comme il vous plaira - Cours de theatre Paris

Transcription

comme il vous plaira - Cours de theatre Paris
COMME IL VOUS PLAIRA
de SHAKESPEARE
PERSONNAGES :
ROSALINDE, CÉLIA
ROSALINDE -Ne me parle plus, je veux pleurer.
CÉLIA. - A ton aise, je t'en prie! Pourtant aie la bonté de considérer que les larmes ne conviennent
pas à un homme.
ROSALINDE - Mais est-ce que je n'ai pas motif de pleurer?
CÉLIA - Un aussi bon motif qu'on peut le désirer; ainsi, pleure.
ROSALINDE. - Ses cheveux mêmes ont la couleur de la trahison.
CÉLIA. - Ils sont un peu plus bruns que ceux de Judas; au fait, ses baisers sont baisers judaïques.
ROSALINDE. - A dire vrai, ses cheveux sont d'une fort bonne couleur.
CÉLIA. - Excellente! Votre châtain est toujours la seule couleur.
ROSALINDE. - Et ses baisers sont aussi pleins d'onction que le contact du pain bénit.
CÉLIA. - Il a acheté à Diane des lèvres de choix. Une nonne vouée à l'hiver ne donne pas de baisers
plus purs; toute la glace de la chasteté est en eux.
ROSALINDE. - Mais pourquoi a-t-il juré de venir ce matin, et ne vient-il pas?
CÉLIA. - Ah! certainement, il n'a pas d'honneur.
ROSALINDE. - Vous croyez?
CÉLIA. - Oui, je crois qu'il n'est ni détrousseur de bourses ni voleur de chevaux; mais pour sa probité
en amour, je le crois aussi creux qu'un gobelet vide ou qu'une noix mangée aux vers.
ROSALINDE. - Il n'est pas loyal en amour?
CÉLIA. - Quand il est amoureux, oui; mais je ne crois pas qu'il le soit.
ROSALINDE. - Vous l'avez entendu jurer hautement qu'il était amoureux.
CÉLIA. - Il était n'est pas il est. D'ailleurs, le serment d'un amoureux n'est pas plus valable que la
parole d'un cabaretier: l'un et l'autre se portent garants de faux comptes... Il est ici, dans la forêt, à la
suite du duc votre père.
ROSALINDE. - J'ai rencontré le duc hier, et j'ai eu une longue causerie avec lui. Il m'a demandé de
quelle famille j'étais; je lui ai dit : d'une aussi bonne que la sienne; sur ce, il a ri et m'a laissé aller.
Mais pourquoi parler de pères, quand il existe un homme tel qu'Orlando?
CÉLIA. - Oh! voilà un galant homme! Il écrit des vers galants, parle en mots galants, multiplie les
serments galants, et les rompt galamment à plat sur le cœur de sa maîtresse, tel qu'un jouteur novice
qui n'éperonne son cheval que d'un côté et rompt sa lance de travers comme un noble oison.
N'importe! ce que jeunesse monte et folie guide est toujours galant...
ROSALINDE. - Vous êtes souvent enquis de ce berger qui se plaignait de l'amour et que vous avez vu
assis , vantant la fière et dédaigneuse bergère, sa maîtresse.
CÉLIA. - Oui. Après?
ROSALINDE. Si vous voulez voir une scène jouée au naturel entre le teint pâle de l'amour pur et la
vive rougeur de l'arrogant et fier dédain, venez à quelques pas d'ici et je vous conduirai, pour peu que
vous souhaitiez être spectateur.
CÉLIA. - Oh! Venez! Partons! La vue des amants soutient les amoureux... Conduisons-nous
promptement à ce spectacle ! (Elles sortent.)