Revue de littérature comparée

Transcription

Revue de littérature comparée
352
octobre
Préface, par Daniel-Henri Pageaux
Glyn Hambrook
“Quoiqu’elle ne pousse ni grands
gestes ni grands cris . . .”:
comparative literature in Great Britain
Álvaro Manuel Machado
La littérature comparée au Portugal :
origines et évolution théorique
Montserrat Cots
Littérature Comparée en Espagne :
hier et aujourd’hui
Paolo Proietti
La littérature comparée en Italie
Tone Smolej
Brève histoire de la littérature
comparée en Slovénie (1925-2015)
Comparatismes
à travers le monde I
Études critiques
Véronique Gély
Comparaison et comparatismes :
regards actuels
ISBN : 978-2-252-03933-5
ISSN 0035-1466
octobre-décembre 2014
sommaire
Thomas Hunkeler
La littérature comparée en Suisse,
entre diversité et éclatement
Revue de littérature comparée
Geert Lernout
Comparative Literature
in the Low Countries
Christiane Solte-Gresser
La littérature comparée dans les pays
germanophones : Histoire, état actuel
et perspectives
4
Revue
de littérature comparée
DIDIER ÉRUDITION
-
décembre
2014
Revue de
littérature comparée
4-2014
LC
352
octobre - décembre 2014
Quatre-vingt-huitième année
Directeurs : P. Brunel, Véronique Gély
et D.-H. Pageaux
Directeurs (1921 à 1999) : F. Baldensperger,
P. Hazard, J.-M. Carré, M. Bataillon, J. Voisine,
P. Brunel
Klincksieck • 95, boulevard Raspail • 75006 Paris
Sommaire
Comparatismes à travers le monde I
Préface, par Daniel-Henri Pageaux
387
Articles
Glyn Hambrook •
“Quoiqu’elle ne pousse ni grands gestes ni grands cris . . .”: comparative literature in Great Britain
393
Geert Lernout •
Comparative Literature in the Low Countries
409
Christiane Solte-Gresser •
La littérature comparée dans les pays germanophones : Histoire, état
actuel et perspectives
419
Álvaro Manuel Machado •
La littérature comparée au Portugal : origines et évolution théorique
435
Montserrat Cots •
Littérature Comparée en Espagne : hier et aujourd’hui
445
Paolo Proietti •
La littérature comparée en Italie
455
Thomas Hunkeler •
La littérature comparée en Suisse, entre diversité et éclatement
467
Tone Smolej •
Brève histoire de la littérature comparée en Slovénie (1925-2015)
475
Études critiques
Véronique Gély •
Comparaison et comparatismes : regards actuels
489
Lionello Sozzi (1930-2014), par Daniela Dalla Valle
503
Résumés505
Abstracts 507
Table annuelle 2014
509
La littérature comparée en Suisse,
entre diversité et éclatement
« la Suisse n’existe pas »
Ben Vautier
On serait tenté de placer cet état des lieux de la littérature comparée en
Suisse sous le signe du fameux slogan qui ornait le pavillon helvétique en
1992, lors de l’exposition universelle de Séville. En effet, que ce soit en raison du caractère fédéraliste du pays où l’éducation, même au niveau tertiaire,
n’est pas nationale mais cantonale ; à cause de la faible place institutionnelle
­qu’occupe la littérature comparée dans les universités (on y reviendra) ; ou
encore, à la suite des différentes traditions académiques, allemande et française notamment, mais plus récemment aussi anglo-saxonne, qui ont influencé
l’idée qu’on se fait de la discipline (si tant est qu’on puisse encore utiliser cette
notion), il paraît difficile de concevoir la littérature comparée suisse en termes
d’un paysage structuré. Comment faire, dans de telles conditions, pour éviter
de tomber d’emblée dans la simple énumération des centres et instituts, des
enseignants, des projets de recherche récents, des revues spécialisées et des
publications à caractère (plus ou moins) comparatiste ?
