le risque technologique : affaires d`ingénieurs ou enjeux sociétaux?
Transcription
le risque technologique : affaires d`ingénieurs ou enjeux sociétaux?
LE RISQUE TECHNOLOGIQUE : AFFAIRES D’INGÉNIEURS OU ENJEUX SOCIÉTAUX? Baaden Kalala MUNEKAY Publié dans Aspects sociologiques, Vol. 1, no 2, septembre 1993, pp. 22-27. Résumé Lorsqu'on soulève la question de l'évaluation des risques technologiques et des technologies elles-mêmes, tout de suite, une dispute savante met aux prises "experts"» scientifiques et ingénieurs, et les spécialistes des sciences sociales, De ce combat le mieux codifié, ressort une question fondamentale : l'évaluation et la gestion des risques technologiques sont- elles l'apanage des "experts" ou une affaire sociale, voire sociétale? L'auteur tente ici de répondre à cette brûlante question. Abstract When the issue of evaluating risks of technology and technologies themselves is raised, a scholarly dispute arises amongst «experts», scientists, engineers, and social sciences specialists, or even the other citizens. Is management of the risks of technology the prerogative of the «experts» or a social and societal concern? In the following article, the author seeks to answer this hotly debated issue. L a révolution industrielle nous a inéluctablement et définitivement plongés dans un monde de plus en plus technicisé où les risques technologiques sont devenus un des éléments constitutifs de notre condition sociale quotidienne. Aussi l'évaluaL’ÉVALUATION DES RISQUES TECHNOLOGIQUES EST-ELLE LE PRIVILÈGE DES SEULS « EXPERTS » (SCIENTIFIQUE ET INGÉNIEURS) OU PLUTÔT UNE PRÉOCCUPATION SOCIALE, VOIRE SOCIÉTALE? tion des risques d'une telle nature s'avère une impérieuse nécessité si vraiment, on veut s'assurer en amont une adéquate gestion de ceux-ci, les réduire au maximum et éviter du même coup, certaines conséquences lâcheuses de l'imprévisible. Les sciences et les techniques apportent ou tentent d'apporter des moyens raisonnés dans le contrôle de ces risques, mais l'angoisse de l'incontrôlable s'intensifie, s'accroît sans cesse. Plus grave encore, lorsqu'on soulève la question de l'évaluation des risques technologique, et de la technologie elle-même, 1 tout de suite, s'engage une querelle savante et s'installe une tension sociale, souvent irritante, parfois déchirante, entre les scientifiques, les ingénieurs se croyant seuls « technologues », et les spécialistes des sciences sociales, prétendant avoir eux aussi un mot à dire sur le sujet. Ce combat savant le mieux codifié fait ressortir sur les plans social et sociologique, une question fondamentale : l'évaluation des risques technologiques est-elle le privilège des seuls « experts » (scientifiques et ingénieurs) ou plutôt une préoccupation sociale, voire sociétale? Telle est la question à laquelle, nous tenterons, dans les pages qui suivent, d'apporter notre point de vue. UN RISQUE TECHNONOLOGIQUE (MAJEUR) : QU'EST-CE À DIRE? H. DENIS, sociologue et professeure en génie industriel à L’École Polytechnique de Montréal, définit le risque technologique (majeur) comme étant « l'éventualité qu'une catastrophe causée par l'homme, par son incapacité de la prévoir et de la gérer, se produise ».1 Le premier terme de ce concept triptyque : le « risque », suppose qu'on n'en est pas encore au stade ultime, et qu'on peut encore évaluer non seulement les conséquences de l'événement, mais aussi sa probabilité de se produire. Le second terme « risque technologique » réfère à la cause du problème, soit une technologie utilisée, manipulée par des êtres vivant en société. Il simplifie aussi l'idée d'une défaillance qui, elle, renvoie à l'erreur humaine. C'est ce deuxième terme qui permet de distinguer le risque technologique de la catastrophe naturelle. C'est d'ailleurs dans cette optique que J.J. SALOMON propose la définition suivante : À la différence des catastrophes naturelles qui sont le fait de la fatalité, des risques technologiques majeurs sont ceux