Document defense

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N° 148 Novembre - Décembre 2010 - 10e
Defense
UNION-IHEDN
Enjeux de défense et de sécurité civils et milita ires
www.revue-defense-ihedn.fr
GRAND ENTRETIEN
Mahamadou Issoufou
Président du Parti Nigérien pour la Démocratie
et le Socialisme (PNDS)
“Sahel : la réponse sécuritaire
est inévitable, mais elle sera
d’autant mieux perçue par
les populations concernées qu’elle
s’accompagnera d’un suivi visant
le développement régional”
Grand Reportage:
En route pour la Kapisa
Cinéma :
Mugabe
et l’Africain blanc
Francis Gutmann :
Incertitudes américaines
Hommage
à Claude Vicaire
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Edition dE livrEs, d’ annuairEs Et dE rEvuEs
Spécialisée en édition et impression de livres, d’annuaires et de
périodiques, UNICOMM a lancé plusieurs ouvrages de référence
destinés aux milieux parlementaire et politique, tels que la collection « L’Abécédaire parlementaire » consacrée à l’Assemblée
nationale, au Sénat et au Parlement européen, le trimestriel « Les
Dossiers de l’Abécédaire parlementaire », traitant de sujets d’actualité, mais aussi « La Lettre européenne » de la Maison de
l'Europe de Paris, l'Annuaire de la Presse étrangère en France, et
beaucoup d'autres.
Ces dernières années, de nombreux ouvrages édités par
uniComm concernent la géopolitique, les relations
internationales et le secteur de la sécurité et de la
défense. Parmi eux : la revue « Défense » et l’annuaire de
l’Union des associations de l’Institut des Hautes Etudes de la
Défense Nationale (IHEDN), l’annuaire des auditeurs du Centre
des Hautes Etudes de l’Armement (CHEAr) ou des livres comme
le « Dictionnaire géopolitique de la défense européenne », « La
France, l’Europe, l’OTAN » et bien d’autres ouvrages littéraires ou
spécialisés.
la collection « stratégie et prospective », lancée en
partenariat avec la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense, a pour ambition d'aider les décideurs économiques et politiques à analyser les défis
majeurs de demain et d'en démonter les mécanismes afin de
mettre en lumières les conséquences et les actions à prévoir. Les
ouvrages déjà parus : « L'Espagne, quelles stratégies pour le XXIe
siècle ? », « La Russie, de Poutine à Medvedev », « La Chine et la
Russie, entre convergences et méfiance », « L’eau. Un bien ? Un
droit ? ».
l’expérience d’uniComm en imprimerie qui, jusqu'à
l'an 2000 faisait partie intégrante de la société, lui a permis de créer
une base logistique efficace pour optimiser la réalisation de ses
propres publications ou des publications édités pour le compte
d’autres organismes. Elle permet de répondre à toute demande
concernant la PAO (conception et mise en page automatisée de
livres, d'annuaires et de revues).
Depuis deux ans, uniComm propose - grâce au
procédé Digiwriters - la traduction, la transcription
des colloques et le soustitrage des émissions tv.
De l’oral à l’écrit, de l’enregistrement sonore au texte édité, de la
diffusion TV ou de la vidéo au sous-titrage, au relevé de dialogue
et compte rendu : de toutes les formes de communication
sonore, live ou enregistrées, à la production en temps réel (TR)
de fichiers textes normalisés : c’est une partie des prestations qui
se déclinent en français, en allemand, en anglais et/ou américain.
editions uniComm
94, rue saint Dominique, 75007 paris
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QuelQues référenCes...
DAS, IHEDN, CHEAr, GICAT, UNABCC, APE, Maison de
l’Europe de Paris, Mairie du 6e arrondissement, EUROLAW,
Collège de France, CCIP, INRP, DYNAPOST, UNESCO,
Assemblée européenne de sécurité et de défense, Institut
Pasteur, ...
L
ivres
ColleCtion “stratégie
et prospeCtive”
Aider les décideurs à anticiper les évolutions.
En partenariat avec la Délégation aux affaires stratégiques
ColleCtion “Défense
européenne”
Partager la réflexion des universitaires et des acteurs socio-économiques
A
nnuaires
annuaire De l’union Des assoCiations De l’iHeDn
« l’annuaire des annuaires » (G. Pompidou)
39 associations, 10 000 membres en France et dans le monde
annuaire De l’assoCiation Des auDiteurs Du
CHear
2 500 membres,
1 000 entreprises du monde de l’armement
annuaire De l’assoCiation De la presse étrangère
5 continents, 70 pays, 600 membres
R
evues
revue bimestrielle
l’iHeDn
De l’union Des assoCiations De
Liens entre les membres, réflexions et propositions
Comprendre les enjeux de défense et de sécurité civiles et militaires
Donner la parole aux spécialistes et aux acteurs du secteur de la défense
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L ’E D I T O R I A L
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P R E S I D E N T
L’alchimie des crises
Les conséquences négatives, douloureuses parfois, des crises économiques,
sociales ou politiques, s’imposent à nous, elles forment un cortège évident de
souffrances de toutes natures.
La crise économique mondiale qui nous frappe, nous comme les autres, n’échappe pas à ce paradigme.
Les conséquences de cette crise grave, n’épargnent aucun secteur, et la défense
de notre pays devra, comme les autres ministères, tenir compte du besoin vital
pour la France de réduire sa dette, et d’économiser chaque denier devenu rare.
Et il en est de même pour chaque Etat européen, à l’image des réductions budgétaires que le gouvernement anglais vient d’initier, pour un temps long.
Dès lors, nous ne pouvons qu’être inquiets, sur notre capacité nationale, à préserver malgré ces circonstances, un outil de défense pourtant indispensable
dans le monde instable et dangereux qui nous entoure.
Ainsi ce mélange de crise, d’inquiétudes, et de souffrances, constitue une alchimie connue, marquant de manière périodique notre histoire, débouchant parfois, à l’acmé de cette réaction, sur la guerre ou son équivalent, débouchant toujours sur la paupérisation et le repli sur soi, à l’échelle des individus, comme à
celle des nations.
Et pourtant, une autre écriture des conséquences d’une crise, est parfois tentée
par les plus ambitieux. Vouloir écrire l’Europe, dès 1950, comme le fit Robert
Schumann sur les ruines encore fumantes de la déflagration de 39/45, était un
acte de foi. Il ouvrit pourtant la porte au traité de Paris et à la création de la communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
C’est de cette ambition dont nous devons nous emparer.
Le récent accord de Londres, entre l’Angleterre et la France, démontre, s’il était
besoin qu’une autre alchimie des crises est possible. La contrainte n’a pas pour
conséquences inéluctables le déclin et le renoncement.
La crise interdit désormais, et pour longtemps, à chaque Etat européen, de
financer et d’assurer de manière solitaire, la totalité du champ de sa propre
défense. Mais elle peut être un catalyseur puissant, permettant à ce qui était
politiquement impossible de devenir une réalité partagée.
La construction d’une défense européenne, s’est jusqu’à présent heurtée à tous
les obstacles politiques hérités des conflits et des rivalités ancestrales entre les
nations. La contrainte économique partagée est une occasion, sans doute historique, de dépasser nos clivages, de bâtir ensemble, ce que nous ne pouvons plus
assumer seul, de défendre ensemble, ce que nous ne pouvons plus défendre
seul. Le ministère français de la Défense vient, à la faveur du remaniement gouvernemental, de retrouver un rang protocolaire digne de sa dimension régalienne. Alain Juppé* en a pris les rênes en qualité de ministre d’Etat. Son parcours
politique éminent lui confère une personnalité reconnue en France et en Europe.
Osez l’Europe de la défense, monsieur le Ministre !
Nous serons là pour vous aider et vous soutenir. A l’image de ce qu’initiât Robert
Schumann en son temps, cette histoire mérite d’être écrite, la crise nous en
donne l’obligation, elle nous en permet aussi l’ambition.
* Voir Défense n°145 mai/juin 2010, Grand entretien avec Alain Juppé
3
Jean-Raphaël Notton* AA 56
Président de l'Union - IHEDN
pour la défense et la sécurité
[email protected]
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
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SOMMAIRE
NUMÉRO 148 NOVEMBRE-DECEMBRE 2010
European defence vision
L’Editorial du Président
P.3
Grand entretien
P.8
L’alchimie des crises
Jean-Raphaël Notton*
P.45
Le Collège européen de sécurité
et de défense (CESD)
par Colin Cameron*
Focus
Le billet du Rédacteur en chef
P.5
G-20/G-Vain : un monde sans nations unies
Richard Labévière*
Mahamadou Issoufou
Président du Parti Nigérien pour la
Démocratie et le Socialisme (PNDS)
P.7
Le point de vue du SGDSN
Le renforcement de la coopération franco-britannique :
une nouvelle coopération militaire et une ambition
commune en matière de lutte anti-terroriste
Francis Delon
L’empire de la terre et l’eau en quête
de ressources par Claude Chancel*
L’énergie, dilemme géopolitique et
écologique sino-mondial
par Claude Chancel*
P.46
Grand Reportage
P.50
P.48
En route pour la Kapisa par J.P.Ferey*
Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale
Débats et opinions
Grand dossier
Armées européennes dans la crise
P.14
P.17
par François d’Alançon*
par Etienne de Durand
par Patrick Michon*
P.21
P.23
par Jaroslaw Nawrotek
P.24
propos recuellis par François d’Alançon*
par Tomas Valasek
P.25
P.27
par Alain Rouceau
par Reiner K. Huber
P.29
P.31
par Nick Witney
P.33
par A. Danjean
4
par Patrice Lefort-Lavauzelle
P.35
par Daniel Schaeffer
P.37
P.38
par Julien Nocetti* et Philippe Pelé Clamour*
par A. Lamballe P.40
P.41
Revue bimestrielle de
l’UNION - IHEDN
pour la défense et la
sécurité
1, place Joffre, case 41
75700 Paris SP 07
Tél. 01 44 42 31 47
Fax : 01 45 51 54 65
www.revue-defense-ihedn.fr
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Cinéma Défense
P.56
Mugabe et l’Africain blanc
Ce n’est qu’un début
par Sabine Carion*
Ils/elles publient
P.58
Les 7 rendez-vous
Renseignement dans tous ses états
par Joël-François Dumont*
Les forces spéciales
par Pascal le Pautremat*
Armes de communication massive
par François d’Alançon*
Lignes de mire internationales
par Philippe Leymarie
L’état des recherches
par Jean-François Daguzan*
Guerres d’aujourd’hui
par Jean-Louis Dufour*
Economie & Défense
par Philippe Pelé Clamour* et
Patrick Rassat*
P.60
P.61
P.62
P.63
P.64
P.65
P.66
Perspectives
Industrie/Armement
par Patrick Michon*
P.55
La sécurité des systèmes d’information de la défense par C. Pénillard
Incertitudes américaines
par Francis Gutmann
Directeur de la publication
Jean-Raphaël Notton*
Directeur délégué
Yannick de Prémorel*
Rédacteur en chef
Richard Labévière*
Rédacteurs en chef adjoints
François d’Alançon*
Joël-François Dumont*
Secrétaire général
Philippe Charrier*
P.44
Comité de rédaction
Eric Barrault*, Roger Bensadoun*, Sabine
Carion*, J.F. Daguzan*, J.L.Dufour*, J.P
Ferey*, Stéphane Kotovtchikhine*, Pascal
Le Pautremat*, Philippe Leymarie, Patrick
Michon*, Catherine Orphelin*, Henri
Pinard-Legry*, Jean-Michel Pignoux*, J.P.
Quittard*, Patrick Rassat*, Philippe Ratte*,
Linda Thisse*, J.C. Tourneur*.
Directeur artistique Jean-Louis Hélard
Promotion/Diffusion Jean-Pierre
Chéhensse*, René Occhiminuti*
Les articles signés et opinions émises dans
la revue Défense n’engagent que leurs auteurs
Les auteurs marqués * sont Auditeurs de
l’IHEDN.
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Web : Thierry Vagne, Cybel
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Le billet du Rédacteur en chef
G-20/G-VAIN : UN MONDE SANS NATIONS UNIES...
En tournée en Asie à la veille du G-20, Barack Obama a offert
à l’Inde son soutien pour un siège permanent au Conseil de
sécurité des Nations unies1. Certes, ce n’est pas une première.
La France réitère cette proposition régulièrement depuis plus
de dix ans. Mais c’est le moment choisi qui importe ici ! A la
veille du sommet du G-20, le président américain aurait-il
voulu relativiser le rendez-vous mondial de Séoul qu’il ne s’y
serait pas pris autrement.
Au vu du communiqué final du G-20, qui se limite à quelques
vœux pieux pour éviter la guerre des monnaies et engager la
Chine à développer son marché intérieur, on se dit effectivement qu’Obama a fait acte d’une belle anticipation en rappelant que les choses sérieuses finissent toujours par se traiter
dans l’enceinte des Nations unies, seul cadre multilatéral légitime parce qu’universel.
Impulsés par Valéry Giscard d’Estaing, les premiers G-7 furent
instaurés pour donner aux dirigeants des pays les plus développés l’opportunité de se réunir afin d’échanger analyses et propositions pour atténuer les effets des crises économiques et
financières des années 70/80. Avec la fin de la Guerre froide et
l’accélération de la mondialisation, le club2 s’est élargi aux pays
émergents - Chine, Inde, Brésil, Mexique, Australie, etc. - mais,
en définitive, c’est toujours aux IFIs3 et principalement au FMI
qu’on demande d’ajuster les flux financiers d’un système en
crise depuis 1971, lorsque Richard Nixon a décidé unilatéralement la fin de la convertibilité du dollar en or… Nouvelle machine à produire communiqués, déclarations et photos de famille, le
G-20 ne régule rien. On peut se reporter aux engagements pris
ultérieurement lors du sommet de Londres4 où il était déjà question de mettre les banquiers au pas et de réformer le capitalisme
pour mesurer l’in-opérabilité d’un regroupement que des
experts surnomment désormais le « G-Vain ». Comme l’explique
si bien l’ancien ministre libanais de l’économie Georges Corm
dans son dernier livre5 , le G-20 ne serait-il pas l’ultime habillage
médiatique et communicationnel d’un système qui ne fait qu’aggraver la déconnexion entre la finance internationale et l’économie réelle et, qui basé sur toujours plus de consommation,
détruit nos patrimoines sociaux et environnementaux ?
Certes, le constat est depuis longtemps établi, mais la fuite en
avant se poursuit et s’amplifie. Les contraintes que fait peser
une plus grande interdépendance sur les politiques nationales
impliquent de vrais espaces et mécanismes de coopération
internationale renforcés. Qu’il s’agisse de la régulation économique et financière, de la lutte contre le terrorisme et le changement climatique ou des politiques de développement économique, les gouvernements ne peuvent pas, aujourd’hui faire
l’impasse d’une coopération internationale et multilatérale renforcée et modernisée6. Ce grand chantier finira par revenir à
l’ONU et aussi par servir d’aiguillon à la réforme du Conseil de
sécurité et des grandes
agences techniques des
Nations unies. Faut-il rappeler ici que Jacques
Delors et Stéphane Hessel
ont proposé, depuis une
vingtaine d’années, la création d’un Conseil de sécurité économique qui préconisait une synthèse opérationnelle entre le système onusien et les institutions financières internationales,
notamment entre l’Organisation internationale du travail (OIT),
le FMI et la Banque mondiale ?
Le cadeau symbolique d’Obama aux dirigeants indiens nous
rappelle aussi que face à l’opposition de la France à la guerre
contre l’Irak en 2003, les néoconservateurs américains avaient
agité l’idée de céder… le siège français du Conseil de sécurité
à l’Inde… Au-delà du G-20, de ses effets médiatiques et de ses
déclarations d’intention qui ne suffiront pas à en faire une
nouvelle organisation internationale, ses recommandations
pourraient - répétons-le - aiguillonner la réforme des Nations
unies et leur redonner autorité et légitimité, le G-192 représentant l’ensemble des Etats-membres de l’ONU.
Ce constat nous engage - nous Français - à préserver l’héritage gaullien, principalement le siège permanent de la France au
Conseil de sécurité et l’autonomie de notre dissuasion
nucléaire. Sur ce dernier point, doit-on se réjouir du dernier
accord de défense franco-britannique ? Rien n’est moins sûr
résume l’un de nos grands officiers généraux à travers ce sarcasme, lui aussi très gaullien : « comment voulez-vous fabriquer une défense franco-britannique avec un pays qui n’a pas
l’euro, qui roule à gauche et qui conserve un système
métrique auquel personne ne comprend rien. Inventé pour
faire des économies, ce nouveau machin risque de ne pas être
très opérationnel et, surtout de nous faire perdre encore un
peu plus d’indépendance et de souveraineté nationales ».
C’est un peu brut de décoffrage mais ce n’est pas idiot !
5
1/ Le Figaro du 9 novembre 2010.
2/ Le G-20 a été créé en 1999 pour répondre aux crises financières des années 90.
3/ Institutions financières internationales.
4/ 2 avril 2009.
5/ Georges Corm : Le nouveau gouvernement du monde.
Editions La Découverte.
6/ Thierry Soret : Crise dans la gouvernance économique mondiale. Editions de la Fondation Jean Jaurès.
Richard Labévière
AA 56
[email protected]
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LE POINT DE VUE DU SGDSN
Le renforcement de la coopération
franco-britannique : une nouvelle coopération
militaire et une ambition commune
en matière de lutte anti-terroriste
Francis Delon1
Douze ans après le sommet de Saint-Malo, la relation franco-britannique en matière
de défense et de sécurité a trouvé un nouveau souffle. Sous l’impulsion du Premier
ministre britannique David Cameron et du Président de la République Nicolas
Sarkozy, réunis à Londres le 3 novembre dernier pour le 31ème sommet franco-britannique, le Royaume-Uni et la France se sont engagés, à travers la signature d’un Traité de coopération en matière de défense
et de sécurité, à développer la coopération entre leurs forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipements, y compris par une interdépendance mutuelle, la construction d'installations communes, l'accès réciproque à leurs marchés de défense et la coopération industrielle et technologique.
Plusieurs facteurs ont conduit à ce rapprochement historique. Dans un contexte budgétaire contraint qui pèse sur le maintien
d’un effort de Défense à la hauteur des ambitions affichées par le Royaume-Uni et la France, et alors que les équilibres stratégiques mondiaux se déplacent, la convergence d’intérêts entre nos deux pays est forte. Etats membres permanents du Conseil
de sécurité, tous deux dotés de l’arme nucléaire, la France et le Royaume-Uni consacrent en effet en matière de défense et de
sécurité un effort qui les place aux deux premiers rangs des pays européens, s’appuyant chacun sur un tissu industriel de premier ordre, très actif sur les marchés export. Ils partagent une même perception des risques et menaces et ont une vision très
proche des moyens à mettre en œuvre pour y faire face.
C’est ainsi que la France et la Royaume-Uni ont décidé le 3 novembre d’engager une coopération sans précédent dans le domaine des technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires, afin de garantir leurs capacités de dissuasion nucléaire indépendantes respectives. Concrètement, il s’agit pour nos deux pays de coopérer au sein d’une installation commune en France, où
sera modélisée la performance de nos têtes nucléaire et des équipements associés, afin d'en assurer la viabilité, la sécurité et
la sûreté à long terme. Un Centre de développement technologique commun au Royaume-Uni soutiendra ce projet.
Nous allons également mettre en place une force expéditionnaire commune interarmées adaptée à toute une série de scénarios, y compris des opérations de haute intensité. Cette Force comprendra une composante terrestre composée de formations
au niveau brigade, une composante maritime et une composante aérienne avec leurs états-majors associés, ainsi que la logistique et les fonctions de soutien. Il ne s'agira pas d'une force permanente, mais elle sera disponible avec un préavis pour des
opérations bilatérales, de l'OTAN, de l'Union européenne, des Nations Unies ou d'autres opérations.
7
Alors que le Royaume-Uni a décidé, au terme de sa revue stratégique de défense et de sécurité dont les conclusions ont été
rendues publiques le 19 octobre 2010, d'installer des catapultes et des dispositifs d'arrêt sur son futur porte-avions opérationnel, nos deux pays ont décidé de se doter, d'ici le début des années 2020, de la capacité à déployer une force aéronavale d'attaque intégrée commune, composée d'éléments des deux pays.
Cet exemple dans le domaine naval illustre un champ de coopération bilatérale beaucoup plus large. En matière d’équipement
et de capacités de défense, celui-ci reposera notamment sur le développement de coopération dans les domaines du transport
aérien tactique et stratégique, des technologies et systèmes pour les sous-marins, de la guerre contre les mines maritimes, des
communications par satellite et des drones. Dans le domaine industriel, le Royaume-Uni et la France mettront en œuvre
ensemble un plan stratégique concernant le secteur britannique et français des missiles afin de consolider l’offre européenne.
La coopération franco-britannique se renforce également dans le domaine de la sécurité. Nos deux pays ont ainsi agréé un
cadre pour le développement de solides liens en matière de cyberdéfense, afin de prévenir ensemble les menaces croissantes
qui pèsent sur la sécurité de nos systèmes d'information et renforcer la résilience de nos réseaux. La France et le Royaume-Uni
partageant la même détermination à combattre toutes les formes de terrorisme, la coopération franco-britannique comporte
également un important volet relatif à la lutte contre le terrorisme. Ce champ couvre, entre autres, le renforcement de notre
coopération en matière de sûreté de l’aviation commerciale, dont les événements du 29 octobre dernier sont venus, une nouvelle fois, rappeler l’impérieuse nécessité.
1/ Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
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Page 7
Grand entretien Mahamadou Issoufou
Président du Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS)
BIO-EXPRESS
8
« Dans le but d’éradiquer le mal à sa
racine, les pays du Nord peuvent nous
aider au développement économique
et social des zones pastorales. Sur le
plan séculaire, ces mêmes partenaires
sont indispensables pour la formation,
l’entraînement et l’équipement de nos
forces de défense et de sécurité.»
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Mahamadou Issoufou est né en 1952 à Dandadji
dans la région de Tahoua. Il appartient à l'ethnie
haoussa. Ingénieur des mines, il fût Directeur national des mines au ministère des mines et de l'énergie
de 1980 à 1985, puis Directeur d'exploitation de la
mine d'Arlit, ensuite Secrétaire Général de la Société
des mines de l’Aïr (SOMAIR), jusqu'en 1991, avant de
démissionner et d'entamer une brillante carrière
politique.
A la faveur des mouvements démocratiques des
années 90, il crée, avec plusieurs de ses anciens
compagnons des mouvements estudiantins, le Parti
Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDSTaraya).
Il a été candidat à toutes les élections présidentielles
organisées au Niger depuis l’avènement de la démocratie pluraliste au sortir de la Conférence nationale
souveraine de 1992. Troisième après Mamadou Tandja
et Mahamane Ousmane aux élections de 1992, son
parti a créé, avec la CDS et l’ANDP de Moumouni
Djermakoye Adamou, un rassemblement dénommé
Alliance des forces du changement ayant permis
l’élection au second tour des élections de Mahamane
Ousmane face à Mamadou Tandja en 1994.
Nommé premier ministre, très vite des dissensions
apparaissent et l’alliance vole en éclats à la suite de
sa démission en 1995. De nouvelles élections législatives anticipées le ramènent au poste de président
de l’Assemblée nationale jusqu’en janvier 1996 avec
l’irruption sur la scène politique des militaires
conduits par Ibrahim Mainassara Barré.
Avec l’élection de Mamadou Tandja qui le bat au
deuxième tour des élections présidentielles de 1999,
il rejoint l’opposition et occupe un siège de député
jusqu'à la dissolution de l’Assemblée nationale en
2009 par le président Tandja.
Ce dernier annonce son intention de rester au pouvoir et aggrave les clivages de la classe politique
nigérienne.
Mahamadou Issoufou préside le Front pour la restauration de la démocratie qui regroupe les forces
démocratiques et les centrales syndicales nigériennes en lutte contre le plan « Tazartche » du président Tandja.
Avec ce plan, un référendum est organisé par le gouvernement et boycotté par l’opposition pour l’adoption d'une constitution instaurant une troisième
république.
Le 18 février 2010, un coup d'Etat militaire est mené
par le Conseil suprême pour la restauration de la
démocratie (CSRD), avec à sa tête le chef d'escadron
Salou Djibo. La constitution est suspendue. Le président Mamadou Tandja est arrêté.
Le 31 octobre 2010, une nouvelle constitution est
adoptée par voix de référendum. De nouvelles élections présidentielles doivent avoir lieu le 31 janvier
2011.
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Défense : Comment évoluent les lignes de
force de l’Afrique au lendemain de la commémoration des indépendances ?
Qualifiant la nouvelle génération de responsables politiques africains, l’ancien
premier ministre français Michel Rocard
n’hésite pas à parler de « despotisme éclairé », qu’en pensez-vous ?
Mahamadou Issoufou : Depuis les indépendances, l’histoire de l’Afrique a connu trois
phases. La première fut celle des pères des
indépendances, caractérisée par des partis
uniques qui dominaient la scène politique africaine. Ensuite, arrive une phase que l’on peut
qualifier de « prétorienne », où l’on voit des
responsables militaires fomenter des coups
d’Etat pour prendre le pouvoir. Cette période a
plus ou moins pris fin vers la fin des années 80
et le début des années 90. La troisième phase
commence symboliquement avec le sommet
de la Baule et la série des conférences nationales, un vent de démocratie commençant à
souffler sur l’Afrique à partir de la chute du
Mur de Berlin et de la fin des confrontations
Est-Ouest. Pendant cette phase, on assiste à
une instauration de la démocratie avec des fortunes diverses selon les pays. Dans certains
pays la démocratie prend corps et semble
s’enracine durablement, alors que dans
d’autres, elle connaît des moments de flux et
de reflux. Le Niger, par exemple, a connu trois
interruptions du processus démocratiques à
travers trois coups d’Etat : en 1996, en 1999 et
enfin le 18 février 2010. Mon pays illustre à
l’envi la différence des rythmes politiques sur
notre continent. Mais je constate que, globalement, les sociétés africaines aspirent majoritairement à la démocratie et que la tendance
lourde de l’Afrique s’oriente positivement malgré des dysfonctionnements locaux qui ne
sont pas en mesure d’hypothéquer ce mouvement général. L’Afrique n’a pas besoin de
« despotisme éclairé ». L’Afrique aspire profondément à la démocratie.
Défense : La situation politique du Niger est
centrale et à valeur de pivot pour la géopolitique de la sous-région sahélo-saharienne.
Quel bilan faites-vous de l’héritage du président Tandja qui a été justement renversé par
le coup d’Etat militaire du 18 février 2010 ?
Mahamadou Issoufou : Pour parler plus spécifiquement du Niger, la décennie 90 a été particulièrement instable : conférence nationale de
1991, un régime de transition entre 1991-1993,
des élections en 1993, un coup d’Etat en 1996
et un autre en 1999 qui malheureusement
s’est déroulé de manière dramatique avec la
mort du général Barré. A partir de 1999, nous
avons connu dix ans de stabilité. Le Niger était
sur la bonne voie. Nous avions créé les conditions d’une démocratie apaisée avec des relations régulières et constructives entre l’oppo-
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sition que j’avais l’honneur de diriger et la
majorité du président Tandja. L’exercice avait
une portée éminemment pédagogique, notre
objectif étant non seulement d’assurer la stabilité politique de notre pays mais aussi de
montrer au peuple nigérien qu’être des adversaires politiques ne fait pas nécessairement
de nous des ennemis et que nous avions le
devoir de nous retrouver de temps à autre
pour échanger sur les grandes questions
engageant les intérêts vitaux du Niger et des
nigériens.
Malheureusement ce moment de démocratie
apaisée a pris fin lorsque le président Tandja a
décidé de changer les règles du jeu, notamment en engageant la modification de l’article
36 de la constitution qui stipule que le président de la République est élu pour un mandat
de 5 ans renouvelable une seule foi. Or cet
article fait partie des six (6) dispositions de
notre constitution qui ne sont pas susceptibles de modification, les cinq (5) autres
étant, l’intégrité du territoire, la forme républicaine de l’Etat, le multipartisme, la séparation
de l’Etat et de la religion ainsi que l’amnistie
accordée aux auteurs du coup d’Etat du 09
Avril 1999…
Défense : Ce coup de force sur la constitution
a été le facteur déclenchant de la crise…
Mahamadou Issoufou : En effet, ce fut l’élément déclencheur d’un combat d’abord juridique. L’opposition a porté plainte devant la
Cour constitutionnelle qui, fait rare en
Afrique, lui a donné raison en prononçant un
arrêt interdisant au président de changer
ainsi la constitution. L’arrêt indiquait clairement que le changement de constitution tel
que l’envisageait le Président était synonyme de violation de son double serment coranique. Mais le président Tandja, voulant
s’incruster au pouvoir, décida de passer
outre cet arrêt qui ne devait être susceptible
d’aucun recours et qui devait s’imposer à
toutes les autorités civiles comme militaires.
Dès lors, le combat politique prend le relais
du combat juridique. Pensant pouvoir s’abriter sous la caution populaire pour changer
de constitution, le Président organisa un
référendum. L’opposition organisée au sein
de la Coordination des Forces pour la
Démocratie et la République (CFDR), coordination composée de partis politiques, de
syndicats et d’autres organisations de la
société civile, appela au boycott. Les résultats réels n’avaient rien à voir avec ceux officiellement proclamés : le référendum se
solda par un fort taux d’abstention, le taux
de participation, dérisoire, étant inférieur à 5
% du corps électoral. C’était tout l’enjeu !
Par ailleurs, le référendum s’étant déroulé le
G ra n d e n t re t i e n
4 août, les forces de défense et de sécurité
ayant voté le 3 août, on a pu connaître les
résultats du vote dans les casernes : les militaires ont voté « non » à 89% environ et, par
conséquent, le coup d’Etat du 18 Février
2010 n’a été une surprise que pour Tanja qui
pourtant était sensé avoir l’expérience et les
moyens de le voir venir. Le président Tanja
aurait pu sortir par la grande porte mais la
fin de son régime a jeté une tache noire sur
son bilan de dix (10) de gestion du pouvoir.
9
Défense : Au-delà du vote des militaires,
comment s’est déroulé ce « coup d’Etat vertueux », très différent des violences survenues en Guinée Conakry, et surtout s’engageant à redonner le pouvoir aux civils ?
Mahamadou Issoufou : En Afrique il arrive
qu’on parle de « coup d’Etat d’ouverture
démocratique ». Celui qui est intervenu au
Niger le 18 février dernier constitue une
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Mahamadou Issoufou
réponse au coup d’Etat constitutionnel
opéré par le Président Tanja le 4 Août 2009.
Le coup d’Etat du 18 Février a été réalisé en
plein jour sans résistance majeure parce
que l’exaspération au sein du peuple était
partagée par les militaires. Le Niger a plus
de vingt ans d’expérience démocratique sur
la Guinée. Les partis politiques, les syndicats et les autres organisations de la société civile y ont eu le temps d’effectuer, au
sein du peuple, un travail de sensibilisation,
d’éducation en profondeur. Pour cette raison l’aspiration à la démocratie, très forte
au sein du peuple est aussi présente chez
certains militaires. Pour illustrer mon propos, je voudrais rappeler que suite au coup
d’Etat du 27 Janvier 1996, son acteur principal, le général Barré, avait décidé de rester
au pouvoir en se présentant aux élections
de juillet 1996. Imaginant les partis discrédités, il pensait que l’élection serait une
promenade de santé. Il a été battu au premier tour par les candidats des partis politiques et a dû recourir à un « hold-up électoral », pour se proclamer élu au premier
tour avec 52 % des voix. Mais face à la résistance opposée par les partis politiques rassemblés au sein du Front pour la
Restauration et la Défense de la Démocratie
(FRDD) son régime a fait long feu.
L’aventure de Tanja constitue un deuxième
exemple : Tanja pensait que la classe politique, dont il faisait partie, était discréditée
et qu’il pouvait la liquider pour s’éterniser
au pouvoir. Ses rêves se sont brisés face à la
résistance organisée par les partis politiques, les syndicats et les autres organisations de la société civile rassemblés au sein
Grand entretien
10 de la Coordination des Forces pour la
Démocratie et la République (CFDR). C’est là
une nouvelle preuve que les nigériens, qui
ont intériorisé la démocratie, n’admettent
plus de tentative de retour à la dictature.
Par conséquent, il est difficile - au Niger –
d’instaurer la dictature en faisant abstraction de cette tradition politique pluraliste
très ancrée dans la société. Le maillage
social des partis politiques, des syndicats et
des autres organisations de la société civile
fait obstacle à toute dérive autoritaire.
Ainsi, les circonstances historiques ont fait
que le Niger n’est pas la Guinée et Salou
Djibo n’est pas Dadis Camara. Du reste, ce
dernier n’a-t-il pas échoué dans sa tentative
de perpétuer un régime de dictature en
Guinée ?
Défense : Sur le rôle des partis politiques
au Niger, entre l’armée et la population,
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comment l’opposition que vous avez animée durant de longues années, a-t-elle
pu instaurer une transversalité entre les
différentes ethnies afin de promouvoir de
véritables revendications nationales ?
Mahamadou Issoufou : Le régionalisme et
l’ethnocentrisme n’ont pas d’avenir au
Niger. En dépit de certaines spécificités,
l’espace nigérien se caractérise par une
culture commune. On constate aussi que
la religion musulmane constitue un certain ciment unitaire. Cette caractéristique
est confirmée par l’expérience politique
de ces 20 dernières années : en effet tous
les partis politiques qui ont enfourché le
cheval du régionalisme et de l’ethnocentrisme sont en déclin aujourd’hui. Cela
n’est pas étonnant car appartenir à la
même région ou à la même ethnie ne
signifie nullement qu’on partage la même
vision du monde ni les mêmes valeurs.
Par contre, un parti comme le nôtre, le
Parti Nigérien pour la Démocratie et le
Socialisme (PNDS-Tarayya), bâti autour
des valeurs d’unité nationale, de liberté,
d’égalité, de justice, de tolérance et de
solidarité ne fait que progresser d’élection en élection : de 15 % en 1993, le
PNDS a enregistré respectivement 25 %
et 35 % des suffrages au 1er et au
second tour des élections présidentielles
Défense : Plus concrètement, Monsieur le
président comment faites-vous pour jeter
les ponts entre le Niger du Nord - celui du
Sahel - et le Niger du grand fleuve ?
Comment le PNDS traite-t-il la question du
régionalisme ?
Mahamadou Issoufou : Il n’y a pas deux
Niger, l’un du Nord, celui du désert et l’autre
du Sud, celui du fleuve…Le Niger est un et
indivisible. Nous avons la chance de bénéficier d’un maillage politique et syndical qui
produit du lien social interethnique. Au
métissage biologique s’ajoutent les mixages
culturels et associatifs contrairement à ce qui
se passe ailleurs dans d’autres pays
Africains. Dès l’accession de notre pays à
l’indépendance, les dirigeants ont conçu et
mis en œuvre une politique d’unité nationale, y compris à travers des mesures de discrimination positive en faveur des zones
nomades avec notamment un Ministère chargé des affaires sahariennes et nomades, la
création dans les zones nomades de cantines
scolaires, la mise en place d’infrastructures
de communication à l’image de la route de
l’unité reliant l’ouest à l’est du pays etc…
C’est exactement dans cette perspective que
s’inscrit le PNDS, l’objectif étant le développement harmonieux et équilibré de toutes les
régions du pays. L’unité nationale n’est pas
pour nous une question morale ou seulement
sentimentale : c’est une des conditions
du développement économique du
Il n’y a pas deux Niger,
pays et donc de chaque région. Je crois
que cette fidélité à une vision nationale
l’un du Nord, celui du désert de l’avenir du Niger est en train de prévaloir dans mon pays, y compris sur
et l’autre du Sud,
certaines forces centrifuges : la plupart
des Nigériens ont aujourd’hui « une
certaine idée du Niger ». C’est ce que
celui du fleuve…
prouve en tout cas le déclin des partis
Le Niger est un et indivisible. qui ont enfourché le cheval de l’ethnocentrisme et du régionalisme. Au-delà,
il faut envisager la réalisation de l’intégration africaine, car les micros-Etats
Africains actuels ne peuvent faire face, isoléde 2004. Le PNDS est un parti qui a une
ment, à la compétition internationale dans le
base sociale sur le plan national et je
contexte actuel de mondialisation généralifonde l’espoir qu’il sera, de loin, le presée : mondialisation de l’économie, mondiamier parti à l’occasion des prochaines
lisation des menaces etc…. N’krumah avait
élections présidentielles dont le premier
raison de dire que l’Afrique doit s’unir ou
tour est prévu se tenir le 31 Janvier 2011.
périr.
Quatorze ans d’opposition, loin de l’épuiser, ont accru son prestige et sa crédibiliDéfense : Dans cette perspective de votre
té auprès des nigériens. Ses dirigeants
travail politique articulée autour d’une «
sont restés unis et constants autour de sa
certaine idée » du Niger, quels sont les
ligne politique au moment où d’autres
enjeux de la nouvelle constitution ?
responsables politiques ne cessent de «
Mahamadou Issoufou : Après le coup d’Etat
nomadiser » pour des raisons alimendu 18 février 2010, le Conseil Suprême pour
taires, enlevant ainsi toute noblesse à
la Restauration de la Démocratie (CSRD) a
leur action politique. Entre servir et se
mis en place un Comité des textes fondaservir, les dirigeants du PNDS ont choisi
mentaux qui a travaillé sur l’avant projet
de servir et c’est pour cette raison que
d’une nouvelle constitution, sur la rédaction
les nigériens leur font de plus en plus
d’un nouveau code électoral et d’une nouconfiance.
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1999 ne prévoyait que la
responsabilité devant
l’Assemblée nationale.
On passe ainsi d’un régime semi-présidentiel à
la française à un régime
dit de type orléaniste.
Ces modifications visent
l’amélioration de la gouvernance et la lutte
contre la corruption
ainsi que la consolidation de la stabilité.
velle charte des partis politiques. Tous ces
textes ont été soumis à un Conseil national
consultatif. Celui-ci vient d’adopter l’avant
projet de la nouvelle constitution. Ce texte
reprend, moyennant quelques modifications, les grandes lignes de la constitution
de 1999 qui a contribué à la stabilité du
Niger pendant dix ans. Les modifications
sont surtout relatives aux conditions d’éligibilité des députés. Il s’agissait principalement d’exiger des candidats aux élections législatives qu’ils sachent lire et écrire pour participer pleinement aux travaux
de l’Assemblée nationale. Ainsi, pour être
éligible il faut avoir un niveau d’instruction
équivalent à celui du Brevet d’Etudes du
Premier Cycle (BEPC). Néanmoins, un
quota, ne dépassant pas 25 % des effectifs
de l’Assemblée Nationale, est prévu en
faveur de ceux qui n’ont pas ce niveau. Une
disposition est aussi prévue qui interdit au
député, au même que le Président de la
République et les Ministres, de prendre
part, par eux-mêmes ou à travers autrui,
aux marchés publics et privés de l’Etat et
de ses démembrements. Une autre modification porte sur la double responsabilité
du Premier Ministre : devant l’Assemblée
nationale et devant le Président de la
République, alors que la constitution de
Défense : Dans cette
perspective qu’elles
priorités mettez-vous
en avant pour l’élection présidentielle du
31 janvier 2011 ?
Mahamadou Issoufou :
Les priorités de mon
programme sont les
suivantes : la sécurité,
la mise en place d’institutions
démocratiques
fortes
et
stables et la promotion de la démocratie à
la base à travers la
décentralisation, la
lutte contre la corruption et l’impunité, la
création des conditions
d’une transition démographique en vue de
la maîtrise de la démographie (la réduction
de la mortalité devant entraîner, comme en
Europe au 19ème siècle, celle de la natalité), la sécurité alimentaire à travers la promotion de l’irrigation (par exemple 140000
ha de terre sont irrigables le long du fleuve
Niger) et de l’élevage semi-intensif, la disponibilité et la réduction des coûts de
l’énergie notamment la finalisation du barrage de Kandadji et la promotion du
nucléaire civil dans le cadre de la CEDEAO,
les infrastructures de communication
notamment le chemin de fer afin de réduire
les coûts de transport, l’éducation, la
santé, le développement de l’hydraulique
villageoise et pastorale, le développement
de l’agro-industrie, la lutte pour la protection de l’environnement, la réduction des
inégalités. Tout cela suppose la mise en
œuvre d’une politique économique expansionniste permettant d’obtenir un taux de
croissance annuelle d’au moins 7 % et de
réduire le chômage aussi bien dans les
villes (chômage des jeunes diplômés
notamment) que dans les campagnes.
