De l`anthropologie du droit musulman

Transcription

De l`anthropologie du droit musulman
 De l’anthropologie du droit musulman
à l’anthropologie du droit
dans les mondes musulmans
Sous la direction de Yazid Ben Hounet et de Baudouin Dupret
Les Rencontres du CJB, n° 1
Les Rencontres du Centre Jacques Berque
N° 1 – Décembre 2011
Rabat (Maroc)
De l’anthropologie du droit musulman à l’anthropologie du
droit dans les mondes musulmans
Réflexion sur les conditions de possibilité d’une anthropologie du
droit dans le contexte des sociétés en tout ou partie musulmanes
Textes des rencontres des journées d’études tenues
à Rabat les 21 et 22 janvier 2011, dans le cadre des programmes
ANDROMAQUE (ANR SudsII) et PROMETEE (ANR FRAL)
Centre Jacques Berque pour les études en sciences humaines et sociales – USR3136 CNRS
35, avenue Tariq Ibn Zyad – 10010 Rabat, Maroc - Tél : +212(0)5 37 76 96 91 - Fax : +212(0)5 37 76 96 85 –
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www.cjb.ma
Sommaire
Introduction : Pertinence et perspectives de la référence anthropologique à la catégorie « droit
islamique »,
Baudouin Dupret..........................................................................................................................................7
Positivisme Vs « Fiqhisme » Analyse dynamique d’un système juridique et normatif
« composite »,
Mohammed Mouaqit .................................................................................................................................13
Islamic law in many arenas : Struggles for recognition and dominance,
Franz and Keebet von Benda-Beckmann...............................................................................................17
Droit musulman, droit coutumier, droit tribal dans les sociétés ouest-sahariennes,
Pierre Bonte ................................................................................................................................................23
La réconciliation du Mont Liban, médiation, pacification, indemnisation,
Aïda Kanafani-Zahar .................................................................................................................................31
L’encadrement juridique des associations agricoles dans le Souss et le rôle du religieux,
Bertram Turner...........................................................................................................................................35
Crimes et châtiments : intentionnalité et diya (prix du sang) en Algérie et au Soudan,
Yazid Ben Hounet......................................................................................................................................42
Tracing the Spider’s Web : The Role of the Judge in Tunisian Divorce Cases,
Sarah Vincent-Grosso................................................................................................................................50
An ethnomethodological study of judicial interpretation in Tunisia. The case of paternity law,
Maaike Voorhoeve .....................................................................................................................................56
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Introduction
Pertinence et perspectives de la référence anthropologique
à la catégorie « droit islamique »
Baudouin Dupret
Directeur de recherche CNRS
Directeur du Centre Jacques Berque
Les textes ici rassemblés font suite à
une rencontre tenue au Centre Jacques
Berque les 21 et 22 janvier 2011. Le propos de
ces journées scientifiques était de rompre avec
le postulat d’exceptionnalité culturelle des
constructions du juridique dans les sociétés en
tout ou partie « musulmanes ». On peut en
effet observer une propension des travaux sur
le droit dans ces sociétés à « chercher » la part
islamique du droit et à ne s’intéresser qu’à elle.
Pourtant, déterminer dans quelle mesure telle
ou telle part du droit est, de manière
orthodoxe ou hétérodoxe, islamique et dans
quelle mesure elle doit ou non être expliquée
par quelque développement historique du
droit islamique tend, à notre avis, à imposer
leur structure aux phénomènes et activités
juridiques au lieu de chercher à découvrir
comment ils opèrent. Ce faisant, la recherche
échoue à décrire les phénomènes qu’il lui
appartient de documenter et, en particulier,
les façons qu’ont les gens de comprendre et
de manifester leur compréhension de
n’importe quelle situation donnée, de
s’orienter par rapport à un contexte et à ses
contraintes et de se comporter et d’agir d’une
manière plus ou moins ordonnée à l’intérieur
de pareil contexte situé spatialement et
temporellement. Pourtant, même dans les
domaines où l’on peut identifier une
généalogie islamique des choses (comme le
droit de la famille dans de nombreux pays), la
caractérisation à priori de « droit islamique »
ne procure aucun accès à ce que les gens font
dans un contexte judiciaire particulier, quand
ils traitent de questions touchant à la famille,
toutes choses qui ne peuvent être menées à
bien qu’en décrivant les pratiques des gens en
dehors de tout cadre interprétatif préétabli.
Que dire alors de ces domaines où la relation
à l’islam ne peut même pas être établie
généalogiquement...
Nous nous intéressons donc ici aux
pratiques juridiques dans un environnement
majoritairement
ou
minoritairement
musulman, non à la culture islamique
observée au travers du prisme du droit. À vrai
dire, la culture islamique n’est qu’une des
multiples composantes du contexte, toujours
singulier, jamais uniforme, dans lequel se
déploient les pratiques du droit. Supposer que
cette composante culturelle est primordiale
fait courir le risque de ne pas prêter
suffisamment
d’attention
aux
autres
composantes possibles, toutes choses vers
lesquelles les membres de l’environnement
judiciaire et juridique de ces sociétés
s’orientent pourtant de manière pratique dans
le cours de leurs actions. Il nous appartiendra
donc de poser la question de ce qui justifie
l’usage de données juridiques tirées de
contextes en tout ou partie musulmans, si ce
n’est pas pour donner substance à
l’affirmation d’une différence des cultures.
Au cours de cette rencontre, nous avons
eu l’occasion d’observer les formes multiples
de référencement du droit à l’islam et à la
charia (sharîca). On constatera à quel point la
terminologie est ambiguë, voire confuse.
Ainsi, certaines catégories de l’héritage
juridique islamique classique, ce qu’on appelle
le fiqh, trouvent à se prolonger dans
différentes dispositions du droit positif, et
principalement dans les domaines du mariage,
du divorce, de la filiation et des successions. Il
existe cependant aussi des formes de
légalisation de l’islam dont on ne trouve pas
d’antécédent dans la tradition classique. Ainsi
en va-t-il du droit constitutionnel et de son
7
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 incorporation dans la charia en tant que
source de législation.
Nous ferons dès à présent la suggestion de
distinguer « droit islamique » et « droit référé à
l’islam » pour bien souligner la différence de
nature des appels à la normativité islamique.
Cette distinction ne doit cependant pas
aboutir à occulter le fait que le droit islamique
et, en particulier, le droit de la famille, qui est
souvent présenté comme le dernier bastion du
droit islamique classique, a connu une
transformation profonde et radicale de toute
son économie. Là où Joseph Schacht parlait à
juste titre, s’agissant du droit islamique, de
« droit de juristes », il faut bien constater
qu’aujourd’hui, l’on a affaire à un « droit de
législateurs et de juges ». Le centre de gravité
du droit, fut-il qualifié d’islamique, s’est
déplacé, au cours des deux derniers siècles,
pour aboutir le plus souvent dans les
enceintes parlementaires et judiciaires. En ce
sens, et au-delà de la nature purement
formelle des dispositions du droit applicable,
c’est toute l’économie du droit qui s’est
transformée, y compris dans les domaines où
la référence est parfois faite à l’islam.
Cette rencontre fut une invitation à
réfléchir aux transformations de cette
économie du droit islamique. Plus encore, il
s’agissait d’une invitation à observer comment
les gens s’orientent vers un objet religieux et
confèrent à sa référence une autorité
manifeste et intelligible. Cette autorité n’est
pas nécessairement juridique, elle peut être
aussi politique. Appréhender le droit
islamique sous cet angle, quand cela est
indiqué, permet de sérier les problèmes et, à
tout le moins, de comprendre qu’un appel de
telle ou telle formation politique à
l’application de la charia n’est pas forcément
plus une volonté de mise en œuvre du droit
d’un autre âge qu’une mise en cause de la
légitimité du régime en place.
Il est un faux débat auquel il convient dès
à présent de faire un sort : celui de savoir ce
qu’est ou n’est pas le droit islamique. Pas plus
la religion que le droit ne sont dotés d’une
autorité intrinsèque, substantielle et naturelle.
Autrement dit, l’autorité n’est pas une qualité
inhérente aux objets, mais le fruit d’opérations
continues d’imputation d’une capacité de
peser sur le cours des choses. Il n’existe dès
lors pas d’autorité d’un droit fondé
religieusement dont on puisse parler en soi,
mais seulement des situations ponctuelles où
les gens s’orientent vers quelque chose qu’ils
identifient comme étant du droit religieux et
dont ils reconnaissent publiquement l’autorité,
participant de ce fait aussi bien à la
production de cette autorité qu’à sa
réactualisation. On ne peut ainsi examiner la
référence à la normativité islamique, souvent
appelée charia, en dehors des usages qui en
sont faits de manière circonstancielle et située,
en dehors des pratiques de référencement à
un objet qualifié de juridiquement islamique
dans des contextes variés, chacun soumis à
ses contraintes propres.
On nous présente souvent la règle du droit
islamique comme indépendante de toute
pratique. Elle existerait, elle serait dotée d’un
sens clair et elle déterminerait le
comportement des gens de manière univoque.
Ainsi nous dit-on que les relations sexuelles
hors-mariage sont rares parce qu’elles
ressortissent de la catégorie religieuse
infâmante du harâm. Ainsi, nous dit-on
encore, que tel interdit alimentaire s’impose
du fait même de son inscription dans la
normativité islamique. À chaque fois, ce qu’on
nous dit substantiellement, c’est que la règle
est revêtue d’une autorité intrinsèque qui tient
à son appartenance au registre du religieux.
Cette propriété lui permettrait d’échapper à
toute herméneutique. Là où les normes
juridiques sont dotées, selon la jolie formule
de Herbert Hart, d’une « texture ouverte », les
normes religieuses seraient, pour leur part, des
objets rigides et atemporels, à l’abri des aléas
et de la contingence, en vertu même de leur
inspiration divine.
Prenons l’exemple de la notice « tashrî` » de
l’Encyclopédie de l’Islam. Se fondant sur
l’étymologie du mot, qui renvoie à la même
racine que sharîca, ses auteurs ignorent que le
terme sert aujourd’hui à désigner la notion de
législation dans son acception la plus générale.
À partir de leur connaissance préétablie de la
trajectoire étymologique du vocable, ils
imposent au terme une acception qui est peu
ou pas la sienne de nos jours. De surcroît,
l’entreprise ne s’arrête pas là. S’attelant à
8
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 évaluer les transformations du tashrî` dans le
monde contemporain, les auteurs établissent
une distinction entre sharîca orthodoxe et
sharîca déviante. Ils affirment ainsi que certains
pays, comme l’Égypte et le Soudan, dans leur
tentative de mise en œuvre du droit islamique,
ont tellement dévié de la sharîca qu’ils ont fini
par la déformer. Pareille affirmation n’est
cependant pas sans poser un problème
majeur. Elle suppose, en effet, que c’est aux
chercheurs qu’il appartiendrait de juger de la
conformité ou de la déviance du droit
islamique d’aujourd’hui. En un mot, les
chercheurs occuperaient une position leur
permettant de savoir mieux que les gens
concernés. Si ces derniers adoptent des
législations déviantes, c’est par devers eux,
inconsciemment. Enfin, cette affirmation
suppose aussi que les mots traversent le
temps sans en souffrir l’effet. Pourtant, l’on
sait depuis longtemps que les textes ne
flottent pas dans le vide, qu’ils n’ont pas de
signification en soi, qu’ils n’existent pas en
dehors de l’action de les écrire, de les lire et de
les mettre en œuvre ; en somme, qu’ils n’ont
pas de sens littéral pur.
Tout à l’inverse, nous considérons la règle
comme un accomplissement pratique et son
autorité comme une modalité procédant de
l’orientation publique des gens vers la force
qu’ils lui reconnaissent. La règle ne préexiste
donc pas à sa pratique et son autorité n’en est
pas une qualité intrinsèque. Règle et pratique
sont, au contraire, indissociables, et c’est de
cette pratique même qu’émerge l’autorité de la
règle. La règle est un accomplissement
pratique et son autorité, une modalité
contextuelle. En ce sens, dire d’une règle
qu’elle est islamique et, partant, lui reconnaître
une autorité spécifique est possible à la seule
condition que cette qualification procède de la
pratique contextualisée des gens concernés,
non des présupposés que l’analyste peut avoir
sur la règle en raison de sa connaissance de la
trajectoire généalogique de cette dernière. Il
convient donc de reformuler la question. Il
n’y a, en effet, aucune raison de présumer que
ce à quoi les gens se réfèrent comme étant du
droit islamique est identique à cet ensemble
de dispositions techniques formant le modèle
idéalisé du droit islamique. Il n’y a pas non
plus de raison de présumer le contraire. La
question de savoir si, ce à quoi les gens se
réfèrent comme étant du droit islamique
correspond ou non au modèle idéalisé du
droit islamique, n’est simplement pas
pertinente. On ne peut y répondre, parce que
la question est totalement désincarnée de
pratiques réelles. De plus, cette question ne
porte pas sur le phénomène qu’elle est censée
traiter, à savoir la pratique consistant à faire
référence au droit islamique. À la question :
« Qu’est-ce que le droit islamique ? », il
faudrait substituer la question : « Que font les
gens quand ils font référence au droit
islamique ? ».