qui sont dus au progrès de la technologie. Alors que les cataclysmes naturels sont dits naturels en ce que, quels que soient les progrès de la science, nous ne les maîtrisons pas, le cataclysme technologique est le propre de l'homme, de son inaptitude à maîtriser tous les éléments des systèmes qu’il construit, de sa hâte à appliquer à grande échelle des solutions ou des produits qui ne sont pas éprouvés, de sa défaillance, de son inconscience, de sa violence ou de sa déraison.2 Le troisième et dernier terme : « majeur », signifie quant à lui, qu'on attribue un poids, donc une signification au risque : on le définit comme étant grave et préoccupant pour les membres d'une société ou d'un groupe social donné. Au fait, on établit ici un lien entre un risque et des valeurs socio-culturelles données dans le temps et l'espace, sachant qu'un risque acceptable pour les uns, ne l'est nécessairement pas pour les autres; que ce qui est nuisance pour les uns peut être « externalité » pour les autres. Un risque technologique se définit donc non seulement par son aboutissement, la catastrophe qui peut être imprévisible, soudaine, plus ou moins gigantesque ou encore par sa vitesse de propagation, mais aussi par l'incertitude quant à l'action à entreprendre, et par la complexité de cette action qui exige une multitude d'intervenants. Pensons, par exemple, aux effets cumulatifs des oxydes d'azote sur la couche d'ozone, aux 2 problèmes dus aux hydrocarbures fluorés, aux pluies acides ou encore au combustible nucléaire. De l'accident chimique de Seveso en Italie (1976) à la déflagration de Flexborough en Angleterre (1974), de l’échouement de l'Amoco dans l'Atlantique (1978), à l'accident nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis (1979), à l'accident de Tchernobyl en URSS (1986), voilà quelquesuns des cas frappants d'accidents technologiques majeurs que nos sociétés ont connus durant ces vingt-cinq dernières années. Si le risque technologique est ainsi caractérisé par son ampleur, sa complexité, sa densification, et donc par sa réalité sociale globale en tant que phénomène social, pourquoi son évaluation et sa gestion devraient-elles être alors l'apanage des ingénieurs et scientifiques? L'ANALYSE DU RISQUE TECHNOLOGIQUE Lorsqu'on regarde l'abondante littérature sur les catastrophes technologiques que nos sociétés ont connues jusqu'à ce jour, on remarque facilement que deux types d'approches fondées sur deux conceptions du monde ont dominé et dominent encore l'analyse et la gestion des risques technologiques. Des approches scientistes Ce sont les plus anciennes approches, mais aussi les plus dominantes, sinon les plus répandues, même actuellement. En tant qu'applications pratiques de la pensée scientifique, ces approches d'inspiration durkheimienne, se contentent d'analyser les risques sur la base du modèle des sciences naturelles, les considérant ainsi comme des événements de la nature, menaçant l'homme de l'extérieur. De leur point de vue, l'accident technologique est toujours analysé comme matérialité objective et comptable autant dans ses conséquences que dans son ampleur. Il est, le plus souvent, le résultat d'un mauvais fonctionnement d'un système technico-industriel donné sans référence à l'homme. Parmi ces approches, on peut citer une des plus connues : « Event Tree » (méthode des arbres) qui pose que l'accident n'est pas dû à une cause isolée, mais se présente comme l'aboutissement d'une série d'événements successifs. C'est pourquoi, le travail analytique doit (...) consister à mettre à jour l'ensemble des séquences événementielles afin d'explorer en aval ce qui peut s'ensuivre à chaque étape de telle sorte qu’il soit possible d'identifier à temps des séquences pouvant conduire à des accidents.3 Cependant, une analyse épistémologique de ces méthodes permet de constater que leur vision n'est que le résultat d'une culture des « certitudes rapprochées » (rationalité objective) que leurs tenants