Ce que l`affaire Puerto nous a appris» DOPAGE •Transfusion

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Ce que l`affaire Puerto nous a appris» DOPAGE •Transfusion
LA LIBERTÉ
Thibaut Monnet
SPORT
JEUDI 8 JANVIER 2009
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JEUDI
«Ce que l’affaire Puerto nous a appris»
DOPAGE • Transfusion sanguine, cocktail médicamenteux, hormone de croissance... Martial Saugy
reconnaît que les nouvelles pratiques dopantes exigent des fenêtres de détection de plus en plus courtes.
JEAN AMMANN
Ce test au monoxyde de carbone permet de mesurer l’hémoglobine totale qu’un individu a
dans le corps: en inhalant un
peu de ce gaz, le monoxyde de
carbone vient se fixer sur l’hémoglobine. La méthode est
fiable, mais le problème, c’est
qu’elle est légèrement invasive:
le sportif doit inhaler du monoxyde de carbone. Pour l’instant, l’Agence mondiale antidopage n’est pas enthousiaste à
l’idée de faire respirer un gaz
toxique aux athlètes. Son point
de vue se défend: pour constater l’évolution de l’hémoglobine, il faudrait plusieurs tests au
monoxyde de carbone durant
la saison. Or, il est scientifiquement admis qu’il est difficile
pour l’organisme d’éliminer le
monoxyde de carbone.
Martial Saugy, qui dirige le Laboratoire suisse d’analyse du
dopage de l’Université de Lausanne, vient de terminer son
footing quasi quotidien, couru
à l’eau claire, lorsqu’il se prête
au jeu de l’interview. Transfusion sanguine, hormone de
croissance, EPO de dernière génération... Tour d’horizon des
pratiques dopantes au terme
d’une année qui fut olympique.
Au cours d’une conférence donnée
à Fribourg, vous avez évoqué les
saisies de l’affaire Puerto, en
Espagne. Que vous a appris cette
gigantesque affaire de dopage?
Martial Saugy: L’affaire Puerto,
qui a éclaté au printemps 2006
(lire ci-dessous), nous a montré
que les sportifs d’endurance
étaient passés de la transfusion
sanguine homologue, d’un donneur compatible, à la transfusion autologue, qui consiste à
prélever et administrer son
propre sang. Deux ans après cette affaire, nous pensons encore
dans les milieux de la lutte antidopage qu’il s’agit là d’un procédé dopant difficile à détecter.
»L’affaire Puerto nous a étonnés par son ampleur: nous
avons découvert une banque
de sang, capable de fournir aux
coureurs du matériel adéquat
en cours de saison. Et cette
banque du docteur Eufemiano
Fuentes n’était certainement
qu’une parmi d’autres. Le reste
de la saisie a confirmé ce que
nous pensions: le dopage repose actuellement sur une combinaison de produits, l’EPO,
l’hormone de croissance, l’insuline, la testostérone... Ces
produits permettent une bonne récupération et des charges
d’entraînement intensives. Au
long cours, ils améliorent le
métabolisme général dans le
contexte de l’endurance.
»A part certains médicaments
marginaux, comme des anti-
Martial Saugy: «Certaines formes d’EPO produites en Chine ou en Russie ont un comportement proche de l’érythropoïétine endogène.»
ARC/MARC SIEBER
dépresseurs, la majorité des
produits saisis ne sont pas si
faciles à détecter. Je pense que
l’époque où nous trouvions
dans la pharmacie du stanozonol ou de la nandrolone, de
ces anabolisants longtemps
détectables, est révolue. Aujourd’hui, ces cocktails médicamenteux, selon la dose administrée, ont une fenêtre de
détection nettement plus restreinte que les autres substances synthétiques.
Depuis les Jeux d’Athènes
(2004), l’Agence mondiale
antidopage a validé un test de
détection de l’hormone
de croissance, pourtant il n’y a à
ce jour aucun cas positif...
Comment dire... Depuis de
nombreuses années, l’Agence
mondiale antidopage finance
un test de détection de l’hormone de croissance, un test
fiable qui permette d’affronter
un tribunal. Nous-mêmes, à
Lausanne, nous avons pris
part à ce développement. Un
gros travail a été fait. Lors de
l’Euro 2008, nous avons appliqué un nouveau test et par la
suite, nous avons examiné de
nombreux échantillons à Pékin, comme dans d’autres
compétitions internationales.
Des contrôles ont été faits hors
compétition aussi. Mais le
constat est là: nous n’avons à
ce jour aucun cas positif. Et
c’est surprenant, par rapport à
la prévalance de l’hormone de
croissance, qui est présente
dans les saisies comme dans
les confessions de certains
sportifs. Peut-être que là aussi,
nous avons surévalué la fenêtre de détection en l’estimant à 24 heures.
Greg LeMond, ancien vainqueur
du Tour de France, évoquait un
nouveau test au monoxyde de
carbone, qui révélerait le recours à
une transfusion sanguine
autologue. Qu’en pensez-vous?
«Les nouvelles variétés d’EPO nous inquiètent»
Le CERA, qui est appelé EPO
de troisième génération, fut la vedette de
l’année 2008, avec les cas de Sella,
Piepoli, Schumacher, Kohl et surtout
Ricco. Pourtant, certains bruits laissent
entendre que le CERA circulait déjà en
mai 2006 dans le peloton...