En lieu et place de ce souci de qualifier
quelque chose d’« islamique », nous suggérons
donc de centrer l’attention sur la description
de comment les gens, dans des contextes
variés, s’orientent vers quelque chose qu’ils
appellent sharîca, fiqh, qânûn, huqûq, tous termes
faisant partie de ce que le philosophe
Wittgenstein appelle des jeux de langage, les
jeux de langage de la normativité islamique
dont on peut décrire la grammaire et
l’inscription dans des formes de vie
particulières. Cette attitude appelle à l’examen
des méthodes utilisées par les gens engagés
dans une activité qu’ils identifient comme
juridique et islamique pour produire
localement cette vérité et cette intelligibilité
leur permettant de coopérer et d’interagir de
manière largement ordonnée. Une première
conséquence de cette reformulation est de ne
pas chercher à décrire l’objet étudié en-dehors
de ce que les gens identifient comme tel. Dans
notre cas, l’on peut donc se contenter de dire
que « le droit islamique est ce à quoi les gens
se réfèrent comme étant du droit islamique »
et s’attacher exclusivement à observer et
décrire comment les gens engagés dans une
pratique législative ou judiciaire conduisent
leurs activités et établissent de manière
pratique ce qui compte pour eux comme
islamique.
Nous avons eu l’occasion d’observer, dans
plusieurs pays, comment cette référence à la
normativité islamique opérait aux niveaux
législatif et judiciaire. Nous évoquerons
rapidement nos observations égyptiennes. Au
niveau législatif, nous avons pu remarquer que
9
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 la référence au Coran sembait se suffire à ellemême : les parlementaires ne cherchaient pas
de raisons supplémentaires pour expliquer la
nécessité de respecter les dispositions du texte
sacré. Le respect apparaissait comme une fin
en soi. On peut envisager deux motifs à cela.
Le premier est que, quoique l’on puisse
penser, la sharîca est, du fait même du droit
positif – l’article 2 de la constitution de 1971
tel qu’amendé en 1980 –, la source principale
de la législation. Cette disposition oblige le
législateur à veiller à la pertinence coranique
des lois comme à s’orienter vers l’« audience »
spécialisée qui aura, éventuellement, à en
juger, c’est-à-dire à se prémunir contre un
arrêt en inconstitutionnalité de la Haute Cour
constitutionnelle. Le deuxième motif est que,
depuis les années quatre-vingt, le langage
politique et, plus largement, le langage normal
de la sphère publique égyptienne sont
religieux, tendus vers la promotion de la
réislamisation de la société. L’islam, sinon
l’islamisme, est ainsi devenu le langage qui
convient à toutes les situations, et surtout à
celles qui visent la plus large audience, celle
qui est d’emblée catégorisée comme
« musulmane » et « pieuse ». Le paradoxe de
cette omniprésence de la référence à l’autorité
coranique est qu’elle n’entraîne pas
d’omnipotence. C’est ainsi qu’elle peut se
rapporter à des positions normatives
singulièrement différentes ; c’est ainsi,
également, qu’elle est soumise à des
limitations qui en déterminent drastiquement
la portée. On peut se référer au Coran pour
défendre telle ou telle disposition ou pour s’y
opposer, mais ce n’est pas le Coran qui
détermine l’acceptabilité législative du texte.
Ce qui apparaît ici, c’est que la norme
islamique n’acquiert son autorité que dans le
corset de la procédure parlementaire, avec
entres autres, ses règles de parole, de vote et
de majorité. La pertinence coranique peut
imposer la rhétorique des débats, mais elle
s’avère insuffisante pour en déterminer l’issue.
Au niveau judiciaire, en Egypte toujours,
nous avons pu observer qu’à l’endroit même
où elle est supposée massive et écrasante, à
savoir le droit du statut personnel, la référence
à la charia est loin d’apparaître
systématiquement. Cette question ne procède,
dans le domaine du droit, ni du poids que la
tradition scientifique semble vouloir imputer à
la référence islamique ni des voies
exceptionnelles que son expression est
présumée suivre. En d’autres termes, la
référence explicite à l’autorité de l’islam est
occasionnelle. Cette référence est, de plus,
toujours médiatisée par le recours aux sources
premières du droit positif égyptien
d’aujourd’hui : la loi et la jurisprudence. Elle
s’inscrit donc dans la banalité et la routine de
l’accomplissement pratique de l’activité du
juge qui consiste, avant toute autre chose, à
qualifier juridiquement des faits qui lui sont
soumis. Ce faisant, le juge s’attache sans doute
plus à manifester sa capacité à juger
correctement, selon les standards de la
profession, les contraintes formelles qui
s’appliquent à son exercice, les sources
juridiques sur lesquelles elle s’appuie et les
normes du travail interprétatif qu’elle
suppose, qu’à réitérer le primat islamique du
droit qu’il met en œuvre. Il ne fait pas de
doute que, si on interrogeait ledit juge, il ne
manquerait pas de souligner la conformité de
son activité et du droit qu’il applique à la
norme religieuse islamique, mais cette
position relèverait de la justification plus que
du principe d’action. Dans le cours de son
travail, le juge ne semble pas s’orienter
massivement vers la nécessité d’évaluer le
prédicat islamique de toute chose, même dans
le domaine du droit où la généalogie islamique
des règles semble la plus manifeste.
Faut-il en conclure à la dilution du droit
islamique dans l’ordre constitutionnel
moderne ou à la positivisation de la règle
juridique islamique en matière de statut
personnel ? Conformément à ce que nous
énoncions, nous nous demandons si, au lieu
de chercher à savoir de quel point de vue il
faut se placer pour pouvoir évaluer l’autorité
de la règle islamique, il ne convient pas
davantage d’observer, en contexte, comment
les députés et les magistrats élaborent et
mettent en œuvre les règles, s’attachent à les
référencer à des sources faisant autorité dans
l’exercice de leur travail législatif ou judiciaire
et les inscrivent dans le cours ordinaire du
travail parlementaire et dans la séquence
routinière du travail de juge. Il ne s’agit plus,
10
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 alors, de s’interroger, à partir d’une assemblée
législative ou d’une cour de justice, sur le
concept de droit islamique, mais bien de
décrire les modes de formulation, d’usage et
de référence à la règle de droit et la
production toujours située et ponctuelle de
son autorité, y compris quand celle-ci est
présentée comme islamique.
Chacune à sa manière, les communications
dont les textes sont ici rassemblés, ont
contribué à alimenter ce glissement
paradigmatique à l’origine de la rencontre :
passer d’une anthropologie du droit islamique
ou musulman à une anthropologie du droit
dans le contexte des sociétés en tout ou partie
musulmanes. Qu’il s’agisse de discuter et de
définir les cadres théoriques propices à
l’appréhension des phénomènes juridiques
(Mouaqit) ou encore de mettre en exergue les
complexités et les imbrications des sources
juridiques dans le contexte des sociétés
retenues (von Benda-Beckmann, Bonte,
Kanafani-Zahar, Turner), ou enfin de
proposer à partir de terrains circonscrits des
descriptions ethnographiques à même de
rendre compte de l’exercice du droit en
contexte (Ben Hounet, Vincent Grosso,
Voorhoeve), les contributions ici rassemblées
soulignent ce que l’anthropologie du droit
dans les sociétés en tout ou partie
musulmanes doit encore accomplir pour
prendre le droit au sérieux, dans les multiples
contextes où il opère. Elles en esquissent
également certaines pistes à poursuivre…
Ces rencontres ont également bénéficié
des interventions d’Elisabeth Claverie, Alice
Wilson, Barbara Casciarri, Hassan Rachik,
Jean-Philippe Bras, John Bowen, Joern
Thielmann, Jeff A. Redding, François Ireton.
Nous les en remercions.
11
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Positivisme Vs « Fiqhisme »
Analyse dynamique d’un système juridique
et normatif « composite »
Mohammed MOUAQIT
Professeur de science politique
Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Aïn Chok, Casablanca
Qu’il faille, pour se déprendre du prisme
d’une exceptionnalité culturelle islamique,
passer, dans le domaine du juridique et du
normatif, d’une « anthropologie du droit
musulman » à une « anthropologie du droit
dans le monde musulman » est révélateur
d’une exigence qui n’est pas seulement de
l’ordre d’une inscription dans un champ
disciplinaire, mais qui est également dictée par
la réalité objective, dans sa constitution
phénoménologique. Cela était vrai déjà de la
réalité juridique et normative du monde
musulman par le passé, car si elle est
« musulmane » en tant que correspondant à
une aire géoculturelle dominée politiquement
par un gouvernement musulman, elle n’est
pas nécessairement « islamique », c’est-à-dire
correspondant à un contenu directement ou
exclusivement puisé dans la Révélation
islamique. Cela est encore plus vrai de la
réalité juridique et normative dans le monde
musulman contemporain, dans la mesure où
elle est « composite » et, par conséquent, ne se
laisse plus appréhender en dehors d’une
imbrication entre différents registres de
normativité.
La différence entre ces registres est
fondamentalement articulée autour d’un droit
rattaché à une expérience géographique,
historique et culturelle occidentale et un
« droit » relié à une expérience (géographique,
historique et culturelle) « musulmane ». Cette
différence renvoie au problème de
l’acculturation induit par la relation entre
l’exogène et l’endogène. Cependant, dans la
mesure où l’exogène est, par la force du temps
et d’une acculturation qui a produit largement
ses effets de réalité, suffisamment intégré à
l’endogène, la dualité « exogène/endogène »
perd de son acuité et le problème tend à se
poser moins en termes d’acculturation qu’en
termes d’imbrication entre des formes ou des
logiques juridiques et normatives endogènes.
Cette réalité de l’imbrication de formes
ou de logiques juridiques et normatives
différentes me semble constituer une
dimension importante de l’anthropologie
juridique du monde musulman. Elle
détermine la signification qui s’attache au
qualificatif « composite » ; celui-ci ayant été
employé par Paul Pascon à propos de la
réalité juridique au Maroc, mais convenant
tout à fait à la description d’autres réalités
juridiques et normatives dans le monde
musulman.
Seulement,
l’anthropologie
juridique qui procède de l’identification de la
réalité juridique comme « composite » s’en
tient à une « statique » du pluralisme juridique
qui cherche, à rebours du formalisme et du
dogmatisme des juristes, à mettre en exergue
d’autres types de normativité que celle que
produit l’Etat. La perspective anthropologique
du pluralisme juridique ou normatif ne peut
cependant ignorer ou faire abstraction de la
perspective politologique pour laquelle l’Etat,
qui se constitue comme un monopole de la
violence légitime, s’organise tout aussi
formellement comme un monopole de la
production normative. L’anthropologue du
Droit, qui accepte généralement l’idée que
l’Etat est le détenteur du monopole de la
violence légitime, n’accepte pas que l’Etat soit
le détenteur légitime de la production
normative et cherche au contraire à établir à la
fois l’indépendance de la réalité normative par
rapport à celle de l’Etat et la réalité d’un
13
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 pluralisme normatif qui persiste dans un cadre
étatique. En fait, le positivisme juridique n’est
pas totalement exclusif d’autres types de
normativité, il tend seulement à en restreindre
la variété (la coutume et la doctrine sont
presque les seules à être reconnues comme
« sources » du droit). L’anthropologue
juridique ne peut cependant faire fi du fait que
le positivisme juridique procède de/et se
confond avec/la domination étatique. Si le
« déterminisme normatif » de l’Etat ne
s’exerce pas toujours à l’égard des
normativités parallèles ou « autonomes » ou
« segmentaires » pour les relativiser, ou encore
ne s’instaure pas (ou ne peut s’instaurer)
comme une négation pure et simple de leur
réalité, il affecte néanmoins ces normativités
d’une potentialité de dé légitimation ou de
syncrétisme ou encore d’une capacité réelle de
neutralisation s’il le veut ou s’il le peut.
Comme la réalité juridique dans le monde
musulman en général, et au Maroc en
particulier, est faite aussi et surtout d’une
imbrication de formes et de logiques
juridiques et normatives ; comme de cette
imbrication découlent des effets de conflit, de
paradoxe et de syncrétisme, une perspective
anthropologique ou de type anthropologique
devrait rendre compte de cette réalité
juridique et normative « composite » qui ne se
réduit pas à une « statique » du pluralisme, et
qui associe à ce caractère « composite » une
« dynamique » de la composition, de la
recomposition et de la décomposition.