Peut-être vaut-il mieux commencer par réfléchir sur cet apparent paradoxe qui veut que la littérature comparée fasse figure de parent pauvre dans
une Suisse pourtant plurilingue et multiculturelle. Par rapport à celle des
pays voisins, la situation institutionnelle de la littérature comparée helvétique paraît en effet précaire, puisqu’on dénombre, en tout et pour tout, une
seule chaire stable, entièrement consacrée à la littérature comparée, dans
tout le pays : celle du Centre de recherche en langues et littératures européennes comparées (CLE) à Lausanne. À côté de ce dernier, on peut certes
mentionner la section de littérature générale et comparée à Zurich, dotée
d’une excellente bibliothèque, mais qui ne dispose actuellement, en dépit
de son histoire prestigieuse, que d’une chaire de professeur assistant (avec
prétitularisation conditionnelle). D’autres universités suisses ont encore
moins de moyens et de postes d’enseignants, le plus souvent uniquement
au niveau de collaborateur scientifique. Dans ces conditions, et pour assurer
une offre suffisante en littérature comparée, quasiment toutes les universiRevue
de Littérature comparée
4-2014
Thomas Hunkeler
tés suisses sont obligées de se reposer sur les représentants des philologies
dites nationales (français, allemand, anglais, italien, espagnol, slavistique,
latin et grec, plus rarement d’autres langues) qui consacrent une partie de
leur enseignement à la littérature comparée.
L’un des arguments qu’on avance habituellement pour expliquer la faible
implantation institutionnelle de la littérature comparée en Suisse réside,
justement, dans cet usage de la « double casquette » pratiquée de plus en
plus fréquemment par des enseignants travaillant pour des universités sous
pression financière 1. En effet, si la plupart des enseignants des littératures
nationales s’ouvrent aujourd’hui pour ainsi dire « naturellement » au dialogue interculturel, à l’étude comparative et à la théorie littéraire, ne suffit-il
pas de mettre leurs forces en commun pour assurer une offre en littérature
comparée ? Le manque d’un profil spécifique et d’une véritable cohérence
du programme d’études, qui résulte habituellement d’une telle mise en
commun plus ou moins coordonnée, se trouve alors adroitement camouflé
sous une offre apparemment très riche, puisque celle-ci puise à toutes les
sources disponibles. À force d’être partout, le comparatisme risque pourtant
de ne se retrouver nulle part.
Il y a d’autres raisons qui expliquent la faible position institutionnelle de
la littérature comparée en Suisse. Curieusement, c’est le plurilinguisme qui
règne dans l’enseignement universitaire des lettres — en Suisse, les littératures étrangères sont habituellement enseignées dans la langue-cible
— et la méfiance, voire le mépris concomitants envers la traduction, qui
rendent l’analyse comparative de fait difficile dès qu’elle touche à des littératures rédigées dans une langue qu’on ne maîtrise pas à un niveau élevé (au
moins C1). Dans une telle situation, le comparatisme se trouve confronté au
choix, soit d’un élitisme plurilingue, soit d’un monolinguisme mal assumé et
mal vu, soit encore — et c’est souvent le cas — à des constellations ad hoc,
dues aux biographies de chercheurs plurilingues. En effet, ce sont souvent
des histoires de vies plurilingues qui expliquent la vocation comparatiste,
mais qui la restreignent en même temps à une analyse confrontant deux
cultures données. Pour sortir de cette impasse et donner un fondement
méthodologique commun à la discipline, la littérature comparée suisse s’est
tournée, comme d’ailleurs dans d’autres pays, vers la théorie littéraire, se
transformant ainsi, dans la plupart des universités, en « littérature générale
et ­comparée », voire en « études culturelles ». Or, on a pu observer récemment un certain fléchissement de l’intérêt pour des questions d’ordre théorique, qui risque à terme — notamment dans un pays plurilingue comme la
Suisse — de remettre en question l’idée d’une base disciplinaire commune.
*
1. L’auteur du présent état des lieux étant lui-même dans ce cas, le lecteur comprendra
aisément qu’il ne s’agit pas ici de discréditer l’important travail, souvent supplémentaire, fourni par ces enseignants, mais de pointer un malaise structurel qui touche la
littérature comparée en tant que discipline.
468
La littérature comparée en Suisse
Actuellement, on peut identifier trois modalités selon lesquelles la littérature comparée — on maintiendra ici ce terme pour des raisons de lisibilité — est enseignée en Suisse, le plus souvent au seul niveau du Master 2. Il y
a tout d’abord le modèle, déjà mentionné, qui repose sur la mise en commun
d’enseignements provenant des philologies nationales, avec parfois des
enseignements plus spécifiquement comparatistes assurés par des chargés de cours et/ou des collaborateurs scientifiques stabilisés, mais sans
chaire professorale. C’est là le modèle pratiqué par les universités de Bâle,
de Fribourg, de Genève et de Neuchâtel. Cette dernière a d’ailleurs créé en
2008 un centre intitulé Maison des Littératures, qui organise des cycles de
conférences à caractère comparatiste et des lectures d’écrivains.