Notre ambition est de promouvoir une
importante classe moyenne qui contribuera
au progrès et à la stabilité du Niger comme
se fut le cas dans d’autres pays.
Défense : Quelle est votre réflexion concernant les objectifs du millénaire des
Nations unies, visant à lutter contre la
pauvreté mais aussi à garantir l’accès à
l’eau et à l’éducation d’ici 2015 ?
Mahamadou Issoufou : Malheureusement,
au rythme actuel, l’Afrique ne pourra pas
réaliser les objectifs du millénaire pour le
développement d’ici 2015. Au nombre de
huit, ces objectifs les plus importants sont
à mes yeux la lutte contre la pauvreté et la
faim, l’éducation primaire, la santé ainsi
que l’accès à l’eau potable. Au rythme
actuel, j’estime qu’il faudra au Niger un
siècle pour réaliser ces objectifs. Les
causes de cet échec sont : la mauvaise gouvernance politique (dictature, conflits
armés, élections truquées, instabilité politique etc…) et économique notamment la
corruption ; l’insuffisance de l’aide
publique au développement (depuis le
début des années 70 les pays donateurs ont
prévu d’y consacrer 0,7 % de leur PIB mais
n’en consacrent en moyenne que 0,25 %
aujourd’hui). Mon parti fait de la réalisation
des objectifs du millénaire sa priorité : son
programme met en effet l’accent non seulement sur le développement les infrastructures énergétiques et de communication
mais aussi sur la sécurité alimentaire,
l’éducation, la santé, l’accès à l’eau et la
protection de l’environnement. Pour financer ce programme nous comptons surtout
sur la valorisation de nos ressources du
sous-sol (uranium, pétrole, or, charbon,
phosphates, fer, ciment etc…). Je suis
convaincu que c’est seulement les excédents dégagés de ce secteur qui nous permettront de financer notre développement y
compris le développement agricole contrai-
G ra n d e n t re t i e n
rement au processus du développement de 11
l’Europe qui a été financé à partir des excédents dégagés par l’agriculture
Défense : Après les différents accrochages
avec les activistes de l’AQMI et les prises
d’otages au Niger et ailleurs comment se
pose la question de la sécurité dans les différents pays de la sous-région sahélo-saharienne ?
Mahamadou Issoufou : Tout d’abord, une
remarque générale s’impose : quels que
soient les pays, on constate que la frontière
entre défense extérieure et sécurité intérieure s’efface de plus en plus aujourd’hui.
Comme dans le cas de l’économie, les
menaces à la sécurité sont devenues mondiales. La situation au Niger et plus largement dans la zone sahélo-saharienne illustre
bien cela. En effet la zone du Sahara fait face
à trois menaces qui lui posent, à la fois, des
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Mahamadou Issoufou
problèmes de défense extérieure et de sécurité intérieure : la menace des forces centrifuges à l’origine de rebellions récurrentes
notamment au Mali, au Niger et au Tchad ; la
menace d’organisations criminelles se livrant
à divers trafics : trafics de drogue en liaison
notamment avec les réseaux sud-américains,
trafics des armes, trafics des cigarettes, trafics humains, de carburant etc. ; la menace
de l’AQMI, organisation mise en place par
des salafistes qui ont survécu, en trouvant
refuge dans le Sahara, à la défaite militaire et
politique infligée aux GIA et au GSPC en
Algérie. De ces trois menaces, la menace
principale est celle de l’AQMI dont le lien
avec les deux autres risque de déstabiliser
tout le Sahara et même au –delà surtout si
on tient compte des relations qu’aurait
l’AQMI avec BOKO HARAM installé au Nord
Nigéria ainsi que les SHEBABS Somaliens.
Défense : Pourtant l’AQMI ne constitue pas
une structure opérationnelle unique, même
si elle prétend opérer un habillage symbolique, sinon idéologique global…
Mahamadou Issoufou : C’est vrai. L’AQMI
est divisée en plusieurs katibas ou groupes
: la katiba d’Abdelhamid Abou Zeid qui est
à l’origine de l’enlèvement récent de cinq
Français et deux Africains à Arlit, au Niger,
celle de Moktar Belmoktar et celle
d’Abdelkrim Taleb, l’ensemble étant théoriquement dirigé par l’émir Abdelmaleck
Droukel. Les rivalités entre les chefs de ces
groupes peuvent aider à la lutte contre
l’AQMI. Il faut d’ailleurs rappeler que, sur le
plan international, les Salafistes ou sunnites partisans du retour à l’Islam des ori-
Grand entretien
12 gines, celui des « salafs » ou « ancêtres »
sont divisés en deux courants principaux :
le courant du salafisme de prédication et
celui du Salafisme du djihad armé. La plupart des Salafistes qu’on rencontre dans la
zone du Sahara appartiennent au premier
courant et, en conséquence, restent fidèles
à la tradition pacifiste de l’Islam. Ils cherchent l’adhésion alors que les autres cherchent la conversion par la force, ce qui a
contribué à les discréditer en Algérie. Par
ailleurs si les liaisons de ces derniers avec
les organisations criminelles étaient confirmées, ils seraient moralement disqualifiés
pour parler au nom de l’Islam en dépit de la
fatwa qui autoriserait les musulmans à
vendre de l’alcool aux non-musulmans.
Défense : Même si l’image n’est pas très
heureuse concernant une zone désertique,
l’islamisme n’est-il pas l’arbre qui cache la
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est la cause principale des rébellions récurrentes. Elle peut être aussi le terreau sur
lequel pourront prospérer l’intégrisme
(notamment celui de l’AQMI) et les organisations criminelles. Ici, me revient en mémoire
le propos d’un ancien secrétaire d’Etat
Américain : « la bataille de la paix doit être
menée sur deux fronts. Le premier est le front
de la sécurité où la victoire affranchit de la
peur ; le second est le front économique et
social où la victoire signifie l’affranchissement de l’envie. Seule la victoire sur les deux
fronts peut assurer au monde une paix
durable ». Une exploitation des ressources
naturelles du Sahara, qui ne serait pas suivie
du développement économique et social de
cette zone, ne créerait-elle pas des frustrations qui, à leur tour, alimenteraient les
haines et l’insécurité ? Aussi
notre parti propose-t-il que les
“Que les pays ayant le Sahara
pays ayant le Sahara en partage
ainsi que la communauté interen partage
nationale, élaborent un vaste
plan de développement éconoainsi que la communauté
mique et social des zones pastorales comprenant des projets
internationale, élaborent
d’irrigation (au Niger nous disposons dans l’Irhazer de plus de
un vaste plan de développement
60000 ha de terre irrigables),
d’élevage semi-intensif avec
économique et social
organisation de circuits de commercialisation, des réalisations
des zones pastorales
d’infrastructures de communication (routes et chemins de fer
comprenant
tans-sahariens justifiés, du
reste, par les perspectives d’exdes projets d’irrigation.”
ploitation d’immenses ressources du sous-sol saharien) et
d’infrastructures énergétiques,
la création d’écoles, de centres de santé et
les indépendances, la substitution, au
d’infrastructures hydrauliques. La mise en
Sahara central, de nouveaux circuits éconoœuvre du plan créera des emplois afin de
miques Est-Ouest aux anciens circuits Nordrésorber le chômage, notamment celui des
Sud a eu pour conséquence l’effondrement
jeunes. J’insiste, pour la réalisation d’un tel
de ses structures économiques et sociales
plan, sur la mise en chantier de segments de
en dépit, pour le cas du Niger, de la policoopération transfrontalière. Au plan politique d’intégration et de discrimination
tique, l’accent doit être d’avantage mis sur la
positive mise en œuvre par le Président
décentralisation afin que les populations
Diori Hamani en faveur des zones pastoaient entre leurs mains la gestion de leurs
rales. Le coup de grâce a été porté à ces
propres affaires. Les prochaines élections
zones par la grande sécheresse de 1973régionales et municipales, qui seront organi1974 qui avait décimé le cheptel, symbole
sées au Niger à la fin de l’année, constituede richesse économique et culturelle, et
ront un pas dans ce sens. Par ailleurs, la
paupérisé les éleveurs. Le Sahara, comme
décentralisation, pour qu’elle soit complète,
disait Péguy, fait partie de ces « terres beldoit aussi être fiscale. La décision du
liqueuses qui font continûment la guerre
Gouvernement Nigérien de consacrer 15 %
aux hommes ». Après la sécheresse, la jeudes recettes fiscales générées par l’exploitanesse sans occupation émigre ailleurs où
tion des ressources minières au développeelle apprend, entre autres, le métier des
ment local mérite d’être saluée. Telle est
armes. C’est cette jeunesse qui déclenchera
notre vision de la réponse structurelle aux
les premières rébellions au début des
trois menaces. Néanmoins, dans l’immédiat,
années 90, rébellions dont les germes ont
pour faire face à la menace intégriste et celle
été semés par le projet avorté de
des organisations criminelles, la réponse est
l’Organisation Commune des Régions
forcément sécuritaire.
Sahariennes (OCRS). Ainsi la paupérisation
forêt ? La hiérarchisation des menaces
étant éclaircie, quelles ripostes doiventelles mises en œuvre prioritairement ?
Mahamadou Issoufou : Rappelons d’abord
que le Sahara est une vaste zone désertique
de plus de 9 millions de km2 composée du
Sahara occidental (couvrant la Mauritanie,
le Mali, l’Algérie et le Niger) et du Sahara
oriental (couvrant le Niger, la Libye, le Tchad
et le Soudan). Il faut noter que le Niger est
à l’intersection de ces deux zones, ce qui en
fait un espace de vulnérabilité potentiellement important et devant recueillir un intérêt particulier dans toute recherche de solutions pérennes. Pour revenir à votre question, effectivement l’Islamisme peut être
l’arbre qui cache la forêt. Prenons l’exemple
du Niger : pendant la colonisation et après
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Défense : Comment organiser militairement
les réponses sécuritaires et avec quels pays
leaders ?
Mahamadou Issoufou : on dit souvent qu’un
pays qui veut rester en paix doit avoir de
bonnes armes, des vivres et un Gouvernement
qui a la confiance de ses citoyens. Pour ce dernier aspect, la démocratie, avec des élections
libres et transparentes et une bonne gouvernance, permet d’avoir un gouvernement légitime. S’agissant des vivres, elles seront le résultat de la mise en œuvre du plan de développement économique et social évoqué plus haut. Il
reste les bonnes armes. Face à l’intégrisme et
aux organisations criminelles, la réponse sécuritaire doit être ferme. C’est pour quoi, pour ce
qui concerne le Niger, il faut donner aux forces
de défense et sécurité davantage de moyens
pour qu’elles soient en capacité opérationnelle
d’intervention tous azimuts. Mais cet effort doit
être mutualisé dans le cadre élargi d’une politique régionale et sous-régionale entraînant
une coopération réelle entre les différents Etats
sahélo-sahariens. Chaque Etat doit dégager
des capacités propres pour faire face à la situation, mais, j’insiste là-dessus, on doit mutualiser différentes tâches de surveillance, de prévention et d’action.
Le Niger devra impérativement augmenter
les effectifs et la qualité de ses forces de
défense et de sécurité, améliorer leurs équipements, formations et niveau d’entraînements. Ces forces doivent être déployées de
manière judicieuse sur l’ensemble du territoire. Cela nécessitera la création de nouvelles casernes et postes avancés, de nouvelles unités de gendarmerie, de police et de
forces spéciales et spécialisées, dédiées aux
zones frontalières-charnières. L’accent doit
être d’avantage mis sur le renseignement
humain, d’où l’importance de la confiance
entre les gouvernés et les gouvernants à
laquelle j’ai fait allusion plus haut. L’accent
doit être également mis sur le tarissement
des sources de financement des intégristes
notamment celles que constituent les organisations criminelles.
Avec tous les pays du Sahara, on devrait
pouvoir créer un maillage sécuritaire susceptible de faire obstacle à l’immersion des
jihadistes dans la population. La meilleure
façon d’empêcher cette immersion, je le
répète, est le développement économique et
social, seule façon de répondre aux envies et
aux frustrations de populations se percevant
comme laissées pour compte de la mondialisation. La réponse sécuritaire est inévitable,
mais elle sera d’autant mieux perçue par les
populations concernées qu’elle s’accompagnera d’un suivi visant le développement
régional. C’est toujours mieux de marcher
sur deux jambes…
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Défense : Sur un plan opérationnel, comment
peut-on améliorer la coordination au-delà des
blocages et particularismes des différents
pays de la sous-région ?
Mahamadou Issoufou : On assiste à un
début d’organisation à travers cet étatmajor commun mis en place à Tamanrasset
entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le
Niger. Les services de renseignement tentent de coordonner aussi leurs actions. Nous
devons travailler à partir de cet acquis dans
le sens d’une consolidation opérationnelle
régionale tous azimuts. Je crois personnellement en la possibilité de former des unités
communes mixtes, dans l’ensemble de l’espace sahélo-saharien avec l’appui logistique
de nos amis du Nord (pour l’équipement et
la formation).
Défense : Compte-tenu de la filiation algérienne historique de l’AQMI, quel rôle
l’Algérie précisément devrait avoir dans le
cadrage de la riposte ? Autre pays en pointe,
la Libye. Comment hiérarchiser le rôle des
voisins du Niger dans une approche de
contre-terrorisme élargie et intégrée ?
Mahamadou Issoufou : La diplomatie est souvent commandée par la géographie, dit-on. En
plus dans le cas d’espèce, nous faisons face à
des menaces communes. Le Niger doit avoir
d’excellentes relations avec tous ses voisins.
Je vous rappelle que notre pays occupe une
position centrale au Sahara : il appartient à la
fois au Sahara occidental et au Sahara oriental. Il a donc une position géostratégique intéressante. Pour répondre directement à votre
question, je dois dire que tous les pays du
Sahara, étant exposés à des menaces communes, doivent s’impliquer à la hauteur de
leurs moyens. Ils doivent être égaux devant la
nécessité d’éradiquer ces menaces. Chacun
doit être capable d’assurer sa propre sécurité
tout en contribuant à la sécurité d’ensemble
c'est-à-dire à la sécurité régionale et internationale.
Défense : Dans ce cadre de coopération régionale et internationale de lutte contre le terrorisme, quel rôle attribuez-vous aux pays du
Nord ?
Mahamadou Issoufou : dans le but d’éradiquer le mal à sa racine, les pays du Nord peuvent nous aider au développement économique et social des zones pastorales. Sur le
plan sécuritaire, ces mêmes partenaires sont
indispensables pour la formation, l’entraînement et l’équipement de nos forces de
défenses et de sécurité. La coopération avec
eux, en matière de renseignements, est également indispensable ainsi que dans la lutte
pour tarir les sources de financement des
mouvements intégristes. La bataille du renseignement est capitale pour ne plus être
aveugle et je songe conjointement au ren-
seignement humain et aérien. Nous ne
sommes pas dans la forêt amazonienne mais
dans un espace désertique où le recours aux
avions d’observation, aux drones et aux
satellites est essentiel, or aucun pays de la
zone ne dispose de tels matériels…
Défense : Dans quel état se trouve
aujourd’hui l’armée nigérienne et que pensez-vous devoir mettre en œuvre prioritairement pour améliorer ses capacités opérationnelles ?
Mahamadou Issoufou : on a coutume de dire
que l’armée est la colonne vertébrale de
l’Etat. Nous devons donc, comme je l’ai dit
plus haut, renforcer les forces de défense et
de sécurité (armée, gendarmerie, forces
nationales d’intervention et de sécurité,
police, douanes, gardes forêts) dans leurs
effectifs en quantité et en qualité (formation
et entraînement) et dans leurs équipements.
Veiller au renforcement de leur moral constitue une autre préoccupation fondamentale.
Pour ce faire, nous envisageons de faciliter
leur accès à la propriété en matière de logement, l’organisation d’une meilleure solidarité nationale en leur faveur et en faveur de
leurs familles, une meilleure ouverture dans
le monde en renforçant leur participation
aux missions des Nations-Unies ainsi que le
recours à leur compétence pour des postes
de responsabilité au même titre que leurs
homologues civils. Je rappelle qu’avoir un
gouvernement qui a la confiance du peuple,
créer les conditions du progrès économique
et social et avoir de bonnes armes, voilà ce
qui peut garantir une paix durable à un pays.
Défense : Quel type de coopération envisagez-vous avec la France ?
Mahamadou Issoufou : La France reste le
Grand entretien
partenaire le plus important du Niger. C’est
13
une évidence incontournable, liée à l’existence d’une vieille relation de coopération.
Je souhaite que cet acquis se consolide à
travers un partenariat « gagnant/gagnant »,
comme l’a dit le président Sarkozy à son
passage à Niamey au mois de Mars 2009.
Nous avons des ressources – uranium et
pétrole notamment. La France a besoin
d’une certaine sécurité d’approvisionnement en uranium. Le Niger, quant à lui, a
besoin de développement économique et
social pour notamment éduquer, soigner
ses enfants et les mettre définitivement à
l’abri de la famine. Voilà donc des bases
sur lesquelles nous pouvons instaurer un
partenariat stratégique durable sur le long
terme.
Propos recueillis par Défense.
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
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Plateau d’Albion
L’Europe en voie de démilitarisation
La crise économique risque d’accentuer le décrochage européen
Dossier coordonné par François d’Alançon AA55
Grand dossier
14
« La démilitarisation de l’Europe, où de larges pans de l’opinion et de la classe
politique sont opposés à la force militaire et aux risques qui lui sont liés, a cessé d’être
la bénédiction qu’elle était au XXe siècle pour devenir, au XXIe, un obstacle
à l’établissement d’une sécurité solide et d’une paix durable ».
Ces propos de Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, prononcés
le 23 février dernier à Washington, devant la National Defense University,
soulignent une réalité incontournable: les Européens ont une vision « postmoderne » de leur sécurité et des menaces pesant sur leurs sociétés. La
guerre ne figure plus sur l’écran radar de leurs préoccupations.
Une récente enquête (1), conduite dans les vingt-sept Etats-membres de
l’Union européenne par Mark Leonard et Ivan Krastev, deux experts du
European Council on Foreign Relations (ECFR), montre que « les élites de
sécurité européennes voient de plus en plus la sécurité à travers les yeux
de compagnies d’assurances plutôt que de planificateurs militaires ». Ces
élites «considèrent la paix comme acquise et pensent en termes de
risques plutôt que de menaces». « Leur objectif stratégique est de se préNOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
parer à l’imprévu, et donc d’augmenter la capacité de gouvernance », non
de se mettre en position de pouvoir contrer des menaces spécifiques et
identifiées, par des moyens militaires appropriés et proportionnés. Aux
yeux de ces élites européennes, les risques systémiques civils et la protection des biens publics ont plus d’importance que les risques militaires.
Ce qui leur fait peur, ce sont avant tout les menaces contre leur niveau de
vie : l’impact de la crise économique et financière, l’insécurité énergétique,
le changement climatique et l’immigration. Selon un récent sondage
Gallup, 62 % des citoyens européens pensent que leurs gouvernements
doivent consacrer leurs ressources au développement plutôt qu’à l’outil
militaire. Et 38 % pensent que le changement climatique est une menace
plus importante que le terrorisme islamiste.
Sirpa Air
Grand dossier
Armées européennes dans la crise
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L’Europe désarme, donc, quand le reste du monde fait tout le contraire.
Bientôt, la plupart des pays membres de l’Otan auront du mal à consacrer
plus de 1 % de leur PIB à la défense. Selon le Stockholm International Peace
Research Institute (SIPRI), le monde a consacré, en 2009, 2,7 % de son PIB
à la défense. Parmi les 15 pays qui dépensent le plus pour leur défense, on
retrouve en tête l’Arabie Saoudite avec 8,2 % du PIB et les Etats-Unis avec
4,6 %, loin devant la Corée du Sud (2,8 %), l’Iran (2,7 %), l’Inde et le
Pakistan (2,6 %). Les estimations mettent la Russie à 3,5 % et la Chine à
2 %. En queue de peloton, le Japon avec 0,9 %, l’Espagne (1,2 %),
l’Allemagne (1,3 %) et l’Italie (1,7 %). Paradoxalement, entre 2000 et 2009,
les dépenses militaires des Etats membres de l’UE ont légèrement augmenté (2). Les derniers chiffres montrent cependant, pour la période 20062008, une tendance à la stagnation. Tous les pays de l’UE ne sont pas dans
la même situation. Mis à part certains pays méditerranéens (Espagne et
Malte), les dépenses militaires ont diminué ou augmenté faiblement dans
les pays d’Europe de l’Ouest. Le Royaume-Uni constitue une exception,
notamment en raison des engagements en Irak et en Afghanistan. Les plus
fortes augmentations dans les pays d’Europe centrale et orientale - pour la
Hongrie et la République tchèque, l’année 2008 a été caractérisée par une
baisse des dépenses de défense - peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs : croissance économique forte, volonté de moderniser l’outil militaire
et de le passer aux standards OTAN, engagement dans des opérations internationales et perception d’une Russie dangereuse pour leur sécurité.
La crise économique risque d’accentuer le décrochage européen. Dans la
perspective d’un coup de rabot budgétaire (3,6 milliards d’économies sur
les 95 déjà prévus pour la période 2011-2013 par rapport aux engagements
de la Loi de programmation militaire 2009-2014), la France pourrait suivre
l’Angleterre sur le chemin du déclin. Au terme de leur Strategic Defence
Review, le gouvernement britannique va réduire de 8 % en volume le budget de la défense d’ici avril 2015. L’armée de terre perdra 7 000 soldats, la
Royal Air Force et la Navy perdront chacun 5 000 hommes, tandis que le
ministère de la Défense devra se séparer de 25 000 salariés civils. En
Allemagne, le ministère de la Défense doit économiser 8, 4 milliards d’eu-
ros dans son budget d’ici à 2014. La réforme de la Bundeswehr fera passer
l’armée de terre de 92 200 à 73 500 hommes d’ici à 2014.
A l’inverse de la tendance dans l’UE, les budgets militaires dans le monde
ont augmenté en 2009 de 6 % en termes réels comparativement à 2008, et
de 49 % par rapport à l’année 2000. La crise économique a eu peu d’impact
sur les dépenses militaires, la plupart des Etats ayant fait le choix d’augmenter leurs dépenses publiques pour limiter la récession. A l’exception du
Japon, les seuls pays du « top 10 » qui ont baissé leurs dépenses de défense entre 2000 et 2009 sont l’Allemagne et l’Italie, deux des principaux Etats
européens…
Les dépenses militaires des pays de l’UE sont concentrées dans petit
nombre de pays, au premier rang desquels le Royaume-Uni et la France. La
France, le Royaume-Uni et l’Allemagne pèsent pour 59,5 % des dépenses
de défense. L’Espagne et l’Italie, quatrième et cinquième en termes de
défense militaires, représentent 17,7 % du total européen. Quant aux 22
autres pays, ils pèsent - exception faite des Pays-Bas, de la Grèce et de la
Pologne - pour moins de 5 milliards d’euros chacun. Si en termes d’investissements le poids de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne
est à peu près comparable à leur part dans les budgets militaires de l’UE
(64,3 %), Paris et Londres représentent 84,2 % des dépenses R&D de l’UE.
Malgré la modernisation et la professionnalisation des forces dans l’UE,
seulement un peu plus de 80 000 soldats européens étaient déployés en
opération extérieure en 2008, soit moins de 5 % des effectifs des armées
des Etats membres. Les programmes européens réalisés en coopération ne
représentent qu’une part minoritaire des acquisitions (21,2 %) et de la R&T
(16,5 %) des Etats membres de l’UE, même si ces programmes ont fortement augmenté depuis 2005. Confrontée à la question de sa dépendance à
l’égard d’acteurs non européens, l’Europe est une fois de plus à la croisée
des chemins.
(1) The spectre of a multipolar Europe, Mark Leonard & Ivan Krastev, European
Council on Foreign Relations, October 2010.
(2) L’Europe de la défense un an après le traité de Lisbonne, Institut Thomas More.
Eléments de comparaison 2009
Dépenses 2009
(milliards de $)
Evolution 20002009 (%)1
Dépenses par
habitant ($)
Part dans le PIB
de 2008 (%)
Part dans le total
mondial (%)
Grand dossier
Union
européenne
297
14
596
1,72
19,4
Etats-unis
661
75,8
2 100
4,3
43
Chine
100
2175
74,65
2,05
6,65
Russie
53,31
1055
3785
3,55
3,55
15
Sources : AED et SIPRI
Japon
51
-1,3
401
0,9
3,3
Arabie
Saoudite
41,3
66,9
1 603
8,2
2,7
Monde
1 5311
49,2
224
2,7
100
1/ A prix constants, US$ 2008
2/ Estimation
3/ Dont 1 147 milliards de dollars (74,9 %) pour les dix pays
qui dépensent le plus pour leur
défense- 1 254 (81,9 %) si l’on
considère les 15 premiers.
4/ Acquisition d’équipements
et R&D
5/ Chiffres 2006
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Armées européennes dans la crise
Dépenses et effectifs militaires dans les pays de l’Union européenne
Dépenses de
défense en
2008 (millions
d’euros)
Evolution
entre 2000 et
2008 (%)
Effectifs
militaires
Investissements
(millions d’euros)6
Dépenses de
R&D (millions
d’euros)
Allemagne
31 735
1,27
-9,2
251 616
6 506
1 213,4
Autriche
2 558
0,9
3,5
27 300
353
1
Belgique
4 252
1,23
-3,1
37 075
358
9,6
Bulgarie
797
2,34
29
33 881
170
0,4
Chypre
301
1,78
-17,6
12 507
18
0
Danemark
3 050
1,3
6,9
18 000
705
5 3495
Espagne
12 756
1,16
32,9
137 800
2 851
276,7
Estonie
294
1,85
178
3 010
67
1,1
Finlande
2 463
1,32
26,8
34 997
683
44
France
45 362
2,32
5,3
347 200
9 539
3 231
Grèce
6 192
2,55
11,4
133 775
2 140
7,4
Hongrie
1 286
1,22
-10,1
20 967
195
1
Irlande
1 077
0,58
6,3
10 377
94
0
22 631
1,44
-9,8
186 956
3 302
341,1
Lettonie
370
1,60
334,2
5 441
55
0,3
Lituanie
363
1,12
69,2
8 637
66
0
Luxembourg7
158
0,43
63,7
849
63
0
Malte
28
0,50
20,7
2 140
0,4
0
Pays-Bas
8 488
1,43
8,1
46 091
1 409
0
Pologne
5 974
1,66
50,3
130 450
896
54
Portugal
2 536
1,53
7,8
37 346
344
4,7
Rép. tchèque
2 134
1,44
-13,6
24 495
182
18,5
Roumanie
2 055
1,24
33,3
75 517
351
15,3
Royaume-Uni
42 005
2,32
21,4
194 330
10 925
4 011,5
Slovaquie
994
1,53
27,9
15 413
147
2,5
Slovénie
567
1,48
87,1
6 519
59
19,4
4 026
1,23
-22,6
16 827
1 136
299,4
Italie
16
Dépenses
rapportées au
PIB (%)
Suède
Sources : AED et SIPRI et OTAN
6/ Acquisition d’équipements et R&D - 7/ Pour le Luxembourg, les chiffres concernent la période 2000-2007
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“Le Royaume-Uni et la France sont les seuls
à assurer la survie de capacités
européennes significatives”
Etienne de Durand
Des budgets à 1,3 ou 1,5 % du PIB signifieraient la perte de notre indépendance
politique et stratégique, le déclin de notre industrie de défense
et de vrais problèmes de sécurité
En Irak, l’armée américaine, la première armée occidentale en termes
d’effectifs, n’a pu en effet stabiliser que Bagdad et sa banlieue, ceci
alors que le monde compte de plus en plus de mégapoles. Autre
exemple, les britanniques, avec une armée de terre à environ 100 000
hommes, ont eu beaucoup de mal à maintenir dans la durée un contingent de 9 000 hommes en Afghanistan. Aujourd’hui, la capacité d’une
grande nation européenne à intervenir dans la durée semble ainsi s’établir à environ 10 000 hommes – là où il était courant pendant les trois
derniers siècles de déployer outre-mer des forces expéditionnaires d’au
moins 50 000 hommes, ce qui donne une idée de l’étroitesse des formats d’aujourd’hui, sans même évoquer les armées à 100 divisions et
plus qui se sont affrontées pendant les deux guerres mondiales.
Les moyens des armées européennes ont fondu sous la conjonction
d’un triple phénomène. En premier lieu, le bouleversement géostratégique suscité par la fin de la guerre froide et la disparition de la menace
soviétique, qui ont conforté au sein de nos sociétés un sentiment de
paix perpétuelle, avec curieusement une demande parallèle de sécurité
intérieure en hausse constante. La possibilité même de la guerre ne
constitue plus aujourd’hui l’évidence qu’elle a représentée pour les
générations précédentes. Deuxième facteur,
l’inflation
Grand dossier
spécifique
des coûts
17
militaires qui fait que chaque génération de matériel est plus chère que
la précédente au-delà du coût de
l’inflation. Enfin, une contrainte budgétaire de plus en plus prégnante
liée au financement de l’Etat-providence. A ces facteurs structurels, il
faut ajouter des facteurs conjoncturels comme le coût des opérations,
leur durée et leur nature. Pendant
les deux premières décennies de
l’après guerre froide, la France et le
Royaume-Uni étaient capables, par
des réductions de format, de financer
deux des trois éléments suivants : la
disponibilité opérationnelle, la
ECPAD
L’Europe est-elle en voie de « démilitarisation » comme l’affirmait
récemment le secrétaire américain à la Défense Robert Gates ?
Etienne de Durand : Robert Gates a pointé du doigt un problème très
important et il est difficile de ne pas être d’accord sur le constat. Qu’il
s’agisse de dépenses militaires rapportées au PIB, de capacités, de
technologie et de volume de forces, il est clair que tous les indicateurs
sont à la baisse. Pendant la première quinzaine d’années de l’aprèsguerre froide, la réduction des formats a permis de financer l’adaptation
au nouvel environnement stratégique et la modernisation progressive
des équipements. Il s’est agi de transformer des armées lourdes, axées
sur la défense territoriale et le combat de haute intensité, en des forces
expéditionnaires capables d’opérer sur tout le spectre conflictuel et à
grande distance de l’Europe. Le Royaume-Uni a été en pointe dans ce
domaine, suivi par la France avec la professionnalisation et le Livre
blanc.
Or, la nouvelle réduction de format que les britanniques sont en train de
lancer aujourd’hui a pour but de financer non la modernisation mais
bien les opérations extérieures en cours et les conséquences de la crise
budgétaire. On court ainsi le risque d’un déclassement militaire durable,
qu’il s’agisse de capacités technologiques et militaires ou de volume
global. C’est également ce
qui risque d’arriver en
France, après les échéances
électorales de 2012. Le budget de la défense britannique (pensions incluses)
s’élève à un peu plus de 2 %
du PIB, contre environ 2 %
du PIB en France, des taux
historiquement bas et reflétant un effondrement sans
précédent dans l’histoire
européenne. L’armée de
terre
française
fait
aujourd’hui le tiers de l’armée de Louis XIV à la fin de
son règne, soit 100 000
hommes contre 300 000
hommes à l’époque, pour
une population deux fois Dire que la France possède la quatrièplus importante. La techno- me armée du monde prête à sourire
logie ne compense que partiellement cette atrophie.
Chercheur, Directeur du Centre des Etudes de Sécurité de l’Ifri, auteur de
« Entente or Oblivion, Prospects and Pitfalls of Franco-British Co-operation on
Defence », Royal United Services Institute, Septembre 2010.
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Page 17
Armées européennes dans la criseE
modernisation des équipements et les opérations extérieures. A bien
des égards, c’était là l’ambition du Livre blanc de 2008. Cette équation
ne sera plus tenable dès lors que les budgets vont s’orienter de façon
durable en dessous des 2 % de PIB. Des réductions supplémentaires de
format ne pourront désormais se faire qu’au détriment de la capacité
d’intervention, celle-ci risquant alors de devenir insignifiante. Une capacité de projection réduite à 3 000 hommes signifierait que la France ne
compte pas plus que les Pays-Bas. Dire, comme on a pu l’entendre
encore récemment dans la bouche de hauts responsables politiques,
que la France possède la quatrième armée du monde prête à sourire
quand on fait la comparaison avec les volumes et les investissements
consentis par un certain nombre de puissances asiatiques.
En quoi cette situation reflète-t-elle une culture de sécurité hostile à la
force militaire et à ses risques ?
- La culture de sécurité européenne est largement en divergence avec le
reste du monde. Au Moyen-Orient comme en Asie, le réarmement et la prolifération nucléaire s’accompagnent de tensions grandissantes. Face à ces
évolutions, le discours de l’Union européenne sur le soft power, la bonne
gouvernance, l’Etat de droit et le développement, est sympathique mais
paraît quelque peu décalé par rapport à la réalité. L’action de stabilisation
post-conflit relativement réussie de l’UE dans les Balkans ne concerne
qu’une zone géographique très limitée, selon des modalités difficilement
transposables à l’Afghanistan, au Yémen ou à l’Afrique. Des pays comme le
Royaume-Uni, la France et quelques autres nations européennes conservent un certain réalisme. D’autres, comme l’Allemagne, ont une conception
de la sécurité réduite à l’intervention humanitaire ou à une fonction résiduelle de défense du territoire. Les Français gardent dans leur mémoire collective un certain nombre de souvenirs cuisants, à commencer par la défaite de 1940, ce qui explique le relatif consensus en faveur de la dissuasion
nucléaire. Ils peuvent comprendre que la France puisse avoir des intérêts à
défendre et des crises à régler au loin. Ajoutons que la menace terroriste,
les réponses diverses qui lui ont été apportées et les documents officiels
qui ont accompagné l’ensemble, à commencer par le Livre blanc, ont également contribué à brouiller la distinction entre « culture de sécurité » et « culture de défense ».
Je pense donc qu’il s’agit moins d’une hostilité de la société envers les institutions et les questions de défense que d’un mélange somme toute assez
logique d’ignorance et d’indifférence. Pendant
des années, on a en effet déclaré que tout allait
Grand dossier
bien et que nous restions une grande puissance.
Tout
en
se
repliant
sur
elle-même,
la communauté de défense acceptait
18
bon gré mal gré les réductions successives, avec l’idée que les difficultés
étaient temporaires et qu’une fois la croissance rétablie, on retrouverait des
budgets adéquats aux missions. Ce n’est désormais plus possible. Les
hommes politiques ont la responsabilité de conduire un travail pédagogique et d’expliquer aux opinions que des choix vont devoir être faits. Si
l’on veut maintenir jusqu’au bout le « welfare », il faudra complètement
supprimer le « warfare » et en assumer les conséquences.
Quelles peuvent être les implications géopolitiques d’un tel changement de modèle ?
Il s’agit de savoir si nous voulons conserver des capacités d’intervention au niveau national, bilatéral ou européen, pour pouvoir agir dans
notre voisinage proche et lointain, qui comprend, en plus de l’Europe,
l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, le Caucase et éventuellement
l’Asie du Sud. En matière de défense territoriale comme de projection
de forces, moins les européens auront de capacités, plus ils seront tentés de justifier leur impuissance de façon rhétorique. Certes, les européens peuvent faire le choix d’un monde postmoderne où les problèmes de sécurité remplaceraient les problèmes de défense : cyber
sécurité, politique de douanes, lutte contre les trafics et le terrorisme,
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
avec une assurance ultime de sécurité nucléaire. Intellectuellement
défendable, cette posture doit toutefois être pleinement assumée et
non imposée en catimini, car l’accumulation des non-choix serait la pire
des choses d’un point de vue capacitaire, avec un format de forces incohérent à l’arrivée. Un débat politique de fond doit donc s’engager,
notamment en France et au Royaume-Uni : voulons-nous ou non rester
des puissances régionales, capables d’exercer une influence, si besoin
par la force, dans notre environnement proche et plus lointain ? Si nous
ne sommes pas prêts à consentir cet effort, en acceptons-nous toutes
les implications ? En France, la nécessité de l’effort de défense a été
longtemps justifiée par l’existence de la menace soviétique et la volonté d’affirmer une indépendance politique vis-à-vis des Etats-Unis. Des
budgets à 1,3 ou 1,5 % du PIB signifieraient la perte de cette indépendance politique et stratégique, le déclin irrémédiable de notre industrie
de défense et potentiellement de vrais problèmes de sécurité. Comme
de trop nombreux pays européens, la France se retrouverait dans une
position de « free rider » (« passager clandestin ») par rapport aux EtatsUnis, leur laissant assumer l’essentiel de l’effort de défense occidental.
Or, rien ne garantit que les Etats-Unis seront éternellement disposés à
assumer ce rôle au profit des européens. S’il y avait aujourd’hui une
grave crise dans les Balkans, les Etats-Unis ne s’en mêleraient probablement pas, contrairement à ce qui s’est passé dans les années 1990.
Les Etats-Unis sont en effet aujourd’hui profondément en Afghanistan
et en Irak, et sont par ailleurs préoccupés par la prolifération nucléaire,
le Moyen-Orient et l’Asie, avec en particulier la montée en puissance de
la Chine et les demandes de réassurance de leurs alliés régionaux,
notamment le Japon. L’Europe n’est plus une priorité.
La recherche d’une nouvelle architecture de sécurité avec la Russie
peut-elle faire partie de la solution ?
On peut considérer que la Russie n’est plus une véritable menace militaire
et qu’il convient de lui faire toute sa place, quitte même à lui concéder une
voix prépondérante dans la redéfinition de l’architecture européenne de
sécurité. En sens inverse, la guerre de 2008 constitue pour le moins un précédent malheureux de recours à l’usage de la force dans l’après-guerre
froide, sans parler même de la nature du régime russe. Dans ces conditions, les réticences et les craintes exprimées par certains pays d’Europe
orientale se comprennent aisément, ainsi que la volonté presque unanime
de garantir que les Etats-Unis demeurent partie prenante à l’architecture
européenne de sécurité. Quoi qu’il en soit, la volonté française de définir
un cadre de sécurité stable avec la Russie n’est peut-être pas entièrement
compatible avec le retour dans le commandement militaire intégré de
l’Otan et une relance de la coopération de Défense avec les britanniques.
Ces initiatives diverses suscitent en tout cas des interrogations quant au
rythme et même quant à la cohérence du projet d’ensemble.
Comment préserver ce qui peut l’être de l’outil militaire européen ?
Si les français n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente pragmatique
avec les britanniques en matière de partage capacitaire, je crains fort
que les appareils militaires des deux premières puissances militaires
européennes ne survivent pas à la décennie qui s’ouvre. A court terme,
et par-delà la dimension incantatoire, le fait est que l’Europe de défense ou la coopération franco-allemande ne constituent pas une alternative crédible. Si l’on croise le critère de la volonté politique et celui des
capacités, le Royaume Uni et la France sont en effet les deux seuls pays
qui peuvent agir à court terme pour assurer la survie de capacités européennes significatives, même si ce rapprochement n’exclut pas à moyen
terme la participation d’autres pays. La contrainte financière doit donc
nous pousser de part et d’autre de la Manche à mettre de côté les querelles idéologiques pour trouver un terrain d’entente pragmatique. Il y a
urgence.
Recueilli par François d’Alançon
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Le budget de défense français
“Permettre à la France d’exercer un rôle
dans le monde”
Economies de fonctionnement, réduction des volumes, suppression ou report
de programmes : les marges de manœuvre sont limitées pour les trois années à venir
Philippe Reyt 27e BIM
Guy Teissier
Grand dossier
Avec la montée des brumes budgétaires,
le soldat rique fort de manquer de visibilité
Le budget de défense qui nous est présenté cet automne traduit une
stratégie de défense qui s’inscrit dans un environnement instable, qui
exige de notre part une adaptabilité permanente. La mission de nos
armées est devenue d’une complexité sans équivalent dans le passé. Il
me faut d’emblée souligner la remarquable capacité d’adaptation de
nos armées : les changements opérés dans les méthodes, l’entraînement et l’équipement, ne serait-ce que depuis l’été 2008, a fortiori
depuis fin 2001, sont considérables. Face aux défis nouveaux, le gouvernement s’est engagé à maintenir la capacité d’achat en volume des
armées, malgré la crise économique et financière qui frappe notre économie depuis fin 2008. L’effort voulu par le Président de la République,
avec le Livre blanc, est maintenu. Je ne peux que me féliciter de constater que cet effort se traduit dans les faits, par la volonté du gouvernement dans un projet de budget placé sous le signe du courage et de la
cohérence. Le projet de budget que nous nous apprêtons à voter permet de donner à nos forces les moyens de leur engagement en opérations extérieures tout en poursuivant la modernisation de la dissuasion.
