la lettre - claude

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la lettre - claude
Numé r o 43 – Nove mbre 201 1
LA LETTRE
DROIT IMMOBILIER
La Prescription acquisitive en matière
immobilière
Acquérir un bien ou un droit par l’effet d’une possession, tel est le mécanisme prévu
par la prescription acquisitive, autrement appelée « usucapion ».
L’effet, à terme, de ce mécanisme est, l’éviction par le possesseur, du véritable
titulaire du droit, autrement dit, du propriétaire en titre.
DIDIER LEFEBVRE
Avocat au Barreau de Paris
En matière immobilière, la loi exige une possession prolongée du bien pendant un
certain délai pour pouvoir bénéficier de l’usucapion, alors qu’en matière mobilière, la
prescription instantanée est possible.
ARNAUD CLAUDE & ASSOCIES
Société d’Avocats
52, boulevard Malesherbes
75008 - Paris
L’usucapion constitue donc une exception de taille au droit fondamental, de valeur
constitutionnelle, que représente le droit de propriété consacré par la Déclaration
des Droits de l’Homme et de Citoyen de 1789 et présenté comme un « droit
inviolable et sacré ». (CC, 27 décembre 1973, « Taxation d’office » ; Cass. Civ. 1re, 4
janvier 1995).
Il est de principe que la propriété ne s’éteint pas par le non usage (Cass. Civ. 3e, 22
juin 1983), puisqu’il s’agit d’un droit perpétuel et imprescriptible par nature : ainsi,
le propriétaire d’une habitation inoccupée et laissée à l’abandon pendant des années,
en demeure propriétaire.
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Numéro 43 – Novembre 2011
LA LETTRE
Cela étant, la propriété d’un bien immobilier peut se retrouver menacée, par le jeu de l’usucapion, dès lors qu’un tiers
entend manifester (selon certaines conditions) des actes de possession sur ce bien ainsi qu’une intention non
équivoque de se comporter en propriétaire du bien.
La loi permet donc de devenir « propriétaire à la place du propriétaire », par le simple jeu de la possession.
Mais ne devient pas titulaire d’un bien par usucapion qui veut.
Les dispositions du Code Civil relatives à la prescription acquisitive imposent la réunion de plusieurs conditions afin
de pouvoir prétendre au mécanisme de l’usucapion :
-
la possession doit, elle-même, revêtir des caractéristiques particulières pour entrer dans la définition de
l’usucapion (I) ;
-
en matière immobilière, le délai au terme duquel la possession est acquise par prescription, varie en fonction
de la situation du possesseur, de sorte qu’il existe deux types d’usucapion (II).
I. L E S
C AR AC TE R I S TIQ UE S DE LA PO S S E SS I O N
L’article 2261 du Code Civil dispose que « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non
interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ».
Cela étant, les juges du fond ne sont pas tenus de relever l’existence de tous les caractères exigés par la loi pour que la
possession puisse conduire à l’usucapion, en l’absence d’une contestation portant sur chacun d’eux (Cass. Civ. 3e, 22
février 1968).
Quoiqu’il en soit, la jurisprudence précise que la possession utile pour prescrire ne peut s’établir à l’origine que par
des actes d’occupation réelle et se conserve tant que le cours n’en est pas interrompu ou suspendu (Cass. Civ. 3e, 15
mars 1977).
1. Une possession continue
La loi exige donc une certaine continuité dans l’exercice du droit par le possesseur.
Ainsi, la jurisprudence a estimé, s’agissant de la possession d’un fonds immobilier, que cette possession devait être
exercée « dans toutes les occasions comme à tous les moments où elle devait l’être, d’après la nature de la chose
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LA LETTRE
possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes et rendre la possession
discontinue » (Cass. Civ., 11 janvier 1950).
L’appréciation de la continuité de la possession est une question de fait relevant de l’appréciation souveraine des
juges du fond.
2. Une possession ininterrompue
En plus d’être continue, la possession doit être ininterrompue.
Les cas d’interruption de possession peuvent, par exemple, être le fait d’un tiers : le possesseur initial se retrouve
évincé du bénéfice de l’usucapion par le fait que les actes matériels de possession sont accomplis par un autre que lui,
à la condition que ce tiers ait réellement l’intention de se comporter en véritable possesseur.