Seules les universités de Lausanne et de Zurich disposent de véritables
centres de recherche institutionnalisés avec une chaire professorale en littérature comparée. Le centre de recherche de Lausanne, dirigé par la professeure Ute Heidmann, offre notamment une formation en « Langues et
Littératures européennes comparées » sous la forme d’un programme de
spécialisation au niveau du Master ès Lettres 3. À Zurich, la section de littérature générale et comparée, dirigée par le professeur Sandro Zanetti, offre
quant à elle des formations en branche secondaire aux niveaux à la fois de
Bachelor (licence) et Master.
Enfin, il y a le cas particulier de l’université de Berne qui a développé,
au niveau du Master, un programme de « Littérature mondiale » (World
Literature) piloté par le Centre d’études culturelles, qui dispose notamment
d’une chaire de théorie littéraire (professeur Thomas Claviez). En 2014,
l’université a en outre créé la chaire de littérature mondiale « Friedrich
Dürrenmatt », dans le cadre de laquelle elle invite chaque semestre un
auteur international.
Au niveau du doctorat, il existe depuis 2012 une école doctorale
commune, qui a remplacé le groupe interuniversitaire de l’Association Suisse
de Littérature Générale et Comparée dont il sera question plus loin. Plusieurs
rencontres et ateliers ont déjà eu lieu, consacrés entre autres à la situation de la littérature comparée en Suisse, à la question des relations entre
­comparatisme et interdisciplinarité ou encore à une relecture du célèbre
Mimesis d’Erich Auerbach. Il suffit toutefois de regarder la liste des exposés pour se rendre compte de la difficulté d’organiser des rencontres dans
le cadre d’une littérature comparée qui est plurilingue non seulement au
niveau de ses objets, mais aussi du discours critique. La solution pragmatique habituellement adoptée dans ce genre de situation — chacun parle
sa langue, pourvu que ce soit l’allemand, le français ou l’anglais — atteint
rapidement ses limites 4. Manifestement, la capacité — ou la motivation ? —
2. Seules les universités de Genève et Zurich offrent des programmes complets de littérature comparée également au niveau Bachelor (licence).
3. Dans un domaine voisin, l’Université de Lausanne dispose également d’un Centre de
traduction littéraire, dirigé par la professeure Irene Weber Henking.
4. Tout en marginalisant les deux autres langues nationales helvétiques, l’italien et le
rhéto-romanche.
469
Thomas Hunkeler
d’écouter un exposé dans une langue autre que la langue maternelle ne vont
plus de soi, même dans le cadre d’une école doctorale.
*
Si l’Association Suisse de Littérature Générale et Comparée (ASLGC), qui
existe depuis 1977, connaît parfois des problèmes semblables, elle a cependant su préserver un certain équilibre entre les langues, en particulier le
français et l’allemand, lors de ses colloques annuels et dans ses publications. L’ASLGC publie depuis 1985 la revue Colloquium Helveticum. Cahiers
suisses de littérature générale et comparée, selon un rythme bisannuel
jusqu’en 1999, et annuel depuis 2000 5. Cette revue publie les actes des colloques internationaux organisés annuellement par l’association, et qui ont
lieu à tour de rôle dans les universités membres. Les sujets des dernières
années étaient les suivants : « Poétique et rhétorique du barbare » (2014,
Genève) ; « Primitivisme et intermédialité » (2013, Bâle) ; « La littérature et
son jeu » (2012, Berne) ; « Au-delà des Sciences expérimentales » (2011,
Lausanne) ; « Autorité et modernité » (2010, Fribourg) ; « Problèmes de la
théorie des genres littéraires » (Bâle, 2009). Au niveau national, l’ASLGC participe en tant que membre de l’Académie Suisse des Sciences Humaines et
Sociales à un large réseau de sociétés savantes, tandis qu’au niveau international, l’ASLGC est membre de l’Association internationale de littérature comparée (AILC).