19
Notre liberté a un prix, nous devons accepter les sacrifices nécessaires
pour la préserver en toutes circonstances. Notre soutien à cette modernisation ne doit pas nous empêcher de débattre des objectifs et des
moyens.
Ce projet de budget permet d’assurer l’accompagnement de la modernisation des armées, avec notamment un réel effort pour le personnel.
L’amélioration de la condition militaire répond à un engagement du gouvernement et je me réjouis qu’il soit tenu. Les civils de la Défense méritent aussi cet effort : leur engagement aux côtés de nos militaires est
constant et leur attachement à la communauté de défense est particulièrement solide, comme nous avons maintes fois eu l’occasion de le
constater. Ce projet de budget vise à permettre à la France d’exercer son
rôle et ses responsabilités dans le monde. Le parlement a approuvé à
Président de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de
l’Assemblée Nationale
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Armées européennes dans la crise
deux reprises, en septembre 2008 et en janvier 2009, les engagements
de nos forces à l’étranger. Face à nos militaires qui montrent leur disposition au sacrifice suprême tous les jours, nous avons l’obligation morale de leur assurer les moyens dont ils ont besoin pour accomplir leur
mission. Les efforts du gouvernement vont au-delà du budget, si l’on
inclut les recettes exceptionnelles qui seront affectées à la Défense, le
plan de relance gouvernemental (qui a contribué à une création d’emplois industriels effective) et le grand emprunt (qui permettra de développer l’avance technologique de notre industrie aéronautique).
Nos engagements internationaux ne se limitent pas à ceux pris dans le
cadre des Nations Unies. Nous avons un devoir vis-à-vis de nos alliés,
car la décision du Président de la République de réintégration du commandement militaire intégré de l’Alliance, ne peut se concevoir sans un
effort de notre part en matière d’interopérabilité. Il y va de la cohérence
de notre politique. Il y va aussi de la sécurité de nos hommes qui repose en partie sur des moyens de communication performants. Nous
avons aussi une obligation morale vis-à-vis de nos partenaires européens. A partir du moment où nous les entraînons dans la construction
d’une Europe de la Défense, nous devons donner l’exemple par un budget ambitieux. Il y va aussi de noter capacité à être Nation cadre lorsque
nous souhaitons et devons tenir un tel rôle.
Des inquiétudes qui appellent une grande vigilance
Naturellement, le budget de défense suscite quelques inquiétudes qui
appellent de notre part une grande vigilance. Le niveau des crédits de
maintien en condition opérationnelle doit être régulièrement audité. Il
s’agit d’un domaine où les économies ne sont bien souvent qu’apparentes, car au-delà des coûts alourdis dans le temps, ce qui est en jeu c’est
la capacité opérationnelle de nos forces et le moral de nos hommes.
L’infrastructure doit aussi être au centre de nos priorités. Nous demandons
beaucoup d’efforts à nos soldats, qui sont prêts à adhérer au projet collectif que représentent les restructurations. Leur adhésion suppose cependant que nous leur donnions les infrastructures adaptées à leur mission
dans la nouvelle implantation de leurs unités.
La recherche bénéficie d’un effort non négligeable. Cependant, l’effort
supplémentaire qu’il conviendrait de consentir n’est pas insurmontable.
L’enjeu est considérable : outre le lancement des recherches nécessaires
sur les successeurs des matériels majeurs
(drone, avion, fusil par exemple), il nous faut
Grand dossier
impérativement veiller à préserver la base
20 industrielle et technologique de défense et à maintenir le potentiel d’innovation de nos industriels et, par voie de conséquence l’avance technologique de notre pays. Qu’il me soit permis de souligner que dans un pays
comme le nôtre, le budget de défense témoigne surtout de la considération que nous devons à la communauté militaire. Ce budget constituant un
élément conditionnant l’avenir de notre défense, nous serons particulièrement vigilants sur son exécution.
Pour les trois années à avenir, j’observe que nos marges de manœuvre
sont limitées. Premièrement, des économies sur le fonctionnement ne
peuvent être décidées dans une proportion trop grande du fait que d’ores
et déjà d’importantes réformes sont en cours de mise en œuvre. Si l’on
additionne la réduction de 54 000 postes (manœuvre RH assez complexe
et sans équivalent), les externalisations (16 000 emplois, sans que l’on ne
puisse aller bien au-delà sans nous exposer au risque de perte de certaines compétences, du fait d’une réversibilité très difficile) et la restructuration des unités, on constate l’ampleur de l’effort. On ne peut non plus
envisager de réduire le nombre de jours d’activité prévus, qui est déjà au
plancher (activités terrestres, maritimes ou aériennes), proches des limites
basses des standards alliés. Réduire les moyens des activités (munitions,
carburants…) n’aurait guère de sens, sauf à accepter de réduire la capacité opérationnelle, voire la sécurité du personnel.
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Une réduction des volumes de certains parcs de matériels par une forte
amélioration de la disponibilité est envisageable, sous réserve de réformer
le code des marchés publics pour favoriser systématiquement la réactivité
tout en respectant le principe d’égal accès à la commande publique.
Des économies devront être trouvées dans les programmes d’armement.
Je considère néanmoins que la suppression de programmes déjà lancés
génère peu d’économies à court terme compte tenu des dédits dus aux
entreprises ; de plus, nombre d’entre eux résultent d’engagements internationaux de la France ou de la nécessité d’assurer l’interopérabilité au
sein de l’OTAN, ou d’une volonté d’autonomie de capacité de décision et
d’action (moyens d’acquisition du renseignement). Quant à la solution du
report, il est avéré qu’il ne procure d’économies qu’à court terme, les surcoûts liés aux décalages pouvant être importants. Un débat devra être
lancé sur les futurs programmes envisagés. Il est certain que nous ne pourrons financer tous ceux dont les ébauches ont déjà été présentées. Une
attention particulière devra être portée aux drones et à l’observation spatiale car les besoins sont clairement démontrés et le respect par la France
de ses engagements internationaux peut en être affecté.
Des solutions nouvelles
Nous devons réfléchir à des solutions nouvelles pour augmenter les économies, mais en examinant tous les aspects des mesures envisagées. Ainsi,
acheter moins cher en augmentant la pression sur les prix par des mises en
concurrence plus larges peut produire des économies budgétaires (en
achetant dans les pays à bas coûts), mais au prix d’un affaiblissement de la
base industrielle et technologique de défense nationale, avec les coûts élevés que cela représente à long terme. Accepter de disposer de parcs de
matériels comportant une partie modernisée et une partie plus rustique,
adaptée aux engagements de basse intensité, peut générer des économies,
mais rend plus complexe la gestion de la maintenance et la formation.
Nous devons tirer les conséquences de nos engagements européens, qui
peuvent nous permettre de dégager de nouvelles économies. En effet,
nous pourrions développer les moyens de mutualisation réciproque avec
nos partenaires européens, (par exemple, un échange d’heures de vol
contre des heures de simulateur). Cela se fait d’ores et déjà au plan bilatéral, mais en générant un grand nombre d’opérations comptables bilatérales entre armées concernées qui peuvent être lourdes. C’est pourquoi, il
nous faut mettre en place un système de compensation multilatéral pour
permettre la prise en compte des échanges de prestations et de n’organiser de flux financiers que pour le solde global, chaque année.
Enfin, je constate que les pays européens sont tous dans une situation qui
justifie d’optimiser leurs dépenses de défense. Il est des domaines où,
manifestement, nous pourrions rechercher ensemble les voies et moyens
de réaliser des économies budgétaires. Et là, les pistes sont nombreuses,
qu’il s’agisse de qualification européenne des matériels militaires (pour
éviter de dupliquer les longues et coûteuses procédures nationales), de la
création d’un véritable marché européen de défense, ou de la réduction
des coûts de formation, en prolongeant les efforts déjà engagés dans le
domaine de la formation organisée entre plusieurs pays européens, avec
par exemple, un navire-école européen. La crise économique et financière
nous oblige à explorer toutes les pistes envisageables dès lors qu’une
approche commune nous permet de réaliser des économies.
En conclusion, qu’il me soit permis de rappeler que l’enjeu essentiel est
clair : sachant que la France a un rôle à jouer sur la scène internationale, du fait de sa responsabilité particulière au sein du conseil de sécurité des Nations Unies et que ce rôle ne peut être assumé que par la disposition d’une armée apte à la projection, équipée et entraînée en
conséquence, la révision budgétaire dans laquelle nous allons nous
engager doit permettre à la France de continuer à assumer ses responsabilités internationales.
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Le Royaume-Uni sous le choc budgétaire
L’industrie de défense britannique
au péril de la rigueur
Patrick Michon SN 31 CHEAr
Héritière d’un passé glorieux, l’industrie de défense britannique pourrait devenir un
« fidèle second » de son homologue américaine
À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie de défense britannique était de loin la plus puissante de l’Ouest du continent européen,
tirant avantage de la destruction de l’industrie allemande et de la longue
éclipse de la France et de l’Italie. De 1980 à 2010, la concentration a été
menée au pas de charge. Trois sociétés sont désormais au premier plan :
• BAE Systems regroupe désormais tous les fleurons de l’industrie
(Marconi, Ferranti, Vickers Defence, Alvis, Hawker Siddeley, de Ha¬villand, et quelques autres). BAe Systems est de plus en plus attiré par
l’aventure Nord américaine, au point de se dégager des quelques jointventures européennes, comme les 50 % possédés dans SELEX, (équipement et systèmes électroniques) revendus à Finmeccanica, et les 20%
de Airbus, revendu à EADS ; Après le rachat de United Defense (USA) par
BAe Systems, les filiales européennes de cette société ont rejoint la couronne de perles de BAe.
• Thales UK, a été construit à partir du rachat de RACAL, de Pilkington et
de Barr & Stroud, est mais présent désormais dans tous les secteurs ;
Thales UK regroupe désormais 10.000 employés, sur 60 sites, et affiche
un chiffre d’affaire de 1,5 Md¤. Thales UK est le maître d’œuvre (ou un
partenaire de premier plan) de quelques projets de grande importance
pour les Armées Britanniques, dont le système de drone de reconnaissance tactique Watchkeeper, et le programme de l’infanterie du Futur
FIST
• L’italien Finmeccanica qui a investi avec constance dans l’industrie de
défense britannique (SELEX, Westland)
Avec le soutien de DESO (Defence Export Services Organisation), un
organisme rattaché au ministère de la défense, les industriels ont connu
des réussites à l’exportation, essentiellement dans le secteur aérospatial (Eu¬rofighter Typhon, avions d’entraînement Hawk, missiles).
Malgré ces succès, le DESO a été dissous par le gouvernement britannique à la suite de soupçons de versement inappropriés à l’occasion
des contrats Al Yamamah.
Les forces armées britanniques avaient prévu un effort considérable de
rééquipement, avec des programmes emblématiques :
• Au profit de la Royal Navy, 9 sous-marins nucléaires d’attaque « Astute
», 8 destroyers « Type 45 », 2 porte-avions « CVF ».
• Au profit de la British Army, le programme « FRES », concernant 3000
véhicules blindés en 20 versions différentes.
• Au profit de la Royal Air Force, les programmes « Typhoon » & « F-35 »,
l’avion de patrouille maritime « Nimrod MRA4 ».
Cet effort semblait possible avant la crise financière de 2008 grâce à des
financements généreux, une industrie consolidée autour de BAe Systems
et de Thales UK et une population foncièrement patriote qui accepte des
sacrifices pour que les Forces britanniques soient correctement équipées.
Mais cet effort n’ira pas à son terme. Un personnel politique devenu étranger aux problématiques de la Défense, la charge financière d’un engagement coûteux en Irak, toutes ces raisons vont réduire ces programmes à
peu de choses à court terme.
La Royal Navy attend avec impatience l’arrivée des « Astute ». Ces beaux et
puissants navires de 7000 tonnes seront capables d’emporter 38 torpilles,
missiles de croisière et missiles antinavires. Trois sont actuellement en
construction aux chantiers VSEL du Groupe BAe Systems. Les 9 unités prévues sont dès à présent ramenées à 7 exemplaires, peut être même 4 si les
difficultés financières du Royaume Uni perdurent. L’arrivée de ces bâtiments devient pourtant urgente, afin de remplacer les SNA « Swiftsure ».
Ce programme, qui a pris quatre ans de retard, a vu son coût exploser. Des
difficultés techniques s’accumulent, à la suite d’une perte de la compétence industrielle. Le budget alloué aux trois premières unités à doublé.
Lancement
du SNA « Astute »
Le maintien de la
force de dissuasion
britannique,
qu’il
serait nécessaire de
renouveler
entre
2020 et 2030 ses
SNLE pour 38 milliards de dollars est en question. Les quatre sousmarins nucléaires lanceurs d'engins du type Vanguard, mis en service
entre 1993 et 1999 assurent actuellement
la dissuasion au sein de la Royal Navy. Ils
Grand dossier
sont dotés chacun de 16 mis¬siles américains Trident 2 D-5, d'une portée de 12.000 km L’origine américaine des 21
« Trident » met en doute de la réalité de l’indépendance de cette Force
de dissuasion. Le gouvernement travailliste avait décidé de renouveler
cette capacité de dis¬suasion britan¬nique, par une moderni¬sation du
système Trident et de la construction de nouveaux bâtiments pour
mettre en œuvre les missiles. La tentation de réduire à trois le nombre
de SNLE semble écartée par la revue des programmes d’armement.
Cette tentation mettait à mal la notion de la permanence de la
Dissuasion, première étape vers un retrait total de cette capacité. Le
désarmement nucléaire de la Grande Bretagne, même si l’autonomie de
sa Force de dissuasion est plus apparente que réelle, aurait mis la
France sous la pression d’un désarmement parallèle de notre FOST, bien
qu’il faille rappeler que notre indépendance est ici totale, en héritage
des décisions majeures prises il y a 50 ans par le général de Gaulle.
Projet majeur pour les Forces britanniques, la construction de deux
porte-avions « CVF » doit également permettre à l'industrie navale de se
restructurer. Le cout du programme CVF est estimé à quelques 5.7 milliards d'euros. La commande des porte-avions britanniques a été confirmée, car une annulation au stade actuel coûterait plus cher que le maintien du programme. Mais si les deux porte-avions du projet Carrier
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Armées européennes dans la crise
Vessel Future (CVF) seront bien construits, l’un des deux sera immédiatement mis en réserve, et même probablement en vente. La Royal Navy
disposera, à l'horizon 2020 (?), pour la première fois depuis 1978, d’un
seul porte-avions capable d'assurer une projection de puissance sur
toutes les mers du globe. D'un déplacement supérieur à celui de notre
« Charles de Gaulle », il sera capable de déployer une flottille d’avions
de combat F-35. Pour des raisons économiques, le parc embarqué ne
sera que de 12 exemplaires au lieu de 36 appareils prévu initialement.
Ces avions nécessiteront des catapultes et des brins d’arrêt, la capacité
STOVL (décollage court et atterrissage vertical) étant abandonnée.
CVF (virtuel) survolé par le F-35 (virtuel)
Les destroyers Type 45 sont l’avatar britannique de la défunte coopération avec l’Italie et la France sur le projet « Horizon » qui a été poursuivi par les 2 autres partenaires. Le système d'armes PAAMS, dont est
doté le Da¬ring, a été développé en coopération avec la France et
l'Italie, qui l'utiliseront sur les frégates Horizon.
Initialement, 12 destroyers du type 45 devaient être construits. Ce
nombre est désormais réduit à 6, accompagné d’un désarmement accéléré des navires plus anciens. Il est vrai que ces navires sont dispendieux, le coût du HMS Daring, premier de la série a atteint 1.47 milliard
d'euros.
Grand dossier
22
HMS Daring
Le Future Rapid Effect System (FRES) devait être une famille de véhicules blindés programmée pour entrer en service à partir de la décennie
2010. FRES remplacera les véhicules vieillissants actuellement en service et, c’est-à-dire le VTT à roues Saxon, le VTT à chenille FV432, et des
véhicules de la famille Scorpion CVR (T). Le concept qui est retenu sera
compatible des forces "medium weight", qui sont un équilibre entre
une capacité de transport habituellement dévolu aux forces ("light")
Le démonstrateur
Piranha 4
qui préfigure
la version 5
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
avec la protection balistique des forces ("heavy"). FRES sera divisé en
des véhicules à roues 8x8 et des véhicules à chenilles. Pour des raisons
économiques, il est prévu d’acquérir sur étagères le véhicule 8x8. Le
choix annoncé du General Dynamics Piranha 5 qui est actuellement un
véhicule de papier, a affaibli considérablement l’industriel britannique
BAE Systems Land Systems qui vient de perdre 3 appels d’offres successifs en Grande-Bretagne!
L’Eurofighter Typhoon est désormais entré en service. C’est un avion de
combat multirôles développé par le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie
et l'Espagne. L'Autriche et l'Arabie Saoudite se sont également portés
acquéreurs, ce qui devrait faire pas¬ser la production totale à plus de
700 exemplaires, les besoins de la RAF affichés étant de 232 exemplaires. Les 24 premiers exemplaires destinés à la commande saoudite
seront prélevés sur les livraisons destinées à la RAF. Ils ne seront pas
compensés, des coupes encore plus drastiques sont même à prévoir.
L’aventure du F-35 JSF
laissera un goût amer, du
fait des retards conséquents de développement, et de mise en service, de l’augmentation de
près de 50% du prix unitaire, et des limitations
d’emploi
drastiques
F-35
imposées par les USA.
Un autre programme qui a réservé de très mauvaises surprises est le
nouvel appa¬reil de patrouille maritime NIMROD Mk4. Pour des raisons
techniques et économiques, il est arrêté. La perte de compétence de
lutte anti-sous-marine de la RAF sera irrémédiable, au moment où des
sous-marins russes patrouillent à nouveau au large des îles britanniques.
Après le choc de 2010, restera t-il une industrie de défense britannique,
en dehors de la sous traitance pour son homologue américaine ? Les
Britanniques font déjà face dans de nombreux programmes à des pertes
de compétences techniques. Deux ques¬tions se posent lorsqu’il s’agit
de penser les industries de défense de la Grande Bretagne post 2010
Le Centre de gravité de BAe sera-t-il toujours en GB ? La réponse probable est négative. En 2015 BAe Sys¬tems ne sera plus une so¬ciété
britannique avec des filia¬les aux USA, mais une société US également
im¬plantée au Royaume-Uni. Compte tenu de l’importance des
com¬mandes de l’US DOD pour BAe Sys¬tems, celle-ci n’a plus la liberté d’action commerciale que cette société aurait souhaité conserver.
BAe Systems, Inc. dont le siège social est à Rockville, Maryland, filiale
US de BAE Systems plc, emploie 53000 personnes, dont 43000 aux
USA, et réalise un chiffre d’affaires de 14 milliards US$.
Le Royaume-Uni est-il la « tête de pont » en Europe des industriels américains ? General Dynamics Land Systems, Boeing, Lockheed, cherchent
à acquérir les derniers bijoux de l’industrie britannique pour prendre
une part importante de ce marché d’armement, et utiliser la GrandeBretagne comme tête de pont vers le reste de l’Union Euro¬péenne.
Héritière d’un passé glorieux, l’industrie de défense britannique n’a
plus la prééminence sur l’Europe. Son choix du Grand Large l’amènera
probablement à devenir un fidèle se¬cond de l’industrie de défense
américaine. Autre conséquence, la politique étrangère du Royaume Uni
n’aura plus de capacités d’action indépendante, il ne lui sera plus possible de mener une action de force comme celle effectuée il y a 28 ans
pour reprendre les Falkland aux Argentins, si le Grand Frère ne le soutient pas diplomatiquement et militairement. Mais ce Grand Frère se
désintéresse actuellement de l’Europe, car le « Grand Jeu » est désormais centré dans le Pacifique.
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POLOGNE
Priorité à la professionnalisation, aux opérations
extérieures et modernisation des équipements
Jaroslaw Nawrotek
Photo DR
En dépit d’une hausse de 4 %, le budget 2010 n’échappe pas à la stratégie
gouvernementale de lutte contre les déficits
Selon la loi, le budget du ministère de la Défense nationale dispose d'un
seuil plancher correspondant à 1,95 % du PIB de l'année précédente ; ce
qui est une particularité par rapport aux autres ministères. La crise économique, qui a touché la majorité des pays européens, y compris la
Pologne, n’a toutefois pas épargné le financement de forces armées.
Ainsi en 2008 et en 2009, le budget de la défense représentait successivement 1,67 % et 1,81 % du PIB. Pour 2010, il est doté de 25,7 Mds PLN
(6,6 Mds d) dont 25,4 Mds PLN (6,5 Mds d) réservés pour la mission
"Défense". C'est un budget en hausse de 4 % par rapport à l'année précédente. Il s'appuie sur une vision optimiste de l'évolution de la croissance et sur le respect du seuil de 1,95 %, deux conditions qui pourraient cependant ne pas être remplies en 2010 comme les années précédentes. En tout état de cause, il reste étroitement lié à la stratégie
gouvernementale de lutte contre les déficits. C'est pourquoi, conformément à la loi, le gouvernement s'est d'ores et déjà réservé la possibilité
d'amputer ce budget d'un peu moins de 2 Mds PLN (513 mln d).
Incidemment, la Pologne bénéficie en 2010 de l'appui financier de
l'OTAN avec 266 mln PLN (68 mln d), mais aussi des Etats-Unis, à hauteur de 141 mln PLN (36 mln d) et de programmes scolaires internationaux. En outre, des économies substantielles devraient être réalisées
en termes d'infrastructures, en raison de la diminution du nombre d'emprises militaires.
La professionnalisation des forces armées conserve un caractère prioritaire et en conséquence semble ne pas devoir être ralentie par les difficultés budgétaires. Les dépenses liées directement à la professionnalisation dépassaient en 2009 le milliard de PLN (256 mln d) et atteindront
2,2 Mds PLN (564 mln d) en 2010. Les opérations extérieures sont la
deuxième priorité affichée de ce budget. La Pologne tient à montrer
qu'elle participe activement à la sécurité en dehors de ses frontières
(elle déploie ainsi 2 600 hommes au profit de la FIAS. Elle aligne également du personnel au sein de NTM-I ou de la KFOR. Elle vient d’assurer
pour trois mois la mission de police du ciel au profit des Etats Baltes et
participe à l’opération Active Endeavour) et donc qu'elle entend jouer
un rôle sur la scène internationale. Pour cela elle consacre 1,9 Md PLN
(500 mln d), soit 8 % de son budget, aux missions opérationnelles à
l'étranger. La troisième priorité budgétaire va à la modernisation des
équipements. Ce terme est à comprendre au sens large, car il inclut
notamment l'achat des munitions.
Le ministère consacrera réellement 4,6 Mds PLN (1,2 Mds d) à l'acquisition de nouveaux équipements. C'est environ 900 mln PLN (231 mln d)
de plus qu'en 2009, soit une augmentation de 22 %. Il faut cependant
garder présent à l'esprit que ce poste de dépenses a le plus souffert des
coupes budgétaires l'année dernière.
L’acquisition de nouveaux équipements concerne notamment les
domaines suivants : système de défense anti-aérienne et des missiles ;
hélicoptères de manœuvre ; modernisation de la Marine (15 % de frais) ;
systèmes intégrés de commande de soutien et de la visualisation du champ de
Grand dossier
bataille C4ISR ; drones. Ce budget 2010
s’inscrit dans un plan de réforme qui s'étale sur la période 2009-2018, 23
mais les changements majeurs seront terminés dès 2012. Les réformes
concernent prioritairement les forces de déploiement, les structures de
commandement, la professionnalisation, ainsi que la modernisation
technique induite par l'arrivée de nouveaux matériels. L'Armée de terre
passe de quatre divisions à douze brigades chacune, à trois divisions de
dix brigades. Parmi celles-ci est créée une brigade de montagne, ainsi
qu'une brigade de cavalerie héliportée. Suite aux changements de
structures, quatorze régiments contre six actuellement, ne seront pas
endivisionnés. L'Armée de l'air voit la disparition de trois brigades de
défense antiaérienne sur quatre. Sans surprise, la marine n'est quasiment pas touchée par les réformes.
1/Loi du 25.05.2001 « Sur la reconstruction, la modernisation et le financement
de Forces Armées de la République de Pologne »
Colonel (air) Jaroslaw Nawrotek, chargé des relations militaires internationales
au ministère de la Défense polonais (IHEDN 61)
Commandant (air) Frédéric LEFEVRE, Attaché de défense adjoint auprès de
l’Ambassade de France en Pologne
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Armées européennes dans la crise
UNION EUROPEENNE
Jean-Pierre Maulny : “les mutualisations capacitaires
doivent être coordonnées dans un cadre européen”
Des coopérations engagées dans un cadre uniquement bilatéral peuvent aboutir à des incohérences
Défense : Quelles sont les mutualisations et les partages capacitaires
possibles entre pays européens ?
- Les mutualisations capacitaires peuvent se réaliser de trois manières
différentes. Les pays peuvent additionner leurs capacités pour créer
une capacité commune dans un cadre multinational (Union européenne
ou OTAN). Dans ce cas, les Etats conservent la souveraineté sur leurs
capacités et équipements, mais coordonnent leurs efforts de manière à
créer un ensemble cohérent dans un cadre multinational. Deuxième cas
de figure, les pays créent une capacité globale en faisant l’acquisition
d’une partie de cette capacité comme cela s’est fait pour l’observation
spatiale ou pourrait se faire avec la défense antimissile dans le cadre de
l’OTAN. Dans cette situation, aucun pays n’a les moyens de construire
une capacité en propre du fait de moyens
financiers insuffisants. Mais la mise en
Grand dossier
commun des moyens financiers permet de
24 constituer une capacité militaire significative. Troisième hypothèse, les
pays mettent en commun certaines capacités, soit en décidant de
mutualiser l’achat d’un équipement et de le mettre à disposition d’une
organisation supra-nationale comme l’OTAN ou l’Union européenne ;
soit en procédant à des achats nationaux et en faisant gérer en commun
l’utilisation de leurs matériels par une agence multinationale.
Défense : Quel cadre faut-il privilégier ?
- Les discussions actuelles sur la coordination de la réduction des budgets de défense, et donc sur les mutualisations capacitaires possibles,
se déroulent uniquement dans un cadre bilatéral franco-britannique ou
franco-allemand. Deux groupes de travail ont été créés au niveau gouvernemental. La mise en place de ces groupes de travail bilatéraux
constitue certes une excellente initiative mais il faudra veiller à éviter
qu’une coordination des politiques de défense et de mutualisation
capacitaire, dans un cadre uniquement bilatéral, n’aboutisse à des incohérences dans un cadre européen.
Réalisé dans un cadre européen, cet exercice de coordination pourrait
nourrir utilement la coopération structurée permanente (Csp) prévue
par le Traité de Lisbonne, dont on ne sait que faire aujourd’hui. En gardant l’esprit plus que la lettre, la Csp peut être un instrument de coorNOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Dassault aviation
Défense : Les pays de l’Union européenne vont réduire drastiquement
leurs budgets de défense dans les prochaines années. Comment
répondre à ce défi ?
- Jean-Pierre Maulny : Ce qui est en train de se passer nous offre peutêtre une fenêtre pour réagir tous ensemble. Tous les pays européens
vont être obligés de réduire leur budget de défense. Le Royaume-Uni et
l’Allemagne vont refaire leurs documents stratégiques. Pourquoi ne pas
refaire le même exercice en même temps et réaliser ainsi l’ébauche d’un
Livre blanc européen sur la défense et d’une planification budgétaire
commune pour les capacités que nous partagerions ? Pourquoi ne pas
en profiter pour construire un modèle capacitaire européen cohérent et
rationnel ?
Les bureaux d’études n’entrent pas (encore) dans le cadre
des mutualisations possibles
dination de la mise en cohérence des modèles capacitaires nationaux.
Incidemment, cela revitaliserait également l’Agence Européenne de
Défense qui en serait chargée avec un mandat renforcé pour faire émerger un programme d’armement européen.
L’articulation du cadre bilatéral dans un cadre européen aurait aussi
pour avantage de pouvoir associer tous les pays européens à la PESDC
(politique européenne de sécurité et de défense commune).
Défense : Quels sont les obstacles ?
- Le principal obstacle, c’est l’absence d’un modèle capacitaire industriel de défense européen. Jusque là, les modèles industriels de défense nationaux ont tendance à se définir en fonction des coupes budgétaires, sans vision d’ensemble de l’outil industriel à bâtir. Les coupes
créent des rivalités entre industriels et entre Etats-majors, aggravant le
risque de manque de cohérence de l’outil industriel. Résultat, l’abandon par un pays de l’UE d’une capacité technologique ou industrielle se
fait indépendamment de savoir si elle est disponible dans un autre Etat
membre. Dans ce domaine comme dans les autres, rien ne se fera sans
une impulsion politique très forte de la part des grands Etats européens. Du côté français, il y a une difficulté à appréhender la perte de
puissance militaire de la France, perçue comme une évolution négative,
alors qu’il faudrait transformer notre modèle de puissance, qui reste
fondamentalement sur l’indépendance nationale telle qu’elle avait été
conçue par le Général de Gaulle, et dont nous n’avons plus les moyens.
En réalité, la perte de puissance n’est qu’apparente. Depuis vingt ans la
France a gagné en influence, notamment grâce à l’Union européenne, et
c’est dans ce sens qu’il faut poursuivre.
Recueilli par François d’Alançon
Directeur adjoint de l’IRIS, auteur d’une étude sur « L’Union européenne et le
défi de la réduction des budgets de défense », Septembre 2010.
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OTAN
Le risque d’un affaiblissement global de l’alliance
Tomas Valasek
L’intégration partielle des forces armées, seule façon de maintenir l’outil militaire
de l’Alliance confrontée au défi de l’austérité budgétaire
Tensions transatlantiques
A Washington, le département de la Défense, lui-aussi sous pression de
couper dans ses programmes, critique de plus en plus la faiblesse des
contributions de troupes des pays européens en Afghanistan et le
manque de volonté des alliés d’investir dans la défense. Les mesures
d’austérité européennes renforceront le sentiment américain que les
alliés de l’OTAN ne portent pas leur part du fardeau militaire. Des
experts proches du Pentagone affirment que les Etats-Unis pourraient
réagir en retirant deux de ses quatre brigades de combat actuellement
stationnées en Europe, ce qui priverait les nations hôtes (principalement l’Allemagne et l’Italie) des revenus tirés de la présence de ces
bases et rendrait les pays d’Europe centrale nerveux quant à la capacité de dissuasion de l’OTAN face à la Russie.
La vague actuelle de coupes budgétaires est d’une sévérité sans
précédent. Nombre d’alliés consacraient traditionnellement moins à
leurs dépenses militaires que les 2 % de PIB recommandés par
l’OTAN mais, jusque là, même les traînards réussissaient à dépenser
autour de 1,5 %. Bientôt, cependant, la plupart des pays de l’OTAN
auront du mal à rester au-dessus des 1 % de PIB. Dans la majorité
des pays européens, les budgets de défense diminuent plus vite que
Les conséquences politiques pourraient être plus profondes. L’Europe
se perçoit comme un partenaire clé des Etats-Unis, coactionnaire dans
la réponse aux défis mondiaux, et elle a besoin des Etats-Unis pour
peser sur la scène mondiale. Mais l’Amérique, même avant Barack
Obama, mais plus particulièrement depuis son élection, a très clairement signifié que l’Europe ne pouvait plus se reposer sur des valeurs
communes ou sur l’histoire pour voyager gratuitement sur le dos de la
superpuissance. Les coupes dans les budgets de défense en
Europe risquent donc d’éloigner un peu plus l’Amérique. Le
vieux continent pourrait trouver difficile de forger des
approches communes avec les Etats-Unis sur des questions
centrales pour la prospérité et la
sécurité de l’Europe, comme le
Grand dossier
changement climatique, la Russie
ou le déséquilibre de la balance
25
commerciale avec la Chine.
Gilles Trocherie
En pleine cure d’austérité budgétaire, les budgets de défense européens se réduisent, souvent dramatiquement. Ces réductions auront un
double impact sur l’OTAN. Les Etats-Unis y trouveront de nouvelles raisons de se plaindre contre une Europe qui ne porte pas sa part de fardeau. Et des réductions non coordonnées pourraient rendre plus difficile à l’OTAN de monter des opérations communes dans le futur. Pour
empêcher ce scénario, les alliés doivent intensifier leurs efforts pour
coordonner leurs réductions de troupes et d’équipements ainsi que
fusionner partiellement leurs forces armées. Pour réduire l’impact des
coupes budgétaires sur les relations transatlantiques, les alliés européens doivent démontrer qu’ils utilisent les mesures d’austérité comme
une occasion d’améliorer la capacité « expéditionnaire » de leurs forces
armées.
Les Slovaques ont récemment annoncé leur retrait du Kosovo
les autres. A l’exception de quelques unes, la plupart des capitales
européennes ne voient pas beaucoup d’utilité à leurs forces armées
au delà d’un engagement en Afghanistan dont ils tentent de s’extirper. Elles coupent plus sévèrement dans les budgets de défense
pour protéger leurs autres dépenses. L’ampleur de cette diminution
est un choix politique : la plupart des gouvernements européens
donnent la priorité aux dépenses de santé et à l’éducation, de préférence à la défense.
Perte de cohérence
Cela ne veut pas dire, pour autant, que les implications militaires des mesures d’austérité ne seront pas importantes. Les
alliés pourraient bien découvrir que l’OTAN a été globalement
affaiblie. L’Alliance doit sa capacité à combattre comme un
ensemble raisonnablement cohérent, à des années d’opérations et d’exercices communs, une myriade d’accords de standardisation et un système élaboré de planification militaire.
Les coupes dans les dépenses militaires menacent de saper
ces piliers qui font la force de l’Alliance. Dans l’obligation de
réduire leurs budgets, la plupart des ministres européens de la défense
ont décidé, de façon judicieuse, d’abandonner certaines capacités militaires sous-utilisées, de façon à protéger les troupes en opération des
effets de ces coupes. L’ennui, c’est que les alliés débattent de ces
réductions et de ces reformes, chacun de leur côté, dans une ignorance
Director of foreign policy & defence
Centre for European Reform
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Armées européennes dans la crise
Tout cela fait de la planification de défense de l’OTAN une caricature:
même bien coordonnées, les réductions budgétaires signifient que les
alliés risquent de perdre des capacités cruciales. Des coupes non coordonnées augmentent cette possibilité de manière exponentielle. La prochaine fois que les alliés devront mener une guerre ensemble, en
seront-ils capables ?
Pour que cela soit le cas, plusieurs conditions doivent être rapidement
remplies. En premier lieu, les plus grands pays de l’OTAN, doivent partager plus d’informations sur les changements prévus. Les grands pays
ont une responsabilité spéciale : parce qu’ils sont les plus gros contributeurs de troupes aux forces de l’OTAN, ils ont un impact disproportionné sur le type de forces mis en œuvre par le reste des alliés. L’OTAN
dans son ensemble doit avoir une vision plus claire des lacunes qui
pourraient se faire jour dans les capacités collectives de l’Alliance,
lacunes que d’autres alliés pourront combler, au moins partiellement.
En second lieu, les alliés doivent faire un plus grand usage des experts
en planification de l’OTAN pour analyser l’impact de leurs coupes budgétaires sur le niveau de préparation de l’Alliance et recueillir leur avis
sur la façon de procéder. Leur tâche est de sauvegarder la capacité de combat de l’Alliance et de
conseiller les capitales sur leur contribution. Enfin,
les coupes doivent cibler les dépenses militaires
les moins pertinentes par rapport aux conflits
actuels. Cela signifie avant tout la réduction des
troupes qui ne peuvent être déployés en opération
extérieure, comme le fait l’Allemagne en supprimant la conscription. La plupart des pays européens ont beaucoup fait pour réformer les armées
de la guerre froide mais beaucoup d’armement et
d’unités font toujours partie de cet héritage. Plus
les coupes budgétaires cibleront ces secteurs, plus
il restera de l’argent pour la part des forces armées
européennes susceptible de participer à des missions de l’OTAN.
Grand dossier
pements qu’ils ne pouvaient pas se permettre auparavant ou de dépenser plus pour des opérations militaires. Les exemples d’intégration
réussie, comme l’accord entre la Belgique et les Pays-Bas sur le partage de leurs navires, sont peu nombreux. De nombreuses propositions
se sont heurtées aux réticences politiques de gouvernements soucieux
de conserver leur indépendance ou de soutenir leur industrie de défense. La crise financière donne aux pays de l’OTAN des raisons supplémentaires pour avancer dans cette direction. Sans intégration, de nombreux alliés pourront difficilement contribuer à des missions militaires
futures. Pour l’heure, la meilleure approche réside dans des intégrations régionales à géométrie variable. La France et le Royaume-Uni voudront maintenir l’ensemble du spectre des capacités mais devront coordonner le déploiement de capacités comme les sous-marins nucléaires
ou les porte-avions. Les pays du Benelux partagent déjà une partie de
leurs forces armées. Les pays nordiques avancent dans la même direction et ils auront besoin d’un peu de soutien de la part de l’OTAN. Les
pays d’Europe centrale auraient grand intérêt à partager leurs forces
mais des tensions historiques, comme celle entre la Roumanie et la
Hongrie, l’ont empêché. L’OTAN doit aider ces pays à comprendre les
bénéfices de l’intégration. Cette approche régionale n’est pas incompatible avec l’émergence à long terme d’une force de l’Union européenne
intégrée ou d’un pilier européen de l’OTAN. A court et moyen-terme, les
Etats membres voudront conserver la responsabilité du financement et
Intégration des armées
Même
en
supposant
qu’une
coordination accrue
26
se mette en place, les armées européennes sortiDes petits pays devront retiré leurs troupes déployées en opération.
ront diminuées de la crise budgétaire. Au-delà des
Ici un blindé slovène au Kosovo
réductions de dépenses, les nations européennes
devront changer leur façon de construire leurs forces armées. La majo- de la mise en œuvre des forces, en les mettant à la disposition de l’UE
rité d’entre elles ont jusque là persisté à conserver la quasi-totalité du ou de l’OTAN sur une base temporaire, en fonction du besoin. La
spectre des capacités militaires. Mais il y a une limite au delà de laquel- façon la plus efficace pour l’OTAN et l’UE de maintenir leur force milile une diminution de format perd toute pertinence. Un seul porte-avions taire consiste donc à améliorer le partage des capacités entre pays
ne suffit pas à maintenir une présence permanente en mer. Le membres.
Royaume-Uni estime qu’il a besoin de quatre sous-marins nucléaires
pour assurer la permanence d’un seul en mer. Des petits pays devront La réduction des dépenses militaires en Europe intervient dans une
retirer leurs troupes déployées en opération. Les slovaques, par période de transformation profonde des relations transatlantiques.
exemple, ont récemment annoncé leur retrait du Kosovo. Si d’autres sui- Les Etats-Unis de Barack Obama ne jugent pas leurs alliés à l’aune
vent, cela pourrait avoir un effet dévastateur sur l’état de préparation d’une histoire partagée ou de valeurs communes mais pour ce qu’ils
des troupes en Europe. Comme le notait Thorvald Stoltenberg, ancien peuvent apporter sur le champ de bataille. Les mesures d’austérité
ministre norvégien de la défense, « le résultat pourrait être une Europe réduiront la contribution de l’Europe aux missions de l’OTAN et les
où seulement des pays comme la France, la Russie, le Royaume-Uni et relations en souffriront. Les pays européens membres de l’OTAN peul’Allemagne ont leurs propres forces de défense ». La façon d’éviter que vent prendre des mesures pour limiter les dégâts, par exemple à trace scénario se matérialise repose sur l’intégration partielle. Si des vers une plus grande intégration. Au final, cependant, la clé d’une
groupes d’Etats fusionnent des parties de leurs forces armées, ils amélioration des relations transatlantiques relève de la politique et
créent des économies d’échelle. Cela leur permet d’acheter des équi- non du domaine militaire.