La dynamique qu’induit le caractère
composite de la réalité juridique et normative
dans
le
monde
musulman
est
fondamentalement
faite
autour
de
l’articulation
entre
« positivisme »
et
« fiqhisme ». Le positivisme relève d’une
normativité
« autonome »,
c’est-à-dire
produite par et pour des humains, tandis que
le fiqhisme relève d’une normativité
« hétéronome », c’est-à-dire produite par Dieu
ou sur la base de Dieu pour les humains. Le
rapport entre ces deux registres de
normativité se traduit par une dynamique de
composition qui fait relever les domaines de
normativité de l’un ou de l’autre de ces deux
registres, de décomposition qui amène un
registre de normativité à se dissoudre ou à
s’intégrer dans l’autre, de recomposition qui
conduit à une normativité où les deux
registres peuvent se combiner à un degré ou à
un autre. L’imbrication dont découle cette
dynamique de composition, de décomposition
et de recomposition engendre des effets de
sens et de signification qui sont liés à des
usages et à des appropriations des droits, mais
qui ne sont également pas voulus ou assumés
par les acteurs individuels ou collectifs, qui
découlent plutôt d’un agencement objectif de
différentes composantes de la réalité juridique
et normative. Une telle perspective implique
que celui qui fait de l’anthropologie juridique
soit autant anthropologue que juriste.
Je voudrais illustrer cette perspective par
le cas du Maroc. Le caractère composite du
système et de la réalité juridique et
l’imbrication qui s’ensuit entre positivisme et
fiqhisme donne à voir les effets de
composition, de recomposition et de
décomposition dans la détermination étatique
du système juridique et normatif, dans la
subjectivité de son usage et de son
interprétation par les acteurs juridiques, dans
l’objectivité de ses effets de combinaison de
ses constituants normatifs.
1- La manière dont l’Etat au Maroc
aménage l’ordre juridique et normatif
détermine un certain rapport entre la norme
positive et la norme de la charia/fiqh. Dans
l’ensemble, l’aménagement se fait au profit du
positivisme juridique. La normativité de la
charia/fiqh est positivée, et donc formellement
sécularisée et désacralisée. D’une part, elle se
trouve intégrée formellement au dispositif
institutionnel
et
constitutionnel
de
hiérarchisation des normes et de répartition
des compétences. D’autre part, la normativité
axiologique de la charia/fiqh ne s’exerce plus
formellement en tant que source directe
religieuse. Le malikisme n’a pas valeur de
madhhab d’Etat et n’est établi comme source
normative
qu’à
un
niveau
infraconstitutionnel et seulement comme une
source supplétive applicable, dans le
contentieux relatif au statut personnel, en
l’absence d’une disposition codifiée.
La normativité de la charia/fiqh est aussi
fonction du type de configuration théologicopolitique. Au Maroc, comme la symbolique de
14
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 la « Commanderie islamique » est forte dans la
configuration institutionnelle de l’Etat, la
normativité de la charia est moins
déterminante dans l’ordre juridico-politique,
comme si la force de la première compensait
la faiblesse de la seconde.
2- La manière dont l’Etat aménage
l’ordre juridique interne crée ensuite les
conditions d’une imbrication entre la norme
positive et la norme du fiqh/charia. Le rapport
entre les deux types de norme variera en
fonction de la prédominance que les acteurs
juridiques conféreront à l’un des deux types.
La tendance la plus significative est
celle, dans la « doctrine » juridique, qui
subordonne la norme du fiqh à la positivité de
l’ordre juridique. Le domaine juridique du
statut personnel a été le principal lieu
d’illustration de cette tendance. La
subordination du fiqh à la positivité de l’ordre
juridique est le corollaire de l’intégration du
domaine du statut personnel dans
l’enseignement académique des facultés de
Droit et dans la compétence des juristes
marocains formés à l’école occidentale du
Droit (on citera à cet égard les noms de
Khamilichi, My R’chid, Farida Bennani…).
L’opinion
judiciaire,
à
travers
l’interprétation de la loi, est également le lieu
où se donne à voir cette imbrication entre
positivisme et fiqhisme. En entrant en rapport
avec une culture juridique positiviste, la
culture « fiqhiste », à travers le juge, entre dans
une relation dialectique de conflit ou de
composition. L’évolution du système
juridique marocain vers un modèle de type
positiviste est allée initialement, au moins en
principe, dans le sens de la restriction de la
culture juridique fiqhiste. Le juge marocain
participe de cette évolution. Il est de statut et
de rôle « moderne », c’est-à-dire positiviste.
Ce n’est que de manière secondaire et au
travers particulièrement de l’enseignement
dans les facultés de Droit de la matière du
« statut personnel » et de quelques autres
disciplines que la culture fiqhiste lui est
transmise.
Cette culture fiqhiste, parce que
superficielle, devrait normalement se fondre
dans une culture juridique positiviste,
s’affaiblir au profit de cette dernière et
conduire à la « positivisation » du fiqh, c’est-àdire à l’intégration de la législation du fiqh
dans le moule rationnel du droit positif, avec
ce que cela implique, notamment la
relativisation des dispositions fiqhistes par les
autres dispositions du droit positif et la
hiérarchie des règles qui le structure
(Constitution ; droit international…). En fait,
le juge officiant dans le cadre de ce
contentieux finit, au bout de plusieurs années
d’exercice dans ce domaine, par acquérir un
profil hybride de juge moderne positiviste en
même temps que de « juge-faqîh ».
La « fiqhisation » du juge positiviste se
manifeste par exemple par la sur-motivation
de ses jugements, par le recours à des
références fiqhistes là où l’énoncé de la loi est
autosuffisant. Elle se manifeste aussi par la
« rationalité »
qui
caractérise
le
fonctionnement intellectuel du juge. En sens
inverse, la positivisation du fiqh à travers le
juge est aussi un fait avéré. Cela se traduit, sur
le plan de l’opinion judiciaire, par une
pusillanimité du juge dans l’exercice de son
pouvoir
d’interprétation.
Cette
« pusillanimité » du juge fait contraste avec la
« créativité », parfois « progressiste », du fiqh,
et s’il arrive que le juge se fasse
« progressiste » et féministe, c’est plutôt via le
fiqhisme. Le principe jurisprudentiel du « kad
wa sicâya » (qui reconnaît à l’épouse divorcée
ou dont le mari est décédé le droit au partage
des biens conjugaux) est un principe de la
raison fiqhiste. Le juge positiviste n’a pas à
son compte, dans le droit de la famille et du
statut
personnel,
une
créativité
jurisprudentielle à la mesure de celle que le
fiqh a pu favoriser par le principe de « kad wa
sicâya ».
3- La manière dont l’Etat aménage
l’ordre juridique interne crée enfin des effets
de sens qui sont liés à la combinaison
objective entre plusieurs constituants et
logiques des données juridiques et normatives.
La démarche anthropologique ou de type
anthropologique peut être confrontée en effet
à une situation où la signification de la réalité
se détermine indépendamment des acteurs et
de ce qu’ils veulent. Une telle situation peut
également et en même temps illustrer le fait
que cette signification peut émerger dans la
15
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 conscience des acteurs sans qu’ils se rendent
compte qu’elle existe comme effet d’une
réalité donnée et de la combinaison de ses
constituants. Le sens qui découle de cette
situation peut faire songer à celui que Lévistrauss à propos du rapport entre les mythes,
sans que cette signification soit une
interprétation de l’anthropologue, mais
seulement l’effet de mythes qui « se parlent
entre eux ». La détermination du sens Lévistraussien des mythes est cependant le résultat
d’une démarche structuraliste qui entend se
passer du sujet dans l’opération d’analyse des
mythes, tandis que la détermination de la
signification de la réalité que je vise ne
procède pas d’une intention méthodologique
de se passer du sujet, mais seulement d’une
réalité dont les éléments combinés produisent
un effet de sens non assumé par les acteurs.
Dans la mesure où la constitution
juridico-politique et institutionnelle de l’Etat
au Maroc combine une double logique, une
logique constitutionnaliste et une logique
fiqhiste, la symbolique traditionnelle du
pouvoir politique s’en trouve subrepticement
affectée, et avec elle la logique fiqhiste. Si la
bayca continue toujours de revêtir la
signification religieuse de lien d’obéissance
entre le « commandeur des croyants » et les
« croyants musulmans », il s’avère qu’elle est
aussi utilisée comme fondement du principe
d’allégeance perpétuelle qui a pour
conséquence le droit perpétuel de
souveraineté de la monarchie marocaine sur
tous ses sujets nationaux. Le principe
d’allégeance a pour conséquence la
« nationalité perpétuelle » du marocain
d’origine qui n’a pas renoncé explicitement à
sa nationalité ou dont la renonciation, par
l’acquisition volontaire d’une nationalité
étrangère, n’a pas été ratifiée par décret.
L’application de ce principe à tous les sujets
nationaux a pour effet que la bayca, qui est au
fondement de ce principe, est étendue dans
ses conséquences au-delà des seuls sujets
musulmans tout en excluant dans son
principe les sujets non-musulmans puisque la
bayca continue à ne s’appliquer qu’aux rapports
du « Commandeur des croyants » aux sujets
marocains musulmans. On a là une situation
où la réalité fait sens par les effets de la
combinaison de ses éléments sans que les
acteurs
soient
prêts
à
l’admettre
subjectivement. La monarchie marocaine et
les marocains ne sont pas disposés
subjectivement à accepter que les citoyens
juifs soient intégrés au cérémonial de la bayca,
alors que par l’effet de combinaison entre la
bayca, la nationalité et le principe d’allégeance
perpétuelle, ils s’y trouvent déjà intégrés. Mais
si la monarchie marocaine et les citoyens
marocains musulmans ne sont pas encore
prêts à agréer cette évolution, cela n’est pas le
cas des citoyens marocains juifs. Une
déclaration d’un représentant de la
communauté juive marocaine est allée
récemment dans ce sens 1 , le titre de
« Commandeur des croyants » ayant été
interprété comme s’étendant aux croyants
juifs marocains. Mais en faisant cette
interprétation, ce représentant de la
communauté juive marocaine est loin de
soupçonner que l’évolution du système
juridico-politique marocain a déjà réalisé
partiellement cette intégration sans que le
pouvoir politique lui-même en soit conscient.
Voir Al-massae, quotidien en arabe, vendredi 24
octobre 2008, n°652.
1
16
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Islamic law in many arenas :
Struggles for recognition and dominance
Franz and Keebet von Benda-Beckmann
Professors, Social Anthropology
MPI for Social Anthropology, Halle, Germany
Islamic law exists nowhere in
isolation. It is characteristically embedded in
encompassing webs of diverse normative
orders and institutions. Studying the
significance of Islamic law therefore requires
positioning it in relation to other normative
orders. Constellations of legal and
institutional pluralism of which Islamic law is
a part vary widely. Indonesia, the state with
the largest Muslim population worldwide,
provides interesting counterpoints to the
history of Islamic law in Arab and Middle
Eastern states. It has a rich history in which
the relationships between Islamic law and
other legal orders have been shaped. Already
in pre-colonial times, Islamic law entered into
different relations with local ethnic legal
orders, usually summarized as adat laws. With
the coming of a colonial state legal order, the
relationships have become more complex.
The relationships between the bodies of law
are generated and maintained through a
variety of social processes in “many rooms”,
to echo Galanter (1981).
When
speaking
about
these
“relationships”, we mean two different kinds
of relations. In the first place, we mean
socially constructed schemes about how the
different co-existing normative universes
relate to each other; normative constructs
expressed in political and ideological
statements
about
complementarity,
equivalence or superiority of the different
orders. They may also be found in legal
demarcations of the orders’ respective spheres
of validity. These constructs are usually
elaborated in social processes in different
political, legislative and educational arenas,
but they can also be stated in decision making
processes in courts or other forums. They
may serve to express the relationship at the
all-inclusive level between systems, but may
also define spheres of validity for specific
fields of social organisation such as village
constitution,
kinship,
property
and
inheritance, marriage affairs, banking, or
public order. These legal constructions of
spheres of validity from the perspective of
state law have been called “weak legal
pluralism” and treated as a variant of legal
centralism as the respective non-state legal
orders are recognised as law by state law. But
as we have mentioned elsewhere, other legal
orders such as Islamic law and adat laws may
have their own normative constructions of
the respective spheres of validity. All such
normative constructions of legal pluralism are,
of course, legal, and as such elements in
(strong) legal pluralism. Secondly, we can
observe (a different set of) relationships
between legal orders in the social practices in
which different legal repertoires are used,
which provides information about the relative
social significance of these differential uses in
different social arenas. Examples would be
the actual use made of the systems in property
and inheritance affairs, in marriage and
divorce, disputing processes in villages and
different kinds of state courts, in the
establishment of institutions and in processes
of rule making and regulation.
In all these processes, legal repertoires
may be sharply distinguished and applied as
distinct legal forms with their distinct legal
substance and logic. But they may also be
combined in one and the same social process,
decision, institution or regulation, leading to
hybrid legal forms that combine elements of
Islamic law with elements of state law or adat.