Outre le Colloquium Helveticum, plusieurs autres revues éditées en
Suisse ont une orientation comparatiste : la revue trilingue Variations,
publiée depuis 1998 par une équipe de jeunes chercheurs de l’université de
Zurich aux éditions Peter Lang (Berne) 6, et la revue figurationen, dirigée par
Barbara Naumann et consacrée à une approche interdisciplinaire dans les
domaines de la culture, de la littérature et du genre 7, et affiliée depuis 2013
à l’Association Suisse de Sémiotique et de Théorie de la Culture (ASSC).
*
En dehors des périodiques que l’on vient de mentionner, il y a toute une
série de publications et de travaux de recherche récents dans le domaine
de la littérature comparée en Suisse qu’il vaut la peine de signaler ici. Les
travaux récents du Centre de recherche en langues et littératures européennes
comparées de Lausanne tournent autour de la réécriture et de la « compa-
5. La revue a paru aux éditions Peter Lang (Berne) jusqu’en 1999, puis auprès de Academic
Press (Fribourg) jusqu’en 2012. Le titre paraîtra prochainement aux éditions Aisthesis
(Bielefeld). La plupart des numéros parus avant 2000 peuvent être téléchargés sans
frais à l’adresse suivante : <https://home.zhaw.ch/~muro/CH/CH.htm#Uebersicht>.
6. 21 numéros thématiques parus depuis 1998 ; voir <http://www.variations.uzh.ch/
archive.html>.
7. 29 numéros thématiques parus depuis 1999 ; voir <http://www.figurationen.ch/hefte/>.
470
La littérature comparée en Suisse
raison différentielle » 8 des mythes, de Poétiques comparées des mythes. De
l’Antiquité à la Modernité (Payot, 2003) à Mythes (re)configurés. Création, dialogues, analyses (Collection du CLE, 2013). À ces deux ouvrages collectifs
s’ajoutent un numéro de la revue Études de Lettres (1-2, 2005), consacré aux
Sciences du texte et analyse du discours dans une perspective interdisciplinaire et plus particulièrement comparatiste, ainsi qu’un volume rédigé par
Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, Le texte littéraire. Pour une approche
interdisciplinaire (Academia Bruylant, 2009). Les mêmes auteurs signent
aussi un ouvrage consacré aux contes européens, Textualité et intertextualité
des contes. Perrault, Apulée, La Fontaine, Lhéritier… (Garnier, 2010).
Les recherches actuelles de la section de littérature générale et comparée de Zurich portent en priorité sur l’esthétique de la production, sur
l’invention littéraire et l’improvisation, sur le plurilinguisme en littérature,
notamment dans la poésie suisse, ainsi que sur la relation entre la littérature et les arts. Parmi les publications récentes, on citera l’anthologie
commentée que Sandro Zanetti a consacrée à l’écriture comme technique
culturelle (Schreiben als Kulturtechnik, Suhrkamp, 2012), ainsi que son
ouvrage sur la poétique des œuvres tardives (Avantgardismus der Greise ?,
Fink, 2012) ; un livre de Charles de Roche sur la monadologie du poème chez
Benjamin, Heidegger et Celan (Monadologie des Gedichts, Fink, 2012), ainsi
qu’un ouvrage collectif dirigé par Christoph Zollikofer et Marco Baschera,
Klon statt Person. Individualität im 21. Jahrhundert (Zürcher Hochschulforum,
2011). Dans ce contexte, il faut également mentionner les travaux d’Elisabeth Bronfen, comme par exemple son histoire culturelle de la nuit (Tiefer
als der Tag gedacht. Eine Kulturgeschichte der Nacht, Hanser, 2008), ainsi que
ceux de Barbara Naumann, avec notamment un projet de recherche sur les
« Figurations de l’élu dans la littérature européenne ».
S’il est évidemment impossible d’énumérer ici tous les travaux de
recherche, les publications et les thèses de doctorat à caractère comparatiste rédigés en Suisse, il paraît néanmoins utile de mentionner pour
chaque université quelques travaux récents pour donner une idée, même
incomplète, de la très grande variété des recherches actuellement menées
dans ce domaine.