Par ailleurs, l’article 2271 du Code Civil précise que lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de
la jouissance de ce bien, soit par le propriétaire, soit par un tiers, la prescription acquisitive est interrompue.
Dans ce cas, le possesseur dispose d’un an pour exercer les actions possessoires lui permettant de recouvrer l’exercice
du droit sur la chose : s’il y parvient, sa possession sera réputée avoir été ininterrompue.
A contrario, si la privation de jouissance se maintient pendant plus d’un an sans que l’action possessoire n’ait été
exercée, la possession est alors définitivement interrompue.
3. Une possession paisible
L’usucapion ne bénéficie pas à l’individu qui appréhende par la force un bien afin d’interdire à autrui d’en user.
A ce titre, la jurisprudence est venue préciser que la possession est paisible lorsqu’elle est exempte de violences
matérielles ou morales dans son appréhension et durant son cours (Cass. Civ. 3e, 15 février 1995).
Ainsi, si le possesseur est entré en possession de manière paisible mais qu’il est démontré qu’il se maintient en
possession par la violence, cette violence vicie la possession et lui interdit donc le bénéfice de l’usucapion.
4. Une possession publique
Le mécanisme de l’usucapion s’opère nécessairement au détriment de son titulaire légitime et le propriétaire en titre
du bien doit être en mesure de pouvoir s’opposer à celui qui possède son bien, à son insu.
La possession doit donc être publique et non dissimulée, auquel cas elle serait qualifiée de clandestine.
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LA LETTRE
Selon la jurisprudence, « la possession ne cesse d’être publique pour devenir clandestine que lorsque le possesseur
dissimule les actes matériels de possession qu’il accomplit, aux personnes qui auraient intérêt à les connaître ; le
vice de clandestinité est un vice relatif, dont seule peut se prévaloir la personne à qui la possession a été
dissimulée » (CA Paris, 5 février 1966).
Cela étant, si la possession est publique, mais qu’elle demeure, en pratique, ignorée du titulaire véritable du droit,
celui-ci ne peut prétendre échapper aux conséquences d’une prescription acquisitive accomplie en démontrant son
ignorance (Cass. Civ. 3e, 7 mai 2002).
En matière immobilière, le caractère clandestin de la possession est beaucoup moins fréquent (pour ne pas dire
exceptionnel) qu’en matière mobilière.
Par exemple, la possession d’une cave s’ouvrant dans une cuisine, mais s’étendant sous l’immeuble voisin, a été jugée
clandestine dès l’instant que son existence ne se manifestait que par l’existence d’un soupirail dont la date
d’ouverture était demeurée inconnue (Cass. Civ. 1re, 4 mai 1965).
5. Une possession non équivoque
Le caractère non équivoque de la possession signifie que le possesseur doit manifester sans ambiguïté son intention
de se comporter en propriétaire.
L’équivocité (qui est étrangère à la mauvaise foi) suppose le doute dans l’esprit des tiers mais non dans celui du
possesseur (Cass. Civ. 1re, 13 juin 1963).
A titre d’exemple, la jurisprudence a pu relever que des copropriétaires n’ont pu acquérir par prescription la
propriété de la terrasse surplombant leur appartement, s’il n’est pas relevé d’actes de possession accomplis
personnellement par eux à titre de propriétaires (Cass. Civ. 3e, 25 février 1998).
A contrario, a prescrit la propriété du lot de copropriété, le possesseur qui s’est comporté pendant plus de trente ans
en véritable propriétaire du lot de copropriété et a accompli de façon continue et publique des actes matériels de
possession, à titre de propriétaire, dès lors qu’il a voté aux assemblées générales des copropriétaires en qualité de
propriétaire dudit lot, et acquitté les charges de copropriété (CA Paris, 2e Ch. B, 10 mai 2007).
L’article 2262 du Code Civil vient affiner cette condition est précisant que « les actes de pure faculté et ceux de
simple tolérance, ne peuvent fonder ni possession ni prescription ».
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LA LETTRE
Il n’y a, en effet, dans la tolérance, aucune véritable intention de se comporter en titulaire d’un droit, et ce, peu
important la durée accordée à cette tolérance.