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Gilles Trocherie
quasi totale de ce que font leurs voisins. Tous sont sous une formidable
pression de leur ministère des finances et les considérations stratégiques, - comme le type de guerre que les Européens auront à combattre dans le futur- jouent un rôle secondaire.
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MUTUALISATION/COOPERATION/INTEGRATION
Transport aérien militaire : un exemple
d’intégration de forces européennes
Alain Rouceau
Créé le 1er septembre 2010 à Eindhoven (Pays-Bas), le Commandement européen du transport aérien
militaire (EATC) (1), assure le contrôle opérationnel permanent de la quasi-totalité de la flotte
SIRPA AIR
de transport et de ravitaillement en vol de quatre nations (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas).
pour les missions
Jusqu’à présent ce
EVASAN où seuls
type de transfert ne
l’Allemagne,
la
se produisait que
Belgique et les
temporairement à
Pays-Bas ont transl’occasion d’opéraféré leurs moyens
tions extérieures.
et le contrôle opéCe commandement
rationnel. Sur le
est une réponse
plan dit fonctionconcrète, non seunel, c’est à dire
lement aux difficulcelui de l’harmonités budgétaires que
sation des procérencontrent tous les
pays européens, mais L’élite du transport aérien militaire européen s’est retrouvé cet été pour l’inauguration de l’EATC
également au déficit
Grand dossier
capacitaire en matière
de transport aérien militaire tant tactique que stratégique. Fin 2010, dures, de la standardisation ou encore de l’interopérabilité, le chan- 27
l’EATC devrait contrôler une flotte d’environ 170 appareils de transport tier est plus vaste, plus complexe et plus sensible car il implique un
et de ravitaillement en vol. L’état-major comprendra alors environ 160 transfert de souveraineté plus important que celui du transfert de
contrôle opérationnel. En fonction des domaines, les nations transpersonnes dont 45 français.
fèrent à l’EATC des responsabilités selon trois niveaux : recommandation, coordination et commandement, niveau le plus élevé. Pour
Commandement à la carte
L’objectif est de transférer progressivement l’ensemble des respon- l’instant seules l’Allemagne et la Belgique ont transféré des responsabilités et des personnels liés à la préparation des forces et à l’exé- sabilités de ce dernier niveau dans quelques domaines.
cution des missions afin, au travers des synergies créées au sein de
l’EATC, d’améliorer l’efficience et l’efficacité de la génération des Processus
forces. Compte tenu des spécificités de chaque nation, une L’EATC repose sur deux principaux piliers (opérationnel et fonctionapproche progressive, adaptée à chaque participant, a été adoptée. nel) correspondant aux deux catégories de transfert d’autorité. Sur
Ainsi, dans le domaine opérationnel, certains pays comme le plan opérationnel, le transfert d’autorité est parfaitement défini.
l’Allemagne ont transféré la quasi- intégralité de leur flotte, et dis- L’EATC utilise la flotte mutualisée mise à sa disposition par les
sous leur organisation nationale (Lufttransportkommando et centre nations pour répondre à leurs demandes de transport/ravitaillement
opérationnel). La France a choisi une approche prudente et progres- en vol en planifiant, déclenchant et contrôlant les missions. Bien
sive en transférant essentiellement ses moyens tactiques et straté- entendu, les nations ne perdent pas définitivement le contrôle de
giques, hors missions particulières. Dans le domaine du ravitaillement en vol, les Pays-Bas et l’Allemagne ont transféré leurs moyens
Général de brigade aérienne, Commandant en second et chef d’état-major
(KDC10 – A 310 MRTT), la Belgique n’en a pas et la France a gardé
de l’EATC
l’intégralité de ses capacités sous contrôle national. Il en va de même
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Armées européennes dans la crise
leurs moyens : à tout instant, sans justification, elles peuvent en
reprendre le contrôle pour des raisons nationales (retrait de transfert d’autorité, qui peut être effectué en quelques minutes sur un ou
plusieurs appareils). De plus, des représentants nationaux sont
chargés de contrôler le bon emploi des moyens mis à disposition.
Les missions sensibles nationales peuvent être gérées à l’EATC dans
des cellules autonomes uniquement armées par du personnel national retiré temporairement de ses fonctions multinationales. Pour
l’instant, seule l’Allemagne a choisi cette solution. Les Pays-Bas et
la Belgique l’étudient. La France a choisi le maintien d’une chaîne
autonome nationale mais dispose cependant d’une cellule autonome équipée à l’EATC. Sur le plan fonctionnel, les travaux vont débuter dans les différents domaines en fonction des responsabilités
déléguées par les nations. Les premiers travaux seront directement
liés à l’amélioration de la mutualisation des flottes existantes. De
plus, dans ce domaine fonctionnel, l’EATC aura un rôle important à
jouer dans la préparation de la mise en service de l’A 400M (formation, standardisation, harmonisation initiale des procédures et de
l’emploi…), mais également dans l’étude de la création d’une unité
multinationale A 400M.
En terme de RH, par exemple, la mise en œuvre d’un centre opérationnel permanent commun diminue la facture, le personnel engagé
étant inférieur à la somme totale des quatre centres des nations. A
l’inverse, le maintien de doublons nationaux va à l’encontre des économies attendues : les nations ne pourront retirer des gains que si
elles adaptent leur propre organisation. En effet, compte tenu du
transfert de responsabilités effectué, l’EATC n’est pas une organisation multinationale supplémentaire, mais bien un commandement
qui est partie intégrante des organisations militaires de chacune des
nations. Toute duplication « inutile » viendra donc affaiblir le retour
sur investissement.
Vous avez dit “rentable” ?
Les gains attendus seront à la mesure du niveau d’ambition des
nations, c’est-à-dire du transfert réalisé. L’EATC va se doter des
outils permettant d’évaluer les gains en partant de la situation d’origine de chaque nation. Certains gains liés à la mutualisation des
flottes sont intuitifs car la vision globale des moyens et des
demandes permettra de réaliser plus aisément qu’auparavant une
utilisation optimale des quatre flottes. Une meilleure utilisation des
flottes pourrait se traduire, par exemple, par un moindre recours à
des vols affrétés, ou encore par la mise à disposition d’un nombre
accru d’appareils d’entraînement pour les unités, en utilisant la ressource dégagée par l’optimisation. La mutualisation n’est cependant pas intégrale et continue de se faire entre pays EATC au travers
d’une « bourse d’échange d’heures de vol » dont la balance doit rester équilibrée dans la durée . Les gains devront se mesurer globalement en intégrant tous les domaines, budgétaires et RH notamment.
Depuis le 15 octobre, l’Allemagne a transféré à l’EATC le contrôle
opérationnel de sa flotte de transport et de ravitaillement. Les trois
autres nations devraient en faire de même d’ici la fin 2010, date à
laquelle pourra être déclarée la capacité initiale opérationnelle (IOC) .
Pour atteindre la capacité finale, il faudra que les nations poursuivent le transfert de responsabilités dans les domaines fonctionnels,
suppriment les doublons, et limitent leurs « caveats ». Il faudra également rapidement consolider l’organisation et les processus
actuels. Et, bien entendu, l’EATC aura vocation à s’ouvrir à d’autres
nations.
La création de l’EATC a été difficile, l’avenir le sera probablement
tout autant. Le vrai défi que devra relever l’EATC est celui de son
intégration acceptée dans les structures militaires des nations, tant
il n’est pas anodin de supprimer des structures nationales au profit
d’un commandement multinational. L’EATC aura avant tout besoin
d’un cadre juridique robuste au travers d’un traité qui lui donnera
les moyens adaptés à ses responsabilités et viendra se substituer à
l’arrangement technique provisoire.
Général de brigade aérienne, Commandant en second et chef d’état-major de
l’EATC
1/ ATARES : Air Transport, Air Refuelling, and other Exchanges of Services
2/ IOC : Initial Operational Capability
Grand dossier
28
Diploweb : la revue géopolitique
Diploweb.com, la revue géopolitique online. Diplomates, universitaires et stratèges publient
des analyses inédites sur ce site exclusivement consacré aux questions géopolitiques. Ce site
est dirigé par Pierre Verluise, Docteur en Géographie politique de l’Université Paris-Sorbonne,
auteur de plusieurs ouvrages.
Vous trouverez sur ce site expert, pluraliste et transparent de nombreuses études de référence
sur l’Union européenne, la Russie et la Communauté des Etats Indépendants... sans oublier
l’Amérique du Nord et du Sud, l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient. Le diploweb.com met
en ligne de nombreuses cartes.
http://www.diploweb.com
DIPLOWEB.COM - Premier site géopolitique francophone P. Verluise, ISIT - 12 rue Cassette - 75006 Paris France
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ALLEMAGNE
Convergence : un défi pour réformer
la défense en Europe
Reiner K. Huber
Photo J.P.F.
La plupart des nations occidentales sont contraintes en ce moment de mettre en œuvre
des programmes pour réduire une dette publique qui a atteint des niveaux insupportables
suite à la crise financière et économique. Des baisses plus ou moins strictes des dépenses de
défense font partie de ces programmes de consolidation qui soulèvent toujours des problèmes.
Pour l’armée allemande l’avenir est à la réduction des effectifs et à la professionnalisation.
Depuis la fin de la Guerre froide, on n'a jamais cessé de se poser ces questions, lorsque des nations pensant encaisser les dividendes de la paix procédaient à des coupes budgétaires en matière de défense. Les questions
liées aux missions futures, à la structure des forces et aux équipements
nécessitaient à la fois d'être en adéquation avec les exigences des missions et tenir compte des implications politiques, économiques et sociales
des réductions de force.
En Allemagne, la reconstitution potentielle de menaces auxquelles l'OTAN
a fait face pendant la Guerre froide a occupé la première place dans les
esprits des planificateurs en matière de défense jusque loin dans les
années 90. Le maintien de la conscription universelle pour répondre aux
exigences de construction de la force a été la raison principale pour laquelle planificateurs de défense et responsables militaires ont résisté aux
réductions d’effectifs militaires et aux changements dans la structure des
forces. A côté de cela, la conscription était un mécanisme commode pour
recruter des volontaires. En conséquence, les lignes budgétaires consacrées aux acquisitions, tout comme celles pour le fonctionnement ont eu
à souffrir de coupes disproportionnées dans les budgets de la défense qui
se sont succédé pendant cette période. La Bundeswehr a accumulé des
déficits significatifs dans la modernisation et dans l'entraînement qui ont
menacé à la fois les capacités de la défense territoriale et l'interopérabilité avec ses principaux alliés dans les nouvelles missions émergentes
comme celles conduites dans les Balkans. (1)
On aurait pu boucher le trou
C'est pour cette raison que nous avons initié un programme de recherche
interdisciplinaire pour développer une méthodologie et des modèles afin
d’évaluer les besoins d’interopérabilité entre la structure de force et les
capacités des alliés de l'OTAN pour les opérations de gestion de crises (CRO)
non-Article 5. Appliquant les modèles utilisant les données de l'Équilibre
stratégique 1998/1999, nous étions arrivés à la conclusion que les pays
européens de l'OTAN avaient le potentiel pour réduire de manière significative le trou capacitaire transatlantique de
chacun, en quantité comme en qualité,
Grand dossier
pourvu que les membres européens de
l'alliance renforcent la coopération, éliminent des redondances assimilables 29
à du gaspillage, et restructurent leurs organisations et leurs budgets de
défense de façon coordonnée pour parvenir finalement, grâce un développement cohérent de leurs outils de défense, à un niveau d'efficacité de leurs
budgets de défense collective comparable à celui des États-Unis (2).
La méthodologie a été étendue et appliquée fin 1999, pour évaluer les
capacités en matière d'opérations de gestion de crises (CRO) d'hypothétiques options de structures de force, incluant à la fois des forces issues
de la conscription et des forces professionnelles, au profit de la
Commission Weizsäcker, chargée par le gouvernement fédéral de développer une nouvelle structure pour la Bundeswehr qui devait être mise en
œuvre dans les dix ans. (3)
Cependant, les conclusions de la Commission Weizsäcker ont été écartées
au profit des recommandations d'une commission parallèle interne, installée à l'époque par le ministre de la Défense Scharping. Par contraste
avec la Commission Weizsäcker qui insistait sur les CRO, la proposition
Scharping mettait l'accent sur la défense territoriale comme mission principale de la Bundeswehr et confirmait le concept de conscription univerProfesseur émérite, Sciences appliquées aux systèmes au Département
Informatique de l'Université de la Bundeswehr à Munich.
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Armées européennes dans la crise
selle pour conserver la capacité d'une mobilisation rapide en cas de
menace ré-émergente sur les territoires de l'OTAN (4). Environ dix mois
plus tard après l'adoption du modèle de réforme Scharping, son successeur, Peter Struck, annonçait sa révision. Son concept de transformation
mettait l'accent sur les améliorations de l'efficacité opérationnelle en
- 1) externalisant les fonctions de service qui n'étaient pas essentielles pour
les opérations militaires et en intégrant les fonctions de soutien des trois services en un service de soutien interarmées : le Streitkräftebasis (SKB) et
- 2) en créant deux catégories séparées de forces pour les opérations
interarmées de réaction aux crises (CRO):
- d'une part les forces de stabilisation (Stabilisierungskräfte) pour secourir et reconstruire des sociétés déchirées par la guerre;
- d’autre part, des forces d'intervention (Eingreifkräfte) pour neutraliser
des menaces émergentes et pour mettre fin à des conflits locaux ou régionaux, par la force, si nécessaire.
La structure de forces de la Bundeswehr ainsi reformée ne s'est néanmoins
pas montrée à la hauteur des espérances, lorsque la détérioration de la
situation sécuritaire en Afghanistan dans le secteur allemand, initialement
calme, a mis en difficulté les capacités des forces de stabilisation qui y
étaient déployées. La mise à niveau de ces capacités s'avère difficile pour
diverses raisons comme, par exemple, des capacités d’achat des équipements nécessaires, sévèrement obérées par l'acquisition en cours de systèmes traditionnels onéreux (principalement l'Eurofighter) qui engloutissent une grande partie du budget capital d'investissement du ministère de
la Défense; les reports de mise à jour ou d'achat de nouveaux systèmes à
cause de procédures bureaucratiques ; une infrastructure et des capacités
de traitement de l'information insuffisantes au développement du concept
OTAN de transformation des opérations en réseau (network enabled capability). (5) Pour toutes ces raisons, les experts politiques et militaires ont
pris conscience de la nécessité d'une nouvelle réforme du secteur de la
défense qui a été déclenchée, malgré les coupes budgétaires décidées par
le gouvernement fédéral, en juillet 2010, destinée à diminuer la dette
publique accumulée par la crise économique et financière.
En faire plus avec moins
En vertu de cet accord, le budget de la défense allemand sera réduit de
6,5 % passant de 31,11 à 29,1 milliards d'euros pour les prochaines quatre
années (2011-2014), au moment même où la détérioration de la situation
en Afghanistan exige un renforcement
significatif des capacités de CRO de la
Grand dossier
Bundeswehr. C'est pourquoi la nouvelle
30 proposition de réforme soumise à débat par le ministre zu Guttenberg
tend vers "plus de capacités avec moins d'argent" en rationalisant l'organisation de la Bundeswehr et en éliminant tous les éléments non productifs, la conscription notamment, qui dévore des ressources significatives sans contribuer pour autant à la capacité de la Bundeswehr de faire
face aux menaces du XXIe siècle (OPEX). (6) Compte tenu de la réduction
du budget et de la diminution du niveau de main d'œuvre militaire à
163.500 hommes proposé par zu Guttenberg, nos premières évaluations
indiquent que l'on peut s'attendre à une distribution plutôt équilibrée de
fonds entre les budgets d’investissement et de fonctionnement permettant, en retour, une amélioration considérable de la capacité CRO, à
condition que la Bundeswehr fasse partie d'un collectif de forces assez
grand pour que les économies d'échelle ne soient pas pénalisantes au
regard du retour attendu en matière d’investissement et de dépenses de
fonctionnement.
Cela nous ramène au problème de convergence étudié à la fin des années
1990 parce que quelle que soit l'amélioration capacitaire que la réforme
de la Bundeswehr de zu Guttenberg puisse engendrer, son impact sur la
capacité opérationnelle collective de l'OTAN ou de l'UE ne peut être marginal que si l'Allemagne coordonne la réforme de sa défense avec celle de
ses alliés et vice-versa. En fait, les Pays-Bas et le Royaume uni ont eux
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
aussi déjà annoncé des coupes sévères dans leurs budgets de défense.
D'autres États suivront l'exemple sans aucun doute pour consolider leur
situation financière… L'heure est venue pour les Européens de penser à
une approche innovante pour reconstruire leurs armées d’une manière
convergente et en soutien mutuel, de façon à maximiser leurs capacités
collectives pour relever les défis d'un avenir incertain. L'entreprise n’est
pas simple, car elle implique que tous les États européens qui contribuent
activement à l'UE ou à l'OTAN, ou les deux. Dans ce contexte, le lecteur
peut se référer au Modèle de Maturation du Commandement et du
Contrôle en réseau de l'OTAN, (N2C2M2) qui peut servir de modèle
conceptuel de développement ou d'approche pour transformer la planification de défense européenne. (7)
Positionnement selon trois dimensions (gestion des droits, intégration
dans les organisations, diffusion d'information aux utilisateurs) des différentes approches possibles de C2
Développé pendant plusieurs années par un groupe d'experts internationaux sous l'égide du panel d'Analyse de Système et d'études (SAS) de
l'organisation de recherche technologique de l'OTAN (RTO), le N2C2M2,
qui traite de l'évolution du commandement et du contrôle (C2) d'opérations militaires et de la gestion d'actions complexes impliquant divers
participants militaires et civils qui cherchent à améliorer la coopération de
leurs entités pour accroître l'efficacité. Il définit cinq niveaux de maturité
des approches de C2/management qui caractérisent le degré de coopération entre les entités, en commençant, au plus bas niveau, par des opérations disjointes et allant vers des opérations « collaboratives » (deconflicted) caractérisées par une auto-synchronisation des entités. Les
approches elles-mêmes sont caractérisées par trois paramètres de
conception principaux : 1) la distribution de l'information entre les entités;
2) les modèles d'interaction entre les entités; 3) les droits de décision
accordés pour l’action collective aux entités.
Conceptuellement, le degré de convergence de la planification de défense
en Europe correspond au degré de maturité des approches de C2/management décrites par le N2C2M2. La convergence s'améliore lorsque le degré
de partage d'information et l'interaction entre les planificateurs de défense
nationaux augmente dans le processus de planification et lorsque les droits
de décision sont transférés aux autorités de planification supranationales,
que ce soit dans l'OTAN ou dans l'UE. Ainsi, la transformation de la planification de défense en Europe pourrait en fin de compte aboutir à une planification de défense européenne à condition 1) que les Européens rendent
opérationnelle la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), 2)
qu'ils contribuent à un budget de défense commun qui repose sur une politique de juste partage du fardeau, et 3) qu'ils désignent une autorité européenne pour faire fonctionner la PESD.
(1) Cf. "Erneute Umfangsreduzierungen der Bundeswehr: Ein Ausweg mit
anderen Risiken?" de R. K. Huber in Wehrtechnik 8/9, 1997, pp. 29-34).
(2) Cf. "How Wide is the Gap and How to Close It?" de R. K. Huber et B.
Schmidt: Bericht Nr. S-0001, Informatik, Universität der Bundeswehr
München, April 2000; R.K. Huber: Standards und Konvergenzkriterien für
die Weiterentwicklung der europäischen Streitkräfte. Europäische
Sicherheit 4/2002, pp. 45-50).
(3) "Datengrundlagen zur Entwicklung von Strategieoptionen für die
Weiterentwicklung der le Bundeswehr" de R.K. Huber in ITIS-Bericht, N°S0002, Avril 2000).
(4) Cf. "Limits of German Defence Reform: results of parametric analyses
for the commission Common Security and Future of the Bundeswehr " de
R.K. Huber et B. Schmidt in Journal of the Operational Research
Society, Vol. 55 No. 4, Avril 2004, pp. 350-360).
(5) Concept allemand de sécurité en réseau (vernetzte Sicherheit
Konzept)
(6) Cf. "Wirtschaftliche Implikationen der Wehrpflicht. Papier" de
R.K. Huber in Journal de Discussion, Septembre 2001).
(7) http://www.dodccrp.org/downloads/N2C2M2
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DEFENSE EUROPEENNE
“Nous avons besoin d’un nouveau discours sur
la raison d’être de nos forces”
Nick Witney
Pour l’ancien directeur de l’Agence Européenne de Défense, le choix est entre plus
d’Europe et une renationalisation des politiques de défense
Une défense européenne est-elle encore possible dans un contexte
de diminution des budgets de défense ?
Nick Witney : C’est une chance de réduire l’écart entre la rhétorique
et la pratique sur la question de la mutualisation et du partage capacitaire. C’est clairement la seule façon intelligente et logique d’avancer pour l’Europe et probablement la seule si nous voulons maintenir
des capacités militaires dignes de ce nom. Cela arrivera mais je
pense que dans un premier temps, pendant un an ou deux, la situation va se détériorer. Face au manque de ressources, la première
réaction de tous les establishments de Défense est de regarder à l’intérieur des frontières pour gérer leurs propres problèmes. Peut-être,
la situation se dégradera à un tel point que la logique d’un partage
des problèmes se réimposera.
Comment faut-il procéder ? Par des coopérations bilatérales ou
multilatérales entre pays de l’UE ou par le biais de la Coopération
structurée permanente (CSP) ?
- La bonne réponse est d’utiliser les instruments existants, en particulier la Coopération structurée permanente instaurée par le traité
de Lisbonne et qui n’a toujours pas servi. Les ministres de la Défense
de l’UE en ont discuté dans leur réunion informelle de Gand fin septembre. La Belgique partage à ce sujet la même vison que la Hongrie
et la Pologne qui vont lui succéder en 2011 à la présidence de l’Union
européenne. Des progrès pourraient donc intervenir sur une coopération structurée permanente sous présidence polonaise d’ici la fin
2011. D’ici là, les pays européens seront peut-être prêts à faire un
sérieux effort ensemble au niveau européen. Sinon, des coopérations ad hoc peuvent se développer. J’aimerais voir un développement de la coopération franco-britannique, en dépit du manque d’enthousiasme montré par Liam Fox, le secrétaire à la Défense britannique.
Sur quoi pourrait porter la Coopération structurée permanente
(CSP) et avec quels pays ?
- La CSP a été conçue pour coopérer au niveau stratégique plutôt que
tactique, programme par programme, plutôt que projet par projet.
Or, jusque là, presque tous les coopérations européennes sont réalisées projet par projet. Ces coopérations sont très longues à mettre
sur pied, très prudentes et emploient beaucoup de monde. Et si un
des Etats participants réduit subitement sa contribution financière,
le projet s’effondre. En revanche, sous la CSP, un petit groupe de
pays engagés prendra la décision politique de mutualiser des ressources significatives dans un domaine particulier. Les instructions
officielles ne seront pas d’explorer la possibilité d’une coopération
mais de la faire fonctionner. Nous avons besoin de voir des « noyaux
durs » regroupant différents pays sur différents sujets : sur la
recherche, sur les passations de marché, sur la rationalisation des
infrastructures (entretien, réparation, etc..).
Les chefs d’Etats et de gouvernements sont-ils prêts à avancer ?
- Les dirigeants ont deux problèmes en matière de Défense : le
manque d’argent et l’absence d’une menace impérieuse. Aucun pays
européen ne court le risque d’être envahi ou d’être la cible d’une
opération militaire dans les dix ou vingt prochaines années. La
Russie est un voisin difficile mais elle ne va pas attaquer l’Union
européenne. En même temps, après s’être brûlé les doigts en
Afghanistan, les pays européens sont aujourd’hui plus prudents
pour s’engager dans des opérations extérieures. Il n’y aura pas d’enthousiasme pour répéter cette expérience. Nous avons besoin d’un
nouveau discours pour justifier la raison d’être de nos forces armées
et la nécessité de dépenser de l’argent pour la Défense.
La lutte contre le terrorisme peut-elle être un argument en faveur
d’une Europe de la Défense ?
- Non. C’est un argument en faveur d’une meilleure coopération entre
nos services de renseignement, une augmentation des budgets de
police, des moyens de surveillance maritime et satellitaire et de l’aide au développement. En revanche, je ne pense pas que nous interviendrions au Sahara de la même façon
qu’en Afghanistan. Nous avons appris en
Grand dossier
Afghanistan les limites de ce que la force
militaire peut atteindre.
31
Quelle peut-être la raison d’être d’une défense européenne aux
yeux des citoyens ?
- La puissance. Dans les cinquante dernières années, nous nous
sommes habitués à justifier nos dépenses militaires en termes de
menaces, en particulier la menace soviétique. Cet argument ne
marche plus. En revanche, nous avons besoin de capacités militaires
fortes et d’une capacité militaire forte au niveau européen pour
maintenir la puissance de l’Europe. Si l’Europe perd ces capacités
dans un monde qui voit la montée en puissance de pays comme la
Chine, l’Inde ou le Brésil, elle se trouvera de plus en plus marginalisée et nous nous retrouverons sur la bande d’arrêt d’urgence de
l’histoire. C’est pourquoi, nous devons repenser la raison d’être de
nos forces armées à travers leur contribution au rôle de l’Europe sur
la scène mondiale et à la défense de nos intérêts et de nos valeurs.
Prenez l’Afrique. L’Europe y a dépensé beaucoup d’argent en faveur
Senior Policy Fellow au European Council on Foreign Relations (ECFR),
ancien directeur de l’Agence Européenne de Défense.
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Photo J.P.F.
Armées européennes dans la crise
Aujourd’hui l’Europe perd son influence en Afrique au profit de la Chine. Une défense européenne est indispensable pour maintenir la puissance de l’Europe
du développement, d’une meilleure gouvernance et de la démocratie. Aujourd’hui, l’Europe perd son influence en Afrique au profit de
la Chine. Les militaires ont un rôle à jouer pour la réserver à travers
leur présence et la formation ainsi que le développement des capacités militaires africaines.
La transposition en droit français de la directive européenne de
2009 sur l’ouverture des marchés de défense et de sécurité inquiète les industriels français de l’armement. Qu’en pensez-vous ?
- En raison de la crise budgétaire, les industries nationales d’armement
s’efforcent de protéger leurs marchés. Cette préoccupation a dominé la
« Strategic Defence Review » britannique. La directive est justifiée sur le principe car les arguments en faveur d’une ouverture du marché européen des
équipements de défense sont très puissants. Je pense cependant que la
Grand dossier
Commission a fait une erreur en essayant
de
légiférer
sur
cette
question,
car
elle ne sera pas capable de faire appliquer
32
sa directive. L’approche plus graduelle soutenue par l’agence européenne de
défense à travers l’adoption volontaire d’un code de conduite me semble
plus pratique et plus réaliste. Pour parler franchement, si les gouvernements
français ou britannique veulent accorder un contrat à une entreprise d’armement nationale, ils invoqueront un intérêt de sécurité nationale, mentionné
dans l’article 346 du traité de Lisbonne (ex-article 296). Et dans ce cas, je ne
crois pas que la Commission oserait les poursuivre devant la Cour de justice
européenne pour violation du droit communautaire. Jusque là, sous le régime volontaire de l’Agence européenne de défense, quelque 20 milliards
d’euros de marchés ont été ouverts à la concurrence européenne et environ
un tiers des contrats on été attribués à des entreprises d’un autre Etatmembre. A l’avenir, les pays européens comprendront qu’ils doivent rationaliser leur industrie d’armement tout simplement parce que leur maintien sur
la même échelle s’avère trop coûteux. Il n’y a pas d’autre solution.
Quel peut-être l’avenir de la coopération entre l’OTAN et l’UE dans
ce contexte ?
- Les relations entre l’UE et l’OTAN relèvent d’une sorte de concurrence darwinienne. Un jour, l’une ou l’autre organisation s’avèrera
plus utile que l’autre et celle qui l’est moins perdra de son importance. L’UE deviendra l’organisation la plus pertinente car elle est
capable de traiter les problèmes de sécurité à l’aide de tous ses instruments. De son côté, l’OTAN ne dispose que de l’outil militaire dont
l’utilité diminue. Que fera l’OTAN une fois qu’elle aura quitté
l’Afghanistan ? Elle continuera à incarner une garantie de sécurité
ultime contre la Russie. C’est important car cela assure que même si
Monsieur Poutine redevient président, il n’aura pas la tentation de
l’aventure. Mais le rôle de l’OTAN deviendra de moins en moins pratique et opérationnel et s’évanouira dans le décor. Si l’UE ne gagne
pas en importance, nous aurons une renationalisation de nos politiques de Défense et, en fin de compte, une diminution croissante du
rôle de des Etats européens sur la scène mondiale. Autrement dit, le
choix n’et pas entre l’UE et l’OTAN, mais entre plus d’Europe et une
renationalisation des politiques de Défense.
Que peut-on attendre du gouvernement britannique dans le domaine de la défense européenne ?
- L’aile droite du parti conservateur reste très attachée aux relations
spéciales avec les Etats-Unis et nous verrons comment les différentes tendances s’équilibrent au sein du gouvernement de coalition, au risque de se neutraliser. Dans les cinq prochaines années, le
gouvernement britannique ne pratiquera pas l’obstruction mais ne
prendra pas non plus l’initiative. En matière de défense européenne,
ils seront passifs et pragmatiques.
Recueilli par François d’Alançon
Vous pouvez réagir aux articles en écrivant à la revue Défense,
ou par mail au : revue-defense-ihedn.fr
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DEFENSE EUROPEENNE
“Nous devons profiter de cette crise budgétaire
pour donner un rôle et des moyens plus
importants à l’Agence européenne de Défense”
Arnaud Danjean
Photo EFT
Pour le président de la sous-commission « sécurité et défense » du parlement européen, les
chefs d’Etats et de gouvernements européens n’ont pas la volonté politique nécessaire pour
faire avancer l’Europe de Défense.
En Afrique un certain nombre de défis demandent des réponses européennes. Ici une évacuation
de ressortssants au Tchad en 2008.
Les conditions politiques et économiques sont-elles favorables à
des progrès de l’Europe de Défense ?
Arnaud Danjean : L’Europe de Défense se trouve aujourd’hui dans
une situation extrêmement paradoxale. Sur le papier, tant la mise en
œuvre du traité de Lisbonne que la réalité internationale, multipolaire, mouvante, instable dans laquelle nous nous trouvons, justifierait un surcroît d’Europe de la Défense. En même temps, politiquement et économiquement, ce sursaut n’est pas au rendez-vous. La
question est de savoir si ce paradoxe est transitoire, lié à la mise en
œuvre du traité de Lisbonne, à la crise économique et au manque de
volonté politique, ou, au contraire, une tendance lourde. Dans ce
dernier cas, cela voudrait dire que l’Europe a abdiqué l’existence
d’une industrie de défense compétitive, performante et ambitieuse,
un rôle politique croissant sur la scène internationale et un rapprochement dans le domaine où l’Europe a des vrais progrès à faire, à
savoir la défense et la politique étrangère. L’évolution est inquiétante mais le sursaut est encore possible.
termes d’opérations, la mission des
observateurs européens en Géorgie
Grand dossier
et la mission de surveillance maritime
Atalanta, deux réussites incontes33
tables, remontent à décembre 2008. Au Royaume-Uni, il faut compter avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs, l’ampleur des
coupes budgétaire et les interrogations stratégiques des britanniques sur leur relation avec les Etats-Unis. L’Allemagne entre dans
un débat interne sur l’arrêt de la conscription et la professionnalisation, sans compter les difficultés à justifier leur présence et une posture plus offensive en Afghanistan. En France, il y a une forme de
pause après la présidence française de l’Union européenne, menée
tambour battant, et de digestion de la réintégration du commandement militaire intégré de l’OTAN. Cette décision était la bonne mais
on a l’impression que cette réintégration a aujourd’hui la priorité, au
détriment du projet européen en matière de Défense, traditionnellement porté par la France.
La volonté politique des chefs d’Etats et de gouvernements européens fait-elle défaut ?
- Les priorités européennes, en raison de la crise financière et économique, et nationales, ne sont pas favorables. Les dernières réalisations dans le domaine de l’Europe de la Défense ont eu lieu sous
la présidence française de l’Union européenne, il y a deux ans. En
Les institutions européennes semblent également défaillantes…
- Il n’y a aujourd’hui aucune initiative politique significative en
Député (PPE) et président de la Sous-commission « sécurité et défense »
du parlement européen
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Armées européennes dans la crise
faveur de la politique européenne de défense. Les Etats membres
considèrent que les questions de Défense relèvent de l’intergouvernemental et il n’y a pas une grande volonté de leur part d’en faire
plus au niveau communautaire. Au moment où les Etats membres
marquent le pas, il n’y a personne à Bruxelles pour combler le vide.
La Haute Représentante qui a dans ses attributions les questions de
Défense aurait pu, au moins temporairement, manifester son intérêt
et assurer le relais. Or, Catherine Ashton semble considérer ce
domaine comme secondaire et elle n’a pas assisté aux deux dernières réunions informelles des ministres européens de la Défense.
Elle a eu quelques entretiens avec le secrétaire général de l’OTAN
mais n’a pris aucune initiative en matière de Défense et a une position très ambigüe sur l’Agence Européenne de Défense. De son côté,
la Commission n'est pas habilitée à intervenir dans ce domaine et ne
le souhaite pas, de peur de devoir y consacrer de l’argent.
On met en œuvre les instruments du traité de Lisbonne, par exemple
l’architecture du service d’action extérieure, les organigrammes, les
procédures, les attributions et le financement, sans véritablement
discuter du contenu de notre politique européenne vis-à-vis de la
Russie ou de la Chine, du Moyen-Orient ou de l'Afrique...
Quelles mesures sont-elles souhaitables et possibles à court terme ?
Il serait temps que les deux réunions informelles annuelles des
ministres de la Défense deviennent des Conseils des ministres mensuels, formels et de plein exercice pour discuter des structures, des
programmes et des budgets. Nous devons profiter de cette crise
budgétaire et des interrogations qu’elle suscite quant à l’avenir de
l’industrie d’armement européenne pour donner un rôle et des
moyens plus importants à l’Agence Européenne de Défense. Cette
institution existe, qu’en faisons-nous ? 30 millions de budget
annuel, c’est trop peu. Là aussi, cela demande une implication de
Madame Ashton. Des progrès peuvent également être réalisés sur la
définition et la rationalisation des programmes. La question se pose
pour les drones et les missiles, pour lesquels des compétences
industrielles existent en Europe. Les drones n’ont pas que des
usages militaires et peuvent être très utiles dans la gestion de crises
civiles ou de catastrophes naturelles. Nous devons aussi nous interroger sur nos capacités satellitaires. Une impulsion politique est
envisageable pour décider si ces capacités sont nécessaires à une Europe
Grand dossier
qui veut affirmer une forme d’autonomie
stratégique
dès
la
conception
industrielle, ou bien se contente
34
d’acheter sur étagères au moindre coût. Par ailleurs, la Pologne, qui
doit présider l’Union européenne dans la deuxième moitié de 2001,
a fait de la Défense une de ses priorités. C’est un point très positif
qui doit être encouragé. Nous, français, aurions tout intérêt à soutenir des partenaires comme les polonais qui affichent des ambitions
en matière d’Europe de la Défense.
Le secrétaire général de l’OTAN s’est exprimé à deux reprises
devant le parlement européen. Quelle conclusion en tirez-vous ?
- Anders Fogh Rasmussen est venu deux fois en trois mois devant la
parlement européen, plus que Catherine Ashton. Cela montre que la
relation UE-OTAN et l’articulation entre ces deux organisations lui
importe. En résumé, le secrétaire général de l’OTAN est venu nous
dire : « concentrez-vous sur les moyens civils et nous nous concentrerons sur les moyens militaires. Et coopérons quand nous avons
besoin des deux ». Reste que la coopération OTAN-UE bute toujours
sur le problème de la Turquie et de Chypre. Par ailleurs, cette manière de présenter la complémentarité UE-OTAN me semble quelque
peu pernicieuse. Dans l’esprit de beaucoup de mes collègues,
notamment les britanniques, l’Europe de la Défense est toujours
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
suspecte de compétition et de duplication de l’OTAN. A mon sens, il
s'agit vraiment d'un faux débat, ou en tout cas d'un débat exagéré
et posé en des termes biaisés. Il n'y a et ne peut y avoir ni compétition, ni duplication. Aucun des Etats membres de l'UE et de l'OTAN
n'a deux armées, une armée de l’OTAN et une armée de l’UE ! Il ne
me semble pas pertinent que l’OTAN développe en son sein des composantes civiles, ce n'est pas sa vocation. Et je considère politiquement dangereux une forme de stricte complémentarité dans laquelle l’Union européenne serait finalement confinée dans un rôle de
supplétif civil de l’OTAN, en cas de besoin. L’UE et l’OTAN sont deux
organisations différentes qui peuvent avoir des ambitions et des
théâtres d’opérations différents. Que se passerait-t-il en cas de crise
sur un théâtre où l’OTAN ne peut pas ou ne veut pas aller et qui exigerait une réponse militaire de l’Union européenne ? Ou en cas de
crise civile où l’UE doit se déployer de façon autonome, comme par
exemple en Géorgie ? En Afrique, nous avons un certain nombre de
défis qui demandent des réponses européennes. Le Sahel, avec les
prises d’otages, le trafic de drogue et d’armes, les migrations clandestines et le terrorisme, est une zone de sécurité prioritaire pour
l’Europe, de même que la Somalie ou le Soudan, aujourd’hui géré
par une sorte de condominium sino-américain.
Nicolas Sarkozy propose un accord de sécurité avec la Russie.
Qu’en pensez-vous ?
- L’Allemagne a engagé le mouvement lors du sommet UE-Russie en
souhaitant la mise en place d’un comité UE-Russie qui discuterait de
coopérations en matière de sécurité et la possibilité pour la Russie
de participer à des opérations européennes comme elle l’a déjà fait
au Tchad. L’ambition de Nicolas Sarkozy est d’aller plus loin dans le
débat sur l’architecture de sécurité. Ceci est nécessaire, nous ne
sommes plus au temps de la guerre froide, les défis stratégiques ont
radicalement changé, et nous avons besoin de savoir comment nous
travaillons avec la Russie. Il faut toutefois, pour avoir un vrai dialogue pouvant déboucher sur un vrai partenariat, lever des ambigüités traditionnelles, comme le risque de découplage stratégique par
rapport aux Etats-Unis. L’administration Obama, qui est un peu suspicieuse quant a ce dialogue UE-Russie, a aussi sa part de responsabilité quand elle nous fait comprendre, parfois maladroitement,
comme lors du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, que
l’Europe n’est plus un enjeu majeur en termes de sécurité.
Derrière ces discussions, n’y a-t-il pas aussi des perspectives de
contrats avec une Russie riche en gaz et en pétrole ?
- Je ne trouve pas choquant d’avoir des relations de partenariat avec
un pays qui, aux frontières directes de l'Europe, pèse lourd dans des
secteurs stratégiques, matières premières et énergie. Mais un partenariat ne s'établit naturellement pas à n’importe quel prix, pas à
n’importe quelle condition.
Y compris en vendant des Mistral ?
- Il faut ramener cette question à sa juste mesure. Je comprends les
interrogations légitimes de nos amis de la Baltique. Mais le Mistral
ne servira pas à une opération contre la Suède ou la Pologne !
Cessons de nous faire peur. La France ne vendra pas un navire de
guerre doté de systèmes d'armements sophistiqués. A travers ce
dossier, nous pouvons aussi mettre beaucoup de choses sur la
table. Il faut dépasser une logique de guerre froide et que les
Russes consolident aussi une nouvelle orientation, plus coopérative, en se comportant vraiment en partenaires et pas seulement dans
le but tactique d’engranger des gains à court terme. Nous devons,
bien sûr, être vigilants et exigeants.