In the course of time, such hybrids may
themselves become institutionalized as more
or less stable legal versions and be attributed
to one particular legal system. As a result of
such processes, the reception of Islamic law in
17
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Indonesia has been a complex process in
which “Islamic law” or “the sharîca” has been
pluralized. Islamic concepts and rules may
obtain local interpretations that differ in
important ways from the interpretation of
official Islamic jurisprudence. Rather than
dismissing local interpretations as mere
misunderstandings, understanding the social
working of Islamic law therefore requires a
careful analysis of the various interpretations
as they are generated and put to use in a
variety of arenas and of the different
relationships with other legal orderings.
In this paper we deal with these issues
in West Sumatra, the homeland of the
Minangkabau. The Minangkabau have a
particularly interesting constellation because
of the striking contradictions between Islam
and the Minangkabau adat of matrilineal
heritage that structures social, economic and
political organisation. We shall focus on
intergenerational transmission of property as
one of the crucial issues around which the
relationships between the three major
normative systems over the past two centuries
have been crafted. The issue is of particular
interest for two reasons. In the first place it
reveals the problems arising from
fundamentally different legal logics underlying
the relevant regulations of the normative
orders, which actors have to grapple with,
whether they are farmers, elders, politicians,
judges or legislators. Secondly, the issue is
important because it demonstrates clearly that
the relationships are made in different arenas,
in which actors struggle with incompatibilities
but finding different modes out of the
dilemmas posed by the plural legal order. We
look at political arenas, at civil and religious
courts, and at inheritance practices of the
population and show that these arenas
undergo quite diverse dynamics. In the last
part of the full paper we present a court case
in a Religious Court dealing with an
inheritance and a donation. This example
allows for an understanding of the attempts to
negotiate a way among the competing legal
logics, and for discussion of some of the
tensions and confusion that have emerged
among the judiciary.
Minangkabau adat
The Minangkabau population lived
traditionally in nagari, polities with
considerable political autonomy. The nagari
were associations of matriclans (suku)
consisting of one or more matrilineages
within a territory. The core of Minangkabau
social organisation was the adat pusako, the
adat of matrilineal heritage. It is mostly
assumed that the word adat came to
Indonesia with Islam and the Arabic language.
In the doctrines of Islamic law, adat means
customary law or customs that can be
accepted as law in sharîca terms. But in most
Islamic and non-Islamic regions, the term adat
has long become indigenised as the general
concept that encompasses culture, law,
morality, etiquette and customs. When we talk
about adat law, we mean the legal elements of
adat. It regulated kinship, group affiliation,
inheritance of property and succession to
office within the nagari, procedures for
decision making and sanctions.
In the Minangkabau property system,
the socially and economically most important
category was pusako, inherited lineage
property. Pusako comprised both intangible
values such as the title of the lineage elders as
well the tangible property, which included
irrigated rice land, family houses, and family
(gold) jewellery. This lineage property-people
complex was regarded as a constituent unit in
the economic and political organisation of
Minangkabau villages. In adat law and
philosophy, the property and lineage
members were ‘one’. Permanent alienation of
inherited property was not allowed because
this property served as the material basis for
the continuity of the descent groups.
However, under narrowly defined conditions
a temporary transfer of lineage property was
possible, e.g. for the installation of a lineage
head, the marriage of a female lineage
member, the restoration of the lineage house
and burials. Under certain circumstances, a
part of pusako property could be transferred
from a father’s lineage (the bako) to the
children of a father (their anak pisang).
Property rights to use and exploit parts of the
pusako complex were allocated and distributed
in a number of ways. The most important
18
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 mechanism was the distribution of the
exclusive rights to use specified parts of the
common lineage property to sub-lineages of a
woman and her descendants. Male and female
members could be allotted a portion of pusako
to be brought into marriage. If a sub-lineage
became extinct, that is, when there were no
female descendants to continue the descent
line, its property would revert to the lineage to
be distributed among the remaining sublineages. In principle, the pusako holding
lineage was continuous, its property
indivisible, and all rights to exploit pusako
were temporary. Should a panghulu headed
lineage grow too large, it could be split. The
pusako would then be divided and the younger
branch would be given an own titled lineage
head. Group and property division regularly
led to serious conflicts between the sublineages. If a whole lineage died out, its heirs
would be the most closely related lineages of
the same clan.
The other important category was
self-acquired property (harato pancaharian), i.e.,
property acquired through the cultivation of
new land, (temporary) gifts, or through
financial transactions and trade. It was
destined to become inherited property. The
lineage members as future heirs had to
consent to any transfer which threatened their
future inheritance. Men also made last will
declarations (umanat) with the intent to give
part of their property to their children.
Permanent alienations required the consent of
all adult lineage members.
Contested inheritance law
Inheritance has been the focal point at
which the relation between adat and Islam
was given shape, both in the discursive
construction of “the relation” as well as in the
social processes of defining and managing
property and inheritance rights. It largely
served as a pars pro toto for the general political
and ideological relationship between adat and
Islam, for kinship, familial authority, control
over property and political offices. And while
inheritance remained the most contested
issue, it became by the same token the issue
about which harmony and agreement had to
be achieved. This relationship was always part
of the wider context of triangular relations
with the state authorities and state law. But as
the colonial and post-colonial state never
directly intervened into the regulation of
inheritance, the most visible and dynamic
developments during the colonial period
occurred in the relation between Islam and
adat and adat authority.
With the coming of Islam, the Arabic
language made its entrance in the 16th century,
with the effect that many Arab words which
had a specific meaning under Islamic law were
adopted into Minangkabau language. These
terms also expressed a new model of social,
political and economic organisation, and by
doing so, the introduction of Islam and
Islamic law created an emerging legal
pluralism within the region. Rather than
adopting Islamic institutions wholesale, these
were largely “adatised” and came to denote
adat institutions. Concepts like hak and milik
became subject to the principles of pusako and
pancaharian. The warith, denoting the Koranic
heirs, in adat became the warih (waris), the
matrilineal heirs. Hibah, donation, became the
concept for donations in adat, often also
called hibah-wasiyat. In adat, hibah was mainly a
donation propter mortem by which fathers
transferred part of their property to their
children. It was not a contract as in Islamic
law, and in contrast with Islamic law it was
also revocable.
Before the late 18th century, Islam and
the sharîca had not changed the social and
political
organisation
of
the nagari
substantially. Islamic offices of chatib and malin
were incorporated into the matrilineal clan
organisation. Succession to these offices was
according to matrilineal principles. After the
early 19th century civil war and colonisation,
the relationship became more strained. The
first battles were fought to widen men’s
autonomy to dispose of their self-acquired
property, most notably to give it to their
children by gift or testamentary disposition
without the consent of their matrilineal heirs.
These gifts were originally called “pemberian”
but the notion of hibah increasingly replaced
the older term. It also became more common
to use the Islamic term of wasiyat instead of
the adat term (umanat) for a will, while keeping
19
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 to the adat regulations of wills. While in the
19th century, hibah was only used in
connection with self-acquired property, it was
gradually also used for gifts of pusako property
by a man’s lineage to his children. Transfers
could be made for the lifetime of the children
or for their lineage segment in continuity. In
all events it required the consent of the
matrilineal relatives of the giver.
In the course of time a compromise
was formulated in the provincial political
arena between Islamic scholars and Adat
leaders. In 1930, the ulama of the old school
issued a fatwa stating that pusako lineage
property should be inherited according to
adat and the self-acquired property according
to Islam (Abdullah 1985: 143). This would
become known as the “inheritance
consensus” to which political discourse would
consistently refer in the decades to come,
even if the practice in courts and inheritance
practice was different. In day to day
inheritance practices and also in the courts,
scope for devolution to a man’s children
gradually broadened within the realm of adat
law. The Dutch colonial courts continued to
validate those adat rules which required the
consent of the matrilineal heirs for donations
to children. Men increasingly conferred
property upon their children by means of
hibah which was considered an adat concept, a
gift made a person to take place after his or
her death that is revocable during the lifetime
of the giver. Legal officials in the
administration
and
colonial
courts
consistently considered matters of intestate
inheritance, donations and testaments as
falling under adat law. The adat law itself, in
particular the extent to which Minangkabau
men could dispose of pancaharian property to
their children, however, was in flux. This issue
was only unequivocally answered by the
landmark case in 1930, in which the highest
colonial court stated that a father could also
give away (by testament) his self-acquired
property before his death without his
matrilineal relatives’ consent. Intestate
inheritance of pancaharian, however, remained
subject to matrilineal inheritance principles.
This was only changed in the 1960, when the
Supreme Court ruled that according to the
changed Minangkabau adat law, self-acquired
property was inherited “by the children”.
At the national level, debates about
the introduction of religious courts led to the
establishment of religious courts which were
to apply Islamic law to matrimonial matters
and inheritance and gifts “if these subjects
are, according to the living law to be decided
according to Islamic law”. Until the end of
the 1980s, there was widespread consensus
within West Sumatra among judges,
administrators, and the general population,
that inheritance disputes were mainly a matter
for the civil courts. The Religious Judicature
Act (1989-7) broadened the Religious Courts’
jurisdiction to explicitly include inheritance.
Religious courts were to apply Islamic law,
while civil courts would continue to apply
adat. However, the judiciary in West Sumatra
interpreted the law as providing disputants
freedom of choice. They could either bring
their inheritance disputes to the civil court or
to the religious court. In practice, disputants
continued to bring their inheritance disputes
exclusively to the state civil courts. Thus, in
inheritance practice, both disputed and not
disputed, the rules of inheritance of faraidh
were hardly ever applied.
At the provincial political level, the
topic of the proper inheritance law became a
prominent issue again. The inheritance
consensus – adat for lineage property, faraidh
for self-acquired property – was restated at
two major province wide meetings of local
leaders in 1952 and 1968. In inheritance
practices and courts, however, the situation
was quite different. Hibah of pusako was only
possible according to adat law with the
consent of the lineage or, in case the lineage
was extinct, without consent of matrilineal
relatives. However, transferring self-acquired
property by hibah without consent of a man’s
matrilineal was kin no longer contested.
Increasingly, self-acquired property was also
inherited within a man’s conjugal family “by
his children” without a will. But if a man left
no children, the normal matrilineal principles
would take over again.
To further strengthen Islamic law, the
central government issued a “Compilation of
Islamic law” in 1991, a set of guidelines for
20
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 interpreting and applying Islamic laws in the
religious courts. The Compilation did not
follow Islamic law in all details and contained
substantial adjustments to Indonesian notions
of family law and inheritance. For example,
the rules of hibah differ both from the learned
fiqh interpretations of inheritance law and
from the adat regulations pertaining to hibah.
The Compilation posed an additional
potential source of conflict. On the one hand
it follows the general adat view that hibah is
part of the set of regulations pertaining to
inheritance. This deviates from Islamic
jurisprudence in which gift giving is not part
of the inheritance complex. Yet the
Compilation explicitly limits the amount that
may be given by way of hibah to one third of
the estate, which would be the limit that
Islamic law imposes on testaments but not on
hibah. Thus it applies a rule taken from
inheritance law to gift giving which does not
make sense in the logic of Islamic
jurisprudence, but fits the Indonesian – and
Minangkabau – logic of inheritance. However,
since the civil courts did not refer to the
Compilation, this regulation had no impact on
the outcome of disputes during the last
decade of the Suharto era. Civil Courts
continued treating cases involving hibah as
adat cases and religious courts would pass on
such cases to the civil courts. The few
inheritance cases that religious courts
accepted were declaratory cases in which a
person asked to be confirmed as the heir to a
deceased person. It was only during the 1990s
that religious courts started to handle
substantive inheritance cases, but this
amounted to no more than a handful of
disputes for the whole province. The majority
of substantive inheritance cases were decided
by civil courts. Changes in jurisdiction had
hardly affected court practice. Litigation rates
for inheritance cases had remained remarkably
stable over a period of 25 years.
logics of adat and Islam clash. It creates much
confusion and uncertainty not only among
disputing parties but also among the courts.
The dispute about the inheritance of Datuk
Batuah (reported in the full paper) shows the
complications resulting from the different
logics implied in Islamic and adat regulations
concerning inheritance and gift giving. This is
quite an extraordinary case. Here we have a
civil court of appeal that does not follow the
civil court in first instance but refers the case
to the religious court. Instead of defining it as
a dispute about lineage property for which it
clearly had competence, it declares it to be
about hibah that falls within the jurisdiction of
the religious court. On the other hand we
have a religious court that accepts the case as
falling within its competence, but declares
adat law to be applicable because it concerns
pusako and the validity of a hibah-donation
understood in its adat sense, and not in the
sense of Islamic law.
*
In short, practices of intergenerational
transmission of property occurred at a
different pace from changes in the normative
constructions in courts, in political arenas of
the national legislators. While compromises
and an ideology of harmony and mutual
compatibility are possible at an abstract level
of political negotiation, the implications of the
different logics underlying the legal orders
only surface in the nitty-gritty details of
disputing processes in which people argue
about concrete valuables.
