3 Comment le progrès scientifique est-il perçu au Brésil

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3 Comment le progrès scientifique est-il perçu au Brésil
Carnets du voyage d’études au Brésil I Cycle national 2009-2010
3 Comment le progrès scientifique
est-il perçu au Brésil ?
François DELILLE, Vincent LEENHARDT, Emmanuelle MAGUIN, Marie-Noelle SEMERIA
Il faut en premier lieu relativiser nos propos au regard de la
diversité de la société brésilienne, de la taille du pays et des
extrêmes disparités entre états sur les plans économiques
ou culturels, et en prenant également toute la mesure du
profond fossé social qui sépare entre eux certains quartiers
des grandes communautés urbaines.
Peu de points communs, en effet, entre les indiens d'Amazonie et les habitants de Sao Paulo quant à l'usage qu'ils
font de la technologie comme de la représentation qu'ils ont
de la science. Peu de points communs, encore, entre la politique de soutien à l'innovation de l'état de Sao Paulo et la
politique modeste de développement du Nordeste, état
parmi les plus pauvres. Peu de points communs, enfin, entre
juristes et universitaires érudits des riches quartiers de Rio et
les habitants les plus démunis des favelas toutes proches,
qui ont un accès très réduit à une éducation de qualité.
Si la perception du progrès est manifestement très positive
pour les classes sociales “élevées’’ qui perçoivent l’éducation scientifique comme un moyen d’ascension ou de maintien d’une position sociale, et également pour les
entrepreneurs qui y voient une nécessité bénéfique pour
l’enrichissement national et individuel, la question peut être
parfois jugée hors de propos, voire impudique, lorsqu’on
considère les franges de la population analphabètes et d’une
pauvreté extrême.
Des moteurs clairement
identifiés
Avant tout, le progrès scientifique est perçu comme une
source d'amélioration du niveau de vie grâce à la dynamique
qu’il confère à l’essor économique. Cette appréciation s’appuie également sur une progression, certes inégale mais réelle
des conditions matérielles de vie qu’apporte la technologie à
la classe moyenne, en particulier dans des domaines tels que
les médias, les télécommunications, la santé et les transports.
Elle prend également racine dans l’image que la nation se renvoie d’elle-même à travers la promotion de processus plus
larges.
Le Brésil est en effet passé à la fin du vingtième siècle d'un
développement fondé sur l'utilisation de technologies développées dans les pays riches, à une appropriation volontariste de la recherche scientifique et des développements
techniques. C’est en particulier patent dans les domaines de
l’énergie, de l’aéronautique et de la biologie.
La forte volonté d'indépendance nationale conduit le Brésil
non seulement à maîtriser l’outil industriel et, à présent, la recherche technologique, mais aussi à moderniser son équipement militaire malgré l'absence tangible d'ennemis ou de
menaces aux frontières. Il soutient ainsi par ses propres
moyens une politique souveraine de recherche et développement dans son industrie, tout en présentant une certaine ouverture aux partenariats avec des acteurs étrangers.
Dans le même temps, l’influence du Brésil sur la scène internationale est croissante par le développement de son statut
de grande puissance qui se positionne dans des organisations telles que l’OMS et l’ONU (candidature à un siège
permanent du conseil de sécurité), qui multiplie les partenariats avec les pays du Nord la Russie, l’inde et la Chine, qui
accentue son leadership sur l'Amérique du Sud, et qui devient
porte parole des pays en développement et non alignés. Cette
ambition marquée lui confère l’obligation et la volonté d’être
également un acteur majeur dans le monde scientifique
et technique tout en menant à bien les volets industriels et
d’éducation nécessaire à son rayonnement.
Enfin, le Brésil a un potentiel immense de croissance si on
considère ses ressources naturelles importantes et encore
largement sous-utilisées, ses espaces vierges à valoriser, une
projection démographique très favorable pour les 30 ans à
venir et un contexte géopolitique sans conflits ni menaces
terroristes. Les brésiliens évoquent ces conditions comme autant de facteurs naturels favorables au progrès scientifique.
Des sources de facilitations
qui ont leurs racines dans
des données historiques
ou culturelles
La mention « Ordre et Progrès » inscrite sur le drapeau brésilien témoigne de la vision positiviste qui a présidé à la création
de la République. Vision héritée des Lumières, mais aussi de
Pierre II du Brésil, dernier empereur, passionné d'histoire naturelle, premier Brésilien à publier dans la revue Nature, et très
préoccupé d'innovations et d'applications technologiques.
La « perméabilité culturelle » des Brésiliens, leur capacité à
agréger des éléments de cultures venant d'horizons différents
les rend très réceptifs aux apports de l'étranger. Cette ouver-
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ture est sensible dans l'industrie, mais aussi dans l'université
qui développe les accueils d'étudiants étrangers avec l'objectif affiché de favoriser échanges, confrontations, apport de
points de vue extérieurs et, de ce fait, fertilisation croisée et
moteur de motivation pour les étudiants Brésiliens.