Recueilli par François d’Alançon
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Les conséquences des coupes budgétaires
sur l’industrie européenne de l’armement
Les nouveaux défis
Patrice Lefort-Lavauzelle
Si l’impact de l’après-crise financière et de l’état des finances publiques sur le marché
de l’armement sont aujourd’hui perceptibles, celles-ci sont néanmoins encore limitées.
Depuis le début des années 2000, les dépenses militaires augmentent
régulièrement partout dans le monde, sauf en Europe occidentale. Les
dépenses militaires s’élèvent aujourd’hui à environ 1.101 milliards d’euros,
affichant ainsi une augmentation de 6 % par rapport à l’année précédente et de 49 % depuis le début de la décennie. Stabilisé autour de 55 milliards d’euros ces dix dernières années, le volume global des exportations
mondiales d’armement a atteint 70 milliards d’euros en 2008, ce qui
représente moins de 7 % des dépenses militaires mondiales.
Dassault aviation
En pleine crise une hausse des ventes
Cette hausse résulte du cycle d’acquisition de matériels neufs, à
forte valeur ajoutée. Le marché de l’occasion, qui s’était développé
avec l’offre des matériels relativement rustiques et vendus à bas
prix, est aujourd’hui moins dynamique que le marché de la rénovation (MCO) et de la modernisation. Le marché des matériels neufs est
lui stimulé par la rapidité du progrès technologique, qui accélère
l’obsolescence des équipements et, par l’évolution de la nature des
conflits, qui met moins l’accent sur les moyens aéroterrestres lourds
(chars, hélicoptères d’attaque…) destinés à des combats de haute
intensité que sur des matériels très mobiles et aérotransportables.
À l’avenir, il est certain que les contraintes budgétaires vont peser
durablement sur les budgets de défense dans de nombreux pays
industrialisés et notamment en Europe. La crise économique fait sentir dès à présent ses effets : en 2009, la croissance de l’économie
mondiale a été négative, une première depuis 1945. Les États recher-
chent donc les économies budgétaires et le secteur de la Défense est
souvent l’un des premiers touchés.
Les pays clients ou clients potentiels, notamment en Asie, en
Amérique latine et au Moyen-Orient, conservent une croissance économique dynamique, mais devront davantage arbitrer entre
dépenses militaires et civiles. Dans ce contexte de crise, et d’une
manière un peu paradoxale, face à une insécurité accrue, la crise
peut aussi inciter certains pays à renforcer leurs efforts d’équipement afin de prendre une part plus active dans la gestion des affaires
régionales voire internationales.
Dans le domaine des exportations, le marché est dominé par un
nombre restreint de pays. Ainsi, ceux qui possèdent une solide base
industrielle et technologique de défense (BITD) représentent l’essentiel de l’offre de matériels neufs. Sur la décennie 2000-2009, les
États-Unis, l’Union européenne, la Russie et Israël se sont partagé 90 %
du marché.
Concurrence au couteau
La concurrence entre grands pays exportateurs est extrême. Les
concurrents traditionnels de la France (États-Unis, Grande-Bretagne,
Russie et Israël) exercent une pression continue, pression amplifiée
par la concurrence de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et de la
Suède. Ces concurrents « traditionnels »
s’appuient sur un marché intérieur dynaGrand dossier
mique, qui démontre la corrélation entre
l’importance des dépenses militaires et le 35
dynamisme du secteur de l’armement.
Ainsi, les États-Unis représentent plus de
40 % des dépenses militaires mondiales
et offre donc un marché domestique
gigantesque. L’Europe, en revanche, est
une zone de faible croissance des
dépenses militaires, les pays de l’Union
européenne affectant en moyenne 1,3 %
de leur PIB à la défense, contre 4 % aux
États-Unis. L’investissement de défense
est ainsi de 166 milliards d’euros aux
États-Unis contre 40 milliards d’euros en
Europe. La France, quant à elle, avec un
engagement record de 20,9 milliards d’euros a doublé ses investissements, deveLes avions de combat ont constitué
un tiers des transferts mondiaux de
gros armement au cours des cinq
dernières années.
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Armées européennes dans la crise
nant ainsi le premier contributeur en Europe. On observe également
un lien somme toute logique mais sur le long terme entre le niveau
des investissements en recherche et technologie (R&T) et les positions acquises sur le marché des exportations d’armement. Ainsi, la
France et la Grande-Bretagne, les deux premiers exportateurs européens, sont aussi les deux premiers investisseurs en R&T de défense, sachant que la France a, de plus, bénéficié de l’action du plan de
relance mise en place par le ministère de la Défense.
En termes de débouché, le nombre des pays importateurs d’armement demeure finalement très limité. Les quinze premiers pays
importateurs représentent ainsi 50 % des acquisitions. Trois
grandes zones géographiques se répartissent l’essentiel des importations d’armement : le Maghreb - Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie.
En 2009, l’Arabie saoudite, l’Inde et les Émirats arabes unis restent
en tête des importateurs mondiaux et assurent à eux seuls le tiers
des importations mondiales. Enfin, l’Amérique latine, avec notamment le Brésil et le Venezuela, exprime un besoin croissant de
modernisation de ses équipements.
Après les effets de différents contrats passés ces deux dernières
années et des mesures de soutien des activités industrielles mises
en place par certains gouvernements, l’avenir des industriels du secteur de l’armement européen se joue principalement sur trois fronts :
celui du regroupement pour atteindre une véritable taille critique
(23 programmes nationaux d’acquisition de blindés en 2005…) celui
de l’export et celui de l’innovation, même si dans ce dernier cas de
plus en plus de clients préfèrent des achats moins onéreux de solutions « sur étagère ». Nous sommes sans nul doute à l’aube d’une
période de défis qui, à quelque chose malheur et bon, devrait permettre un nouveau départ et, qui sait, une véritable coopération européenne.
L’indispensable coopération franco-britannique
La France et la Grande-Bretagne ont des données essentielles en commun : même perception de la menace, un budget de défense tout
à fait comparable, des capacités militaires similaires, la même appartenance à l’OTAN, au Conseil de sécurité des Nations-Unies et à
l’UE. En Europe, les deux pays représentent 40 % du budget de la défense, presque 50 % du budget de l’équipement des forces et
2/3 des dépenses dans le domaine de la recherche.
De plus, les obstacles traditionnels à la coopération franco-britannique sont tombés : la « special relationship » entre la GrandeBretagne et l’Amérique a vécu car la logique OTAN/Europe issue de la guerre froide n’est plus et les priorités américaines s’étant
déplacées vers l’Asie. D’autre part, en réintégrant la structure militaire intégrée de l’Alliance et en prenant ses distances vis à vis
d’un partenaire allemand divergent sur les questions de défense, la France a clarifié ses choix stratégiques. Une nouvelle réalité géopolitique met ainsi un terme au fameux “paradigme de Suez” l’atlantisme britannique s’opposant à l’indépendance française.
A priori, plusieurs voies sont possibles dans le domaine de la coopération en matière d’armement : missile anti-navires, drones, accès
des britanniques au programme MUSIS (Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and
Observation). D’autres secteurs beaucoup plus sensibles peuvent également être envisagés, comme le successeur de l’Eurofighter et
du Rafale, où, à plus court terme, une coopération autour de la maintenance des têtes nucléaires. Cette coopération pourrait porter sur
le devenir des 160 têtes nucléaires britanniques qui bénéficieraient de la technologie française développée par le CEA.
Agence européenne de Défense et coopération
Créée le 12 juillet 2004, l’Agence est établie à Bruxelles. 26 des 27 Etats membres de l’UE, à l’exception du
Danemark, participent aux activités de l’AED. L'Agence agit sous le contrôle politique du Conseil de l’UE.
Les activités de l’AED sont structurées autour de quatre secteurs : Capacités, Recherche et technologie,
Grand dossier
Armement et Industrie et Marché.
36 En vertu de l’article 45 du traité de Lisbonne, les missions principales de l’AED sont les suivantes :
- Contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres et à évaluer le respect des engagements de capacités
souscrits par les États membres.
- Promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l'adoption de méthodes d'acquisition performantes et compatibles.
- Proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires et d'assurer la coordination des programmes exécutés par les États membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques.
- Soutenir la recherche en matière de technologie de défense, coordonner et planifier des activités de recherche conjointes et des
études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs.
- Contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du
secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires.
Le défi majeur auquel doit faire face l'Agence est de devenir une pépinière des programmes d'armement, réalisés en coopération européenne, afin de mettre à la disposition des forces armées européennes des équipements interopérables et correspondants à leur
besoin opérationnel. Dans cette perspective, la France est intéressée par de nombreux thèmes de coopération en particulier dans les
domaines de l'espace, de la surveillance maritime, du déminage maritime, du transport stratégique, des drones et des communications.
De plus, un rapprochement entre l'AED et l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) est à l’étude. En
effet, l'OCCAR a développé un savoir-faire reconnu dans la conduite de programmes d'armement. Il est donc envisagé de mettre
l'OCCAR à la disposition des Etats membres et de l'AED pour conduire de nouveaux programmes d'armement établis en coopération
dans le cadre de l'Agence.
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AILLEURS DANS LE MONDE
Pékin affiche ses ambitions
Daniel Schaeffer
Les fonds consacrés à la Défense sont passés de 12 à 70 milliards de dollars entre 1999 et 2009
manque à gagner par une augmentation substantielle du budget
annuel octroyé à la défense.
A cause de ses immenses réserves de change, de son dynamisme
économique, de la gestion très centralisée et autoritaire de son économie, la Chine n’a guère subi les effets de la crise économique
auquel le monde entier se trouve confronté depuis 2008. Par voie de
conséquence le budget de la défense chinoise ne s’en trouve guère
affecté. Le chiffre officiel qui en est publié cette année 2010 s’élève
à 77,95 milliards de dollars, soit une augmentation de 7,4 % par rapport à 2009, ce qui représente 1,4 % du PIB national. Plusieurs instituts internationaux, et pas seulement américains, émettent des
doutes sur l’authenticité de ce budget qui, en réalité et à l’analyse
de la concrétisation de la politique d’équipement en cours, estiment
qu’une part des fonds consacrés aux équipements vient d’une allocation complémentaire détenue ailleurs, vraisemblablement par la
Commission militaire centrale.
Avec l’ensemble de ces fonds, la Chine couvre toutes ses dépenses
de fonctionnement et d’équipement avec un accent porté, depuis
1982, sur le développement de la marine et de l’armée de l’air. La
sécurité de la Chine étant assurée face aux anciennes républiques
socialistes soviétiques depuis le milieu des années 1990, Pékin a
pour ambition de faire valoir ses prétentions en mer ( mer de Chine
de l’Est et du Sud) et sur Taiwan sous le couvert d’une stratégie de
défense navale de l’avant visant à définir, dans la profondeur, deux
lignes de défense : une ligne verte, qui joint le Sud du Japon au Nord
de Bornéo et qui englobe Taiwan ; une ligne bleue qui court des îles
Kouriles à la Papouasie en s’appuyant largement sur l’arc des
Mariannes . La posture de mise en garde contre les Etats-Unis procède de cette stratégie. Ce qui justifie
autant de sollicitations budgétaires
Grand dossier
auprès des instances nationales.
Lorsque Deng Xiaoping lance en 1979 le programme des quatre
modernisations - agriculture, industrie, sciences et technologie,
défense - la défense est au quatrième poste. Cette dernière a beaucoup bénéficié et bénéficie encore aujourd’hui du prodigieux développement que connaissent l’industrie, les sciences et la technologie chinoises, un développement généreusement aidé par l’Occident
et la Russie tant hier qu’aujourd’hui encore, même si, petit à petit, la
Chine prend de l’autonomie, y compris dans certains domaines les
plus avancés tels que le spatial.
Au bout de plus de quinze ans d’efforts accomplis depuis 1979, les
progrès réalisés ont permis à la Chine de commencer à s’imposer sur
le marché international, y compris dans le domaine des armements.
Ce développement mercantile s’est accompagné, à partir de 1993,
date à laquelle la Chine est devenue importatrice de pétrole, d’une
capacité offensive d’investissements à l’étranger. Grâce à cette activité, la Chine a engrangé des bénéfices conséquents qui lui permettent d’accumuler aujourd’hui 2 274,4 milliards de dollars en
réserves de change, dont 298 ont été transformés en fonds souverains, avec toutes les capacités de pénétration économique qu’offre
un tel fonds.
Autant dire que la Chine ne rencontre aucun problème pour financer
sa défense et lui accorder annuellement des fonds qui se sont multipliées par 6 entre 1999 et 2009, soit, en l’espace de 10 ans, passés
de 12 à 70,3 milliards de dollars. Notons que, jusqu’à la fin des
années 1990, l’Armée populaire de libération (APL) devait contribuer
à l’effort économique national en participant elle-même à des activités à caractère civil. C’est la raison pour laquelle, s’appuyant sur les
ressources dont disposait le parc industriel de défense, parc se
modernisant lui aussi au rythme des autres secteurs de l’économie,
tout un pan de l’industrie militaire chinoise a contribué à l’enrichissement du pays. Une part conséquente des bénéfices retirés venait
compléter le budget accordé et permettait à l’APL de se procurer à
l’étranger du matériel sur étagère, des hautes technologies, des
savoir-faire et des équipements, et de faire ainsi progresser son
industrie de défense, y compris dans le domaine de la recherche et
du développement.
Photo DR
A partir de 1998, le premier ministre de l’époque, Zhu Rongji,
exige que les militaires abandonnent la partie économique de
leurs activités pour ne plus se consacrer qu’à leur métier.
L’industrie de défense est extraite de l’orbite de la Commission
militaire centrale, réel ministère chinois de la défense, pour la
faire basculer sous la houlette du gouvernement, le Conseil
d’Etat. La Commission des sciences et de la technologie de défense (COSTIND), véritable ministère de l’industrie de défense, passe
du domaine militaire au domaine civil. A cause de cette réforme,
les militaires perdent une capacité substantielle de financement
de leurs acquisitions, acquisitions provenant autant de leurs
propres arsenaux que de l’étranger, essentiellement de la Russie
qui couvre 90 % des achats extérieurs chinois. C’est la raison pour
laquelle le gouvernement Zhu Rongji s’engage à compenser le
37
La Chine ne rencontre aucun problème
pour financer ses dépenses militaires
Général (2s) Daniel Schaeffer
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Armées européennes dans la crise
AILLEURS DANS LE MONDE
Une réforme des armées ambitieuse
mais incertaine
Julien Nocetti Anaj58- Philippe Pelé Clamour AA59
Photo Marine Nationale/Paul David Cottais
Dans un environnement géostratégique traversé par des mutations profondes,
Moscou professionnalise et mutualise son outil de défense
Grand dossier
38
Le “Pierre le Grand” le plus grand croiseur du monde battant pavillon russe, est escorté par la frégate française Latouche-Tréville aux approches de
Brest. Le retour démonstratif de l’armée russe sur la scène internationale a des visées commerciales évidentes.
Avec une situation économique stable, un endettement public pratiquement inexistant, un fond de réserve reconstitué et un baril à 70
dollars, la Russie est dans une situation favorable au regard des
pays européens. Confortée par sa rente énergétique, elle prend
conscience de sa richesse économique, qu’elle n’hésite pas à
convertir en besoins militaires, au détriment du facteur sociétal et
du besoin en infrastructures . Cependant, la professionnalisation et
la mutualisation des forces armées en cours posent un double problème : l’optimisation des ressources et la mise en condition opérationnelle. La réforme de la structure de l'armée et de son matériel
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
n'est pas sans heurts. Si les dépenses militaires sont en inflation
constante depuis 2000 (+ 100 % entre 2000 et 2008 ), l'ambitieuse
entreprise du ministre Serdioukov se heurte au fort conservatisme
des hauts gradés, à un système de formation des cadres militaires
archaïque et aux difficultés de recrutement, en particulier dans la
troupe. Aussi, qu’adviendra-t-il de la reconversion des militaires qui
auront fait les frais de la rationalisation ? Si le « surplus » de forces
vient à être basculé vers les gardes frontières, par exemple, on ne
peut que s’interroger sur leur déploiement et le sentiment de menace que cela engendrera chez les voisins de la Russie. La réorganisa-
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tion des districts militaires, qui sera achevée d'ici la prochaine mandature, devra faire ses preuves en termes opérationnels. Il est aussi
pertinent de s’interroger sur les zones sécuritaires qui seront privilégiées par le haut commandement.
L’OTAN, un épouvantail qui n’effraie plus
Longuement attendue, la doctrine militaire publiée en février 2010
n’augure pas de changements majeurs. Le seul objectif de ce texte
est de préserver le haut commandement d’éventuelles critiques sur
son absence de vision stratégique et d’étouffer le débat public . La
place de l’OTAN dans cette doctrine, largement médiatisée en
Occident, recule en réalité du rang de menace à celui de risque. Pour
l’administration américaine, soulignons qu’il est pertinent de
regrouper les affaires européennes et eurasiatiques. Cette politique
souligne leur volonté de « dé-continentaliser » à terme la Russie et
de l’associer plus étroitement aux affaires atlantiques. Pourtant, s’il
est prématuré de parler de rapprochement avec l’OTAN, cette éventualité ne peut être rejetée. Les relations de la Russie avec l'Alliance
restent empreintes d’une grande défiance. Mais une relation apaisée
entre les deux anciens rivaux dans le cadre d'un accord d'association verrait certainement la Chine déployer une politique étrangère
nettement moins favorable envers la Russie, en particulier en Sibérie
et dans le Pacifique. A cet égard, une question-clé sera de savoir si
Moscou réussit ou non à établir une coopération stratégique à longterme avec Washington .
L'Arctique, futur point chaud
La « Stratégie de sécurité nationale pour 2020 » a ajouté le Grand
Nord au rang de ses priorités, l’identifiant comme un lieu de potentiel conflit militaire, notamment en raison de son abondance en ressources énergétiques (13 % du pétrole et 30 % du gaz non découverts dans le monde). Le président Medvedev a ainsi identifié
l'Arctique à l'héritage national [russe]. Certains pays, experts et
médias ont dépeint les manœuvres russes dans la région comme
agressives, se focalisant sur l'aspect militaire de la politique russe
dans l'Arctique . En réalité, l'approche de Moscou vis-à-vis du Grand
Nord est plus complexe et multidimensionnelle. Elle reflète tant les
nombreux intérêts de la Russie dans la région que l'influence de facteurs inhérents à la politique étrangère russe . En avril 2009, le
secrétaire général du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev,
a déclaré que son pays ne participerait pas à la militarisation de
l’Arctique, préférant axer sa stratégie sur le développement économique de la région à l’horizon 2020. Celui-ci sera facilité par l'accessibilité de nouvelles voies maritimes à partir de 2015, en particulier
le passage du Nord-Ouest (souveraineté défendue par le Canada) et
la voie maritime du nord (souveraineté défendue par la Russie).
Pourtant, ces déclarations ne doivent pas occulter la réalité des
convoitises. Le commandant en chef de la Marine russe, l'Amiral
Vyssotsky, s’est ainsi récemment alarmé en public des ambitions
arctiques de la Chine.
Kamtchatka, l’autre dans la région de Vladivostok. Il est ainsi envisageable que la base de Vladivostok soit renforcée pour répondre à
la donne stratégique régionale. Les forces sous- marines sont dorénavant regroupées en un seul commandement qui incorpore les
SNLE et les SNA au sein des flottes du Nord et du Pacifique. Au cœur
du dispositif de dissuasion, elles bénéficieront d’un important programme de rénovation et de mise en condition opérationnelle. Mais
la principale ambition est l’annonce de la construction de six porteavions nucléaires de 75 000 tonnes. La mise en chantier d’un premier bâtiment est prévue en 2012-2013 et la mise en service en
2020. La réussite d’un tel programme doit être confirmée mais reste
plausible. Même réduit de moitié, il permettrait une capacité de projection de forces maritimes et aériennes sur tous les océans. Outre
la portée symbolique, il s’agit d’un défi industriel et technologique
que la Russie doit pouvoir démontrer. Enfin, dans une autre dimension, les forces spatiales vont réaffirmer les deux piliers de leurs
actions : la lutte anti-missiles et la collecte d’information. Avec une
centaine de satellites opérationnels dont une soixantaine à usage
militaire, la Russie entend conserver la deuxième place derrière les
Etats-Unis.
L'armée, une vitrine commerciale sur le déclin
La publicité faite au plus haut niveau de l'Etat aux dépenses militaires et aux matériels de guerre témoigne de la volonté des dirigeants russes d'afficher une image positive de leur industrie de
défense. En plus du retour des grandes parades de type soviétique,
l'exposition médiatisée de la reprise des vols de bombardiers, du
retour de la Marine russe sur tous les océans et les exercices militaires de grande ampleur participent à l'affichage d'une posture
certes stratégique, mais aux visées commerciales évidentes . Le
message est clairement adressé aux marchés internationaux de l'armement. La Russie conserve le deuxième rang mondial pour les
exportations d'armes – certes loin derrière les Etats-Unis. Ce besoin
de remplir les carnets de commande se fait d'autant plus criant que
l'industrie de défense russe a été durement touchée par la crise économique. Elle se maintient à flot grâce aux subsides de l'Etat et à la
signature de contrats sur des marchés le plus souvent captifs où les
firmes russes fournissent des modernisations d'anciens équipements soviétiques. En l'absence d'une restructuration en profondeur, les parts de marché de la Russie à l'international se réduiront
et les forces armées russes resteront
sous-équipées, au risque d'affaiblir les
Grand dossier
capacités de défense de la Fédération.
39
1/ J. Nocetti et P. Pelé-Clamour, « Russie : crise structurelle », Défense n° 142,
nov.-déc. 2009, p. 40-41
2/ Le budget de la défense est passé de 19,1 milliards de dollars en 2000 à
38,2 milliards de dollars en 2008 (dollars constants 2005). Source : base de
données du SIPRI.
3/ P. Baev, « Military Reform Against Heavy Odds », in A. Aslund, S. Guriev,
La marine d’abord
En octobre 2010, la commission de la défense de la Douma a publié,
pour la première fois depuis 2005, les budgets de dépenses dans la
défense. L’achat et la maintenance des armements se chiffreront à
12,7 milliards de dollars en 2010, pour atteindre 32,7 milliards de
dollars en 2013 . A cette date, le ministère de la Défense consacrera
70 % du total des dépenses à l’achat de nouvelles armes. La modernisation de la Marine est au centre du discours officiel et des programmes de développement. Medvedev a assisté au lancement de la
4ème génération de SNLE en juin 2010. Si le bail de Sébastopol a été
prolongé jusqu’en 2042, c’est surtout en direction du Pacifique que
l’analyse doit se porter. La flotte y est partagée en deux groupements distincts pratiquement sans lien opérationnel, l’un au
A. Kuchins (dir.), Russia After the Global Economic Crisis, Peterson Institute
for International Economics, 2010, p. 174
4/ B. Lo, « How the Chinese See Russia », Ifri, publication à venir.
5/ « US Strategic Interests in the Arctic », CSIS, avril 2010
6/ O. Alexandrov, « Labyrinths of the Arctic Policy », Russia in Global Affairs,
juil.-sept. 2009
7/ Douma.gov.ru, 12 octobre 2010
8/ R. McDermott, « Les forces armées russes: le pouvoir de l'illusion », Ifri,
Russie.Nei.Visions n° 37, mars 2009
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Armées européennes dans la crise
AILLEURS DANS LE MONDE
Inde : un budget en rapport avec
les menaces internes et régionales
Alain Lamballe
L’Inde consacre moins de 3 % de son PIB à la défense
En considérant cette situation sécuritaire, interne et régionale, et
compte tenu du niveau économique du pays, le budget de la défense indien ne paraît pas démesuré. Il augmente de 4 % au cours de
l’année financière en cours (1er avril 2010-31 mars 2011) pour s’élever à 40 milliards de dollars, soit moins de 3 % de son Produit
Intérieur Brut. Si l’on inclut les dépenses relatives à la sécurité au
sens large faites par le ministère de l’intérieur, le département de
l’énergie atomique et les organismes chargés de l’espace, il représente 20 % du budget de l’Etat. En comparaison, le Pakistan
consacre près de 5 % de son PIB à la défense, soit 6 milliards de dollars. Certes ce pays fait face lui aussi à des menaces internes et
externes, en l’occurrence l’Inde. Une
attaque indienne ne paraît pourtant vraiGrand dossier
semblable que dans le cas où un attentat
40 majeur, attribué au Pakistan, ou pire une série d’attentats meurtriers d’essence islamique auraient lieu en Inde. Des risques de
guerre ont existé en 2001 après des attentats meurtriers aux parlements de Srinagar et de New Delhi et plus récemment en 2007,
après ceux qui ont frappé la gare centrale et divers établissements
hôteliers de Mumbai.
Rien ne prouve que le budget de la défense indien sera suffisant
pour permettre la modernisation des équipements des forces
armées à grande échelle. L’Inde fabrique elle-même certains systèmes d’armes, notamment des navires de guerre, y compris un
porte-aéronefs (dans le chantier naval de Kochi) ainsi que des missiles stratégiques Agni. Mais, elle est encore incapable de fabriquer
tous les équipements sophistiqués dont elle souhaite doter ses
forces armées. Elle fait donc appel à l’étranger mais impose des
contraintes sévères en matière de transfert de technologie et de
compensations industrielles, ces dernières devant se faire impérativement dans le domaine de la défense. La Russie et l’Inde ont mis au
point un missile de croisière supersonique d’une portée de 290 kilomètres, le Brahmos (contraction des noms de cours d’eau,
Brahmapoutre et Moskova). La Russie est fournisseur traditionnel
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
pour les trois armées. L’armée de terre bénéficie de la production
sous licence des chars T 90. Divers achats sont envisagés pour l’armée de l’air, notamment 300 chasseurs Sukhoi furtifs de la cinquième génération qui seront mis au point en commun et des avions de
transport polyvalents. L’Ukraine fournit des appareils de transport
An 32 modernisés. Israël fournira 18 missiles sol-air Spyder. Les pays
occidentaux sont sollicités dans le domaine de la haute technologie.
Ils sont en compétition entre eux (F 16 et F 18 américains,
Eurofighter, Gripen et Rafale) et avec la Russie (Mig 35) pour fournir
à l’armée de l’air indienne 126 avions de combat polyvalents. Les
Etats-Unis proposent des avions de transport C-17 Globemaster pour
remplacer les appareils russes vieillissants Il-76. Plusieurs pays
Photo volée du sous-marin Sindhuraj livré neuf en 1986 par
l’union soviétique. La Russie est restée un fournisseur
traditionnel pour les trois armées indiennes
Photo J.P.F.
L’Inde doit faire face à de multiples insurrections, islamique et nationaliste au Cachemire, maoïste dans le centre, indépendantistes
dans le Nord-Est. Elle doit défendre 15 000 kilomètres de frontières
terrestres et 7 500 kilomètres de frontières maritimes, en incluant
les archipels de Laquedives, des Andamans et Nicobar. Ses voisins
lui sont le plus souvent hostiles, tout particulièrement le Pakistan et
la Chine, celle-ci possédant des moyens sans commune mesure avec
les siens. Le Népal où les maoïstes constituent une force considérable passe sous la coupe de la Chine.
européens et les Etats-Unis répondent à un appel d’offres de près de
200 hélicoptères pour l’armée de terre et l’armée de l’air. La marine
a signé un contrat avec les américains pour l’acquisition d’avions de
patrouille maritime à long rayon d’action. Elle va obtenir un porteavions russe, en cours de modernisation, le Vikramaditya (exGorshkov). La France a vendu des sous-marins Scorpène en accordant une licence de fabrication au bénéfice du chantier naval de
Mumbai. Des coopérations avec des pays émergés, comme avec la
Corée du Sud, sont vivement recherchées. Dans le domaine des
infrastructures, l’Inde modernise les bases aériennes et navales et
construit une importante base navale sur la côte occidentale, à
Karwar. Des efforts devront être faits pour mieux utiliser les ressources financières disponibles. Une meilleure planification s’impose. En effet, dans le passé, le ministère a dû reverser des sommes
non négligeables par manque d’exécution de programmes de fabrication.
Général (CR)
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Industrie/Armement
La péninsule coréenne : un chaudron
de sorcières...
Patrick Michon SN31 CHEAr
La Dynastie des Kim (Kim Il Sung, Kim Jong Il,
Kim Jong Un ?) se perpétue en Corée du Nord
depuis 1945. Certains analystes estiment que
l’incident naval ayant entraîné le naufrage de la
corvette de la marine sud-coréenne « Cheonan»
le 26 mars 2010 serait le résultat de la lutte des
clans pour le pouvoir à Pyongyang. Le tempo de
la succession du « Cher Leader » Kim Jong Il est
rythmé par la dégradation rapide de son état de
santé, de plusieurs pathologies graves (attaque
cérébrale, diabète, cancer du pancréas ?)
Notre visite virtuelle est consacrée à la péninsule Coréenne, dans laquelle les bruits de bottes
et les clameurs guerrières s’amplifient depuis le
début de l’année. Le naufrage de cette corvette
sud-coréenne « Cheonan» a-t-il été causé par
une action hostile de la Corée du Nord ? C’est la
conclusion d’une commission d’enquête sous
influence américaine. Cette conclusion est
cependant contestée par d’autres experts, qui
évoquent l’explosion d’une mine sous-marine
oubliée depuis la Guerre de Corée, ou appartenant à un champ de mines défensif en activité.
Pyongyang se défend de toute responsabilité
dans ce naufrage et menace ses adversaires
d'une «guerre sacrée de représailles». La relance du programme d’armement nucléaire de la
Corée du Nord augmente encore la tension intercoréenne, tout comme les manœuvres navales
conjointes USA-Corée du Sud. Un conflit ouvert
impliquerait indirectement la République
Populaire de Chine qui ne pourrait accepter que
sa frontière sur le fleuve Yalu avec la Corée du
Nord soit sous l’influence
des USA. Si le naufrage
de la corvette sud-coréenne Cheonan est bien dû à
un torpillage, l’arme du
« crime » pourrait avoir
été l’un des 32 sousmarins de poche du type
Sang-O, en service par la
marine de la Corée du
Nord. Dérivés des Heroj
yougoslaves, ces bâtiments de 35.5 mètres et
320 tonnes de déplacement en plongée peuvent
embarquer 4 torpilles. Ce pays dispose aussi
d’une trentaine de submersibles du type Yugo
(20 mètres, 110 tonnes), qui sont destinés au
transport de forces spéciales, avec une capacité
d'embarquement de 7 commandos.
Nous allons examiner uniquement les capacités de l’Industrie de Défense de la
République de Corée (Corée du Sud). En
contrepartie, il est quasi-impossible d’avoir
une bonne connaissance des capacités de
son homologue de la République Populaire
Démocratique de Corée, seule une estimation des exportations de celle-ci à destination d’états « voyous » est possible.
Sous-marin de poche
Nord-coréen
Enquête
41
Comparaison entre le Nord et le Sud
Corée du Sud
Corée du Nord
Superficie
99.000 Km²
120.000 Km²
Population
48 Millions
23 Millions
PIB
860 Giga US$
30 Giga US$ ?
PIB/hab.
17 800 US$
1 300 US$ ?
Défense
20 Giga US$
5 Giga US$ ?
Effectifs Militaires 500 000
1 150 000 ?
Avions
400
400 ?
Chars
1000 +
4 000 ?
Artillerie
3 000
3 500 ?
Frégates
18
3?
Sous-marins
19 + 7 mini
29 + 75 mini,
Patrouilleurs
80
350 ?
Armes NBC
Non
Oui ?
IRBM
Non
Oui ?
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Industrie/Armement
Cet essai de synthèse présente essentiellement les capacités de l’Industrie de Défense
de la République de Corée (ROK, également
appelée Corée du sud).
La comparaison ci dessus ne met pas en évidence les écarts technologiques entre les
équipements du Sud, ultramodernes et aux
standards US, et les matériels en service au
Nord, qui accusent un retard de 2 à 3 générations d’armes.
La Corée du sud et ses voisins
La Corée du Sud est 25 fois moins peuplée
que la Chine, et pèse économiquement 10
fois moins que le Japon. La péninsule de
Corée est au confluent de 3 pays, la Russie
dont la puissance fait pâle figure par rapport à celle de la défunte URSS, la Chine
dont la progression semble irrésistible et le
Japon avec lequel un antagonisme historique demeure vivace. Deux autres acteurs
sont incontournables pour comprendre la
politique intérieure de la Corée du Sud : évidemment la Corée du Nord, dernier régime
stalino-ubuesque de la planète, et les USA,
dont l’omniprésence est supposée dissuader le Nord à renouveler l’agression de
1950. Pour les USA, la Corée du sud est un
pion important, à proximité de la Chine. Ils
peuvent contrer l’influence économique et
donc politique de celle-ci autour de la Mer
Jaune et pourraient le cas échéant susciter
une agitation opportune.
Les relations avec le Japon ont été, sont et
resteront mauvaises !
Les invasions japonaises du 16ème siècle et
Enquête
42 l’occupation féroce au cours de la
pre¬mière moitié du 20ème siècle ont provoqué un violent traumatisme collectif qui
peut être comparé à l’antagonisme Grèce –
Turquie ou Turquie - Arménie. Tous les
Coréens, du Nord comme du Sud, reprochent aux Japonais les livres scolaires faisant état des bienfaits de la colonisation en
Corée, et les visites régulières des Premiers
Ministres japonais au temple shintoïste qui
commémore les morts de l’Armée Impériale
pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Une importante communauté de près d’un
million de Coréens vit actuellement au
Japon. Il s’agit des descendants des travailleurs forcés des années 1930. La loyauté
de cette communauté balance entre le
Japon, la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Les deux Corées se plaignent de discriminations et de mauvais traitements infligés à
leurs concitoyens.
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Les disputes portent même sur la dénomination sur les cartes marines de la mer
entre le Japon et la Corée. Des îlots dans les
détroits sont l’objet de litiges territoriaux.
La dernière en date de ces disputes concerne les îles de Dok, Dokdo en coréen, ou
Takeshima, en japonais. Ce gros rocher volcanique ne présente pas d’intérêt, mais
augmente considérablement la zone économique exclusive de l’état qui le contrôle, le
secteur pouvant intégrer des ressources
gazières et pétrolières.
l’histoire. Le bateau-tortue (Kòbuk-Sòn) est
le premier cuirassé de haute-mer de l'histoire navale. Navire à voile lorsqu'il naviguait,
le bateau-tortue escamotait ses mats lors
des combats et marchait alors à la rame.
Très manœuvrable et bien dessiné, il était
Relations Corée du Sud - USA
Les deux pays sont liés par un traité de
défense mutuelle depuis la fin de la Guerre
de Corée. Les USA ont actuellement un
contingent de 37 000 hommes en Corée, et
une attaque du Nord contre le Sud serait
automatiquement considérée comme une
agression vis à vis des USA. Le rôle des
troupes US est aussi d’éviter une attitude
trop aventuriste du Sud vis à vis du Nord, y
compris de bloquer des tentatives du Sud
de développer des armes nucléaires. Ce
traité correspond à un quasi protectorat, en
cas de crise, les forces conjointes étant placées sous commandement US. Il est également un frein dans les choix sud-coréen
d’acquisition et de doctrine d’emploi des
forces. La plupart des armements proviennent des Etats Unis, le choix final du chasseur F-15 au détriment du Rafale français se
comprenant alors facilement.
Les bateaux tortues de l’Amiral Yi
très rapide, ce qui lui donnait un avantage
immédiat sur les lourds et maladroits
navires japonais. Il était armé de douze
pièces d'artillerie, faisant feu par des
sabords ouverts dans la cuirasse, et vingtdeux meurtrières permettaient la mise en
œuvre de mousquets, fusées et flèches à
feu. Cette innovation navale permit à l’amiral
Yi Sun-sin de vaincre l’envahisseur japonais
à la bataille de No-Ryang en 1598. Ayant
sauvé deux fois son pays au cours de cette
guerre, Yi Sun-sin est considéré en Corée
comme un héros national à l'égal d'une
Jeanne d'Arc ou d'un Amiral Nelson.
Relations avec la Chine Populaire
Les relations entre les deux pays restent
prudentes sur le plan politique, même si les
échanges économiques s’accélèrent, la
Chine étant le premier partenaire commercial de la Corée. La Corée voit dans la Chine
un modérateur des ambitions et des foucades de la Corée du Nord, et un intermédiaire dans les relations Pyongyang –
Washington.
Structure de l'Industrie de Défense de la
Corée du Sud
L’industrie d’armement coréenne est dès à
présent développée et puissante. Elle est le
résultat d’une politique volontariste
constante de tous les gouvernements depuis
1976, qui s ‘appuie sur les agences gouvernementales ADD (organisme de recherche),
et DAPA (similaire à la DGA française). Les
principaux industriels coréens dans le
domaine de l’armement sont des filiales des
Groupes multi-métiers (« Chaebol » en
coréen), dont Hyundai, Daewoo, Samsung,
LG.
L’origine lointaine de l’industrie de défense coréenne !
Un élément de fierté coréenne est le
bateau-tortue, premier navire cuirassé de
Domaines d’activité
Hyundai Heavy Ind.
Hanjin Heavy Ind.
Daewoo Shipbuilding
KAI
KAL
Samsung Techwin
Dusan (ex Daewoo H. I.)
Rotem (ex Hyundai)
Kia
Next One Future (ex LGI)
Samsung-Thales
Naval
X
X
X
Aéro
X
X
X
X
Terre
Missiles Equipements
X
X
X
X
X
X
X
X
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« Defense Reform 2020 » : les principaux
programmes en cours ou prévus
Le plan d’acquisition des 3 armées jusqu’à
2020 prévoit un financement de 580 Milliards
de $ US ( !) en 15 ans pour mettre sur pied des
Forces équipés de matériels de hautes technologies. Les premières tranches de ce plan
ambitieux comprennent :
Pour la Force Aérienne : Commande de 60
chasseurs F-15K, leurs missiles ; 4 AWACS
(Boeing ou IAI) ; au moins 50 T-50 en version
entraînement et 44 A-50 en version de combat. Développement d’un chasseur indigène
T-50 avec Lockheed et d’un hélicoptère de
transport tactique KHP avec l’assistance
d’Eurocopter.
KHP
T-50
Pour la Marine : 3 sous marins HDW 214, 5
destroyers KDX-2 de 4 000 t, 3 destroyers
KDX 3 de 7 000 t, 3 porte-hélicoptères de 13
000 t, et à plus long terme 20 Frégates.
Porte hélicoptères « Dokdo »
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Pour l’Armée de Terre : La digitalisation de
l’Armée de Terre sera effective. Mise en
place du système de recueil de rensei¬gnement. Livraison de 400 chars K1A1, version
améliorée du char K1, et de 68 pièces d’artillerie K-9. Développement du char KX-2
Black Panther, de 3 nouveaux systèmes
antiaériens, à base de canon, et missiles à
courte et moyenne portée.
Armement terrestre
➢ En Turquie, sélection du canon automoteur Samsung K-9 qui sera construit sous
licence par la Turquie. Ce succès est à signaler car il a été obtenu face à KMW
(Allemagne), leader dans ce type de matériel. Le futur char turc Antay sera développé
avec les industriels coréens (Rotem) sur la
base du K2 Black Panther
Armement nucléaire, biologique et chimique
Au contraire de la Corée du Nord, la Corée
du Sud ne semble pas avoir d’activité dans
ces domaines, malgré quelques soupçons
d’enrichissement de matières fissiles.
Politiques d’importation et d’exportation
L’acquisition de matériel étranger est soumise aux contrôles de l’Agency for Defense
Development (ADD) et de la DAPA. Les exigences de transfert de technologies sont
systématiques et contraignantes. La Corée
est le quatrième pays importateur du
monde après l’Arabie Saoudite, Taiwan et
Israël. Les USA conservent la part du lion, et
n’entendent pas abandonner cette position
prééminente.
