînement et l’équipement de nos forces de défense et de sécurité.» NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Mahamadou Issoufou est né en 1952 à Dandadji dans la région de Tahoua. Il appartient à l'ethnie haoussa. Ingénieur des mines, il fût Directeur national des mines au ministère des mines et de l'énergie de 1980 à 1985, puis Directeur d'exploitation de la mine d'Arlit, ensuite Secrétaire Général de la Société des mines de l’Aïr (SOMAIR), jusqu'en 1991, avant de démissionner et d'entamer une brillante carrière politique. A la faveur des mouvements démocratiques des années 90, il crée, avec plusieurs de ses anciens compagnons des mouvements estudiantins, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDSTaraya). Il a été candidat à toutes les élections présidentielles organisées au Niger depuis l’avènement de la démocratie pluraliste au sortir de la Conférence nationale souveraine de 1992. Troisième après Mamadou Tandja et Mahamane Ousmane aux élections de 1992, son parti a créé, avec la CDS et l’ANDP de Moumouni Djermakoye Adamou, un rassemblement dénommé Alliance des forces du changement ayant permis l’élection au second tour des élections de Mahamane Ousmane face à Mamadou Tandja en 1994. Nommé premier ministre, très vite des dissensions apparaissent et l’alliance vole en éclats à la suite de sa démission en 1995. De nouvelles élections législatives anticipées le ramènent au poste de président de l’Assemblée nationale jusqu’en janvier 1996 avec l’irruption sur la scène politique des militaires conduits par Ibrahim Mainassara Barré. Avec l’élection de Mamadou Tandja qui le bat au deuxième tour des élections présidentielles de 1999, il rejoint l’opposition et occupe un siège de député jusqu'à la dissolution de l’Assemblée nationale en 2009 par le président Tandja. Ce dernier annonce son intention de rester au pouvoir et aggrave les clivages de la classe politique nigérienne. Mahamadou Issoufou préside le Front pour la restauration de la démocratie qui regroupe les forces démocratiques et les centrales syndicales nigériennes en lutte contre le plan « Tazartche » du président Tandja. Avec ce plan, un référendum est organisé par le gouvernement et boycotté par l’opposition pour l’adoption d'une constitution instaurant une troisième république. Le 18 février 2010, un coup d'Etat militaire est mené par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), avec à sa tête le chef d'escadron Salou Djibo. La constitution est suspendue. Le président Mamadou Tandja est arrêté. Le 31 octobre 2010, une nouvelle constitution est adoptée par voix de référendum. De nouvelles élections présidentielles doivent avoir lieu le 31 janvier 2011. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Défense : Comment évoluent les lignes de force de l’Afrique au lendemain de la commémoration des indépendances ? Qualifiant la nouvelle génération de responsables politiques africains, l’ancien premier ministre français Michel Rocard n’hésite pas à parler de « despotisme éclairé », qu’en pensez-vous ? Mahamadou Issoufou : Depuis les indépendances, l’histoire de l’Afrique a connu trois phases. La première fut celle des pères des indépendances, caractérisée par des partis uniques qui dominaient la scène politique africaine. Ensuite, arrive une phase que l’on peut qualifier de « prétorienne », où l’on voit des responsables militaires fomenter des coups d’Etat pour prendre le pouvoir. Cette période a plus ou moins pris fin vers la fin des années 80 et le début des années 90. La troisième phase commence symboliquement avec le sommet de la Baule et la série des conférences nationales, un vent de démocratie commençant à souffler sur l’Afrique à partir de la chute du Mur de Berlin et de la fin des confrontations Est-Ouest. Pendant cette phase, on assiste à une instauration de la démocratie avec des fortunes diverses selon les pays. Dans certains pays la démocratie prend corps et semble s’enracine durablement, alors que dans d’autres, elle connaît des moments de flux et de reflux. Le Niger, par exemple, a connu trois interruptions du processus démocratiques à travers trois coups d’Etat : en 1996, en 1999 et enfin le 18 février 2010. Mon pays illustre à l’envi la différence des rythmes politiques sur notre continent. Mais je constate que, globalement, les sociétés africaines aspirent majoritairement à la démocratie et que la tendance lourde de l’Afrique s’oriente positivement malgré des dysfonctionnements locaux qui ne sont pas en mesure d’hypothéquer ce mouvement général. L’Afrique n’a pas besoin de « despotisme éclairé ». L’Afrique aspire profondément à la démocratie. Défense : La situation politique du Niger est centrale et à valeur de pivot pour la géopolitique de la sous-région sahélo-saharienne. Quel bilan faites-vous de l’héritage du président Tandja qui a été justement renversé par le coup d’Etat militaire du 18 février 2010 ? Mahamadou Issoufou : Pour parler plus spécifiquement du Niger, la décennie 90 a été particulièrement instable : conférence nationale de 1991, un régime de transition entre 1991-1993, des élections en 1993, un coup d’Etat en 1996 et un autre en 1999 qui malheureusement s’est déroulé de manière dramatique avec la mort du général Barré. A partir de 1999, nous avons connu dix ans de stabilité. Le Niger était sur la bonne voie. Nous avions créé les conditions d’une démocratie apaisée avec des relations régulières et constructives entre l’oppo- 11:09 Page 8 sition que j’avais l’honneur de diriger et la majorité du président Tandja. L’exercice avait une portée éminemment pédagogique, notre objectif étant non seulement d’assurer la stabilité politique de notre pays mais aussi de montrer au peuple nigérien qu’être des adversaires politiques ne fait pas nécessairement de nous des ennemis et que nous avions le devoir de nous retrouver de temps à autre pour échanger sur les grandes questions engageant les intérêts vitaux du Niger et des nigériens. Malheureusement ce moment de démocratie apaisée a pris fin lorsque le président Tandja a décidé de changer les règles du jeu, notamment en engageant la modification de l’article 36 de la constitution qui stipule que le président de la République est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule foi. Or cet article fait partie des six (6) dispositions de notre constitution qui ne sont pas susceptibles de modification, les cinq (5) autres étant, l’intégrité du territoire, la forme républicaine de l’Etat, le multipartisme, la séparation de l’Etat et de la religion ainsi que l’amnistie accordée aux auteurs du coup d’Etat du 09 Avril 1999… Défense : Ce coup de force sur la constitution a été le facteur déclenchant de la crise… Mahamadou Issoufou : En effet, ce fut l’élément déclencheur d’un combat d’abord juridique. L’opposition a porté plainte devant la Cour constitutionnelle qui, fait rare en Afrique, lui a donné raison en prononçant un arrêt interdisant au président de changer ainsi la constitution. L’arrêt indiquait clairement que le changement de constitution tel que l’envisageait le Président était synonyme de violation de son double serment coranique. Mais le président Tandja, voulant s’incruster au pouvoir, décida de passer outre cet arrêt qui ne devait être susceptible d’aucun recours et qui devait s’imposer à toutes les autorités civiles comme militaires. Dès lors, le combat politique prend le relais du combat juridique. Pensant pouvoir s’abriter sous la caution populaire pour changer de constitution, le Président organisa un référendum. L’opposition organisée au sein de la Coordination des Forces pour la Démocratie et la République (CFDR), coordination composée de partis politiques, de syndicats et d’autres organisations de la société civile, appela au boycott. Les résultats réels n’avaient rien à voir avec ceux officiellement proclamés : le référendum se solda par un fort taux d’abstention, le taux de participation, dérisoire, étant inférieur à 5 % du corps électoral. C’était tout l’enjeu ! Par ailleurs, le référendum s’étant déroulé le G ra n d e n t re t i e n 4 août, les forces de défense et de sécurité ayant voté le 3 août, on a pu connaître les résultats du vote dans les casernes : les militaires ont voté « non » à 89% environ et, par conséquent, le coup d’Etat du 18 Février 2010 n’a été une surprise que pour Tanja qui pourtant était sensé avoir l’expérience et les moyens de le voir venir. Le président Tanja aurait pu sortir par la grande porte mais la fin de son régime a jeté une tache noire sur son bilan de dix (10) de gestion du pouvoir. 9 Défense : Au-delà du vote des militaires, comment s’est déroulé ce « coup d’Etat vertueux », très différent des violences survenues en Guinée Conakry, et surtout s’engageant à redonner le pouvoir aux civils ? Mahamadou Issoufou : En Afrique il arrive qu’on parle de « coup d’Etat d’ouverture démocratique ». Celui qui est intervenu au Niger le 18 février dernier constitue une NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Mahamadou Issoufou réponse au coup d’Etat constitutionnel opéré par le Président Tanja le 4 Août 2009. Le coup d’Etat du 18 Février a été réalisé en plein jour sans résistance majeure parce que l’exaspération au sein du peuple était partagée par les militaires. Le Niger a plus de vingt ans d’expérience démocratique sur la Guinée. Les partis politiques, les syndicats et les autres organisations de la société civile y ont eu le temps d’effectuer, au sein du peuple, un travail de sensibilisation, d’éducation en profondeur. Pour cette raison l’aspiration à la démocratie, très forte au sein du peuple est aussi présente chez certains militaires. Pour illustrer mon propos, je voudrais rappeler que suite au coup d’Etat du 27 Janvier 1996, son acteur principal, le général Barré, avait décidé de rester au pouvoir en se présentant aux élections de juillet 1996. Imaginant les partis discrédités, il pensait que l’élection serait une promenade de santé. Il a été battu au premier tour par les candidats des partis politiques et a dû recourir à un « hold-up électoral », pour se proclamer élu au premier tour avec 52 % des voix. Mais face à la résistance opposée par les partis politiques rassemblés au sein du Front pour la Restauration et la Défense de la Démocratie (FRDD) son régime a fait long feu. L’aventure de Tanja constitue un deuxième exemple : Tanja pensait que la classe politique, dont il faisait partie, était discréditée et qu’il pouvait la liquider pour s’éterniser au pouvoir. Ses rêves se sont brisés face à la résistance organisée par les partis politiques, les syndicats et les autres organisations de la société civile rassemblés au sein Grand entretien 10 de la Coordination des Forces pour la Démocratie et la République (CFDR). C’est là une nouvelle preuve que les nigériens, qui ont intériorisé la démocratie, n’admettent plus de tentative de retour à la dictature. Par conséquent, il est difficile - au Niger – d’instaurer la dictature en faisant abstraction de cette tradition politique pluraliste très ancrée dans la société. Le maillage social des partis politiques, des syndicats et des autres organisations de la société civile fait obstacle à toute dérive autoritaire. Ainsi, les circonstances historiques ont fait que le Niger n’est pas la Guinée et Salou Djibo n’est pas Dadis Camara. Du reste, ce dernier n’a-t-il pas échoué dans sa tentative de perpétuer un régime de dictature en Guinée ? Défense : Sur le rôle des partis politiques au Niger, entre l’armée et la population, NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 11:09 Page 9 comment l’opposition que vous avez animée durant de longues années, a-t-elle pu instaurer une transversalité entre les différentes ethnies afin de promouvoir de véritables revendications nationales ? Mahamadou Issoufou : Le régionalisme et l’ethnocentrisme n’ont pas d’avenir au Niger. En dépit de certaines spécificités, l’espace nigérien se caractérise par une culture commune. On constate aussi que la religion musulmane constitue un certain ciment unitaire. Cette caractéristique est confirmée par l’expérience politique de ces 20 dernières années : en effet tous les partis politiques qui ont enfourché le cheval du régionalisme et de l’ethnocentrisme sont en déclin aujourd’hui. Cela n’est pas étonnant car appartenir à la même région ou à la même ethnie ne signifie nullement qu’on partage la même vision du monde ni les mêmes valeurs. Par contre, un parti comme le nôtre, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS-Tarayya), bâti autour des valeurs d’unité nationale, de liberté, d’égalité, de justice, de tolérance et de solidarité ne fait que progresser d’élection en élection : de 15 % en 1993, le PNDS a enregistré respectivement 25 % et 35 % des suffrages au 1er et au second tour des élections présidentielles Défense : Plus concrètement, Monsieur le président comment faites-vous pour jeter les ponts entre le Niger du Nord - celui du Sahel - et le Niger du grand fleuve ? Comment le PNDS traite-t-il la question du régionalisme ? Mahamadou Issoufou : Il n’y a pas deux Niger, l’un du Nord, celui du désert et l’autre du Sud, celui du fleuve…Le Niger est un et indivisible. Nous avons la chance de bénéficier d’un maillage politique et syndical qui produit du lien social interethnique. Au métissage biologique s’ajoutent les mixages culturels et associatifs contrairement à ce qui se passe ailleurs dans d’autres pays Africains. Dès l’accession de notre pays à l’indépendance, les dirigeants ont conçu et mis en œuvre une politique d’unité nationale, y compris à travers des mesures de discrimination positive en faveur des zones nomades avec notamment un Ministère chargé des affaires sahariennes et nomades, la création dans les zones nomades de cantines scolaires, la mise en place d’infrastructures de communication à l’image de la route de l’unité reliant l’ouest à l’est du pays etc… C’est exactement dans cette perspective que s’inscrit le PNDS, l’objectif étant le développement harmonieux et équilibré de toutes les régions du pays. L’unité nationale n’est pas pour nous une question morale ou seulement sentimentale : c’est une des conditions du développement économique du Il n’y a pas deux Niger, pays et donc de chaque région. Je crois que cette fidélité à une vision nationale l’un du Nord, celui du désert de l’avenir du Niger est en train de prévaloir dans mon pays, y compris sur et l’autre du Sud, certaines forces centrifuges : la plupart des Nigériens ont aujourd’hui « une certaine idée du Niger ». C’est ce que celui du fleuve… prouve en tout cas le déclin des partis Le Niger est un et indivisible. qui ont enfourché le cheval de l’ethnocentrisme et du régionalisme. Au-delà, il faut envisager la réalisation de l’intégration africaine, car les micros-Etats Africains actuels ne peuvent faire face, isoléde 2004. Le PNDS est un parti qui a une ment, à la compétition internationale dans le base sociale sur le plan national et je contexte actuel de mondialisation généralifonde l’espoir qu’il sera, de loin, le presée : mondialisation de l’économie, mondiamier parti à l’occasion des prochaines lisation des menaces etc…. N’krumah avait élections présidentielles dont le premier raison de dire que l’Afrique doit s’unir ou tour est prévu se tenir le 31 Janvier 2011. périr. Quatorze ans d’opposition, loin de l’épuiser, ont accru son prestige et sa crédibiliDéfense : Dans cette perspective de votre té auprès des nigériens. Ses dirigeants travail politique articulée autour d’une « sont restés unis et constants autour de sa certaine idée » du Niger, quels sont les ligne politique au moment où d’autres enjeux de la nouvelle constitution ? responsables politiques ne cessent de « Mahamadou Issoufou : Après le coup d’Etat nomadiser » pour des raisons alimendu 18 février 2010, le Conseil Suprême pour taires, enlevant ainsi toute noblesse à la Restauration de la Démocratie (CSRD) a leur action politique. Entre servir et se mis en place un Comité des textes fondaservir, les dirigeants du PNDS ont choisi mentaux qui a travaillé sur l’avant projet de servir et c’est pour cette raison que d’une nouvelle constitution, sur la rédaction les nigériens leur font de plus en plus d’un nouveau code électoral et d’une nouconfiance. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 10 1999 ne prévoyait que la responsabilité devant l’Assemblée nationale. On passe ainsi d’un régime semi-présidentiel à la française à un régime dit de type orléaniste. Ces modifications visent l’amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption ainsi que la consolidation de la stabilité. velle charte des partis politiques. Tous ces textes ont été soumis à un Conseil national consultatif. Celui-ci vient d’adopter l’avant projet de la nouvelle constitution. Ce texte reprend, moyennant quelques modifications, les grandes lignes de la constitution de 1999 qui a contribué à la stabilité du Niger pendant dix ans. Les modifications sont surtout relatives aux conditions d’éligibilité des députés. Il s’agissait principalement d’exiger des candidats aux élections législatives qu’ils sachent lire et écrire pour participer pleinement aux travaux de l’Assemblée nationale. Ainsi, pour être éligible il faut avoir un niveau d’instruction équivalent à celui du Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC). Néanmoins, un quota, ne dépassant pas 25 % des effectifs de l’Assemblée Nationale, est prévu en faveur de ceux qui n’ont pas ce niveau. Une disposition est aussi prévue qui interdit au député, au même que le Président de la République et les Ministres, de prendre part, par eux-mêmes ou à travers autrui, aux marchés publics et privés de l’Etat et de ses démembrements. Une autre modification porte sur la double responsabilité du Premier Ministre : devant l’Assemblée nationale et devant le Président de la République, alors que la constitution de Défense : Dans cette perspective qu’elles priorités mettez-vous en avant pour l’élection présidentielle du 31 janvier 2011 ? Mahamadou Issoufou : Les priorités de mon programme sont les suivantes : la sécurité, la mise en place d’institutions démocratiques fortes et stables et la promotion de la démocratie à la base à travers la décentralisation, la lutte contre la corruption et l’impunité, la création des conditions d’une transition démographique en vue de la maîtrise de la démographie (la réduction de la mortalité devant entraîner, comme en Europe au 19ème siècle, celle de la natalité), la sécurité alimentaire à travers la promotion de l’irrigation (par exemple 140000 ha de terre sont irrigables le long du fleuve Niger) et de l’élevage semi-intensif, la disponibilité et la réduction des coûts de l’énergie notamment la finalisation du barrage de Kandadji et la promotion du nucléaire civil dans le cadre de la CEDEAO, les infrastructures de communication notamment le chemin de fer afin de réduire les coûts de transport, l’éducation, la santé, le développement de l’hydraulique villageoise et pastorale, le développement de l’agro-industrie, la lutte pour la protection de l’environnement, la réduction des inégalités. Tout cela suppose la mise en œuvre d’une politique économique expansionniste permettant d’obtenir un taux de croissance annuelle d’au moins 7 % et de réduire le chômage aussi bien dans les villes (chômage des jeunes diplômés notamment) que dans les campagnes. Notre ambition est de promouvoir une importante classe moyenne qui contribuera au progrès et à la stabilité du Niger comme se fut le cas dans d’autres pays. Défense : Quelle est votre réflexion concernant les objectifs du millénaire des Nations unies, visant à lutter contre la pauvreté mais aussi à garantir l’accès à l’eau et à l’éducation d’ici 2015 ? Mahamadou Issoufou : Malheureusement, au rythme actuel, l’Afrique ne pourra pas réaliser les objectifs du millénaire pour le développement d’ici 2015. Au nombre de huit, ces objectifs les plus importants sont à mes yeux la lutte contre la pauvreté et la faim, l’éducation primaire, la santé ainsi que l’accès à l’eau potable. Au rythme actuel, j’estime qu’il faudra au Niger un siècle pour réaliser ces objectifs. Les causes de cet échec sont : la mauvaise gouvernance politique (dictature, conflits armés, élections truquées, instabilité politique etc…) et économique notamment la corruption ; l’insuffisance de l’aide publique au développement (depuis le début des années 70 les pays donateurs ont prévu d’y consacrer 0,7 % de leur PIB mais n’en consacrent en moyenne que 0,25 % aujourd’hui). Mon parti fait de la réalisation des objectifs du millénaire sa priorité : son programme met en effet l’accent non seulement sur le développement les infrastructures énergétiques et de communication mais aussi sur la sécurité alimentaire, l’éducation, la santé, l’accès à l’eau et la protection de l’environnement. Pour financer ce programme nous comptons surtout sur la valorisation de nos ressources du sous-sol (uranium, pétrole, or, charbon, phosphates, fer, ciment etc…). Je suis convaincu que c’est seulement les excédents dégagés de ce secteur qui nous permettront de financer notre développement y compris le développement agricole contrai- G ra n d e n t re t i e n rement au processus du développement de 11 l’Europe qui a été financé à partir des excédents dégagés par l’agriculture Défense : Après les différents accrochages avec les activistes de l’AQMI et les prises d’otages au Niger et ailleurs comment se pose la question de la sécurité dans les différents pays de la sous-région sahélo-saharienne ? Mahamadou Issoufou : Tout d’abord, une remarque générale s’impose : quels que soient les pays, on constate que la frontière entre défense extérieure et sécurité intérieure s’efface de plus en plus aujourd’hui. Comme dans le cas de l’économie, les menaces à la sécurité sont devenues mondiales. La situation au Niger et plus largement dans la zone sahélo-saharienne illustre bien cela. En effet la zone du Sahara fait face à trois menaces qui lui posent, à la fois, des NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Mahamadou Issoufou problèmes de défense extérieure et de sécurité intérieure : la menace des forces centrifuges à l’origine de rebellions récurrentes notamment au Mali, au Niger et au Tchad ; la menace d’organisations criminelles se livrant à divers trafics : trafics de drogue en liaison notamment avec les réseaux sud-américains, trafics des armes, trafics des cigarettes, trafics humains, de carburant etc. ; la menace de l’AQMI, organisation mise en place par des salafistes qui ont survécu, en trouvant refuge dans le Sahara, à la défaite militaire et politique infligée aux GIA et au GSPC en Algérie. De ces trois menaces, la menace principale est celle de l’AQMI dont le lien avec les deux autres risque de déstabiliser tout le Sahara et même au –delà surtout si on tient compte des relations qu’aurait l’AQMI avec BOKO HARAM installé au Nord Nigéria ainsi que les SHEBABS Somaliens. Défense : Pourtant l’AQMI ne constitue pas une structure opérationnelle unique, même si elle prétend opérer un habillage symbolique, sinon idéologique global… Mahamadou Issoufou : C’est vrai. L’AQMI est divisée en plusieurs katibas ou groupes : la katiba d’Abdelhamid Abou Zeid qui est à l’origine de l’enlèvement récent de cinq Français et deux Africains à Arlit, au Niger, celle de Moktar Belmoktar et celle d’Abdelkrim Taleb, l’ensemble étant théoriquement dirigé par l’émir Abdelmaleck Droukel. Les rivalités entre les chefs de ces groupes peuvent aider à la lutte contre l’AQMI. Il faut d’ailleurs rappeler que, sur le plan international, les Salafistes ou sunnites partisans du retour à l’Islam des ori- Grand entretien 12 gines, celui des « salafs » ou « ancêtres » sont divisés en deux courants principaux : le courant du salafisme de prédication et celui du Salafisme du djihad armé. La plupart des Salafistes qu’on rencontre dans la zone du Sahara appartiennent au premier courant et, en conséquence, restent fidèles à la tradition pacifiste de l’Islam. Ils cherchent l’adhésion alors que les autres cherchent la conversion par la force, ce qui a contribué à les discréditer en Algérie. Par ailleurs si les liaisons de ces derniers avec les organisations criminelles étaient confirmées, ils seraient moralement disqualifiés pour parler au nom de l’Islam en dépit de la fatwa qui autoriserait les musulmans à vendre de l’alcool aux non-musulmans. Défense : Même si l’image n’est pas très heureuse concernant une zone désertique, l’islamisme n’est-il pas l’arbre qui cache la NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 11:09 Page 11 est la cause principale des rébellions récurrentes. Elle peut être aussi le terreau sur lequel pourront prospérer l’intégrisme (notamment celui de l’AQMI) et les organisations criminelles. Ici, me revient en mémoire le propos d’un ancien secrétaire d’Etat Américain : « la bataille de la paix doit être menée sur deux fronts. Le premier est le front de la sécurité où la victoire affranchit de la peur ; le second est le front économique et social où la victoire signifie l’affranchissement de l’envie. Seule la victoire sur les deux fronts peut assurer au monde une paix durable ». Une exploitation des ressources naturelles du Sahara, qui ne serait pas suivie du développement économique et social de cette zone, ne créerait-elle pas des frustrations qui, à leur tour, alimenteraient les haines et l’insécurité ? Aussi notre parti propose-t-il que les “Que les pays ayant le Sahara pays ayant le Sahara en partage ainsi que la communauté interen partage nationale, élaborent un vaste plan de développement éconoainsi que la communauté mique et social des zones pastorales comprenant des projets internationale, élaborent d’irrigation (au Niger nous disposons dans l’Irhazer de plus de un vaste plan de développement 60000 ha de terre irrigables), d’élevage semi-intensif avec économique et social organisation de circuits de commercialisation, des réalisations des zones pastorales d’infrastructures de communication (routes et chemins de fer comprenant tans-sahariens justifiés, du reste, par les perspectives d’exdes projets d’irrigation.” ploitation d’immenses ressources du sous-sol saharien) et d’infrastructures énergétiques, la création d’écoles, de centres de santé et les indépendances, la substitution, au d’infrastructures hydrauliques. La mise en Sahara central, de nouveaux circuits éconoœuvre du plan créera des emplois afin de miques Est-Ouest aux anciens circuits Nordrésorber le chômage, notamment celui des Sud a eu pour conséquence l’effondrement jeunes. J’insiste, pour la réalisation d’un tel de ses structures économiques et sociales plan, sur la mise en chantier de segments de en dépit, pour le cas du Niger, de la policoopération transfrontalière. Au plan politique d’intégration et de discrimination tique, l’accent doit être d’avantage mis sur la positive mise en œuvre par le Président décentralisation afin que les populations Diori Hamani en faveur des zones pastoaient entre leurs mains la gestion de leurs rales. Le coup de grâce a été porté à ces propres affaires. Les prochaines élections zones par la grande sécheresse de 1973régionales et municipales, qui seront organi1974 qui avait décimé le cheptel, symbole sées au Niger à la fin de l’année, constituede richesse économique et culturelle, et ront un pas dans ce sens. Par ailleurs, la paupérisé les éleveurs. Le Sahara, comme décentralisation, pour qu’elle soit complète, disait Péguy, fait partie de ces « terres beldoit aussi être fiscale. La décision du liqueuses qui font continûment la guerre Gouvernement Nigérien de consacrer 15 % aux hommes ». Après la sécheresse, la jeudes recettes fiscales générées par l’exploitanesse sans occupation émigre ailleurs où tion des ressources minières au développeelle apprend, entre autres, le métier des ment local mérite d’être saluée. Telle est armes. C’est cette jeunesse qui déclenchera notre vision de la réponse structurelle aux les premières rébellions au début des trois menaces. Néanmoins, dans l’immédiat, années 90, rébellions dont les germes ont pour faire face à la menace intégriste et celle été semés par le projet avorté de des organisations criminelles, la réponse est l’Organisation Commune des Régions forcément sécuritaire. Sahariennes (OCRS). Ainsi la paupérisation forêt ? La hiérarchisation des menaces étant éclaircie, quelles ripostes doiventelles mises en œuvre prioritairement ? Mahamadou Issoufou : Rappelons d’abord que le Sahara est une vaste zone désertique de plus de 9 millions de km2 composée du Sahara occidental (couvrant la Mauritanie, le Mali, l’Algérie et le Niger) et du Sahara oriental (couvrant le Niger, la Libye, le Tchad et le Soudan). Il faut noter que le Niger est à l’intersection de ces deux zones, ce qui en fait un espace de vulnérabilité potentiellement important et devant recueillir un intérêt particulier dans toute recherche de solutions pérennes. Pour revenir à votre question, effectivement l’Islamisme peut être l’arbre qui cache la forêt. Prenons l’exemple du Niger : pendant la colonisation et après de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Défense : Comment organiser militairement les réponses sécuritaires et avec quels pays leaders ? Mahamadou Issoufou : on dit souvent qu’un pays qui veut rester en paix doit avoir de bonnes armes, des vivres et un Gouvernement qui a la confiance de ses citoyens. Pour ce dernier aspect, la démocratie, avec des élections libres et transparentes et une bonne gouvernance, permet d’avoir un gouvernement légitime. S’agissant des vivres, elles seront le résultat de la mise en œuvre du plan de développement économique et social évoqué plus haut. Il reste les bonnes armes. Face à l’intégrisme et aux organisations criminelles, la réponse sécuritaire doit être ferme. C’est pour quoi, pour ce qui concerne le Niger, il faut donner aux forces de défense et sécurité davantage de moyens pour qu’elles soient en capacité opérationnelle d’intervention tous azimuts. Mais cet effort doit être mutualisé dans le cadre élargi d’une politique régionale et sous-régionale entraînant une coopération réelle entre les différents Etats sahélo-sahariens. Chaque Etat doit dégager des capacités propres pour faire face à la situation, mais, j’insiste là-dessus, on doit mutualiser différentes tâches de surveillance, de prévention et d’action. Le Niger devra impérativement augmenter les effectifs et la qualité de ses forces de défense et de sécurité, améliorer leurs équipements, formations et niveau d’entraînements. Ces forces doivent être déployées de manière judicieuse sur l’ensemble du territoire. Cela nécessitera la création de nouvelles casernes et postes avancés, de nouvelles unités de gendarmerie, de police et de forces spéciales et spécialisées, dédiées aux zones frontalières-charnières. L’accent doit être d’avantage mis sur le renseignement humain, d’où l’importance de la confiance entre les gouvernés et les gouvernants à laquelle j’ai fait allusion plus haut. L’accent doit être également mis sur le tarissement des sources de financement des intégristes notamment celles que constituent les organisations criminelles. Avec tous les pays du Sahara, on devrait pouvoir créer un maillage sécuritaire susceptible de faire obstacle à l’immersion des jihadistes dans la population. La meilleure façon d’empêcher cette immersion, je le répète, est le développement économique et social, seule façon de répondre aux envies et aux frustrations de populations se percevant comme laissées pour compte de la mondialisation. La réponse sécuritaire est inévitable, mais elle sera d’autant mieux perçue par les populations concernées qu’elle s’accompagnera d’un suivi visant le développement régional. C’est toujours mieux de marcher sur deux jambes… 11:09 Page 12 Défense : Sur un plan opérationnel, comment peut-on améliorer la coordination au-delà des blocages et particularismes des différents pays de la sous-région ? Mahamadou Issoufou : On assiste à un début d’organisation à travers cet étatmajor commun mis en place à Tamanrasset entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Les services de renseignement tentent de coordonner aussi leurs actions. Nous devons travailler à partir de cet acquis dans le sens d’une consolidation opérationnelle régionale tous azimuts. Je crois personnellement en la possibilité de former des unités communes mixtes, dans l’ensemble de l’espace sahélo-saharien avec l’appui logistique de nos amis du Nord (pour l’équipement et la formation). Défense : Compte-tenu de la filiation algérienne historique de l’AQMI, quel rôle l’Algérie précisément devrait avoir dans le cadrage de la riposte ? Autre pays en pointe, la Libye. Comment hiérarchiser le rôle des voisins du Niger dans une approche de contre-terrorisme élargie et intégrée ? Mahamadou Issoufou : La diplomatie est souvent commandée par la géographie, dit-on. En plus dans le cas d’espèce, nous faisons face à des menaces communes. Le Niger doit avoir d’excellentes relations avec tous ses voisins. Je vous rappelle que notre pays occupe une position centrale au Sahara : il appartient à la fois au Sahara occidental et au Sahara oriental. Il a donc une position géostratégique intéressante. Pour répondre directement à votre question, je dois dire que tous les pays du Sahara, étant exposés à des menaces communes, doivent s’impliquer à la hauteur de leurs moyens. Ils doivent être égaux devant la nécessité d’éradiquer ces menaces. Chacun doit être capable d’assurer sa propre sécurité tout en contribuant à la sécurité d’ensemble c'est-à-dire à la sécurité régionale et internationale. Défense : Dans ce cadre de coopération régionale et internationale de lutte contre le terrorisme, quel rôle attribuez-vous aux pays du Nord ? Mahamadou Issoufou : dans le but d’éradiquer le mal à sa racine, les pays du Nord peuvent nous aider au développement économique et social des zones pastorales. Sur le plan sécuritaire, ces mêmes partenaires sont indispensables pour la formation, l’entraînement et l’équipement de nos forces de défenses et de sécurité. La coopération avec eux, en matière de renseignements, est également indispensable ainsi que dans la lutte pour tarir les sources de financement des mouvements intégristes. La bataille du renseignement est capitale pour ne plus être aveugle et je songe conjointement au ren- seignement humain et aérien. Nous ne sommes pas dans la forêt amazonienne mais dans un espace désertique où le recours aux avions d’observation, aux drones et aux satellites est essentiel, or aucun pays de la zone ne dispose de tels matériels… Défense : Dans quel état se trouve aujourd’hui l’armée nigérienne et que pensez-vous devoir mettre en œuvre prioritairement pour améliorer ses capacités opérationnelles ? Mahamadou Issoufou : on a coutume de dire que l’armée est la colonne vertébrale de l’Etat. Nous devons donc, comme je l’ai dit plus haut, renforcer les forces de défense et de sécurité (armée, gendarmerie, forces nationales d’intervention et de sécurité, police, douanes, gardes forêts) dans leurs effectifs en quantité et en qualité (formation et entraînement) et dans leurs équipements. Veiller au renforcement de leur moral constitue une autre préoccupation fondamentale. Pour ce faire, nous envisageons de faciliter leur accès à la propriété en matière de logement, l’organisation d’une meilleure solidarité nationale en leur faveur et en faveur de leurs familles, une meilleure ouverture dans le monde en renforçant leur participation aux missions des Nations-Unies ainsi que le recours à leur compétence pour des postes de responsabilité au même titre que leurs homologues civils. Je rappelle qu’avoir un gouvernement qui a la confiance du peuple, créer les conditions du progrès économique et social et avoir de bonnes armes, voilà ce qui peut garantir une paix durable à un pays. Défense : Quel type de coopération envisagez-vous avec la France ? Mahamadou Issoufou : La France reste le Grand entretien partenaire le plus important du Niger. C’est 13 une évidence incontournable, liée à l’existence d’une vieille relation de coopération. Je souhaite que cet acquis se consolide à travers un partenariat « gagnant/gagnant », comme l’a dit le président Sarkozy à son passage à Niamey au mois de Mars 2009. Nous avons des ressources – uranium et pétrole notamment. La France a besoin d’une certaine sécurité d’approvisionnement en uranium. Le Niger, quant à lui, a besoin de développement économique et social pour notamment éduquer, soigner ses enfants et les mettre définitivement à l’abri de la famine. Voilà donc des bases sur lesquelles nous pouvons instaurer un partenariat stratégique durable sur le long terme. Propos recueillis par Défense. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 13 Plateau d’Albion L’Europe en voie de démilitarisation La crise économique risque d’accentuer le décrochage européen Dossier coordonné par François d’Alançon AA55 Grand dossier 14 « La démilitarisation de l’Europe, où de larges pans de l’opinion et de la classe politique sont opposés à la force militaire et aux risques qui lui sont liés, a cessé d’être la bénédiction qu’elle était au XXe siècle pour devenir, au XXIe, un obstacle à l’établissement d’une sécurité solide et d’une paix durable ». Ces propos de Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, prononcés le 23 février dernier à Washington, devant la National Defense University, soulignent une réalité incontournable: les Européens ont une vision « postmoderne » de leur sécurité et des menaces pesant sur leurs sociétés. La guerre ne figure plus sur l’écran radar de leurs préoccupations. Une récente enquête (1), conduite dans les vingt-sept Etats-membres de l’Union européenne par Mark Leonard et Ivan Krastev, deux experts du European Council on Foreign Relations (ECFR), montre que « les élites de sécurité européennes voient de plus en plus la sécurité à travers les yeux de compagnies d’assurances plutôt que de planificateurs militaires ». Ces élites «considèrent la paix comme acquise et pensent en termes de risques plutôt que de menaces». « Leur objectif stratégique est de se préNOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 parer à l’imprévu, et donc d’augmenter la capacité de gouvernance », non de se mettre en position de pouvoir contrer des menaces spécifiques et identifiées, par des moyens militaires appropriés et proportionnés. Aux yeux de ces élites européennes, les risques systémiques civils et la protection des biens publics ont plus d’importance que les risques militaires. Ce qui leur fait peur, ce sont avant tout les menaces contre leur niveau de vie : l’impact de la crise économique et financière, l’insécurité énergétique, le changement climatique et l’immigration. Selon un récent sondage Gallup, 62 % des citoyens européens pensent que leurs gouvernements doivent consacrer leurs ressources au développement plutôt qu’à l’outil militaire. Et 38 % pensent que le changement climatique est une menace plus importante que le terrorisme islamiste. Sirpa Air Grand dossier Armées européennes dans la crise de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 14 L’Europe désarme, donc, quand le reste du monde fait tout le contraire. Bientôt, la plupart des pays membres de l’Otan auront du mal à consacrer plus de 1 % de leur PIB à la défense. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), le monde a consacré, en 2009, 2,7 % de son PIB à la défense. Parmi les 15 pays qui dépensent le plus pour leur défense, on retrouve en tête l’Arabie Saoudite avec 8,2 % du PIB et les Etats-Unis avec 4,6 %, loin devant la Corée du Sud (2,8 %), l’Iran (2,7 %), l’Inde et le Pakistan (2,6 %). Les estimations mettent la Russie à 3,5 % et la Chine à 2 %. En queue de peloton, le Japon avec 0,9 %, l’Espagne (1,2 %), l’Allemagne (1,3 %) et l’Italie (1,7 %). Paradoxalement, entre 2000 et 2009, les dépenses militaires des Etats membres de l’UE ont légèrement augmenté (2). Les derniers chiffres montrent cependant, pour la période 20062008, une tendance à la stagnation. Tous les pays de l’UE ne sont pas dans la même situation. Mis à part certains pays méditerranéens (Espagne et Malte), les dépenses militaires ont diminué ou augmenté faiblement dans les pays d’Europe de l’Ouest. Le Royaume-Uni constitue une exception, notamment en raison des engagements en Irak et en Afghanistan. Les plus fortes augmentations dans les pays d’Europe centrale et orientale - pour la Hongrie et la République tchèque, l’année 2008 a été caractérisée par une baisse des dépenses de défense - peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs : croissance économique forte, volonté de moderniser l’outil militaire et de le passer aux standards OTAN, engagement dans des opérations internationales et perception d’une Russie dangereuse pour leur sécurité. La crise économique risque d’accentuer le décrochage européen. Dans la perspective d’un coup de rabot budgétaire (3,6 milliards d’économies sur les 95 déjà prévus pour la période 2011-2013 par rapport aux engagements de la Loi de programmation militaire 2009-2014), la France pourrait suivre l’Angleterre sur le chemin du déclin. Au terme de leur Strategic Defence Review, le gouvernement britannique va réduire de 8 % en volume le budget de la défense d’ici avril 2015. L’armée de terre perdra 7 000 soldats, la Royal Air Force et la Navy perdront chacun 5 000 hommes, tandis que le ministère de la Défense devra se séparer de 25 000 salariés civils. En Allemagne, le ministère de la Défense doit économiser 8, 4 milliards d’eu- ros dans son budget d’ici à 2014. La réforme de la Bundeswehr fera passer l’armée de terre de 92 200 à 73 500 hommes d’ici à 2014. A l’inverse de la tendance dans l’UE, les budgets militaires dans le monde ont augmenté en 2009 de 6 % en termes réels comparativement à 2008, et de 49 % par rapport à l’année 2000. La crise économique a eu peu d’impact sur les dépenses militaires, la plupart des Etats ayant fait le choix d’augmenter leurs dépenses publiques pour limiter la récession. A l’exception du Japon, les seuls pays du « top 10 » qui ont baissé leurs dépenses de défense entre 2000 et 2009 sont l’Allemagne et l’Italie, deux des principaux Etats européens… Les dépenses militaires des pays de l’UE sont concentrées dans petit nombre de pays, au premier rang desquels le Royaume-Uni et la France. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne pèsent pour 59,5 % des dépenses de défense. L’Espagne et l’Italie, quatrième et cinquième en termes de défense militaires, représentent 17,7 % du total européen. Quant aux 22 autres pays, ils pèsent - exception faite des Pays-Bas, de la Grèce et de la Pologne - pour moins de 5 milliards d’euros chacun. Si en termes d’investissements le poids de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne est à peu près comparable à leur part dans les budgets militaires de l’UE (64,3 %), Paris et Londres représentent 84,2 % des dépenses R&D de l’UE. Malgré la modernisation et la professionnalisation des forces dans l’UE, seulement un peu plus de 80 000 soldats européens étaient déployés en opération extérieure en 2008, soit moins de 5 % des effectifs des armées des Etats membres. Les programmes européens réalisés en coopération ne représentent qu’une part minoritaire des acquisitions (21,2 %) et de la R&T (16,5 %) des Etats membres de l’UE, même si ces programmes ont fortement augmenté depuis 2005. Confrontée à la question de sa dépendance à l’égard d’acteurs non européens, l’Europe est une fois de plus à la croisée des chemins. (1) The spectre of a multipolar Europe, Mark Leonard & Ivan Krastev, European Council on Foreign Relations, October 2010. (2) L’Europe de la défense un an après le traité de Lisbonne, Institut Thomas More. Eléments de comparaison 2009 Dépenses 2009 (milliards de $) Evolution 20002009 (%)1 Dépenses par habitant ($) Part dans le PIB de 2008 (%) Part dans le total mondial (%) Grand dossier Union européenne 297 14 596 1,72 19,4 Etats-unis 661 75,8 2 100 4,3 43 Chine 100 2175 74,65 2,05 6,65 Russie 53,31 1055 3785 3,55 3,55 15 Sources : AED et SIPRI Japon 51 -1,3 401 0,9 3,3 Arabie Saoudite 41,3 66,9 1 603 8,2 2,7 Monde 1 5311 49,2 224 2,7 100 1/ A prix constants, US$ 2008 2/ Estimation 3/ Dont 1 147 milliards de dollars (74,9 %) pour les dix pays qui dépensent le plus pour leur défense- 1 254 (81,9 %) si l’on considère les 15 premiers. 4/ Acquisition d’équipements et R&D 5/ Chiffres 2006 NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 15 Armées européennes dans la crise Dépenses et effectifs militaires dans les pays de l’Union européenne Dépenses de défense en 2008 (millions d’euros) Evolution entre 2000 et 2008 (%) Effectifs militaires Investissements (millions d’euros)6 Dépenses de R&D (millions d’euros) Allemagne 31 735 1,27 -9,2 251 616 6 506 1 213,4 Autriche 2 558 0,9 3,5 27 300 353 1 Belgique 4 252 1,23 -3,1 37 075 358 9,6 Bulgarie 797 2,34 29 33 881 170 0,4 Chypre 301 1,78 -17,6 12 507 18 0 Danemark 3 050 1,3 6,9 18 000 705 5 3495 Espagne 12 756 1,16 32,9 137 800 2 851 276,7 Estonie 294 1,85 178 3 010 67 1,1 Finlande 2 463 1,32 26,8 34 997 683 44 France 45 362 2,32 5,3 347 200 9 539 3 231 Grèce 6 192 2,55 11,4 133 775 2 140 7,4 Hongrie 1 286 1,22 -10,1 20 967 195 1 Irlande 1 077 0,58 6,3 10 377 94 0 22 631 1,44 -9,8 186 956 3 302 341,1 Lettonie 370 1,60 334,2 5 441 55 0,3 Lituanie 363 1,12 69,2 8 637 66 0 Luxembourg7 158 0,43 63,7 849 63 0 Malte 28 0,50 20,7 2 140 0,4 0 Pays-Bas 8 488 1,43 8,1 46 091 1 409 0 Pologne 5 974 1,66 50,3 130 450 896 54 Portugal 2 536 1,53 7,8 37 346 344 4,7 Rép. tchèque 2 134 1,44 -13,6 24 495 182 18,5 Roumanie 2 055 1,24 33,3 75 517 351 15,3 Royaume-Uni 42 005 2,32 21,4 194 330 10 925 4 011,5 Slovaquie 994 1,53 27,9 15 413 147 2,5 Slovénie 567 1,48 87,1 6 519 59 19,4 4 026 1,23 -22,6 16 827 1 136 299,4 Italie 16 Dépenses rapportées au PIB (%) Suède Sources : AED et SIPRI et OTAN 6/ Acquisition d’équipements et R&D - 7/ Pour le Luxembourg, les chiffres concernent la période 2000-2007 NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 16 “Le Royaume-Uni et la France sont les seuls à assurer la survie de capacités européennes significatives” Etienne de Durand Des budgets à 1,3 ou 1,5 % du PIB signifieraient la perte de notre indépendance politique et stratégique, le déclin de notre industrie de défense et de vrais problèmes de sécurité En Irak, l’armée américaine, la première armée occidentale en termes d’effectifs, n’a pu en effet stabiliser que Bagdad et sa banlieue, ceci alors que le monde compte de plus en plus de mégapoles. Autre exemple, les britanniques, avec une armée de terre à environ 100 000 hommes, ont eu beaucoup de mal à maintenir dans la durée un contingent de 9 000 hommes en Afghanistan. Aujourd’hui, la capacité d’une grande nation européenne à intervenir dans la durée semble ainsi s’établir à environ 10 000 hommes – là où il était courant pendant les trois derniers siècles de déployer outre-mer des forces expéditionnaires d’au moins 50 000 hommes, ce qui donne une idée de l’étroitesse des formats d’aujourd’hui, sans même évoquer les armées à 100 divisions et plus qui se sont affrontées pendant les deux guerres mondiales. Les moyens des armées européennes ont fondu sous la conjonction d’un triple phénomène. En premier lieu, le bouleversement géostratégique suscité par la fin de la guerre froide et la disparition de la menace soviétique, qui ont conforté au sein de nos sociétés un sentiment de paix perpétuelle, avec curieusement une demande parallèle de sécurité intérieure en hausse constante. La possibilité même de la guerre ne constitue plus aujourd’hui l’évidence qu’elle a représentée pour les générations précédentes. Deuxième facteur, l’inflation Grand dossier spécifique des coûts 17 militaires qui fait que chaque génération de matériel est plus chère que la précédente au-delà du coût de l’inflation. Enfin, une contrainte budgétaire de plus en plus prégnante liée au financement de l’Etat-providence. A ces facteurs structurels, il faut ajouter des facteurs conjoncturels comme le coût des opérations, leur durée et leur nature. Pendant les deux premières décennies de l’après guerre froide, la France et le Royaume-Uni étaient capables, par des réductions de format, de financer deux des trois éléments suivants : la disponibilité opérationnelle, la ECPAD L’Europe est-elle en voie de « démilitarisation » comme l’affirmait récemment le secrétaire américain à la Défense Robert Gates ? Etienne de Durand : Robert Gates a pointé du doigt un problème très important et il est difficile de ne pas être d’accord sur le constat. Qu’il s’agisse de dépenses militaires rapportées au PIB, de capacités, de technologie et de volume de forces, il est clair que tous les indicateurs sont à la baisse. Pendant la première quinzaine d’années de l’aprèsguerre froide, la réduction des formats a permis de financer l’adaptation au nouvel environnement stratégique et la modernisation progressive des équipements. Il s’est agi de transformer des armées lourdes, axées sur la défense territoriale et le combat de haute intensité, en des forces expéditionnaires capables d’opérer sur tout le spectre conflictuel et à grande distance de l’Europe. Le Royaume-Uni a été en pointe dans ce domaine, suivi par la France avec la professionnalisation et le Livre blanc. Or, la nouvelle réduction de format que les britanniques sont en train de lancer aujourd’hui a pour but de financer non la modernisation mais bien les opérations extérieures en cours et les conséquences de la crise budgétaire. On court ainsi le risque d’un déclassement militaire durable, qu’il s’agisse de capacités technologiques et militaires ou de volume global. C’est également ce qui risque d’arriver en France, après les échéances électorales de 2012. Le budget de la défense britannique (pensions incluses) s’élève à un peu plus de 2 % du PIB, contre environ 2 % du PIB en France, des taux historiquement bas et reflétant un effondrement sans précédent dans l’histoire européenne. L’armée de terre française fait aujourd’hui le tiers de l’armée de Louis XIV à la fin de son règne, soit 100 000 hommes contre 300 000 hommes à l’époque, pour une population deux fois Dire que la France possède la quatrièplus importante. La techno- me armée du monde prête à sourire logie ne compense que partiellement cette atrophie. Chercheur, Directeur du Centre des Etudes de Sécurité de l’Ifri, auteur de « Entente or Oblivion, Prospects and Pitfalls of Franco-British Co-operation on Defence », Royal United Services Institute, Septembre 2010. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 17 Armées européennes dans la criseE modernisation des équipements et les opérations extérieures. A bien des égards, c’était là l’ambition du Livre blanc de 2008. Cette équation ne sera plus tenable dès lors que les budgets vont s’orienter de façon durable en dessous des 2 % de PIB. Des réductions supplémentaires de format ne pourront désormais se faire qu’au détriment de la capacité d’intervention, celle-ci risquant alors de devenir insignifiante. Une capacité de projection réduite à 3 000 hommes signifierait que la France ne compte pas plus que les Pays-Bas. Dire, comme on a pu l’entendre encore récemment dans la bouche de hauts responsables politiques, que la France possède la quatrième armée du monde prête à sourire quand on fait la comparaison avec les volumes et les investissements consentis par un certain nombre de puissances asiatiques. En quoi cette situation reflète-t-elle une culture de sécurité hostile à la force militaire et à ses risques ? - La culture de sécurité européenne est largement en divergence avec le reste du monde. Au Moyen-Orient comme en Asie, le réarmement et la prolifération nucléaire s’accompagnent de tensions grandissantes. Face à ces évolutions, le discours de l’Union européenne sur le soft power, la bonne gouvernance, l’Etat de droit et le développement, est sympathique mais paraît quelque peu décalé par rapport à la réalité. L’action de stabilisation post-conflit relativement réussie de l’UE dans les Balkans ne concerne qu’une zone géographique très limitée, selon des modalités difficilement transposables à l’Afghanistan, au Yémen ou à l’Afrique. Des pays comme le Royaume-Uni, la France et quelques autres nations européennes conservent un certain réalisme. D’autres, comme l’Allemagne, ont une conception de la sécurité réduite à l’intervention humanitaire ou à une fonction résiduelle de défense du territoire. Les Français gardent dans leur mémoire collective un certain nombre de souvenirs cuisants, à commencer par la défaite de 1940, ce qui explique le relatif consensus en faveur de la dissuasion nucléaire. Ils peuvent comprendre que la France puisse avoir des intérêts à défendre et des crises à régler au loin. Ajoutons que la menace terroriste, les réponses diverses qui lui ont été apportées et les documents officiels qui ont accompagné l’ensemble, à commencer par le Livre blanc, ont également contribué à brouiller la distinction entre « culture de sécurité » et « culture de défense ». Je pense donc qu’il s’agit moins d’une hostilité de la société envers les institutions et les questions de défense que d’un mélange somme toute assez logique d’ignorance et d’indifférence. Pendant des années, on a en effet déclaré que tout allait Grand dossier bien et que nous restions une grande puissance. Tout en se repliant sur elle-même, la communauté de défense acceptait 18 bon gré mal gré les réductions successives, avec l’idée que les difficultés étaient temporaires et qu’une fois la croissance rétablie, on retrouverait des budgets adéquats aux missions. Ce n’est désormais plus possible. Les hommes politiques ont la responsabilité de conduire un travail pédagogique et d’expliquer aux opinions que des choix vont devoir être faits. Si l’on veut maintenir jusqu’au bout le « welfare », il faudra complètement supprimer le « warfare » et en assumer les conséquences. Quelles peuvent être les implications géopolitiques d’un tel changement de modèle ? Il s’agit de savoir si nous voulons conserver des capacités d’intervention au niveau national, bilatéral ou européen, pour pouvoir agir dans notre voisinage proche et lointain, qui comprend, en plus de l’Europe, l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, le Caucase et éventuellement l’Asie du Sud. En matière de défense territoriale comme de projection de forces, moins les européens auront de capacités, plus ils seront tentés de justifier leur impuissance de façon rhétorique. Certes, les européens peuvent faire le choix d’un monde postmoderne où les problèmes de sécurité remplaceraient les problèmes de défense : cyber sécurité, politique de douanes, lutte contre les trafics et le terrorisme, NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 avec une assurance ultime de sécurité nucléaire. Intellectuellement défendable, cette posture doit toutefois être pleinement assumée et non imposée en catimini, car l’accumulation des non-choix serait la pire des choses d’un point de vue capacitaire, avec un format de forces incohérent à l’arrivée. Un débat politique de fond doit donc s’engager, notamment en France et au Royaume-Uni : voulons-nous ou non rester des puissances régionales, capables d’exercer une influence, si besoin par la force, dans notre environnement proche et plus lointain ? Si nous ne sommes pas prêts à consentir cet effort, en acceptons-nous toutes les implications ? En France, la nécessité de l’effort de défense a été longtemps justifiée par l’existence de la menace soviétique et la volonté d’affirmer une indépendance politique vis-à-vis des Etats-Unis. Des budgets à 1,3 ou 1,5 % du PIB signifieraient la perte de cette indépendance politique et stratégique, le déclin irrémédiable de notre industrie de défense et potentiellement de vrais problèmes de sécurité. Comme de trop nombreux pays européens, la France se retrouverait dans une position de « free rider » (« passager clandestin ») par rapport aux EtatsUnis, leur laissant assumer l’essentiel de l’effort de défense occidental. Or, rien ne garantit que les Etats-Unis seront éternellement disposés à assumer ce rôle au profit des européens. S’il y avait aujourd’hui une grave crise dans les Balkans, les Etats-Unis ne s’en mêleraient probablement pas, contrairement à ce qui s’est passé dans les années 1990. Les Etats-Unis sont en effet aujourd’hui profondément en Afghanistan et en Irak, et sont par ailleurs préoccupés par la prolifération nucléaire, le Moyen-Orient et l’Asie, avec en particulier la montée en puissance de la Chine et les demandes de réassurance de leurs alliés régionaux, notamment le Japon. L’Europe n’est plus une priorité. La recherche d’une nouvelle architecture de sécurité avec la Russie peut-elle faire partie de la solution ? On peut considérer que la Russie n’est plus une véritable menace militaire et qu’il convient de lui faire toute sa place, quitte même à lui concéder une voix prépondérante dans la redéfinition de l’architecture européenne de sécurité. En sens inverse, la guerre de 2008 constitue pour le moins un précédent malheureux de recours à l’usage de la force dans l’après-guerre froide, sans parler même de la nature du régime russe. Dans ces conditions, les réticences et les craintes exprimées par certains pays d’Europe orientale se comprennent aisément, ainsi que la volonté presque unanime de garantir que les Etats-Unis demeurent partie prenante à l’architecture européenne de sécurité. Quoi qu’il en soit, la volonté française de définir un cadre de sécurité stable avec la Russie n’est peut-être pas entièrement compatible avec le retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan et une relance de la coopération de Défense avec les britanniques. Ces initiatives diverses suscitent en tout cas des interrogations quant au rythme et même quant à la cohérence du projet d’ensemble. Comment préserver ce qui peut l’être de l’outil militaire européen ? Si les français n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente pragmatique avec les britanniques en matière de partage capacitaire, je crains fort que les appareils militaires des deux premières puissances militaires européennes ne survivent pas à la décennie qui s’ouvre. A court terme, et par-delà la dimension incantatoire, le fait est que l’Europe de défense ou la coopération franco-allemande ne constituent pas une alternative crédible. Si l’on croise le critère de la volonté politique et celui des capacités, le Royaume Uni et la France sont en effet les deux seuls pays qui peuvent agir à court terme pour assurer la survie de capacités européennes significatives, même si ce rapprochement n’exclut pas à moyen terme la participation d’autres pays. La contrainte financière doit donc nous pousser de part et d’autre de la Manche à mettre de côté les querelles idéologiques pour trouver un terrain d’entente pragmatique. Il y a urgence. Recueilli par François d’Alançon de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 18 Le budget de défense français “Permettre à la France d’exercer un rôle dans le monde” Economies de fonctionnement, réduction des volumes, suppression ou report de programmes : les marges de manœuvre sont limitées pour les trois années à venir Philippe Reyt 27e BIM Guy Teissier Grand dossier Avec la montée des brumes budgétaires, le soldat rique fort de manquer de visibilité Le budget de défense qui nous est présenté cet automne traduit une stratégie de défense qui s’inscrit dans un environnement instable, qui exige de notre part une adaptabilité permanente. La mission de nos armées est devenue d’une complexité sans équivalent dans le passé. Il me faut d’emblée souligner la remarquable capacité d’adaptation de nos armées : les changements opérés dans les méthodes, l’entraînement et l’équipement, ne serait-ce que depuis l’été 2008, a fortiori depuis fin 2001, sont considérables. Face aux défis nouveaux, le gouvernement s’est engagé à maintenir la capacité d’achat en volume des armées, malgré la crise économique et financière qui frappe notre économie depuis fin 2008. L’effort voulu par le Président de la République, avec le Livre blanc, est maintenu. Je ne peux que me féliciter de constater que cet effort se traduit dans les faits, par la volonté du gouvernement dans un projet de budget placé sous le signe du courage et de la cohérence. Le projet de budget que nous nous apprêtons à voter permet de donner à nos forces les moyens de leur engagement en opérations extérieures tout en poursuivant la modernisation de la dissuasion. 19 Notre liberté a un prix, nous devons accepter les sacrifices nécessaires pour la préserver en toutes circonstances. Notre soutien à cette modernisation ne doit pas nous empêcher de débattre des objectifs et des moyens. Ce projet de budget permet d’assurer l’accompagnement de la modernisation des armées, avec notamment un réel effort pour le personnel. L’amélioration de la condition militaire répond à un engagement du gouvernement et je me réjouis qu’il soit tenu. Les civils de la Défense méritent aussi cet effort : leur engagement aux côtés de nos militaires est constant et leur attachement à la communauté de défense est particulièrement solide, comme nous avons maintes fois eu l’occasion de le constater. Ce projet de budget vise à permettre à la France d’exercer son rôle et ses responsabilités dans le monde. Le parlement a approuvé à Président de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 19 Armées européennes dans la crise deux reprises, en septembre 2008 et en janvier 2009, les engagements de nos forces à l’étranger. Face à nos militaires qui montrent leur disposition au sacrifice suprême tous les jours, nous avons l’obligation morale de leur assurer les moyens dont ils ont besoin pour accomplir leur mission. Les efforts du gouvernement vont au-delà du budget, si l’on inclut les recettes exceptionnelles qui seront affectées à la Défense, le plan de relance gouvernemental (qui a contribué à une création d’emplois industriels effective) et le grand emprunt (qui permettra de développer l’avance technologique de notre industrie aéronautique). Nos engagements internationaux ne se limitent pas à ceux pris dans le cadre des Nations Unies. Nous avons un devoir vis-à-vis de nos alliés, car la décision du Président de la République de réintégration du commandement militaire intégré de l’Alliance, ne peut se concevoir sans un effort de notre part en matière d’interopérabilité. Il y va de la cohérence de notre politique. Il y va aussi de la sécurité de nos hommes qui repose en partie sur des moyens de communication performants. Nous avons aussi une obligation morale vis-à-vis de nos partenaires européens. A partir du moment où nous les entraînons dans la construction d’une Europe de la Défense, nous devons donner l’exemple par un budget ambitieux. Il y va aussi de noter capacité à être Nation cadre lorsque nous souhaitons et devons tenir un tel rôle. Des inquiétudes qui appellent une grande vigilance Naturellement, le budget de défense suscite quelques inquiétudes qui appellent de notre part une grande vigilance. Le niveau des crédits de maintien en condition opérationnelle doit être régulièrement audité. Il s’agit d’un domaine où les économies ne sont bien souvent qu’apparentes, car au-delà des coûts alourdis dans le temps, ce qui est en jeu c’est la capacité opérationnelle de nos forces et le moral de nos hommes. L’infrastructure doit aussi être au centre de nos priorités. Nous demandons beaucoup d’efforts à nos soldats, qui sont prêts à adhérer au projet collectif que représentent les restructurations. Leur adhésion suppose cependant que nous leur donnions les infrastructures adaptées à leur mission dans la nouvelle implantation de leurs unités. La recherche bénéficie d’un effort non négligeable. Cependant, l’effort supplémentaire qu’il conviendrait de consentir n’est pas insurmontable. L’enjeu est considérable : outre le lancement des recherches nécessaires sur les successeurs des matériels majeurs (drone, avion, fusil par exemple), il nous faut Grand dossier impérativement veiller à préserver la base 20 industrielle et technologique de défense et à maintenir le potentiel d’innovation de nos industriels et, par voie de conséquence l’avance technologique de notre pays. Qu’il me soit permis de souligner que dans un pays comme le nôtre, le budget de défense témoigne surtout de la considération que nous devons à la communauté militaire. Ce budget constituant un élément conditionnant l’avenir de notre défense, nous serons particulièrement vigilants sur son exécution. Pour les trois années à avenir, j’observe que nos marges de manœuvre sont limitées. Premièrement, des économies sur le fonctionnement ne peuvent être décidées dans une proportion trop grande du fait que d’ores et déjà d’importantes réformes sont en cours de mise en œuvre. Si l’on additionne la réduction de 54 000 postes (manœuvre RH assez complexe et sans équivalent), les externalisations (16 000 emplois, sans que l’on ne puisse aller bien au-delà sans nous exposer au risque de perte de certaines compétences, du fait d’une réversibilité très difficile) et la restructuration des unités, on constate l’ampleur de l’effort. On ne peut non plus envisager de réduire le nombre de jours d’activité prévus, qui est déjà au plancher (activités terrestres, maritimes ou aériennes), proches des limites basses des standards alliés. Réduire les moyens des activités (munitions, carburants…) n’aurait guère de sens, sauf à accepter de réduire la capacité opérationnelle, voire la sécurité du personnel. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Une réduction des volumes de certains parcs de matériels par une forte amélioration de la disponibilité est envisageable, sous réserve de réformer le code des marchés publics pour favoriser systématiquement la réactivité tout en respectant le principe d’égal accès à la commande publique. Des économies devront être trouvées dans les programmes d’armement. Je considère néanmoins que la suppression de programmes déjà lancés génère peu d’économies à court terme compte tenu des dédits dus aux entreprises ; de plus, nombre d’entre eux résultent d’engagements internationaux de la France ou de la nécessité d’assurer l’interopérabilité au sein de l’OTAN, ou d’une volonté d’autonomie de capacité de décision et d’action (moyens d’acquisition du renseignement). Quant à la solution du report, il est avéré qu’il ne procure d’économies qu’à court terme, les surcoûts liés aux décalages pouvant être importants. Un débat devra être lancé sur les futurs programmes envisagés. Il est certain que nous ne pourrons financer tous ceux dont les ébauches ont déjà été présentées. Une attention particulière devra être portée aux drones et à l’observation spatiale car les besoins sont clairement démontrés et le respect par la France de ses engagements internationaux peut en être affecté. Des solutions nouvelles Nous devons réfléchir à des solutions nouvelles pour augmenter les économies, mais en examinant tous les aspects des mesures envisagées. Ainsi, acheter moins cher en augmentant la pression sur les prix par des mises en concurrence plus larges peut produire des économies budgétaires (en achetant dans les pays à bas coûts), mais au prix d’un affaiblissement de la base industrielle et technologique de défense nationale, avec les coûts élevés que cela représente à long terme. Accepter de disposer de parcs de matériels comportant une partie modernisée et une partie plus rustique, adaptée aux engagements de basse intensité, peut générer des économies, mais rend plus complexe la gestion de la maintenance et la formation. Nous devons tirer les conséquences de nos engagements européens, qui peuvent nous permettre de dégager de nouvelles économies. En effet, nous pourrions développer les moyens de mutualisation réciproque avec nos partenaires européens, (par exemple, un échange d’heures de vol contre des heures de simulateur). Cela se fait d’ores et déjà au plan bilatéral, mais en générant un grand nombre d’opérations comptables bilatérales entre armées concernées qui peuvent être lourdes. C’est pourquoi, il nous faut mettre en place un système de compensation multilatéral pour permettre la prise en compte des échanges de prestations et de n’organiser de flux financiers que pour le solde global, chaque année. Enfin, je constate que les pays européens sont tous dans une situation qui justifie d’optimiser leurs dépenses de défense. Il est des domaines où, manifestement, nous pourrions rechercher ensemble les voies et moyens de réaliser des économies budgétaires. Et là, les pistes sont nombreuses, qu’il s’agisse de qualification européenne des matériels militaires (pour éviter de dupliquer les longues et coûteuses procédures nationales), de la création d’un véritable marché européen de défense, ou de la réduction des coûts de formation, en prolongeant les efforts déjà engagés dans le domaine de la formation organisée entre plusieurs pays européens, avec par exemple, un navire-école européen. La crise économique et financière nous oblige à explorer toutes les pistes envisageables dès lors qu’une approche commune nous permet de réaliser des économies. En conclusion, qu’il me soit permis de rappeler que l’enjeu essentiel est clair : sachant que la France a un rôle à jouer sur la scène internationale, du fait de sa responsabilité particulière au sein du conseil de sécurité des Nations Unies et que ce rôle ne peut être assumé que par la disposition d’une armée apte à la projection, équipée et entraînée en conséquence, la révision budgétaire dans laquelle nous allons nous engager doit permettre à la France de continuer à assumer ses responsabilités internationales. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 20 Le Royaume-Uni sous le choc budgétaire L’industrie de défense britannique au péril de la rigueur Patrick Michon SN 31 CHEAr Héritière d’un passé glorieux, l’industrie de défense britannique pourrait devenir un « fidèle second » de son homologue américaine À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie de défense britannique était de loin la plus puissante de l’Ouest du continent européen, tirant avantage de la destruction de l’industrie allemande et de la longue éclipse de la France et de l’Italie. De 1980 à 2010, la concentration a été menée au pas de charge. Trois sociétés sont désormais au premier plan : • BAE Systems regroupe désormais tous les fleurons de l’industrie (Marconi, Ferranti, Vickers Defence, Alvis, Hawker Siddeley, de Ha¬villand, et quelques autres). BAe Systems est de plus en plus attiré par l’aventure Nord américaine, au point de se dégager des quelques jointventures européennes, comme les 50 % possédés dans SELEX, (équipement et systèmes électroniques) revendus à Finmeccanica, et les 20% de Airbus, revendu à EADS ; Après le rachat de United Defense (USA) par BAe Systems, les filiales européennes de cette société ont rejoint la couronne de perles de BAe. • Thales UK, a été construit à partir du rachat de RACAL, de Pilkington et de Barr & Stroud, est mais présent désormais dans tous les secteurs ; Thales UK regroupe désormais 10.000 employés, sur 60 sites, et affiche un chiffre d’affaire de 1,5 Md¤. Thales UK est le maître d’œuvre (ou un partenaire de premier plan) de quelques projets de grande importance pour les Armées Britanniques, dont le système de drone de reconnaissance tactique Watchkeeper, et le programme de l’infanterie du Futur FIST • L’italien Finmeccanica qui a investi avec constance dans l’industrie de défense britannique (SELEX, Westland) Avec le soutien de DESO (Defence Export Services Organisation), un organisme rattaché au ministère de la défense, les industriels ont connu des réussites à l’exportation, essentiellement dans le secteur aérospatial (Eu¬rofighter Typhon, avions d’entraînement Hawk, missiles). Malgré ces succès, le DESO a été dissous par le gouvernement britannique à la suite de soupçons de versement inappropriés à l’occasion des contrats Al Yamamah. Les forces armées britanniques avaient prévu un effort considérable de rééquipement, avec des programmes emblématiques : • Au profit de la Royal Navy, 9 sous-marins nucléaires d’attaque « Astute », 8 destroyers « Type 45 », 2 porte-avions « CVF ». • Au profit de la British Army, le programme « FRES », concernant 3000 véhicules blindés en 20 versions différentes. • Au profit de la Royal Air Force, les programmes « Typhoon » & « F-35 », l’avion de patrouille maritime « Nimrod MRA4 ». Cet effort semblait possible avant la crise financière de 2008 grâce à des financements généreux, une industrie consolidée autour de BAe Systems et de Thales UK et une population foncièrement patriote qui accepte des sacrifices pour que les Forces britanniques soient correctement équipées. Mais cet effort n’ira pas à son terme. Un personnel politique devenu étranger aux problématiques de la Défense, la charge financière d’un engagement coûteux en Irak, toutes ces raisons vont réduire ces programmes à peu de choses à court terme. La Royal Navy attend avec impatience l’arrivée des « Astute ». Ces beaux et puissants navires de 7000 tonnes seront capables d’emporter 38 torpilles, missiles de croisière et missiles antinavires. Trois sont actuellement en construction aux chantiers VSEL du Groupe BAe Systems. Les 9 unités prévues sont dès à présent ramenées à 7 exemplaires, peut être même 4 si les difficultés financières du Royaume Uni perdurent. L’arrivée de ces bâtiments devient pourtant urgente, afin de remplacer les SNA « Swiftsure ». Ce programme, qui a pris quatre ans de retard, a vu son coût exploser. Des difficultés techniques s’accumulent, à la suite d’une perte de la compétence industrielle. Le budget alloué aux trois premières unités à doublé. Lancement du SNA « Astute » Le maintien de la force de dissuasion britannique, qu’il serait nécessaire de renouveler entre 2020 et 2030 ses SNLE pour 38 milliards de dollars est en question. Les quatre sousmarins nucléaires lanceurs d'engins du type Vanguard, mis en service entre 1993 et 1999 assurent actuellement la dissuasion au sein de la Royal Navy. Ils Grand dossier sont dotés chacun de 16 mis¬siles américains Trident 2 D-5, d'une portée de 12.000 km L’origine américaine des 21 « Trident » met en doute de la réalité de l’indépendance de cette Force de dissuasion. Le gouvernement travailliste avait décidé de renouveler cette capacité de dis¬suasion britan¬nique, par une moderni¬sation du système Trident et de la construction de nouveaux bâtiments pour mettre en œuvre les missiles. La tentation de réduire à trois le nombre de SNLE semble écartée par la revue des programmes d’armement. Cette tentation mettait à mal la notion de la permanence de la Dissuasion, première étape vers un retrait total de cette capacité. Le désarmement nucléaire de la Grande Bretagne, même si l’autonomie de sa Force de dissuasion est plus apparente que réelle, aurait mis la France sous la pression d’un désarmement parallèle de notre FOST, bien qu’il faille rappeler que notre indépendance est ici totale, en héritage des décisions majeures prises il y a 50 ans par le général de Gaulle. Projet majeur pour les Forces britanniques, la construction de deux porte-avions « CVF » doit également permettre à l'industrie navale de se restructurer. Le cout du programme CVF est estimé à quelques 5.7 milliards d'euros. La commande des porte-avions britanniques a été confirmée, car une annulation au stade actuel coûterait plus cher que le maintien du programme. Mais si les deux porte-avions du projet Carrier NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 21 Armées européennes dans la crise Vessel Future (CVF) seront bien construits, l’un des deux sera immédiatement mis en réserve, et même probablement en vente. La Royal Navy disposera, à l'horizon 2020 (?), pour la première fois depuis 1978, d’un seul porte-avions capable d'assurer une projection de puissance sur toutes les mers du globe. D'un déplacement supérieur à celui de notre « Charles de Gaulle », il sera capable de déployer une flottille d’avions de combat F-35. Pour des raisons économiques, le parc embarqué ne sera que de 12 exemplaires au lieu de 36 appareils prévu initialement. Ces avions nécessiteront des catapultes et des brins d’arrêt, la capacité STOVL (décollage court et atterrissage vertical) étant abandonnée. CVF (virtuel) survolé par le F-35 (virtuel) Les destroyers Type 45 sont l’avatar britannique de la défunte coopération avec l’Italie et la France sur le projet « Horizon » qui a été poursuivi par les 2 autres partenaires. Le système d'armes PAAMS, dont est doté le Da¬ring, a été développé en coopération avec la France et l'Italie, qui l'utiliseront sur les frégates Horizon. Initialement, 12 destroyers du type 45 devaient être construits. Ce nombre est désormais réduit à 6, accompagné d’un désarmement accéléré des navires plus anciens. Il est vrai que ces navires sont dispendieux, le coût du HMS Daring, premier de la série a atteint 1.47 milliard d'euros. Grand dossier 22 HMS Daring Le Future Rapid Effect System (FRES) devait être une famille de véhicules blindés programmée pour entrer en service à partir de la décennie 2010. FRES remplacera les véhicules vieillissants actuellement en service et, c’est-à-dire le VTT à roues Saxon, le VTT à chenille FV432, et des véhicules de la famille Scorpion CVR (T). Le concept qui est retenu sera compatible des forces "medium weight", qui sont un équilibre entre une capacité de transport habituellement dévolu aux forces ("light") Le démonstrateur Piranha 4 qui préfigure la version 5 NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 avec la protection balistique des forces ("heavy"). FRES sera divisé en des véhicules à roues 8x8 et des véhicules à chenilles. Pour des raisons économiques, il est prévu d’acquérir sur étagères le véhicule 8x8. Le choix annoncé du General Dynamics Piranha 5 qui est actuellement un véhicule de papier, a affaibli considérablement l’industriel britannique BAE Systems Land Systems qui vient de perdre 3 appels d’offres successifs en Grande-Bretagne! L’Eurofighter Typhoon est désormais entré en service. C’est un avion de combat multirôles développé par le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. L'Autriche et l'Arabie Saoudite se sont également portés acquéreurs, ce qui devrait faire pas¬ser la production totale à plus de 700 exemplaires, les besoins de la RAF affichés étant de 232 exemplaires. Les 24 premiers exemplaires destinés à la commande saoudite seront prélevés sur les livraisons destinées à la RAF. Ils ne seront pas compensés, des coupes encore plus drastiques sont même à prévoir. L’aventure du F-35 JSF laissera un goût amer, du fait des retards conséquents de développement, et de mise en service, de l’augmentation de près de 50% du prix unitaire, et des limitations d’emploi drastiques F-35 imposées par les USA. Un autre programme qui a réservé de très mauvaises surprises est le nouvel appa¬reil de patrouille maritime NIMROD Mk4. Pour des raisons techniques et économiques, il est arrêté. La perte de compétence de lutte anti-sous-marine de la RAF sera irrémédiable, au moment où des sous-marins russes patrouillent à nouveau au large des îles britanniques. Après le choc de 2010, restera t-il une industrie de défense britannique, en dehors de la sous traitance pour son homologue américaine ? Les Britanniques font déjà face dans de nombreux programmes à des pertes de compétences techniques. Deux ques¬tions se posent lorsqu’il s’agit de penser les industries de défense de la Grande Bretagne post 2010 Le Centre de gravité de BAe sera-t-il toujours en GB ? La réponse probable est négative. En 2015 BAe Sys¬tems ne sera plus une so¬ciété britannique avec des filia¬les aux USA, mais une société US également im¬plantée au Royaume-Uni. Compte tenu de l’importance des com¬mandes de l’US DOD pour BAe Sys¬tems, celle-ci n’a plus la liberté d’action commerciale que cette société aurait souhaité conserver. BAe Systems, Inc. dont le siège social est à Rockville, Maryland, filiale US de BAE Systems plc, emploie 53000 personnes, dont 43000 aux USA, et réalise un chiffre d’affaires de 14 milliards US$. Le Royaume-Uni est-il la « tête de pont » en Europe des industriels américains ? General Dynamics Land Systems, Boeing, Lockheed, cherchent à acquérir les derniers bijoux de l’industrie britannique pour prendre une part importante de ce marché d’armement, et utiliser la GrandeBretagne comme tête de pont vers le reste de l’Union Euro¬péenne. Héritière d’un passé glorieux, l’industrie de défense britannique n’a plus la prééminence sur l’Europe. Son choix du Grand Large l’amènera probablement à devenir un fidèle se¬cond de l’industrie de défense américaine. Autre conséquence, la politique étrangère du Royaume Uni n’aura plus de capacités d’action indépendante, il ne lui sera plus possible de mener une action de force comme celle effectuée il y a 28 ans pour reprendre les Falkland aux Argentins, si le Grand Frère ne le soutient pas diplomatiquement et militairement. Mais ce Grand Frère se désintéresse actuellement de l’Europe, car le « Grand Jeu » est désormais centré dans le Pacifique. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 22 POLOGNE Priorité à la professionnalisation, aux opérations extérieures et modernisation des équipements Jaroslaw Nawrotek Photo DR En dépit d’une hausse de 4 %, le budget 2010 n’échappe pas à la stratégie gouvernementale de lutte contre les déficits Selon la loi, le budget du ministère de la Défense nationale dispose d'un seuil plancher correspondant à 1,95 % du PIB de l'année précédente ; ce qui est une particularité par rapport aux autres ministères. La crise économique, qui a touché la majorité des pays européens, y compris la Pologne, n’a toutefois pas épargné le financement de forces armées. Ainsi en 2008 et en 2009, le budget de la défense représentait successivement 1,67 % et 1,81 % du PIB. Pour 2010, il est doté de 25,7 Mds PLN (6,6 Mds d) dont 25,4 Mds PLN (6,5 Mds d) réservés pour la mission "Défense". C'est un budget en hausse de 4 % par rapport à l'année précédente. Il s'appuie sur une vision optimiste de l'évolution de la croissance et sur le respect du seuil de 1,95 %, deux conditions qui pourraient cependant ne pas être remplies en 2010 comme les années précédentes. En tout état de cause, il reste étroitement lié à la stratégie gouvernementale de lutte contre les déficits. C'est pourquoi, conformément à la loi, le gouvernement s'est d'ores et déjà réservé la possibilité d'amputer ce budget d'un peu moins de 2 Mds PLN (513 mln d). Incidemment, la Pologne bénéficie en 2010 de l'appui financier de l'OTAN avec 266 mln PLN (68 mln d), mais aussi des Etats-Unis, à hauteur de 141 mln PLN (36 mln d) et de programmes scolaires internationaux. En outre, des économies substantielles devraient être réalisées en termes d'infrastructures, en raison de la diminution du nombre d'emprises militaires. La professionnalisation des forces armées conserve un caractère prioritaire et en conséquence semble ne pas devoir être ralentie par les difficultés budgétaires. Les dépenses liées directement à la professionnalisation dépassaient en 2009 le milliard de PLN (256 mln d) et atteindront 2,2 Mds PLN (564 mln d) en 2010. Les opérations extérieures sont la deuxième priorité affichée de ce budget. La Pologne tient à montrer qu'elle participe activement à la sécurité en dehors de ses frontières (elle déploie ainsi 2 600 hommes au profit de la FIAS. Elle aligne également du personnel au sein de NTM-I ou de la KFOR. Elle vient d’assurer pour trois mois la mission de police du ciel au profit des Etats Baltes et participe à l’opération Active Endeavour) et donc qu'elle entend jouer un rôle sur la scène internationale. Pour cela elle consacre 1,9 Md PLN (500 mln d), soit 8 % de son budget, aux missions opérationnelles à l'étranger. La troisième priorité budgétaire va à la modernisation des équipements. Ce terme est à comprendre au sens large, car il inclut notamment l'achat des munitions. Le ministère consacrera réellement 4,6 Mds PLN (1,2 Mds d) à l'acquisition de nouveaux équipements. C'est environ 900 mln PLN (231 mln d) de plus qu'en 2009, soit une augmentation de 22 %. Il faut cependant garder présent à l'esprit que ce poste de dépenses a le plus souffert des coupes budgétaires l'année dernière. L’acquisition de nouveaux équipements concerne notamment les domaines suivants : système de défense anti-aérienne et des missiles ; hélicoptères de manœuvre ; modernisation de la Marine (15 % de frais) ; systèmes intégrés de commande de soutien et de la visualisation du champ de Grand dossier bataille C4ISR ; drones. Ce budget 2010 s’inscrit dans un plan de réforme qui s'étale sur la période 2009-2018, 23 mais les changements majeurs seront terminés dès 2012. Les réformes concernent prioritairement les forces de déploiement, les structures de commandement, la professionnalisation, ainsi que la modernisation technique induite par l'arrivée de nouveaux matériels. L'Armée de terre passe de quatre divisions à douze brigades chacune, à trois divisions de dix brigades. Parmi celles-ci est créée une brigade de montagne, ainsi qu'une brigade de cavalerie héliportée. Suite aux changements de structures, quatorze régiments contre six actuellement, ne seront pas endivisionnés. L'Armée de l'air voit la disparition de trois brigades de défense antiaérienne sur quatre. Sans surprise, la marine n'est quasiment pas touchée par les réformes. 1/Loi du 25.05.2001 « Sur la reconstruction, la modernisation et le financement de Forces Armées de la République de Pologne » Colonel (air) Jaroslaw Nawrotek, chargé des relations militaires internationales au ministère de la Défense polonais (IHEDN 61) Commandant (air) Frédéric LEFEVRE, Attaché de défense adjoint auprès de l’Ambassade de France en Pologne NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 23 Armées européennes dans la crise UNION EUROPEENNE Jean-Pierre Maulny : “les mutualisations capacitaires doivent être coordonnées dans un cadre européen” Des coopérations engagées dans un cadre uniquement bilatéral peuvent aboutir à des incohérences Défense : Quelles sont les mutualisations et les partages capacitaires possibles entre pays européens ? - Les mutualisations capacitaires peuvent se réaliser de trois manières différentes. Les pays peuvent additionner leurs capacités pour créer une capacité commune dans un cadre multinational (Union européenne ou OTAN). Dans ce cas, les Etats conservent la souveraineté sur leurs capacités et équipements, mais coordonnent leurs efforts de manière à créer un ensemble cohérent dans un cadre multinational. Deuxième cas de figure, les pays créent une capacité globale en faisant l’acquisition d’une partie de cette capacité comme cela s’est fait pour l’observation spatiale ou pourrait se faire avec la défense antimissile dans le cadre de l’OTAN. Dans cette situation, aucun pays n’a les moyens de construire une capacité en propre du fait de moyens financiers insuffisants. Mais la mise en Grand dossier commun des moyens financiers permet de 24 constituer une capacité militaire significative. Troisième hypothèse, les pays mettent en commun certaines capacités, soit en décidant de mutualiser l’achat d’un équipement et de le mettre à disposition d’une organisation supra-nationale comme l’OTAN ou l’Union européenne ; soit en procédant à des achats nationaux et en faisant gérer en commun l’utilisation de leurs matériels par une agence multinationale. Défense : Quel cadre faut-il privilégier ? - Les discussions actuelles sur la coordination de la réduction des budgets de défense, et donc sur les mutualisations capacitaires possibles, se déroulent uniquement dans un cadre bilatéral franco-britannique ou franco-allemand. Deux groupes de travail ont été créés au niveau gouvernemental. La mise en place de ces groupes de travail bilatéraux constitue certes une excellente initiative mais il faudra veiller à éviter qu’une coordination des politiques de défense et de mutualisation capacitaire, dans un cadre uniquement bilatéral, n’aboutisse à des incohérences dans un cadre européen. Réalisé dans un cadre européen, cet exercice de coordination pourrait nourrir utilement la coopération structurée permanente (Csp) prévue par le Traité de Lisbonne, dont on ne sait que faire aujourd’hui. En gardant l’esprit plus que la lettre, la Csp peut être un instrument de coorNOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Dassault aviation Défense : Les pays de l’Union européenne vont réduire drastiquement leurs budgets de défense dans les prochaines années. Comment répondre à ce défi ? - Jean-Pierre Maulny : Ce qui est en train de se passer nous offre peutêtre une fenêtre pour réagir tous ensemble. Tous les pays européens vont être obligés de réduire leur budget de défense. Le Royaume-Uni et l’Allemagne vont refaire leurs documents stratégiques. Pourquoi ne pas refaire le même exercice en même temps et réaliser ainsi l’ébauche d’un Livre blanc européen sur la défense et d’une planification budgétaire commune pour les capacités que nous partagerions ? Pourquoi ne pas en profiter pour construire un modèle capacitaire européen cohérent et rationnel ? Les bureaux d’études n’entrent pas (encore) dans le cadre des mutualisations possibles dination de la mise en cohérence des modèles capacitaires nationaux. Incidemment, cela revitaliserait également l’Agence Européenne de Défense qui en serait chargée avec un mandat renforcé pour faire émerger un programme d’armement européen. L’articulation du cadre bilatéral dans un cadre européen aurait aussi pour avantage de pouvoir associer tous les pays européens à la PESDC (politique européenne de sécurité et de défense commune). Défense : Quels sont les obstacles ? - Le principal obstacle, c’est l’absence d’un modèle capacitaire industriel de défense européen. Jusque là, les modèles industriels de défense nationaux ont tendance à se définir en fonction des coupes budgétaires, sans vision d’ensemble de l’outil industriel à bâtir. Les coupes créent des rivalités entre industriels et entre Etats-majors, aggravant le risque de manque de cohérence de l’outil industriel. Résultat, l’abandon par un pays de l’UE d’une capacité technologique ou industrielle se fait indépendamment de savoir si elle est disponible dans un autre Etat membre. Dans ce domaine comme dans les autres, rien ne se fera sans une impulsion politique très forte de la part des grands Etats européens. Du côté français, il y a une difficulté à appréhender la perte de puissance militaire de la France, perçue comme une évolution négative, alors qu’il faudrait transformer notre modèle de puissance, qui reste fondamentalement sur l’indépendance nationale telle qu’elle avait été conçue par le Général de Gaulle, et dont nous n’avons plus les moyens. En réalité, la perte de puissance n’est qu’apparente. Depuis vingt ans la France a gagné en influence, notamment grâce à l’Union européenne, et c’est dans ce sens qu’il faut poursuivre. Recueilli par François d’Alançon Directeur adjoint de l’IRIS, auteur d’une étude sur « L’Union européenne et le défi de la réduction des budgets de défense », Septembre 2010. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 24 OTAN Le risque d’un affaiblissement global de l’alliance Tomas Valasek L’intégration partielle des forces armées, seule façon de maintenir l’outil militaire de l’Alliance confrontée au défi de l’austérité budgétaire Tensions transatlantiques A Washington, le département de la Défense, lui-aussi sous pression de couper dans ses programmes, critique de plus en plus la faiblesse des contributions de troupes des pays européens en Afghanistan et le manque de volonté des alliés d’investir dans la défense. Les mesures d’austérité européennes renforceront le sentiment américain que les alliés de l’OTAN ne portent pas leur part du fardeau militaire. Des experts proches du Pentagone affirment que les Etats-Unis pourraient réagir en retirant deux de ses quatre brigades de combat actuellement stationnées en Europe, ce qui priverait les nations hôtes (principalement l’Allemagne et l’Italie) des revenus tirés de la présence de ces bases et rendrait les pays d’Europe centrale nerveux quant à la capacité de dissuasion de l’OTAN face à la Russie. La vague actuelle de coupes budgétaires est d’une sévérité sans précédent. Nombre d’alliés consacraient traditionnellement moins à leurs dépenses militaires que les 2 % de PIB recommandés par l’OTAN mais, jusque là, même les traînards réussissaient à dépenser autour de 1,5 %. Bientôt, cependant, la plupart des pays de l’OTAN auront du mal à rester au-dessus des 1 % de PIB. Dans la majorité des pays européens, les budgets de défense diminuent plus vite que Les conséquences politiques pourraient être plus profondes. L’Europe se perçoit comme un partenaire clé des Etats-Unis, coactionnaire dans la réponse aux défis mondiaux, et elle a besoin des Etats-Unis pour peser sur la scène mondiale. Mais l’Amérique, même avant Barack Obama, mais plus particulièrement depuis son élection, a très clairement signifié que l’Europe ne pouvait plus se reposer sur des valeurs communes ou sur l’histoire pour voyager gratuitement sur le dos de la superpuissance. Les coupes dans les budgets de défense en Europe risquent donc d’éloigner un peu plus l’Amérique. Le vieux continent pourrait trouver difficile de forger des approches communes avec les Etats-Unis sur des questions centrales pour la prospérité et la sécurité de l’Europe, comme le Grand dossier changement climatique, la Russie ou le déséquilibre de la balance 25 commerciale avec la Chine. Gilles Trocherie En pleine cure d’austérité budgétaire, les budgets de défense européens se réduisent, souvent dramatiquement. Ces réductions auront un double impact sur l’OTAN. Les Etats-Unis y trouveront de nouvelles raisons de se plaindre contre une Europe qui ne porte pas sa part de fardeau. Et des réductions non coordonnées pourraient rendre plus difficile à l’OTAN de monter des opérations communes dans le futur. Pour empêcher ce scénario, les alliés doivent intensifier leurs efforts pour coordonner leurs réductions de troupes et d’équipements ainsi que fusionner partiellement leurs forces armées. Pour réduire l’impact des coupes budgétaires sur les relations transatlantiques, les alliés européens doivent démontrer qu’ils utilisent les mesures d’austérité comme une occasion d’améliorer la capacité « expéditionnaire » de leurs forces armées. Les Slovaques ont récemment annoncé leur retrait du Kosovo les autres. A l’exception de quelques unes, la plupart des capitales européennes ne voient pas beaucoup d’utilité à leurs forces armées au delà d’un engagement en Afghanistan dont ils tentent de s’extirper. Elles coupent plus sévèrement dans les budgets de défense pour protéger leurs autres dépenses. L’ampleur de cette diminution est un choix politique : la plupart des gouvernements européens donnent la priorité aux dépenses de santé et à l’éducation, de préférence à la défense. Perte de cohérence Cela ne veut pas dire, pour autant, que les implications militaires des mesures d’austérité ne seront pas importantes. Les alliés pourraient bien découvrir que l’OTAN a été globalement affaiblie. L’Alliance doit sa capacité à combattre comme un ensemble raisonnablement cohérent, à des années d’opérations et d’exercices communs, une myriade d’accords de standardisation et un système élaboré de planification militaire. Les coupes dans les dépenses militaires menacent de saper ces piliers qui font la force de l’Alliance. Dans l’obligation de réduire leurs budgets, la plupart des ministres européens de la défense ont décidé, de façon judicieuse, d’abandonner certaines capacités militaires sous-utilisées, de façon à protéger les troupes en opération des effets de ces coupes. L’ennui, c’est que les alliés débattent de ces réductions et de ces reformes, chacun de leur côté, dans une ignorance Director of foreign policy & defence Centre for European Reform NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 25 Armées européennes dans la crise Tout cela fait de la planification de défense de l’OTAN une caricature: même bien coordonnées, les réductions budgétaires signifient que les alliés risquent de perdre des capacités cruciales. Des coupes non coordonnées augmentent cette possibilité de manière exponentielle. La prochaine fois que les alliés devront mener une guerre ensemble, en seront-ils capables ? Pour que cela soit le cas, plusieurs conditions doivent être rapidement remplies. En premier lieu, les plus grands pays de l’OTAN, doivent partager plus d’informations sur les changements prévus. Les grands pays ont une responsabilité spéciale : parce qu’ils sont les plus gros contributeurs de troupes aux forces de l’OTAN, ils ont un impact disproportionné sur le type de forces mis en œuvre par le reste des alliés. L’OTAN dans son ensemble doit avoir une vision plus claire des lacunes qui pourraient se faire jour dans les capacités collectives de l’Alliance, lacunes que d’autres alliés pourront combler, au moins partiellement. En second lieu, les alliés doivent faire un plus grand usage des experts en planification de l’OTAN pour analyser l’impact de leurs coupes budgétaires sur le niveau de préparation de l’Alliance et recueillir leur avis sur la façon de procéder. Leur tâche est de sauvegarder la capacité de combat de l’Alliance et de conseiller les capitales sur leur contribution. Enfin, les coupes doivent cibler les dépenses militaires les moins pertinentes par rapport aux conflits actuels. Cela signifie avant tout la réduction des troupes qui ne peuvent être déployés en opération extérieure, comme le fait l’Allemagne en supprimant la conscription. La plupart des pays européens ont beaucoup fait pour réformer les armées de la guerre froide mais beaucoup d’armement et d’unités font toujours partie de cet héritage. Plus les coupes budgétaires cibleront ces secteurs, plus il restera de l’argent pour la part des forces armées européennes susceptible de participer à des missions de l’OTAN. Grand dossier pements qu’ils ne pouvaient pas se permettre auparavant ou de dépenser plus pour des opérations militaires. Les exemples d’intégration réussie, comme l’accord entre la Belgique et les Pays-Bas sur le partage de leurs navires, sont peu nombreux. De nombreuses propositions se sont heurtées aux réticences politiques de gouvernements soucieux de conserver leur indépendance ou de soutenir leur industrie de défense. La crise financière donne aux pays de l’OTAN des raisons supplémentaires pour avancer dans cette direction. Sans intégration, de nombreux alliés pourront difficilement contribuer à des missions militaires futures. Pour l’heure, la meilleure approche réside dans des intégrations régionales à géométrie variable. La France et le Royaume-Uni voudront maintenir l’ensemble du spectre des capacités mais devront coordonner le déploiement de capacités comme les sous-marins nucléaires ou les porte-avions. Les pays du Benelux partagent déjà une partie de leurs forces armées. Les pays nordiques avancent dans la même direction et ils auront besoin d’un peu de soutien de la part de l’OTAN. Les pays d’Europe centrale auraient grand intérêt à partager leurs forces mais des tensions historiques, comme celle entre la Roumanie et la Hongrie, l’ont empêché. L’OTAN doit aider ces pays à comprendre les bénéfices de l’intégration. Cette approche régionale n’est pas incompatible avec l’émergence à long terme d’une force de l’Union européenne intégrée ou d’un pilier européen de l’OTAN. A court et moyen-terme, les Etats membres voudront conserver la responsabilité du financement et Intégration des armées Même en supposant qu’une coordination accrue 26 se mette en place, les armées européennes sortiDes petits pays devront retiré leurs troupes déployées en opération. ront diminuées de la crise budgétaire. Au-delà des Ici un blindé slovène au Kosovo réductions de dépenses, les nations européennes devront changer leur façon de construire leurs forces armées. La majo- de la mise en œuvre des forces, en les mettant à la disposition de l’UE rité d’entre elles ont jusque là persisté à conserver la quasi-totalité du ou de l’OTAN sur une base temporaire, en fonction du besoin. La spectre des capacités militaires. Mais il y a une limite au delà de laquel- façon la plus efficace pour l’OTAN et l’UE de maintenir leur force milile une diminution de format perd toute pertinence. Un seul porte-avions taire consiste donc à améliorer le partage des capacités entre pays ne suffit pas à maintenir une présence permanente en mer. Le membres. Royaume-Uni estime qu’il a besoin de quatre sous-marins nucléaires pour assurer la permanence d’un seul en mer. Des petits pays devront La réduction des dépenses militaires en Europe intervient dans une retirer leurs troupes déployées en opération. Les slovaques, par période de transformation profonde des relations transatlantiques. exemple, ont récemment annoncé leur retrait du Kosovo. Si d’autres sui- Les Etats-Unis de Barack Obama ne jugent pas leurs alliés à l’aune vent, cela pourrait avoir un effet dévastateur sur l’état de préparation d’une histoire partagée ou de valeurs communes mais pour ce qu’ils des troupes en Europe. Comme le notait Thorvald Stoltenberg, ancien peuvent apporter sur le champ de bataille. Les mesures d’austérité ministre norvégien de la défense, « le résultat pourrait être une Europe réduiront la contribution de l’Europe aux missions de l’OTAN et les où seulement des pays comme la France, la Russie, le Royaume-Uni et relations en souffriront. Les pays européens membres de l’OTAN peul’Allemagne ont leurs propres forces de défense ». La façon d’éviter que vent prendre des mesures pour limiter les dégâts, par exemple à trace scénario se matérialise repose sur l’intégration partielle. Si des vers une plus grande intégration. Au final, cependant, la clé d’une groupes d’Etats fusionnent des parties de leurs forces armées, ils amélioration des relations transatlantiques relève de la politique et créent des économies d’échelle. Cela leur permet d’acheter des équi- non du domaine militaire. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Gilles Trocherie quasi totale de ce que font leurs voisins. Tous sont sous une formidable pression de leur ministère des finances et les considérations stratégiques, - comme le type de guerre que les Européens auront à combattre dans le futur- jouent un rôle secondaire. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 23/11/10 10:44 Page 26 MUTUALISATION/COOPERATION/INTEGRATION Transport aérien militaire : un exemple d’intégration de forces européennes Alain Rouceau Créé le 1er septembre 2010 à Eindhoven (Pays-Bas), le Commandement européen du transport aérien militaire (EATC) (1), assure le contrôle opérationnel permanent de la quasi-totalité de la flotte SIRPA AIR de transport et de ravitaillement en vol de quatre nations (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas). pour les missions Jusqu’à présent ce EVASAN où seuls type de transfert ne l’Allemagne, la se produisait que Belgique et les temporairement à Pays-Bas ont transl’occasion d’opéraféré leurs moyens tions extérieures. et le contrôle opéCe commandement rationnel. Sur le est une réponse plan dit fonctionconcrète, non seunel, c’est à dire lement aux difficulcelui de l’harmonités budgétaires que sation des procérencontrent tous les pays européens, mais L’élite du transport aérien militaire européen s’est retrouvé cet été pour l’inauguration de l’EATC également au déficit Grand dossier capacitaire en matière de transport aérien militaire tant tactique que stratégique. Fin 2010, dures, de la standardisation ou encore de l’interopérabilité, le chan- 27 l’EATC devrait contrôler une flotte d’environ 170 appareils de transport tier est plus vaste, plus complexe et plus sensible car il implique un et de ravitaillement en vol. L’état-major comprendra alors environ 160 transfert de souveraineté plus important que celui du transfert de contrôle opérationnel. En fonction des domaines, les nations transpersonnes dont 45 français. fèrent à l’EATC des responsabilités selon trois niveaux : recommandation, coordination et commandement, niveau le plus élevé. Pour Commandement à la carte L’objectif est de transférer progressivement l’ensemble des respon- l’instant seules l’Allemagne et la Belgique ont transféré des responsabilités et des personnels liés à la préparation des forces et à l’exé- sabilités de ce dernier niveau dans quelques domaines. cution des missions afin, au travers des synergies créées au sein de l’EATC, d’améliorer l’efficience et l’efficacité de la génération des Processus forces. Compte tenu des spécificités de chaque nation, une L’EATC repose sur deux principaux piliers (opérationnel et fonctionapproche progressive, adaptée à chaque participant, a été adoptée. nel) correspondant aux deux catégories de transfert d’autorité. Sur Ainsi, dans le domaine opérationnel, certains pays comme le plan opérationnel, le transfert d’autorité est parfaitement défini. l’Allemagne ont transféré la quasi- intégralité de leur flotte, et dis- L’EATC utilise la flotte mutualisée mise à sa disposition par les sous leur organisation nationale (Lufttransportkommando et centre nations pour répondre à leurs demandes de transport/ravitaillement opérationnel). La France a choisi une approche prudente et progres- en vol en planifiant, déclenchant et contrôlant les missions. Bien sive en transférant essentiellement ses moyens tactiques et straté- entendu, les nations ne perdent pas définitivement le contrôle de giques, hors missions particulières. Dans le domaine du ravitaillement en vol, les Pays-Bas et l’Allemagne ont transféré leurs moyens Général de brigade aérienne, Commandant en second et chef d’état-major (KDC10 – A 310 MRTT), la Belgique n’en a pas et la France a gardé de l’EATC l’intégralité de ses capacités sous contrôle national. Il en va de même NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 27 Armées européennes dans la crise leurs moyens : à tout instant, sans justification, elles peuvent en reprendre le contrôle pour des raisons nationales (retrait de transfert d’autorité, qui peut être effectué en quelques minutes sur un ou plusieurs appareils). De plus, des représentants nationaux sont chargés de contrôler le bon emploi des moyens mis à disposition. Les missions sensibles nationales peuvent être gérées à l’EATC dans des cellules autonomes uniquement armées par du personnel national retiré temporairement de ses fonctions multinationales. Pour l’instant, seule l’Allemagne a choisi cette solution. Les Pays-Bas et la Belgique l’étudient. La France a choisi le maintien d’une chaîne autonome nationale mais dispose cependant d’une cellule autonome équipée à l’EATC. Sur le plan fonctionnel, les travaux vont débuter dans les différents domaines en fonction des responsabilités déléguées par les nations. Les premiers travaux seront directement liés à l’amélioration de la mutualisation des flottes existantes. De plus, dans ce domaine fonctionnel, l’EATC aura un rôle important à jouer dans la préparation de la mise en service de l’A 400M (formation, standardisation, harmonisation initiale des procédures et de l’emploi…), mais également dans l’étude de la création d’une unité multinationale A 400M. En terme de RH, par exemple, la mise en œuvre d’un centre opérationnel permanent commun diminue la facture, le personnel engagé étant inférieur à la somme totale des quatre centres des nations. A l’inverse, le maintien de doublons nationaux va à l’encontre des économies attendues : les nations ne pourront retirer des gains que si elles adaptent leur propre organisation. En effet, compte tenu du transfert de responsabilités effectué, l’EATC n’est pas une organisation multinationale supplémentaire, mais bien un commandement qui est partie intégrante des organisations militaires de chacune des nations. Toute duplication « inutile » viendra donc affaiblir le retour sur investissement. Vous avez dit “rentable” ? Les gains attendus seront à la mesure du niveau d’ambition des nations, c’est-à-dire du transfert réalisé. L’EATC va se doter des outils permettant d’évaluer les gains en partant de la situation d’origine de chaque nation. Certains gains liés à la mutualisation des flottes sont intuitifs car la vision globale des moyens et des demandes permettra de réaliser plus aisément qu’auparavant une utilisation optimale des quatre flottes. Une meilleure utilisation des flottes pourrait se traduire, par exemple, par un moindre recours à des vols affrétés, ou encore par la mise à disposition d’un nombre accru d’appareils d’entraînement pour les unités, en utilisant la ressource dégagée par l’optimisation. La mutualisation n’est cependant pas intégrale et continue de se faire entre pays EATC au travers d’une « bourse d’échange d’heures de vol » dont la balance doit rester équilibrée dans la durée . Les gains devront se mesurer globalement en intégrant tous les domaines, budgétaires et RH notamment. Depuis le 15 octobre, l’Allemagne a transféré à l’EATC le contrôle opérationnel de sa flotte de transport et de ravitaillement. Les trois autres nations devraient en faire de même d’ici la fin 2010, date à laquelle pourra être déclarée la capacité initiale opérationnelle (IOC) . Pour atteindre la capacité finale, il faudra que les nations poursuivent le transfert de responsabilités dans les domaines fonctionnels, suppriment les doublons, et limitent leurs « caveats ». Il faudra également rapidement consolider l’organisation et les processus actuels. Et, bien entendu, l’EATC aura vocation à s’ouvrir à d’autres nations. La création de l’EATC a été difficile, l’avenir le sera probablement tout autant. Le vrai défi que devra relever l’EATC est celui de son intégration acceptée dans les structures militaires des nations, tant il n’est pas anodin de supprimer des structures nationales au profit d’un commandement multinational. L’EATC aura avant tout besoin d’un cadre juridique robuste au travers d’un traité qui lui donnera les moyens adaptés à ses responsabilités et viendra se substituer à l’arrangement technique provisoire. Général de brigade aérienne, Commandant en second et chef d’état-major de l’EATC 1/ ATARES : Air Transport, Air Refuelling, and other Exchanges of Services 2/ IOC : Initial Operational Capability Grand dossier 28 Diploweb : la revue géopolitique Diploweb.com, la revue géopolitique online. Diplomates, universitaires et stratèges publient des analyses inédites sur ce site exclusivement consacré aux questions géopolitiques. Ce site est dirigé par Pierre Verluise, Docteur en Géographie politique de l’Université Paris-Sorbonne, auteur de plusieurs ouvrages. Vous trouverez sur ce site expert, pluraliste et transparent de nombreuses études de référence sur l’Union européenne, la Russie et la Communauté des Etats Indépendants... sans oublier l’Amérique du Nord et du Sud, l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient. Le diploweb.com met en ligne de nombreuses cartes. http://www.diploweb.com DIPLOWEB.COM - Premier site géopolitique francophone P. Verluise, ISIT - 12 rue Cassette - 75006 Paris France NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 28 ALLEMAGNE Convergence : un défi pour réformer la défense en Europe Reiner K. Huber Photo J.P.F. La plupart des nations occidentales sont contraintes en ce moment de mettre en œuvre des programmes pour réduire une dette publique qui a atteint des niveaux insupportables suite à la crise financière et économique. Des baisses plus ou moins strictes des dépenses de défense font partie de ces programmes de consolidation qui soulèvent toujours des problèmes. Pour l’armée allemande l’avenir est à la réduction des effectifs et à la professionnalisation. Depuis la fin de la Guerre froide, on n'a jamais cessé de se poser ces questions, lorsque des nations pensant encaisser les dividendes de la paix procédaient à des coupes budgétaires en matière de défense. Les questions liées aux missions futures, à la structure des forces et aux équipements nécessitaient à la fois d'être en adéquation avec les exigences des missions et tenir compte des implications politiques, économiques et sociales des réductions de force. En Allemagne, la reconstitution potentielle de menaces auxquelles l'OTAN a fait face pendant la Guerre froide a occupé la première place dans les esprits des planificateurs en matière de défense jusque loin dans les années 90. Le maintien de la conscription universelle pour répondre aux exigences de construction de la force a été la raison principale pour laquelle planificateurs de défense et responsables militaires ont résisté aux réductions d’effectifs militaires et aux changements dans la structure des forces. A côté de cela, la conscription était un mécanisme commode pour recruter des volontaires. En conséquence, les lignes budgétaires consacrées aux acquisitions, tout comme celles pour le fonctionnement ont eu à souffrir de coupes disproportionnées dans les budgets de la défense qui se sont succédé pendant cette période. La Bundeswehr a accumulé des déficits significatifs dans la modernisation et dans l'entraînement qui ont menacé à la fois les capacités de la défense territoriale et l'interopérabilité avec ses principaux alliés dans les nouvelles missions émergentes comme celles conduites dans les Balkans. (1) On aurait pu boucher le trou C'est pour cette raison que nous avons initié un programme de recherche interdisciplinaire pour développer une méthodologie et des modèles afin d’évaluer les besoins d’interopérabilité entre la structure de force et les capacités des alliés de l'OTAN pour les opérations de gestion de crises (CRO) non-Article 5. Appliquant les modèles utilisant les données de l'Équilibre stratégique 1998/1999, nous étions arrivés à la conclusion que les pays européens de l'OTAN avaient le potentiel pour réduire de manière significative le trou capacitaire transatlantique de chacun, en quantité comme en qualité, Grand dossier pourvu que les membres européens de l'alliance renforcent la coopération, éliminent des redondances assimilables 29 à du gaspillage, et restructurent leurs organisations et leurs budgets de défense de façon coordonnée pour parvenir finalement, grâce un développement cohérent de leurs outils de défense, à un niveau d'efficacité de leurs budgets de défense collective comparable à celui des États-Unis (2). La méthodologie a été étendue et appliquée fin 1999, pour évaluer les capacités en matière d'opérations de gestion de crises (CRO) d'hypothétiques options de structures de force, incluant à la fois des forces issues de la conscription et des forces professionnelles, au profit de la Commission Weizsäcker, chargée par le gouvernement fédéral de développer une nouvelle structure pour la Bundeswehr qui devait être mise en œuvre dans les dix ans. (3) Cependant, les conclusions de la Commission Weizsäcker ont été écartées au profit des recommandations d'une commission parallèle interne, installée à l'époque par le ministre de la Défense Scharping. Par contraste avec la Commission Weizsäcker qui insistait sur les CRO, la proposition Scharping mettait l'accent sur la défense territoriale comme mission principale de la Bundeswehr et confirmait le concept de conscription univerProfesseur émérite, Sciences appliquées aux systèmes au Département Informatique de l'Université de la Bundeswehr à Munich. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 29 Armées européennes dans la crise selle pour conserver la capacité d'une mobilisation rapide en cas de menace ré-émergente sur les territoires de l'OTAN (4). Environ dix mois plus tard après l'adoption du modèle de réforme Scharping, son successeur, Peter Struck, annonçait sa révision. Son concept de transformation mettait l'accent sur les améliorations de l'efficacité opérationnelle en - 1) externalisant les fonctions de service qui n'étaient pas essentielles pour les opérations militaires et en intégrant les fonctions de soutien des trois services en un service de soutien interarmées : le Streitkräftebasis (SKB) et - 2) en créant deux catégories séparées de forces pour les opérations interarmées de réaction aux crises (CRO): - d'une part les forces de stabilisation (Stabilisierungskräfte) pour secourir et reconstruire des sociétés déchirées par la guerre; - d’autre part, des forces d'intervention (Eingreifkräfte) pour neutraliser des menaces émergentes et pour mettre fin à des conflits locaux ou régionaux, par la force, si nécessaire. La structure de forces de la Bundeswehr ainsi reformée ne s'est néanmoins pas montrée à la hauteur des espérances, lorsque la détérioration de la situation sécuritaire en Afghanistan dans le secteur allemand, initialement calme, a mis en difficulté les capacités des forces de stabilisation qui y étaient déployées. La mise à niveau de ces capacités s'avère difficile pour diverses raisons comme, par exemple, des capacités d’achat des équipements nécessaires, sévèrement obérées par l'acquisition en cours de systèmes traditionnels onéreux (principalement l'Eurofighter) qui engloutissent une grande partie du budget capital d'investissement du ministère de la Défense; les reports de mise à jour ou d'achat de nouveaux systèmes à cause de procédures bureaucratiques ; une infrastructure et des capacités de traitement de l'information insuffisantes au développement du concept OTAN de transformation des opérations en réseau (network enabled capability). (5) Pour toutes ces raisons, les experts politiques et militaires ont pris conscience de la nécessité d'une nouvelle réforme du secteur de la défense qui a été déclenchée, malgré les coupes budgétaires décidées par le gouvernement fédéral, en juillet 2010, destinée à diminuer la dette publique accumulée par la crise économique et financière. En faire plus avec moins En vertu de cet accord, le budget de la défense allemand sera réduit de 6,5 % passant de 31,11 à 29,1 milliards d'euros pour les prochaines quatre années (2011-2014), au moment même où la détérioration de la situation en Afghanistan exige un renforcement significatif des capacités de CRO de la Grand dossier Bundeswehr. C'est pourquoi la nouvelle 30 proposition de réforme soumise à débat par le ministre zu Guttenberg tend vers "plus de capacités avec moins d'argent" en rationalisant l'organisation de la Bundeswehr et en éliminant tous les éléments non productifs, la conscription notamment, qui dévore des ressources significatives sans contribuer pour autant à la capacité de la Bundeswehr de faire face aux menaces du XXIe siècle (OPEX). (6) Compte tenu de la réduction du budget et de la diminution du niveau de main d'œuvre militaire à 163.500 hommes proposé par zu Guttenberg, nos premières évaluations indiquent que l'on peut s'attendre à une distribution plutôt équilibrée de fonds entre les budgets d’investissement et de fonctionnement permettant, en retour, une amélioration considérable de la capacité CRO, à condition que la Bundeswehr fasse partie d'un collectif de forces assez grand pour que les économies d'échelle ne soient pas pénalisantes au regard du retour attendu en matière d’investissement et de dépenses de fonctionnement. Cela nous ramène au problème de convergence étudié à la fin des années 1990 parce que quelle que soit l'amélioration capacitaire que la réforme de la Bundeswehr de zu Guttenberg puisse engendrer, son impact sur la capacité opérationnelle collective de l'OTAN ou de l'UE ne peut être marginal que si l'Allemagne coordonne la réforme de sa défense avec celle de ses alliés et vice-versa. En fait, les Pays-Bas et le Royaume uni ont eux NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 aussi déjà annoncé des coupes sévères dans leurs budgets de défense. D'autres États suivront l'exemple sans aucun doute pour consolider leur situation financière… L'heure est venue pour les Européens de penser à une approche innovante pour reconstruire leurs armées d’une manière convergente et en soutien mutuel, de façon à maximiser leurs capacités collectives pour relever les défis d'un avenir incertain. L'entreprise n’est pas simple, car elle implique que tous les États européens qui contribuent activement à l'UE ou à l'OTAN, ou les deux. Dans ce contexte, le lecteur peut se référer au Modèle de Maturation du Commandement et du Contrôle en réseau de l'OTAN, (N2C2M2) qui peut servir de modèle conceptuel de développement ou d'approche pour transformer la planification de défense européenne. (7) Positionnement selon trois dimensions (gestion des droits, intégration dans les organisations, diffusion d'information aux utilisateurs) des différentes approches possibles de C2 Développé pendant plusieurs années par un groupe d'experts internationaux sous l'égide du panel d'Analyse de Système et d'études (SAS) de l'organisation de recherche technologique de l'OTAN (RTO), le N2C2M2, qui traite de l'évolution du commandement et du contrôle (C2) d'opérations militaires et de la gestion d'actions complexes impliquant divers participants militaires et civils qui cherchent à améliorer la coopération de leurs entités pour accroître l'efficacité. Il définit cinq niveaux de maturité des approches de C2/management qui caractérisent le degré de coopération entre les entités, en commençant, au plus bas niveau, par des opérations disjointes et allant vers des opérations « collaboratives » (deconflicted) caractérisées par une auto-synchronisation des entités. Les approches elles-mêmes sont caractérisées par trois paramètres de conception principaux : 1) la distribution de l'information entre les entités; 2) les modèles d'interaction entre les entités; 3) les droits de décision accordés pour l’action collective aux entités. Conceptuellement, le degré de convergence de la planification de défense en Europe correspond au degré de maturité des approches de C2/management décrites par le N2C2M2. La convergence s'améliore lorsque le degré de partage d'information et l'interaction entre les planificateurs de défense nationaux augmente dans le processus de planification et lorsque les droits de décision sont transférés aux autorités de planification supranationales, que ce soit dans l'OTAN ou dans l'UE. Ainsi, la transformation de la planification de défense en Europe pourrait en fin de compte aboutir à une planification de défense européenne à condition 1) que les Européens rendent opérationnelle la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), 2) qu'ils contribuent à un budget de défense commun qui repose sur une politique de juste partage du fardeau, et 3) qu'ils désignent une autorité européenne pour faire fonctionner la PESD. (1) Cf. "Erneute Umfangsreduzierungen der Bundeswehr: Ein Ausweg mit anderen Risiken?" de R. K. Huber in Wehrtechnik 8/9, 1997, pp. 29-34). (2) Cf. "How Wide is the Gap and How to Close It?" de R. K. Huber et B. Schmidt: Bericht Nr. S-0001, Informatik, Universität der Bundeswehr München, April 2000; R.K. Huber: Standards und Konvergenzkriterien für die Weiterentwicklung der europäischen Streitkräfte. Europäische Sicherheit 4/2002, pp. 45-50). (3) "Datengrundlagen zur Entwicklung von Strategieoptionen für die Weiterentwicklung der le Bundeswehr" de R.K. Huber in ITIS-Bericht, N°S0002, Avril 2000). (4) Cf. "Limits of German Defence Reform: results of parametric analyses for the commission Common Security and Future of the Bundeswehr " de R.K. Huber et B. Schmidt in Journal of the Operational Research Society, Vol. 55 No. 4, Avril 2004, pp. 350-360). (5) Concept allemand de sécurité en réseau (vernetzte Sicherheit Konzept) (6) Cf. "Wirtschaftliche Implikationen der Wehrpflicht. Papier" de R.K. Huber in Journal de Discussion, Septembre 2001). (7) http://www.dodccrp.org/downloads/N2C2M2 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 30 DEFENSE EUROPEENNE “Nous avons besoin d’un nouveau discours sur la raison d’être de nos forces” Nick Witney Pour l’ancien directeur de l’Agence Européenne de Défense, le choix est entre plus d’Europe et une renationalisation des politiques de défense Une défense européenne est-elle encore possible dans un contexte de diminution des budgets de défense ? Nick Witney : C’est une chance de réduire l’écart entre la rhétorique et la pratique sur la question de la mutualisation et du partage capacitaire. C’est clairement la seule façon intelligente et logique d’avancer pour l’Europe et probablement la seule si nous voulons maintenir des capacités militaires dignes de ce nom. Cela arrivera mais je pense que dans un premier temps, pendant un an ou deux, la situation va se détériorer. Face au manque de ressources, la première réaction de tous les establishments de Défense est de regarder à l’intérieur des frontières pour gérer leurs propres problèmes. Peut-être, la situation se dégradera à un tel point que la logique d’un partage des problèmes se réimposera. Comment faut-il procéder ? Par des coopérations bilatérales ou multilatérales entre pays de l’UE ou par le biais de la Coopération structurée permanente (CSP) ? - La bonne réponse est d’utiliser les instruments existants, en particulier la Coopération structurée permanente instaurée par le traité de Lisbonne et qui n’a toujours pas servi. Les ministres de la Défense de l’UE en ont discuté dans leur réunion informelle de Gand fin septembre. La Belgique partage à ce sujet la même vison que la Hongrie et la Pologne qui vont lui succéder en 2011 à la présidence de l’Union européenne. Des progrès pourraient donc intervenir sur une coopération structurée permanente sous présidence polonaise d’ici la fin 2011. D’ici là, les pays européens seront peut-être prêts à faire un sérieux effort ensemble au niveau européen. Sinon, des coopérations ad hoc peuvent se développer. J’aimerais voir un développement de la coopération franco-britannique, en dépit du manque d’enthousiasme montré par Liam Fox, le secrétaire à la Défense britannique. Sur quoi pourrait porter la Coopération structurée permanente (CSP) et avec quels pays ? - La CSP a été conçue pour coopérer au niveau stratégique plutôt que tactique, programme par programme, plutôt que projet par projet. Or, jusque là, presque tous les coopérations européennes sont réalisées projet par projet. Ces coopérations sont très longues à mettre sur pied, très prudentes et emploient beaucoup de monde. Et si un des Etats participants réduit subitement sa contribution financière, le projet s’effondre. En revanche, sous la CSP, un petit groupe de pays engagés prendra la décision politique de mutualiser des ressources significatives dans un domaine particulier. Les instructions officielles ne seront pas d’explorer la possibilité d’une coopération mais de la faire fonctionner. Nous avons besoin de voir des « noyaux durs » regroupant différents pays sur différents sujets : sur la recherche, sur les passations de marché, sur la rationalisation des infrastructures (entretien, réparation, etc..). Les chefs d’Etats et de gouvernements sont-ils prêts à avancer ? - Les dirigeants ont deux problèmes en matière de Défense : le manque d’argent et l’absence d’une menace impérieuse. Aucun pays européen ne court le risque d’être envahi ou d’être la cible d’une opération militaire dans les dix ou vingt prochaines années. La Russie est un voisin difficile mais elle ne va pas attaquer l’Union européenne. En même temps, après s’être brûlé les doigts en Afghanistan, les pays européens sont aujourd’hui plus prudents pour s’engager dans des opérations extérieures. Il n’y aura pas d’enthousiasme pour répéter cette expérience. Nous avons besoin d’un nouveau discours pour justifier la raison d’être de nos forces armées et la nécessité de dépenser de l’argent pour la Défense. La lutte contre le terrorisme peut-elle être un argument en faveur d’une Europe de la Défense ? - Non. C’est un argument en faveur d’une meilleure coopération entre nos services de renseignement, une augmentation des budgets de police, des moyens de surveillance maritime et satellitaire et de l’aide au développement. En revanche, je ne pense pas que nous interviendrions au Sahara de la même façon qu’en Afghanistan. Nous avons appris en Grand dossier Afghanistan les limites de ce que la force militaire peut atteindre. 31 Quelle peut-être la raison d’être d’une défense européenne aux yeux des citoyens ? - La puissance. Dans les cinquante dernières années, nous nous sommes habitués à justifier nos dépenses militaires en termes de menaces, en particulier la menace soviétique. Cet argument ne marche plus. En revanche, nous avons besoin de capacités militaires fortes et d’une capacité militaire forte au niveau européen pour maintenir la puissance de l’Europe. Si l’Europe perd ces capacités dans un monde qui voit la montée en puissance de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, elle se trouvera de plus en plus marginalisée et nous nous retrouverons sur la bande d’arrêt d’urgence de l’histoire. C’est pourquoi, nous devons repenser la raison d’être de nos forces armées à travers leur contribution au rôle de l’Europe sur la scène mondiale et à la défense de nos intérêts et de nos valeurs. Prenez l’Afrique. L’Europe y a dépensé beaucoup d’argent en faveur Senior Policy Fellow au European Council on Foreign Relations (ECFR), ancien directeur de l’Agence Européenne de Défense. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 31 Photo J.P.F. Armées européennes dans la crise Aujourd’hui l’Europe perd son influence en Afrique au profit de la Chine. Une défense européenne est indispensable pour maintenir la puissance de l’Europe du développement, d’une meilleure gouvernance et de la démocratie. Aujourd’hui, l’Europe perd son influence en Afrique au profit de la Chine. Les militaires ont un rôle à jouer pour la réserver à travers leur présence et la formation ainsi que le développement des capacités militaires africaines. La transposition en droit français de la directive européenne de 2009 sur l’ouverture des marchés de défense et de sécurité inquiète les industriels français de l’armement. Qu’en pensez-vous ? - En raison de la crise budgétaire, les industries nationales d’armement s’efforcent de protéger leurs marchés. Cette préoccupation a dominé la « Strategic Defence Review » britannique. La directive est justifiée sur le principe car les arguments en faveur d’une ouverture du marché européen des équipements de défense sont très puissants. Je pense cependant que la Grand dossier Commission a fait une erreur en essayant de légiférer sur cette question, car elle ne sera pas capable de faire appliquer 32 sa directive. L’approche plus graduelle soutenue par l’agence européenne de défense à travers l’adoption volontaire d’un code de conduite me semble plus pratique et plus réaliste. Pour parler franchement, si les gouvernements français ou britannique veulent accorder un contrat à une entreprise d’armement nationale, ils invoqueront un intérêt de sécurité nationale, mentionné dans l’article 346 du traité de Lisbonne (ex-article 296). Et dans ce cas, je ne crois pas que la Commission oserait les poursuivre devant la Cour de justice européenne pour violation du droit communautaire. Jusque là, sous le régime volontaire de l’Agence européenne de défense, quelque 20 milliards d’euros de marchés ont été ouverts à la concurrence européenne et environ un tiers des contrats on été attribués à des entreprises d’un autre Etatmembre. A l’avenir, les pays européens comprendront qu’ils doivent rationaliser leur industrie d’armement tout simplement parce que leur maintien sur la même échelle s’avère trop coûteux. Il n’y a pas d’autre solution. Quel peut-être l’avenir de la coopération entre l’OTAN et l’UE dans ce contexte ? - Les relations entre l’UE et l’OTAN relèvent d’une sorte de concurrence darwinienne. Un jour, l’une ou l’autre organisation s’avèrera plus utile que l’autre et celle qui l’est moins perdra de son importance. L’UE deviendra l’organisation la plus pertinente car elle est capable de traiter les problèmes de sécurité à l’aide de tous ses instruments. De son côté, l’OTAN ne dispose que de l’outil militaire dont l’utilité diminue. Que fera l’OTAN une fois qu’elle aura quitté l’Afghanistan ? Elle continuera à incarner une garantie de sécurité ultime contre la Russie. C’est important car cela assure que même si Monsieur Poutine redevient président, il n’aura pas la tentation de l’aventure. Mais le rôle de l’OTAN deviendra de moins en moins pratique et opérationnel et s’évanouira dans le décor. Si l’UE ne gagne pas en importance, nous aurons une renationalisation de nos politiques de Défense et, en fin de compte, une diminution croissante du rôle de des Etats européens sur la scène mondiale. Autrement dit, le choix n’et pas entre l’UE et l’OTAN, mais entre plus d’Europe et une renationalisation des politiques de Défense. Que peut-on attendre du gouvernement britannique dans le domaine de la défense européenne ? - L’aile droite du parti conservateur reste très attachée aux relations spéciales avec les Etats-Unis et nous verrons comment les différentes tendances s’équilibrent au sein du gouvernement de coalition, au risque de se neutraliser. Dans les cinq prochaines années, le gouvernement britannique ne pratiquera pas l’obstruction mais ne prendra pas non plus l’initiative. En matière de défense européenne, ils seront passifs et pragmatiques. Recueilli par François d’Alançon Vous pouvez réagir aux articles en écrivant à la revue Défense, ou par mail au : revue-defense-ihedn.fr NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 32 DEFENSE EUROPEENNE “Nous devons profiter de cette crise budgétaire pour donner un rôle et des moyens plus importants à l’Agence européenne de Défense” Arnaud Danjean Photo EFT Pour le président de la sous-commission « sécurité et défense » du parlement européen, les chefs d’Etats et de gouvernements européens n’ont pas la volonté politique nécessaire pour faire avancer l’Europe de Défense. En Afrique un certain nombre de défis demandent des réponses européennes. Ici une évacuation de ressortssants au Tchad en 2008. Les conditions politiques et économiques sont-elles favorables à des progrès de l’Europe de Défense ? Arnaud Danjean : L’Europe de Défense se trouve aujourd’hui dans une situation extrêmement paradoxale. Sur le papier, tant la mise en œuvre du traité de Lisbonne que la réalité internationale, multipolaire, mouvante, instable dans laquelle nous nous trouvons, justifierait un surcroît d’Europe de la Défense. En même temps, politiquement et économiquement, ce sursaut n’est pas au rendez-vous. La question est de savoir si ce paradoxe est transitoire, lié à la mise en œuvre du traité de Lisbonne, à la crise économique et au manque de volonté politique, ou, au contraire, une tendance lourde. Dans ce dernier cas, cela voudrait dire que l’Europe a abdiqué l’existence d’une industrie de défense compétitive, performante et ambitieuse, un rôle politique croissant sur la scène internationale et un rapprochement dans le domaine où l’Europe a des vrais progrès à faire, à savoir la défense et la politique étrangère. L’évolution est inquiétante mais le sursaut est encore possible. termes d’opérations, la mission des observateurs européens en Géorgie Grand dossier et la mission de surveillance maritime Atalanta, deux réussites incontes33 tables, remontent à décembre 2008. Au Royaume-Uni, il faut compter avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs, l’ampleur des coupes budgétaire et les interrogations stratégiques des britanniques sur leur relation avec les Etats-Unis. L’Allemagne entre dans un débat interne sur l’arrêt de la conscription et la professionnalisation, sans compter les difficultés à justifier leur présence et une posture plus offensive en Afghanistan. En France, il y a une forme de pause après la présidence française de l’Union européenne, menée tambour battant, et de digestion de la réintégration du commandement militaire intégré de l’OTAN. Cette décision était la bonne mais on a l’impression que cette réintégration a aujourd’hui la priorité, au détriment du projet européen en matière de Défense, traditionnellement porté par la France. La volonté politique des chefs d’Etats et de gouvernements européens fait-elle défaut ? - Les priorités européennes, en raison de la crise financière et économique, et nationales, ne sont pas favorables. Les dernières réalisations dans le domaine de l’Europe de la Défense ont eu lieu sous la présidence française de l’Union européenne, il y a deux ans. En Les institutions européennes semblent également défaillantes… - Il n’y a aujourd’hui aucune initiative politique significative en Député (PPE) et président de la Sous-commission « sécurité et défense » du parlement européen NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 33 Armées européennes dans la crise faveur de la politique européenne de défense. Les Etats membres considèrent que les questions de Défense relèvent de l’intergouvernemental et il n’y a pas une grande volonté de leur part d’en faire plus au niveau communautaire. Au moment où les Etats membres marquent le pas, il n’y a personne à Bruxelles pour combler le vide. La Haute Représentante qui a dans ses attributions les questions de Défense aurait pu, au moins temporairement, manifester son intérêt et assurer le relais. Or, Catherine Ashton semble considérer ce domaine comme secondaire et elle n’a pas assisté aux deux dernières réunions informelles des ministres européens de la Défense. Elle a eu quelques entretiens avec le secrétaire général de l’OTAN mais n’a pris aucune initiative en matière de Défense et a une position très ambigüe sur l’Agence Européenne de Défense. De son côté, la Commission n'est pas habilitée à intervenir dans ce domaine et ne le souhaite pas, de peur de devoir y consacrer de l’argent. On met en œuvre les instruments du traité de Lisbonne, par exemple l’architecture du service d’action extérieure, les organigrammes, les procédures, les attributions et le financement, sans véritablement discuter du contenu de notre politique européenne vis-à-vis de la Russie ou de la Chine, du Moyen-Orient ou de l'Afrique... Quelles mesures sont-elles souhaitables et possibles à court terme ? Il serait temps que les deux réunions informelles annuelles des ministres de la Défense deviennent des Conseils des ministres mensuels, formels et de plein exercice pour discuter des structures, des programmes et des budgets. Nous devons profiter de cette crise budgétaire et des interrogations qu’elle suscite quant à l’avenir de l’industrie d’armement européenne pour donner un rôle et des moyens plus importants à l’Agence Européenne de Défense. Cette institution existe, qu’en faisons-nous ? 30 millions de budget annuel, c’est trop peu. Là aussi, cela demande une implication de Madame Ashton. Des progrès peuvent également être réalisés sur la définition et la rationalisation des programmes. La question se pose pour les drones et les missiles, pour lesquels des compétences industrielles existent en Europe. Les drones n’ont pas que des usages militaires et peuvent être très utiles dans la gestion de crises civiles ou de catastrophes naturelles. Nous devons aussi nous interroger sur nos capacités satellitaires. Une impulsion politique est envisageable pour décider si ces capacités sont nécessaires à une Europe Grand dossier qui veut affirmer une forme d’autonomie stratégique dès la conception industrielle, ou bien se contente 34 d’acheter sur étagères au moindre coût. Par ailleurs, la Pologne, qui doit présider l’Union européenne dans la deuxième moitié de 2001, a fait de la Défense une de ses priorités. C’est un point très positif qui doit être encouragé. Nous, français, aurions tout intérêt à soutenir des partenaires comme les polonais qui affichent des ambitions en matière d’Europe de la Défense. Le secrétaire général de l’OTAN s’est exprimé à deux reprises devant le parlement européen. Quelle conclusion en tirez-vous ? - Anders Fogh Rasmussen est venu deux fois en trois mois devant la parlement européen, plus que Catherine Ashton. Cela montre que la relation UE-OTAN et l’articulation entre ces deux organisations lui importe. En résumé, le secrétaire général de l’OTAN est venu nous dire : « concentrez-vous sur les moyens civils et nous nous concentrerons sur les moyens militaires. Et coopérons quand nous avons besoin des deux ». Reste que la coopération OTAN-UE bute toujours sur le problème de la Turquie et de Chypre. Par ailleurs, cette manière de présenter la complémentarité UE-OTAN me semble quelque peu pernicieuse. Dans l’esprit de beaucoup de mes collègues, notamment les britanniques, l’Europe de la Défense est toujours NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 suspecte de compétition et de duplication de l’OTAN. A mon sens, il s'agit vraiment d'un faux débat, ou en tout cas d'un débat exagéré et posé en des termes biaisés. Il n'y a et ne peut y avoir ni compétition, ni duplication. Aucun des Etats membres de l'UE et de l'OTAN n'a deux armées, une armée de l’OTAN et une armée de l’UE ! Il ne me semble pas pertinent que l’OTAN développe en son sein des composantes civiles, ce n'est pas sa vocation. Et je considère politiquement dangereux une forme de stricte complémentarité dans laquelle l’Union européenne serait finalement confinée dans un rôle de supplétif civil de l’OTAN, en cas de besoin. L’UE et l’OTAN sont deux organisations différentes qui peuvent avoir des ambitions et des théâtres d’opérations différents. Que se passerait-t-il en cas de crise sur un théâtre où l’OTAN ne peut pas ou ne veut pas aller et qui exigerait une réponse militaire de l’Union européenne ? Ou en cas de crise civile où l’UE doit se déployer de façon autonome, comme par exemple en Géorgie ? En Afrique, nous avons un certain nombre de défis qui demandent des réponses européennes. Le Sahel, avec les prises d’otages, le trafic de drogue et d’armes, les migrations clandestines et le terrorisme, est une zone de sécurité prioritaire pour l’Europe, de même que la Somalie ou le Soudan, aujourd’hui géré par une sorte de condominium sino-américain. Nicolas Sarkozy propose un accord de sécurité avec la Russie. Qu’en pensez-vous ? - L’Allemagne a engagé le mouvement lors du sommet UE-Russie en souhaitant la mise en place d’un comité UE-Russie qui discuterait de coopérations en matière de sécurité et la possibilité pour la Russie de participer à des opérations européennes comme elle l’a déjà fait au Tchad. L’ambition de Nicolas Sarkozy est d’aller plus loin dans le débat sur l’architecture de sécurité. Ceci est nécessaire, nous ne sommes plus au temps de la guerre froide, les défis stratégiques ont radicalement changé, et nous avons besoin de savoir comment nous travaillons avec la Russie. Il faut toutefois, pour avoir un vrai dialogue pouvant déboucher sur un vrai partenariat, lever des ambigüités traditionnelles, comme le risque de découplage stratégique par rapport aux Etats-Unis. L’administration Obama, qui est un peu suspicieuse quant a ce dialogue UE-Russie, a aussi sa part de responsabilité quand elle nous fait comprendre, parfois maladroitement, comme lors du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, que l’Europe n’est plus un enjeu majeur en termes de sécurité. Derrière ces discussions, n’y a-t-il pas aussi des perspectives de contrats avec une Russie riche en gaz et en pétrole ? - Je ne trouve pas choquant d’avoir des relations de partenariat avec un pays qui, aux frontières directes de l'Europe, pèse lourd dans des secteurs stratégiques, matières premières et énergie. Mais un partenariat ne s'établit naturellement pas à n’importe quel prix, pas à n’importe quelle condition. Y compris en vendant des Mistral ? - Il faut ramener cette question à sa juste mesure. Je comprends les interrogations légitimes de nos amis de la Baltique. Mais le Mistral ne servira pas à une opération contre la Suède ou la Pologne ! Cessons de nous faire peur. La France ne vendra pas un navire de guerre doté de systèmes d'armements sophistiqués. A travers ce dossier, nous pouvons aussi mettre beaucoup de choses sur la table. Il faut dépasser une logique de guerre froide et que les Russes consolident aussi une nouvelle orientation, plus coopérative, en se comportant vraiment en partenaires et pas seulement dans le but tactique d’engranger des gains à court terme. Nous devons, bien sûr, être vigilants et exigeants. Recueilli par François d’Alançon de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 34 Les conséquences des coupes budgétaires sur l’industrie européenne de l’armement Les nouveaux défis Patrice Lefort-Lavauzelle Si l’impact de l’après-crise financière et de l’état des finances publiques sur le marché de l’armement sont aujourd’hui perceptibles, celles-ci sont néanmoins encore limitées. Depuis le début des années 2000, les dépenses militaires augmentent régulièrement partout dans le monde, sauf en Europe occidentale. Les dépenses militaires s’élèvent aujourd’hui à environ 1.101 milliards d’euros, affichant ainsi une augmentation de 6 % par rapport à l’année précédente et de 49 % depuis le début de la décennie. Stabilisé autour de 55 milliards d’euros ces dix dernières années, le volume global des exportations mondiales d’armement a atteint 70 milliards d’euros en 2008, ce qui représente moins de 7 % des dépenses militaires mondiales. Dassault aviation En pleine crise une hausse des ventes Cette hausse résulte du cycle d’acquisition de matériels neufs, à forte valeur ajoutée. Le marché de l’occasion, qui s’était développé avec l’offre des matériels relativement rustiques et vendus à bas prix, est aujourd’hui moins dynamique que le marché de la rénovation (MCO) et de la modernisation. Le marché des matériels neufs est lui stimulé par la rapidité du progrès technologique, qui accélère l’obsolescence des équipements et, par l’évolution de la nature des conflits, qui met moins l’accent sur les moyens aéroterrestres lourds (chars, hélicoptères d’attaque…) destinés à des combats de haute intensité que sur des matériels très mobiles et aérotransportables. À l’avenir, il est certain que les contraintes budgétaires vont peser durablement sur les budgets de défense dans de nombreux pays industrialisés et notamment en Europe. La crise économique fait sentir dès à présent ses effets : en 2009, la croissance de l’économie mondiale a été négative, une première depuis 1945. Les États recher- chent donc les économies budgétaires et le secteur de la Défense est souvent l’un des premiers touchés. Les pays clients ou clients potentiels, notamment en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient, conservent une croissance économique dynamique, mais devront davantage arbitrer entre dépenses militaires et civiles. Dans ce contexte de crise, et d’une manière un peu paradoxale, face à une insécurité accrue, la crise peut aussi inciter certains pays à renforcer leurs efforts d’équipement afin de prendre une part plus active dans la gestion des affaires régionales voire internationales. Dans le domaine des exportations, le marché est dominé par un nombre restreint de pays. Ainsi, ceux qui possèdent une solide base industrielle et technologique de défense (BITD) représentent l’essentiel de l’offre de matériels neufs. Sur la décennie 2000-2009, les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et Israël se sont partagé 90 % du marché. Concurrence au couteau La concurrence entre grands pays exportateurs est extrême. Les concurrents traditionnels de la France (États-Unis, Grande-Bretagne, Russie et Israël) exercent une pression continue, pression amplifiée par la concurrence de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et de la Suède. Ces concurrents « traditionnels » s’appuient sur un marché intérieur dynaGrand dossier mique, qui démontre la corrélation entre l’importance des dépenses militaires et le 35 dynamisme du secteur de l’armement. Ainsi, les États-Unis représentent plus de 40 % des dépenses militaires mondiales et offre donc un marché domestique gigantesque. L’Europe, en revanche, est une zone de faible croissance des dépenses militaires, les pays de l’Union européenne affectant en moyenne 1,3 % de leur PIB à la défense, contre 4 % aux États-Unis. L’investissement de défense est ainsi de 166 milliards d’euros aux États-Unis contre 40 milliards d’euros en Europe. La France, quant à elle, avec un engagement record de 20,9 milliards d’euros a doublé ses investissements, deveLes avions de combat ont constitué un tiers des transferts mondiaux de gros armement au cours des cinq dernières années. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 35 Armées européennes dans la crise nant ainsi le premier contributeur en Europe. On observe également un lien somme toute logique mais sur le long terme entre le niveau des investissements en recherche et technologie (R&T) et les positions acquises sur le marché des exportations d’armement. Ainsi, la France et la Grande-Bretagne, les deux premiers exportateurs européens, sont aussi les deux premiers investisseurs en R&T de défense, sachant que la France a, de plus, bénéficié de l’action du plan de relance mise en place par le ministère de la Défense. En termes de débouché, le nombre des pays importateurs d’armement demeure finalement très limité. Les quinze premiers pays importateurs représentent ainsi 50 % des acquisitions. Trois grandes zones géographiques se répartissent l’essentiel des importations d’armement : le Maghreb - Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie. En 2009, l’Arabie saoudite, l’Inde et les Émirats arabes unis restent en tête des importateurs mondiaux et assurent à eux seuls le tiers des importations mondiales. Enfin, l’Amérique latine, avec notamment le Brésil et le Venezuela, exprime un besoin croissant de modernisation de ses équipements. Après les effets de différents contrats passés ces deux dernières années et des mesures de soutien des activités industrielles mises en place par certains gouvernements, l’avenir des industriels du secteur de l’armement européen se joue principalement sur trois fronts : celui du regroupement pour atteindre une véritable taille critique (23 programmes nationaux d’acquisition de blindés en 2005…) celui de l’export et celui de l’innovation, même si dans ce dernier cas de plus en plus de clients préfèrent des achats moins onéreux de solutions « sur étagère ». Nous sommes sans nul doute à l’aube d’une période de défis qui, à quelque chose malheur et bon, devrait permettre un nouveau départ et, qui sait, une véritable coopération européenne. L’indispensable coopération franco-britannique La France et la Grande-Bretagne ont des données essentielles en commun : même perception de la menace, un budget de défense tout à fait comparable, des capacités militaires similaires, la même appartenance à l’OTAN, au Conseil de sécurité des Nations-Unies et à l’UE. En Europe, les deux pays représentent 40 % du budget de la défense, presque 50 % du budget de l’équipement des forces et 2/3 des dépenses dans le domaine de la recherche. De plus, les obstacles traditionnels à la coopération franco-britannique sont tombés : la « special relationship » entre la GrandeBretagne et l’Amérique a vécu car la logique OTAN/Europe issue de la guerre froide n’est plus et les priorités américaines s’étant déplacées vers l’Asie. D’autre part, en réintégrant la structure militaire intégrée de l’Alliance et en prenant ses distances vis à vis d’un partenaire allemand divergent sur les questions de défense, la France a clarifié ses choix stratégiques. Une nouvelle réalité géopolitique met ainsi un terme au fameux “paradigme de Suez” l’atlantisme britannique s’opposant à l’indépendance française. A priori, plusieurs voies sont possibles dans le domaine de la coopération en matière d’armement : missile anti-navires, drones, accès des britanniques au programme MUSIS (Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation). D’autres secteurs beaucoup plus sensibles peuvent également être envisagés, comme le successeur de l’Eurofighter et du Rafale, où, à plus court terme, une coopération autour de la maintenance des têtes nucléaires. Cette coopération pourrait porter sur le devenir des 160 têtes nucléaires britanniques qui bénéficieraient de la technologie française développée par le CEA. Agence européenne de Défense et coopération Créée le 12 juillet 2004, l’Agence est établie à Bruxelles. 26 des 27 Etats membres de l’UE, à l’exception du Danemark, participent aux activités de l’AED. L'Agence agit sous le contrôle politique du Conseil de l’UE. Les activités de l’AED sont structurées autour de quatre secteurs : Capacités, Recherche et technologie, Grand dossier Armement et Industrie et Marché. 36 En vertu de l’article 45 du traité de Lisbonne, les missions principales de l’AED sont les suivantes : - Contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres et à évaluer le respect des engagements de capacités souscrits par les États membres. - Promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles. - Proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires et d'assurer la coordination des programmes exécutés par les États membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques. - Soutenir la recherche en matière de technologie de défense, coordonner et planifier des activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs. - Contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires. Le défi majeur auquel doit faire face l'Agence est de devenir une pépinière des programmes d'armement, réalisés en coopération européenne, afin de mettre à la disposition des forces armées européennes des équipements interopérables et correspondants à leur besoin opérationnel. Dans cette perspective, la France est intéressée par de nombreux thèmes de coopération en particulier dans les domaines de l'espace, de la surveillance maritime, du déminage maritime, du transport stratégique, des drones et des communications. De plus, un rapprochement entre l'AED et l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) est à l’étude. En effet, l'OCCAR a développé un savoir-faire reconnu dans la conduite de programmes d'armement. Il est donc envisagé de mettre l'OCCAR à la disposition des Etats membres et de l'AED pour conduire de nouveaux programmes d'armement établis en coopération dans le cadre de l'Agence. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 36 AILLEURS DANS LE MONDE Pékin affiche ses ambitions Daniel Schaeffer Les fonds consacrés à la Défense sont passés de 12 à 70 milliards de dollars entre 1999 et 2009 manque à gagner par une augmentation substantielle du budget annuel octroyé à la défense. A cause de ses immenses réserves de change, de son dynamisme économique, de la gestion très centralisée et autoritaire de son économie, la Chine n’a guère subi les effets de la crise économique auquel le monde entier se trouve confronté depuis 2008. Par voie de conséquence le budget de la défense chinoise ne s’en trouve guère affecté. Le chiffre officiel qui en est publié cette année 2010 s’élève à 77,95 milliards de dollars, soit une augmentation de 7,4 % par rapport à 2009, ce qui représente 1,4 % du PIB national. Plusieurs instituts internationaux, et pas seulement américains, émettent des doutes sur l’authenticité de ce budget qui, en réalité et à l’analyse de la concrétisation de la politique d’équipement en cours, estiment qu’une part des fonds consacrés aux équipements vient d’une allocation complémentaire détenue ailleurs, vraisemblablement par la Commission militaire centrale. Avec l’ensemble de ces fonds, la Chine couvre toutes ses dépenses de fonctionnement et d’équipement avec un accent porté, depuis 1982, sur le développement de la marine et de l’armée de l’air. La sécurité de la Chine étant assurée face aux anciennes républiques socialistes soviétiques depuis le milieu des années 1990, Pékin a pour ambition de faire valoir ses prétentions en mer ( mer de Chine de l’Est et du Sud) et sur Taiwan sous le couvert d’une stratégie de défense navale de l’avant visant à définir, dans la profondeur, deux lignes de défense : une ligne verte, qui joint le Sud du Japon au Nord de Bornéo et qui englobe Taiwan ; une ligne bleue qui court des îles Kouriles à la Papouasie en s’appuyant largement sur l’arc des Mariannes . La posture de mise en garde contre les Etats-Unis procède de cette stratégie. Ce qui justifie autant de sollicitations budgétaires Grand dossier auprès des instances nationales. Lorsque Deng Xiaoping lance en 1979 le programme des quatre modernisations - agriculture, industrie, sciences et technologie, défense - la défense est au quatrième poste. Cette dernière a beaucoup bénéficié et bénéficie encore aujourd’hui du prodigieux développement que connaissent l’industrie, les sciences et la technologie chinoises, un développement généreusement aidé par l’Occident et la Russie tant hier qu’aujourd’hui encore, même si, petit à petit, la Chine prend de l’autonomie, y compris dans certains domaines les plus avancés tels que le spatial. Au bout de plus de quinze ans d’efforts accomplis depuis 1979, les progrès réalisés ont permis à la Chine de commencer à s’imposer sur le marché international, y compris dans le domaine des armements. Ce développement mercantile s’est accompagné, à partir de 1993, date à laquelle la Chine est devenue importatrice de pétrole, d’une capacité offensive d’investissements à l’étranger. Grâce à cette activité, la Chine a engrangé des bénéfices conséquents qui lui permettent d’accumuler aujourd’hui 2 274,4 milliards de dollars en réserves de change, dont 298 ont été transformés en fonds souverains, avec toutes les capacités de pénétration économique qu’offre un tel fonds. Autant dire que la Chine ne rencontre aucun problème pour financer sa défense et lui accorder annuellement des fonds qui se sont multipliées par 6 entre 1999 et 2009, soit, en l’espace de 10 ans, passés de 12 à 70,3 milliards de dollars. Notons que, jusqu’à la fin des années 1990, l’Armée populaire de libération (APL) devait contribuer à l’effort économique national en participant elle-même à des activités à caractère civil. C’est la raison pour laquelle, s’appuyant sur les ressources dont disposait le parc industriel de défense, parc se modernisant lui aussi au rythme des autres secteurs de l’économie, tout un pan de l’industrie militaire chinoise a contribué à l’enrichissement du pays. Une part conséquente des bénéfices retirés venait compléter le budget accordé et permettait à l’APL de se procurer à l’étranger du matériel sur étagère, des hautes technologies, des savoir-faire et des équipements, et de faire ainsi progresser son industrie de défense, y compris dans le domaine de la recherche et du développement. Photo DR A partir de 1998, le premier ministre de l’époque, Zhu Rongji, exige que les militaires abandonnent la partie économique de leurs activités pour ne plus se consacrer qu’à leur métier. L’industrie de défense est extraite de l’orbite de la Commission militaire centrale, réel ministère chinois de la défense, pour la faire basculer sous la houlette du gouvernement, le Conseil d’Etat. La Commission des sciences et de la technologie de défense (COSTIND), véritable ministère de l’industrie de défense, passe du domaine militaire au domaine civil. A cause de cette réforme, les militaires perdent une capacité substantielle de financement de leurs acquisitions, acquisitions provenant autant de leurs propres arsenaux que de l’étranger, essentiellement de la Russie qui couvre 90 % des achats extérieurs chinois. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Zhu Rongji s’engage à compenser le 37 La Chine ne rencontre aucun problème pour financer ses dépenses militaires Général (2s) Daniel Schaeffer NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 37 Armées européennes dans la crise AILLEURS DANS LE MONDE Une réforme des armées ambitieuse mais incertaine Julien Nocetti Anaj58- Philippe Pelé Clamour AA59 Photo Marine Nationale/Paul David Cottais Dans un environnement géostratégique traversé par des mutations profondes, Moscou professionnalise et mutualise son outil de défense Grand dossier 38 Le “Pierre le Grand” le plus grand croiseur du monde battant pavillon russe, est escorté par la frégate française Latouche-Tréville aux approches de Brest. Le retour démonstratif de l’armée russe sur la scène internationale a des visées commerciales évidentes. Avec une situation économique stable, un endettement public pratiquement inexistant, un fond de réserve reconstitué et un baril à 70 dollars, la Russie est dans une situation favorable au regard des pays européens. Confortée par sa rente énergétique, elle prend conscience de sa richesse économique, qu’elle n’hésite pas à convertir en besoins militaires, au détriment du facteur sociétal et du besoin en infrastructures . Cependant, la professionnalisation et la mutualisation des forces armées en cours posent un double problème : l’optimisation des ressources et la mise en condition opérationnelle. La réforme de la structure de l'armée et de son matériel NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 n'est pas sans heurts. Si les dépenses militaires sont en inflation constante depuis 2000 (+ 100 % entre 2000 et 2008 ), l'ambitieuse entreprise du ministre Serdioukov se heurte au fort conservatisme des hauts gradés, à un système de formation des cadres militaires archaïque et aux difficultés de recrutement, en particulier dans la troupe. Aussi, qu’adviendra-t-il de la reconversion des militaires qui auront fait les frais de la rationalisation ? Si le « surplus » de forces vient à être basculé vers les gardes frontières, par exemple, on ne peut que s’interroger sur leur déploiement et le sentiment de menace que cela engendrera chez les voisins de la Russie. La réorganisa- de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 38 tion des districts militaires, qui sera achevée d'ici la prochaine mandature, devra faire ses preuves en termes opérationnels. Il est aussi pertinent de s’interroger sur les zones sécuritaires qui seront privilégiées par le haut commandement. L’OTAN, un épouvantail qui n’effraie plus Longuement attendue, la doctrine militaire publiée en février 2010 n’augure pas de changements majeurs. Le seul objectif de ce texte est de préserver le haut commandement d’éventuelles critiques sur son absence de vision stratégique et d’étouffer le débat public . La place de l’OTAN dans cette doctrine, largement médiatisée en Occident, recule en réalité du rang de menace à celui de risque. Pour l’administration américaine, soulignons qu’il est pertinent de regrouper les affaires européennes et eurasiatiques. Cette politique souligne leur volonté de « dé-continentaliser » à terme la Russie et de l’associer plus étroitement aux affaires atlantiques. Pourtant, s’il est prématuré de parler de rapprochement avec l’OTAN, cette éventualité ne peut être rejetée. Les relations de la Russie avec l'Alliance restent empreintes d’une grande défiance. Mais une relation apaisée entre les deux anciens rivaux dans le cadre d'un accord d'association verrait certainement la Chine déployer une politique étrangère nettement moins favorable envers la Russie, en particulier en Sibérie et dans le Pacifique. A cet égard, une question-clé sera de savoir si Moscou réussit ou non à établir une coopération stratégique à longterme avec Washington . L'Arctique, futur point chaud La « Stratégie de sécurité nationale pour 2020 » a ajouté le Grand Nord au rang de ses priorités, l’identifiant comme un lieu de potentiel conflit militaire, notamment en raison de son abondance en ressources énergétiques (13 % du pétrole et 30 % du gaz non découverts dans le monde). Le président Medvedev a ainsi identifié l'Arctique à l'héritage national [russe]. Certains pays, experts et médias ont dépeint les manœuvres russes dans la région comme agressives, se focalisant sur l'aspect militaire de la politique russe dans l'Arctique . En réalité, l'approche de Moscou vis-à-vis du Grand Nord est plus complexe et multidimensionnelle. Elle reflète tant les nombreux intérêts de la Russie dans la région que l'influence de facteurs inhérents à la politique étrangère russe . En avril 2009, le secrétaire général du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev, a déclaré que son pays ne participerait pas à la militarisation de l’Arctique, préférant axer sa stratégie sur le développement économique de la région à l’horizon 2020. Celui-ci sera facilité par l'accessibilité de nouvelles voies maritimes à partir de 2015, en particulier le passage du Nord-Ouest (souveraineté défendue par le Canada) et la voie maritime du nord (souveraineté défendue par la Russie). Pourtant, ces déclarations ne doivent pas occulter la réalité des convoitises. Le commandant en chef de la Marine russe, l'Amiral Vyssotsky, s’est ainsi récemment alarmé en public des ambitions arctiques de la Chine. Kamtchatka, l’autre dans la région de Vladivostok. Il est ainsi envisageable que la base de Vladivostok soit renforcée pour répondre à la donne stratégique régionale. Les forces sous- marines sont dorénavant regroupées en un seul commandement qui incorpore les SNLE et les SNA au sein des flottes du Nord et du Pacifique. Au cœur du dispositif de dissuasion, elles bénéficieront d’un important programme de rénovation et de mise en condition opérationnelle. Mais la principale ambition est l’annonce de la construction de six porteavions nucléaires de 75 000 tonnes. La mise en chantier d’un premier bâtiment est prévue en 2012-2013 et la mise en service en 2020. La réussite d’un tel programme doit être confirmée mais reste plausible. Même réduit de moitié, il permettrait une capacité de projection de forces maritimes et aériennes sur tous les océans. Outre la portée symbolique, il s’agit d’un défi industriel et technologique que la Russie doit pouvoir démontrer. Enfin, dans une autre dimension, les forces spatiales vont réaffirmer les deux piliers de leurs actions : la lutte anti-missiles et la collecte d’information. Avec une centaine de satellites opérationnels dont une soixantaine à usage militaire, la Russie entend conserver la deuxième place derrière les Etats-Unis. L'armée, une vitrine commerciale sur le déclin La publicité faite au plus haut niveau de l'Etat aux dépenses militaires et aux matériels de guerre témoigne de la volonté des dirigeants russes d'afficher une image positive de leur industrie de défense. En plus du retour des grandes parades de type soviétique, l'exposition médiatisée de la reprise des vols de bombardiers, du retour de la Marine russe sur tous les océans et les exercices militaires de grande ampleur participent à l'affichage d'une posture certes stratégique, mais aux visées commerciales évidentes . Le message est clairement adressé aux marchés internationaux de l'armement. La Russie conserve le deuxième rang mondial pour les exportations d'armes – certes loin derrière les Etats-Unis. Ce besoin de remplir les carnets de commande se fait d'autant plus criant que l'industrie de défense russe a été durement touchée par la crise économique. Elle se maintient à flot grâce aux subsides de l'Etat et à la signature de contrats sur des marchés le plus souvent captifs où les firmes russes fournissent des modernisations d'anciens équipements soviétiques. En l'absence d'une restructuration en profondeur, les parts de marché de la Russie à l'international se réduiront et les forces armées russes resteront sous-équipées, au risque d'affaiblir les Grand dossier capacités de défense de la Fédération. 39 1/ J. Nocetti et P. Pelé-Clamour, « Russie : crise structurelle », Défense n° 142, nov.-déc. 2009, p. 40-41 2/ Le budget de la défense est passé de 19,1 milliards de dollars en 2000 à 38,2 milliards de dollars en 2008 (dollars constants 2005). Source : base de données du SIPRI. 3/ P. Baev, « Military Reform Against Heavy Odds », in A. Aslund, S. Guriev, La marine d’abord En octobre 2010, la commission de la défense de la Douma a publié, pour la première fois depuis 2005, les budgets de dépenses dans la défense. L’achat et la maintenance des armements se chiffreront à 12,7 milliards de dollars en 2010, pour atteindre 32,7 milliards de dollars en 2013 . A cette date, le ministère de la Défense consacrera 70 % du total des dépenses à l’achat de nouvelles armes. La modernisation de la Marine est au centre du discours officiel et des programmes de développement. Medvedev a assisté au lancement de la 4ème génération de SNLE en juin 2010. Si le bail de Sébastopol a été prolongé jusqu’en 2042, c’est surtout en direction du Pacifique que l’analyse doit se porter. La flotte y est partagée en deux groupements distincts pratiquement sans lien opérationnel, l’un au A. Kuchins (dir.), Russia After the Global Economic Crisis, Peterson Institute for International Economics, 2010, p. 174 4/ B. Lo, « How the Chinese See Russia », Ifri, publication à venir. 5/ « US Strategic Interests in the Arctic », CSIS, avril 2010 6/ O. Alexandrov, « Labyrinths of the Arctic Policy », Russia in Global Affairs, juil.-sept. 2009 7/ Douma.gov.ru, 12 octobre 2010 8/ R. McDermott, « Les forces armées russes: le pouvoir de l'illusion », Ifri, Russie.Nei.Visions n° 37, mars 2009 NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 39 Armées européennes dans la crise AILLEURS DANS LE MONDE Inde : un budget en rapport avec les menaces internes et régionales Alain Lamballe L’Inde consacre moins de 3 % de son PIB à la défense En considérant cette situation sécuritaire, interne et régionale, et compte tenu du niveau économique du pays, le budget de la défense indien ne paraît pas démesuré. Il augmente de 4 % au cours de l’année financière en cours (1er avril 2010-31 mars 2011) pour s’élever à 40 milliards de dollars, soit moins de 3 % de son Produit Intérieur Brut. Si l’on inclut les dépenses relatives à la sécurité au sens large faites par le ministère de l’intérieur, le département de l’énergie atomique et les organismes chargés de l’espace, il représente 20 % du budget de l’Etat. En comparaison, le Pakistan consacre près de 5 % de son PIB à la défense, soit 6 milliards de dollars. Certes ce pays fait face lui aussi à des menaces internes et externes, en l’occurrence l’Inde. Une attaque indienne ne paraît pourtant vraiGrand dossier semblable que dans le cas où un attentat 40 majeur, attribué au Pakistan, ou pire une série d’attentats meurtriers d’essence islamique auraient lieu en Inde. Des risques de guerre ont existé en 2001 après des attentats meurtriers aux parlements de Srinagar et de New Delhi et plus récemment en 2007, après ceux qui ont frappé la gare centrale et divers établissements hôteliers de Mumbai. Rien ne prouve que le budget de la défense indien sera suffisant pour permettre la modernisation des équipements des forces armées à grande échelle. L’Inde fabrique elle-même certains systèmes d’armes, notamment des navires de guerre, y compris un porte-aéronefs (dans le chantier naval de Kochi) ainsi que des missiles stratégiques Agni. Mais, elle est encore incapable de fabriquer tous les équipements sophistiqués dont elle souhaite doter ses forces armées. Elle fait donc appel à l’étranger mais impose des contraintes sévères en matière de transfert de technologie et de compensations industrielles, ces dernières devant se faire impérativement dans le domaine de la défense. La Russie et l’Inde ont mis au point un missile de croisière supersonique d’une portée de 290 kilomètres, le Brahmos (contraction des noms de cours d’eau, Brahmapoutre et Moskova). La Russie est fournisseur traditionnel NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 pour les trois armées. L’armée de terre bénéficie de la production sous licence des chars T 90. Divers achats sont envisagés pour l’armée de l’air, notamment 300 chasseurs Sukhoi furtifs de la cinquième génération qui seront mis au point en commun et des avions de transport polyvalents. L’Ukraine fournit des appareils de transport An 32 modernisés. Israël fournira 18 missiles sol-air Spyder. Les pays occidentaux sont sollicités dans le domaine de la haute technologie. Ils sont en compétition entre eux (F 16 et F 18 américains, Eurofighter, Gripen et Rafale) et avec la Russie (Mig 35) pour fournir à l’armée de l’air indienne 126 avions de combat polyvalents. Les Etats-Unis proposent des avions de transport C-17 Globemaster pour remplacer les appareils russes vieillissants Il-76. Plusieurs pays Photo volée du sous-marin Sindhuraj livré neuf en 1986 par l’union soviétique. La Russie est restée un fournisseur traditionnel pour les trois armées indiennes Photo J.P.F. L’Inde doit faire face à de multiples insurrections, islamique et nationaliste au Cachemire, maoïste dans le centre, indépendantistes dans le Nord-Est. Elle doit défendre 15 000 kilomètres de frontières terrestres et 7 500 kilomètres de frontières maritimes, en incluant les archipels de Laquedives, des Andamans et Nicobar. Ses voisins lui sont le plus souvent hostiles, tout particulièrement le Pakistan et la Chine, celle-ci possédant des moyens sans commune mesure avec les siens. Le Népal où les maoïstes constituent une force considérable passe sous la coupe de la Chine. européens et les Etats-Unis répondent à un appel d’offres de près de 200 hélicoptères pour l’armée de terre et l’armée de l’air. La marine a signé un contrat avec les américains pour l’acquisition d’avions de patrouille maritime à long rayon d’action. Elle va obtenir un porteavions russe, en cours de modernisation, le Vikramaditya (exGorshkov). La France a vendu des sous-marins Scorpène en accordant une licence de fabrication au bénéfice du chantier naval de Mumbai. Des coopérations avec des pays émergés, comme avec la Corée du Sud, sont vivement recherchées. Dans le domaine des infrastructures, l’Inde modernise les bases aériennes et navales et construit une importante base navale sur la côte occidentale, à Karwar. Des efforts devront être faits pour mieux utiliser les ressources financières disponibles. Une meilleure planification s’impose. En effet, dans le passé, le ministère a dû reverser des sommes non négligeables par manque d’exécution de programmes de fabrication. Général (CR) de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 40 Industrie/Armement La péninsule coréenne : un chaudron de sorcières... Patrick Michon SN31 CHEAr La Dynastie des Kim (Kim Il Sung, Kim Jong Il, Kim Jong Un ?) se perpétue en Corée du Nord depuis 1945. Certains analystes estiment que l’incident naval ayant entraîné le naufrage de la corvette de la marine sud-coréenne « Cheonan» le 26 mars 2010 serait le résultat de la lutte des clans pour le pouvoir à Pyongyang. Le tempo de la succession du « Cher Leader » Kim Jong Il est rythmé par la dégradation rapide de son état de santé, de plusieurs pathologies graves (attaque cérébrale, diabète, cancer du pancréas ?) Notre visite virtuelle est consacrée à la péninsule Coréenne, dans laquelle les bruits de bottes et les clameurs guerrières s’amplifient depuis le début de l’année. Le naufrage de cette corvette sud-coréenne « Cheonan» a-t-il été causé par une action hostile de la Corée du Nord ? C’est la conclusion d’une commission d’enquête sous influence américaine. Cette conclusion est cependant contestée par d’autres experts, qui évoquent l’explosion d’une mine sous-marine oubliée depuis la Guerre de Corée, ou appartenant à un champ de mines défensif en activité. Pyongyang se défend de toute responsabilité dans ce naufrage et menace ses adversaires d'une «guerre sacrée de représailles». La relance du programme d’armement nucléaire de la Corée du Nord augmente encore la tension intercoréenne, tout comme les manœuvres navales conjointes USA-Corée du Sud. Un conflit ouvert impliquerait indirectement la République Populaire de Chine qui ne pourrait accepter que sa frontière sur le fleuve Yalu avec la Corée du Nord soit sous l’influence des USA. Si le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan est bien dû à un torpillage, l’arme du « crime » pourrait avoir été l’un des 32 sousmarins de poche du type Sang-O, en service par la marine de la Corée du Nord. Dérivés des Heroj yougoslaves, ces bâtiments de 35.5 mètres et 320 tonnes de déplacement en plongée peuvent embarquer 4 torpilles. Ce pays dispose aussi d’une trentaine de submersibles du type Yugo (20 mètres, 110 tonnes), qui sont destinés au transport de forces spéciales, avec une capacité d'embarquement de 7 commandos. Nous allons examiner uniquement les capacités de l’Industrie de Défense de la République de Corée (Corée du Sud). En contrepartie, il est quasi-impossible d’avoir une bonne connaissance des capacités de son homologue de la République Populaire Démocratique de Corée, seule une estimation des exportations de celle-ci à destination d’états « voyous » est possible. Sous-marin de poche Nord-coréen Enquête 41 Comparaison entre le Nord et le Sud Corée du Sud Corée du Nord Superficie 99.000 Km² 120.000 Km² Population 48 Millions 23 Millions PIB 860 Giga US$ 30 Giga US$ ? PIB/hab. 17 800 US$ 1 300 US$ ? Défense 20 Giga US$ 5 Giga US$ ? Effectifs Militaires 500 000 1 150 000 ? Avions 400 400 ? Chars 1000 + 4 000 ? Artillerie 3 000 3 500 ? Frégates 18 3? Sous-marins 19 + 7 mini 29 + 75 mini, Patrouilleurs 80 350 ? Armes NBC Non Oui ? IRBM Non Oui ? NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Industrie/Armement Cet essai de synthèse présente essentiellement les capacités de l’Industrie de Défense de la République de Corée (ROK, également appelée Corée du sud). La comparaison ci dessus ne met pas en évidence les écarts technologiques entre les équipements du Sud, ultramodernes et aux standards US, et les matériels en service au Nord, qui accusent un retard de 2 à 3 générations d’armes. La Corée du sud et ses voisins La Corée du Sud est 25 fois moins peuplée que la Chine, et pèse économiquement 10 fois moins que le Japon. La péninsule de Corée est au confluent de 3 pays, la Russie dont la puissance fait pâle figure par rapport à celle de la défunte URSS, la Chine dont la progression semble irrésistible et le Japon avec lequel un antagonisme historique demeure vivace. Deux autres acteurs sont incontournables pour comprendre la politique intérieure de la Corée du Sud : évidemment la Corée du Nord, dernier régime stalino-ubuesque de la planète, et les USA, dont l’omniprésence est supposée dissuader le Nord à renouveler l’agression de 1950. Pour les USA, la Corée du sud est un pion important, à proximité de la Chine. Ils peuvent contrer l’influence économique et donc politique de celle-ci autour de la Mer Jaune et pourraient le cas échéant susciter une agitation opportune. Les relations avec le Japon ont été, sont et resteront mauvaises ! Les invasions japonaises du 16ème siècle et Enquête 42 l’occupation féroce au cours de la pre¬mière moitié du 20ème siècle ont provoqué un violent traumatisme collectif qui peut être comparé à l’antagonisme Grèce – Turquie ou Turquie - Arménie. Tous les Coréens, du Nord comme du Sud, reprochent aux Japonais les livres scolaires faisant état des bienfaits de la colonisation en Corée, et les visites régulières des Premiers Ministres japonais au temple shintoïste qui commémore les morts de l’Armée Impériale pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une importante communauté de près d’un million de Coréens vit actuellement au Japon. Il s’agit des descendants des travailleurs forcés des années 1930. La loyauté de cette communauté balance entre le Japon, la Corée du Nord et la Corée du Sud. Les deux Corées se plaignent de discriminations et de mauvais traitements infligés à leurs concitoyens. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 11:09 Page 41 Les disputes portent même sur la dénomination sur les cartes marines de la mer entre le Japon et la Corée. Des îlots dans les détroits sont l’objet de litiges territoriaux. La dernière en date de ces disputes concerne les îles de Dok, Dokdo en coréen, ou Takeshima, en japonais. Ce gros rocher volcanique ne présente pas d’intérêt, mais augmente considérablement la zone économique exclusive de l’état qui le contrôle, le secteur pouvant intégrer des ressources gazières et pétrolières. l’histoire. Le bateau-tortue (Kòbuk-Sòn) est le premier cuirassé de haute-mer de l'histoire navale. Navire à voile lorsqu'il naviguait, le bateau-tortue escamotait ses mats lors des combats et marchait alors à la rame. Très manœuvrable et bien dessiné, il était Relations Corée du Sud - USA Les deux pays sont liés par un traité de défense mutuelle depuis la fin de la Guerre de Corée. Les USA ont actuellement un contingent de 37 000 hommes en Corée, et une attaque du Nord contre le Sud serait automatiquement considérée comme une agression vis à vis des USA. Le rôle des troupes US est aussi d’éviter une attitude trop aventuriste du Sud vis à vis du Nord, y compris de bloquer des tentatives du Sud de développer des armes nucléaires. Ce traité correspond à un quasi protectorat, en cas de crise, les forces conjointes étant placées sous commandement US. Il est également un frein dans les choix sud-coréen d’acquisition et de doctrine d’emploi des forces. La plupart des armements proviennent des Etats Unis, le choix final du chasseur F-15 au détriment du Rafale français se comprenant alors facilement. Les bateaux tortues de l’Amiral Yi très rapide, ce qui lui donnait un avantage immédiat sur les lourds et maladroits navires japonais. Il était armé de douze pièces d'artillerie, faisant feu par des sabords ouverts dans la cuirasse, et vingtdeux meurtrières permettaient la mise en œuvre de mousquets, fusées et flèches à feu. Cette innovation navale permit à l’amiral Yi Sun-sin de vaincre l’envahisseur japonais à la bataille de No-Ryang en 1598. Ayant sauvé deux fois son pays au cours de cette guerre, Yi Sun-sin est considéré en Corée comme un héros national à l'égal d'une Jeanne d'Arc ou d'un Amiral Nelson. Relations avec la Chine Populaire Les relations entre les deux pays restent prudentes sur le plan politique, même si les échanges économiques s’accélèrent, la Chine étant le premier partenaire commercial de la Corée. La Corée voit dans la Chine un modérateur des ambitions et des foucades de la Corée du Nord, et un intermédiaire dans les relations Pyongyang – Washington. Structure de l'Industrie de Défense de la Corée du Sud L’industrie d’armement coréenne est dès à présent développée et puissante. Elle est le résultat d’une politique volontariste constante de tous les gouvernements depuis 1976, qui s ‘appuie sur les agences gouvernementales ADD (organisme de recherche), et DAPA (similaire à la DGA française). Les principaux industriels coréens dans le domaine de l’armement sont des filiales des Groupes multi-métiers (« Chaebol » en coréen), dont Hyundai, Daewoo, Samsung, LG. L’origine lointaine de l’industrie de défense coréenne ! Un élément de fierté coréenne est le bateau-tortue, premier navire cuirassé de Domaines d’activité Hyundai Heavy Ind. Hanjin Heavy Ind. Daewoo Shipbuilding KAI KAL Samsung Techwin Dusan (ex Daewoo H. I.) Rotem (ex Hyundai) Kia Next One Future (ex LGI) Samsung-Thales Naval X X X Aéro X X X X Terre Missiles Equipements X X X X X X X X de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 « Defense Reform 2020 » : les principaux programmes en cours ou prévus Le plan d’acquisition des 3 armées jusqu’à 2020 prévoit un financement de 580 Milliards de $ US ( !) en 15 ans pour mettre sur pied des Forces équipés de matériels de hautes technologies. Les premières tranches de ce plan ambitieux comprennent : Pour la Force Aérienne : Commande de 60 chasseurs F-15K, leurs missiles ; 4 AWACS (Boeing ou IAI) ; au moins 50 T-50 en version entraînement et 44 A-50 en version de combat. Développement d’un chasseur indigène T-50 avec Lockheed et d’un hélicoptère de transport tactique KHP avec l’assistance d’Eurocopter. KHP T-50 Pour la Marine : 3 sous marins HDW 214, 5 destroyers KDX-2 de 4 000 t, 3 destroyers KDX 3 de 7 000 t, 3 porte-hélicoptères de 13 000 t, et à plus long terme 20 Frégates. Porte hélicoptères « Dokdo » 11:09 Page 42 Pour l’Armée de Terre : La digitalisation de l’Armée de Terre sera effective. Mise en place du système de recueil de rensei¬gnement. Livraison de 400 chars K1A1, version améliorée du char K1, et de 68 pièces d’artillerie K-9. Développement du char KX-2 Black Panther, de 3 nouveaux systèmes antiaériens, à base de canon, et missiles à courte et moyenne portée. Armement terrestre ➢ En Turquie, sélection du canon automoteur Samsung K-9 qui sera construit sous licence par la Turquie. Ce succès est à signaler car il a été obtenu face à KMW (Allemagne), leader dans ce type de matériel. Le futur char turc Antay sera développé avec les industriels coréens (Rotem) sur la base du K2 Black Panther Armement nucléaire, biologique et chimique Au contraire de la Corée du Nord, la Corée du Sud ne semble pas avoir d’activité dans ces domaines, malgré quelques soupçons d’enrichissement de matières fissiles. Politiques d’importation et d’exportation L’acquisition de matériel étranger est soumise aux contrôles de l’Agency for Defense Development (ADD) et de la DAPA. Les exigences de transfert de technologies sont systématiques et contraignantes. La Corée est le quatrième pays importateur du monde après l’Arabie Saoudite, Taiwan et Israël. Les USA conservent la part du lion, et n’entendent pas abandonner cette position prééminente. Néanmoins, la Corée veut diversifier ses sources d’acquisition. Quelques exemples : ➢ La Russie, par la livraison de 80 chars T80 U, de véhicules blindés BMP3, de missiles SA-16 et AT-7, en payement des dettes que l’URSS avait contractées avant 1991 ; ➢ Israël, grâce aux missiles naval Barak-1, aux drones antiradar Harpy, et au radar aéroporté Phalcon ; ➢ Grande Bretagne qui a livré 20 avions d‘entraînement Hawk ; ➢ L’échec du Rafale a démontré la puissance des réseaux d’influence de l’industrie nordaméricaine, et de l’appui sans faille dont celle ci dispose de la part de la Maison Blanche. Cet échec ne doit pas faire oublier que la France a connu des succès dans des domaines de niches, dont l’équipement du char coréen K1 par le viseur chef SFIM, et la fourniture de plus de mille missiles SATCP Mistral de MBDA. Thalès participe pour sa part au programme de missile anti-aérien KSAM, dérivé du Crotale. Plus récemment, EADS/Eurocopter a été sélectionné pour co-développer le futur hélicoptère de transport de l’Armée Coréenne, et EADS/Astrium pourrait participer aux efforts de développement des satellites d’observation. Aujourd’hui, sur les marchés d’exportation, les limitations proviennent de la dépendance vis à vis des accords de licences qui protègent les fournisseurs de technologies. L’exportation du char K1 est pratiquement interdite par les clauses du contrat confié en 1983 à GDLS. Malgré ceci, les industriels coréens ont remporté récemment des contrats importants. K2 Black Panther Aéronautique ➢ Il y a déjà eu la fourniture à l’Indonésie des avions d’entraînement. Des informations, dont l’origine est la DAPA, confirment que l’Indonésie sera associée au programme de chasseur KF-X III qui remplacera les chasseurs F-16 actuellement en service dans ces deux pays. Armement Naval ➢ Divers navires ont été livrés au Bangladesh, en Malaisie, et au Venezuela. La Russie consulte la Corée du Sud en concurrence avec la France pour la fourniture de Porte hélicoptères (« Dokto » vs « Mistral ») Avenir de l’Industrie d’armement de la Corée du Sud Au terme d’un effort continu de 50 ans, la Corée du Sud a obtenu dans Enquête tous les domaines de développement technique des pro- 43 grès exceptionnels, alors que toutes les ressources minières et industrielles étaient localisées en Corée du Nord. Aujourd’hui, le pays dispose d’une base industrielle de défense qu’il faut prendre au sérieux. Il est prévu qu’en 2020 le pays sera autosuffisant sur tous les points, de la conception à la mise en service des armements. L’accès aux marchés de Défense à l’exportation, pénétration aujourd’hui limitée par des restrictions des USA, sera alors possible sans limitation. L’Industrie française doit réagir et anticiper par des partenariats pour partager les marchés, les chiffres d’affaires et les marges. Cependant, la Corée et son industrie ne sont sans failles. La structure financière des industriels est fragile, la situation politique peu (re)devenir instable. Le confucianisme qui imprègne les relations au sein des entreprises induit un respect exagéré de la hiérarchie, gelant les initiatives. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 43 Perspectives INCERTITUDES AMERICAINES Francis Gutmann 1989. L’Amérique est à son apogée. Elle a gagné la guerre froide, elle est l’unique superpuissance, sa prospérité va augmenter encore avec une croissance continue, ce paraît être le triomphe du rêve américain. Mais très vite un monde changé se révèle à elle. Un monde étrange et étranger, pluriel et fortement différencié. Partout l’intérêt national tend à prévaloir, l’intégrisme religieux à se répandre. Ici et là, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient notamment, la notion wilsonienne de sécurité collective n’a plus guère de signification. La certitude de leur supériorité, en même temps que de leur bon droit, empêche d’abord les Américains de s’inquiéter vraiment. Vient le 11 septembre. Ils prennent conscience de leur vulnérabilité. S’ils parlent encore en termes de morale, c’est leur sécurité qui devient leur principale préoccupation. Pour elle, il importe qu’aucun autre pays ne puisse les égaler, en tous domaines : technologique, économique, etc., qu’ils restent les premiers. Dans leur obsession sécuritaire, la pax americana tourne à l’idéologie Perspectives 44 et la société internationale se divise désormais pour eux entre affidés et infidèles. Mais en réalité le monde peu à peu échappe aux Etats-Unis. Jusqu’à Tel-Aviv, ils ne peuvent plus imposer leur volonté. L’unilatéralisme de Bush avait conduit à une impasse, l’altruisme d’Obama a peut-être un moment rassuré l’étranger, il ne rassure pas les Américains. Tout leur paraît devenir incertain et dangereux. A vouloir continuer de prôner leurs valeurs, ils ne récoltent le plus souvent que la tempête. Qu’ils s’y prennent mal ou non n’est pas la question. On les envie encore, on ne les admire plus vraiment. Ils éprouvent peu à peu le sentiment d’une profonde incompréhension et d’une grande injustice, ils découvrent l’hostilité des autres. La Crise qui se prolonge ajoute à leur désarroi. L’Amérique se sent de plus en plus seule. Elle ne peut plus vraiment compter sur une Europe affai- NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 blie, elle doit faire face à la montée de l’Asie, de la Chine en particulier, qui pourrait concurrencer son leadership. Mais que signifiera demain la notion même de puissance et qui pourra, serait-ce les EtatsUnis, prétendre à une hégémonie ? L’Amérique a perdu ses repères outre-mer. Elle se sent menacée, non plus comme au temps de la guerre froide, mais dans son intégrité même. Alors la tentation ici ou là se fait jour d’un repliement sur soi. Les tea parties, d’autres signes existent, sans qu’on puisse à ce stade y voir davantage qu’une tendance. Il ne saurait d’autre part s’agir d’isolationnisme au sens du début du XXe siècle, les Etats-Unis sont par trop dépendants de l’étranger financièrement et pour leurs matières premières notamment. Mais, à vouloir sauvegarder « l’Amérique éternelle », ils pourraient en venir, passant à l’intérieur de l’idéalisme à l’ordre moral, à l’extérieur renoncer à leur ambition missionnaire et viser, par tous moyens, à défendre leurs seuls intérêts, dans un monde sans ordre où tendrait à prévaloir le « chacun pour soi ». Le risque n’en est pas entièrement théorique quand bien même il ne doit pas aujourd’hui être exagéré. PS. L’évolution récente de certaines affaires stratégiques paraît requérir une attention toute particulière. 1) Les Etats-Unis veulent un bouclier antimissiles. Ce faisant, ils sont parfaitement logiques avec eux-mêmes. Du temps de la guerre froide, il était pour eux d’un intérêt vital de défendre l’Europe face à l’URSS et il pouvait donc l’être, le cas échéant, de recourir à l’arme nucléaire. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même, ils pourraient ne plus nécessairement juger avoir à utiliser cette arme en Europe. Le bouclier antimissiles peut être pour eux une façon de protéger l’Europe sans avoir à faire appel à la dissuasion. Les partenaires européens de la France y voient un moyen supplémentaire d’être défendus. Ils semblent aveugles au fait qu’avec le bouclier, les Etats-Unis auront moins de raison d’assurer à l’Europe une couverture nucléaire en toutes circonstances sur laquelle ils avaient toujours compté. 