À l’université bilingue de Fribourg, l’Institut de littérature générale et comparée a publié plusieurs volumes d’actes : Vergleichen ? Comparer ? (LIT-Verlag,
2011), consacré à la pratique de la comparaison dans les sciences ; Tertium
datur ! (LIT-Verlag, 2014), portant sur les formes d’hybridité interculturelle, tous
les deux sous la direction de Sabine Haupt, ainsi que Terrorism and Narrative
Pratice (LIT-Verlag, 2011), édité par Thomas Austenfeld, Dimiter Daphinoff
et Jens Herlth. Parmi les travaux de recherche comparatistes actuellement
menés à Fribourg, on peut mentionner des projets sur « L’Allemagne selon
Xavier Marmier et Ludwig Uhland. Les Romantiques allemands comme insti-
8. Notion développée par Ute Heidmann dans ses travaux, voir p. ex. « La comparaison
différentielle comme approche littéraire », dans Vincent Jouve (dir.), Nouveaux regards
sur le texte littéraire, EPURE, 2013, p. 203-222.
471
Thomas Hunkeler
gateurs des mythes et images de l’Allemagne en France » (dir. Sabine Haupt),
sur « La notion d’individu en Chine et en Europe francophone » (dir. Michel
Viegnes), sur les « Paradoxes nationalistes des avant-gardes européennes »
(dir. Thomas Hunkeler) et sur les « Cultures de la guerre froide » (dir. Siegfried
Weichlein, Elisabeth Bronfen/Zurich et Thomas Hunkeler).
La recherche comparatiste bâloise se caractérise de façon générale par
son intérêt pour l’histoire culturelle. Dans le cadre du pôle de recherche
national « eikones », qui étudie dans une perspective interdisciplinaire le
pouvoir et la signification des images, plusieurs travaux en cours s’intéressent à l’interaction entre les arts et les divers médias, par exemple le projet « Aspects visuels de l’opéra baroque » (dir. Nicola Gess) ou « Esthétique
intermédiale. Jeu — rituel — performance » (dir. Alexander Honold). D’autres
projets à forte dimension comparatiste portent sur les « Cultures de la narration » (dir. A. Honold), sur la « Poétique et esthétique de l’étonnement »
(dir. Nicola Gess), sur les « Topographies culturelles » (dir. Ina Habermann)
ou encore sur l’interaction entre littérature et sciences, à l’image du projet
« Biolographes : création littéraire et savoirs biologiques au XIXe siècle » (dir.
Hugues Marchal).
À Berne, on pratique entre autres une approche comparatiste de la
littérature de voyage, avec un projet sur les « Écrivains étrangers dans
­l’Allemagne nazie » (dir. Oliver Lubrich) et un projet interdisciplinaire sur
les « Affects des chercheurs », à l’intersection de la littérature de voyage,
de l’ethnologie et de la primatologie (dir. O. Lubrich). D’autres projets comparatistes actuels portent sur les « Poétiques et politiques cosmopolites »
(dir. Virginia Richter), sur la « Théorie et pratique de l’authenticité dans la
pratique culturelle globale » (dir. Thomas Claviez) ou encore sur « Genre et
nation dans les littératures tchèque et polonaise de la seconde moitié du
XIXe siècle » (Corinne Fournier). De cette dernière, on mentionnera aussi
­l’ouvrage La ville européenne dans la littérature fantastique du tournant du
siècle (L’Âge d’Homme, 2007), couronné en 2009 par le Prix européen du
Grand prix de l’Imaginaire.
La Maison des littératures de Neuchâtel connaît également une orientation interdisciplinaire marquée, notamment dans une perspective historique. On citera ici les colloques organisés en 2013 sur « Les savoirs des
“barbares”, des “primitifs” et des “sauvages” dans les savoirs francophones
des XVIIIe et XIXe siècles », et en 2014 sur « “La bêtise des yeux”. Illusions
des sens et épistémologie visuelle au XVIIIe siècle ». Parmi les publications
récentes à caractère comparatiste, il faut mentionner La pensée sans abri.
Non-savoir et littérature, édité par Muriel Pic, Barbara Selmeci Castioni et
Jean-Pierre van Elslande (Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2012), Penser
l’ordre naturel, 1680-1810, édité par Nathalie Vuillemin et Adrien Paschoud,
ou encore L’étranger intime. Les traductions françaises de l’œuvre de Paul Celan
d’Evelyn Dueck (De Gruyter, 2014). Plusieurs projets de recherche actuels
comportent une dimension comparatiste, par exemple « Littérature et géologie après le romantisme » (dir. Peter Schnyder) et « Le savoir incertain de
la littérature. Nature, droit, esthétique » (dir. P. Schnyder, Hans-Georg von
Arburg/Lausanne, Maximilian Bergengruen/Karlsruhe).