Competing logics
The fact that conflicts concerning
hibah donations were seen as regarding both
Islamic law and adat, especially if the land
under dispute had (alleged) pusako status has
important implications. In such situations the
21
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Droit musulman, droit coutumier, droit tribal dans les sociétés
ouest-sahariennes
Pierre Bonte
Directeur de recherche émérite au CNRS
Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris
Les observations qui suivent ne
relèvent pas des analyses d’un spécialiste du
droit mais procèdent d’une recherche de
terrain sur une région du trab al-baydân ouestsaharien, l’Adrar (Bonte, 2008). Dans une
perspective anthropologique, cette recherche
sur une société tribale arabophone, pastorale
et nomade, m’a conduit à une réflexion plus
large, aux ambitions comparatives, sur les
formations tribales dans le monde arabomusulman (L’Homme, 1987 ; Bonte et al.,
1991 ; Bonte, 1994 ; Bonte et al., 2001 ; Ben
Hounet et Bonte, 2010). C’est dans ce cadre
que j’ai été amené à faire le constat de la
distinction qu’établissent, en ce qui concerne
la jurisprudence (fiqh), aussi bien les juristes
que les anthropologues, entre le « droit
musulman » se référant à la Loi religieuse
(sharîca), s’appuyant sur le Coran et la Sunna
prophétique, et le « droit coutumier » (curf ou
c
âda). Cette distinction révèle immédiatement
sa complexité si on note que le curf est
considéré comme une des composantes, et
même la source du fiqh : « les sentences du fiqh
se fondent sur le curf » note ainsi al-Suyûti. De
manière plus pragmatique, les populations
tribales
ouest-sahariennes,
suivant
exclusivement l’école sunnite malékite (à
laquelle une des meilleures introductions reste
Schacht, 1999), considèrent que « la coutume
est respectée tant qu’elle ne s’oppose pas à la
loi religieuse ».
Les règles principielles sur lesquelles
fonder la distinction entre règles religieuse et
coutumière
apparaissent
singulièrement
brouillées et se réfèrent à des logiques
diverses selon les auteurs. De manière un peu
trop simple peut-être, elles opposent ainsi
transmission écrite et orale – mais le fiqh peut
être transmis « auralement », sous une forme
versifiée dans l’Ouest-saharien, et la coutume,
mise par écrit en fait dans de nombreux kanûn
–, ou encore traditions islamiques et traditions
préislamiques
se
perpétuant
après
l’islamisation des mondes berbères ou
sudarabiques (Chelhod, 1985, au Yémen
s’appuyant sur le terme taghûb, « idoles »
désignant le droit coutumier).
L’opposition entre fiqh et curf est
souvent conçue comme résultant de
l’émergence de jurisprudences distinctes au
niveau étatique et au niveau local. Le droit
coutumier est alors associé aux organisations
villageoises, tribales, corporatistes, etc. On
parle ainsi, de manière équivalente par rapport
au droit coutumier, d’un « droit tribal », en
particulier dans une tradition anthropologique
britannique qui donne une large extension au
terme « tribu » comme mode d’organisation
des sociétés « sans État », ces sociétés tribales
partageant
des
valeurs
afférentes
(« égalitarisme »,
« anarchie
organisée »,
« équilibre »/balance, arbitrage, etc.). On
parlera alors de « droit tribal » dans des
sociétés qui ne sont que partiellement
(Palestine) ou pas du tout organisées en
« tribus », et qui n’appartiennent pas au
monde arabo-musulman.
Dans
une
perspective
assez
comparable, des auteurs considèrent que le
droit coutumier, ou tribal, recouvre des
domaines particuliers de la jurisprudence, plus
particulièrement
les
comportements,
sanctionnés par la communauté, d’atteintes
aux personnes, à l’honneur et aux biens,
incluant les modalités de règlement des
conflits, pourtant fortement codifiées dans le
fiqh « classique ».
On notera que, dans cette perspective
comme dans la précédente, le « droit
coutumier » se voit assigner d’un point de vue
extérieur un champ d’application spécifique,
23
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 le phénomène étant particulièrement clair
dans le contexte colonial. On en voit la
manifestation déjà dans la législation
ottomane, à l’occasion de la réforme de la
mejelle (1877) et certains auteurs font remonter
la spécification du droit coutumier à Ibn
Nujaym (m. en 1563). Une étude historique
s’imposerait, que je n’ai aucune compétence à
mener. J’en resterai donc à mes expériences
de terrain. Il faut dire quelques mots des
particularités de celui-ci du point de vue dont
nous traitons.
Je rappellerai d’abord que le monde
tribal
ouest-saharien
présente
une
remarquable
homogénéité
linguistique
(dialecte
arabe
hassâniya),
culturelle
(« bédouine »), religieuse (sunnisme malékite)
et sociale, naturellement, dans ses fondements
tribaux, mais une toute aussi notable diversité
des
institutions
politiques
(tribus
« segmentaires », chefferies confédérales,
émirats) et, par la même occasion, des
casuistiques juridiques. La problématique de
formation d’un droit coutumier doit tenir
compte de cette homogénéité et de cette
diversité. J’en esquisserai d’abord quelques
traits.
Les tribus ouest-sahariennes se
répartissent de manière ordonnée (« ordres
émiraux ») ou relative (« rangs » plus ou moins
hégémoniques)
selon
des
hiérarchies
statutaires et/ou politiques, particulièrement
développées au sein des émirats. Elles
distinguent alors hassân, « arabes », guerriers,
détenteurs du pouvoir émiral, zawâya,
gestionnaires du sacré et d’une partie des
activités économiques, et znâga, « protégés »,
tributaires des premiers, les uns et les autres
répartis en tribus distinctes. La « gestion du
sacré » (Ould Cheikh, 1985) correspond au
monopole qu’exercent plus ou moins les
zawâya dans le domaine des rituels et des
savoirs islamiques, en particulier dans le
domaine du droit (positions de qadis, de
fuqahâ et culamâ). Même là où se développent
de fortes hiérarchies politiques, au profit
généralement mais non exclusivement des
hassân (chefferies, émirats), les zawâya
s’accordent majoritairement pour considérer
qu’il n’existe pas d’autorité politique légitime
du point de vue religieux, que l’on se trouve
dans un « pays d’anarchie », bilâd al-sayba,
expression que l’on trouve déjà chez le célèbre
qadi Belcamash (m. 1695) et dont ils déduisent
d’importantes conséquences dans le domaine
du droit.
La pratique juridique locale, dans la
tradition malékite, souligne l’importance de la
coutume et affirme souvent que curf a la même
valeur que ijmac, le consensus unanime des
docteurs,
sans
néanmoins
distinguer
clairement le droit coutumier par rapport aux
prescriptions du fiqh en général. Elle considère
en effet assez unanimement que les
dispositions coutumières relèvent de la
catégorie camal, c’est-à-dire, dans une tradition
maghrébine, des sentences s’écartant de
l’opinion dominante en considération des
nécessités du temps ou d’utilités temporaires
ou temporelles tombant avec les circonstances
qui les ont inspirées. C’est le cas du mode de
vie nomade qui exclut la purification par l’eau,
la prière collective du vendredi, la zakat en
numéraire, etc.), dispositions qui tombent si
on adopte un mode de vie sédentaire, en
particulier dans le monde contemporain
majoritairement urbain.
Dans le contexte ouest-saharien, la
prise en compte de la coutume s’exprime
prioritairement à propos de l’évocation des
« cas d’espèce » (nawâzil) auxquelles répondent
les consultations (fatâwâ) des fuqahâ qui
apprécieront la compatibilité des solutions
juridiques avec le fiqh. Au final, se dessine
moins un domaine identifié de la coutume
(câda) qu’un champ d’interprétations ouvertes,
circonstancielles ou non, qui peuvent
s’inscrire dans le cadre de la revendication de
l’ijtihâd, l’interprétation élargie plus ou moins
tolérée par le fiqh. Certains docteurs
musulmans ouest-sahariens la revendiquent
ouvertement, tel Shaykh Muhammed Almâmi,
l’auteur du Kitab al-Badiyya (m. 1865).
De manière générale, comme en
témoigne le titre de cet ouvrage, les réalités
locales sont fortement affirmées dans le fiqh
ouest-saharien (Ould el-Hassene, 1989). Une
étude d’ensemble de la manière dont, en
particulier, les fatâwâ intègrent le fait tribal au
cours des siècles passés a été développée par
Yahya ould el-Barra dans sa thèse (2000) où il
met en évidence une sorte de « tribalisation »
24
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 du fiqh. Je suis clairement redevable à l’auteur
(qui a, depuis, édité en arabe un recueil de
plusieurs milliers de fatâwâ) de nombre de mes
références et je m’appuierai souvent sur ses
travaux).
Me réservant de renvoyer pour le
moment aux recherches que j’ai consacrées à
cette question (Bonte, 1994 ; Benkheira et
Bonte, 2009-2010), je ne ferai qu’évoquer un
premier point qui aborde les problèmes
soulevés par les pratiques de l’alliance de
mariage du point de vue de la définition de la
norme. Ces problèmes illustrent d’abord le
fait que la « coutume » intervient aussi de
manière notable dans des domaines comme
celui du droit de la famille et du statut
personnel que l’on considère généralement
comme relevant prioritairement, voire
exclusivement des prescriptions de la sharîca.
Je serai néanmoins bref, car il s’agit surtout
d’introduire à un second point que je
développerai plus longuement et qui concerne
ce qui a trait à la « protection ».
La pratique du « mariage arabe », entre
enfants de frères, est légale du point de vue de
la définition coranique des interdits
matrimoniaux. Elle s’accompagne souvent de
droits reconnus à un homme en ce qui
concerne le mariage de sa cousine parallèle
patrilatérale, ne serait-ce que d’être consulté
pour le choix du conjoint de sa cousine et de
pouvoir s’y opposer. Quelle que soit son
extension selon les sociétés concernées, cette
pratique ne correspond pas à une disposition
de la sharîca. On observe qu’elle se diffuse
cependant
tendanciellement
avec
l’islamisation.
J’ai
montré
qu’elle
correspondait en fait à une exigence de la
sharîca, celle de kafâca, la nécessité de la parité
du mari et de son épouse, exigence
concernant exclusivement la femme et qui
aboutit à l’interdiction de l’hypogamie
féminine.
Dans cette mesure, l’institution
malékite du wali, tuteur matrimonial de la
femme, peut être rapprochée de ce « droit
(coutumier) du cousin ». Celui-ci est le plus
proche parent – de statut généalogiquement
« identique » à celui de sa cousine –
susceptible de pouvoir l’épouser une fois
posés les interdits matrimoniaux légaux. Ces
pratiques, tant légales que coutumières,
enrichissent notre conception du droit
patrilinéaire musulman comme l’expression
d’un droit masculin, défini par rapport au
féminin et s’exerçant sur un « capital »
matrimonial et symbolique féminin qui
renvoie à une hiérarchie première des genres.
D’autres dispositions coutumières s’éclairent
aussi sous cette perspective. C’est le cas du
« mariage par échange » (badal), fondé sur un
échange de sœurs entre deux hommes qui
établit d’une autre manière la parité des
conjoints. Malgré les fortes réserves des
c
ulâma, ce mariage est très pratiqué au
Machrek, mais je l’observe aussi, sans qu’il
soit nommé badal, dans l’Ouest-saharien. De
même, le sororicide et autres « crimes
d’honneur » trouvent des significations
nouvelles interprétés dans le cadre de cette
problématique.
Ceci mériterait des analyses plus
précises, que j’ai approfondies à partir de mes
recherches de terrain. Je m’arrêterai
simplement sur un point.
Cette hiérarchie « première », « structurelle »
des genres est susceptible de lectures
juridiques
qui
peuvent
apparaître
contradictoires. L’une est illustrée par la
fameuse « Constitution de Médine » (Rubin,
1985) qui réduit les effets des hiérarchies
patrilinéaires/masculines à propos de
l’héritage, du tutorat matrimonial ou encore
du « prix du sang » au profit d’une sorte
d’égalité/parité des nouveaux croyants au sein
de la umma. Les fuqahâ ouest-sahariens, à
l’inverse, retiennent et même plutôt
accentuent la dimension hiérarchique de la
société tribale qui se traduit par une
circulation non hiérarchique des femmes entre
les groupes tribaux et un encadrement strict
de la politique matrimoniale par la jamâca
tribale pour éviter les mésalliances et le
mélange des ansab (généalogies) dont rend
compte la maxime : « le contact des peaux
rend les grands parents égaux ». L’union
réalisé suppose une certaine parité des lignées
généalogiques concernées qui, si elle n’est pas
établie incontestablement, peut se traduire par
un déclassement des « donneurs » ou un
reclassement des « preneurs » de femme qui
ont consenti un mariage féminin hypogame.
25
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Si les conflits à ce propos et les « crimes
d’honneur » sont moins répandus qu’au
Mashrek, du fait d’un statut de la femme plus
favorable, ces crimes se produisent
néanmoins – cette année encore un imam
d’Aleg a été condamné à mort pour un acte de
cet ordre – et la tradition a retenu
significativement le souvenir de la guerre
légendaire de Tinâdhmin, qui aurait eu lieu au
XIVe siècle, aboutissement d’un conflit à
propos de l’application de la kafâca.