2) La France et le Royaume-Uni viennent de passer un accord concernant certains outils nécessaires à chacun pour leur armement nucléaire. L’accord, pour autant qu’on le sache, est intéressant pour l’une et l’autre parties, à condition toutefois de rester circonscrit. Les Britanniques ont un long passé de relations et des accords avec les Etats-Unis dans le domaine nucléaire. Il ne faudrait surtout pas que, de proche en proche, le nouveau duo se transformât de ce fait, au détriment de notre indépendance, en un trio, dans lequel au surplus Français et Britanniques deviendraient en quelque sorte les supplétifs des Américains pour la défense nucléaire de l’Europe. Ambassadeur de France de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 44 European defence vision Notes et analyses de l’Association des Auditeurs Européens de l’IHEDN Le Collège européen de sécurité et de défense (CESD) Colin Cameron* Le Collège européen de sécurité et de défense (CESD) est aujourd’hui un acteur majeur de la politique de formation de l’UE en matière de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Il a été créé en vertu d’une Action commune du Conseil de l’Union européenne en date du 18 juillet 2005 et révisé en 2008. Dès octobre 2004, lors d’un colloque sur le CESD, l’Association Europe IHEDN avait soutenu avec enthousiasme la création de ce Collège. En mars 2007, les nouvelles étapes du développement du CESD avaient fait l’objet d’un nouveau colloque de notre association. Depuis lors, Europe IHEDN continue de suivre les progrès de cette belle initiative européenne. Ce Collège européen a pour mission de promouvoir une compréhension commune de la PSDC parmi le personnel civil et militaire, ainsi que de recenser et de diffuser, au moyen de ses activités de formation, les meilleures pratiques en rapport avec diverses questions relevant de la PSDC. Tous les ans, un cours de haut niveau dans le domaine de la PSDC est organisé en plusieurs modules d’une semaine à travers l’Europe. Un cours d’orientation, plus généraliste, est aussi régulièrement organisé, pour une durée de quelques jours, à Bruxelles ou dans diverses capitales européennes. Tous les participants occupent des postes de responsabilité dans le secteur civil (hauts fonctionnaires) ou militaire (au moins du rang de colonel). Le CESD prévoit également des cours plus « ciblés », destinés à des acteurs spécifiques de la PESC/PSDC. Il y a déjà eu, par exemple, un cours intitulé « Press and Public Information », un cours pilote sur la réforme des systèmes de sécurité, un cours sur les processus de planification des opérations militaires de l’Union européenne ou des séminaires restreints regroupant des acteurs de haut niveau (officiers généraux / hauts fonctionnaires). Pour développer une culture de défense européenne, ces formations s’adressent également aux ressortissants des pays candidats à l’UE et de pays tiers comme les Etats-Unis ou la Chine, et à certains représentants d’organisations internationales (OTAN, Ligue arabe, etc.). La participation de représentants du monde des affaires, d’organisations non gouvernementales ainsi que d’universitaires et de journalistes est également prévue. Les activités de formation du CESD sont généralement menées par les instituts qui constituent le réseau du CESD ou par d’autres acteurs de l’État membre qui accueille l’activité de formation concernée. En effet, une des vocations du CESD est de construire un réseau qui réunit des instituts, des collèges, des académies et des universités traitant des questions de politique de sécurité et de défense, y compris l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IES). En outre, le CESD a mis en place un système de formation avancée à distance par Internet (Internet Distance Learning) et un réseau d’anciens ayant participé aux formations du CESD se développe progressivement. L’Association Europe IHEDN, que j’ai l’honneur de présider, est prête à contribuer au développement du réseau CESD, dont les activités ont succédé aux sessions européennes de l’IHEDN. Pour aller plus loin, et prendre en compte la formation des jeunes officiers, fondement d’une compréhension mutuelle, le CESD collabore étroitement avec l’initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers « Erasmus militaire ». Il est mentionné dans l’Action commune instituant le CESD que le Collège assure le suivi de la mise en œuvre générale du projet d’Erasmus militaire dans le cadre de son Conseil académique exécutif. Le comité directeur du Collège européen de sécurité et de défense a pris, le 10 mars 2010, deux décisions facilitant l’organisation du programme d’échange pour les jeunes officiers (Erasmus militaire). La première est un accord cadre pour régler, à l’avance, les questions administratives que posent de tels échanges. La deuxième établit le système de transfert de crédits tel qu’il existe dans l’enseignement supérieur (système ECTS, European Credit Transfer and Accumulation System). Grâce à ce système de crédits, les élèves qui se sont décidés à poursuivre une partie de leur éducation dans un autre Etat membre bénéficieront désormais d’un système homogène d’évaluation de leur parcours universitaire, ce qui leur permettra d’éviter de refaire la même formation dans leur propre pays. Depuis 2005, près de 2500 responsables civils et militaires (des 27 Etats membres de l’UE, mais aussi pour plus de 10% d’entre eux, de pays candidats ou Europe tiers et d’organisations internationales) ont bénéficié 45 des cours organisés par le CESD. La principale faiblesse du CESD se situe au niveau de son organisation. Bien que les activités du collège soient soutenues par un petit Secrétariat permanent au sein de l’UE, il n’y a pas de structure permanente de formation : le CESD donne des cours seulement pendant une dizaine de semaines par an, dans des villes européennes différentes, sur des thèmes qui varient. Il faudrait également réfléchir à la meilleure façon d’actualiser régulièrement les connaissances des anciens auditeurs du CESD. L’Action commune qui met en place le CESD sera réexaminée et au besoin révisée au plus tard le 31 décembre 2011. Ce sera une nouvelle occasion pour augmenter les moyens financiers et administratifs nécessaires au développement du CESD et peut-être construire une structure permanente qui donnera encore plus de cohérence et de visibilité à ce Collège. * M. Colin Cameron (E 88) est Président de l’Association Europe IHEDN. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 45 Focus L’empire de la terre et l’eau en quête de ressources Claude Chancel AR18 La Chine, depuis des temps immémoriaux, tente de nourrir convenablement ses hommes nombreux et courageux en domptant ses fleuves et ses rivières. Il ne fait pas de doute que la question de l’eau et des grains soit toujours au cœur de ses préoccupations premières. Elle doit aussi, pour cela, produire des richesses manufacturières, acheminer et échanger. Là réside sans doute son extraordinaire capacité à produire et à inventer, à négocier et à tisser des réseaux. Consommateur et producteur, l’homme chinois, qui connaît le prix des choses, est aussi l’un des plus grands épargnants du monde, ce qui permet aux trusts nationaux d’investir et d’acheter. Machine à créer de la valeur grâce à l’énergie, aux matières et au travail, l’empire construit un réseau sino-centré à l’aide de tankers, de minéraliers, de porte-conteneurs, de tuyaux, d’oléoducs et de gazoducs. N’est-il pas significatif que sept des dix premiers ports du monde en 2008 soient chinois, et que six des dix premiers ports à conteneurs le soient ? Dirigé par le renseignement et l’information du stratège, l’argent autorise beaucoup de réalisations grâce à la diaspora (la première du monde), à la nouvelle diplomatie du yuan et aux fonds souverains qu’une jeune marine, marchande ou militaire, commence à épauler. L’empire de la terre et de l’eau. Nourrir la Chine, investir les terres. Enfants de la terre jaune, les Chinois sont, comme les Français, fils d’une vieille civilisation paysanne. « AvezFocus vous bien mangé ? » est la question qui 46 revient à souhaiter bonjour. De fait, la Chine est la première puissance agricole du monde, avec des productions végétales et animales aussi massives que diversifiées. Le thé, né ici, est, après l’eau, la boisson la plus consommée au monde et le porc est un animal domestique d’origine chinoise. Les pêcheries, en eau douce et en mer, sont, de loin, les plus puissantes du monde : près de 40 % de toute la pêche mondiale (pour 20 % de la population planétaire). Mais aujourd’hui, l’élévation du niveau de vie, l’urbanisation et l’industrialisation (zones résidentielles et parc industriels), qui dévorent zones forestières et rizières, ainsi que l’emprise toujours plus impressionnante des infrastructures autoroutières, ferroviaires, aéroportuaires et portuaires, dévorent les terres arables d’un grand pays qui n’en n’a jamais été trop riche (la Chine ne dispose que de 7 % des terres arables du monde pour 20 % de la population planétai- NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 re) et qui devient, comme son voisin nippon, dépendant sur le plan alimentaire. Si bien que l’on assiste récemment à la « location » de terres étrangères pour assurer la sécurité (alimentaire) de pays qui manquent d’eau, de potentiel agricole, ou aux prises avec les nouveaux besoins de leurs populations : Inde, Japon, Corée du Sud, Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis, Egypte… phénomène aux conséquences ultimes imprévisibles. Certains n’hésitent pas à parler de « razzia sur les terres agricoles », au détriment de beaucoup de pays d’Afrique, de Madagascar (déstabilisé) et d’Asie. La Sibérie, vaste et vide d’hommes, ne commence-t-elle pas à vivre la dynamique du monde plein chinois ? Maîtriser le stress hydrique. Si l’on veut un avenir du monde plus rose, il faut gérer autrement « l’or bleu ». Comme dans beaucoup de pays du monde, la question de l’eau est au cœur du développement chinois. Sur ses périphéries septentrionales et orientales, la Chine devient une «water stress zone». Après les canaux, le nouveau temps des aqueducs ? Trop d’eau ou pas assez, tel est le chagrin de la Chine. La Chine du sud n’en manque pas, comme le révèle la carte des précipitations, en revanche, le nord connaît un véritable stress hydrique, comme l’ont encore révélé, lors des JO de 2008 sur Pékin, les restrictions à la consommation. D’où le projet Nan shui bei diao, qui consiste à ramener l’eau du sud (celle du bassin du Yangzi) vers le nord. D’où, aussi, l’enjeu tibétain, qui concerne le « Château d’eau de l’Asie », ou, encore, les froissements diplomatiques qui courent le long du bassin du Mékong, les pays indochinois, situés à l’aval, redoutant le prélèvement chinois à l’amont. indispensables dans de nouveaux secteurs stratégiques : nouveaux moteurs, disques durs, caméras, nouvelles ampoules… La Chine détiendrait, dans ce domaine, une écrasante proportion, certains avancent des chiffres montant à 95 % des disponibilités mondiales, l’essentiel étant localisé en Mongolie intérieure. Cependant, les réserves d’avenir ne concernent la Chine que pour un tiers, la Russie pour un quart. De quoi rendre les occidentaux inquiets… D’autant plus que Pékin entend bien se réserver ces précieux éléments, sauf à en échanger un peu contre de nouvelles technologies. En 1992, Deng Xiaoping avait remarqué que le Moyen-Orient avait le pétrole, et la Chine, les terres rares… L’atelier du monde et les matières premières. Le haut-fourneau du monde draine le minerai de fer de la planète. La Chine est devenue le haut-fourneau du monde, produisant 500 des 1330 millions de tonnes d’acier du monde (37 %). Cela peut s’expliquer, comme naguère au Japon, par un gigantesque processus de rattrapage, mais mieux vaut, aujourd’hui, évoquer la demande domestique (BTP : la majorité des grues en activité dans le monde travaille ici : infrastructures, automobile - avec une Chine devenue, en 2009, le premier constructeur du monde - électro-ménager, nouveau complexe militaro-indutriel...) et la percée sur les marchés mondiaux. De grands trusts d’Etat chinois : Minmetals, Chinalco, Hunan Valin, épaulés par des fonds souverains, comme la CIC (China Investment Corporation) prospectent le monde entier. Les autres métaux et matières sont aussi stratégiques. Atelier du monde (mais la Chine n’est pas que cela !), l’Empire recherche, sur la planète, de l’aluminium, du cuivre, de l’étain, du caoutchouc, du bois et même, les déchets, dont une majeure partie peut être récupérée ou recyclable. C’est ainsi, entre autres, que des villes comme Guiyu, de la province de Canton, désosse et trie les vieux La Chine, « OPEP des terres rares ». La République Populaire dispose d’un atout exceptionnel qui concerne les métaux ou les terres rares, enjeu encore peu connu du grand public. Il s’agit de néodyme, cerium, dysprosium, europium, samarium, terbium. Au total, une vingtaine de ressources Claude Chancel, vice-président de l’AR 18, est professeur de Chaire supédont les propriétés métallurrieure, agrégé d’histoire et auteur d’ouvrages concernant l’Asie du nordgiques, chimiques, élecest, publiés aux Presses Universitaires de France. Il est intervenant en triques, optiques ou magnégéopolitique à Grenoble Ecole de management. tiques sont précieuses, voire de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 frigos, les ordinateurs et les téléphones du monde entier. Ils contiennent plastiques, béryllium, chrome, plomb, cadmium, mercure, que les enfants des mingong (et eux seuls, les autres étant aujourd’hui plutôt du genre choyés !) manipulent dangereusement, pour des gains dérisoires et sans équipements protecteurs. Ces bidonvilles sont les e-dépotoirs de la planète. Les entreprises chinoises n’hésitent pas à venir enlever des déchets plastiques en Aquitaine. La grande puissance asiatique est, par ailleurs, la plus grande importatrice de papiers du monde. La culture de la transformation, associée à celle du travail intense, constitue un avantage comparatif supplémentaire…. Le potentiel chinois : compagnies et continents. Dans ces conditions, vu de Pékin comme d’ailleurs, se présente une nouvelle géographie sélective, qui accorde de l’importance à deux grandes régions périphériques : le Xinjiang et le Tibet. Le Xinjiang - « nouvelle frontière » en mandarin - peuplé de Ouïgours, musulmans sunnites turcophones, détiendrait 25 % des réserves de pétrole, 34 % de celles de gaz, mais encore 40 % de celles de charbon du pays. Il faut ajouter 25 % des réserves de fer, de l’or, du cuivre, du nickel et du béryllium. Cette région, grande comme trois fois la France, est la première de Chine pour la production de coton. Le Tibet, « Xizang », terre cachée de l’ouest, n’est pas que le château d’eau dont dépend 47 % de la population mondiale, l’espace tibétain (cinq fois la France) est « la maison des trésors de l’ouest » comprenant de très importantes quantités d’hydrocarbures, de charbon, d’uranium, de fer et de 11:09 Page 46 zinc, de matériaux de construction, et même d’herbes… On ne peut donc s’étonner qu’au-delà des terres chinoises et des mers, on puisse considérer une zone Sibérie-Asie-Australie. La Sibérie, vide d’hommes, dispose d’un catalogue minéral digne de la table de Mendeleïev. Les pays limitrophes de l’Asie du sud-est sont sollicités, en particulier l’allié et protégé birman ainsi que le Vietnam, où, en 2009, le général Vo Nguyen Giap, le héros de la guerre d’indépendance, est entré en guerre contre l’exploitation, par le géant chinois Chinalco, d’une mine de bauxite à ciel ouvert sur les hauts plateaux du pays. La proche Australie, la grande mine du monde (charbon, fer, plus la laine etc…), est toujours plus investie, au risque de tensions nouvelles, qui ont éclaté en 2009. Elles ont concerné Chinalco contrôlé par l’Etat chinois, à qui le géant Rio Tinto a préféré son grand rival anglosaxon BHP Billiton. D’où des intimidations et de grandes manœuvres dans le contexte mouvant de l’offre et de la demande sur le marché mondial du fer. Une nouveauté géo-économique s’esquisse aussi dans les collaborations sino-sudaméricaines, avec le Mexique et les Caraïbes, Cuba et le Venezuela, les pays andins (Pérou, Bolivie, Chili) et les grands pays du cône sud (Brésil et Argentine pour le minerai de fer, le maïs et le soja). L’Amérique latine peut-elle enfin, avec Pékin comme partenaire, surmonter la malédiction des matières premières ? Par ailleurs, il faut mesurer l’impressionnante percée chinoise en Afrique. Une Afrique noire approchée par les jonques de l’amiral Zheng He dès le XIVème siècle, de nouveau partenaire et solidaire de la Chine à Bandung, en 1955, face à l’Occident. Dès 2000, la nouvelle Chine met en place un « forum de coopération entre la Chine et l’Afrique » qui concerne 44 pays. En 2005, elle accueille 48 Etats africains pour un sommet historique à Pékin. Chinafrique ? Beaucoup dénoncent déjà une Chine qui engage la bataille des ressources rares (énergie, minerais, bois, poissons, boissons et nourriture). Elle est, en tout cas, présente aux quatre points cardinaux du continent, particulièrement là où il y a des hydrocarbures, des minerais et, parfois, des pays en délicatesse avec les Etats-Unis, donc en Afrique du nord (Algérie), en Afrique orientale (au Soudan, premier pays d’Afrique à avoir reconnu la RPC), en Afrique de l’ouest (Nigéria, Angola), en Afrique du sud, pays le plus prometteur du continent… Des ressources aussi gigantesques exigent des capitaux et des moyens techniques considérables. C’est là que le capitalisme d’Etat chinois fait preuve d’une efficacité et d’un pragmatisme remarquables. Dans le domaine pétrolier, Pékin est le patron de trois « big three » : PetroChina (issu, en 1999, de la CNPC), la CNOOC (China National Offshore Oil Corp) et Sinopec. En fait, les capitaux sont nationaux et mobilisent tous les atouts de l’appareil d’Etat chinois, et, en premier lieu, sa force diplomatique (ce qui est pratique courante depuis l’ère Mao, au nom de l’idéal missionnaire de la révolution prolétarienne). Pékin semble s’ingénier à multiplier, diversifier et renforcer ses trusts d’Etat qui projettent sa puissance sur tous les continents. HOMMAGE A CLAUDE VICAIRE l’échange et du besoin de comprendre. L’esprit de sérieux lui étant étranger, il cultivait aussi d’autres joies de la vie et de l’amitié. Comme certain le sont de nos vins, Claude était, on peut le dire, l’un des spécialistes mondiaux du chocolat… Claude, c’était – comme on dit – quelqu’un d’exceptionnel : l’un de nos grands gendarmes, l’un des meilleurs d’entre nous, un être de lumière, ramenant toujours à l’excellence de l’officier telle que décrite par Lyautey : « Envisager au contraire le rôle de l'officier sous cet aspect nouveau d'agent social appelé par la confiance de la patrie moins encore à préparer pour la lutte les bras de tous ses enfants qu'à discipliner leurs esprits, à former leurs âmes, à tremper leurs cœurs, n'est-ce pas, loin de l'amoindrir, l'élever dans les plus vastes proportions, le faire presque plus grand dans la paix que dans la guerre, et proposer à son activité l'objet le plus digne de l'enflammer ? »2. Les pensées des amis de la 56ème de l’IH accompagnent aussi Isabelle et ses deux filles. Richard Labévière PHOTO/Sirpa C’est toujours un bonheur de revoir ses camarades de session. Mais ce mercredi 27 octobre, ceux de la 56ème se retrouvent en la chapelle de l’hôpital militaire du Val-deGrâce, comme des fantômes pétrifiés, anéantis, silencieux. Cinq jours auparavant, le général de corps d’armée (quatre étoiles) de la gendarmerie Claude Vicaire a trouvé la mort, en milieu de journée, dans un accident de moto sous le pont de l’Alma à Paris. Saint-Cyrien, Claude avait notamment commandé le Groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM) de Satory, la légion de Bretagne (2001 – 2003) et la gendarmerie d'Outre-mer (2007 – 2010). En mars 2010, après son adieu aux armes, il venait d’entamer une nouvelle carrière d’Inspecteur général de l'administration pour le ministère de l'Intérieur. En 1999, il avait été blessé au visage par un pavé lors d’une manifestation à Kosovska Mitrovica, aux alentours du pont1 alors qu’il commandait le détachement de gendarmes mobiles de la brigade Leclerc. Son engagement au service du maintien de la paix des Nations unies nous a toujours beaucoup impressionné par sa détermination, sa discrétion et sa très grande humanité : le sens de la mission allié à l’intelligence des situations, même les plus extrêmes. Revenu sur les lieux avec ses camarades de la 56ème de l’IH, il s’éclipse pour visiter quelques familles avec lesquelles il a gardé le contact. Toujours cette constance des rapports humains, de 1/ Voir le film Les Bleus au Kosovo. 2/ Maréchal Lyautey : Le rôle social de l’officier. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 47 Focus L’énergie, dilemme géopolitique et écologique sino-mondial Claude Chancel La montée en puissance économique et financière de la Chine et ses nouveaux besoins modifient de façon radicale la donne énergétique mondiale : avec elle, on change d’échelle, car le pays aura besoin, d’ici 2030, d’une augmentation de production d’énergie équivalant au potentiel actuel des Etats-Unis ! Focus Photo DR 48 Le barrage hydrauélectrique des trois gorges, sur le Yang-Tsé : colossal! Mais l’eau manque dans le nord du pays Ne dit-on pas que, si chaque Chinois avait une automobile, il faudrait consacrer à la seule Chine toute la production mondiale de pétrole ? Avec ses nouveaux aéroports, autoroutes et mégalopoles, elle est récemment devenue, depuis 2007, le pays le plus pollueur du monde avant même les EtatsUnis (mais non par tête). Le pays joue sur toute la gamme : énergies fossiles, production d’électricité, énergies renouvelables. Il produit 40 % du charbon mondial, et ce même charbon, c’est 70 % de son énergie primaire. Le charbon russe peut NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 donc devenir un enjeu. A quand un réseau chinois de « carboducs » pour acheminer en réalité du charbon liquéfié ? Bien que cinquième producteur de pétrole du monde (après l’Arabie Saoudite, la Russie, les Etats-Unis et l’Iran), la Chine a désormais un taux de dépendance en termes d’importations pétrolières de l’ordre de 50 %. Le pays est aussi devenu importateur de gaz naturel. Malgré les grands barrages hydrauliques, la Chine a un immense besoin d’électricité d’origine nucléaire, qui ne couvre actuellement que 2 % de la production totale d’énergie, d’où la course à l’uranium, du « toit du monde » - le Tibet - à l’île-continent - l’Australie - et au cœur de l’Afrique (rivalité avec la France au Niger). Pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles (charbon et hydrocarbures), la Chine fait le pari des énergies renouvelables, qui représentent déjà 8 % de son bilan énergétique. Le pays est la quatrième puissance éolienne du monde (après les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Espagne) et de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 48 Photo DR l’un des trois grands de l’énergie solaire. La Chine explore toutes les voies possibles, d’autant plus que deux défis supplémentaires se présentent à elle : les contraintes géographiques qui font que ses ressources domestiques sont surtout au nord et à l’ouest de son territoire, tandis que ses zones de consommation sont surtout à l’est et au sud-ouest, d’une part, et que, d’autre part, la Chine ne dispose que de 7 jours de stockage énergétique, ce qui la rend vulnérable, surtout face à la marine américaine qui contrôle les routes et les détroits stratégiques. G2 ? Chinamérique ? Le port de Shanghai : sur les dix premiers ports du monde, sept sont chinois Une approche globale : collusions et collisions. Potentiels, besoins, réseaux et projections dessinent une dynamique ambiguë dans un nouveau monde sino-centré. D’abord, Pékin transforme ses zones-tampons en zones-ponts, comme l’atteste la construction d’un pipe-line de 4000 km du Xinjiang à Shanghai, ainsi que celle du plus haut chemin de fer du monde, de Golmud à Lhassa. Le groupe de Shanghai, constitué dès 1996 à l’initiative de Pékin, réunit d’évidentes complémentarités entre la Russie, la Chine et les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale, en particulier le groupe TOK (Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan), sur le chemin de la mer Caspienne et de l’Azerbaïdjan. En revanche, la question ouïgoure refroidit le dialogue avec Ankara. Du côté maritime, il y rivalité entre Tokyo et Pékin pour les conduites venant de RussieSibérie et de l’île de Sakhaline. La Corée du nord (elle-même riche en énergie et en minéraux) reste une pièce maîtresse de la diplomatie chinoise. Il se pose la question de la frontière à propos des îles Senkaku (en japonais) ou Diaoyu (en chinois). En 2004, la Chine a commencé l’exploitation de la zone gazière Shirabaka-Chunxiao, avec, récemment, une participation capitalistique japonaise. Tokyo veut une délimitation des eaux territoriales sur la ligne médiane, Pékin revendique l’ensemble du plateau continental. Dans le premier cas, le gisement est japonais, dans le second, chinois ! Autour de Taiwan et, surtout, des îles Paracels et Spratleys, la Chine affronte les Philippines, le Viêtnam, l’Indonésie, la Malaisie même…. Au-delà, il y a le jeu bir- man (pétrole arakanais acheminé vers la Chine) et celui de la mer d’Andaman. L’Iran, le Pakistan et même l’Inde, ne sontils pas admis comme observateurs du groupe de Shanghai ? Ce qui n’empêche pas Pékin d’investir en Irak (troisièmes réserves mondiales), où la Chine, via la CNPC (China National Petroleum Corporation), est devenue, en 2009, le premier opérateur étranger. Elle diversifie ainsi ses fournisseurs en utilisant sa puissance financière . Tubes et tankers : collier chinois versus bases et flottes américaines. Cet état des lieux éclaire la remarquable stratégie chinoise qui consiste d’abord à pacifier et à stabiliser toutes les frontières de l’empire, en élaborant des traités avec presque tous ses voisins (à l’exception notable de l’Inde…), en jouant ensuite sur toutes les lignes : celles qui, via les alliés (Birmanie, Pakistan, Russie) gênent les Etats-Unis et autorisent la construction de tubes permettant d’échapper à la surveillance de l’aéronavale américaine. En jouant d’une certaine solidarité du « heartland » eurasiatique pourtant ceinturé par le rimland dominé par les Etats-Unis (Japon, Taiwan, Singapour). Ce qui n’empêche pas, enfin, la construction d’une nouvelle marine, dont une des grandes bases se situe dans l’île de Hainan, à Sanya, pour tenter de desserrer le « containment » opéré par les VIIème (Pacifique occidental) et Vème (océan Indien) flottes des Etats-Unis et l’esquisse d’une force de projection, avec des bases économiques-relais en Birmanie (Sittwe), au Bangladesh (Chittagong), au Sri Lanka (Hambantota), au Pakistan (Gwadar), sans compter, pour la première fois, la participation de la marine de guerre chinoise à la lutte contre la piraterie maritime dans l’océan Indien, entre Aden et les Seychelles, non loin des nouveaux amis africains. Cela ne signifie pas que Pékin ne subisse jamais de revers (premières réactions antichinoises en Zambie, le pays du cuivre). Ses adversaires évoquent un nouveau colonialisme. Au Nigéria, le pouvoir local hésite à traiter avec la seule Chine et ses grands trusts pétroliers (rivalités entre la CNOOC, Shell, Total, ChevronTexaco et ExonMobil), tandis que Focus Washington regarde de nouveau vers l’Afrique. Les antagonismes peu- 49 vent dégénérer dans un monde fini. Tous les pays défendent, plus ou moins habilement, leurs intérêts qu’ils considèrent comme légitimes. La seule solution, pour éviter le pire, ne passe-elle pas par de nouvelles coopérations sino-étrangères capables d’œuvrer plus efficacement à une nouvelle régulation de l’économie mondiale ? Dans cette perspective, la question énergétique et écologique offre certainement des opportunités intéressantes, en mutualisant les risques et les retours sur investissements, tant pour la France que pour la Chine, par exemple. Chinafrique, Chinamérique, à quand (selon l’expression de Jean-Pierre Raffarin), Eurochina, qui serait sans doute, sur une base de réciprocité, une relation plus équilibrée et davantage apaisée ? NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 49 Grand Reportage EN ROUTE POUR LA KAPISA C.Vermeille 27E DIM Jean-Pierre Ferey AA42 Repor tage 50 Après la tragique embuscade dans la vallée d’Uzbeen, en Afghanistan, en août 2008, des voix se sont élevées pour accuser l’armée : elle envoyait ses enfants au casse-pipe, sans préparation. Ces critiques ont ulcéré les états-majors, qui les jugeaient injustifiées. Mais depuis, la préparation opérationnelle des unités avant leur engagement s’est systématisée et s’est durcie. On appelle cela la MCP, la mise en condition avant projection. La colonne progresse lentement, à la vitesse du pas d’un homme. Plus précisément à l’allure des deux sapeurs qui ouvrent la voie, de part et d’autre du chemin, une cinquantaine de mètres devant le premier VAB (véhicule de l’avant blindé). D’un mouvement régulier en va et vient, ils balancent leur détecteur de mine de gauche à droite, balayant les bas côtés, à l’affût du moindre écho métallique. Leur tâche est de s’assurer qu’aucun IED n’est caché en bordure de route. L’IED, en français EEI, engin explosif improvisé, est une menace permanente. Le soleil, qui a maintenant pris de la hauteur, dépasse la ligne des crêtes et inonde la vallée d’une lumière chaude. En revanche, le vent qui siffle entre les pierres est froid. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Nous sommes à deux mille mètres d’altitude. Les véhicules blindés, dont les moteurs ahanent en faible régime, s’échelonnent dans la montée. Soudain, l’un des sapeurs lève le bras et stoppe la colonne. Son regard vient d’accrocher une anomalie dans le terrain, imperceptible pour n’importe qui, mais que des heures d’entrainement lui ont appris à repérer. A une légère différence de couleur, à un désordre dans les maigres touffes d’herbes, à un relief inattendu, il sait qu’à trois mètres devant lui la terre a été récemment retournée. Il s’approche, le grésillement du détecteur s’amplifie et grimpe au maximum. Aucun doute, il y a une masse métallique là-des- sous. Du bout des doigts, le sapeur commence à gratter le sol. Très vite, à cinq centimètres de profondeur, l’objet apparait : c’est un obus de mortier. La route est piégée ! Il n’y a pas de bons démineurs Dans cette situation, la consigne est claire : se poster pour parer aux tirs d’éventuels insurgés embusqués, et surtout ne rien tenter, laisser faire les spécialistes EOD (élimination des objets détonants). Alertés par radio, ils sont déjà en route. Lorsqu’ils arrivent et que le premier démineur se dirige vers l’engin, la tension monte brutalement. Car l’explosion de ce type d’EEI est le plus souvent déclenchée par télécommande. Ce qui signifie que, pour de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Page 50 nationale afghane, systématiquement associée aux opérations des français. Le major R., quant à lui, ne compte plus ses missions en Afghanistan. Vieux légionnaire du 2° régiment étranger de génie, ayant acquis les plus hautes qualifications Nedex (neutralisation, enlèvement, destructions d’explosifs), il fait partie des dix plus grands spécialistes français en explosifs. « Mais il n’y a pas de bons démineurs », se plait-il à répéter, « il n’y a que de vieux démineurs ». Il explique qu’il a injecté dans l’exercice un panel complet des incidents était en fait la fin d’un long processus de préparation, spécifique pour l’Afghanistan. Il avait pour but de certifier aptes à la mission les 815 hommes qui forment le GTIA Kapisa (groupement tactique interarmées). Concrètement, les compagnies ont dû prouver leur capacité à combattre, face à un ennemi correspondant à celui qu’elles rencontreront en Afghanistan. Ce qui veut dire sécuriser des zones montagneuses, reconnaitre des cols et des axes, déjouer d’éventuels engins explosifs improvisés, réagir face à une embuscade, soigner et évacuer C.Vermeille 27E DIM guetter le moment propice, le poseur de bombe voit ce qui se passe, bien caché au loin. Et, par dépit, s’apercevant que son attentat est déjoué, il est arrivé qu’il appuie sur le bouton pour envoyer le démineur dans l’enfer des infidèles. Devant un tel risque, la parade est fournie par le brouilleur, installé sur le véhicule de tête, qui parasite la longueur d’onde de la télécommande et la rend inopérante. Rapidement, par des gestes sûrs et précis, le démineur a dégagé l’obus piégé. Surprise ! Du dispositif de mise à feu s’échappe un fil électrique qui court, enterré, vers l’aval. Avec précaution, l’artificier met au jour le fil sur sa longueur, plusieurs mètres. Il mène vers un tas de pierres dont l’amoncellement semblait naturel. Et là, sous les pierres, un deuxième obus ! Et un deuxième fil, qui part encore plus loin ! Il n’y avait pas un EEI, mais plusieurs, reliés entre eux, en cascade. Un peu en retrait, le major R. contemple la scène d’un air satisfait. « Les gars se sont très bien comportés, ils ont agi exactement comme il le fallait », ditil. Il sait de quoi il parle, c’est lui qui a posé la mine. Il porte le brassard blanc des « animateurs ». Car il ne s’agit ici que d’exercices, des grandes manœuvres de synthèse menées pendant douze jours, au début d’octobre, par le 7° bataillon de chasseurs alpins avant sa projection en Afghanistan (il vient tout juste de s’installer à Nijrab et à Tagab, dans la vallée de la Kapisa). Baptisé Jalalabad, l’exercice s’est déroulé en Savoie, au dessus de Bourg-Saint-Maurice, entre le Cormet de Roselend et le vallon des Arcs. « Les vallées sont plus ouvertes, mais dès qu’on arrive dans les hauteurs, le terrain est très semblable à ce qu’on trouve en Kapisa », commente l’adjoint opérations du bataillon. « De la montagne dénudée, des pentes fortes, des cailloux, de la poussière. Le réalisme, c’est une caractéristique de cet exercice. Nous voulons être dans les mêmes conditions que là-bas ». C’est ce souci de réalisme qui amène les anciens de la 27° brigade d’infanterie de montagne, ceux qui ont déjà connu l’Afghanistan, à jouer les plastrons. Certains chasseurs des 27° et 13° BCA, présents en Kapisa pendant les hivers 2008 et 2009, qui connaissent donc les us et coutumes des afghans, ont revêtu costumes civils et coiffé le pacol pour figurer villageois ou talibans. D’autres, en vieux treillis et casques anciens modèle, tiennent le rôle de l’ANA, l’armée 11:09 Le rôle du Malek, chef de village, est tenu par un “ancien” du mandat précédent EEI réellement rencontrés sur place. « Les techniques de piégeages évoluent en permanence. Les insurgés observent nos méthodes de déminage. Ils s’adaptent, et nous nous adaptons en retour. C’est à celui qui aura une longueur d’avance. La tactique des talibans a changé. Désormais, le but d’un EEI est de causer le plus de morts possibles. D’où des EEI de plus en plus complexes, en doublette ou en triplette ». La présence de « vétérans » de l’Afghanistan est bien sûr l’occasion pour les nouveaux de profiter de l’expérience des anciens. « Nous leur expliquons ce à quoi nous avons été confrontés, nous leur racontons comment nous avons réagi », précise le capitaine V., fraichement rentré du théâtre d’opérations. « C’est pour qu’ils saisissent bien comment les choses se passent. Pas forcement pour qu’ils fassent pareil que nous. Ils doivent chercher à évoluer. Là-bas, l’habitude tue ». De camp en camp De grande ampleur, avec appuis aériens, drones et hélicoptères, l’exercice Jalalabad des blessés sous le feu, assurer la liaison radio en tout temps, escorter des convois, réaliser des checkpoints, recevoir des Repor tage autorités ou des équipes de presse. Sans oublier 51 les missions civilo-militaires d’aide à la population. La préparation a duré plus de six mois, complète et progressive, ponctuée de séjours de trois semaines en camps d’entrainement (Larzac, Mourmelon, Canjuers, Mailly). Au niveau individuel, chacun, du militaire du rang au colonel, a d’abord révisé ses « fondamentaux » : le tir, l’endurance physique. Puis il a assisté à des conférences sur l’Afghanistan, son histoire, sa géographie, sa population, ses coutumes. Tous ont dû s’initier ou se perfectionner à la pratique de l’anglais, suivre un stage de secourisme de combat, et participer à des séances de mise en condition psychologique avec des psychologues ou des OEH (officiers d’environnement humain), afin d’apprendre à reconnaitre et à gérer son stress. Au niveau collectif, l’entrainement a suivi lui NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 51 aussi une progression savamment dosée : travail sur les groupes, les sections, les compagnies. « Plusieurs temps forts dans cette préparation », confie le colonel Gardy, chef de corps du 7° BCA et commandant du GTIA Kapisa (nom de code Allobroges). « D’abord, au début mai, la campagne de tirs à Mourmelon. Pour la première fois, nous y avons travaillé avec les autres armes, la cavalerie, le génie, l’artillerie, l’infanterie sur VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie), qui viennent nous appuyer au sein du groupement ». « Puis, dans la foulée, le passage au Centac (centre d’entrainement au combat) à Maillyle-camp. Il s’agissait d’évaluer les SGTIA (sous-groupement tactique interarmes, environ 180 personnes, composé de trois sections d’infanterie, d’un peloton de cavalerie, avec en appui des éléments du génie, de l’artillerie et du service de santé). Après les formations individuelles, c’est un plaisir de voir que, collectivement, tout se met en place sur le terrain, de manière efficace et rapide ». « Et puis bien sûr cet exercice Jalalabad, qui met en œuvre le GTIA dans son ensemble. Les gars sont fins prêts. Un mois avant le départ, ils parlent déjà comme là-bas, dans un style franglais très opérationnel. Ils savent qu’ils partent au combat, qu’ils ne vont pas en Afghanistan pour du maintien de la paix ». Boutés dehors La priorité du GTIA Kapisa sera d’aider à asseoir l’autorité du gouverneur de Tagab. La ville de Tagab est en effet deveRepor tage nue un KDC, Kaïdi 52 District Center, en quelque sorte une souspréfecture, doté d’un gouverneur. En clair, le régime central de Kaboul s’y