considèrent comme le moment éclairant de toute l'activité scientifique et de la raison humaine. Comme l'a si bien souligné D. DUCLOS, il s'agit là d'une conception cartésienne selon laquelle : 3 (...) le contenu et les structures de la pensée humaine sont des réalités matérielles définissant l'existence de l'observateur en dehors des discussions de ses choix subjectifs et moraux.4 À la réflexion, on constate que c'est tout simplement une objectivation du « sujet scientifique » qui prétend déCES MÉTHODES OCCULTENT CEPENDANT LES VÉRITABLES ENJEUX SOCIAUX : LES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET CONTRADICTIONS QUI EXISTENT EN LATENCE AUTOUR crire tout l'univers des choses, arguant que celui-ci comprend à la fois des formes vivantes et sociales qui ne sont que des prolongements du minéral, et auquel croient et prétendent appartenir scientifiques et ingénieurs. C'est enfin la conception et rêve de tout scientifique et ingénieur, du moins la majorité, qui prétend définir l'optimum, réduire l'aléatoire et mesurer toute chose, et sous-entend que le monde pourrait, l'humain inclus, s'inventorier et se construire comme un immense système fait de sous-systèmes interactifs. Bien qu'elles aient permis d'analyser le risque technologique comme une « factualité » immédiate et quantifiable, ces méthodes occultent cependant les véritables enjeux sociaux; les conflits d'intérêts et contradictions qui existent en latence autour du risque et de la technologie elle-même, et qui éclatent lors d'accidents. La technologie est un véritable « opérateur social » par lequel, on peut soumettre et dominer autant la nature que les autres humains; voilà pourquoi il faut la penser, si nous voulons vraiment assurer à nos sociétés une véritable démocratie?5, affirme P. ROQUEPLO. Des approches subjectivistes Elles sont venues tardivement, du moins après les méthodes scientistes et gravitent essentiellement autour de l'évaluation sociale des technologies (E.S.T) qui fonde l'idée d'un (...) procès, d'une action en justice visant à déterminer la nature des dégâts et le partage de responsabilité, lequel procès a la particularité d'être instruit avant même que les dégâts ne se soient produits.6 Comme l'a noté J.J. SALOMON, il s'agit là de « l'irruption de la société tout entière dans un prétoire jusqu'alors réservé aux seuls experts. » 7 Une telle conception du monde et de l'analyse est venue affirmée de façon décisive, qu'un tel débat n'est pas l'affaire des seuls spécialistes, qu'il suppose l'intervention et la participation de tous ceux qui sont appelés à affronter les conséquences des changements technologiques. Ainsi, l'utilisation de ces méthodes suppose que le risque est analysé moins comme un événement de la nature menaçant l'homme de l'extérieur que comme un construit sociopsychologique; voilà pourquoi, elles intègrent dans leur traitement, des variables à la fois psychologiques, culturelles, sociales, politiques, économiques et bien d'autres. Leur objectivation consiste donc à saisir le risque technologique non pas seulement comme une matérialité immédiate, mesurable et quantifiable, mais aussi à comprendre ses relations multiples avec d'autres objets, avec des personnes qui manipulent les technolo4 gies et enfin avec des situations sociales bien définies. C'est pourquoi, à la question de savoir à quelle condition un système socio-technique devient-il « cindynogène », c'est-à-dire producteur de dangers, elles répondent que cela dépend à la fois des acteurs individuels, des réseaux auxquels appartiennent ces acteurs et des intérêts conscients et inconscients qui les meuvent et les ordonnent par rapport à l'action. Une telle conception des choses est confirmée par D.DUCLOS qui, à l'occasion d'une étude de la perception sociale des risques technologiques faite dans une industrie chimique parisienne, est arrivé à l'observation suivante : Le degré de vigilance face aux dangers n’est pas une fonction de leur réalité, ni