Néanmoins, la Corée veut diversifier ses
sources d’acquisition. Quelques exemples :
➢ La Russie, par la livraison de 80 chars T80 U, de véhicules blindés BMP3, de missiles SA-16 et AT-7, en payement des dettes
que l’URSS avait contractées avant 1991 ;
➢ Israël, grâce aux missiles naval Barak-1,
aux drones antiradar Harpy, et au radar
aéroporté Phalcon ;
➢ Grande Bretagne qui a livré 20 avions
d‘entraînement Hawk ;
➢ L’échec du Rafale a démontré la puissance
des réseaux d’influence de l’industrie nordaméricaine, et de l’appui sans faille dont celle ci
dispose de la part de la Maison Blanche. Cet
échec ne doit pas faire oublier que la France a
connu des succès dans des domaines de
niches, dont l’équipement du char coréen K1 par
le viseur chef SFIM, et la fourniture de plus de
mille missiles SATCP Mistral de MBDA. Thalès
participe pour sa part au programme de missile
anti-aérien KSAM, dérivé du Crotale. Plus
récemment, EADS/Eurocopter a été sélectionné
pour co-développer le futur hélicoptère de
transport de l’Armée Coréenne, et
EADS/Astrium pourrait participer aux efforts de
développement des satellites d’observation.
Aujourd’hui, sur les marchés d’exportation, les
limitations proviennent de la dépendance vis à
vis des accords de licences qui protègent les
fournisseurs de technologies. L’exportation du
char K1 est pratiquement interdite par les
clauses du contrat confié en 1983 à GDLS.
Malgré ceci, les industriels coréens ont remporté récemment des contrats importants.
K2 Black Panther
Aéronautique
➢ Il y a déjà eu la fourniture à l’Indonésie
des avions d’entraînement. Des informations, dont l’origine est la DAPA, confirment
que l’Indonésie sera associée au programme de chasseur KF-X III qui remplacera les
chasseurs F-16 actuellement en service
dans ces deux pays.
Armement Naval
➢ Divers navires ont été livrés au Bangladesh,
en Malaisie, et au Venezuela. La Russie
consulte la Corée du Sud en concurrence avec
la France pour la fourniture de Porte hélicoptères (« Dokto » vs « Mistral »)
Avenir de l’Industrie d’armement de la
Corée du Sud
Au terme d’un effort continu de 50 ans, la Corée
du Sud a
obtenu dans
Enquête
tous
les
domaines de développement technique des pro- 43
grès exceptionnels, alors que toutes les ressources minières et industrielles étaient localisées en Corée du Nord.
Aujourd’hui, le pays dispose d’une base industrielle de défense qu’il faut prendre au sérieux. Il
est prévu qu’en 2020 le pays sera autosuffisant
sur tous les points, de la conception à la mise en
service des armements. L’accès aux marchés de
Défense à l’exportation, pénétration aujourd’hui
limitée par des restrictions des USA, sera alors
possible sans limitation.
L’Industrie française doit réagir et anticiper par
des partenariats pour partager les marchés, les
chiffres d’affaires et les marges. Cependant, la
Corée et son industrie ne sont sans failles. La
structure financière des industriels est fragile, la
situation politique peu (re)devenir instable. Le
confucianisme qui imprègne les relations au
sein des entreprises induit un respect exagéré de la hiérarchie, gelant les initiatives.
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Perspectives
INCERTITUDES AMERICAINES
Francis Gutmann
1989. L’Amérique est à son apogée. Elle
a gagné la guerre froide, elle est l’unique
superpuissance, sa prospérité va
augmenter encore avec une croissance
continue, ce paraît être le triomphe
du rêve américain.
Mais très vite un monde changé se révèle à elle.
Un monde étrange et étranger, pluriel et fortement différencié. Partout l’intérêt national tend à
prévaloir, l’intégrisme religieux à se répandre. Ici
et là, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient
notamment, la notion wilsonienne de sécurité
collective n’a plus guère de signification.
La certitude de leur supériorité, en même temps
que de leur bon droit, empêche d’abord les
Américains de s’inquiéter vraiment. Vient le 11
septembre. Ils prennent conscience de leur vulnérabilité. S’ils parlent encore en termes de
morale, c’est leur sécurité qui devient leur principale préoccupation. Pour elle, il importe qu’aucun autre pays ne puisse les égaler, en tous
domaines : technologique, économique, etc.,
qu’ils restent les premiers. Dans leur obsession
sécuritaire, la pax americana tourne à l’idéologie
Perspectives
44 et la société internationale se divise désormais
pour eux entre affidés et infidèles.
Mais en réalité le monde peu à peu échappe aux
Etats-Unis. Jusqu’à Tel-Aviv, ils ne peuvent plus
imposer leur volonté. L’unilatéralisme de Bush
avait conduit à une impasse, l’altruisme
d’Obama a peut-être un moment rassuré l’étranger, il ne rassure pas les Américains. Tout leur
paraît devenir incertain et dangereux. A vouloir
continuer de prôner leurs valeurs, ils ne récoltent
le plus souvent que la tempête. Qu’ils s’y prennent mal ou non n’est pas la question. On les
envie encore, on ne les admire plus vraiment. Ils
éprouvent peu à peu le sentiment d’une profonde incompréhension et d’une grande injustice,
ils découvrent l’hostilité des autres. La Crise qui
se prolonge ajoute à leur désarroi.
L’Amérique se sent de plus en plus seule. Elle ne
peut plus vraiment compter sur une Europe affai-
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
blie, elle doit faire face à la
montée de l’Asie, de la Chine
en particulier, qui pourrait
concurrencer son leadership.
Mais que signifiera demain la
notion même de puissance et
qui pourra, serait-ce les EtatsUnis, prétendre à une hégémonie ?
L’Amérique a perdu ses
repères outre-mer. Elle se sent
menacée, non plus comme au
temps de la guerre froide,
mais dans son intégrité même. Alors la tentation
ici ou là se fait jour d’un repliement sur soi. Les
tea parties, d’autres signes existent, sans qu’on
puisse à ce stade y voir davantage qu’une tendance. Il ne saurait d’autre part s’agir d’isolationnisme au sens du début du XXe siècle, les
Etats-Unis sont par trop dépendants de l’étranger financièrement et pour leurs matières premières notamment. Mais, à vouloir sauvegarder
« l’Amérique éternelle », ils pourraient en venir,
passant à l’intérieur de l’idéalisme à l’ordre
moral, à l’extérieur renoncer à leur ambition
missionnaire et viser, par tous moyens, à
défendre leurs seuls intérêts, dans un monde
sans ordre où tendrait à prévaloir le « chacun
pour soi ». Le risque n’en est pas entièrement
théorique quand bien même il ne doit pas
aujourd’hui être exagéré.
PS. L’évolution récente de certaines affaires
stratégiques paraît requérir une attention toute
particulière.
1) Les Etats-Unis veulent un bouclier antimissiles. Ce faisant, ils sont parfaitement logiques
avec eux-mêmes. Du temps de la guerre froide,
il était pour eux d’un intérêt vital de défendre
l’Europe face à l’URSS et il pouvait donc l’être, le
cas échéant, de recourir à l’arme nucléaire.
Aujourd’hui, la situation n’est plus la même, ils
pourraient ne plus nécessairement juger avoir à
utiliser cette arme en Europe. Le bouclier antimissiles peut être pour eux une façon de protéger l’Europe sans avoir à faire appel à la dissuasion. Les partenaires européens de la France y
voient un moyen supplémentaire d’être défendus. Ils semblent aveugles au fait qu’avec le bouclier, les Etats-Unis auront moins de raison d’assurer à l’Europe une couverture nucléaire en
toutes circonstances sur laquelle ils avaient toujours compté.
2) La France et le Royaume-Uni viennent de passer un accord concernant certains outils nécessaires à chacun pour leur armement nucléaire.
L’accord, pour autant qu’on le sache, est intéressant pour l’une et l’autre parties, à condition toutefois de rester circonscrit. Les Britanniques ont
un long passé de relations et des accords avec les
Etats-Unis dans le domaine nucléaire. Il ne faudrait surtout pas que, de proche en proche, le
nouveau duo se transformât de ce fait, au détriment de notre indépendance, en un trio, dans
lequel au surplus Français et Britanniques
deviendraient en quelque sorte les supplétifs des
Américains pour la défense nucléaire de l’Europe.
Ambassadeur de France
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European defence vision
Notes et analyses de l’Association des Auditeurs Européens de l’IHEDN
Le Collège européen de sécurité et de défense (CESD)
Colin Cameron*
Le Collège européen de sécurité et de défense (CESD) est
aujourd’hui un acteur majeur de la politique de formation de
l’UE en matière de la politique de sécurité et de défense
commune (PSDC). Il a été créé en vertu d’une Action commune du Conseil de l’Union européenne en date du 18 juillet
2005 et révisé en 2008. Dès octobre 2004, lors d’un colloque sur le CESD, l’Association Europe IHEDN avait soutenu avec enthousiasme la création de ce Collège. En mars
2007, les nouvelles étapes du développement du CESD
avaient fait l’objet d’un nouveau colloque de notre association. Depuis lors, Europe IHEDN continue de suivre les progrès de cette belle initiative européenne.
Ce Collège européen a pour mission de promouvoir une compréhension commune de la PSDC parmi le personnel civil et
militaire, ainsi que de recenser et de diffuser, au moyen de
ses activités de formation, les meilleures pratiques en rapport avec diverses questions relevant de la PSDC.
Tous les ans, un cours de haut niveau dans le domaine de la
PSDC est organisé en plusieurs modules d’une semaine à
travers l’Europe. Un cours d’orientation, plus généraliste,
est aussi régulièrement organisé, pour une durée de
quelques jours, à Bruxelles ou dans diverses capitales européennes.
Tous les participants occupent des postes de responsabilité
dans le secteur civil (hauts fonctionnaires) ou militaire
(au moins du rang de colonel). Le CESD prévoit également des cours plus « ciblés », destinés à des
acteurs spécifiques de la PESC/PSDC. Il y a déjà eu,
par exemple, un cours intitulé « Press and Public
Information », un cours pilote sur la réforme des systèmes de sécurité, un cours sur les processus de planification des opérations militaires de l’Union européenne ou
des séminaires restreints regroupant des acteurs de haut
niveau (officiers généraux / hauts fonctionnaires).
Pour développer une culture de défense européenne, ces
formations s’adressent également aux ressortissants des
pays candidats à l’UE et de pays tiers comme les Etats-Unis
ou la Chine, et à certains représentants d’organisations
internationales (OTAN, Ligue arabe, etc.). La participation de
représentants du monde des affaires, d’organisations non
gouvernementales ainsi que d’universitaires et de journalistes est également prévue.
Les activités de formation du CESD sont généralement
menées par les instituts qui constituent le réseau du CESD
ou par d’autres acteurs de l’État membre qui accueille l’activité de formation concernée. En effet, une des vocations du
CESD est de construire un réseau qui réunit des instituts,
des collèges, des académies et des universités traitant des
questions de politique de sécurité et de défense, y compris
l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IES).
En outre, le CESD a mis en place un système de formation
avancée à distance par Internet (Internet Distance Learning)
et un réseau d’anciens ayant participé aux formations du
CESD se développe progressivement. L’Association Europe
IHEDN, que j’ai l’honneur de présider, est prête à contribuer
au développement du réseau CESD, dont les activités ont
succédé aux sessions européennes de l’IHEDN.
Pour aller plus loin, et prendre en compte la formation des
jeunes officiers, fondement d’une compréhension mutuelle,
le CESD collabore étroitement avec l’initiative européenne
pour les échanges de jeunes officiers « Erasmus militaire ».
Il est mentionné dans l’Action commune instituant le CESD
que le Collège assure le suivi de la mise en œuvre générale
du projet d’Erasmus militaire dans le cadre de son Conseil
académique exécutif.
Le comité directeur du Collège européen de sécurité et de
défense a pris, le 10 mars 2010, deux décisions facilitant
l’organisation du programme d’échange pour les jeunes officiers (Erasmus militaire). La première est un accord cadre
pour régler, à l’avance, les questions administratives que
posent de tels échanges. La deuxième établit le système de
transfert de crédits tel qu’il existe dans l’enseignement
supérieur (système ECTS, European Credit Transfer and
Accumulation System). Grâce à ce système de crédits, les
élèves qui se sont décidés à poursuivre une partie de leur
éducation dans un autre Etat membre bénéficieront désormais d’un système homogène d’évaluation de leur parcours
universitaire, ce qui leur permettra d’éviter de refaire la
même formation dans leur propre pays.
Depuis 2005, près de 2500 responsables civils et
militaires (des 27 Etats membres de l’UE, mais aussi
pour plus de 10% d’entre
eux, de pays candidats ou
Europe
tiers et d’organisations
internationales) ont bénéficié
45
des cours organisés par le CESD.
La principale faiblesse du CESD se situe au niveau de son
organisation. Bien que les activités du collège soient soutenues par un petit Secrétariat permanent au sein de l’UE, il
n’y a pas de structure permanente de formation : le CESD
donne des cours seulement pendant une dizaine de
semaines par an, dans des villes européennes différentes,
sur des thèmes qui varient. Il faudrait également réfléchir à
la meilleure façon d’actualiser régulièrement les connaissances des anciens auditeurs du CESD.
L’Action commune qui met en place le CESD sera réexaminée
et au besoin révisée au plus tard le 31 décembre 2011. Ce
sera une nouvelle occasion pour augmenter les moyens
financiers et administratifs nécessaires au développement
du CESD et peut-être construire une structure permanente
qui donnera encore plus de cohérence et de visibilité à ce
Collège.
* M. Colin Cameron (E 88) est Président de l’Association
Europe IHEDN.
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Focus
L’empire de la terre et l’eau en quête de ressources
Claude Chancel AR18
La Chine, depuis des temps immémoriaux, tente de nourrir convenablement ses hommes nombreux et
courageux en domptant ses fleuves et ses rivières. Il ne fait pas de doute que la question de l’eau et
des grains soit toujours au cœur de ses préoccupations premières.
Elle doit aussi, pour cela, produire des richesses
manufacturières, acheminer et échanger. Là réside sans doute son extraordinaire capacité à produire et à inventer, à négocier et à tisser des
réseaux. Consommateur et producteur, l’homme
chinois, qui connaît le prix des choses, est aussi
l’un des plus grands épargnants du monde, ce
qui permet aux trusts nationaux d’investir et
d’acheter. Machine à créer de la valeur grâce à
l’énergie, aux matières et au travail, l’empire
construit un réseau sino-centré à l’aide de tankers, de minéraliers, de porte-conteneurs, de
tuyaux, d’oléoducs et de gazoducs. N’est-il pas
significatif que sept des dix premiers ports du
monde en 2008 soient chinois, et que six des dix
premiers ports à conteneurs le soient ? Dirigé par
le renseignement et l’information du stratège,
l’argent autorise beaucoup de réalisations grâce
à la diaspora (la première du monde), à la nouvelle diplomatie du yuan et aux fonds souverains
qu’une jeune marine, marchande ou militaire,
commence à épauler.
L’empire de la terre et de l’eau.
Nourrir la Chine, investir les terres.
Enfants de la terre jaune, les Chinois sont,
comme les Français, fils d’une vieille civilisation
paysanne. « AvezFocus
vous bien mangé ? »
est la question qui
46 revient à souhaiter bonjour. De fait, la Chine est
la première puissance agricole du monde, avec
des productions végétales et animales aussi
massives que diversifiées. Le thé, né ici, est,
après l’eau, la boisson la plus consommée au
monde et le porc est un animal domestique d’origine chinoise. Les pêcheries, en eau douce et en
mer, sont, de loin, les plus puissantes du monde :
près de 40 % de toute la pêche mondiale (pour
20 % de la population planétaire).
Mais aujourd’hui, l’élévation du niveau de vie,
l’urbanisation et l’industrialisation (zones résidentielles et parc industriels), qui dévorent
zones forestières et rizières, ainsi que l’emprise
toujours plus impressionnante des infrastructures autoroutières, ferroviaires, aéroportuaires
et portuaires, dévorent les terres arables d’un
grand pays qui n’en n’a jamais été trop riche (la
Chine ne dispose que de 7 % des terres arables
du monde pour 20 % de la population planétai-
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
re) et qui devient, comme son voisin nippon,
dépendant sur le plan alimentaire.
Si bien que l’on assiste récemment à la « location » de terres étrangères pour assurer la sécurité (alimentaire) de pays qui manquent d’eau,
de potentiel agricole, ou aux prises avec les nouveaux besoins de leurs populations : Inde,
Japon, Corée du Sud, Arabie saoudite, Emirats
Arabes Unis, Egypte… phénomène aux conséquences ultimes imprévisibles. Certains n’hésitent pas à parler de « razzia sur les terres agricoles », au détriment de beaucoup de pays
d’Afrique, de Madagascar (déstabilisé) et d’Asie.
La Sibérie, vaste et vide d’hommes, ne commence-t-elle pas à vivre la dynamique du monde
plein chinois ?
Maîtriser le stress hydrique.
Si l’on veut un avenir du monde plus rose, il faut
gérer autrement « l’or bleu ». Comme dans
beaucoup de pays du monde, la question de
l’eau est au cœur du développement chinois.
Sur ses périphéries septentrionales et orientales, la Chine devient une «water stress zone».
Après les canaux, le nouveau temps des aqueducs ? Trop d’eau ou pas assez, tel est le chagrin
de la Chine. La Chine du sud n’en manque pas,
comme le révèle la carte des précipitations, en
revanche, le nord connaît un véritable stress
hydrique, comme l’ont encore révélé, lors des JO
de 2008 sur Pékin, les restrictions à la consommation. D’où le projet Nan shui bei diao, qui
consiste à ramener l’eau du sud (celle du bassin
du Yangzi) vers le nord. D’où, aussi, l’enjeu tibétain, qui concerne le « Château d’eau de l’Asie »,
ou, encore, les froissements diplomatiques qui
courent le long du bassin du Mékong, les pays
indochinois, situés à l’aval, redoutant le prélèvement chinois à l’amont.
indispensables dans de nouveaux secteurs stratégiques : nouveaux moteurs, disques durs,
caméras, nouvelles ampoules… La Chine détiendrait, dans ce domaine, une écrasante proportion, certains avancent des chiffres montant à
95 % des disponibilités mondiales, l’essentiel
étant localisé en Mongolie intérieure. Cependant,
les réserves d’avenir ne concernent la Chine que
pour un tiers, la Russie pour un quart. De quoi
rendre les occidentaux inquiets… D’autant plus
que Pékin entend bien se réserver ces précieux
éléments, sauf à en échanger un peu contre de
nouvelles technologies. En 1992, Deng Xiaoping
avait remarqué que le Moyen-Orient avait le
pétrole, et la Chine, les terres rares…
L’atelier du monde et les matières
premières.
Le haut-fourneau du monde draine le minerai de
fer de la planète.
La Chine est devenue le haut-fourneau du
monde, produisant 500 des 1330 millions de
tonnes d’acier du monde (37 %). Cela peut s’expliquer, comme naguère au Japon, par un gigantesque processus de rattrapage, mais mieux
vaut, aujourd’hui, évoquer la demande domestique (BTP : la majorité des grues en activité dans
le monde travaille ici : infrastructures, automobile - avec une Chine devenue, en 2009, le premier
constructeur du monde - électro-ménager, nouveau complexe militaro-indutriel...) et la percée
sur les marchés mondiaux. De grands trusts
d’Etat chinois : Minmetals, Chinalco, Hunan Valin,
épaulés par des fonds souverains, comme la CIC
(China Investment Corporation) prospectent le
monde entier.
Les autres métaux et matières sont aussi stratégiques.
Atelier du monde (mais la Chine n’est pas que
cela !), l’Empire recherche, sur la planète, de
l’aluminium, du cuivre, de l’étain, du caoutchouc,
du bois et même, les déchets, dont une majeure
partie peut être récupérée ou recyclable. C’est
ainsi, entre autres, que des villes comme Guiyu,
de la province de Canton, désosse et trie les vieux
La Chine, « OPEP des terres rares ».
La République Populaire dispose d’un atout
exceptionnel qui concerne les métaux ou les
terres rares, enjeu encore peu connu du grand
public. Il s’agit de néodyme, cerium, dysprosium, europium, samarium, terbium. Au total,
une vingtaine de ressources
Claude Chancel, vice-président de l’AR 18, est professeur de Chaire supédont les propriétés métallurrieure, agrégé d’histoire et auteur d’ouvrages concernant l’Asie du nordgiques, chimiques, élecest, publiés aux Presses Universitaires de France. Il est intervenant en
triques, optiques ou magnégéopolitique à Grenoble Ecole de management.
tiques sont précieuses, voire
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frigos, les ordinateurs et les téléphones du
monde entier. Ils contiennent plastiques, béryllium, chrome, plomb, cadmium, mercure, que les
enfants des mingong (et eux seuls, les autres
étant aujourd’hui plutôt du genre choyés !) manipulent dangereusement, pour des gains dérisoires et sans équipements protecteurs. Ces
bidonvilles sont les e-dépotoirs de la planète.
Les entreprises chinoises n’hésitent pas à venir
enlever des déchets plastiques en Aquitaine. La
grande puissance asiatique est, par ailleurs, la
plus grande importatrice de papiers du monde.
La culture de la transformation, associée à celle
du travail intense, constitue un avantage comparatif supplémentaire….
Le potentiel chinois : compagnies et continents.
Dans ces conditions, vu de Pékin comme
d’ailleurs, se présente une nouvelle géographie
sélective, qui accorde de l’importance à deux
grandes régions périphériques : le Xinjiang et le
Tibet. Le Xinjiang - « nouvelle frontière » en mandarin - peuplé de Ouïgours, musulmans sunnites
turcophones, détiendrait 25 % des réserves de
pétrole, 34 % de celles de gaz, mais encore
40 % de celles de charbon du pays. Il faut ajouter 25 % des réserves de fer, de l’or, du cuivre, du
nickel et du béryllium. Cette région, grande
comme trois fois la France, est la première de
Chine pour la production de coton. Le Tibet,
« Xizang », terre cachée de l’ouest, n’est pas que
le château d’eau dont dépend 47 % de la population mondiale, l’espace tibétain (cinq fois la
France) est « la maison des trésors de l’ouest »
comprenant de très importantes quantités d’hydrocarbures, de charbon, d’uranium, de fer et de
11:09
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zinc, de matériaux de construction, et même
d’herbes…
On ne peut donc s’étonner qu’au-delà des terres
chinoises et des mers, on puisse considérer une
zone Sibérie-Asie-Australie. La Sibérie, vide
d’hommes, dispose d’un catalogue minéral
digne de la table de Mendeleïev. Les pays limitrophes de l’Asie du sud-est sont sollicités, en
particulier l’allié et protégé birman ainsi que le
Vietnam, où, en 2009, le général Vo Nguyen
Giap, le héros de la guerre d’indépendance, est
entré en guerre contre l’exploitation, par le
géant chinois Chinalco, d’une mine de bauxite à
ciel ouvert sur les hauts plateaux du pays. La
proche Australie, la grande mine du monde
(charbon, fer, plus la laine etc…), est toujours
plus investie, au risque de tensions nouvelles,
qui ont éclaté en 2009. Elles ont concerné
Chinalco contrôlé par l’Etat chinois, à qui le
géant Rio Tinto a préféré son grand rival anglosaxon BHP Billiton. D’où des intimidations et de
grandes manœuvres dans le contexte mouvant
de l’offre et de la demande sur le marché mondial du fer.
Une nouveauté géo-économique s’esquisse
aussi dans les collaborations sino-sudaméricaines, avec le Mexique et les Caraïbes,
Cuba et le Venezuela, les pays andins (Pérou,
Bolivie, Chili) et les grands pays du cône sud
(Brésil et Argentine pour le minerai de fer, le
maïs et le soja). L’Amérique latine peut-elle
enfin, avec Pékin comme partenaire, surmonter
la malédiction des matières premières ? Par
ailleurs, il faut mesurer l’impressionnante percée chinoise en Afrique. Une Afrique noire
approchée par les jonques de l’amiral Zheng He
dès le XIVème siècle, de nouveau partenaire et
solidaire de la Chine à Bandung, en 1955, face à
l’Occident. Dès 2000, la nouvelle Chine met en
place un « forum de coopération entre la Chine
et l’Afrique » qui concerne 44 pays. En 2005, elle
accueille 48 Etats africains pour un sommet historique à Pékin. Chinafrique ? Beaucoup dénoncent déjà une Chine qui engage la bataille des
ressources rares (énergie, minerais, bois, poissons, boissons et nourriture). Elle est, en tout
cas, présente aux quatre points cardinaux du
continent, particulièrement là où il y a des
hydrocarbures, des minerais et, parfois, des
pays en délicatesse avec les Etats-Unis, donc en
Afrique du nord (Algérie), en Afrique orientale
(au Soudan, premier pays d’Afrique à avoir
reconnu la RPC), en Afrique de l’ouest (Nigéria,
Angola), en Afrique du sud, pays le plus prometteur du continent…
Des ressources aussi gigantesques exigent des
capitaux et des moyens techniques considérables. C’est là que le capitalisme d’Etat chinois
fait preuve d’une efficacité et d’un pragmatisme
remarquables. Dans le domaine pétrolier, Pékin
est le patron de trois « big three » : PetroChina
(issu, en 1999, de la CNPC), la CNOOC (China
National Offshore Oil Corp) et Sinopec. En fait,
les capitaux sont nationaux et mobilisent tous
les atouts de l’appareil d’Etat chinois, et, en premier lieu, sa force diplomatique (ce qui est pratique courante depuis l’ère Mao, au nom de
l’idéal missionnaire de la révolution prolétarienne). Pékin semble s’ingénier à multiplier, diversifier et renforcer ses trusts d’Etat qui projettent sa puissance sur tous les continents.
HOMMAGE A CLAUDE VICAIRE
l’échange et du besoin de comprendre.
L’esprit de sérieux lui étant étranger, il cultivait aussi
d’autres joies de la vie et de l’amitié. Comme certain le
sont de nos vins, Claude était, on peut le dire, l’un des
spécialistes mondiaux du chocolat…
Claude, c’était – comme on dit – quelqu’un d’exceptionnel : l’un de nos grands gendarmes, l’un des meilleurs
d’entre nous, un être de lumière, ramenant toujours à
l’excellence de l’officier telle que décrite par Lyautey :
« Envisager au contraire le rôle de l'officier sous cet
aspect nouveau d'agent social appelé par la confiance
de la patrie moins encore à préparer pour la lutte les
bras de tous ses enfants qu'à discipliner leurs esprits, à
former leurs âmes, à tremper leurs cœurs, n'est-ce pas, loin de
l'amoindrir, l'élever dans les plus vastes proportions, le faire presque
plus grand dans la paix que dans la guerre, et proposer à son activité
l'objet le plus digne de l'enflammer ? »2.
Les pensées des amis de la 56ème de l’IH accompagnent aussi
Isabelle et ses deux filles.
Richard Labévière
PHOTO/Sirpa
C’est toujours un bonheur de revoir ses camarades de session. Mais ce mercredi 27 octobre, ceux de la 56ème se
retrouvent en la chapelle de l’hôpital militaire du Val-deGrâce, comme des fantômes pétrifiés, anéantis, silencieux.
Cinq jours auparavant, le général de corps d’armée (quatre
étoiles) de la gendarmerie Claude Vicaire a trouvé la mort,
en milieu de journée, dans un accident de moto sous le pont
de l’Alma à Paris.
Saint-Cyrien, Claude avait notamment commandé le
Groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM) de
Satory, la légion de Bretagne (2001 – 2003) et la gendarmerie d'Outre-mer (2007 – 2010). En mars 2010, après son
adieu aux armes, il venait d’entamer une nouvelle carrière
d’Inspecteur général de l'administration pour le ministère de l'Intérieur.
En 1999, il avait été blessé au visage par un pavé lors d’une manifestation
à Kosovska Mitrovica, aux alentours du pont1 alors qu’il commandait le
détachement de gendarmes mobiles de la brigade Leclerc. Son engagement au service du maintien de la paix des Nations unies nous a toujours
beaucoup impressionné par sa détermination, sa discrétion et sa très grande humanité : le sens de la mission allié à l’intelligence des situations,
même les plus extrêmes. Revenu sur les lieux avec ses camarades de la
56ème de l’IH, il s’éclipse pour visiter quelques familles avec lesquelles il a
gardé le contact. Toujours cette constance des rapports humains, de
1/ Voir le film Les Bleus au Kosovo.
2/ Maréchal Lyautey : Le rôle social de l’officier.
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Focus
L’énergie, dilemme géopolitique
et écologique sino-mondial
Claude Chancel
La montée en puissance économique et financière de la Chine et ses nouveaux
besoins modifient de façon radicale la donne énergétique mondiale : avec elle, on
change d’échelle, car le pays aura besoin, d’ici 2030, d’une augmentation
de production d’énergie équivalant au potentiel actuel des Etats-Unis !
Focus
Photo DR
48
Le barrage hydrauélectrique des trois gorges, sur le Yang-Tsé : colossal! Mais l’eau manque dans le nord du pays
Ne dit-on pas que, si chaque Chinois avait
une automobile, il faudrait consacrer à la
seule Chine toute la production mondiale
de pétrole ? Avec ses nouveaux aéroports,
autoroutes et mégalopoles, elle est récemment devenue, depuis 2007, le pays le plus
pollueur du monde avant même les EtatsUnis (mais non par tête). Le pays joue sur
toute la gamme : énergies fossiles, production d’électricité, énergies renouvelables. Il produit 40 % du charbon mondial,
et ce même charbon, c’est 70 % de son
énergie primaire. Le charbon russe peut
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
donc devenir un enjeu. A quand un réseau
chinois de « carboducs » pour acheminer
en réalité du charbon liquéfié ? Bien que
cinquième producteur de pétrole du
monde (après l’Arabie Saoudite, la Russie,
les Etats-Unis et l’Iran), la Chine a désormais un taux de dépendance en termes d’importations pétrolières de l’ordre de 50 %. Le
pays est aussi devenu importateur de gaz
naturel. Malgré les grands barrages
hydrauliques, la Chine a un immense
besoin d’électricité d’origine nucléaire,
qui ne couvre actuellement que 2 % de la
production totale d’énergie, d’où la course
à l’uranium, du « toit du monde » - le Tibet
- à l’île-continent - l’Australie - et au cœur
de l’Afrique (rivalité avec la France au
Niger).
Pour réduire sa dépendance aux énergies
fossiles (charbon et hydrocarbures), la
Chine fait le pari des énergies renouvelables, qui représentent déjà 8 % de son
bilan énergétique. Le pays est la quatrième
puissance éolienne du monde (après les
Etats-Unis, l’Allemagne et l’Espagne) et
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Photo DR
l’un des trois grands de
l’énergie solaire. La Chine
explore toutes les voies
possibles, d’autant plus
que deux défis supplémentaires se présentent à
elle : les contraintes géographiques qui font que
ses ressources domestiques sont surtout au
nord et à l’ouest de son
territoire, tandis que ses
zones de consommation
sont surtout à l’est et au
sud-ouest, d’une part, et
que, d’autre part, la Chine
ne dispose que de 7 jours
de stockage énergétique, ce
qui la rend vulnérable, surtout face à la marine américaine qui contrôle les
routes et les détroits stratégiques. G2 ? Chinamérique ?
Le port de Shanghai : sur les dix premiers ports du monde, sept sont chinois
Une approche globale : collusions
et collisions.
Potentiels, besoins, réseaux et projections
dessinent une dynamique ambiguë dans un
nouveau monde sino-centré. D’abord,
Pékin transforme ses zones-tampons en
zones-ponts, comme l’atteste la construction d’un pipe-line de 4000 km du Xinjiang
à Shanghai, ainsi que celle du plus haut
chemin de fer du monde, de Golmud à
Lhassa. Le groupe de Shanghai, constitué
dès 1996 à l’initiative de Pékin, réunit
d’évidentes complémentarités entre la
Russie, la Chine et les ex-républiques
soviétiques d’Asie centrale, en particulier
le groupe TOK (Turkménistan, Ouzbékistan,
Kazakhstan), sur le chemin de la mer
Caspienne et de l’Azerbaïdjan. En
revanche, la question ouïgoure refroidit le
dialogue avec Ankara.
Du côté maritime, il y rivalité entre Tokyo et
Pékin pour les conduites venant de RussieSibérie et de l’île de Sakhaline. La Corée du
nord (elle-même riche en énergie et en
minéraux) reste une pièce maîtresse de la
diplomatie chinoise. Il se pose la question
de la frontière à propos des îles Senkaku
(en japonais) ou Diaoyu (en chinois). En
2004, la Chine a commencé l’exploitation
de la zone gazière Shirabaka-Chunxiao,
avec, récemment, une participation capitalistique japonaise. Tokyo veut une délimitation des eaux territoriales sur la ligne
médiane, Pékin revendique l’ensemble du
plateau continental. Dans le premier cas, le
gisement est japonais, dans le second, chinois ! Autour de Taiwan et, surtout, des îles
Paracels et Spratleys, la Chine affronte les
Philippines, le Viêtnam, l’Indonésie, la
Malaisie même…. Au-delà, il y a le jeu bir-
man (pétrole arakanais acheminé vers la
Chine) et celui de la mer d’Andaman.
L’Iran, le Pakistan et même l’Inde, ne sontils pas admis comme observateurs du
groupe de Shanghai ? Ce qui n’empêche
pas Pékin d’investir en Irak (troisièmes
réserves mondiales), où la Chine, via la
CNPC
(China
National
Petroleum
Corporation), est devenue, en 2009, le
premier opérateur étranger. Elle diversifie
ainsi ses fournisseurs en utilisant sa puissance financière .
Tubes et tankers : collier chinois versus
bases et flottes américaines.
Cet état des lieux éclaire la remarquable
stratégie chinoise qui consiste d’abord à
pacifier et à stabiliser toutes les frontières
de l’empire, en élaborant des traités avec
presque tous ses voisins (à l’exception
notable de l’Inde…), en jouant ensuite sur
toutes les lignes : celles qui, via les alliés
(Birmanie, Pakistan, Russie) gênent les
Etats-Unis et autorisent la construction de
tubes permettant d’échapper à la surveillance de l’aéronavale américaine. En
jouant d’une certaine solidarité du «
heartland » eurasiatique pourtant ceinturé
par le rimland dominé par les Etats-Unis
(Japon, Taiwan, Singapour).
Ce qui n’empêche pas, enfin, la construction d’une nouvelle marine, dont une des
grandes bases se situe dans l’île de
Hainan, à Sanya, pour tenter de desserrer
le « containment » opéré par les VIIème
(Pacifique occidental) et Vème (océan
Indien) flottes des Etats-Unis et l’esquisse
d’une force de projection, avec des bases
économiques-relais en Birmanie (Sittwe),
au Bangladesh (Chittagong), au Sri Lanka
(Hambantota), au Pakistan (Gwadar), sans
compter, pour la première fois, la participation de la marine de guerre chinoise à la
lutte contre la piraterie maritime dans
l’océan Indien, entre Aden et les
Seychelles, non loin des nouveaux amis
africains.
Cela ne signifie pas que Pékin ne subisse
jamais de revers (premières réactions antichinoises en Zambie, le pays du cuivre). Ses
adversaires évoquent un nouveau colonialisme. Au Nigéria, le pouvoir local hésite à
traiter avec la seule Chine et ses grands
trusts pétroliers (rivalités entre la CNOOC,
Shell, Total, ChevronTexaco et
ExonMobil),
tandis
que
Focus
Washington regarde de nouveau vers l’Afrique. Les antagonismes peu- 49
vent dégénérer dans un monde fini. Tous les
pays défendent, plus ou moins habilement,
leurs intérêts qu’ils considèrent comme
légitimes. La seule solution, pour éviter le
pire, ne passe-elle pas par de nouvelles
coopérations sino-étrangères capables
d’œuvrer plus efficacement à une nouvelle
régulation de l’économie mondiale ? Dans
cette perspective, la question énergétique
et écologique offre certainement des
opportunités intéressantes, en mutualisant
les risques et les retours sur investissements, tant pour la France que pour la
Chine,
par
exemple.
Chinafrique,
Chinamérique, à quand (selon l’expression
de Jean-Pierre Raffarin), Eurochina, qui
serait sans doute, sur une base de réciprocité, une relation plus équilibrée et davantage apaisée ?
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Grand Reportage
EN ROUTE POUR LA KAPISA
C.Vermeille 27E DIM
Jean-Pierre Ferey AA42
Repor tage
50
Après la tragique embuscade dans la vallée d’Uzbeen, en Afghanistan, en août
2008, des voix se sont élevées pour accuser l’armée : elle envoyait ses enfants au
casse-pipe, sans préparation. Ces critiques ont ulcéré les états-majors, qui les
jugeaient injustifiées. Mais depuis, la préparation opérationnelle des unités avant
leur engagement s’est systématisée et s’est durcie.
On appelle cela la MCP, la mise en condition avant projection.
La colonne progresse lentement, à la vitesse
du pas d’un homme. Plus précisément à l’allure des deux sapeurs qui ouvrent la voie, de
part et d’autre du chemin, une cinquantaine
de mètres devant le premier VAB (véhicule
de l’avant blindé). D’un mouvement régulier
en va et vient, ils balancent leur détecteur
de mine de gauche à droite, balayant les bas
côtés, à l’affût du moindre écho métallique.
Leur tâche est de s’assurer qu’aucun IED
n’est caché en bordure de route. L’IED, en
français EEI, engin explosif improvisé, est
une menace permanente.
Le soleil, qui a maintenant pris de la hauteur, dépasse la ligne des crêtes et inonde
la vallée d’une lumière chaude. En revanche,
le vent qui siffle entre les pierres est froid.
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Nous sommes à deux mille mètres d’altitude. Les véhicules blindés, dont les moteurs
ahanent en faible régime, s’échelonnent
dans la montée.
Soudain, l’un des sapeurs lève le bras et
stoppe la colonne. Son regard vient d’accrocher une anomalie dans le terrain,
imperceptible pour n’importe qui, mais que
des heures d’entrainement lui ont appris à
repérer. A une légère différence de couleur,
à un désordre dans les maigres touffes
d’herbes, à un relief inattendu, il sait qu’à
trois mètres devant lui la terre a été récemment retournée.
Il s’approche, le grésillement du détecteur
s’amplifie et grimpe au maximum. Aucun
doute, il y a une masse métallique là-des-
sous. Du bout des doigts, le sapeur commence à gratter le sol. Très vite, à cinq centimètres de profondeur, l’objet apparait :
c’est un obus de mortier. La route est piégée !
Il n’y a pas de bons démineurs
Dans cette situation, la consigne est claire :
se poster pour parer aux tirs d’éventuels
insurgés embusqués, et surtout ne rien tenter, laisser faire les spécialistes EOD (élimination des objets détonants). Alertés par
radio, ils sont déjà en route.
Lorsqu’ils arrivent et que le premier démineur se dirige vers l’engin, la tension monte
brutalement. Car l’explosion de ce type
d’EEI est le plus souvent déclenchée par
télécommande. Ce qui signifie que, pour
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nationale afghane, systématiquement associée aux opérations des français.
Le major R., quant à lui, ne compte plus ses
missions en Afghanistan. Vieux légionnaire
du 2° régiment étranger de génie, ayant
acquis les plus hautes qualifications Nedex
(neutralisation, enlèvement, destructions
d’explosifs), il fait partie des dix plus
grands spécialistes français en explosifs.
« Mais il n’y a pas de bons démineurs », se
plait-il à répéter, « il n’y a que de vieux
démineurs ». Il explique qu’il a injecté dans
l’exercice un panel complet des incidents
était en fait la fin d’un long processus de
préparation, spécifique pour l’Afghanistan.
Il avait pour but de certifier aptes à la mission les 815 hommes qui forment le GTIA
Kapisa (groupement tactique interarmées).
Concrètement, les compagnies ont dû prouver leur capacité à combattre, face à un
ennemi correspondant à celui qu’elles rencontreront en Afghanistan. Ce qui veut dire
sécuriser des zones montagneuses, reconnaitre des cols et des axes, déjouer d’éventuels engins explosifs improvisés, réagir
face à une embuscade, soigner et évacuer
C.Vermeille 27E DIM
guetter le moment propice, le poseur de
bombe voit ce qui se passe, bien caché au
loin. Et, par dépit, s’apercevant que son
attentat est déjoué, il est arrivé qu’il appuie
sur le bouton pour envoyer le démineur dans
l’enfer des infidèles. Devant un tel risque, la
parade est fournie par le brouilleur, installé
sur le véhicule de tête, qui parasite la longueur d’onde de la télécommande et la rend
inopérante.
Rapidement, par des gestes sûrs et précis,
le démineur a dégagé l’obus piégé. Surprise !