472
La littérature comparée en Suisse
Enfin, l’université de Genève est également très active dans le domaine
de la littérature comparée. À titre d’exemples récents, on citera deux projets
de recherche, l’un consacré au « Barbarisme : histoire d’un concept européen fondamental et de ses manifestations littéraires du XVIIIe siècle jusqu’à
l’ère contemporaine » (dir. Markus Winkler), l’autre aux « Dynamiques affectives et émotions esthétiques » (dir. Patrizia Lombardo) et mené dans le
cadre du pôle de recherche national sur les « sciences affectives ». Parmi
les publications récentes à caractère comparatiste, il faut mentionner l’ouvrage de David Spurr, Architecture and Modern Literature (Ann Arbor, 2012),
couronné par le prix d’études littéraires comparées de la MLA, ainsi que
l’essai que Jérôme David a consacré à la notion de « littérature mondiale »
sous le titre Spectres de Goethe. Les métamorphoses de la littérature mondiale
(Les Prairies ordinaires, 2011). Ce dernier ouvrage a reçu en 2012 le prix de
l’essai de l’Institut National Genevois.
*
Il n’est pas facile, sur la base de ce qui précède, de tirer un bilan sur l’état
présent de la littérature comparée en Suisse. Comme on a essayé de le montrer, la situation est passablement contradictoire. D’une part, on constate
un peu partout la volonté de dépasser les frontières trop étroites des littératures dites nationales, que ce soit en direction d’autres arts, d’autres pratiques culturelles, de questions de théorie littéraire ou de problématiques
plus spécifiquement comparatistes. Mais d’autre part, ces travaux se font,
de plus en plus, hors de la littérature comparée en tant que discipline, peutêtre parce que la situation plurilingue — ou pluri-monolingue ? — de la
Suisse encourage moins une réflexion commune sur l’interaction culturelle,
qu’une juxtaposition plus ou moins heureuse d’analyses faites le plus souvent à partir de la culture (académique) respective.
On dit parfois, sous forme de boutade, que les Suisses s’entendent bien
parce qu’ils ne se comprennent pas. C’est un peu, malheureusement, ce qui
semble se confirmer quand on regarde le paysage actuel de la littérature
comparée en Suisse. Mais il y a aussi des perspectives plus réjouissantes, à
commencer par les collaborations nationales qui se sont intensifiées, depuis
quelque temps, au niveau de la formation doctorale. En Suisse peut-être
plus qu’ailleurs, la littérature comparée en tant que discipline ne peut être
que plurilingue ; ce qui signifie en même temps qu’elle ne peut se caler simplement sur le modèle de ses pays voisins. Que chaque centre, que chaque
région linguistique du pays ait ses intérêts propres, ses méthodes, ses
débats et ses traditions : soit. Mais il ne faut pas que cette diversité se pratique au détriment d’un échange régulier au niveau national, ni d’ailleurs
au niveau international. La littérature comparée se conçoit comme le lieu
où l’on apprend, par le travail de la comparaison, à tirer un profit intellectuel non seulement des différences entre les langues, les littératures et les
473
Thomas Hunkeler
cultures, mais aussi et peut-être a fortiori de tout ce qui fait obstacle à une
compréhension (trop) rapide. Il serait vraiment dommage qu’une telle entreprise échoue au niveau de la Suisse, au moment même où la discipline est
confrontée aux enjeux de sa mondialisation.
Thomas HUNKELER
Université de Fribourg
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octobre
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“Quoiqu’elle ne pousse ni grands
gestes ni grands cris . . .”:
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Álvaro Manuel Machado
La littérature comparée au Portugal :
origines et évolution théorique
Montserrat Cots
Littérature Comparée en Espagne :
hier et aujourd’hui
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La littérature comparée en Italie
Tone Smolej
Brève histoire de la littérature
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Véronique Gély
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ISBN : 978-2-252-03933-5
ISSN 0035-1466
octobre-décembre 2014
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La littérature comparée en Suisse,
entre diversité et éclatement
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germanophones : Histoire, état actuel
et perspectives
4
Revue
de littérature comparée
DIDIER ÉRUDITION
-
décembre
2014