de l'information dont on dispose sur eux. L'attitude face aux risques apparaît comme socialement construite. Les individus n’évaluent pas les conséquences de leurs actes selon le modèle de la prévision probabiliste, ils ont plutôt recours aux « heuristiques » d'une « rationalité limitée » de H. SIMON.8 C'est dans une telle optique que semblent se situer et œuvrer les sciences sociales. En effet, l'approche ergonomique du risque professionnel, par exemple, fait de l'être humain un facteur d'un système d'actions coopératives finalisées rationnellement. L'accident est, de son point de vue, lié à la charge de travail excessive en quantité et en intensité. 9 C'est pourquoi le thème du risque technique reste, pour cette école, basé sur la pensée que le système sociotechnique réfère implicitement à l'idée de couplage entre tâche et opérateur, l'un abandonnant à l'autre ses défaillances pour devenir une sorte de compromis général. L'approche psychosociologique du ris- que, quant à elle, tente de comprendre comment tout un système s'adapte aux exigences collectives qui rationalisent le rapport au risque et comment l'individu en subit les conséquences. De son côté, l'approche purement psychologique met l'accent sur la différence entre logique individuelle et la logique du contexte social, tandis que l'approche sociologique prend en considération à la fois l'individu, le groupe et l'institution comme sources et réceptacles équivalents des productions collectives de références symboliques qui ordonnent le sens de la vie sociale pour tout un chacun. En définitive, nous pouvons, dans la foulée de D. DUCLOS, dire que les approches scientistes du risque technologique sont « non implicatives » 10 dans la mesure où elles n'exigent pas d'introduire dans leur analyse la « consistance subjective » comme PROBLÈME, mais aussi parce qu'elles ne rendent pas compte des contradictions et des ambivalences du rapport social au risque. Par contre, les approches subjectives sont « implicatives » parce que caractérisées par le présupposé que les individus ne sont pas des supports passifs de l'action sociale, mais des acteurs d'une dialectique interactive où se constituent simultanément le membre et sa communauté, le sujet et son environnement, le cadre symbolique et l'acteur symbolisant.11 Par conséquent, à la question de savoir pourquoi il est difficile, malgré les tentatives des meilleurs experts de l'évaluation du risque, de parvenir à une vision plus objective, plus globale et réelle des dangers du progrès, D. DUCLOS répond : L'objectivité d’un pur risque ou d'une pure sécurité n'existe simplement 5 pas! Plus on y regarde de près, plus l'ambiguïté du rapport au risque, c'est-àdire le mélange des raisons techniques et des inclinations morales conduisant à savoir ici un danger et à rester insensibles à d'autres types de périls, apparaît irréductible.12 En d'autres mots, une résonnance subjective, morale et passionnelle accompagne toujours l'étude objective du péril et la soutient autant qu'elle la déforme. LE RISQUE TECHNOLOGIQUE : UNE AFFAIRE SOCIALE De l'analyse qui précède, force est alors d'affirmer que le risque technologique est et devrait être une réalité préoccupante pour tous les membres d'une collectivité. C'est d'abord et avant tout une affaire de l'État, dans la mesure où il fait partie des questions de « police intérieure », si on assimile la catastrophe à un désordre public, mais aussi parce qu'il est au cœur de déséquilibres potentiels dans la justice ou l'économie et qu'il appelle, ce faisant, des arbitrages à l'égard des ressources collectives. Il est également une préoccupation pour les scientifiques et ingénieurs, en tant qu'inventeurs des risques. En effet, ils sont directement concernés au premier chef par cet aspect des choses à toutes les étapes du projet technico-industriel, depuis la conception et le fonctionnement d'une installation jusqu'à sa mise hors service, et son démantèlement. Ainsi, le risque