Ainsi, l’occupation pendant trente ans d’une maison construite avec l’autorisation du propriétaire du sol, n’a pu
donner lieu à prescription acquisitive, dans la mesure où ni la nature de l’autorisation donnée aux constructeurs, ni
même le caractère de l’occupation de la parcelle litigieuse, n’étaient précisés (Cass. Civ. 3e, 25 janvier 1989).
II. L E
DE LAI DE PO S S E S S I ON E N M ATI E R E I M M O BI LI ER E
Par principe, le délai de prescription immobilière est de trente ans, si le possesseur n’est pas de bonne foi et n’est pas
muni d’un juste titre (1).
Toutefois, ce délai peut être réduit à dix ans si le possesseur « acquiert de bonne foi » et « par juste titre », selon les
termes de l’article 2272 du Code Civil (2).
1. Le principe : la prescription trentenaire
L’article 2272 alinéa 1er du Code civil dispose que : « Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété
immobilière est de trente ans ».
a. Indifférence de la mauvaise foi du possesseur
Le possesseur est considéré être de mauvaise foi lorsqu’il sait pertinemment ne pas être le titulaire du droit qu’il
exerce. Dans cette hypothèse, le possesseur est un usurpateur et il le sait.
Cela étant, la mauvaise foi du possesseur ne le pénalise aucunement, bien au contraire : le fait que celui qui exerce le
droit sache qu’il n’en est pas le titulaire légitime, ne lui interdit nullement d’en devenir titulaire par usucapion.
L’article 2258 du Code Civil rappelle à ce titre qu’on ne peut opposer, à celui qui invoque le bénéfice de l’usucapion,
« l’exception déduite de la mauvaise foi ».
Concrètement, une personne qui, sans disposer de quelque titre que ce soit, a occupé pendant trente ans un logement
en sachant qu’elle n’en était pas propriétaire, peut, au bout de ces trente ans, en ayant manifesté des actes de
possession sur ce logement selon les critères de possession susvisés, acquérir par la voie de l’usucapion ledit bien, au
détriment du propriétaire en titre.
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LA LETTRE
Par ailleurs, le seul fait pour un locataire d’avoir cessé de payer le loyer au propriétaire ne suffit pas pour intervertir
son titre et lui permettre de revendiquer le bénéfice de la prescription acquisitive (Cass. Civ. 3e, 27 septembre 2006).
b. Indifférence de l’existence d’un juste titre
Pour que la prescription trentenaire soit acquise, la loi n’exige pas d’autre condition que la possession (article 2258
du Code Civil).
Cette possession se suffit donc à elle-même puisqu’elle n’exige pas du possesseur la production d’un titre sur le bien.
Cela est d’autant plus évident que, s’il s’avérait que celui qui souhaite prétendre au bénéfice de l’usucapion disposait
déjà d’un titre établissant qu’il est le titulaire légitime du droit, il n’aurait aucunement besoin que l’usucapion
l’investisse d’un droit qu’il possède déjà.
En réalité, l’indifférence d’un juste titre comme condition pour bénéficier de l’usucapion trentenaire, s’explique de la
manière suivante : la prescription trentenaire permet à celui qui s’est contenté d’exercer un droit, sans jamais
qu’aucun acte ne l’en ait investi, d’en devenir titulaire.
Cela étant, l’existence d’un « juste titre » aura une incidence sur la durée de la possession, puisque dix ans de
possession suffiront pour devenir propriétaire d’un immeuble lorsque le possesseur (de bonne foi) dispose d’un tel
titre.
2. L’exception : l’usucapion par délai abrégé
L’article 2272 alinéa 2 du Code Civil dispose que : « Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un
immeuble en prescrit la propriété par dix ans ».
L’acquisition de bonne foi et par juste titre sont deux conditions cumulatives pour bénéficier de la prescription
abrégée.
a. L’acquisition d’un immeuble par juste titre
L’usucapion par délai abrégé a pour objet unique de pallier l’absence de propriété de l’auteur du possesseur (l’auteur
du possesseur devant s’entendre comme étant la personne avec qui traite le possesseur en vue d’obtenir la propriété
du bien).
Cette usucapion ne s’applique donc pas si le possesseur a acquis le droit sur l’immeuble du véritable propriétaire.
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LA LETTRE
Le « juste titre » s’entend par l’acte juridique qui aurait transféré à l’acquéreur la propriété, s’il était émané du
véritable propriétaire.