Les sociétés tribales ouest-sahariennes
présentent un remarquable développement
institutionnel des modalités de la protection.
La relation protecteur/protégé concerne
toutes les catégories du monde tribal. Elle
associe par nature hassân et znâga mais
concerne aussi les relations entre hassân et
zawâya, et peut intervenir entre des tribus de
statut paritaire. Les zawâya développent aussi
des relations particulières dans le cadre
desquelles la protection qu’ils fournissent est
fondée sur leur baraka (bénédiction) ou sur
l’autorité de la tazubba (malédiction).
L’institutionnalisation de la protection se
traduit généralement par le versement de
prestations régulières ou occasionnelles.
Les fondements normatifs de la protection
prolongent immédiatement les hiérarchies des
genres. Protéger est un privilège masculin,
dont rend compte l’expression « se mettre
dans le dos ». Le dos, dhahr, est l’expression
habituelle de la parenté agnatique masculine, à
l’opposé du batn, « ventre », parenté utérine.
La protection implique une sorte de
« féminisation » des protégés qui se traduit
notamment dans le cas des znâga, « protégés »,
par le fait qu’ils sont considérés comme des
« donneurs » de femmes, sans contrepartie. Le
terme hurma qui désigne la prestation régulière
du protégé znagi au protecteur, dérivé d’une
racine H.R.M. connotant les valeurs féminines
et celles du sacré, souligne que le protégé est
inscrit dans le harîm du protecteur, incluant
tous ceux qu’il a le devoir de protéger, en
priorité les femmes de sa parentèle.
L’hospitalité consiste de même à intégrer un
homme au monde féminin de la tente, durant
la période où il est sous la protection de son
hôte. Saisir les piquets de la tente est
l’équivalent de la demande d’asile. Un autre
terme, lahma, désignant la catégorie des znâga,
rapproché à tort étymologiquement de la
« chair », de la « viande », renvoie plus
vraisemblablement à la racine L.H.M.,
connotant la « trame », qui a donné luhma, la
parenté cognatique, soulignant la dimension
féminine du lien.
Ce système de protection/prestation –
il en existe d’autres dans la société baydân –
réfère au « coutumier » et est largement
organisé au profit d’une catégorie tribale
particulière, les hassân, dans le cadre des
émirats dont la formation remonte à la fin du
XVIIe siècle. Les fuqahâ ouest-sahariens ont
été amenés cependant à l’interpréter en
fonction des principes du fiqh. Leurs positions
sont contradictoires. Certains condamnent, de
manière virulente parfois, ces prestations
qu’ils assimilent à des « taxes injustes », levées
sans légitimité étatique et qui remettent en
question la pratique religieuse des hassân.
D’autres, privilégiant une approche purement
casuistique des conséquences du système, les
interprètent de manière à privilégier une
conception
contractuelle,
juridiquement
acceptable, des fondements de la protection.
Ainsi des fatâwâ sont délivrées concernant
l’héritage
des
protégés/tributaires sans
héritiers légaux. Reviennent-ils ou non au
protecteur ? De même en ce qui concerne la
diya, le « prix du sang » : y a-t-il participation
réciproque des deux parties aux diya données
et reçues par l’une d’entre elle ? La zakat sur
les biens du protégés/tributaires doit elle être
levées comme s’il était propriétaire de ses
biens ?
Si certains de ces fuqahâ restent fermes
en ce qui concerne l’illégalité de la hurma,
d’autres, nombreux et influents, acceptent une
interprétation contractuelle de la protection
qui les amène à remettre en question la pleine
propriété du protégé sur ses biens et à justifier
la prestation. Au XVIIe le qadi Belcamash,
déjà cité, énonçait que : « les protecteurs ont
une contrepartie proportionnelle au degré de
veille ». Au XIXe, le célèbre docteur soufi,
Shaykh Sidiyya al-Kabir, écrit de manière plus
explicite encore : « Les biens des tributaires et
leur tutelle matrimoniale sont propriétés de
leurs maîtres », ils en sont seulement des
gardiens !
26
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Les mêmes fuqahâ tireront les
conséquences
de
cette
conception
contractuelle de la relation de protection en
défendant la possibilité de rachat au
protecteur des prestations qu’elle impliquait
(fidâ), le plus souvent au profit du zawî qui
développait ainsi sa propre clientèle et
disposait de main d’œuvre de bergers en
particulier. Cet « acte louable » était même
valorisé comme mettant fin à une injustice
pesant sur des musulmans. Cette pratique a
ouvert la voie à une contractualisation
« marchande » généralisée des hrûm, qui
peuvent être l’objet d’achats ou de ventes, de
prêts (mnîha), de redistributions, par l’autorité
politique émirale en particulier pour s’attacher
des partisans.
Les positions des fuqâhâ s’expriment
aussi à propos des prestations (aghfar) que
versent, dans un cadre initialement
contractuel, les zawâya à des protecteurs
extérieurs, pour garantir leur accès aux
pâturages, le passage des caravanes, etc. Elles
sont versées collectivement par la tribu et non
individuellement comme les hrûm qui se
transmettent en ligne masculine. Certaines de
ces « taxes » consenties pour se prémunir des
pillages, conçues comme une sorte de
« racket », les mudârât en particulier, sont
condamnées par certains
fuqâhâ ouestsahariens. La plupart cependant les acceptent
et les interprètent comme l’une des modalités
des obligations collectives qui relèvent de la
primauté de l’intérêt général sur les intérêts
particuliers. Elles sont une expression des
solidarités tribales légales (muwâsât). Mais
doivent-elles être égalitaires ou réparties au
prorata des richesses ? Qu’en est-il quand elles
relèvent évidemment d’intérêts particuliers ?
Les positions peuvent varier. Les fuqahâ
considèrent généralement que ces prestations
sont acceptables car apportant plus de
bienfaits que de méfaits ! L’argument est
même avancé que leur légitimité tient au fait
qu’elles bénéficient aux « nécessiteux » qui
n’ont d’autres ressources que le pillage !
Les fuqâhâ aménagent enfin un
règlement global et définitif de l’injustice et du
mal à travers le « repentir », tawba, des hassân,
pratique d’inspiration coranique (sourate 9),
valorisée dans la tradition soufie, de retour
des musulmans à un juste exercice de la
religion. La légitimité juridico-religieuse est
aussi soulignée dans le terme synonyme de
muhâjri. Le repentir peut répondre à des
motivations religieuses mais correspond aussi,
souvent, à un déclassement statutaire résultant
de conflits militaires et politiques. Les hassân
qui renoncent à leurs droits de protecteurs et
parfois aussi au port des armes, rejoignent
généralement la clientèle des zawâya. Les
positions de ceux-ci varient aussi quant au
sort qui est fait aux biens qu’ils ont
auparavant acquis illégalement.
Cet exemple de l’interprétation
normative des représentations et pratiques
concernant la protection, institution centrale
de la société tribale ouest-saharienne, pose en
termes particuliers la question de la place du
« droit coutumier » dans la société ouestsaharienne. Dans cette dernière, les relations
entre protecteurs et protégés s’établissent
selon des normes juridiques qui sont
considérées par les fuqahâ comme relevant de
leur compétence ; elles sont l’objet de
nombreuses fatâwâ. On constate cependant
que les juristes sont divisés quant à la
compatibilité entre ces normes et les
enseignements du fiqh. Les règles de droit
qu’ils fixent éventuellement en ce domaine ne
sont pas élaborées en référence à un droit
coutumier qui n’est invoqué qu’en des
circonstances très précises : les relations
d’évitement avec les beaux-parents, la garde
maternelle des enfants, le calendrier des
vacances accordées aux élèves des écoles
coraniques, etc. (Ould el-Barra, 2000). Ils
invoqueront parfois pour légiférer les
conditions conjoncturelles (amal) et ils
s’emploieront généralement à réinterpréter ces
règles dans le cadre du fiqh malékite, non sans
rencontrer des difficultés et susciter des
débats.
L’existence d’une catégorie tribale
ayant pour fonction particulière de « faire le
droit » et qui exerce d’autres fonctions
économiques, politiques et religieuses dans la
société ouest-saharienne, défendant des
intérêts particuliers tout en définissant la
norme générale, contribue vraisemblablement
à ces traits particuliers. La position des zawâya
et de leurs juristes est ainsi justifiée
27
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 principalement par le constat qu’ils font de la
situation de sayba, de l’absence d’autorité
légitime nécessaire à l’application stricte du
fiqh. Ils en tirent cependant des conclusions
contradictoires. Certains fuqahâ importants, se
référant,
en
remontant
jusqu’aux
enseignements d’al-Maghîlî à époque des
Songhay, et aux expériences politiques
régionales ultérieures (Sharr Bubbah, XVIIe ;
Almamat du Fuuta Tooro, XVIIIe ; el-Hajj
Umar, XIXe), revendiquent l’établissement
d’une autorité légitime (imamat) dans l’Ouestsaharien et les régions subsahariennes
voisines. C’est le cas de Shaykh Muhammed
Almâmi dans la seconde partie du XIXe.
D’autres, parmi lesquels le qadi Belcamash, qui
s’oppose au mouvement théocratique de
Sharr Bubbah, s’inspirant de textes malékites,
se réclament de considérations, plus ou moins
eschatologiques, soulignant les dangers de
remettre en question le (des)ordre établi. C’est
la position défendue par le Kunta Shaykh Sîdi
al-Mukhtar, qui introduit la tarîqa qâdiriyya
dans ces régions, et de son disciple Shakh
Sîdiyya al-Kabir qui écrit : « les conditions de
vie des habitants de ce pays, tel qu’il est
aujourd’hui, se caractérisent soit par
l’incapacité d’établir une contrainte efficace
tendant à supprimer matériellement les
pratiques scandaleuses et faire montre en cette
matière de ferme autorité, soit par la crainte
d’engendrer la corruption ou d’éveiller la
guerre civile ».
Les zawâya auront cependant, dans
leur relecture et réinterprétation du fiqh, à
gérer cette tension entre le particulier et le
général, en légitimant leur propre autorité et
leur capacité à dire le droit et à le faire
reconnaître dans l’ensemble de la société, une
des conditions par ailleurs de la préservation
de leurs positions statutaires et de la défense
de leurs intérêts particuliers (commerciaux par
exemple, Lydon, 2009). Ils y procéderont à
travers une relecture de l’ordre tribal luimême qu’a analysé Abdel Wedoud ould
Cheikh, dans son étude sur « La tribu comme
volonté et comme représentation » (Bonte et
al., 1991).
Dans cette perspective, l’accent est
mis sur la jamâcat al-qabîla, l’assemblée tribale,
institution généralisée sous des formes
diverses dans la société tribale ouestsaharienne, assemblée de notables traitant des
affaires tribales. Chez les zawâya, elle va être
considérée comme une « assemblée de droit »
(jamâcat al-shacriyya), assemblée « qui lie et qui
délie » (jamâcat al-hall wa el caqd) définissant
consensuellement les positions de la
communauté musulmane (ijmac) source du
droit. L’assemblée tribale est ainsi investie de
la « commanderie du bien » (hisba) et de
l’interdiction du mal, dont elle tire sa
légitimité. Elle supplée dans une certaine
mesure aux défaillances de la suzeraineté
légitime et intervient pour remplir les
fonctions qui sont dévolues à celle-ci :
nommer les qadis tribaux, veiller à la
conciliation, gérer l’héritage des biens vacants,
collecter la sadâqa, etc.
D’autres exemples pourraient être
développés à l’appui de ces premières
analyses. C’est le cas des atteintes aux biens et
aux hommes, de la gestion des conflits et de la
violence. Ce domaine est souvent, dans les
sociétés tribales, considéré comme relevant
prioritairement du droit coutumier. En fait,
les dispositions de la sharîca sur ce point sont
clairement codifiées. Les fuqahâ ouest-saharien
en font cependant une lecture particulière. La
règle du talion n’est pratiquement jamais
appliquée en invoquant l’absence d’autorité
légitime. Le règlement des violences
conflictuelles privilégie le versement de la diya.
Mais une attention particulière est accordée au
partage, en ces circonstances, des droits et des
devoirs au sein du groupe de filiation (caqîla).
Les fuqahâ considèrent généralement que
ceux-ci sont étendus des agnats aux différents
affiliés à la tribu (clients, protégés), au nom de
l’unité de la jamâca tribale et de la tribu dont
elle conforte les solidarités (muwwâsât) mais
dont elle suscite aussi les fissions (mufasakka).
Le règlement des diya devient ici l’instrument
de redéfinition des dynamiques tribales à
travers les pactes casab solidaires qui peuvent
introduire des clivages au sein de la tribu ou
rassembler des tribus distinctes. C’est le cas de
la confédération Tashumsha renouvelée
régulièrement en réitérant officiellement ce
pacte casab.