L'appétence des brésiliens pour le coté ludique de la technologie se constate dans de nombreux domaines. Le plus emblématique est la gestion de la « bourse - famille » pour les
populations très défavorisées par des cartes de paiement
donnant accès aux distributeurs de billets.
Un certain fatalisme ou du moins une perception différente de
l’ascension sociale, qui explique que les Brésiliens acceptent
par exemple un niveau très fort d'inégalité, d'injustice sociale
ou de corruption joue ici à l'inverse : ce peu d'appropriation
de la chose publique amène les Brésiliens à ne pas ou peu
contester les choix faits en matière de développement scientifique et technologique. Les craintes liées au progrès, la prise
de conscience de conséquences négatives semblent relevées
de mouvements très minoritaires, exposés aux débats internationaux sur les enjeux de l’environnement ou relevant de
classes plus aisées, universitaires A ce jour on note quelques
initiatives d’ONG qui protestent contre une utilisation dévoyée
du progrès technique favorisant par exemple le déboisement,
ou encore qui dénoncent les études dans le domaine des cellules souches. Mais personne ne trouve à redire lorsqu’un
sénateur inscrit dans son programme pour une politique
ambitieuse d’éducation, le recours à des capacités cérébrales
augmentées via des traitements chimiques ou biologiques
pour accélérer les processus d’apprentissage chez les enfants brésiliens…
Quelques freins
Un des principaux défis auxquels est confronté le Brésil
touche à l'éducation et pèse de manière importante sur sa
capacité à avancer dans les domaines scientifiques et techniques bien que la situation entre états soient très différentes.
Une première carence vient d’une éducation de masse déficitaire, qui écarte beaucoup d'enfants du système scolaire et
qui offre des cursus souvent insuffisants aux autres. Une autre
facette est celle de la qualité d’un système d'éducation
supérieur qui, quoique parfois très bon dans les établissements publics, reste globalement insuffisant en regard du
besoin de la société brésilienne.
En effet le Brésil ne forme pas assez de diplômés, c'est
particulièrement vrai pour les ingénieurs : 30 000 diplômés
sortent des écoles chaque année, alors que les besoins
du marché sont estimés au moins au double. Les pouvoirs
politiques, soucieux de la progression du niveau scientifique
et du progrès technique de leur pays n’ont pas encore réussi
à mettre en place les solutions qui augmenteraient significativement le nombre d'étudiants ayant le niveau adéquat à
l'entrée du supérieur et qui relèveraient de manière significative la qualité de certaines écoles.
D’autres facteurs liés à des notions fondamentales de valeurs
sociales et individuelles, handicapent également le développement de l’enthousiasme pour le progrès des sciences et
des technologies. Les biens matériels et l’enrichissement sont
souvent en effet mieux valorisés comme marqueurs de réussite sociale que l’accession à la culture et la science. Les métiers du droit et des affaires sont plus recherchés et plus
rémunérateurs que les carrières scientifiques et techniques.
Le déficit de « recherche technologique », ou du moins
de recherche à visée industrielle est également présenté
comme un frein à l’essor d’une industrie de pointe. En effet, la
recherche est largement menée dans les universités et les
Industriels peinent à avoir accès aux innovations qui pourraient être développées à partir d’une recherche académique. En même temps, les universitaires peinent à trouver
des industriels prêts à soutenir financièrement leurs
recherches finalisées ; ce rôle est dévolu à l’état. Les partenariats industriels internationaux que le Brésil négocie à
présent, en particulier avec la France dans le cadre de l’accord stratégique signé entre la France et le Brésil, comporte
cette clause d’accès à la recherche incluant des universités
et instituts brésiliens.
Un autre grand défi est celui qui concerne les systèmes
administratifs et juridiques, qui, en l’état, ne favorisent pas
l'épanouissement d'une société de l'innovation. À titre
d'exemple le risque que le bénéfice d'une mesure puisse être
contesté, freine fréquemment les initiatives innovatrices des
entreprises qui ne peuvent bénéficier alors des avantages
fiscaux initialement attendus. La corruption est bien sûr un
frein majeur au développement. Cependant les technologies
informatiques sont présentées comme des moyens de contribuer à une certaine transparence dans l’administration.
L’injustice sociale, symbolisée par la “ghettoisation’’ des
classes sociales contribue par ailleurs au manque de mobilisation pour l'instruction de la science, les actes de vandalismes dont les bâtiments scolaires sont souvent l'objet, en
sont un signe emblématique. On prête également à certains
membres de classes privilégiées l’intention de limiter la diffusion du savoir pour conserver leurs avantages acquis.
Perspectives et challenges
L’essor de l’économie et de l’influence internationale du Brésil va de paire avec l’émergence nationale d’une prise de
conscience politique et sociale des vertus et des risques du
progrès scientifique. Les capacités de son peuple et les richesses naturelles de son sol, font entrevoir à ce pays au
riche passé culturel de très grandes promesses de développement dans tous les domaines. Les brésiliens sont également conscients que la réussite de ce défi du XXIème siècle
passera par la mise en place de nombreuses transformations
dans le domaine de l’éducation et dans les pratiques sociales
et politiques de leur nation.
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