Le meilleur exemple de juste titre est la vente : prenons l’exemple d’une personne qui achète un terrain à un vendeur
et pense acquérir ce terrain du véritable propriétaire, alors qu’en réalité, le vendeur n’a jamais été propriétaire dudit
terrain.
Hormis le défaut de droit du vendeur, tout doit s’être passé comme s’il s’était agi d’une véritable transmission du
droit de propriété.
En pratique, le contrat de vente ne pourra transférer la propriété à l’acheteur, tout simplement parce que le vendeur
n’est pas le véritable propriétaire.
Pour autant, dans la mesure où l’acquéreur bénéficie d’un juste titre, mais n’a pu acquérir le bien (faute pour le
vendeur d’en être titulaire), l’acquéreur croira donc en toute bonne foi être propriétaire et agira de la sorte.
C’est la raison pour laquelle, il finira, à terme, par acquérir le droit du véritable propriétaire.
Cependant, l’exigence du juste titre est, à lui seul, insuffisant : l’acquisition doit également être réalisée de bonne foi.
b. L’acquisition de bonne foi d’un immeuble
Le possesseur qui l’invoque doit être de bonne foi afin de pouvoir bénéficier de la prescription abrégée.
La bonne foi, dans ce cas précis, est la croyance du possesseur de traiter avec le véritable propriétaire (Cass. Civ. 3e,
15 juin 2005).
Cette bonne foi repose donc sur une erreur de la part du possesseur (l’erreur sur la qualité de propriétaire de son
auteur) puisque, dans les faits, le possesseur de bonne foi n’a pas conscience qu’il s’est mépris sur la qualité de
propriétaire de la personne avec qui il traite.
Si le possesseur sait que son auteur n’est pas le titulaire des droits qu’il se propose de transmettre ou a le moindre
doute sur les droits de son auteur, il doit être considéré comme étant de mauvaise foi et ne peut donc, par voie de
conséquence, bénéficier de la prescription abrégée.
La bonne foi est donc une croyance pleine et entière, de sorte que la moindre raison de douter exclut l’honnêteté du
possesseur et le rend de mauvaise foi.
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LA LETTRE
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La prescription acquisitive se justifie notamment par un souci de sécurité des transactions, à savoir le désir de
favoriser celui qui s’occupe effectivement du bien.
La prescription trentenaire est cependant quelque peu préjudiciable aussi bien aux tiers qu’au possesseur lui-même,
dans la mesure où elle laisse planer pendant trente ans un doute sur la situation juridique d’un immeuble.
Heureusement, ce doute préjudiciable peut être maîtrisé puisque les règles de la possession (notamment au moyen
de l’usucapion par délai abrégé) ont ainsi permis de privilégier certains acquéreurs.
Ce constat permet de s’interroger sur les raisons pour lesquelles la loi a prévu qu’une personne pourrait devenir
propriétaire d’un bien immobilier au bout de dix ans alors qu’une autre ne pourrait l’être qu’à l’issue d’un délai de
trente ans…
La raison est simple : par le mécanisme de l’usucapion abrégée, le législateur a souhaité que le possesseur de bonne
foi et justifiant d’un juste titre ne reste pas dans une éternelle incertitude.
Ce possesseur issu de l’usucapion abrégée est en effet avantagé par rapport au possesseur issu de la prescription
trentenaire (lequel est, par définition, de mauvaise foi et dépourvu de juste titre).
L’usucapion abrégée n’a d’autre but que de favoriser le possesseur d’un immeuble qui, outre les conditions de droit
commun, est en mesure d’invoquer la bonne foi et un juste titre.
Le législateur a donc estimé que le possesseur issu de l’usucapion abrégée méritait d’autant plus de protection que
son titre a suscité chez lui une plus grande confiance.
Par ailleurs, si l’usucapion est un principe consacré par la loi, qu’en est-il de sa conformité à notre Constitution ?
En effet, si une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devait confronter le principe légal de l’usucapion au
droit de valeur constitutionnelle qu’est le droit de propriété, il serait intéressant de voir dans quelle mesure le Conseil
Constitutionnel pourrait déclarer ce principe conforme à la Constitution lorsque l’on sait qu’il contrevient, par
nature, au caractère inviolable et imprescriptible du droit de propriété.
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