est pour eux, non pas seulement une potentialité, mais aussi une réalité immédiate qu'ils doivent affronter et assumer dans leurs actions tant professionnelles que sociales quotidiennes. Voilà pourquoi, ils doivent témoigner des qualités allant au-delà de la compé- tence technique, étant donné qu'ils doivent tenir compte dans leur œuvre, de toutes les catégories de pouvoirs qui interagissent avec leur projet. FORCE EST ALORS D’AFFIRMER QUE LE RISQUE TECHNOLOGIQUE EST ET DEVRAIT ÊTRE UNE RÉALITÉ PRÉOCCUPANTE POUR TOUS LES MEMBRES D’UNE COLLECTIVITÉ. Enfin, le risque technologique est et doit rester une préoccupation pour tous les citoyens, et ce, au nom du logos démocratique de nos sociétés contemporaines qui exigent : « responsabilisation - participation - démystification. »13 Pareil logos veut simplement dire qu'il faut changer, sinon éviter cette culture générale qui nous maintient encore dans une espèce de volonté crispée de séparation radicale entre les savoirs rationnels et la morale et l’émotivité. En d'autres termes, il nous faut résister à toute culture fondée sur le dualisme raison/morale, dans lequel les partisans de la raison humaine récusent avec acharnement la faillibilité humaine, alors que ceux qui s'identifient à la position inverse dénient aux scientifiques toute capacité de démarche de raison et ne leur reconnaissent qu'un comportement condamnable. C'est donc ce dualisme technicité/humanité, fortement incrusté dans toutes nos catégories de pensée et d'action, qui tend à aggraver nos perceptions du risque technologique plus qu'il ne le gère. Nous, nous pensons que le traitement raisonnable des risques technologiques se trouve ailleurs, soit dans l'effort de dépassement de ce symbolisme encore à l'œuvre dans nos sociétés modernes, et selon lequel la loi qui découle de choix techniques serait indiscutable, 6 non négligeable parce qu'établie sur la base d'une pure rationalité, d'une pure objectivité. L'objectivité d'un pur risque, ou d'une pure sécurité n'existe tout simplement pas! Le vrai traitement du risque technologique consisterait à admettre que ce n'est pas tant un PROBLÈME de L’ÉVALUATION DES RISQUES DOIT SE SITUER SUR LE POINT DE COMPLÉMENTARITÉ DE LA RATIONALITÉ OBJECTIVE ET DE LA RATIONALITÉ SUBJECTIVE DU SUJET SOCIAL. maîtrise (absolue et statistique) par une branche ou un groupe « d'experts » que de négociations ouvertes permettant à tous les partenaires sociaux et toutes les mémoires de s'exprimer sur les options technologiques. À cet égard, le sociologue S. WOOLGA, ayant analysé le rapport entre technologies et certaines valeurs culturelles de certaines sociétés, est arrivé à la constatation suivante : La technologie est une vraie mémoire de l'homme contre le cognitivisme, parce qu’il s'y inscrit l'histoire des multiples rapports humains qui ont rendu telle ou telle conception effective, et destiné les autres au musée des prototypes?14 Ainsi, on peut, sans ambages, dire que l'ingénieur n'offre pas seulement un instrument, mais aussi un rapport homme-machine, et du même coup, un rapport des hommes entre eux. Social, il l'est d'autant plus qu'il subit, comme tout le monde, l'influence des forces sociopolitiques et économiques qui font pression sur la science; mais aussi parce qu'il est lui-même un stratège passionné d'actions et traversé par toutes les questions et inflexions historiques de la culture contemporaine. Ajoutons ceci : l'acte « ingénieurial » n'est autre chose qu'un moment d'instrumentation d'une convention sociale, d'un procès social, d'une mission donnée par la société et ses membres à l'individu : ingénieur, afin de répondre à leurs besoins. C'est pour cette raison qu'il doit, à chaque instant, « se rappeler que toute élaboration collective de responsabilité se fait et doit de faire par des actes et des échanges selon un code d'honneur et la reconnaissance intersubjective. Il doit aussi être à même de débattre de modes opératoires d'action avec des interlocuteurs