Il importerait de multiplier ces
analyses et de les comparer avec celles menées
28
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 sur d’autres « terrains tribaux » pour
développer l’approche esquissée dans les
pages précédentes. Elle souligne que le fiqh
n’est pas seulement un corpus de textes que le
droit positif moderne s’emploie à transformer
en codes. Malgré la proclamation de la fin de
l’ijtihâd, le fiqh est resté largement ouvert aux
conjonctures et interprétations particulières
que l’on ne peut réduire à la définition d’un
« droit coutumier » qui en perpétuerait la
cohérence contextuelle. Les zawâya de
l’Ouest-saharien procèdent plutôt à une
« tribalisation » du fiqh qui satisfait à leurs
besoins et à ceux de l’ensemble de la société
tribale.
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29
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 La réconciliation du Mont Liban, médiation, pacification,
indemnisation
Aïda Kanafani-Zahar
Chargée de recherche au CNRS
Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris
Commencée en 2000, ma réflexion sur
la réconciliation (musâlaha, de sâlaha,
réconcilier) du Mont Liban s’est inscrite dans
un travail plus général sur la mémoire du
déplacement et des massacres dans le Mont
Liban sud, une région historiquement
multiconfessionnelle (districts du Chouf et
d’Aley, chrétienne [maronite, grecquecatholique, grecque-orthodoxe, protestante…]
et musulmane [druze, chi'ite, sunnite…]). Il a
été mené à Bîri et Brîh, deux villages du
Chouf. Le premier est exclusivement chrétien,
le second est druzo-chrétien. Il a également
été mené à Abay, village druzo-chrétien du
district d’Aley. Les chrétiens de ces trois
villages ont été déplacés en septembre 1983
lors de la « guerre de la montagne » à l’instar
de la population chrétienne de cette région.
Cette guerre a éclaté en septembre 1983 entre
les Forces libanaises chrétiennes et les forces
druzes du Parti Socialiste Progressiste (PSP) et
leurs alliés respectifs après le retrait de l'armée
israélienne qui a envahi le Liban en juin 1982.
Un nouveau repli de l'armée israélienne,
effectué au Liban sud dans les régions de
l'Iqlîm al-Kharrûb et à l'est de Saïda en avril
1985, a provoqué des transferts massifs de
population vers Beyrouth et sa banlieue. À
partir du 25 avril 1985, 80.000 chrétiens
essentiellement de la communauté grecquecatholique, ont été chassés de l'Iqlîm alKharrûb et de la région comprise entre Saïda
et Kfar Fâlous (Valognes 1994, p. 667).
Botros Labaki et Khalil Abou Rjeily estiment
à 163.670 le nombre de chrétiens expulsés des
villages du Chouf et d’Aley (1993, p. 59). Mon
travail a également été conduit au ministère
des Déplacés (MD). J'ai assisté à des
signatures d’ « accords de réconciliation » qui
clôturent les pourparlers entre les villageois et
les officiels du ministère des Déplacés ministre, directeur du MD et responsable
technique - (par exemple à Majdlaya et à
Shwît) ainsi qu'à des réunions de comités
villageois avec le responsable technique.
Même si des pourparlers pour le retour
des déplacés de la montagne ont eu lieu en
janvier 1989 lors du Congrès chrétien entre
Walid Joumblatt, chef du PSP et Camille
Chamoun, chef du Parti Libéral National, les
deux chefs traditionnels de la montagne 1 , il
faut attendre l’Accord d’entente nationale
connu comme Accord de Taëf (1989) pour
que les modalités du retour des déplacés
soient définies. En énonçant que « Chaque
Libanais dispose du droit de résider sur toute
partie de ce territoire et d’en jouir sous la
protection de la loi » (Volet I « Principes
généraux et réformes »), cet accord fournit
l’habillage national de la réconciliation.
L’alinéa 4, volet II [« Souveraineté de l’Etat
libanais sur l’ensemble de son territoire »],
préconise néanmoins qu’une structure est
nécessaire pour organiser ce retour - adoption
de lois et mise en place d’arrêtés. En
conformité avec l’Accord, un ministère des
Déplacés et une Caisse Centrale des Déplacés,
sont créés le 7 juillet 1992 (Lois 190 et 193 du
4 janvier 1993). Leur mandat est d'assurer le
retour des Libanais dans leurs régions et de les
indemniser.
Bîri, d’une part, et Brîh et Abay de
l’autre, illustrent les deux situations que le MD
a distinguées pour gérer le retour des
chrétiens dans leurs villages. La première,
concerne les déplacés originaires de villages
exclusivement chrétiens ou mixtes dans
lesquelles il n’y pas eu de confrontations
armées ni de massacres. Un système
1
« L’alliance », terme utilisé par Dominique Chevallier,
de Kamal Joumblatt et de Camille Chamoun
commence au lendemain de la seconde guerre
mondiale (Chevallier 1988, p. 219).
31
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 d’indemnisations a été mis en place pour faire
évacuer les habitations occupées, participer à
la
reconstruction
des
habitations
endommagées ou détruites. La seconde
situation concerne les villages mixtes, théâtre
de confrontations armées et de massacres.
C’est dans ces villages qu’une réconciliation
entre les villageois est programmée par les
officiels du MD. Ils ont été appelés « villages
de réconciliation ».
La réconciliation est un processus de
pacification dont l’objectif principal est de
neutraliser les velléités de vengeance. Un
événement majeur, intervenant en septembre
1991, a sans doute contribué à recourir à la
réconciliation comme procédure de gestion
des conflits. Un an après la fin de la guerre, la
vengeance a armé le bras d’un chrétien qui,
pour venger les siens, morts lors du massacre
de son village, a tué plusieurs druzes.
L’inquiétude était bien réelle de voir les
villageois y recourir d’autant que cette forme
de violence structure toujours les relations
sociales dans certaines régions.
La réconciliation comporte plusieurs
actions étalées dans la durée (formation des
deux comités druze et chrétien de
réconciliation, discussions avec les officiels du
MD portant sur les litiges, identification des
bénéficiaires druzes et chrétiens des
indemnisations – évacuation, restauration ou
reconstruction
des
habitations,
indemnisations des familles des victimes). Elle
est locale dans la mesure où les règles conçues
par le MD sont appliquées au cas par cas dans
chaque « village de réconciliation ». Sa
spécificité qui rend nécessaire l’appellation «
la réconciliation du Mont Liban » est de
réconcilier les habitants de ces villages pour
écarter toute tentation de représailles. Sa
logique de pacification et d’indemnisation et
son processus de médiation avec les deux
comités druze et chrétien ainsi qu’avec des
acteurs nationaux procèdent de cette finalité.
Toute
locale
qu’elle
est,
la
réconciliation du Mont Liban est aussi un
enjeu national soumis aux rapports de force
politiques qui régissent la scène nationale à un
moment donné. Sa loi cadre, nous l’avons vu,
se réfère à l’Accord de Taëf. Elle s’inscrit
donc dans la politique du retour des Libanais
dans leurs villages et dans un contexte plus
général de restauration de l’autorité de l’État.
La raison d’Etat stipulée dans cet Accord
(pacification, allégeance nationale dans un
contexte de pluralisme religieux) est d’ailleurs
le concept politique autour duquel elle a été
construite. Sa logique de médiation entre
toutes les parties de la scène politique et
religieuse énonce également son caractère
national. Le retour des déplacés a, en effet, été
considéré comme illustrant une « volonté
d’unité nationale », une « nécessité nationale »
contribuant à « consolider la paix civile » et les
réconciliations dans les villages un aspect de la
« réconciliation et de l’unité nationales ».
Le Congrès National Général pour les
Déplacés qui s'est tenu à Beyrouth entre le 19
et le 28 juin 1992, au moment où le nouveau
ministère des Déplacés se mettait en place,
avec des dizaines d’intervenants politiques,
religieux et civils, illustre l'aspect consensuel
que reçoit alors cette question. Députés,
ministres, délégations de divers partis
politiques de toutes tendances, autorités
religieuses, avocats, organisations non
gouvernementales et universitaires participent
à une réflexion commune autour de la
question du retour. Pour donner l’image d’un
Etat
réconciliateur,
les
premières
réconciliations réalisées en 1994 et 1995 dans
les villages où des chrétiens ont été massacrés
en réaction à l'assassinat de Kamal Joumblatt,
par exemple à Bârûk /Fraydis (10 septembre
1994), ont été accompagnés d’un festival
politique sous le parrainage du président de la
République. Le MD a voulu donner une
visibilité nationale aux réconciliations locales
druzo-chrétiennes du Mont Liban pour étayer
son discours officiel : elles constituent un
aspect de la « réconciliation et de l’unité
nationales ».
La réconciliation du Mont Liban s’est
inspirée d’une procédure coutumière de
gestion des conflits, son modèle spontané.
Elle est la prérogative de zu’amâ’ (pluriel de
za’îm, chef politique d’une communauté
religieuse), de personnalités religieuses et elle
est axée sur la reconnaissance du tort et le
paiement d’une réparation. Elle rétablit le lien
entre les familles de l’agresseur et de l’agressé,
et, plus généralement, le pacte social. Les
32
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 victimes – celles qui ont été atteintes par la
perte d’un proche - sont au cœur de la
procédure coutumière. Si la réconciliation du
Mont Liban les a visées, elles n’ont, en
général, pas fait partie du processus institué. Il
n’y a pas eu d’espace aménagé pour leur
parole. Mais elles ont toujours tenu à
exprimer le besoin de mémoire dans sa
finalité : se rappeler pour éviter la récidive.
Les victimes réclament d’interroger ce qui
s’est passé. Elles ne comprennent pas
pourquoi la mémoire du lien n’a pu éviter
massacres et déplacements et pourquoi un
conflit politique s’est confessionnalisé
ignorant cette mémoire (mémoire du « pain et
du sel », mémoire d’un lien privilégié « nous
étions une seule personne », « nous ne savions
pas qui était qui »). La musâlaha n’est donc pas
le fruit d’une « Commission de vérité et de
réconciliation » comme ce fut le cas dans
certains pays sortis de guerre (Argentine,
Afrique du Sud, Maroc…). Cet organisme
non judiciaire a pour objectif de faire la
lumière sur les violations des droits de
l’homme ainsi que des propositions pour que
celles-ci ne se reproduisent pas.
La
réconciliation du Mont Liban est en revanche
un
processus
de
pacification
et
d’indemnisation qui a neutralisé les velléités
de vengeance permettant ainsi aux déplacés de
revenir dans leurs localités, du moins au
niveau de la décision politique. Quant au
retour réel, il est intimement associé aux
conditions économiques provoquées par
l’exode rural et exacerbées par la guerre et ses
conséquences. Etant au cœur de l’identité du
villageois peu importe son appartenance
confessionnelle, la terre devrait donc être au
cœur de la problématique du retour et de la
reconstitution du lien social.
Aïda Kanafani-Zahar, préface d’Antoine
Garapon 2011. Liban : la guerre et la mémoire.
Presses Universitaires de Rennes. Collection
Histoire, 260 p.
- 2004. « La réconciliation des druzes et
des chrétiens du Mont Liban ou le retour à un
code coutumier ». Critique internationale, n° 23,
p. 55-75.
2004.
Documentaire :
Liban :
réconciliations d’après-guerre (57’) écrit par Aïda
Kanafani-Zahar et réalisé par Olivier Doat et
Aïda Kanafani-Zahar, Paris, Alif Productions.
Labaki Boutros et Khalil Abou Rjeily,
1993. Bilan des guerres du Liban 1975-1990.
Paris, L'Harmattan, 256 p.
Valognes Jean-Pierre 1994. Vie et mort
des chrétiens d'Orient. Des origines à nos jours. Paris,
Fayard, 973 p.
Références bibliographiques
Chevallier Dominique 1988. « Comment
l’Etat a-t-il été compris au Liban ? ». In
Lebanon : a History of Conflict and Consensus,
Nadim Shehadi and Dana Haffar Mills (eds).
London, The Centre for Lebanese Studies in
association with I.B. Tauris & Co Ltd
Publishers, pp. 210-223.
33
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 L’encadrement juridique des associations agricoles
dans le Souss et le rôle du religieux
Bertram Turner
Senior Research Fellow
Institut Max-Planck pour l’Anthropologie Sociale
Dans ma présentation, j’analyse la
réintroduction et la transformation d’un
ancien mode de production agricole, suite aux
effets croissants de la mondialisation. Ce
processus nécessita une révision du cadre
juridique. Celle-ci, en revanche, reflète une
mise au point du juridique en accord avec les
conceptions locales du religieux. Elle a
démarré à une époque où la prédominance
d’une interprétation locale du religieux n’était
pas remise en cause. Entretemps, la situation a
changé. À l’instar d’autres régions du monde,
le Maroc est aujourd’hui le théâtre d’une
reconfiguration des relations entre le juridique
et le religieux. Le rapport entre ces deux
sphères apparaît plus que jamais contesté.