implante et tente d’y faire respecter sa gouvernance. Il ne faut pas oublier que la mission de l’ISAF (international Security and Assistance Force), validée par l’ONU, est d’aider l’Afghanistan à devenir un Etat de droit, doté d’un régime démocratique reconnu par tous les Afghans. Le GTIA Kapisa est une unité de l’ISAF, et ses membres ont entendu, répété à l’envie, que leur rôle était avant tout de gagner le cœur de la population. Un objectif inatteignable pour certains. Mais il y a un signe encourageant, révélé par le général Chavancy, qui a commandé pendant six mois la Task Force Lafayette. La TF Lafayette est le niveau supérieur au GTIA Kapisa, c’est en fait une brigade, et le GTIA est l’un de ses bataillons. Le général Chavancy a donc signalé les évènements NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Photo CEPC Reportage Le général Imam Nazar, commandant la 3e brigade mécanisée du 201e corps afghan, est venu jusqu’à Mailly pour la préparation du PC Lafayette. L’occasion d’offrir un pacol au général Hogard survenus dans la vallée d’Afghania. Là, les habitants ont bouté dehors les insurgés. L’ISAF voulait construire une route, pour désenclaver la vallée. Les talibans s’y opposaient. Les villageois, qui voulaient la route pour vendre plus facilement leurs produits maraichers, leur ont demandé d’aller faire leur guerre ailleurs. La TF Lafayette, parlons-en justement. Car les troupes ne sont pas seules à subir une longue et minutieuse préparation avant leur engagement. Le commandement aussi. Mais pour bien comprendre l’enjeu, il est peut-être bon de rappeler l’organisation de l’ISAF. Elle a divisé l’Afghanistan en cinq régions militaires, nord, est, sud, ouest et centre. Le RC-Est (Régional CommandEast), celui qui nous concerne, est dirigé par les américains. Son quartier général est actuellement armé par la 101° division aéroportée, qui dispose de cinq brigades, ou cinq TF (Task-Forces) : trois TF américaines, une TF polonaise, et une TF française, baptisée La Fayette. Cette dernière engerbe quatre bataillons ou GTIA, le GTIA Kapisa, dans la vallée du même nom, le GTIA Surobi, au sud de la Kapisa, le BATALAT, bataillon de l’aviation légère de l’armée de terre (11 hélicoptères), et le BATLOG, bataillon logistique. Des afghans à Mailly Le PC (poste de commandement) de la TF Lafayette doit donc travailler, vers le haut, avec le PC de la 101° aéroportée, et vers le bas avec les PC des unités subordonnées. Cela ne s’improvise pas, s’effectue en anglais, la langue commune de la coalition, se traite selon des procédures américaines et réclame de sérieuses aptitudes. Car il s’agit de conduire un combat de contrerébellion dans un environnement interarmées, où l’interopérabilité avec les alliés (forces de l’ISAF et forces de sécurité afghanes), au plus bas niveau tactique, est un élément essentiel. Autrement dit, cela exige une parfaite connaissance de la tâche à accomplir, une forte cohésion du groupe, et des automatismes bien acquis. C’est le CEPC, centre d’entrainement des postes de commandement, installé à Mailly, qui a assuré la préparation du PC La Fayette. La relève a eu lieu à la fin octobre. Au général Chavancy a succédé le général Hogard. Son état-major, considérablement renforcé, est fort de 160 personnes, dont la plupart proviennent de la 9° brigade d’infanterie de marine. Leur entrainement a commencé en avril, pour s’achever le 17 septembre, après un dernier exercice de onze jours et nuits. Tout s’est déroulé sur ordinateurs. Les scénarios, bâtis sur des comptes-rendus réels, reprenaient toutes sortes d’incidents qui se sont effectivement déroulés sur le théâtre d’opérations. « Nous leur avons tout fait », avoue le colonel Baulain, qui commande le CEPC. « Tout, sauf la prise en otage de journalistes ». L’exercice a mobilisé plus de quatre cent cinquante personnes. Onze officiers américains, issus de l’état-major de la 101° aéroportée, sont venus pour l’occasion. Quatre officiers du 201° corps de l’armée afghane, et leurs interprètes, ont joué leur propre rôle. De nombreux officiers français, récemment déployés ou descendant directement de l’avion de Kaboul, ont apporté leur expérience toute fraiche. De tout cela, il résulte que la mise en condition avant la projection sur le théâtre afghan nécessite beaucoup de temps, d’argent, d’énergie et de personnel. Le commandement de la force terrestre ne lésine pas sur les moyens pour endurcir ses hommes, aguerrir ses unités, forger la cohésion de ses détachements, permettre un entrainement réaliste. Les critiques entendues lors de la tragédie d’Uzbeen n’auraient plus aujourd’hui aucune crédibilité. Projet2:Mise en page 1 12/01/10 10:30 Quand on a servi la France, on a droit à une retraite complémentaire d’exception… Crédits photos : ECPAD / France - Fotolia. Les Jardins de la Cité 01 48 88 64 00. Vous avez un droit d’accès et de rectification pour toute information vous concernant (loi Informatique et Libertés 78 17 du 6/1/1978). ” Page 1 Laurent M., C depuis 2007 Souscripteur RM J’ai 35 ans et j’ai servi en ex-Yougoslavie. Lorsque mes compagnons d’arme m’ont appris que j’avais droit à la Retraite Mutualiste du Combattant de La France Mutualiste, je n’ai pas hésité. Comme eux, j’ai commencé à préparer ma retraite en versant 500 € par an, déduits de mon revenu ; je paye moins d’impôts et j’ai la certitude d’obtenir une rente non imposable dès 50 ans, abondée par l’Etat et revalorisée régulièrement pour maintenir mon pouvoir d’achat… …faites-le savoir ! ” www.la-france-mutualiste.fr - 44, avenue de Villiers 75854 Paris CEDEX 17 - Tél. : 01 40 53 78 00 Mutuelle Nationale de Retraite et d'Epargne d'Anciens Combattants et Victimes de Guerre Soumise aux Dispositions du Livre II du Code de la Mutualité. Immatriculée au Registre National des Mutuelles sous le n° 775691132. ❑ M. ❑ Mme ❑ Mlle Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Né(e) le : Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal : Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : E-mail : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Votre situation ❑ Je suis détenteur : ❑ de la Carte du Combattant (Date d'obtention de ce document) ❑ du Titre de Reconnaissance de la Nation (Date d'obtention de ce document) ❑ Je suis Veuve, Veuf, Orphelin ou Ascendant d'un militaire mort pour la France ❑ Je n'ai pas encore demandé ma Carte ou mon Titre (La Mutuelle peut vous conseiller dans cette démarche) Conflits ouvrant droit à la RMC : Afghanistan Algérie Cambodge Cameroun Congo Côte d’Ivoire Gabon Golfes Indochine et Corée Irak Liban Madagascar Mauritanie Ouganda Maroc Méditerranée Orientale République Centrafricaine RDC Rwanda Somalie Tchad Timor Oriental Tunisie Yougoslavie Zaïre 39/45 Autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 000IHE2009 Coupon à retourner sous enveloppe SANS AFFRANCHIR à : LA FRANCE MUTUALISTE - Autorisation 955-75 75851 PARIS cedex 17 Pub-les-grands-A4-NG-0909:pub-les-grands165x225 23/09/09 10:21 Page 1 les grands de ce monde s’expriment dans Angela MERKEL Fidel CASTRO Hillary CLINTON Nelson MANDELA Hugo CHAVEZ Nicolas SARKOZY Otto de HABSBOURG Tony BLAIR DALAÏ LAMA Mikhaïl GORBATCHEV Silvio BERLUSCONI Benyamin NETANYAHOU José Manuel BARROSO Hosni MOUBARAK politique internationale la revue indispensable à ceux qui s’intéressent aux grands problèmes internationaux Fondateur et Directeur : Patrick Wajsman 11, rue du Bois de Boulogne 75116 Paris - Tél. : 01 45 00 15 26 - Fax : 01 45 00 16 87 www.politiqueinternationale.com de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 54 Débats et opinions La sécurité des systèmes d’information de la défense Christian Pénillard A la suite du grand dossier de notre précédent numéro, “Cyber-criminalité”, l’amiral Pénillard nous fait parvenir cet article, qui complète bien nos propos Les systèmes d’information et de communication (SIC) sont devenus, avec leurs multiples usages, les systèmes nerveux de nos sociétés, sans lesquels elles ne savent plus fonctionner. Leur maillage croissant constitue un « cyber-espace » très perméable, sans frontière, et vulnérable. L’explosion des procédés, des techniques et des motivations a permis la multiplication d’attaques de toute nature, ciblées et discrètes, ou massives et instantanées. Elles sont rarement attribuables, et peuvent être étatiques ou non étatiques (pirates, activistes, criminels ou simple étudiant en mal de nororiété). La poursuite de la croissance et de la diversification des risques et des menaces est une certitude pour les années à venir. Sécuriser l'information, une nécessité opérationnelle, est aussi une obligation légale pour protéger, non seulement le secret de la défense nationale, mais également des informations sensibles, comme les informations nominatives ou médicales. Protéger la confidentialité de l'information n’est pas tout, il faut aussi garantir sa disponibilité, donc la résilience des réseaux et systèmes d’information (commandement, soutien aux opérations, systèmes d’armes eux-mêmes). Il faut également garantir, comme dans tout ministère, le fonctionnement de l’administration générale. En outre, le ministère de la Défense a vocation à apporter au gouvernement des systèmes très résilients en cas d’agression majeure. La stratégie antérieure, de défense passive et périmétrique d’îlots élémentaires, est devenue insuffisante pour deux raisons. D'une part on assiste à l’irruption de vulnérabilités en profondeur, d'autre part les nécessaires réorganisations induisent une interconnexion généralisée des réseaux. Une stratégie de défense globale, réactive, en profondeur, combinant protection intrinsèque des systèmes, surveillance permanente, réaction rapide, est maintenant nécessaire. Cette nouvelle stratégie s'appuie sur des outils de confiance et des capacités dont, pour certaines, le développement est en cours. Elle demande une architecture globale maîtrisée, conçue pour sa sécurisation, et des opérateurs de confiance. Pour faire face à ces défis, le ministère de la Défense met en œuvre de longue date une organisation, s'appuyant sur des ressources physiques, humaines et techniques. C'est l'organisation permanente de veille-alerteréponse (OPVAR), qui permet le recueil, l'analyse et la mise en œuvre de solutions. Elle repose sur un réseau de correspondants, experts du domaine, et répartis sur l'ensemble des territoires et théâtres d'opérations. Ainsi une permanence existe 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, au sein d'un organisme central de lutte informatique défensive appartenant à la DIRISI (Direction des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la Défense). L'évolution rapide de la menace a conduit à placer un officier général de l’état-major des armées à la tête de la chaîne de lutte informatique défensive du ministère. Il s'appuie sur une organisation technique et opérationnelle de veille et d'alerte dont les moyens seront renforcés. Cet officier a des responsabilités de portée ministérielle, du fait qu'une infection ou une attaque peut trouver une brèche, un relais ou une cible dans n'importe quel système informatique du ministère. En complément, sur le plan méthodologique, une révision des processus a été mise en chantier. Ainsi, avec les chaînes de lutte en cas d’agression, c'est tout le domaine de la « cyber-sécurité » qui aura été revu. Pour conduire ce chantier, un officier général, autorité de synthèse SSI, a été placé auprès du Directeur Général des Systèmes d'Information et de Communication (DGSIC) du ministère. Par ailleurs, la nomination prochaine auprès du Premier ministre d'un directeur interministériel des systèmes d'information de l'État (DISI) marque un tournant majeur. Le ministère de la Défense est, et sera, un acteur important dans le nouveau paysage interministériel des réseaux qui se profile, dont la chaîne nationale de veille et d’alerte est actuellement pilotée par l'Agence nationale de SSI (ANSSI). D'ores et déjà, le ministère de la Défense adapte et décline la politique et les directives de l’ANSSI, et assure une gouvernance générale de la « cyber-sécurité » avec sa direction générale des SIC (DGSIC). Quels que soient le rythme et la nature des évolutions, le ministère de la Défense se doit de garder et développer en son sein une expertise forte en matière de cyber-défense. Les menaces et les opérations militaires dans le « cyber-espace » sont elles-mêmes devenues une réalité, qu’il faut prendre en compte dans les opérations actuelles. Le développement de capacités informatiques offensives militaires, que le Livre blanc a fixé pour objectif, contribuera à cet indispensable renforcement défensif. Au-delà des évolutions en termes d'organisations, d'outils et de méthodes, le grand défi à relever est le défi des compétences. Les hommes et les femmes capables de tenir leur place dans ce nouvel espace complexe et convoité doivent être bien recrutés, bien formés. Ils devront trouver au sein du ministère, en interministériel, voire hors de l'administration, le parcours professionnel correspondant à leurs légitimes aspirations.C'est un facteur Débats et opinions de succès déterminant, qui suppose une parfaite adéquation entre les compétences du personnel au sein du ministère et celles du monde extérieur. Il repose sur la reconnaissance au sein du ministère de la place centrale à accorder à cette fonction. 55 Enfin, à un moment où les engagements opérationnels amènent à conceptualiser les conflits asymétriques, la lutte informatique défensive présente à bien des égards ce type de caractéristiques. Cependant, l'asymétrie en question n'est pas tant une opposition entre le fort et le faible, qu'un duel entre le rapide et le lent. C'est par notre capacité à nous transformer et à nous adapter rapidement que nous assurerons la maîtrise de nos systèmes d'information. Amiral, directeur général des Systèmes d'information et de communication. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Cinéma de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 Défense 11:09 Page 55 MUGABE et l’Africain blanc Un film anglais de Lucy Bailey et Andrew Thompson – 2009 Produit par Arturi Films ; distribué par Pretty Pictures Sortie le 24 novembre 2010 - 90’ Sabine Carion AA 56 [email protected] « On peut être blanc et américain, blanc et australien, alors pourquoi pas blanc et africain ? » Voilà la question que pose candidement Ben, face à la caméra. Il est le gendre de Mike Campbell, fermier de 75 ans, l’ « africain blanc » qui a eu le courage de s’élever contre le président Mugabe. Ce président Mugabe – candidat unique – fier de truquer les élections et qui se vante de marcher dans les pas de Hitler. Mike Campbell a acheté sa ferme au gouvernement du Zimbabwe des années après l’indépendance. Il a contracté un emprunt sur vingt ans, emploie 500 personnes. Un an après avoir fini de payer sa dette, le gouvernement décide de lui reprendre la ferme au nom de la redistribution des terres pour l’attribuer à un fils de ministre qui n’a jamais cultivé la moindre parcelle … Mike Campbell refuse de se soumettre et décide d’en appeler à un tribunal international. Son avocate noire le défend avec beaucoup d’admiration. Elle sait ce que lui et sa famille Cinéma-défense 56 risquent et le témoignage de la jeune femme est émouvant : il s’agit bien plus que d’un simple titre de propriété, mais bien de montrer les limites à un dictateur sanguinaire comme aux autres chefs d’Etat africains qui suivent ses traces ou le défendent. Mugabe vole les terres des fermiers blancs pour les octroyer à ses « favoris » et protégés ; une telle est la maitresse d’un ministre, tel autre est juge, politique, ou fils de… prédateurs seulement préoccupés de s’enrichir, fermant les yeux sur les vols et la misère que cela entraîne pour le pays. Car ces vols s’accompagnent non seulement de terribles violences mais de la mise en coupe réglée des exploitations : meubles, outils, machines… tout cela disparaît, emporté par des inconnus qui transportent en chantant leur butin sur les camions, indifférents aux habitants et à leurs frères noirs dépossédés de leur travail et de leur avenir. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 Il ne s’agit ni de cultiver, ni d’entretenir, ni de payer les employés vivant du travail de la terre. Il s’agit pour ces pillards de faire de l’argent facile, et vite. Et, pour les nouveaux propriétaires, d’accumuler tant qu’ils en ont la possibilité, sans souci autre que de posséder. Le fils du ministre nous livre une analyse de la situation qui n’est que racisme et rappelle clairement le génocide des juifs : les blancs doivent disparaître. Ils sont « l’ennemi ». Le chinois ne l’est pas, car il partage le pillage, la mise en coupe réglée de l’Afrique. L’africain blanc, lui, vit sur ces terres qu’il a payées à la sueur de son front, veut y faire sa vie, y construire son avenir, celui de sa famille et des familles dont il a la responsabilité. Pour lui, pas de différence entre les hommes. Le bateau est le même. Il s’identifie tout entier à ce pays. Il ne repartira pas au loin fortune faite. Son objectif est le long terme, construire, et construire ensemble. Mais cela n’intéresse guère les hommes de Mugabe qui veulent s’enrichir rapidement, le plus vite possible, en servant le vieux dictateur pour lequel la vie humaine n’a aucun sens si elle ne lui est pas toute dévouée. Quelles sont les chances de Mike Campbell dans ce pays corrompu, sans lois, sans respect de l’homme, gouverné par un homme raciste dont le héros se nomme Hitler ? Quelles sont les chances d’un individu seul face à un tortionnaire qui ne cache pas ses pratiques ? Lorsque Mugabe parle de « sa » terre, de « son » peuple, seul le possessif compte. Et il le prouve au travers des ces milliers de morts, de ces millions de personnes qui fuient le pays. Le Zimbabwe si riche, l’exportateur de céréales devenu importateur par le fait d’une crise sans précédent… Pourquoi Mike Campbell ne fuit-il pas avec sa femme, ses enfants et petits enfants ? Il sait bien qu’il risque sa vie et la leur. Mais Mike Campbell refuse simplement de plier devant la dictature. Que diraient les siens, plus tard ? Il veut faire reconnaître son bon droit. Et ce droit va bien au delà de lui même, car sa vic- 16/11/10 11:09 Page 56 © Ciel de Paris productions 2010. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd toire remettrait en cause toutes les expropriations des fermiers qui deviendraient alors de fait illégales. Dans ce pays livré au pouvoir d’un fou sanguinaire, Mike Campbell se dresse, épaulé par son gendre et toute sa famille, par ses avocats noirs comme blancs, par ses employés qui savent bien que leur avenir aussi dépend de lui. Son seul appui : Dieu et la foi dans un combat juste. Il a une mission et il ira jusqu’au bout. Et en effet, ce combat là risque bien de changer le cours des choses… Offrir la certitude du long terme à l’Afrique, c’est offrir l’avenir à tous ses enfants. On s’étonne simplement du peu de retentissement de cette affaire en Europe, alors qu’il s’agit de faire respecter le plus simple des droits de l’homme et de lutter contre la discrimination raciale. La paix et l’harmonie sont possibles uniquement là où les hommes sont égaux en droits et en devoirs. Cela devrait être notre combat à tous. Il FAUT aller voir ce film, ne serait-ce que pour exprimer respect et soutien à un homme juste, à sa famille, à ceux qui les défendent et aux deux réalisateurs. Ils ont tous pris des risques inouïs afin de défendre le sens des mots « Justice » et « Droit » sans lesquels aucune vie ensemble n’est possible. Il est nécessaire de les encourager et de les soutenir. Les beaux discours dont l’Europe et tout particulièrement la France sont si friandes doivent s’accompagner de gestes, de preuves. Aller voir ce film en est une, alors que Mike Campbell continue de risquer sa vie au moment où ce film sort en France. CE N’EST QU’UN DEBUT Un film de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier Produit par Cilvy Aupin Distribué par le Pacte Sortie nationale le 17 novembre 2010 A l’heure du tout technologique, du logiciel roi, du formatage, des institutrices se sont lancé un bien joli défi ! Celui d’éveiller les plus jeunes à la philosophie. Et ce pari réserve de belles surprises. Les premières années de maternelle de l’école d’application Jacques Prévert de Le Mée-surSeine, dans une ZEP de Seine et Marne, ont expérimenté avec leur maîtresse Pascaline, la tenue d’un atelier où, assis en cercle autour d’une bougie, les enfants discutent librement et s’interrogent sur le sens des mots, des valeurs, des sentiments… de ce qui fait leur vie, leurs angoisses, leur plaisir, leurs attentes. Ils apprennent ainsi à penser par eux-mêmes avec leurs mots à eux, plein de spontanéité, de bon sens et de poésie. Il ne s’agit plus là d’apprendre correctement sa leçon, de bien la répéter, mais de réfléchir, de s’interroger à la fois seul et ensemble. De comprendre et d’apprécier la différence, la richesse de l’individualité. Ces enfants ont tous entre quatre et cinq ans ; pour eux, la philosophie « rend intelligent» ! Curieux, ravis de pouvoir s’exprimer, ils remportent à la maison leurs interrogations pour les partager avec leurs parents. Le travail continue en famille, créant un lien de plus entre parents et enfants. Il leur fait partager une expérience commune très enrichissante, et souvent amusante pour ceux qui s’y prêtent. La réalisatrice a consacré deux ans à ce tournage, afin de suivre les enfants, leur évolution, capter leurs réactions au cours de ces ateliers qui ont lieu deux fois par mois. La concentration des enfants varie selon les jours et les sujets, leur intérêt s’éveille peu à peu. Ils apprennent à s’écouter, se respecter, comprendre l’opinion de l’autre, rebondir sur une idée, défendre leur point de vue. La fonction sociale de ces ateliers apparaît évidente pour former les esprits à la Cinéma-défense 57 réflexion, leur inculquer les notions du vivre ensemble. Ce très joli documentaire est un vrai bol de fraîcheur qui laisse le spectateur enchanté quand un bon mot surgit, une image, une vérité. Un film à voir et une expérience à développer ! Extraits A propos de la mort : -« pourquoi tu ne veux pas la mort ? » -« parce que je veux pas être seule, parce que sinon je vais me perdre » A propos de la liberté : -« moi je dis que la liberté, c’est quand on peut être un petit peu seul, respirer un petit peu et être gentil ». A propose de l’amour : -« pourquoi on devient rouge ? » -« parce qu’on a un cœur dans le ventre » NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 57 ILS/ELLES PUBLIENT Les livres qui ont marqué le trimestre... Sélection Pascal Le Pautremat La cybersécurité. Nicolas Arpagian. Editions Presses Universitaires de France, collection « Que sais-je ? », n°3 891, Paris, 2010, 128 pages. Rédacteur en chef de la revue Prospective stratégique (du Centre d’Etude et de Prospective stratégique), Nicolas Arpagian est connu pour ses réflexions et écrits sur les questions inhérentes à l’intelligence économique et ses aspects concomitants. En l’occurrence, il aborde ici la vaste question – particulièrement d’actualité de surcroit – de la cybersécurité. Un domaine qui sied à ses autres responsabilités de c o o rd o n n ateur d’enseignement à l’Institut national des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (IHESJ) où il dirige le cycle « Sécurité numérique ». Il avait publié l’année passée un ouvrage, remarqué lui aussi, sur la cyberguerre (titre éponyme), aux éditions Vuibert. Alliant pédagogie et didactique pertinente, Nicolas Arpagian réussit à faire le tour du sujet en débutant son étude par une Livres définition de la notion même de cybersécurité. Ce qui per58 met d’élargir rapidement le propos puisque la cybersécurité s’étend à plusieurs secteurs, de la sphère privée à l’environnement public, du milieu entrepreneurial aux domaines militaires et politiques. On l’aura compris, le sujet oscille entre impératifs sécuritaires, stratégie et même géopolitique sur le champ interétatique. Lorsque l’on retient que, selon l’Institut Forrester Research, cité par Nicolas Arpagian, le nombre d’internautes devrait être de 2,2 milliards en 2013 et que, compte tenu des rapports d’influence démographique des prochaines années, l’Asie Pacifique va devenir majoritaire, on entrevoit les incidences de la Toile sur les rouages économiques et politiques, au regard aussi des diverses menaces qui en émanent. L’auteur recense ainsi deux catégories majeurs d’attaques abordées successivement dans deux chapitres) : celles perpétrées par les réseaux informatiques et téléphoniques, celles de nature NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 informationnelles. Et de considérer - quatrième partie de l’ouvrage - qu’elles préoccupent au plus haut point les Etats mais aussi le monde entrepreneurial tout comme les particuliers, à des niveaux certes différents mais cruciaux. Et d’achever son étude analytique, par un cinquième chapitre, qui met en valeur les exemples de politiques de cybersécurité adoptées par divers Etats comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, et l’Allemagne pour l’Occident, mais aussi l’Inde et la Chine pour l’Asie. On ne peut que conseiller vivement la lecture de cet ouvrage tant il associe harmonieusement concision et précisions. Un condensé, ajusté, sur la question qui ne pourra que satisfaire tout lecteur désireux d’assimiler l’essentiel du sujet. Les étudiants en particulier, à titre d’amorce de leurs travaux de recherche. Business en milieu hostile. La sûreté des entreprises à l’international. de Dimitri Linardos et Fanny Lecarpentier. Préface d’Eric Delbecque et Laurent Combalbert. Editions Vuibert-INHESJ, Paris, 235 pages. C’est à deux experts du Groupe GEOS que l’on doit cet opus destiné à mettre en avant une approche autre du commerce à l’international dans les zones d’instabilité notoire, voire conflictuelles. La dimension remarquable de leur propos tient surtout au fait que leur problématique s’affiche clairement en marge des rouages économiques contemporains, et replace au cœur des systèmes économico-financiers, l’être humain. Dimitri Linardos, ancien officier du 13ème Régiment de dragons parachutistes (RDP), expert en sûreté à l’international, assure également les fonctions de directeur d’une filiale du groupe Alstom Power au Nigeria. Parmi d’autres responsabilités, il fut auparavant Adjoint au Directeur des opérations et directeur de la Qualité et de la Formation au sein de GEOS. Fanny LeCarpentier, pour sa part, est directeur de projet intégrée au Pôle Conseil et Ingénierie de GEOS. A deux, ils offrent donc une partition qui retient l’attention tant par sa finalité et que la rigueur avec laquelle elle est écrite. On ne peut que saluer leur démarche visant à rappeler, en marge des discours entrepreneuriaux aveugles, que la dimension noble du commerce à l’internationale ne peut se faire qu’avec l’accord et le partenariat des populations autres. Ils rappellent combien il faut éviter toute approche unilatérale voir néo impérialiste. Ils en appellent à la Responsabilité sociale des entreprises, invitées finalement à faire preuve de morale et d’éthique. L’ouvrage s’applique à l’analyse, tout en restant attaché aux fondements historiques des notions majeures développées ici ; à l’instar du concept entrepreneurial. Les auteurs relatent aussi les grands enjeux de l’économie à l’international pour, peu à peu, s’orienter sur l’époque immédiate et offrir une nouvelle approche des défis qui se présentent à nos sociétés. Dans le même temps, ils proposent les méthodes qu’ils estiment les plus appropriées pour mieux aborder les logiques d’entreprises : rentabilité, efficacité, certes, mais sans contraster de manière odieuse voire scandaleuse avec leur environnement au cœur des zones dits grises ; ces tristement célèbres pôles géographiques, intra ou interétatique qui cumulent les maux : vide politique, déliquescence sociale mutisme économique et marché noir, sur fond parfois de guerre civile sinon régionale. Après avoir identifié tous les maux et les menaces qui pèsent sur les entreprises, de la guerre civile au kidnapping, en passant par la piraterie ou les phénomènes de criminalité, D. Linardos et F. Lecarpentier déroulent largement, et dans leurs moindres détails, les outils et méthodes destinés à monter un projet d’internationalisation. Tableaux, croquis décrivent avec minutie toutes les questions qui doivent être posées et les moyens qu’implique une telle entreprise. Infrastructures, déplacements, logistique, communication, toutes les faces essentielles de l’action d’entreprise à l’étranger en zone hostile sont passées au crible. Ils intègrent l’ensemble dans une problématique de sûreté, tant des personnels que des moyens déployés ou des structures mises en place. Pour autant, il s’agit bien d’éviter l’écueil de la « bunkerisation » qui peut conduit à une rupture totale avec l’environnement social sur le plan local. Au contraire, il s’agit bien de solliciter les populations pour les faire participer aux activités de l’entreprise, en veillant à ce que chacun en tire profit de manière la plus équitable possible, dans un respect mutuel. On ne pourra donc que se féliciter de la parution d’un tel ouvrage qui, espérons-le, va sensibilisera à l’urgence d’une refonte mentale de l’approche des multinationales et de leurs actions. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 58 Les hommes debout. Cinq combats pour la Liberté. Hélie de Saint-Marc, Jacqueline de Romilly, Wladyslaw Bartoszewski, Jan Mojto et N’Guyen Ky Suong . Sabine Carion, que les lecteurs de Défense connaissent bien comme experte du 7ème Art, est partie à la rencontre de personnalités d’exception qui ont en commun d’avoir été confrontées à l’histoire avec un grand H, mais aussi – exceptée Jacqueline de Romilly - à certaines de ses péripéties contemporaines les plus douloureuses, sinon les plus dramatiques. Hélie de Saint-Marc, Wladyslaw Bartoszewski, Jan Mojto et N’Guyen Ky Suong ont côtoyé la mort : camps de déportations durant la Seconde Guerre mondiale, incarcération et persécution politiques au cœur de crises inscrites dans les pires années de la Guerre froide, de l’Occident à l’Asie. Mais tous ont gardé à l’esprit, leurs convictions initiales, leur droiture, une certaine idée de l’honnêteté intellectuelle, morale et critique. Leur trait commun : une incroyable volonté de vivre en refusant de subir. Au-delà des propos recueillis, c’est une belle mise en perspective, comme un long métrage soigné, intimiste et universel, que Sabine Carion nous offre avec une rigueur de réalisateur. A noter que l’ouvrage est disponible avec le CD qui réunit une grande partie des témoignages de ces cinq personnalités hors du commun, hors du temps et de l’histoire immédiate. En soit, le témoignage de Jacqueline de Romilly, qui tranche par rapport aux itinéraires de souffrance graduée des autres interlocuteurs rencontrés, sert aussi de contrechamp et de point d’orgue pour souligner les enjeux éthiques et politiques de notre monde mondialisé, en déficit de repères, de culture et de mémoire, notamment par rapport au grand héritage de la démocratie grecque. Une démarche en filigrane, particulièrement pertinente qui ne doit donc rien au hasard puisqu’elle nous ramène à la tragédie, notre tragédie contemporaine. Tous les autres ont enduré des épreuves qui, pour les jeunes générations, ne signifient presque plus rien de concrètement palpable ; si ce n’est qu’une référence abstraite à la notion de torture physique. Mais que dire réellement des tortures morales ? Livres 59 Sabine Carion s’imprègne de ses interlocuteurs et concrétise une quête : un certain sens, sinon un sens certain de l’honneur. A travers le cœur et l’âme de ses hôtes, elle cherche cette part incompressible de résistance qui se révèle dans l’expérience des limites, du déchaînement guerrier aux traques idéologiques les plus sauvages. En compagnie de ses héros, elle nous rappelle aussi que ce sens de l’honneur cohabite - le plus souvent - avec ceux de l’humilité et, parfois même du pardon. En définitive, comme tous les grands intervieweurs, elle dessine une cartographie qui fait sens. En effet, ces rencontres sont autant de voyages au bout de nos nuits, de nos destins et de leurs interrogations. Sabine Carion nous embarque dans une exploration rare. Elle prend aussi le temps d’écrire, de laisser chanter ses phrases et de dévoiler au plus grand nombre un secret : celui de l’intelligence de la complicité. Avec un regard qui n’est pas toujours impartial, elle retranscrit ou plutôt elle tranche. Cinq destins, cinq trajectoires d’individus qui ont choisi la liberté… Un très beau livre et un vrai cadeau de Noël… qui ne manquera pas d’alimenter la discussion ! Pascal Le Pautremat et Richard Labévière NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 59 Rens ei gnem ent dans tous ses états J o ë l - Fra n ç o i s D u m o n t * A R 1 6 [email protected] L’académie du renseignement L’esprit de notre temps se défie du secret (François Fillon) « L’ambition française » étant « de ne pas subir les effets de l’incertitude, mais d’être capable d’anticiper, de réagir et de peser sur les évolutions internationales », la fonction renseignement a été érigée en priorité stratégique, au même titre que la dissuasion. « Connaître et anticiper » sont les maîtres mots de la réforme. Budgets en hausse, recrutement de spécialistes, on est loin des coupes sombres opérées dans le budget de la défense. « La différence entre l’intérieur et l’extérieur n’est plus aussi tranchée qu’auparavant. Entre le policier et le militaire, les missions sont de plus en plus complémentaires. Entre sécurité et défense, la continuité est désormais au cœur de notre pensée stratégique. » (1) Comme l’a rappelé François Fillon, en installant l’Académie du renseignement à l’École militaire le 20 septembre dernier : « jamais le renseignement n’a été pour notre pays une priorité stratégique aussi haute. » (2) Le s 7 r e n d e z - vo u s 60 Le Premier ministre a rappelé le double sens de cette réforme : « un renseignement toujours plus efficace, au service de la France, de sa diplomatie, de sa défense, de ses intérêts dans le monde, et de la sécurité de ses citoyens … enfin, un renseignement revalorisé, qui réponde aux attentes des membres des services, en matière de protection juridique, d’équipement, de gestion des ressources humaines, de qualité de la formation. » … « Une réforme capitale, initiée, portée par le président de la République, résolu à la mener à bien », qui se traduit, pour François Fillon, par « la fin d’une hypocrisie »… « L’exécutif ne peut plus maintenir artificiellement ses distances, comme il l’a fait trop longtemps en assumant désormais pleinement cette activité », en définissant des priorités stratégiques ou en énonçant des besoins. « Deux grandes lignes de force » ont été tracées : « faciliter la gestion des ressources humaines de chaque service et créer les conditions NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 d’une réelle mobilité entre les services et vers l’extérieur du monde du renseignement. » (1) La raison d’être de cette « Académie du Renseignement » est de développer « un programme de formation, véritable tronc commun, défini entre les services, hébergé par eux et sanctionné par un brevet reconnu par tous. » (2) « Le temps des rivalités est révolu » La coordination des services « doit être forte du partage des valeurs, des expériences, des savoirs qui sont propres aux militaires de la DRM ou de la DPSD, aux agents de la DGSE, aux douaniers de la DNRED, aux policiers de la DCRI, et aux experts de TRACFIN ... Un plan national d’orientation du renseignement a été adopté, qui constitue une référence pour chacun de nos six services de renseignement – DCRI, DGSE, DRM, DPSD, TRACFIN, DNRED. » Au-delà de la qualité et de la pertinence des moyens techniques, dans un pays qui compte une voire deux fois moins d’agents que la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, l’accent est mis sur les ressources humaines : « le renseignement repose d’abord sur les hommes qui le recueillent ; l’analysent et l’exploitent, dans des conditions parfois périlleuses. L’attention au recrutement, à la formation et au déroulement des carrières sera donc renforcée » avec des filières valorisées, un recrutement plus ouvert (universités, grandes écoles), et un recours plus aisé aux contractuels. (1) Le décret du 13 juillet portant création de cette Académie du renseignement est venu ajouter « un facteur supplémentaire de cohérence » à l’édifice, prélude à une Communauté française du renseignement enfin « rassemblée et décloisonnée ». Pour conduire ce projet, le choix s’est porté sur Lucile Dromer-North, directrice adjoint de la formation à l’ENA, en raison de son expérience en matière de formation dans un cadre interministériel et de ses compétences reconnues. Au-delà de la formation initiale et continue des 85 stagiaires, il lui faudra contribuer à la promotion d’une culture française du renseignement, comme chez les Anglo-Saxons ou les Allemands. Pour Mme Dromer-North, « il ne s’agit pas de se substituer aux Services, qui conserveront évidemment leurs formations internes spécifiques. La volonté est bien, dans le domaine de la formation, d’initier une démarche de mutualisation, au sein de la communauté du renseignement dans son ensemble, favorisant ainsi la connaissance réciproque et la mobilité des cadres entre les différents services. » Objectif : une communauté du renseignement renforcée, supervisée par le coordonnateur national du renseignement. Pour les « anciens » regroupés au sein d’Hestia Intelligence Studies, « il faut, en particulier, s’efforcer, par une meilleure compréhension mutuelle, de substituer dans les esprits une logique de complémentarité à une logique de concurrence souvent prévalente … Mettre ensemble pendant une durée limitée, des personnels qui viennent de rejoindre la profession pour leur donner des bases communes, ce qui facilitera d’autant la coopération, dans la perspective d’une véritable osmose. Des stages de recyclage, d’information, voire de partage d’expérience dans certains domaines devraient également être organisés en cours de carrière ». Les membres d’Hestia seraient, eux, partisans de « nouer également des partenariats avec les universités et les instituts étrangers qui développent des programmes ‘d’intelligence studies’», choix qui n'est pas celui qui a été arrêté pour l’académie du renseignement à ce