Conférence régionale du spectacle vivant en Poitou
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Conférence régionale du spectacle vivant en Poitou
Echos des adhérents Conférence régionale du spectacle vivant en Poitou-Charentes La vigoureuse synthèse de la Conférence régionale du spectacle vivant en Poitou-Charentes (juin 2010/mai 2011) que brosse Jany Rouger s’ouvre sur la description d’une profonde déstabilisation des acteurs du spectacle vivant et se prolonge par l’énumération de pistes de travail éminemment fertiles. Ce qui fait la preuve que les acteurs des arts et de la culture ont une véritable envie de concertation, un réel besoin de politique, c’est-à-dire de solidarité et d’engagement en faveur de l’intérêt général. L’Etat s’efface, les collectivités territoria- les ne sont pas financièrement en mesure de prendre la relève malgré leur bonne volonté, l’heure est au divertissement et à l’individualisme, à la concurrence plutôt qu’à la solidarité. L’idéal de la démocratisation faiblit alors que celui de la démocratie cherche encore sa voie. Le sens même de la fonction de l’artiste dans la société passe de la conviction à l’interrogation, celui des politiques culturelles dès lors s’estompe. Même la médiation, perçue comme Conférence régionale du spectacle vivant en Poitou-Charentes outil central de ces politiques soulève des ques tionnements puisque la valeur de ce qui est en est l’objet n’apparaît plus comme telle aux publics. C’est là la conséquence de ce constat étrange : les acteurs artistiques et culturels font face à une « autonomisation du public » qui, bien qu’elle semble réaliser le projet de l’éducation populaire (dont la synthèse note qu’elle est perçue comme en régression), lui donne corps pour ainsi dire à l’envers de ce qui était espéré en marginalisant ses promoteurs et en signant une mainmise croissante de l’industrie sur le biens symboliques. La crise est économique et sociale (menaces sur l’intermittence, diminution des ressources publiques, précarisation croissante…), politique (flottement de l’Etat, réforme territoriale aux conséquences incertaines, échec de l’éducation artistique et culturelle), civique (affaiblissement du pacte républicain), et symbolique (atteinte à la légitimité des valeurs artistiques). Seul point de contexte positif, les choses vont plutôt mieux en Poitou-Charentes, notamment du fait de l’engagement croissant des collectivités : les politiques culturelles se sont ‘‘territorialisées”, en cohérence avec des acteurs qui travaillent naturellement dans le cadre de la proximité. Mais là aussi l’interrogation s’élève : ne court-on pas ainsi le risque d’accroître les inégalités territoriales et d’assister à un repli peut compatible avec la nature essentielle d’ouverture et d’universalité propre à l’activité artistique ? Ici, Jany Rouger cite à propos Anaïs Nin – « C’est au plus profond de son puits que l’on trouve la grande nappe universelle » – et décrit comment cette conférence régionale (une des rares qui ait eu lieu malgré la fréquence des annonces) a esquissé un renversement des mutations menaçantes en « pistes pour les chemins futurs ». L’incertitude « bourdonne d’essentiel », écrivait René Char. Observer. De manière très pertinente, un accord s’est dégagé pour acter la nécessité d’établir un « glossaire du spectacle vivant », tant les termes manquent de définition et, partant, rendent la compréhension, l’organisation et l’action possibles. C’est un préalable indispensable pour améliorer l’observation, laquelle permettra ensuite de « mieux connecter, mieux lier, mieux arti- FNCC La Lettre d’Echanges n°83 - début mars 2012 « Quel usage faire de ces travaux ? Il ne s’agit pas d’une copie que l’on va rendre au ministère de la Culture pour aussitôt l’oublier. C’est bien ensemble qu’il nous faudra trouver les meilleures suites à donner. » Introduction culer », ce dernier point étant particulièrement développé : mieux articuler les fonctions, la production, la diffusion et consolider les réseaux et les structures d’accompagnement. Il est donc envisagé une cartographie des lieux et ressources, une base d’étude des publics/populations, ainsi qu’un inventaire des ‘‘bonnes pratiques”. Former. Autre perspective, l’amélioration de la formation des cadres de l’enseignement et de l’éducation artistique, notamment en explorant les nouvelles technologies et en instituant, « dans la lignée des formations des Dumistes » (musiciens intervenants en milieu scolaire) des artistes/médiateurs. Un métier en effet à créer. Inventer. Mais améliorer l’existant ne suffira pas pour transmuer l’incertitude en espoir. De là la nécessité d’intégrer les nouvelles esthétiques et les nouvelles pratiques dans les projets d’établissements, de repenser les contenus et l’organisation pédagogiques, d’inventer des nouvelles coopérations entre équipes artistiques et de mettre en œuvre les principes de l’économie solidaire. Réguler. Sans doute la part la plus fertile des conclusions de cette conférence régionale réside dans la volonté de lutter contre divers types d’inégalités, montrant ainsi un profond souci de l’intérêt général. Il faut rééquilibrer l’offre et la demande artistiques ainsi que leur répartition géographique. Il faut réguler les rapports entre le public et le privé, mais aussi entre les collectivités et l’Etat, l’ensemble de ce renouveau des équilibres devant se concrétiser par un schéma régional pour chaque domaine et l’intégration des projets culturels dans les projets de développement global. Résister. La dernière piste évoquée est d’ordre psychologique et militant : ne pas se résigner en réaffirmant un socle de valeurs communes, ne pas lâcher l’intermittence et la bonifier en prenant en compte les temps de travail et d’ex- périmentation nécessaires à la création (hors spectacle proprement dit) et en permettant la « pluriactivité artistique ». Et puis cette conclusion, particulièrement pertinente en temps d’élection présidentielle : « Tous les acteurs sont orphelins d’une politique culturelle nationale ambitieuse. Plus particulièrement, cette demande s’est exprimée dans deux domaines : le financement de ‘‘l’entre-deux” (entre social et culturel), lieu crucial de la médiation ; et la demande, tant de fois réitérée, d’une vraie politique d’éducation artistique. » Conclusion. Jany Rouger clôt par une inter- prétation personnelle des résultats, denses, de la Conférence régionale en Poitou-Charentes, avec tout d’abord le souhait de dépasser l’opposition entre démocratisation (l’accès du plus grand nombre aux œuvres) et démocratie (la reconnaissance de toutes les modalités de la vie esthétique symbolique). « Les conditions de la rencontre » avec l’autre, avec l’art, avec l’œuvre « pour le plus grand nombre reste l’objectif premier d’une politique culturelle publique. » On pourrait parler ici de l’accès pour le plus grand nombre à la diversité (et non aux grandes œuvres de l’humanité, et d’abord françaises, selon la formule de Malraux). Ce point est le premier pilier de la démocratie culturelle, le second étant la co-construction des politiques publiques avec les acteurs et le troisième, le développement d’une « citoyenneté culturelle » définie ainsi : « Il importe de redonner à chacun sa dignité culturelle pour le mettre en situation de pouvoir dialoguer avec l’autre. » On pourrait peut-être ajouter, que cette Conférence régionale réussie montre le grand besoin des acteurs des arts et de la culture d’être réunis et écoutés. En somme, cette conférence réaffirme la nécessaire jonction dynamique des arts et de la politique. Vincent Rouillon, d’après la synthèse de Jany Rouger La Lettre d’Echanges n°83 - début mars 2012 FNCC