Du dispositif de mise à feu s’échappe un fil
électrique qui court, enterré,
vers l’aval. Avec précaution, l’artificier met au jour le fil sur sa
longueur, plusieurs mètres. Il
mène vers un tas de pierres dont
l’amoncellement semblait naturel. Et là, sous les pierres, un
deuxième obus ! Et un deuxième
fil, qui part encore plus loin ! Il n’y
avait pas un EEI, mais plusieurs,
reliés entre eux, en cascade.
Un peu en retrait, le major R.
contemple la scène d’un air
satisfait. « Les gars se sont très
bien comportés, ils ont agi exactement comme il le fallait », ditil. Il sait de quoi il parle, c’est lui qui
a posé la mine. Il porte le brassard
blanc des « animateurs ». Car il ne
s’agit ici que d’exercices, des
grandes manœuvres de synthèse menées pendant douze jours,
au début d’octobre, par le 7°
bataillon de chasseurs alpins
avant
sa
projection
en
Afghanistan (il vient tout juste de s’installer
à Nijrab et à Tagab, dans la vallée de la
Kapisa).
Baptisé Jalalabad, l’exercice s’est déroulé en
Savoie, au dessus de Bourg-Saint-Maurice,
entre le Cormet de Roselend et le vallon des
Arcs. « Les vallées sont plus ouvertes, mais
dès qu’on arrive dans les hauteurs, le terrain
est très semblable à ce qu’on trouve en
Kapisa », commente l’adjoint opérations du
bataillon. « De la montagne dénudée, des
pentes fortes, des cailloux, de la poussière.
Le réalisme, c’est une caractéristique de cet
exercice. Nous voulons être dans les mêmes
conditions que là-bas ».
C’est ce souci de réalisme qui amène les
anciens de la 27° brigade d’infanterie de
montagne, ceux qui ont déjà connu
l’Afghanistan, à jouer les plastrons. Certains
chasseurs des 27° et 13° BCA, présents en
Kapisa pendant les hivers 2008 et 2009, qui
connaissent donc les us et coutumes des
afghans, ont revêtu costumes civils et coiffé
le pacol pour figurer villageois ou talibans.
D’autres, en vieux treillis et casques anciens
modèle, tiennent le rôle de l’ANA, l’armée
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Le rôle du Malek, chef de village, est tenu par un “ancien” du mandat précédent
EEI réellement rencontrés sur place.
« Les techniques de piégeages évoluent en
permanence. Les insurgés observent nos
méthodes de déminage. Ils s’adaptent, et
nous nous adaptons en retour. C’est à celui
qui aura une longueur d’avance. La tactique
des talibans a changé. Désormais, le but
d’un EEI est de causer le plus de morts possibles. D’où des EEI de plus en plus complexes, en doublette ou en triplette ».
La présence de « vétérans » de
l’Afghanistan est bien sûr l’occasion pour
les nouveaux de profiter de l’expérience des
anciens. « Nous leur expliquons ce à quoi
nous avons été confrontés, nous leur racontons comment nous avons réagi », précise
le capitaine V., fraichement rentré du
théâtre d’opérations. « C’est pour qu’ils saisissent bien comment les choses se passent. Pas forcement pour qu’ils fassent
pareil que nous. Ils doivent chercher à évoluer. Là-bas, l’habitude tue ».
De camp en camp
De grande ampleur, avec appuis aériens,
drones et hélicoptères, l’exercice Jalalabad
des blessés sous le feu, assurer la liaison
radio en tout temps, escorter des convois,
réaliser des checkpoints, recevoir des
Repor tage
autorités ou des équipes
de presse. Sans oublier
51
les missions civilo-militaires d’aide à la
population.
La préparation a duré plus de six mois, complète et progressive, ponctuée de séjours de
trois semaines en camps d’entrainement
(Larzac, Mourmelon, Canjuers, Mailly). Au
niveau individuel, chacun, du militaire du
rang au colonel, a d’abord révisé ses « fondamentaux » : le tir, l’endurance physique.
Puis il a assisté à des conférences sur
l’Afghanistan, son histoire, sa géographie,
sa population, ses coutumes. Tous ont dû
s’initier ou se perfectionner à la pratique de
l’anglais, suivre un stage de secourisme de
combat, et participer à des séances de mise
en condition psychologique avec des psychologues ou des OEH (officiers d’environnement humain), afin d’apprendre à reconnaitre et à gérer son stress.
Au niveau collectif, l’entrainement a suivi lui
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aussi une progression savamment dosée :
travail sur les groupes, les sections, les compagnies. « Plusieurs temps forts dans cette
préparation », confie le colonel Gardy, chef
de corps du 7° BCA et commandant du GTIA
Kapisa (nom de code Allobroges). « D’abord,
au début mai, la campagne de tirs à
Mourmelon. Pour la première fois, nous y
avons travaillé avec les autres armes, la
cavalerie, le génie, l’artillerie, l’infanterie
sur VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie), qui viennent nous appuyer au sein du
groupement ».
« Puis, dans la foulée, le passage au Centac
(centre d’entrainement au combat) à Maillyle-camp. Il s’agissait d’évaluer les SGTIA
(sous-groupement tactique interarmes,
environ 180 personnes, composé de trois
sections d’infanterie, d’un peloton de cavalerie, avec en appui des éléments du génie,
de l’artillerie et du service de santé). Après
les formations individuelles, c’est un plaisir
de voir que, collectivement, tout se met en
place sur le terrain, de manière efficace et
rapide ».
« Et puis bien sûr cet exercice Jalalabad, qui
met en œuvre le GTIA dans son ensemble.
Les gars sont fins prêts. Un mois avant le
départ, ils parlent déjà comme là-bas, dans
un style franglais très opérationnel. Ils
savent qu’ils partent au combat, qu’ils ne
vont pas en Afghanistan pour du maintien de
la paix ».
Boutés dehors
La priorité du GTIA Kapisa sera d’aider à
asseoir l’autorité du gouverneur de Tagab.
La ville de Tagab
est en effet deveRepor tage
nue un KDC, Kaïdi
52 District Center, en quelque sorte une souspréfecture, doté d’un gouverneur. En clair, le
régime central de Kaboul s’y implante et
tente d’y faire respecter sa gouvernance.
Il ne faut pas oublier que la mission de
l’ISAF (international Security and Assistance
Force), validée par l’ONU, est d’aider
l’Afghanistan à devenir un Etat de droit,
doté d’un régime démocratique reconnu par
tous les Afghans. Le GTIA Kapisa est une
unité de l’ISAF, et ses membres ont entendu,
répété à l’envie, que leur rôle était avant
tout de gagner le cœur de la population.
Un objectif inatteignable pour certains. Mais
il y a un signe encourageant, révélé par le
général Chavancy, qui a commandé pendant
six mois la Task Force Lafayette. La TF
Lafayette est le niveau supérieur au GTIA
Kapisa, c’est en fait une brigade, et le GTIA
est l’un de ses bataillons. Le général
Chavancy a donc signalé les évènements
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Photo CEPC
Reportage
Le général Imam Nazar, commandant la 3e brigade mécanisée du 201e corps
afghan, est venu jusqu’à Mailly pour la préparation du PC Lafayette. L’occasion
d’offrir un pacol au général Hogard
survenus dans la vallée d’Afghania. Là, les
habitants ont bouté dehors les insurgés.
L’ISAF voulait construire une route, pour
désenclaver la vallée. Les talibans s’y
opposaient. Les villageois, qui voulaient la
route pour vendre plus facilement leurs
produits maraichers, leur ont demandé
d’aller faire leur guerre ailleurs.
La TF Lafayette, parlons-en justement. Car
les troupes ne sont pas seules à subir une
longue et minutieuse préparation avant
leur engagement. Le commandement aussi.
Mais pour bien comprendre l’enjeu, il est
peut-être bon de rappeler l’organisation de
l’ISAF. Elle a divisé l’Afghanistan en cinq
régions militaires, nord, est, sud, ouest et
centre. Le RC-Est (Régional CommandEast), celui qui nous concerne, est dirigé
par les américains. Son quartier général est
actuellement armé par la 101° division
aéroportée, qui dispose de cinq brigades,
ou cinq TF (Task-Forces) : trois TF américaines, une TF polonaise, et une TF française, baptisée La Fayette. Cette dernière
engerbe quatre bataillons ou GTIA, le GTIA
Kapisa, dans la vallée du même nom, le
GTIA Surobi, au sud de la Kapisa, le BATALAT, bataillon de l’aviation légère de l’armée de terre (11 hélicoptères), et le BATLOG, bataillon logistique.
Des afghans à Mailly
Le PC (poste de commandement) de la TF
Lafayette doit donc travailler, vers le haut,
avec le PC de la 101° aéroportée, et vers le
bas avec les PC des unités subordonnées.
Cela ne s’improvise pas, s’effectue en
anglais, la langue commune de la coalition,
se traite selon des procédures américaines
et réclame de sérieuses aptitudes. Car il
s’agit de conduire un combat de contrerébellion dans un environnement interarmées, où l’interopérabilité avec les alliés
(forces de l’ISAF et forces de sécurité
afghanes), au plus bas niveau tactique, est
un élément essentiel.
Autrement dit, cela exige une parfaite
connaissance de la tâche à accomplir, une
forte cohésion du groupe, et des automatismes bien acquis. C’est le CEPC, centre
d’entrainement des postes de commandement, installé à Mailly, qui a assuré la préparation du PC La Fayette.
La relève a eu lieu à la fin octobre. Au général Chavancy a succédé le général Hogard.
Son état-major, considérablement renforcé,
est fort de 160 personnes, dont la plupart
proviennent de la 9° brigade d’infanterie de
marine. Leur entrainement a commencé en
avril, pour s’achever le 17 septembre, après
un dernier exercice de onze jours et nuits.
Tout s’est déroulé sur ordinateurs. Les scénarios, bâtis sur des comptes-rendus réels,
reprenaient toutes sortes d’incidents qui se
sont effectivement déroulés sur le théâtre
d’opérations. « Nous leur avons tout fait »,
avoue le colonel Baulain, qui commande le
CEPC. « Tout, sauf la prise en otage de journalistes ».
L’exercice a mobilisé plus de quatre cent cinquante personnes. Onze officiers américains, issus de l’état-major de la 101° aéroportée, sont venus pour l’occasion. Quatre
officiers du 201° corps de l’armée afghane,
et leurs interprètes, ont joué leur propre
rôle. De nombreux officiers français, récemment déployés ou descendant directement
de l’avion de Kaboul, ont apporté leur expérience toute fraiche.
De tout cela, il résulte que la mise en condition avant la projection sur le théâtre afghan
nécessite beaucoup de temps, d’argent,
d’énergie et de personnel. Le commandement de la force terrestre ne lésine pas sur
les moyens pour endurcir ses hommes,
aguerrir ses unités, forger la cohésion de ses
détachements, permettre un entrainement
réaliste. Les critiques entendues lors de la
tragédie d’Uzbeen n’auraient plus aujourd’hui aucune crédibilité.
Projet2:Mise en page 1
12/01/10
10:30
Quand on a servi la France,
on a droit à une retraite
complémentaire d’exception…
Crédits photos : ECPAD / France - Fotolia.
Les Jardins de la Cité 01 48 88 64 00.
Vous avez un droit d’accès et de rectification pour toute information vous concernant (loi Informatique et Libertés 78 17 du 6/1/1978).
”
Page 1
Laurent M.,
C depuis 2007
Souscripteur RM
J’ai 35 ans et j’ai servi
en ex-Yougoslavie.
Lorsque mes compagnons d’arme
m’ont appris que j’avais droit à la
Retraite Mutualiste du Combattant
de La France Mutualiste, je n’ai pas
hésité. Comme eux, j’ai commencé
à préparer ma retraite en versant
500 € par an, déduits de mon revenu ;
je paye moins d’impôts et j’ai la
certitude d’obtenir une rente non
imposable dès 50 ans, abondée par
l’Etat et revalorisée régulièrement
pour maintenir mon pouvoir d’achat…
…faites-le savoir !
”
www.la-france-mutualiste.fr - 44, avenue de Villiers 75854 Paris CEDEX 17 - Tél. : 01 40 53 78 00
Mutuelle Nationale de Retraite et d'Epargne d'Anciens Combattants et Victimes de Guerre Soumise aux Dispositions du Livre II du Code de la Mutualité. Immatriculée au Registre National des Mutuelles sous le n° 775691132.
❑ M.
❑ Mme
❑ Mlle
Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Né(e) le :
Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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les grands de ce monde
s’expriment dans
Angela
MERKEL
Fidel
CASTRO
Hillary
CLINTON
Nelson
MANDELA
Hugo
CHAVEZ
Nicolas
SARKOZY
Otto
de HABSBOURG
Tony
BLAIR
DALAÏ
LAMA
Mikhaïl
GORBATCHEV
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BERLUSCONI
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Débats et opinions
La sécurité des systèmes d’information
de la défense
Christian Pénillard
A la suite du grand dossier de notre précédent numéro, “Cyber-criminalité”, l’amiral Pénillard nous fait
parvenir cet article, qui complète bien nos propos
Les systèmes d’information et de communication
(SIC) sont devenus, avec leurs multiples usages,
les systèmes nerveux de nos sociétés, sans lesquels elles ne savent plus fonctionner. Leur
maillage croissant constitue un « cyber-espace »
très perméable, sans frontière, et vulnérable.
L’explosion des procédés, des techniques et des
motivations a permis la multiplication d’attaques
de toute nature, ciblées et discrètes, ou massives
et instantanées. Elles sont rarement attribuables,
et peuvent être étatiques ou non étatiques
(pirates, activistes, criminels ou simple étudiant
en mal de nororiété). La poursuite de la croissance et de la diversification des risques et des
menaces est une certitude pour les années à
venir.
Sécuriser l'information, une nécessité opérationnelle, est aussi une obligation légale pour protéger, non seulement le secret de la défense nationale, mais également des informations sensibles, comme les informations nominatives ou
médicales. Protéger la confidentialité de l'information n’est pas tout, il faut aussi garantir sa disponibilité, donc la résilience des réseaux et systèmes d’information (commandement, soutien
aux opérations, systèmes d’armes eux-mêmes).
Il faut également garantir, comme dans tout
ministère, le fonctionnement de l’administration
générale. En outre, le ministère de la Défense a
vocation à apporter au gouvernement des systèmes très résilients en cas d’agression majeure.
La stratégie antérieure, de défense passive et
périmétrique d’îlots élémentaires, est devenue
insuffisante pour deux raisons. D'une part on
assiste à l’irruption de vulnérabilités en profondeur, d'autre part les nécessaires réorganisations induisent une interconnexion généralisée
des réseaux. Une stratégie de défense globale,
réactive, en profondeur, combinant protection
intrinsèque des systèmes, surveillance permanente, réaction rapide, est maintenant nécessaire. Cette nouvelle stratégie s'appuie sur des
outils de confiance et des capacités dont, pour
certaines, le développement est en cours. Elle
demande une architecture globale maîtrisée,
conçue pour sa sécurisation, et des opérateurs
de confiance.
Pour faire face à ces défis, le ministère de la
Défense met en œuvre de longue date une
organisation, s'appuyant sur des ressources
physiques, humaines et techniques. C'est l'organisation permanente de veille-alerteréponse (OPVAR), qui permet le recueil,
l'analyse et la mise en œuvre de solutions.
Elle repose sur un réseau de correspondants,
experts du domaine, et répartis sur l'ensemble des territoires et théâtres d'opérations.
Ainsi une permanence existe 7 jours sur 7 et
24 heures sur 24, au sein d'un organisme central de lutte informatique défensive appartenant à la DIRISI (Direction des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la
Défense).
L'évolution rapide de la menace a conduit à
placer un officier général de l’état-major des
armées à la tête de la chaîne de lutte informatique défensive du ministère. Il s'appuie sur
une organisation technique et opérationnelle
de veille et d'alerte dont les moyens seront
renforcés. Cet officier a des responsabilités de
portée ministérielle, du fait qu'une infection
ou une attaque peut trouver une brèche, un
relais ou une cible dans n'importe quel système informatique du ministère.
En complément, sur le plan méthodologique,
une révision des processus a été mise en
chantier. Ainsi, avec les chaînes de lutte en
cas d’agression, c'est tout le domaine de la «
cyber-sécurité » qui aura été revu. Pour
conduire ce chantier, un officier général, autorité de synthèse SSI, a été placé auprès du
Directeur Général des Systèmes d'Information
et de Communication (DGSIC) du ministère.
Par ailleurs, la nomination prochaine auprès
du Premier ministre d'un directeur interministériel des systèmes d'information de l'État
(DISI) marque un tournant majeur. Le ministère de la Défense est, et sera, un acteur important dans le nouveau paysage interministériel
des réseaux qui se profile, dont la chaîne
nationale de veille et d’alerte est actuellement pilotée par l'Agence nationale de SSI
(ANSSI).
D'ores et déjà, le ministère de la Défense
adapte et décline la politique et les directives
de l’ANSSI, et assure une gouvernance générale de la « cyber-sécurité » avec sa direction
générale des SIC (DGSIC).
Quels que soient le rythme et la nature des
évolutions, le ministère de la Défense se doit
de garder et développer en son sein une
expertise forte en matière de cyber-défense.
Les menaces et les opérations militaires dans
le « cyber-espace » sont elles-mêmes devenues une réalité, qu’il faut prendre en compte dans les opérations actuelles. Le développement de capacités informatiques offensives militaires, que le Livre blanc a fixé pour
objectif, contribuera à cet indispensable renforcement défensif.
Au-delà des évolutions en termes d'organisations, d'outils et de méthodes, le grand défi à
relever est le défi des compétences. Les
hommes et les femmes capables de tenir leur
place dans ce nouvel espace complexe et
convoité doivent être bien recrutés, bien formés. Ils devront trouver au sein du ministère,
en interministériel, voire hors de l'administration, le parcours professionnel correspondant
à leurs légitimes aspirations.C'est un facteur
Débats et opinions
de succès déterminant, qui suppose une parfaite adéquation entre les compétences du
personnel au sein du ministère et celles du
monde extérieur. Il repose sur la reconnaissance au sein du ministère de la place centrale à
accorder à cette fonction.
55
Enfin, à un moment où les engagements opérationnels amènent à conceptualiser les conflits
asymétriques, la lutte informatique défensive
présente à bien des égards ce type de caractéristiques. Cependant, l'asymétrie en question
n'est pas tant une opposition entre le fort et le
faible, qu'un duel entre le rapide et le lent. C'est
par notre capacité à nous transformer et à nous
adapter rapidement que nous assurerons la maîtrise de nos systèmes d'information.
Amiral, directeur général des Systèmes d'information et de communication.
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Cinéma
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Défense
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MUGABE
et l’Africain blanc
Un film anglais de Lucy Bailey et Andrew Thompson – 2009
Produit par Arturi Films ; distribué par Pretty Pictures
Sortie le 24 novembre 2010 - 90’
Sabine Carion AA 56
[email protected]
« On peut être blanc et américain, blanc et australien, alors pourquoi pas blanc et africain ? »
Voilà la question que pose candidement Ben,
face à la caméra. Il est le gendre de Mike
Campbell, fermier de 75 ans, l’ « africain blanc »
qui a eu le courage de s’élever contre le président Mugabe. Ce président Mugabe – candidat unique – fier de truquer les élections et
qui se vante de marcher dans les pas de Hitler.
Mike Campbell a acheté sa ferme au gouvernement du Zimbabwe des années après l’indépendance. Il a contracté un emprunt sur vingt
ans, emploie 500 personnes. Un an après
avoir fini de payer sa dette, le gouvernement
décide de lui reprendre la ferme au nom de la
redistribution des terres pour l’attribuer à un
fils de ministre qui n’a jamais cultivé la
moindre parcelle …
Mike Campbell refuse de se soumettre et décide d’en appeler à un tribunal international.
Son avocate noire le défend avec beaucoup
d’admiration. Elle sait ce que lui et sa famille
Cinéma-défense
56
risquent et le témoignage de la jeune femme
est émouvant : il s’agit bien plus que d’un
simple titre de propriété, mais bien de montrer
les limites à un dictateur sanguinaire comme
aux autres chefs d’Etat africains qui suivent
ses traces ou le défendent.
Mugabe vole les terres des fermiers blancs pour
les octroyer à ses « favoris » et protégés ; une
telle est la maitresse d’un ministre, tel autre est
juge, politique, ou fils de… prédateurs seulement
préoccupés de s’enrichir, fermant les yeux sur les
vols et la misère que cela entraîne pour le pays.
Car ces vols s’accompagnent non seulement de
terribles violences mais de la mise en coupe
réglée des exploitations : meubles, outils,
machines… tout cela disparaît, emporté par des
inconnus qui transportent en chantant leur butin
sur les camions, indifférents aux habitants et à
leurs frères noirs dépossédés de leur travail et de
leur avenir.
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
Il ne s’agit ni de cultiver, ni d’entretenir, ni de
payer les employés vivant du travail de la terre.
Il s’agit pour ces pillards de faire de l’argent
facile, et vite. Et, pour les nouveaux propriétaires, d’accumuler tant qu’ils en ont la possibilité, sans souci autre que de posséder.
Le fils du ministre nous livre une analyse de la
situation qui n’est que racisme et rappelle clairement le génocide des juifs : les blancs doivent disparaître. Ils sont « l’ennemi ». Le chinois ne l’est pas, car il partage le pillage, la
mise en coupe réglée de l’Afrique.
L’africain blanc, lui, vit sur ces terres qu’il a
payées à la sueur de son front, veut y faire sa
vie, y construire son avenir, celui de sa famille
et des familles dont il a la responsabilité. Pour
lui, pas de différence entre les hommes. Le
bateau est le même.
Il s’identifie tout entier à ce pays. Il ne repartira
pas au loin fortune faite. Son objectif est le long
terme, construire, et construire ensemble.
Mais cela n’intéresse guère les hommes de
Mugabe qui veulent s’enrichir rapidement, le
plus vite possible, en servant le vieux dictateur
pour lequel la vie humaine n’a aucun sens si elle
ne lui est pas toute dévouée.
Quelles sont les chances de Mike Campbell dans
ce pays corrompu, sans lois, sans respect de
l’homme, gouverné par un homme raciste dont
le héros se nomme Hitler ? Quelles sont les
chances d’un individu seul face à un tortionnaire
qui ne cache pas ses pratiques ?
Lorsque Mugabe parle de « sa » terre, de « son »
peuple, seul le possessif compte. Et il le prouve
au travers des ces milliers de morts, de ces millions de personnes qui fuient le pays.
Le Zimbabwe si riche, l’exportateur de céréales
devenu importateur par le fait d’une crise sans
précédent…
Pourquoi Mike Campbell ne fuit-il pas avec sa
femme, ses enfants et petits enfants ? Il sait bien
qu’il risque sa vie et la leur.
Mais Mike Campbell refuse simplement de plier
devant la dictature. Que diraient les siens, plus
tard ? Il veut faire reconnaître son bon droit. Et
ce droit va bien au delà de lui même, car sa vic-
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© Ciel de Paris productions 2010.
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toire remettrait en cause toutes les expropriations des fermiers qui deviendraient alors de
fait illégales.
Dans ce pays livré au pouvoir d’un fou sanguinaire, Mike Campbell se dresse, épaulé par son
gendre et toute sa famille, par ses avocats noirs
comme blancs, par ses employés qui savent
bien que leur avenir aussi dépend de lui. Son
seul appui : Dieu et la foi dans un combat juste.
Il a une mission et il ira jusqu’au bout. Et en
effet, ce combat là risque bien de changer le
cours des choses… Offrir la certitude du long
terme à l’Afrique, c’est offrir l’avenir à tous ses
enfants.
On s’étonne simplement du peu de retentissement de cette affaire en Europe, alors qu’il s’agit
de faire respecter le plus simple des droits de
l’homme et de lutter contre la discrimination
raciale.
La paix et l’harmonie sont possibles uniquement là où les hommes sont égaux en droits
et en devoirs. Cela devrait être notre combat
à tous.
Il FAUT aller voir ce film, ne serait-ce que pour
exprimer respect et soutien à un homme juste, à
sa famille, à ceux qui les défendent et aux deux
réalisateurs. Ils ont tous pris des risques inouïs
afin de défendre le sens des mots « Justice » et
« Droit » sans lesquels aucune vie ensemble
n’est possible.
Il est nécessaire de les encourager et de les soutenir.
Les beaux discours dont l’Europe et tout particulièrement la France sont si friandes doivent
s’accompagner de gestes, de preuves. Aller voir
ce film en est une, alors que Mike Campbell
continue de risquer sa vie au moment où ce film
sort en France.
CE N’EST QU’UN DEBUT
Un film de Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier
Produit par Cilvy Aupin
Distribué par le Pacte
Sortie nationale le 17 novembre 2010
A l’heure du tout technologique, du logiciel roi,
du formatage, des institutrices se sont lancé un
bien joli défi ! Celui d’éveiller les plus jeunes à la
philosophie. Et ce pari réserve de belles surprises.
Les premières années de maternelle de l’école
d’application Jacques Prévert de Le Mée-surSeine, dans une ZEP de Seine et Marne, ont
expérimenté avec leur maîtresse Pascaline, la
tenue d’un atelier où, assis en cercle autour
d’une bougie, les enfants discutent librement et
s’interrogent sur le sens des mots, des valeurs,
des sentiments… de ce qui fait leur vie, leurs
angoisses, leur plaisir, leurs attentes.
Ils apprennent ainsi à penser par eux-mêmes
avec leurs mots à eux, plein de spontanéité, de
bon sens et de poésie. Il ne s’agit plus là d’apprendre correctement sa leçon, de bien la répéter, mais de réfléchir, de s’interroger à la fois seul
et ensemble. De comprendre et d’apprécier la
différence, la richesse de l’individualité.
Ces enfants ont tous entre quatre et cinq ans ;
pour eux, la philosophie « rend intelligent» !
Curieux, ravis de pouvoir s’exprimer, ils remportent à la maison leurs interrogations pour les
partager avec leurs parents. Le travail continue
en famille, créant un lien de plus entre parents et
enfants. Il leur fait partager une expérience commune très enrichissante, et souvent amusante
pour ceux qui s’y prêtent.
La réalisatrice a consacré deux ans à ce tournage, afin de suivre les enfants, leur évolution,
capter leurs réactions au cours de ces ateliers
qui ont lieu deux fois par mois. La concentration
des enfants varie selon les jours et les sujets,
leur intérêt s’éveille peu à peu. Ils apprennent à
s’écouter, se respecter, comprendre l’opinion de
l’autre, rebondir sur une idée, défendre leur
point de vue. La fonction sociale de ces ateliers
apparaît évidente pour former les esprits à la
Cinéma-défense
57
réflexion, leur inculquer les notions du vivre
ensemble.
Ce très joli documentaire est un vrai bol de fraîcheur qui laisse le spectateur enchanté quand
un bon mot surgit, une image, une vérité.
Un film à voir et une expérience à développer !
Extraits
A propos de la mort :
-« pourquoi tu ne veux pas la mort ? »
-« parce que je veux pas être seule, parce que
sinon je vais me perdre »
A propos de la liberté :
-« moi je dis que la liberté, c’est quand on peut
être un petit peu seul, respirer un petit peu et
être gentil ».
A propose de l’amour :
-« pourquoi on devient rouge ? »
-« parce qu’on a un cœur dans le ventre »
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ILS/ELLES PUBLIENT
Les livres qui ont marqué le trimestre...
Sélection Pascal Le Pautremat
La cybersécurité.
Nicolas Arpagian. Editions Presses
Universitaires de France, collection « Que
sais-je ? », n°3 891, Paris, 2010, 128 pages.
Rédacteur en chef de la revue Prospective stratégique (du Centre d’Etude et de Prospective stratégique), Nicolas Arpagian est connu pour ses
réflexions et écrits sur les questions inhérentes à
l’intelligence économique et ses aspects concomitants.
En l’occurrence, il aborde
ici la vaste
question
–
particulièrement d’actualité de surcroit
– de la cybersécurité. Un
domaine qui
sied à ses
autres responsabilités de
c o o rd o n n ateur d’enseignement
à
l’Institut national des Hautes Etudes de la
Sécurité et de la Justice (IHESJ) où il dirige le cycle
« Sécurité numérique ». Il avait publié l’année
passée un ouvrage, remarqué lui aussi, sur la
cyberguerre (titre éponyme), aux éditions
Vuibert.
Alliant pédagogie et didactique pertinente,
Nicolas Arpagian réussit à faire le tour du sujet en
débutant son étude par une
Livres
définition de la notion même
de cybersécurité. Ce qui per58
met d’élargir rapidement le propos puisque la
cybersécurité s’étend à plusieurs secteurs, de la
sphère privée à l’environnement public, du
milieu entrepreneurial aux domaines militaires et
politiques. On l’aura compris, le sujet oscille
entre impératifs sécuritaires, stratégie et même
géopolitique sur le champ interétatique. Lorsque
l’on retient que, selon l’Institut Forrester
Research, cité par Nicolas Arpagian, le nombre
d’internautes devrait être de 2,2 milliards en
2013 et que, compte tenu des rapports d’influence démographique des prochaines années, l’Asie
Pacifique va devenir majoritaire, on entrevoit les
incidences de la Toile sur les rouages économiques et politiques, au regard aussi des
diverses menaces qui en émanent.
L’auteur recense ainsi deux catégories majeurs
d’attaques abordées successivement dans deux
chapitres) : celles perpétrées par les réseaux
informatiques et téléphoniques, celles de nature
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
informationnelles. Et de considérer - quatrième
partie de l’ouvrage - qu’elles préoccupent au
plus haut point les Etats mais aussi le monde
entrepreneurial tout comme les particuliers, à
des niveaux certes différents mais cruciaux. Et
d’achever son étude analytique, par un cinquième chapitre, qui met en valeur les exemples de
politiques de cybersécurité adoptées par divers
Etats comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne,
et l’Allemagne pour l’Occident, mais aussi l’Inde
et la Chine pour l’Asie.
On ne peut que conseiller vivement la lecture de
cet ouvrage tant il associe harmonieusement
concision et précisions. Un condensé, ajusté, sur
la question qui ne pourra que satisfaire tout lecteur désireux d’assimiler l’essentiel du sujet. Les
étudiants en particulier, à titre d’amorce de leurs
travaux de recherche.
Business en milieu hostile. La sûreté des entreprises à l’international.
de Dimitri Linardos et Fanny Lecarpentier.
Préface d’Eric Delbecque et Laurent
Combalbert. Editions Vuibert-INHESJ, Paris, 235
pages.
C’est à deux
experts
du
Groupe GEOS
que l’on doit
cet opus destiné à mettre en
avant
une
approche autre
du commerce à
l’international
dans les zones
d’instabilité
notoire, voire
conflictuelles.
La dimension
remarquable de leur propos tient surtout au fait
que leur problématique s’affiche clairement en
marge des rouages économiques contemporains, et replace au cœur des systèmes économico-financiers, l’être humain.
Dimitri Linardos, ancien officier du 13ème
Régiment de dragons parachutistes (RDP), expert
en sûreté à l’international, assure également les
fonctions de directeur d’une filiale du groupe
Alstom Power au Nigeria. Parmi d’autres responsabilités, il fut auparavant Adjoint au Directeur
des opérations et directeur de la Qualité et de la
Formation au sein de GEOS.
Fanny LeCarpentier, pour sa part, est directeur de
projet intégrée au Pôle Conseil et Ingénierie de
GEOS. A deux, ils offrent donc une partition qui
retient l’attention tant par sa finalité et que la
rigueur avec laquelle elle est écrite.
On ne peut que saluer leur démarche visant à rappeler, en marge des discours entrepreneuriaux
aveugles, que la dimension noble du commerce à
l’internationale ne peut se faire qu’avec l’accord et
le partenariat des populations autres. Ils rappellent combien il faut éviter toute approche unilatérale voir néo impérialiste. Ils en appellent à la
Responsabilité sociale des entreprises, invitées
finalement à faire preuve de morale et d’éthique.
L’ouvrage s’applique à l’analyse, tout en restant
attaché aux fondements historiques des notions
majeures développées ici ; à l’instar du concept
entrepreneurial. Les auteurs relatent aussi les
grands enjeux de l’économie à l’international
pour, peu à peu, s’orienter sur l’époque immédiate et offrir une nouvelle approche des défis qui se
présentent à nos sociétés. Dans le même temps,
ils proposent les méthodes qu’ils estiment les
plus appropriées pour mieux aborder les logiques
d’entreprises : rentabilité, efficacité, certes, mais
sans contraster de manière odieuse voire scandaleuse avec leur environnement au cœur des zones
dits grises ; ces tristement célèbres pôles géographiques, intra ou interétatique qui cumulent les
maux : vide politique, déliquescence sociale
mutisme économique et marché noir, sur fond
parfois de guerre civile sinon régionale.
Après avoir identifié tous les maux et les menaces
qui pèsent sur les entreprises, de la guerre civile
au kidnapping, en passant par la piraterie ou les
phénomènes de criminalité, D. Linardos et F.
Lecarpentier déroulent largement, et dans leurs
moindres détails, les outils et méthodes destinés
à monter un projet d’internationalisation.
Tableaux, croquis décrivent avec minutie toutes
les questions qui doivent être posées et les
moyens qu’implique une telle entreprise.
Infrastructures, déplacements, logistique, communication, toutes les faces essentielles de l’action d’entreprise à l’étranger en zone hostile sont
passées au crible. Ils intègrent l’ensemble dans
une problématique de sûreté, tant des personnels
que des moyens déployés ou des structures mises
en place. Pour autant, il s’agit bien d’éviter l’écueil
de la « bunkerisation » qui peut conduit à une rupture totale avec l’environnement social sur le plan
local. Au contraire, il s’agit bien de solliciter les
populations pour les faire participer aux activités
de l’entreprise, en veillant à ce que chacun en tire
profit de manière la plus équitable possible, dans
un respect mutuel.
On ne pourra donc que se féliciter de la parution
d’un tel ouvrage qui, espérons-le, va sensibilisera
à l’urgence d’une refonte mentale de l’approche
des multinationales et de leurs actions.
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Les hommes debout.
Cinq combats pour la Liberté.
Hélie de Saint-Marc, Jacqueline de Romilly,
Wladyslaw Bartoszewski, Jan Mojto et N’Guyen
Ky Suong .
Sabine Carion, que les lecteurs de
Défense connaissent bien comme experte
du 7ème Art, est partie à la rencontre de
personnalités d’exception qui ont en commun d’avoir été confrontées à l’histoire
avec un grand H, mais aussi – exceptée
Jacqueline de Romilly - à certaines de ses
péripéties contemporaines les plus douloureuses, sinon les plus dramatiques.
Hélie
de
Saint-Marc,
Wladyslaw
Bartoszewski, Jan Mojto et N’Guyen Ky
Suong ont côtoyé la mort : camps de
déportations durant la Seconde Guerre
mondiale, incarcération et persécution
politiques au cœur de crises inscrites
dans les pires années de la Guerre froide,
de l’Occident à l’Asie. Mais tous ont gardé
à l’esprit, leurs convictions initiales, leur
droiture, une certaine idée de l’honnêteté
intellectuelle, morale et critique. Leur
trait commun : une incroyable volonté de
vivre en refusant de subir.
Au-delà des propos recueillis, c’est une
belle mise en perspective, comme un long
métrage soigné, intimiste et universel,
que Sabine Carion nous offre avec une
rigueur de réalisateur. A noter que l’ouvrage est disponible avec le CD qui réunit
une grande partie des témoignages de
ces cinq personnalités hors du commun,
hors du temps et de l’histoire immédiate.
En soit, le témoignage de Jacqueline de
Romilly, qui tranche par rapport aux itinéraires de souffrance graduée des autres
interlocuteurs rencontrés, sert aussi de
contrechamp et de point d’orgue pour
souligner les enjeux éthiques et politiques de notre monde mondialisé, en
déficit de repères, de culture et de
mémoire, notamment par rapport au
grand héritage de la démocratie grecque.
Une démarche en filigrane, particulièrement pertinente qui ne doit donc rien au
hasard puisqu’elle nous ramène à la tragédie, notre tragédie contemporaine.
Tous les autres ont enduré des épreuves
qui, pour les jeunes générations, ne signifient presque plus rien de concrètement
palpable ; si ce n’est qu’une référence
abstraite à la notion de torture physique.
Mais que dire réellement des tortures
morales ?
Livres
59
Sabine Carion s’imprègne de ses interlocuteurs et concrétise une quête : un certain
sens, sinon un sens certain de l’honneur. A
travers le cœur et l’âme de ses hôtes, elle
cherche cette part incompressible de
résistance qui se révèle dans l’expérience
des limites, du déchaînement guerrier aux
traques idéologiques les plus sauvages.
En compagnie de ses héros, elle nous rappelle aussi que ce sens de l’honneur cohabite - le plus souvent - avec ceux de l’humilité et, parfois même du pardon.
En définitive, comme tous les grands intervieweurs, elle dessine une cartographie
qui fait sens. En effet, ces rencontres sont
autant de voyages au bout de nos nuits, de
nos destins et de leurs interrogations.
Sabine Carion nous embarque dans une
exploration rare. Elle prend aussi le temps
d’écrire, de laisser chanter ses phrases et
de dévoiler au plus grand nombre un
secret : celui de l’intelligence de la complicité. Avec un regard qui n’est pas toujours impartial, elle retranscrit ou plutôt
elle tranche.
Cinq destins, cinq trajectoires d’individus
qui ont choisi la liberté… Un très beau
livre et un vrai cadeau de Noël… qui ne
manquera pas d’alimenter la discussion !
Pascal Le Pautremat
et Richard Labévière
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Rens ei gnem ent dans tous ses états
J o ë l - Fra n ç o i s D u m o n t * A R 1 6
[email protected]
L’académie du renseignement
L’esprit de notre temps se défie du secret (François Fillon)
« L’ambition française » étant « de ne pas
subir les effets de l’incertitude, mais d’être
capable d’anticiper, de réagir et de peser sur
les évolutions internationales », la fonction
renseignement a été érigée en priorité stratégique, au même titre que la dissuasion.
« Connaître et anticiper » sont les maîtres
mots de la réforme. Budgets en hausse, recrutement de spécialistes, on est loin des coupes
sombres opérées dans le budget de la défense. « La différence entre l’intérieur et l’extérieur n’est plus aussi tranchée qu’auparavant.
Entre le policier et le militaire, les missions
sont de plus en plus complémentaires. Entre
sécurité et défense, la continuité est désormais au cœur de notre pensée stratégique. »
(1) Comme l’a rappelé François Fillon, en installant l’Académie du renseignement à l’École
militaire le 20 septembre dernier : « jamais le
renseignement n’a été pour notre pays une
priorité stratégique aussi haute. » (2)
Le s 7 r e n d e z - vo u s
60 Le Premier ministre a rappelé le double sens
de cette réforme : « un renseignement toujours plus efficace, au service de la France, de
sa diplomatie, de sa défense, de ses intérêts
dans le monde, et de la sécurité de ses
citoyens … enfin, un renseignement revalorisé, qui réponde aux attentes des membres
des services, en matière de protection juridique, d’équipement, de gestion des ressources humaines, de qualité de la formation. » … « Une réforme capitale, initiée, portée par le président de la République, résolu à
la mener à bien », qui se traduit, pour François
Fillon, par « la fin d’une hypocrisie »…
« L’exécutif ne peut plus maintenir artificiellement ses distances, comme il l’a fait trop longtemps en assumant désormais pleinement
cette activité », en définissant des priorités
stratégiques ou en énonçant des besoins. «
Deux grandes lignes de force » ont été tracées :
« faciliter la gestion des ressources humaines
de chaque service et créer les conditions
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
d’une réelle mobilité entre les services et
vers l’extérieur du monde du renseignement. » (1) La raison d’être de cette « Académie
du Renseignement » est de développer «
un programme de formation, véritable
tronc commun, défini entre les services,
hébergé par eux et sanctionné par un brevet reconnu par tous. » (2)
« Le temps des rivalités est révolu »
La coordination des services « doit être forte
du partage des valeurs, des expériences, des
savoirs qui sont propres aux militaires de la
DRM ou de la DPSD, aux agents de la DGSE,
aux douaniers de la DNRED, aux policiers de la
DCRI, et aux experts de TRACFIN ... Un plan
national d’orientation du renseignement a été
adopté, qui constitue une référence pour chacun de nos six services de renseignement –
DCRI, DGSE, DRM, DPSD, TRACFIN, DNRED. »
Au-delà de la qualité et de la pertinence des
moyens techniques, dans un pays qui compte
une voire deux fois moins d’agents que la
Grande-Bretagne ou l’Allemagne, l’accent est
mis sur les ressources humaines : « le renseignement repose d’abord sur les hommes qui
le recueillent ; l’analysent et l’exploitent, dans
des conditions parfois périlleuses. L’attention
au recrutement, à la formation et au déroulement des carrières sera donc renforcée » avec
des filières valorisées, un recrutement plus
ouvert (universités, grandes écoles), et un
recours plus aisé aux contractuels. (1)
Le décret du 13 juillet portant création de cette
Académie du renseignement est venu ajouter
« un facteur supplémentaire de cohérence » à
l’édifice, prélude à une Communauté française
du renseignement enfin « rassemblée et
décloisonnée ». Pour conduire ce projet, le
choix s’est porté sur Lucile Dromer-North,
directrice adjoint de la formation à l’ENA, en
raison de son expérience en matière de formation dans un cadre interministériel et de ses
compétences reconnues. Au-delà de la formation initiale et continue des 85 stagiaires, il lui
faudra contribuer à la promotion d’une culture
française du renseignement, comme chez les
Anglo-Saxons ou les Allemands.