variés sans se retrancher dans une dangereuse paranoïa de compétence technique offensée. Le risque technologique étant devenu une ombre projetée sur le présent et le futur de notre société et de nos vies, nous devrions penser la technologie de façon globale. Deux préalables président donc à son évaluation et à sa gestion. Nous devrions, d'abord et avant tout, reconnaître ce phénomène comme faisant partie de notre condition humaine. Nous devrions, ensuite, créer les conditions générales capables de rendre l'émergence d'une connaissance générale accessible à tous et dans laquelle chaque agent social (l'industriel, l'ingénieur, les pouvoirs publics, le citoyen, etc.) doit accepter de devenir une partie prenante de l'effort de maîtrise des catastrophes technologiques et des technologies ellesmêmes. Enfin, nous devrions prévoir et prévenir ces risques technologiques grâce à un examen de l'opportunité des décisions technologiques, ce qui nécessite entre toutes les catégories sociales de la société, une franche consultation et une honnête collaboration. En définitive, disons que toute évaluation du risque technologique, si elle veut vraiment être adéquate, devrait 7 se faire sur le point d'insertion de deux logiques : la techno-scientifique et la technoculturelle. Autrement dit, l'évaluation des risques doit se situer sur le point de complémentarité de la rationalité objective et de la rationalité subjective du sujet social. Ainsi, comme l'a bien signalé D. DUCLOS, c'est en : que nous courons beaucoup moins le risque d'une confrontation globale entre raison et folie, que si nous cherchons à opposer gestionnaire du risque s'autorisant de l'infaillibilité scientifique, et public supposé émotif et incompétent.15 (...) reconnaissant l'inséparabilité des éléments culturels et objectifs dans le maniement des dangers et en négociant raisonnablement leur articulation dans toutes les actions de production Baaden Kalala MUNEKAY Deuxième cycle, Sicologie, Université Laval 1 DENIS, H., Technologie et Société : essai d'analyse systémique. Montréal. Ed. de l'École Polytechnique, 1987, p. 202. 2 SALOMON, J.J., préface dans La civilisation du risque. Catastrophe technologique et responsabilité, de P. LAGADEC, Paris, Seuil, 1981, p. 12. 3 Recueil de textes du cours Sociologie de l'innovation technologique de Alf SCHWARZ, Laboratoire de recherches, cahier 13-4, 1990, p. 12. 4 DUCLOS. D., La peur et le savoir. La société face à la science, la technique et leurs dangers, Paris, Éd. La Découverte, p. 30. 5 ROQUEPLO, P., Penser la technique pour une démocratie concrète. Paris, Seuil, 1981, p. 26, 6 SALOMON, J.J., « Une évaluation de l'évolution sociale des technologies » dans Actes du Colloque : Les pratiques de l'évaluation sociale des technologies. Conseil de la Science et de la Technologie, Québec, mai 1991, p. 20. 7 Op. cit. p. 19. 8 DUCLOS, D., « La construction sociale du risque : le cas des ouvriers de la chimie face aux dangers industriels » dans Revue française de la sociologie, XXVIII, 1987, p. 20. 9 DUCLOS, D., L'homme face au risque technique, éd. l'Harmattan. Paris V, 1991, p. 24. 10 Les adjectifs « implicative » et « non implicative » sont tirés du livre : L'homme face au risque technique de D. DUCLOS, p. 182, et renvoient au fait qu'une méthode tient compte ou pas du sujet social dans son analyse. C'est cet adjectif qui, selon l'auteur, différencie les méthodes subjectives des méthodes dites objectives ou scientistes. 11 DUCLOS, D„ « La construction sociale du risque : le cas des ouvriers de la chimie face aux dangers industriels » dans Revue française de la sociologie, XXVIII, 1987, p. 30. 12 NELKIN, D., "The Political Impact of Technical Expertise", Social Studies 5, 1975, P. 255 13 Cité par D. DUCLOS (1991) dans L'homme face au risque technique, p. 199. 14 . Idem. 15 Recueil de textes du cours Sociologie de l'innovation technologique de Alf SCHWARZ, laboratoire de recherches, cahier 13-4, 1990, p. 17. 8