jour. La promotion d’une culture française du renseignement prendra du temps. On ne change pas des mentalités d’un coup de baguette magique. L’importance des enjeux mérite de tenter l’expérience en offrant une chance à ceux qui ont des dons cachés ou des profils atypiques de faire acte de candidature. (1) Livre blanc pour la défense et la sécurité : Connaître et anticiper, Chap.8, p.133-134. (2) Discours de François Fillon : http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/discours-du-premierministre-lors-de-l-installation-de-l-academie-durenseignement de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:09 Page 60 Les for c es s péc i al es Pascal Le Pautremat*AR17 [email protected] Affaire Linda Norgrove : les aléas des opérations de libération En Afghanistan, le 9 octobre dernier, une action spéciale destinée à libérer l’humanitaire britannique, Linda Norgrove, s’est soldée par la mort de l’otage. Après un flottement médiatique sur les circonstances exactes, l’enquête s’oriente vers la « responsabilité directe » d’un membre des SEALS américains. Linda Norgrove, 36 ans, d’origine écossaise, docteur de l’université de Manchester, travaillait depuis le début des années 2000 pour l’Organisation mondiale de protection de la nature. Elle était en Afghanistan pour le compte de la société américaine Development Alternative Inc (DAI) spécialisée dans la relance des activités économiques dans les régions instables. Elle avait été enlevée le 26 septembre 2010 dans la province de Kunar, à 2 400 mètres d’altitude. Grâce aux nouvelles technologies (drones et écoutes radios des services de renseignement américains), le commandement de l’OTAN a pu la localiser, suivre l’itinéraire de ses ravisseurs et constater la dangerosité extrême de la situation dans laquelle la jeune femme se trouvait. Officiellement, ses ravisseurs hésitaient entre deux options : la tuer ou la déplacer dans les confins du Nord-Waziristân, au Pakistan, où il aurait été encore plus délicat de la sortir des griffes de ses geôliers. L’argument avancé : L’urgence de l’intervention Il est alors décidé de monter une opération vive force destinée à libérer au plus vite Linda Norgrove. Faute de marge de manœuvre suffisante, la possibilité de recourir aux équipes du SAS (Special Air Service) britannique est écartée. Le choix se porte finalement sur la Seal Team Six (ST6) américaine, spécialisée dans le contre-terrorisme et associée aujourd’hui au United States Naval Special Warfare Development Group (NSWDG ou DEVGRU) . Présente depuis des mois dans le nord-est de la province de Kunar, l’équipe des Seals connaît bien ses adversaires régionaux. L’opération spéciale est lancée à l’aube, le 9 octobre. Dès les premières minutes de l’assaut, six des ravisseurs sont tués, tandis qu’un autre cherche à extraire Linda Norgrove de l’habitation où ils se trouvent. Elle se serait débattue puis couchée en position fœtale pour ne pas être exposée aux échanges de tirs. Des grenades sont lancées au cours de l’action. L’une d’elle – à fragmentation explose tout près d’elle et la tue. Médiatisation précipitée et jeu de politisation Après que les médias et l’OTAN ont annoncé, dans un premier temps, que l’otage avait péri au cours de l’assaut, assassinée par ses ravisseurs, les autorités américaines diligentent une enquête suite à une étude approfondie des enregistrements vidéos de l’action . Après analyse et recoupement des témoignages, il apparaît que l’un des membres de l’équipe SEAL aurait lancé une grenade à fragmentation contre un ennemi, sans apercevoir Linda Norgrove qui se trouvait à proximité immédiate. Le Premier ministre britannique, David Cameron, dès le 11 octobre, reconnaissait que l’Ecossaise avait été victime d’une grenade américaine. L’affaire a suscité outre-Manche une vive émotion. Selon le journal britannique The Guardian, la famille de Linda Norgrove n’aurait pas été contactée au prélable pour donner ou non son accord pour cette opération de vive force. Après une rencontre entre D. Cameron et le président américain Barak Obama, une enquête militaire commune est lancée, sous la conduite du général de brigade Rob Nitsch, de l’armée britannique, et du major-général Joseph Votel, officier général de l’US Special Operations Command (USSOCOM). La situation donne lieu aussi à des commentaires oscillant entre le ridicule et le catastrophisme – de rigueur – tel celui paru dans The Times qui n’hésitait pas à estimer que « […] S'il était confirmé que Norgrove a bien été tuée par une grenade américaine, cela risquerait de jeter une ombre pour une longue période sur les relations anglo-américaines ». Responsabilité et judiciarisation : où l’on oublie les aléas de la guerre C’est surtout la nature même de la grenade employée qui surprend. Dans un milieu confiné où se trouve l’otage, on privilégie les grenades assourdissantes, aveuglantes ou fumigènes. Certes, l’emploi d’une grenade à fragmentation n’est pas proscrit pour autant dans de telles actions où la létalité est de mise. Tout dépend de la situation immédiate et de la nature de l’adversité. Officiellement, les autorités américaines font valoir que le militaire a tardé à reconnaître, auprès de sa hiérarchie, l’usage d’une telle grenade, ce qui l’exposerait à des sanctions disciplinaires. La Marine américaine souligne aussi que son attitude porte atteinte à l’intégrité des SEALs. Cela démontre combien, encore une fois, la perception d’une opération spéciale est soumise au joug de la médiatisation à outrance et de sa politisation potentielle. Il ne faudrait pas, qu’à l’avenir, les militaires soient systématiquement fustigés et se voient reprocher des initiatives prises sous le feu, sous prétexte qu’elles entraînent directement ou non la mort d’un ou de plusieurs otages. Leur vie est toute autant menacée que celle des personnes auxquelles ils tentent de porter secours. Vraiment, faut-il le rappeler ? La mort de Linda Norgrove va susciter encore bien des polémiques. Les SAS Le s 7 r e n d e z - vo u s auraient-ils été plus appropriés pour 61 cette opération ? Dans la mesure du possible, faut-il ou non privilégier le paiement de rançon pour libérer les otages ? Les familles d’otages français doivent en tout cas être bien préoccupées par leur devenir : celles des deux journalistes de France Télévision, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, détenus depuis le 29 décembre 2009, des otages retenus dans la zone sahélienne, et de l’agent de la DGSE toujours en Somalie depuis le 14 juillet 2009. 1/La ST6 appartient aux forces spéciales de l’US Navy : les SEALS (Sea, Air, and Land), commandos/nageurs de combat, créés en janvier 1962 par le président J. F. Kennedy. 2/Les membres des Seals ont eux-mêmes une caméra fixée sur leur casque. NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:10 Page 61 A r m es de c om m uni c ation massive Fra n ç o i s d ’ Al a n ç o n * AA 55 [email protected] La dernière vitrine du cyberjihad L’essentiel de l’activité de propagande du réseau Al-Qaida se déroule sur Internet Al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa) a mis en ligne en octobre le deuxième numéro de sa cyber-revue « Inspire », rédigée en anglais, destinée à encourager les musulmans anglophones à rejoindre le réseau jihadiste international. Véritable guide du parfait petit jihadiste, le numéro contient des suggestions d’attentat contre des restaurants de Washington, des conseils pour utiliser un pickup pour « faucher les ennemis de Dieu » et des analyses de textes religieux de l’imam radical américano-yéménite Anwar al-Awlaki. Surnommé le Ben Laden de l’Internet, ce dernier aurait « inspiré » trois des terroristes responsables des attaques du 11 septembre, le responsable du massacre de Fort Hodd, Umar Farouk Abdulmutallab, mais aussi Faisal Shahzad, arrêté pour l’attentat manqué de Times Square. Sur 74 pages agrémentées de nombreuses photos et illustrations, la revue, signée par Al-Malahem Media, branche Le s 7 r e n d e z - vo u s 62 « communication » d'Aqpa, présente de façon moderne et attractive des témoignages comme « Ma vie dans le jihad », des exégèses du Coran, des conseils pratiques pour monter des attentats ou des interviews de jihadistes américains. A la page 45, Samir Khan, un américain d'origine saoudienne ayant vécu à New York et en Caroline du Nord, avant de rejoindre les rangs d'Aqpa au Yémen, raconte sa trajectoire, sous le titre « Je suis fier d'être un traître à l'Amérique ». Cet ancien résident de Caroline du Nord, âgé de 24 ans, qui animait des sites jihadistes depuis le sous-sol de la maison familiale à Charlotte, avant de partir pour le Yémen, serait l'un des principaux animateurs d' « Inspire », mis en ligne pour la première fois en juillet. Le numéro comprend également des photos des combats dans la province yémé- NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 te, à cibler une audience occidentale. « Le public visé, ce sont clairement les aspirants jihadistes aux Etats-Unis, au Royaume-ni et en Australie, qui ne parlent pas couramment arabe et qui veulent en savoir plus sur le jihad. C’est un moyen d’aller chercher ce public, de le radicaliser et d’inspirer d’autres meurtriers comme celui de Fort Hood, d’autres poseurs de bombes, à l’image de celui de Times Square, vivant déjà aux EtatsUnis ». Concrètement, ce magazine en ligne n’est pas là pour attirer des millions d’internautes, mais plutôt pour pousser deux ou trois individus, ayant grandi au sein des communautés musulmanes locales, à perpétrer des attentats dans le pays où ils vivent. nite d'Abyan, avec de nombreux clichés de soldats yéménites tués, une interview d'Abou Soufiane al-Azdi, un saoudien devenu l'un des chefs d'Aqpa après avoir Pour Jean-Pierre Filiu (1), les dirigeants passé près de six ans prisonnier sur la d’Al-Qaida considèrent leur jihad global à base américaine de Guantanamo à Cuba. 50 % un combat médiatique et accordent Dans un article intitulé "L'ultime tondeuune importance se", un certain majeure à leur activiYahya Ibrahim Le cyberjihad représente té de propagande donne "à nos dont l’essentiel se lecteurs un une des armes principales déroule sur Internet, conseil pour à la fois vecteur de mener leur jihad d’Al-Qaida pour rallier et doctrine et d’organiindividuel". Il sation. Ce cyberjihad préconise de se mobiliser des éléments permet à Al-Qaida servir d'un gros susceptibles de projeter d’entretenir l’illusion 4x4, équipé de de son omniprésence lames d'acier de nouveau la terreur planétaire, nourrit son soudées à prestige militant et ses l'avant, comme capacités de recrutement. Il facilite égaled'une arme pour foncer dans des foules ment l’allégeance de groupes locaux qui de piétons "dans des pays comme Israël, accèdent en retour à la chambre d’écho les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le du jihad global. Ce flux de messages et Canada, l'Australie, la France, d’échanges contribue à structurer un l'Allemagne, le Danemark, la Hollande et réseau très concret de collaborations. tous les pays dont le gouvernement et « La secte virtuelle d’Al-Qaida, affirme l'opinion publique soutiennent l'occupaJean-Pierre Filiu, trouve dans la toile son tion israélienne de la Palestine". "Si vecteur privilégié d’accès à de nouveaux vous pouvez avoir des armes à feu, sympathisants, elle mise sur leur très emportez-les pour terminer l'opération" faible culture religieuse, leur aliénation poursuit le texte, illustré d'une photo sociale, voire leur exil intérieur, pour publicitaire d'un énorme pick-up Ford. imposer ses thèses agressives, les "Car après une telle attaque, il sera très encourager à la violence physique. difficile de s'en sortir. Considérez cela L’Internet constitue aussi un formidable comme une opération-martyr". canal de popularisation des techniques terroristes. Le cyberjihad représente une A la fin, sous le chapitre « Comment nous des armes principales d’Al-Qaida pour contacter », les auteurs donnent plurallier et mobiliser des éléments suscepsieurs adresses de courriels, du genre tibles de projeter de nouveau la terreur « [email protected] », en de masse dans les pays occidentaux. « recommandant fortement » l'utilisation L’aspect illusoirement inoffensif de d'un programme de cryptage (dont le l’Internet ne doit à cet égard pas induire mode d'emploi est fourni) « afin d'éviter en erreur ». d'être détectés par les services de renseignements ». (1) Les Neufs Vies d’Al-Qaida, Fayard, 2009. Selon Bruce Riedel, ancien expert de la CIA, le magazine participe d’une tendance plus large, au sein du réseau jihadis- de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:10 Page 62 Li gnes de m i r e i nter nationales Philippe Leymarie [email protected] Entre Londres et Paris, l’entente frugale ? « Historique », ont martelé les dirigeants français et britanniques, après la conclusion le 2 novembre dernier à Londres d’une impressionnante série d’accords de coopération militaire, notamment dans le secteur ultra-sensible du nucléaire. Mais il n’est pas sûr que cette nouvelle Entente cordiale [1], rebaptisée aussitôt « Entente frugale » par la BBC, soit si extraordinaire qu’il a été proclamé à Paris comme à Londres. D’abord si on se réfère aux ambitions. Côté britannique, elles sont bien délimitées, comme l’a expliqué le ministre de la défense Liam Fox, dans un entretien publié par le Sunday Telegraph à la veille de la signature des accords : il ne s’agit « pas d’une réédition du projet de coopération militaire accrue dans un cadre européen » (comme cela l’avait été à Saint-Malo, en 1998) ; « pas plus qu’il n’est question d’une poussée en vue de constituer une armée européenne à laquelle nous nous opposons » ; « mais de prouver que la coopération en Europe n’a pas toujours besoin de se situer à un niveau européen, et peut se développer à l’échelon bilatéral entre deux Etats ». Clairement, Londres ne s’engage dans une coopération militaire intense avec un de ses voisins que… pour se passer de l’Europe ! Et en ne cessant de répéter que l’OTAN demeure « le garant essentiel de la sécurité en Europe » : c’est spécifié dans la déclaration commune aux deux Etats. On comprend pourquoi le secrétaire général de l’OTAN a aussitôt considéré ces accords comme « un exemple » : trouver ensemble les moyens de faire face à l’austérité budgétaire, tout en « continuant à remplir ses engagements vis-à-vis de l’Alliance atlantique ». A aucun moment, d’ailleurs, dans la conclusion de cette batterie d’accords, il n’a été question des perspectives ouvertes par le nouveau traité européen de Lisbonne - notamment les « coopérations structurelles renforcées », qui permettent à certains Etats plus à même d’avancer dans certains domaines de défense et sécurité, de prendre les devants en petit groupe, quitte à entraîner les autres. Pas plus que n’a été évoquée la perspective de la création d’un quartier général permanent de l’Union européenne, jugée nécessaire par les militaires pour la conduite d’opérations, mais combattue avec constance par Londres. On est au contraire, dans ces accords franco-britanniques, sous le régime du bilatéral, de l’intérêt mutuel, du pragmatique. Paris, de son côté, avait conditionné son retour plein au sein de l’OTAN à un renforcement de l’Europe de la défense – objectif qui semble avoir été passé par pertes et profits. Le ministre français de la défense lui-même, le centriste Hervé Morin, à l’issue d’une réunion peu enthousiasmante avec ses homologues en septembre dernier, avait exprimé le désenchantement français (ou simplement le sien ?) : « Les Etats ont démissionné, pour la plupart, sur une ambition simple : disposer d’un outil militaire permettant de peser sur les affaires du monde. L’Europe est en train de devenir un protectorat sous condominium sino-américain ». De fait, la Grande-Bretagne et la France restaient ces dernières années les deux seules nations européennes à consacrer environ 1,8 de leur produit intérieur brut aux dépenses de défense, et à disposer d’une panoplie militaire complète, avec la gamme des unités, des spécialités, et des matériels permettant de faire face à tout type de situation, dans les environnements terre-air-mer, et jusqu’à l’exercice de la dissuasion nucléaire (apanage de moins d’une dizaine d’Etats dans le monde). A elles deux, la Grande-Bretagne et la France représentent la moitié de toutes les dépenses de défense en Europe, et le deux tiers des crédits de recherche et développement (R et D) : une charge et un standing menacés par le piètre état des finances publiques de ces deux nations, engagées dans des politiques assez drastiques de réduction de leurs dépenses. Mais, s’adosser stratégiquement à la Grande-Bretagne, allié privilégié des EtatsUnis, y compris dans la dimension nucléaire – objet de deux traités - revient à se rapprocher stratégiquement du « parrain » américain, qui détient de fait les clés du nucléaire britannique [2]. Et à partager, dans la réalité, les fameux « intérêts vitaux » qui motiveraient la menace d’une frappe nucléaire. Lesquels intérêts vitaux – heureusement, et c’est ce qui laisse une petite marge de manœuvre ! – sont un peu à géométrie variable, en fonction des moments, lieux, acteurs, circonstances… En fait, la coopération nucléaire envisagée est surtout technique (vérification, par des technique spectrographiques, de la qualité des composants des charges nucléaires) et informatique (calculs de simulation des explosions, pour la mise au point des charges de prochaine génération), et n’entrera pas en vigueur avant 4 ou 5 ans. Il n’est guère question d’ailleurs d’échange de renseignements, de partage de patrouilles, et encore moins de fusion des chaînes de commandement : chacun reste en principe souverain. Quant au projet de « corps expéditionnaire » (les Français préfèrent l’expression "force projetable"), c’est une adjonction d’unités d’intervention françaises et britanniques, mais non un corps permanent, comme la Brigade franco-allemande : un dispositif-papier. Et la « force aéronavale d’attaque intégrée » dont il est également Le s 7 r e n d e z - vo u s question ne verra pas le jour avant 2020, 63 dans le meilleur des cas … [1] Le 8 avril 1904, la France et la GrandeBretagne signaient à Londres, les accords dits de l’Entente cordiale, prévoyant notamment le règlement des différends coloniaux, surgis dans la foulée du conflit de Fachoda en 1898. Ainsi, la France s’engageait à ne plus intervenir dans les intérêts égyptiens des Britanniques ; en contrepartie, ses projets au Maroc ne seraient pas contrecarrés par Londres. Les tensions à propos du Siam et de Terre-Neuve étaient également oubliées… [2] En vertu des accords dits « de Nassau », en 1962, qui lient la dissuasion britannique au dispositif américain . NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:10 Page 63 L’état des r ec her c hes J e a n - Fra n ç o i s D a g u z a n * A A 4 9 [email protected] Obama sur le fil du rasoir Les élections législatives américaines dites de mid-term sont venues durement sanctionner le mandat de Barak Obama à mi parcours. Le président perd la majorité à la Chambre des représentants (239 républicains contre 139 démocrates et 11 indécis) et sauve celle du Sénat d’une courte tête (51 démocrates contre 46 républicains et 3 indécis). Cette situation n’est en soit pas très originale. De très nombreux présidents américains (dont Clinton) ont dû gouverner avec des chambres défavorables (parfois les deux) – sanction du modèle d’équilibre des pouvoirs à l’Américaine, assez prisée par les électeurs. Le problème est que la marge de manœuvre d’Obama n’est pas celle de Clinton au milieu des années 1990. A cette époque les Etats-Unis étaient portés par la « victoire » contre l’Union soviétique, une économie florissante avec le boom de la « net-economy » et le fait d’être la seule « hyperpuissance » face à des « nains » politiques et écono- Le s 7 r e n d e z - vo u s 64 miques. Les Etats-Unis dictaient la tendance. Aujourd’hui, la situation est tout autre. L’Amérique est sortie laminée de la crise financière et économique mondiale et Obama a hérité d’une situation stratégique désastreuse laissée par l’administration Bush. Le nouveau président est donc pris dans un étau que même sa très grande intelligence et son sang froid ne permette que difficilement de sortir. Comme Clinton avait été élu pour relancer la machine économique du futur face à un Bush père incarnant la guerre froide, Obama avait été élu pour restaurer l’économie et d’abord l’emploi dans son pays et sortir de la période de guerre engagée par Bush fils. Mais il semble que le jeune président se soit trompé dans l’ordre de traitement NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de ses objectifs : Au plan international, la sortie d’Irak a été réalisée sans trop regarder en arrière sur les convulsions d’un pays laissé à ses drames internes ; mais la situation mauvaise qui prévaut en Afghanistan annule ce « bon ( ?) » résultat. Au Proche-Orient, Obama avait mis beaucoup de lui-même à la fois psychologiquement et politiquement, pour aller au plus vite vers un accord israélo-palestinien. Mais c’était sans compter sur le fait que les Israéliens avaient parfaitement analysé la faiblesse structurelle du nouveau président et que, pour eux, la période était propice à tous les gains territoriaux face à une autorité palestinienne impuissante. Enfin, en matière de gouvernance mondiale, autant Clinton avait su, en s’appuyant sur le concept de nouvel ordre mondial de Bush père imposer le modèle libéral mondialisé au reste de la planète, autant Obama arrive avec un pays épuisé dans des instances internationales qui consacrent désormais la puissance de la Chine et même de puissances intermédiaires comme l’Inde ou le Brésil. Mais c’est sans doute au plan interne que le président a mal joué. Certes celui-ci a arraché péniblement un modeste instrument de régulation des marchés financiers, mais il est allé brûler sa crédibilité politique sur une réforme finalement croupion de la santé… qu’on ne lui demandait pas ! Et qui semble comme le désir personnel de montrer qu’il avait réussi là où Clinton, mari et femme, avaient échoué quinze ans plus tôt. Or avec un taux de chômage de 9-10 % depuis la crise contre 3 %, le problème n’était pas là. Les électeurs sanctionnent donc Barak Obama pour ne pas s’être occupé d’eux. La communication d’un président sûr de son intelligence et pensant compter sur celle de ses ouailles a fait défaut. Obama s’est illustré comme un candidat aux manches de chemises retroussées, il va falloir qu’il le fasse vraiment. Or la marge de manœuvre est très étroite. Avec environ 12 000 milliards de dollars de dette publique, il ne lui reste plus que la « planche à billet » pour relancer la croissance – La Réserve fédérale vient juste d’émettre 600 milliards de dollars pour faire bouger l’économie – et compter sur la reprise mondiale. Mais sera-telle au rendez-vous ? C’est donc un président américain affaibli qui arrive au G20 et dans les autres instances internationales avec pour seul mot d’ordre la relance. Il n’est pas sûr que les demandes de régulation de la finance internationale arrive facilement jusqu’à lui … Les répercussions de cet affaiblissement général devraient se faire sentir dans les dossiers de crise comme le conflit israélo-palestinien que pèsera la parole américaine face à des Israéliens décidés ? Enfin, le retrait d’Afghanistan n’est-il pas inéluctable quand il faudra chercher partout des économies pour réduire le déficit – or une bonne partie de la gestion de ces crédits extérieurs sont désormais dans les mains des républicains. Il est donc possible d’imaginer, comme en Irak, que l’annonce d’une stabilisation réussie de l’Afghanistan ne soit que le prélude d’un retrait rapide et d’un repliement américain sur son précarré en difficulté. Finalement, comme nous l’annoncions dans ces colonnes, il y a quelques mois, ce n’est qu’en Europe qu’Obama pourra trouver les parts de marché pour sa relance. Les temps vont devenir difficiles. Quoi qu’il en soit, il est possible que l’élection « extraordinaire » du premier président noir des Etats-Unis marque l’affaiblissement structurel des Etats-Unis sur la scène internationale dans la longue durée. Ce pays est peutêtre en train de redevenir une puissance comme les autres… mais avec le plus grand arsenal militaire au monde. Le retrait progressif des Etats-Unis de la scène international ne devrait pas se faire sans douleur ni violence. On peut d’ores et déjà parler de « rétraction agressive ». On en verra les prémices au plan économique ! Quand il a été élu, on disait qu’Obama était vraiment exceptionnel. Il va devoir maintenant le prouver. de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:10 Page 64 Guer r es d’auj our d’hui J e a n - Lo u i s D u f o u r * A A 38 [email protected] Guerre d’Irak : où est ta victoire ? Une promesse du candidat Obama a été tenue : le rapatriement d’Irak des unités de combat avant le 31 août 2010. La Maison blanche, cependant, s’est gardée de crier victoire ! Et pour cause ! La guerre d’Irak n’est pas terminée. Une promesse du candidat Obama a été tenue : le rapatriement d’Irak des unités de combat avant le 31 août 2010. La Maison blanche, cependant, s’est gardée de crier victoire ! Et pour cause ! La guerre d’Irak n’est pas terminée. Le départ d’Abou Ghraib de la 4ème brigade qui a franchi le 19 août la frontière du Koweït constitue-t-il un tournant ? La réponse n’est pas évidente. dominé par les chiites. Mais ils comprirent que ce pouvoir serait alors contrôlé par l’Iran. Washington se voyait donc confronté aux sunnites mais aussi, dans une large mesure, aux chiites. Dans le même temps, ces deux communautés s’affrontaient par le biais d’attentats meurtriers. De 2003 à 2007, l’Amérique n’a pas fait la guerre en Irak, elle y a rencontré le chaos. L’invasion de l’Irak avait trois buts : détruire l’armée de Saddam, renverser son régime, mettre en place un gouvernement ami. Les deux premiers objectifs ont été vite atteints. Près de huit ans plus tard, toutefois, l’Irak a eu beaucoup de mal à désigner un gouvernement ; cette incapacité équivaut à un échec stratégique majeur. La faute commise lors de cette invasion n’est pas d’ordre militaire mais politique. Les Etats-Unis savaient combien la communauté chiite était hostile au Baas tout en étant influencée par l’Iran. Cependant, la décision d’abattre le régime de Saddam plaçait la communauté sunnite dans une situation impossible, entre une armée américaine hostile et des chiites qui l’étaient tout autant. D’où l’insurrection sunnite, soutenue par des étrangers, menée à la fois contre l’envahisseur américain et l’adversaire chiite ! Face à des sunnites désespérés, les Etats-Unis pouvaient imaginer un Irak Le retournement Surviennent alors deux surprises. En 2006, on croit le président Bush affaibli, on le dit prêt à ordonner le retrait des troupes. Il fait le contraire. C’est le « surge » ! Les renforts ne sont pas si nombreux. Ils mettent du temps à arriver. Ils prennent pourtant tout le monde à contre-pied, Iran compris. George W. Bush désigne un officier de qualité. Celui-ci propose une stratégie. Impossible, pense le général Petraeus, de se battre contre tout le monde ; il faut un allié. Ce sera la communauté sunnite. Pour deux raisons : les chefs de tribus ne supportent plus les djihadistes étrangers, ils redoutent le moment où les Américains laisseront leur communauté à la merci des chiites. Ces faits, joints à quelques prébendes, renversent la situation. Les chiites se retrouvent sur la défensive face aux milices sunnites créées pour appuyer les troupes US. Petraeus stabilise la situation mais sans gagner la guerre. L’Irak peine à se trouver un gouvernement. Les élections de 2010 n’ont pas dégagé une majorité. Avec une équipe d’irresponsables, sans mandat ni représentativité, le pays, miné par son confessionnalisme, ne peut rebâtir une armée, indispensable pour équilibrer l’Iran, pas même une police sérieuse. Or Washington doit résoudre une question stratégique essentielle. Une fois les Etats-Unis partis d’Irak, l’Iran sera la première puissance militaire du Golfe, produit catastrophique d’une stratégie américaine inepte. A l’inverse, un Irak fort est une hantise pour l’Iran. Téhéran doit disposer à Bagdad d’un gouvernement dont il soit sûr ; l’Iran ne peut en imposer un aux Irakiens mais il a les moyens d’empêcher l’avènement à Bagdad d’une équipe qui lui déplairait. Causer avec Téhéran ! Avec 50 000 hommes, et pendant un peu plus d’un an, les Etats-Unis vont disposer en Irak de capacités suffisantes pour y intervenir puissamment. En attendant de nouveaux allègements d’effectifs ! Le jour, alors, pourrait venir où des milices chiites, éventuellement soutenues par l’Iran, se sentiront capables d’affronter leurs rivaux par les armes. Pour l’éviter, deux solutions : une nouvelle politique américaine qui verrait Washington convenir avec Téhéran des conditions d’une stabilisation de l’Irak ou bien la guerre ! Mais assaillir l’Iran pour se sortir d’Irak serait une nouvelle erreur. Envahir un pays montagneux de 80 millions d’habitants est inimaginable. Le s 7 r e n d e z - vo u s Des bombardements souderaient les 65 Iraniens autour d’un pouvoir que, pourtant, ils apprécient peu. Des frappes, éventuellement israéliennes, contre ses installations nucléaires n’empêcheraient pas Téhéran de toujours contrôler Bagdad. S’entendre avec l’Iran est la seule issue. Beaucoup à Washington y verraient un échec grave. Ce n’est pas sûr. Pour l’heure, la stabilité relative de l’Irak devrait permettre la définition d’un compromis entre Bagdad, Téhéran et Washington. Hélas, aux Etats-Unis, les deux dernières administrations n’ont pas révélé de personnalité politique à la hauteur du talentueux général Petraeus, au beau nom d’empereur romain ! NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 de?fense 148.qxd:de fense 127.qxd 16/11/10 11:10 Page 65 Ec onom i e & Défens e Philippe Pelé Clamour* Patrick Rassat* AA 43 A A 59 [email protected] Le retour de la toge... « À l’origine, c’est sous le consulat qu’un décret impose aux enseignants juristes de porter un costume semblable à celui des professeurs docteurs en médecine. Plus tard, ni les monarchistes, ni les républicains, ne firent de modification jusqu’à aujourd’hui. Cet uniforme était assez proche de celui porté, à Paris notamment, sous l’Ancien Régime. Il s’agissait d’une robe ample et rouge aux grandes manches à revers de soie noir » (1). Tradition et modernité Mi-juin sur le campus d’HEC, le cortège du corps professoral au grand complet entre en robe rouge et noir devant un partenaire d’invités pour prendre place sur la tribune dressée devant le hall d’honneur. Dans quelques instants, les diplômés qui ont revêtu la toge vont faire leur entrée pour leur commencement day. Fin mars, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, c’était au tour des nouveaux docteurs de l’Université de Paris Descartes de se voir remettre dans une cérémonie solennelle leur titre qui clôture un cycle de 8 années d’étude. Face à eux, leurs pro- Le s 7 r e n d e z - vo u s 66 fesseurs, également en robe universitaire, rouge écarlate, groseille, saumon, jaune ou violet, selon la discipline représentée, lettres, sciences, médecine, droit, pharmacie. Abandonnée après mai 1968, la cérémonie officielle de remise des diplômes revient au goût du jour dans nos universités et nos grandes écoles. Les doc- teurs de l’Université Paris VI (Pierre et Marie Curie) l’ont expérimentée dès 2006, Paris II (Phanthéon-Assas) en 2007 pour la remise de ces masters, sans oublier le CNAM (2). Il ne s’agit pas d’un phénomène typiquement parisien mais national (Lille, Lyon, Clermont, Marseille, Toulouse, Bordeaux…). En définitive, le retour à cette tradition semble pour beaucoup inspiré des universités américaines. Mais il n’en est rien, il s'agit de renouer avec les fastes d’une tradition multiséculaire : "Nous nous reconnaissons une filiation avec ce XIIIe siècle où naît l'Université de Paris, où tout ce décorum prend naissance, le titre de docteur, les fastes, les robes" souligne Axel Kahn, président de l'Université Paris Descartes. En Europe aussi… À Padoue en Italie, à l’occasion de l’ouverture universitaire, les professeurs revêtent chaque année leur toge, marquée aux couleurs de leur discipline. Chez nos voisins Belge, les étudiants de plusieurs universités forment une procession en grande tenue. En Angleterre, ces rites font partie de la vie des grandes universités tel qu’à Oxford. Au Baffiol college, la cérémonie dite de matriculation, qui intronise chaque nouvel étudiant, en est un exemple. Chaque nouvel arrivant doit porter sa toge, son chapeau carré, une chemise blanche sur un costume noir et un nœud noir autour du cou pour être officiellement enregistré dans les registres de l'université. Ce n'est qu'à la fin de ses études, au moment de la remise des diplômes que l'étudiant aura droit à une cérémonie célébrée en grande pompe au sein de la Radcliffe Camera par des professeurs en toges dorées, hermine et toque à pompon, sceptre à la main, dans la grande tradition des universités britanniques. Plus simplement, l’Université d’état de Saint Petersbourg accorde la même importance à ce rituel. Finalement, on le voit, cette tradition reste bien ancrée. La question n’est pas uniquement le début ou la fin d’un cycle mais bel et bien un sentiment d’appartenance. Nous associons plus facilement le port de la robe à des professions solennelles comme les magistrats et les avocats dont la mission est de rendre et défendre la justice. Mais dans le fond, il s’agit d’incarner une fonction, à l’instar du port de l’uniforme de nos camarades militaires, préfets, commissaires de police ou encore de la blouse blanche du médecin. S’il n’est plus question aujourd’hui d’enseigner en robe, c’est en toge que le doctorant va soutenir sa thèse devant un jury lui-même en robe. C’est aussi le reflet de la recherche de l’égalité des traitements car il transcende les différences sociales pour placer tous les professeurs et les diplômés derrière un uniforme commun. Lorsque l’enseignant s’exprime, c’est tout un corps qui est à ses côtés, quel qu’il soit. (1) Neveu Bruno, Le costume universitaire français : règles et usage, La Revue Administrative; 1996. Voir également l’article de Mestre Achille, « la Robe » ; Études et étudiants ; Paris, Dalloz ; 1928 ; p. 109. (2) Conservatoire national des arts et métiers. Prochain numéro Janvier / Février 2011 Grand entretien : Patrick Boissier président de DCNS Le grand dossier du N°149 sera consacré à la sécurité dans la région sahélienne NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148 esdu_nr3_AboEN2010_AnzA4_2308:esdu_BuchungAbo_EN09.qxd 18.11.2010 11:12 Seite 1 The European – Security and Defence Union A product of the Pro Press Publishing Group, Berlin, edited and published by Hartmut Bühl, Brussels ZINE THE QUARTERLY MAGA CE COMMUNITY FEN DE Y AND FOR EUROPE’S SECURIT The Common Security and Defence Policy (CSDP) is of outstanding importance for the development of Europe, and the European Union has significant influence on the world’s security. Europe has demonstrated that it has the political, civil and military capabilities for the settlement of conflicts. The European Union stands alongside the United Nations in Africa as a partner for peace. It works together with the North Atlantic Treaty Organisation (NATO) and is developing close relations with the United States and Russia as the other two major powers in the transatlantic region. Thus the EU has become an important player in global security, in particular in the fields of peacekeeping and humanitarian support. In order to develop the more robust forces needed to achieve the objectives of the European Security Strategy, new structures are needed. This magazine offers a platform for discussion to the security and defence industries that make a vital contribution to the CSDP. The magazine, with a current circulation of 8.100, is published by the ProPress Publishing Group Berlin. Hartmut Bühl, correspondent for the Behörden Spiegel and Head of its Brussels office, aims as the Editor in Chief of thus magazine to make it a forum for discussion on CSDP issues at political and strategic level. Authors of 8th issue No 3/2010 “The Transatlantic Defence Equipment Market – a European point of view” Axel Fischer MP, Berlin Chairman of the Technical and Aerospace Committee, ESDA/ Assembly of the Western European Union, Paris “Haiti: What lessons to learn” Ambassador Shirley Skerritt-Andrew Embassies of the Eastern Caribbean States and Missions to the European Union “Checks and balances in Brussels – the new role and influence of the European Parliament in the European Union” The Pro Press Publishing Group also hosts Europe’s three most important annual conferences on Security and Defence: the “European Congress on Disaster Management”, the “European Police Congress” and the “Congress on European Security and Defence”, concerning both military and civil issues. In recent years those conferences have become a platform for community-building among participants from 70 states. Martin Schulz MEP Leader of the Group of the Progressive Alliance of Socialists and Democrats in the European Parliament, Brussels/Strasbourg Further information on www.euro-defence.eu (”The European”) Subscription order: By Fax to +49(0)228 9709738 Karin Dornbusch · Advertising Manager · Phone: +49(0)228 9 70 97 40, E-Mail: [email protected] Quarterly, including postage and delivery (four issues): International subscription 88,- Euro Company: Subscription EU 56,- Euro VAT no.: Address (Street, Zip-Code, Town, Country): Phone: Fax: E-Mail: Date, Signature: Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité et immatriculée au Registre National des Mutuelles sous le n° 503 380 081. 90% Des militaires ont DÉjà choisi la rÉfÉrence santÉ unÉo, Pour eux et leur famille. Première mutuelle du ministère de la Défense, la mutuelle santé Unéo protège les militaires des quatre armées et leur famille. Forte de 630 000 adhérents et de 1,25 million de personnes protégées, elle propose une couverture santé performante, adaptée aux spécificités et exigences des métiers militaires. C’est parce que vous assurez notre sécurité en France et à l’étranger qu’Unéo s’engage à vos côtés pour défendre votre santé. il y a Des alliÉs sur lesquels on Peut vraiment comPter ! Unéo 48, rue Barbès 92542 Montrouge cedex Tél. : 0 970 809 709 (prix d’un appel local) www.groupe-uneo.fr