Martial Saugy: Je ne suis pas d’accord
avec cette idée. Effectivement, les premiers bruits évoquant une nouvelle
forme d’EPO ont surgi au mois de mai
2006. La télévision alémanique, notamment, avait lancé cette rumeur. En mai
2006, Roche – il est vrai – sort sa première publication concernant son nouveau médicament en précisant qu’il serait sur le marché en 2010 et qu’en
attendant, les études cliniques se poursuivaient. Les journaux se sont emparés de la nouvelle. A ce moment, nous
avons approché les chercheurs de
Roche et nous leur avons demandé s’ils
pensaient que le produit pouvait déjà
circuler dans le milieu sportif. Comme
toute firme pharmaceutique qui se respecte, Roche nous a dit que c’était impossible puisque son médicament était
encore en phase de test clinique. Vous
savez, une grande pharma n’a pas inté-
rêt à ce qu’un nouveau produit parte
dans la nature pour que les gens se dopent et que, surtout, ses concurrents
puissent s’en emparer. L’Agence mondiale antidopage a donc passé un accord avec Roche: collaborons pour que
nous ayons une méthode de détection
dès que le nouveau produit arrivera sur
le marché! L’Agence mondiale antidopage et l’Union cycliste internationale
ont proposé à Roche de tester 200
échantillons sanguins des participants
à un grand tour de l’année 2006. Les résultats ont été clairs: aucun cas positif.
Donc, en 2006, le CERA n’existe pas
dans le peloton cycliste, pas plus qu’en
2007.
temps la production de globules rouges.
Pour cela, les chercheurs de Roche ont
ajouté à l’EPO une grosse molécule, un
polyéthylène glycol. Pour les acteurs de
la lutte antidopage, ce polyéthylène glycol fait office de marqueur, puisque cette molécule synthétique ne peut absolument pas se trouver dans le corps
humain de manière naturelle.
Nous n’avons à
ce jour aucun cas
positif à l’hormone
de croissance
MARTIAL SAUGY
Apparemment, le CERA est assez facile à
détecter...
Oui, dans le sang, il reste, selon les individus, de six jours à deux semaines.
On a pu dire que le CERA mis au point par
Roche contenait un marqueur destiné à la
lutte antidopage...
Non, il n’y a pas de marqueur proprement dit. Le CERA est une EPO-retard,
cela veut dire qu’elle stimule plus long-
Le CERA est détecté, mais peut-on
imaginer que d’autres formes d’EPO,
encore indétectables, circulent dans
le milieu sportif?
Nous savons qu’il existe d’autres
types d’EPO et que, bientôt, une EPO
de quatrième génération apparaîtra.
Mais ce qui nous inquiète, ce sont les
EPO de première ou de deuxième générations qui diffèrent selon la bio-
technologie utilisée. Et certaines de
ces EPO ont un comportement
proche de l’érythropoïétine endogène. Voilà qui complique la détection.
Certaines de ces EPO existent déjà:
elles sont fabriquées en Chine, en
Russie, et sont passablement utilisées
(elles ont d’ailleurs été retrouvées
dans les saisies de l’affaire Puerto).
Pour les laboratoires antidopage, ce
n’est pas une surprise: comme le brevet de l’EPO est tombé, nous savions
depuis quelques années que nous serions confrontés à de nouvelles variétés d’EPO. Mais, a contrario, je dirais
qu’il ne faut pas exagérer la capacité
d’invention des dopeurs. Depuis
quelque temps, nous sommes face à
des sportifs qui bidouillent leur urine,
qui l’échangent contre celle de leur
grand-mère.
Cela veut bien dire que ces gens
n’ont pas une énorme confiance en
leurs produits dopants. Je pense que
le dopage vit encore dans un certain
classicisme. En tout cas, nous n’avons
aucun signe qui puisse nous faire
croire qu’un nouveau produit miracle
ait débarqué. JA
Mais le test au monoxyde de
carbone n’est pas le seul moyen de
déceler une transfusion sanguine
autologue...
Non, en analysant les paramètres sanguins, comme la population de réticulocytes, on
peut déduire s’il y a eu ou non
transfusion autologue. En cas
de transfusion autologue, il y
aura dans le corps du sportif
dopé deux types de sang, l’un
plus âgé (le transfusé) et un
plus jeune. A l’aide de protéines
spécifiques, on peut déterminer l’âge des cellules sanguines.
A la fin de l’ère Armstrong, en
2005, un ancien médecin de l’US
Postal avait affirmé que l’équipe
Discovery Channel carburait à la
transfusion autologue...
A posteriori, il est difficile d’être
catégorique, mais on peut dresser la chronologie suivante:
2003-2004, c’est la transfusion
homologue (un donneur compatible). En 2004, nous chopons Tyler Hamilton et là, les
sportifs ont switché vers la
transfusion
autologue
(le
propre sang réinjecté). I
REPÈRES
> L’affaire Puerto Le
23 mai 2006, la garde
civile espagnole arrête le
docteur Eufemiano
Fuentes. Plusieurs centaines de poches de sang
congelé et de plasma
sanguin, des documents,
du matériel de congélation et de centrifugation,
des anabolisants, des
stéroïdes, de l’EPO et
des hormones de croissance sont saisis.
> Transfusion sanguine Procédé qui
consiste à recevoir du
sang d’un donneur compatible (transfusion
homologue) ou à recevoir son propre sang
(transfusion autologue).
Le but est de stimuler la
production des globules
rouges, donc le transport de l’oxygène.
> EPO Pour érythropoïétine: hormone naturelle qui régit la
fabrication des globules
rouges par la moelle.
Depuis 1985, le génie
génétique permet de
produire une EPO de
synthèse. JA

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