Pour Mme Dromer-North, « il ne s’agit pas de
se substituer aux Services, qui conserveront
évidemment leurs formations internes spécifiques. La volonté est bien, dans le domaine de
la formation, d’initier une démarche de mutualisation, au sein de la communauté du renseignement dans son ensemble, favorisant ainsi
la connaissance réciproque et la mobilité des
cadres entre les différents services. » Objectif :
une communauté du renseignement renforcée, supervisée par le coordonnateur national
du renseignement. Pour les « anciens » regroupés au sein d’Hestia Intelligence Studies, « il
faut, en particulier, s’efforcer, par une meilleure
compréhension mutuelle, de substituer dans
les esprits une logique de complémentarité à
une logique de concurrence souvent prévalente … Mettre ensemble pendant une durée limitée, des personnels qui viennent de rejoindre la
profession pour leur donner des bases communes, ce qui facilitera d’autant la coopération, dans la perspective d’une véritable osmose. Des stages de recyclage, d’information,
voire de partage d’expérience dans certains
domaines devraient également être organisés
en cours de carrière ». Les membres d’Hestia
seraient, eux, partisans de « nouer également
des partenariats avec les universités et les instituts étrangers qui développent des programmes ‘d’intelligence studies’», choix qui
n'est pas celui qui a été arrêté pour l’académie
du renseignement à ce jour. La promotion
d’une culture française du renseignement
prendra du temps. On ne change pas des mentalités d’un coup de baguette magique.
L’importance des enjeux mérite de tenter l’expérience en offrant une chance à ceux qui ont
des dons cachés ou des profils atypiques de
faire acte de candidature.
(1) Livre blanc pour la défense et la sécurité :
Connaître et anticiper, Chap.8, p.133-134.
(2) Discours de François Fillon : http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/discours-du-premierministre-lors-de-l-installation-de-l-academie-durenseignement
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Les for c es s péc i al es
Pascal Le Pautremat*AR17
[email protected]
Affaire Linda Norgrove : les aléas
des opérations de libération
En Afghanistan, le 9 octobre dernier, une action spéciale destinée à libérer l’humanitaire britannique, Linda Norgrove,
s’est soldée par la mort de l’otage. Après un flottement médiatique sur les circonstances exactes, l’enquête s’oriente vers la « responsabilité directe » d’un
membre des SEALS américains.
Linda Norgrove, 36 ans, d’origine écossaise, docteur de l’université de
Manchester, travaillait depuis le début
des années 2000 pour l’Organisation
mondiale de protection de la nature. Elle
était en Afghanistan pour le compte de
la société américaine Development
Alternative Inc (DAI) spécialisée dans la
relance des activités économiques dans
les régions instables. Elle avait été enlevée le 26 septembre 2010 dans la province de Kunar, à 2 400 mètres d’altitude.
Grâce aux nouvelles technologies
(drones et écoutes radios des services
de renseignement américains), le commandement de l’OTAN a pu la localiser,
suivre l’itinéraire de ses ravisseurs et
constater la dangerosité extrême de la
situation dans laquelle la jeune femme
se trouvait. Officiellement, ses ravisseurs hésitaient entre deux options : la
tuer ou la déplacer dans les confins du
Nord-Waziristân, au Pakistan, où il
aurait été encore plus délicat de la sortir
des griffes de ses geôliers.
L’argument avancé : L’urgence de l’intervention
Il est alors décidé de monter une opération vive force destinée à libérer au plus
vite Linda Norgrove. Faute de marge de
manœuvre suffisante, la possibilité de
recourir aux équipes du SAS (Special Air
Service) britannique est écartée. Le
choix se porte finalement sur la Seal
Team Six (ST6) américaine, spécialisée
dans le contre-terrorisme et associée
aujourd’hui au United States Naval
Special Warfare Development Group
(NSWDG ou DEVGRU) . Présente depuis
des mois dans le nord-est de la province
de Kunar, l’équipe des Seals connaît
bien ses adversaires régionaux.
L’opération spéciale est lancée à l’aube,
le 9 octobre. Dès les premières minutes
de l’assaut, six des ravisseurs sont tués,
tandis qu’un autre cherche à extraire
Linda Norgrove de l’habitation où ils se
trouvent. Elle se serait débattue puis
couchée en position fœtale pour ne pas
être exposée aux échanges de tirs. Des
grenades sont lancées au cours de l’action. L’une d’elle – à fragmentation explose tout près d’elle et la tue.
Médiatisation précipitée et jeu de politisation
Après que les médias et l’OTAN ont
annoncé, dans un premier temps, que
l’otage avait péri au cours de l’assaut,
assassinée par ses ravisseurs, les autorités américaines diligentent une enquête
suite à une étude approfondie des enregistrements vidéos de l’action . Après
analyse et recoupement des témoignages, il apparaît que l’un des membres
de l’équipe SEAL aurait lancé une grenade à fragmentation contre un ennemi,
sans apercevoir Linda Norgrove qui se
trouvait à proximité immédiate.
Le Premier ministre britannique, David
Cameron, dès le 11 octobre, reconnaissait
que l’Ecossaise avait été victime d’une
grenade américaine. L’affaire a suscité
outre-Manche une vive émotion. Selon le
journal britannique The Guardian, la
famille de Linda Norgrove n’aurait pas
été contactée au prélable pour donner ou
non son accord pour cette opération de
vive force. Après une rencontre entre D.
Cameron et le président américain Barak
Obama, une enquête militaire commune
est lancée, sous la conduite du général
de brigade Rob Nitsch, de l’armée britannique, et du major-général Joseph Votel,
officier général de l’US Special
Operations Command (USSOCOM).
La situation donne lieu aussi à des commentaires oscillant entre le ridicule et le
catastrophisme – de rigueur – tel celui
paru dans The Times qui n’hésitait pas à
estimer que « […] S'il était confirmé que
Norgrove a bien été tuée par une grenade américaine, cela risquerait de jeter
une ombre pour une longue période sur
les relations anglo-américaines ».
Responsabilité et judiciarisation : où
l’on oublie les aléas de la guerre
C’est surtout la nature même de la grenade employée qui surprend. Dans un
milieu confiné où se trouve l’otage, on
privilégie les grenades assourdissantes,
aveuglantes ou fumigènes. Certes, l’emploi d’une grenade à fragmentation n’est
pas proscrit pour autant dans de telles
actions où la létalité est de mise. Tout
dépend de la situation immédiate et de
la nature de l’adversité. Officiellement,
les autorités américaines font valoir que
le militaire a tardé à reconnaître, auprès
de sa hiérarchie, l’usage d’une telle grenade, ce qui l’exposerait à des sanctions
disciplinaires. La Marine américaine souligne aussi que son attitude porte atteinte à l’intégrité des SEALs.
Cela démontre combien, encore une fois,
la perception d’une opération spéciale
est soumise au joug de la médiatisation
à outrance et de sa politisation potentielle. Il ne faudrait pas, qu’à l’avenir, les
militaires soient systématiquement fustigés et se voient reprocher des initiatives
prises sous le feu, sous prétexte qu’elles
entraînent directement ou non la mort
d’un ou de plusieurs otages. Leur vie est
toute autant menacée que celle des personnes auxquelles ils tentent de porter
secours. Vraiment, faut-il le rappeler ?
La mort de Linda Norgrove va susciter
encore bien des polémiques. Les SAS
Le s 7 r e n d e z - vo u s
auraient-ils été plus appropriés pour 61
cette opération ? Dans la mesure du possible, faut-il ou non privilégier le paiement de rançon pour libérer les otages ?
Les familles d’otages français doivent en
tout cas être bien préoccupées par leur
devenir : celles des deux journalistes de
France Télévision, Hervé Ghesquière et
Stéphane Taponier, détenus depuis le 29
décembre 2009, des otages retenus dans
la zone sahélienne, et de l’agent de la
DGSE toujours en Somalie depuis le 14
juillet 2009.
1/La ST6 appartient aux forces spéciales de
l’US Navy : les SEALS (Sea, Air, and Land),
commandos/nageurs de combat, créés en janvier 1962 par le président J. F. Kennedy.
2/Les membres des Seals ont eux-mêmes une
caméra fixée sur leur casque.
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A r m es de c om m uni c ation massive
Fra n ç o i s d ’ Al a n ç o n *
AA 55
[email protected]
La dernière vitrine du cyberjihad
L’essentiel de l’activité de propagande du réseau Al-Qaida
se déroule sur Internet
Al-Qaida dans la péninsule arabique
(Aqpa) a mis en ligne en octobre le
deuxième numéro de sa cyber-revue «
Inspire », rédigée en anglais, destinée à
encourager les musulmans anglophones
à rejoindre le réseau jihadiste international. Véritable guide du parfait petit jihadiste, le numéro contient des suggestions d’attentat contre des restaurants
de Washington, des conseils pour utiliser
un pickup pour « faucher les ennemis de
Dieu » et des analyses de textes religieux
de l’imam radical américano-yéménite
Anwar al-Awlaki. Surnommé le Ben Laden
de l’Internet, ce dernier aurait « inspiré »
trois des terroristes responsables des
attaques du 11 septembre, le responsable du massacre de Fort Hodd, Umar
Farouk Abdulmutallab, mais aussi Faisal
Shahzad, arrêté pour l’attentat manqué
de Times Square.
Sur 74 pages agrémentées de nombreuses photos et illustrations, la revue,
signée par Al-Malahem Media, branche
Le s 7 r e n d e z - vo u s
62 « communication » d'Aqpa, présente de
façon moderne et attractive des témoignages comme « Ma vie dans le jihad »,
des exégèses du Coran, des conseils pratiques pour monter des attentats ou des
interviews de jihadistes américains. A la
page 45, Samir Khan, un américain d'origine saoudienne ayant vécu à New York
et en Caroline du Nord, avant de
rejoindre les rangs d'Aqpa au Yémen,
raconte sa trajectoire, sous le titre « Je
suis fier d'être un traître à l'Amérique ».
Cet ancien résident de Caroline du Nord,
âgé de 24 ans, qui animait des sites jihadistes depuis le sous-sol de la maison
familiale à Charlotte, avant de partir pour
le Yémen, serait l'un des principaux animateurs d' « Inspire », mis en ligne pour
la première fois en juillet.
Le numéro comprend également des photos des combats dans la province yémé-
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
te, à cibler une audience occidentale. «
Le public visé, ce sont clairement les
aspirants jihadistes aux Etats-Unis, au
Royaume-ni et en Australie, qui ne parlent pas couramment arabe et qui veulent
en savoir plus sur le jihad. C’est un
moyen d’aller chercher ce public, de le
radicaliser et d’inspirer d’autres meurtriers comme celui de Fort Hood, d’autres
poseurs de bombes, à l’image de celui
de Times Square, vivant déjà aux EtatsUnis ». Concrètement, ce magazine en
ligne n’est pas là pour attirer des millions
d’internautes, mais plutôt pour pousser
deux ou trois individus, ayant grandi au
sein des communautés musulmanes
locales, à perpétrer des attentats dans le
pays où ils vivent.
nite d'Abyan, avec de nombreux clichés
de soldats yéménites tués, une interview
d'Abou Soufiane al-Azdi, un saoudien
devenu l'un des chefs d'Aqpa après avoir
Pour Jean-Pierre Filiu (1), les dirigeants
passé près de six ans prisonnier sur la
d’Al-Qaida considèrent leur jihad global à
base américaine de Guantanamo à Cuba.
50 % un combat médiatique et accordent
Dans un article intitulé "L'ultime tondeuune
importance
se", un certain
majeure à leur activiYahya Ibrahim
Le cyberjihad représente
té de propagande
donne "à nos
dont l’essentiel se
lecteurs
un
une des armes principales déroule sur Internet,
conseil
pour
à la fois vecteur de
mener leur jihad
d’Al-Qaida pour rallier et
doctrine et d’organiindividuel". Il
sation. Ce cyberjihad
préconise de se
mobiliser des éléments
permet à Al-Qaida
servir d'un gros
susceptibles de projeter
d’entretenir l’illusion
4x4, équipé de
de son omniprésence
lames
d'acier
de nouveau la terreur
planétaire, nourrit son
soudées
à
prestige militant et ses
l'avant, comme
capacités de recrutement. Il facilite égaled'une arme pour foncer dans des foules
ment l’allégeance de groupes locaux qui
de piétons "dans des pays comme Israël,
accèdent en retour à la chambre d’écho
les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le
du jihad global. Ce flux de messages et
Canada,
l'Australie,
la
France,
d’échanges contribue à structurer un
l'Allemagne, le Danemark, la Hollande et
réseau très concret de collaborations.
tous les pays dont le gouvernement et
« La secte virtuelle d’Al-Qaida, affirme
l'opinion publique soutiennent l'occupaJean-Pierre Filiu, trouve dans la toile son
tion israélienne de la Palestine". "Si
vecteur privilégié d’accès à de nouveaux
vous pouvez avoir des armes à feu,
sympathisants, elle mise sur leur très
emportez-les pour terminer l'opération"
faible culture religieuse, leur aliénation
poursuit le texte, illustré d'une photo
sociale, voire leur exil intérieur, pour
publicitaire d'un énorme pick-up Ford.
imposer ses thèses agressives, les
"Car après une telle attaque, il sera très
encourager à la violence physique.
difficile de s'en sortir. Considérez cela
L’Internet constitue aussi un formidable
comme une opération-martyr".
canal de popularisation des techniques
terroristes. Le cyberjihad représente une
A la fin, sous le chapitre « Comment nous
des armes principales d’Al-Qaida pour
contacter », les auteurs donnent plurallier et mobiliser des éléments suscepsieurs adresses de courriels, du genre
tibles de projeter de nouveau la terreur
« [email protected] », en
de masse dans les pays occidentaux.
« recommandant fortement » l'utilisation
L’aspect illusoirement inoffensif de
d'un programme de cryptage (dont le
l’Internet ne doit à cet égard pas induire
mode d'emploi est fourni) « afin d'éviter
en erreur ».
d'être détectés par les services de renseignements ».
(1) Les Neufs Vies d’Al-Qaida, Fayard, 2009.
Selon Bruce Riedel, ancien expert de la
CIA, le magazine participe d’une tendance plus large, au sein du réseau jihadis-
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Li gnes de m i r e i nter nationales
Philippe Leymarie
[email protected]
Entre Londres et Paris,
l’entente frugale ?
« Historique », ont martelé les dirigeants français et
britanniques, après la conclusion le 2 novembre dernier à
Londres d’une impressionnante série d’accords
de coopération militaire, notamment dans le secteur
ultra-sensible du nucléaire.
Mais il n’est pas sûr que cette nouvelle
Entente cordiale [1], rebaptisée aussitôt
« Entente frugale » par la BBC, soit si
extraordinaire qu’il a été proclamé à
Paris comme à Londres.
D’abord si on se réfère aux ambitions.
Côté britannique, elles sont bien délimitées, comme l’a expliqué le ministre de
la défense Liam Fox, dans un entretien
publié par le Sunday Telegraph à la
veille de la signature des accords :
il ne s’agit « pas d’une réédition du projet de coopération militaire accrue dans
un cadre européen » (comme cela l’avait
été à Saint-Malo, en 1998) ;
« pas plus qu’il n’est question d’une
poussée en vue de constituer une armée
européenne à laquelle nous nous opposons » ;
« mais de prouver que la coopération en
Europe n’a pas toujours besoin de se
situer à un niveau européen, et peut se
développer à l’échelon bilatéral entre
deux Etats ».
Clairement, Londres ne s’engage dans
une coopération militaire intense avec
un de ses voisins que… pour se passer
de l’Europe ! Et en ne cessant de répéter
que l’OTAN demeure « le garant essentiel
de la sécurité en Europe » : c’est spécifié
dans la déclaration commune aux deux
Etats. On comprend pourquoi le secrétaire général de l’OTAN a aussitôt considéré ces accords comme « un exemple » :
trouver ensemble les moyens de faire
face à l’austérité budgétaire, tout en «
continuant à remplir ses engagements
vis-à-vis de l’Alliance atlantique ».
A aucun moment, d’ailleurs, dans la
conclusion de cette batterie d’accords, il
n’a été question des perspectives
ouvertes par le nouveau traité européen
de Lisbonne - notamment les « coopérations structurelles renforcées », qui permettent à certains Etats plus à même
d’avancer dans certains domaines de
défense et sécurité, de prendre les
devants en petit groupe, quitte à entraîner
les autres. Pas plus que n’a été évoquée la
perspective de la création d’un quartier
général permanent de l’Union européenne, jugée nécessaire par les militaires
pour la conduite d’opérations, mais combattue avec constance par Londres. On est
au contraire, dans ces accords franco-britanniques, sous le régime du bilatéral, de
l’intérêt mutuel, du pragmatique.
Paris, de son côté, avait conditionné son
retour plein au sein de l’OTAN à un renforcement de l’Europe de la défense – objectif qui semble avoir été passé par pertes
et profits. Le ministre français de la défense lui-même, le centriste Hervé Morin, à
l’issue d’une réunion peu enthousiasmante avec ses homologues en septembre
dernier, avait exprimé le désenchantement français (ou simplement le sien ?) :
« Les Etats ont démissionné, pour la plupart, sur une ambition simple : disposer
d’un outil militaire permettant de peser
sur les affaires du monde. L’Europe est en
train de devenir un protectorat sous
condominium sino-américain ».
De fait, la Grande-Bretagne et la France
restaient ces dernières années les deux
seules nations européennes à consacrer
environ 1,8 de leur produit intérieur brut
aux dépenses de défense, et à disposer
d’une panoplie militaire complète, avec la
gamme des unités, des spécialités, et des
matériels permettant de faire face à tout
type de situation, dans les environnements terre-air-mer, et jusqu’à l’exercice
de la dissuasion nucléaire (apanage de
moins d’une dizaine d’Etats dans le
monde). A elles deux, la Grande-Bretagne
et la France représentent la moitié de
toutes les dépenses de défense en
Europe, et le deux tiers des crédits de
recherche et développement (R et D) : une
charge et un standing menacés par le
piètre état des finances publiques de ces
deux nations, engagées dans des politiques assez drastiques de réduction de
leurs dépenses.
Mais, s’adosser stratégiquement à la
Grande-Bretagne, allié privilégié des EtatsUnis, y compris dans la dimension nucléaire –
objet de deux traités - revient à se rapprocher
stratégiquement du « parrain » américain,
qui détient de fait les clés du nucléaire
britannique [2]. Et à partager, dans la réalité, les fameux « intérêts vitaux » qui
motiveraient la menace d’une frappe
nucléaire. Lesquels intérêts vitaux – heureusement, et c’est ce qui laisse une petite marge de manœuvre ! – sont un peu à
géométrie variable, en fonction des
moments, lieux, acteurs, circonstances…
En fait, la coopération nucléaire envisagée est surtout technique (vérification,
par des technique spectrographiques, de
la qualité des composants des charges
nucléaires) et informatique (calculs de
simulation des explosions, pour la mise
au point des charges de prochaine génération), et n’entrera pas en vigueur avant
4 ou 5 ans. Il n’est guère question
d’ailleurs d’échange de renseignements,
de partage de patrouilles, et encore
moins de fusion des chaînes de commandement : chacun reste en principe souverain.
Quant au projet de « corps expéditionnaire » (les Français préfèrent l’expression
"force projetable"), c’est une adjonction
d’unités d’intervention françaises et britanniques, mais non un corps permanent,
comme la Brigade franco-allemande : un
dispositif-papier. Et la « force aéronavale
d’attaque intégrée » dont il est également
Le s 7 r e n d e z - vo u s
question ne verra pas le jour avant 2020, 63
dans le meilleur des cas …
[1] Le 8 avril 1904, la France et la GrandeBretagne signaient à Londres, les accords dits
de l’Entente cordiale, prévoyant notamment le
règlement des différends coloniaux, surgis
dans la foulée du conflit de Fachoda en 1898.
Ainsi, la France s’engageait à ne plus intervenir
dans les intérêts égyptiens des Britanniques ;
en contrepartie, ses projets au Maroc ne
seraient pas contrecarrés par Londres. Les tensions à propos du Siam et de Terre-Neuve
étaient également oubliées…
[2] En vertu des accords dits « de Nassau », en
1962, qui lient la dissuasion britannique au
dispositif américain .
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
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L’état des r ec her c hes
J e a n - Fra n ç o i s D a g u z a n * A A 4 9
[email protected]
Obama sur le fil du rasoir
Les élections législatives américaines dites de mid-term
sont venues durement sanctionner le mandat
de Barak Obama à mi parcours.
Le président perd la majorité à la
Chambre des représentants (239 républicains contre 139 démocrates et 11
indécis) et sauve celle du Sénat d’une
courte tête (51 démocrates contre 46
républicains et 3 indécis). Cette situation n’est en soit pas très originale. De
très nombreux présidents américains
(dont Clinton) ont dû gouverner avec
des chambres défavorables (parfois les
deux) – sanction du modèle d’équilibre
des pouvoirs à l’Américaine, assez prisée par les électeurs.
Le problème est que la marge de
manœuvre d’Obama n’est pas celle de
Clinton au milieu des années 1990. A
cette époque les Etats-Unis étaient portés par la « victoire » contre l’Union
soviétique, une économie florissante
avec le boom de la « net-economy » et le
fait d’être la seule « hyperpuissance »
face à des « nains » politiques et écono-
Le s 7 r e n d e z - vo u s
64 miques. Les Etats-Unis dictaient la tendance. Aujourd’hui, la situation est tout
autre. L’Amérique est sortie laminée de
la crise financière et économique mondiale et Obama a hérité d’une situation
stratégique désastreuse laissée par
l’administration Bush. Le nouveau président est donc pris dans un étau que
même sa très grande intelligence et son
sang froid ne permette que difficilement
de sortir.
Comme Clinton avait été élu pour relancer la machine économique du futur
face à un Bush père incarnant la guerre
froide, Obama avait été élu pour restaurer l’économie et d’abord l’emploi dans
son pays et sortir de la période de guerre engagée par Bush fils.
Mais il semble que le jeune président se
soit trompé dans l’ordre de traitement
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
de ses objectifs :
Au plan international, la sortie d’Irak a
été réalisée sans trop regarder en arrière sur les convulsions d’un pays laissé à
ses drames internes ; mais la situation
mauvaise qui prévaut en Afghanistan
annule ce « bon ( ?) » résultat. Au
Proche-Orient, Obama avait mis beaucoup de lui-même à la fois psychologiquement et politiquement, pour aller au
plus vite vers un accord israélo-palestinien. Mais c’était sans compter sur le
fait que les Israéliens avaient parfaitement analysé la faiblesse structurelle du
nouveau président et que, pour eux, la
période était propice à tous les gains
territoriaux face à une autorité palestinienne impuissante. Enfin, en matière
de gouvernance mondiale, autant
Clinton avait su, en s’appuyant sur le
concept de nouvel ordre mondial de
Bush père imposer le modèle libéral
mondialisé au reste de la planète,
autant Obama arrive avec un pays épuisé dans des instances internationales
qui consacrent désormais la puissance
de la Chine et même de puissances
intermédiaires comme l’Inde ou le
Brésil.
Mais c’est sans doute au plan interne
que le président a mal joué. Certes
celui-ci a arraché péniblement un
modeste instrument de régulation des
marchés financiers, mais il est allé brûler sa crédibilité politique sur une réforme finalement croupion de la santé…
qu’on ne lui demandait pas ! Et qui
semble comme le désir personnel de
montrer qu’il avait réussi là où Clinton,
mari et femme, avaient échoué quinze
ans plus tôt. Or avec un taux de chômage de 9-10 % depuis la crise contre 3 %,
le problème n’était pas là.
Les électeurs sanctionnent donc Barak
Obama pour ne pas s’être occupé d’eux.
La communication d’un président sûr de
son intelligence et pensant compter sur
celle de ses ouailles a fait défaut. Obama
s’est illustré comme un candidat aux
manches de chemises retroussées, il va
falloir qu’il le fasse vraiment.
Or la marge de manœuvre est très étroite. Avec environ 12 000 milliards de dollars de dette publique, il ne lui reste plus
que la « planche à billet » pour relancer
la croissance – La Réserve fédérale vient
juste d’émettre 600 milliards de dollars
pour faire bouger l’économie – et compter sur la reprise mondiale. Mais sera-telle au rendez-vous ? C’est donc un président américain affaibli qui arrive au G20 et dans les autres instances internationales avec pour seul mot d’ordre la
relance. Il n’est pas sûr que les
demandes de régulation de la finance
internationale arrive facilement jusqu’à
lui … Les répercussions de cet affaiblissement général devraient se faire sentir
dans les dossiers de crise comme le
conflit israélo-palestinien que pèsera la
parole américaine face à des Israéliens
décidés ? Enfin, le retrait d’Afghanistan
n’est-il pas inéluctable quand il faudra
chercher partout des économies pour
réduire le déficit – or une bonne partie
de la gestion de ces crédits extérieurs
sont désormais dans les mains des républicains. Il est donc possible d’imaginer,
comme en Irak, que l’annonce d’une stabilisation réussie de l’Afghanistan ne
soit que le prélude d’un retrait rapide et
d’un repliement américain sur son précarré en difficulté. Finalement, comme
nous l’annoncions dans ces colonnes, il
y a quelques mois, ce n’est qu’en Europe
qu’Obama pourra trouver les parts de
marché pour sa relance. Les temps vont
devenir difficiles. Quoi qu’il en soit, il est
possible que l’élection « extraordinaire »
du premier président noir des Etats-Unis
marque l’affaiblissement structurel des
Etats-Unis sur la scène internationale
dans la longue durée. Ce pays est peutêtre en train de redevenir une puissance
comme les autres… mais avec le plus
grand arsenal militaire au monde. Le
retrait progressif des Etats-Unis de la
scène international ne devrait pas se
faire sans douleur ni violence. On peut
d’ores et déjà parler de « rétraction
agressive ». On en verra les prémices au
plan économique !
Quand il a été élu, on disait qu’Obama
était vraiment exceptionnel. Il va devoir
maintenant le prouver.
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Guer r es d’auj our d’hui
J e a n - Lo u i s D u f o u r *
A A 38
[email protected]
Guerre d’Irak : où est ta victoire ?
Une promesse du candidat Obama a été tenue : le rapatriement d’Irak des unités de combat avant le 31 août 2010. La
Maison blanche, cependant, s’est gardée de crier victoire ! Et
pour cause ! La guerre d’Irak n’est pas terminée.
Une promesse du candidat Obama a été
tenue : le rapatriement d’Irak des unités
de combat avant le 31 août 2010. La
Maison blanche, cependant, s’est gardée
de crier victoire ! Et pour cause ! La guerre d’Irak n’est pas terminée. Le départ
d’Abou Ghraib de la 4ème brigade qui a
franchi le 19 août la frontière du Koweït
constitue-t-il un tournant ? La réponse
n’est pas évidente.
dominé par les chiites. Mais ils comprirent que ce pouvoir serait alors contrôlé
par l’Iran. Washington se voyait donc
confronté aux sunnites mais aussi, dans
une large mesure, aux chiites. Dans le
même temps, ces deux communautés
s’affrontaient par le biais d’attentats
meurtriers. De 2003 à 2007, l’Amérique
n’a pas fait la guerre en Irak, elle y a rencontré le chaos.
L’invasion de l’Irak avait trois buts :
détruire l’armée de Saddam, renverser
son régime, mettre en place un gouvernement ami. Les deux premiers objectifs
ont été vite atteints. Près de huit ans
plus tard, toutefois, l’Irak a eu beaucoup
de mal à désigner un gouvernement ;
cette incapacité équivaut à un échec
stratégique majeur.
La faute commise lors de cette invasion
n’est pas d’ordre militaire mais politique. Les Etats-Unis savaient combien la
communauté chiite était hostile au Baas
tout en étant influencée par l’Iran.
Cependant, la décision d’abattre le régime de Saddam plaçait la communauté
sunnite dans une situation impossible,
entre une armée américaine hostile et
des chiites qui l’étaient tout autant. D’où
l’insurrection sunnite, soutenue par des
étrangers, menée à la fois contre l’envahisseur américain et l’adversaire chiite !
Face à des sunnites désespérés, les
Etats-Unis pouvaient imaginer un Irak
Le retournement
Surviennent alors deux surprises. En 2006,
on croit le président Bush affaibli, on le dit
prêt à ordonner le retrait des troupes. Il fait
le contraire. C’est le « surge » ! Les renforts
ne sont pas si nombreux. Ils mettent du
temps à arriver. Ils prennent pourtant
tout le monde à contre-pied, Iran compris. George W. Bush désigne un officier
de qualité. Celui-ci propose une stratégie. Impossible, pense le général
Petraeus, de se battre contre tout le
monde ; il faut un allié. Ce sera la communauté sunnite. Pour deux raisons :
les chefs de tribus ne supportent plus
les djihadistes étrangers, ils redoutent
le moment où les Américains laisseront
leur communauté à la merci des chiites.
Ces faits, joints à quelques prébendes,
renversent la situation. Les chiites se
retrouvent sur la défensive face aux
milices sunnites créées pour appuyer
les troupes US.
Petraeus stabilise la situation mais sans
gagner la guerre. L’Irak peine à se trouver un gouvernement. Les élections de
2010 n’ont pas dégagé une majorité.
Avec une équipe d’irresponsables, sans
mandat ni représentativité, le pays,
miné par son confessionnalisme, ne
peut rebâtir une armée, indispensable
pour équilibrer l’Iran, pas même une
police sérieuse.
Or Washington doit résoudre une question stratégique essentielle. Une fois les
Etats-Unis partis d’Irak, l’Iran sera la première puissance militaire du Golfe, produit catastrophique d’une stratégie américaine inepte. A l’inverse, un Irak fort est
une hantise pour l’Iran. Téhéran doit disposer à Bagdad d’un gouvernement dont
il soit sûr ; l’Iran ne peut en imposer un
aux Irakiens mais il a les moyens d’empêcher l’avènement à Bagdad d’une
équipe qui lui déplairait.
Causer avec Téhéran !
Avec 50 000 hommes, et pendant un peu
plus d’un an, les Etats-Unis vont disposer
en Irak de capacités suffisantes pour y
intervenir puissamment. En attendant de
nouveaux allègements d’effectifs ! Le
jour, alors, pourrait venir où des milices
chiites, éventuellement soutenues par
l’Iran, se sentiront capables d’affronter
leurs rivaux par les armes.
Pour l’éviter, deux solutions : une nouvelle politique américaine qui verrait
Washington convenir avec Téhéran des
conditions d’une stabilisation de l’Irak
ou bien la guerre ! Mais assaillir l’Iran
pour se sortir d’Irak serait une nouvelle
erreur. Envahir un pays montagneux de
80 millions d’habitants est inimaginable.
Le s 7 r e n d e z - vo u s
Des bombardements souderaient les 65
Iraniens autour d’un pouvoir que, pourtant, ils apprécient peu. Des frappes,
éventuellement israéliennes, contre ses
installations nucléaires n’empêcheraient
pas Téhéran de toujours contrôler
Bagdad.
S’entendre avec l’Iran est la seule issue.
Beaucoup à Washington y verraient un
échec grave. Ce n’est pas sûr. Pour l’heure, la stabilité relative de l’Irak devrait
permettre la définition d’un compromis
entre Bagdad, Téhéran et Washington.
Hélas, aux Etats-Unis, les deux dernières
administrations n’ont pas révélé de personnalité politique à la hauteur du talentueux général Petraeus, au beau nom
d’empereur romain !
NOVEMBRE-DECEMBRE N° 148
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Ec onom i e & Défens e
Philippe Pelé Clamour*
Patrick Rassat* AA 43
A A 59
[email protected]
Le retour de la toge...
« À l’origine, c’est sous le consulat qu’un décret
impose aux enseignants juristes de porter
un costume semblable à celui des professeurs
docteurs en médecine. Plus tard, ni les monarchistes, ni les républicains, ne firent de modification jusqu’à aujourd’hui.
Cet uniforme était assez proche de celui
porté, à Paris notamment, sous l’Ancien
Régime. Il s’agissait d’une robe ample et
rouge aux grandes manches à revers de
soie noir » (1).
Tradition et modernité
Mi-juin sur le campus d’HEC, le cortège
du corps professoral au grand complet
entre en robe rouge et noir devant un
partenaire d’invités pour prendre place
sur la tribune dressée devant le hall
d’honneur. Dans quelques instants, les
diplômés qui ont revêtu la toge vont
faire leur entrée pour leur commencement day. Fin mars, dans le grand
amphithéâtre de la Sorbonne, c’était au
tour des nouveaux docteurs de
l’Université de Paris Descartes de se
voir remettre dans une cérémonie solennelle leur titre qui clôture un cycle de 8
années d’étude. Face à eux, leurs pro-
Le s 7 r e n d e z - vo u s
66 fesseurs, également en robe universitaire, rouge écarlate, groseille, saumon,
jaune ou violet, selon la discipline représentée, lettres, sciences, médecine,
droit, pharmacie.
Abandonnée après mai 1968, la cérémonie officielle de remise des diplômes
revient au goût du jour dans nos universités et nos grandes écoles. Les doc-
teurs de l’Université Paris VI (Pierre et
Marie Curie) l’ont expérimentée dès
2006, Paris II (Phanthéon-Assas) en
2007 pour la remise de ces masters,
sans oublier le CNAM (2). Il ne s’agit pas
d’un phénomène typiquement parisien
mais national (Lille, Lyon, Clermont,
Marseille, Toulouse, Bordeaux…). En
définitive, le retour à cette tradition
semble pour beaucoup inspiré des universités américaines. Mais il n’en est
rien, il s'agit de renouer avec les fastes
d’une tradition multiséculaire : "Nous
nous reconnaissons une filiation avec ce
XIIIe siècle où naît l'Université de Paris,
où tout ce décorum prend naissance, le
titre de docteur, les fastes, les robes"
souligne Axel Kahn, président de
l'Université Paris Descartes.
En Europe aussi…
À Padoue en Italie, à l’occasion de l’ouverture universitaire, les professeurs
revêtent chaque année leur toge, marquée aux couleurs de leur discipline.
Chez nos voisins Belge, les étudiants de
plusieurs universités forment une procession en grande tenue. En Angleterre,
ces rites font partie de la vie des grandes
universités tel qu’à Oxford. Au Baffiol
college, la cérémonie dite de matriculation, qui intronise chaque nouvel étudiant, en est un exemple. Chaque nouvel
arrivant doit porter sa toge, son chapeau
carré, une chemise blanche sur un costume noir et un nœud noir autour du cou
pour être officiellement enregistré dans
les registres de l'université. Ce n'est qu'à la
fin de ses études, au
moment de la remise
des diplômes que
l'étudiant aura droit à
une cérémonie célébrée en grande pompe
au sein de la Radcliffe
Camera par des professeurs en toges dorées, hermine et toque
à pompon, sceptre à la main, dans la
grande tradition des universités britanniques. Plus simplement, l’Université
d’état de Saint Petersbourg accorde la
même importance à ce rituel.
Finalement, on le voit, cette tradition
reste bien ancrée. La question n’est pas
uniquement le début ou la fin d’un cycle
mais bel et bien un sentiment d’appartenance. Nous associons plus facilement le
port de la robe à des professions solennelles comme les magistrats et les avocats dont la mission est de rendre et
défendre la justice. Mais dans le fond, il
s’agit d’incarner une fonction, à l’instar
du port de l’uniforme de nos camarades
militaires, préfets, commissaires de police ou encore de la blouse blanche du
médecin. S’il n’est plus question aujourd’hui d’enseigner en robe, c’est en toge
que le doctorant va soutenir sa thèse
devant un jury lui-même en robe. C’est
aussi le reflet de la recherche de l’égalité
des traitements car il transcende les différences sociales pour placer tous les
professeurs et les diplômés derrière un
uniforme commun. Lorsque l’enseignant
s’exprime, c’est tout un corps qui est à
ses côtés, quel qu’il soit.
(1) Neveu Bruno, Le costume universitaire français : règles et usage, La Revue Administrative;
1996. Voir également l’article de Mestre Achille,
« la Robe » ; Études et étudiants ; Paris, Dalloz ;
1928 ; p. 109.
(2) Conservatoire national des arts et métiers.
Prochain numéro Janvier / Février 2011
Grand entretien : Patrick Boissier
président de DCNS
Le grand dossier du N°149 sera consacré
à la sécurité dans la région sahélienne
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The European – Security and Defence Union
A product of the Pro Press Publishing Group, Berlin, edited and published by Hartmut Bühl, Brussels
ZINE
THE QUARTERLY MAGA
CE COMMUNITY
FEN
DE
Y AND
FOR EUROPE’S SECURIT
The Common Security and Defence Policy (CSDP) is of
outstanding importance for the development of Europe, and the European Union has significant influence
on the world’s security.
Europe has demonstrated that it has the political, civil and military capabilities for the settlement of conflicts. The European Union stands alongside the United Nations in Africa as a partner for peace. It works
together with the North Atlantic Treaty Organisation
(NATO) and is developing close relations with the
United States and Russia as the other two major
powers in the transatlantic region.
Thus the EU has become an important player in
global security, in particular in the fields of peacekeeping and humanitarian support. In order to develop the more robust forces needed to achieve the objectives of the European Security Strategy, new structures
are needed. This magazine offers a platform for discussion to the security and defence industries that make a vital contribution to the CSDP.
The magazine, with a current circulation of 8.100, is published by the ProPress Publishing Group Berlin. Hartmut Bühl, correspondent for the Behörden Spiegel and
Head of its Brussels office, aims as the Editor in Chief of thus magazine to make it
a forum for discussion on CSDP issues at political and strategic level.
Authors of 8th issue No 3/2010
“The Transatlantic Defence Equipment Market –
a European point of view”
Axel Fischer MP, Berlin
Chairman of the Technical and Aerospace
Committee, ESDA/ Assembly
of the Western European Union, Paris
“Haiti: What lessons to learn”
Ambassador Shirley Skerritt-Andrew
Embassies of the Eastern Caribbean
States and Missions to the European
Union
“Checks and balances in Brussels – the new role
and influence of the European Parliament in the
European Union”
The Pro Press Publishing Group also hosts Europe’s three most important annual
conferences on Security and Defence: the “European Congress on Disaster
Management”, the “European Police Congress” and the “Congress on European
Security and Defence”, concerning both military and civil issues. In recent years
those conferences have become a platform for community-building among participants from 70 states.
Martin Schulz MEP
Leader of the Group of the Progressive Alliance of Socialists and
Democrats in the European
Parliament, Brussels/Strasbourg
Further information on www.euro-defence.eu (”The European”)
Subscription order: By Fax to +49(0)228 9709738
Karin Dornbusch · Advertising Manager · Phone: +49(0)228 9 70 97 40, E-Mail: [email protected]
Quarterly, including postage and delivery (four issues):
International subscription
88,- Euro
Company:
Subscription EU 56,- Euro
VAT no.:
Address (Street, Zip-Code, Town, Country):
Phone:
Fax:
E-Mail:
Date, Signature:
Mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité et immatriculée au Registre National des Mutuelles sous le n° 503 380 081.
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