L’expansion des modèles religieux et
juridiques standardisés au niveau global a
remis en question certains arrangements
locaux de la gestion des ressources naturelles.
De plus, la confrontation avec de nouveaux
modèles de ce qui est considéré juste, correcte
ou pieux, a engendré un état de confusion
sociale ainsi qu’une vulnérabilité économique
dans le milieu rural. J’avance l’hypothèse que
cette situation peut donner lieu à un
renforcement de l’expression locale du
religieux, sans que pour autant il y ait un
rattachement à un quelconque modèle
transnational du salut.
Les données empiriques que j’ai
recueillies dans la plaine du Souss, dans le
sud-ouest du Maroc, entre 1996 et 2005,
mettent en lumière le défi récent d’un modèle
classique du type imbrication juridicoreligieux.
Le modèle des associations agricoles, une
stratégie locale face à l’état d’insécurité
juridique permanent
Un bref aperçu du modèle local des
associations agricoles et de leur relance dans
le Souss permet de comprendre ce qui était en
jeu lorsque l’intervention internationale
toucha la région.
Commençons avec la création des
conditions préalables pendant l’ère du
protectorat. La transformation fondamentale
des relations de la propriété foncière
s’accompagna de la mainmise des colons
français sur de vastes terrains dans la plaine
du Souss. De grandes plantations d’agrumes
et plus tard de légumes y ont été créées à
partir des années 1940 malgré la loi du
protectorat qui interdisait aux colons de
s’engager dans cette partie du Maroc classée
« Maroc inutile ». Cette époque marqua pour
le Souss le début d’une production agricole
orientée vers les marchés extérieurs et le
début d’un défrichement progressif de la forêt
d’arganier, écosystème unique et objet
d’intervention transnational progressif depuis
1998. Ce mouvement se poursuivit après
l’indépendance du Maroc et aboutit à la
transmission des fermes des propriétaires
français aux mains d’une nouvelle élite rurale.
En plus de cette élite rurale naissante, seul un
petit nombre d’investisseurs locaux, disposant
de budgets moyens et plus proches de la
classe inférieure, parvint à acheter des terrains.
Ainsi s’amorça la stratification sociale de la
population paysanne. Ceux qui furent forcés
de vendre leurs terrains à l’époque du
protectorat sont devenus des journaliers
35
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 dépendant de l’offre d’emploi des grands
fermiers.
Lorsque la propriété foncière passa
aux mains des Marocains, le besoin important
en main d’œuvre agricole dans ces fermes,
notamment pour la gestion de l’irrigation,
permit aux paysans qui avaient vendu leurs
terrains de trouver un emploi. Cependant,
effet secondaire de la modernisation, le
surpompage hydrique dans la région du Souss
augmenta considérablement le coût de l’eau.
À partir des années 1980, les fermiers
commencèrent donc à rationaliser le système
d’irrigation et à économiser la main d’œuvre
grâce à l’introduction de techniques modernes
comme l’irrigation au goutte à goutte. En
conséquence, de nombreux ouvriers furent
licenciés.
Pendant ce temps-là s’opéra une
nouvelle transformation dans la région suite à
l’introduction de la tomate comme nouvelle
denrée commerciale destinée au marché
international : les paysans paupérisés
adaptèrent l’exemple de la production des
tomates dans les grandes fermes et
commencèrent à réactiver le modèle
traditionnel des associations de production
agricole (chr’ka) afin de trouver un nouveau
moyen de subsistance. Ils combinèrent donc
le savoir nécessaire pour la culture d’un
nouveau produit agricole commercial avec un
ancien mode de production.
Ce modèle repose sur le principe du
contrat de coopération entre, d’une part, un
propriétaire et fermier ayant assez de moyens
pour assumer le rôle d’investisseur et, d’autre
part, un petit paysan. Ce dernier n’a souvent à
offrir que sa force de travail et, dans le cas
précis étudié ici, la main-d’œuvre de tous les
membres de sa famille, y compris les femmes.
En principe, la répartition des responsabilités
entre les deux partenaires est toujours à
négocier. La version la plus courante est
nommée khémisset d’après les cinq (khamsa)
composantes de la production agricole : la
terre, les semences, les outils (engrais inclus)
et l’eau sont à la charge de l’investisseur ; le
travail est fourni par « l’associé actif ». Pour
devenir « associé actif », il faut donc trouver
pour partenaire un investisseur qui fournisse
les moyens de production à l’exception du
travail. À la fin d’un cycle agricole, les deux
partenaires se partagent le profit selon la
répartition initiale. En cas de khémisset,
l’investisseur prendra quatre parts des
bénéfices, alors que le travailleur n’aura droit
qu’à une part. Les champs utilisés pour les
cultures peuvent faire partie de la propriété de
l’investisseur ou être loués par lui. Il ne s’agit
que rarement du terrain appartenant au
travailleur qui, dans ce cas-là, peut réclamer
deux parts des bénéfices. Ces associations ont
disparu durant la période du protectorat. Elles
avaient la réputation d’être basées sur des
relations de dépendance et d’exploitation de
celui qui ne participe que par sa capacité de
travail.
Néanmoins ce modèle sembla
applicable à la production de tomates et
permit à ceux qui n’étaient pas propriétaires
de terrains de participer aussi au marché
agricole moderne. Les fermiers disposés à
servir d’investisseurs ne font pas partie du
petit groupe de l’élite rurale. Ce dernier
regarde les petits journaliers et les
propriétaires de petits terrains comme un
obstacle à une production agricole moderne.
Les investisseurs potentiels sont les
propriétaires qui ont réussi à résister aux
offres de vente de terrains susmentionnées.
Il s’avéra que le modèle disposa de
plusieurs avantages. Les investissements
nécessaires ne furent que très faibles par
rapport aux plantations d’agrumes qui
prédominaient jusqu’alors. De plus, comme la
culture de la tomate nécessite toujours un
champ fertile, il fallait cycliquement louer de
nouveaux terrains. Au fil du temps, une
grande partie des terrains agricoles étaient
tombés en jachère. Ce manque de terrains
36
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 irrigables entraîna une extension de la
production de tomates dans la forêt où les
petits paysans disposaient toujours de leurs
droits de jouissance individuels. En
s’associant avec des investisseurs, ils
pouvaient mettre à contribution leurs droits
d’exploitation de parcelles de la forêt. Il y eut
alors un changement considérable dans le
système de production en coopération. La
production se concentra dès lors sur la forêt
et mit ainsi les associés actifs dans une
situation plus favorable, puisqu’ils pouvaient
profiter de leurs droits de jouissance comme
composante territoriale d’un contrat khémisset.
Toutefois, ce système présente de
multiples risques. La production en
association est un système de coopération qui
n’est pas couvert par la loi nationale. Ainsi ces
associations opèrent dans une insécurité
juridique. L’État, en effet, considère cette
manière de produire en association comme
une méthode ancienne de production
assimilable au capitalisme rentier oriental.
Comme on m’a assuré mainte fois à
l’ORMVA (Office Régional de Mise en Valeur
Agricole) et autres institutions étatiques
depuis 1995 : « Ça va disparaître très bientôt ». De
plus, ces agences agricoles de l’État se
montrent plus favorables à la concentration
des moyens de production entre les mains des
élites rurales de l’après-indépendance et ne
sont apparemment pas trop motivées pour
assurer un cadre favorisant la survie des petits
producteurs. La loi islamique orthodoxe non
plus n’est pas favorable à un mode de
production considéré comme basé sur le
risque et la spéculation illicite. En somme tous
ces aspects ont nécessité un ajustement du
juridique et c’est ici que le religieux entre en
jeu.
D’une part, il faut reconnaître que ces
associations se trouvent toujours dans une
situation juridique incertaine au-delà du
contexte social et local. D’autre part, on peut
souligner que les Souassa se mirent à
consolider cette forme de production fondée
sur leurs valeurs religieuses et sociales. Ils
l’intégrèrent dans le répertoire juridique local
et créèrent ainsi un terrain de confiance
nécessaire entre partenaires inégaux. La seule
référence juridique fiable dans le domaine de
la production agricole collective est donc celle
légitimée par le consensus local, ancrée dans
une conception morale de l’Islam populaire.
C’est ainsi qu’avec le rétablissement de la
production agricole en association, une
réévaluation de la morale locale eut lieu. Les
associations se fondent désormais sur un
contrat oral conclu en public devant
l’assemblée du village et sont reconnues par
les institutions locales. Conclure un contrat
s’accompagne de pratiques religieuses comme
le partage d’un repas béni et une prière en
commun.
L’interdépendance des deux parties est
régie par un ensemble d’obligations à
connotation religieuse. Le recours à la religion
assure une protection des partenaires
productifs autrement vulnérables vis-à-vis des
partenaires investisseurs. Celui qui travaille la
terre s’engage à remplir le contrat par un
serment religieux ; ainsi il est tenu de montrer
sa capacité et sa fiabilité. Pour sa part, le
partenaire investisseur apporte sa réputation
de personne pieuse et honnête comme
garantie qu’il remplira le contrat.
L’association lie dès lors des
partenaires aux positions asymétriques ; celui
qui offre sa force de travail ne reçoit comme
garantie de la future bonne conduite de
l’investisseur que la réputation de ce dernier.
Pour être crédible, ce dernier devrait être de
préférence hajj, c’est-à-dire qu’il doit avoir
accompli le pèlerinage de la Mecque. Il est
largement admis qu’un hajj ne peut se
permettre un comportement compromettant
et qu’il est en général soucieux de ne pas
endommager son
« capital spirituel ». Par
conséquent, un investisseur potentiel dont la
réputation se trouve entachée ne trouvera plus
37
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 d’associés. L’individu religieux Souassa
apparaît en fait défini par l’adoption d’une
identité morale locale qu’il doit exercer à
travers un comportement approprié, des actes
symboliques et des actions de la vie
quotidienne qui lui permettent de gagner la
confiance de l’entourage. Il se doit, par
exemple, d’investir une partie de ses biens
dans l’infrastructure sociale de la communauté
et dans l’entraide (tou’iza). Il se doit aussi
d’observer des règles de redistribution de ses
bénéfices et d’accomplir des gestes de
solidarité prescrits par des préceptes religieux.
Ainsi, il doit régulièrement pratiquer la charité
(sadaqa signifie littéralement « bienfaisance »),
aider les pauvres, contribuer à l’organisation
des rituels locaux ou montrer son intention de
partager une partie de ses revenus d’une autre
façon.
Les obligations qu’il doit assumer
envers son partenaire sont, cependant,
limitées et liées à des occasions précises.
L’investisseur invite son partenaire à
l’occasion de la conclusion du contrat, il lui
accorde un crédit pendant la pousse des
cultures, il consent à une petite association
supplémentaire, par exemple l’élevage de
quelques chèvres, même si cela ne lui rapporte
pas grand-chose, et il fait des petits cadeaux à
l’occasion des fêtes religieuses. Les relations
de coopération ainsi fondées peuvent durer
pendant des années.
La faible position du partenaire
travaillant apparaît surtout à la fin du contrat.
Il est, par exemple, du devoir de l’investisseur
de s’occuper de la vente de la récolte. Il peut
donc en profiter pour prétendre avoir obtenu
un prix plus bas que le prix réel. Son associé,
ayant droit à sa part du bénéfice, ne peut en
appeler qu’à la réputation de l’investisseur. La
religion locale agit alors comme un répertoire
provisoirement mis en veille et revalorisé à
l’occasion. De cette manière, les obligations
distributives liées à l’exploitation des
ressources naturelles sont réintroduites dans
un système de production commerciale et
sont mises à jour en particulier par les associés
d’aujourd’hui.
Il en a résulté de ce développement
que l’expansion de la production des tomates
dans la forêt a comporté des modifications du
droit coutumier. Le statut des parcelles dans la
forêt a été assimilé à de la propriété foncière
individuelle
toutefois
sans
perdre
complètement son ancrage dans la conception
traditionnelle d’une gestion collective des
ressources naturelles. L’introduction de la
production intensive de la tomate a favorisé
l’établissement d’un marché des parcelles.
Concrètement, les terrains dans la forêt
accessibles selon le droit coutumier de
jouissance
individuelle,
ont
été
commercialisés. Ces parcelles ont été de plus
en plus traitées comme des terrains melk et les
ayant droit ont commencé à louer ou à vendre
leur droit de jouissance. En plus, les périodes
traditionnelles de fermeture de la forêt (agdal)
n’ont plus été respectées ainsi que le droit de
pâturage collectif parce que tous ces détails du
droit local sont allés à l’encontre de la logique
d’une production agricole irriguée destinée à
l’exportation. En somme l’exploitation de la
ressource forestière pour la production et
pour l’exportation a accru la pression sur la
forêt d’arganiers.
L’intervention compétitive des acteurs
transnationaux et son impact local
Le recours aux associations agricoles
apparaît donc à la fois stimulé et mise en
compétition par l’intégration de la région dans
le marché global des produits agricoles. En
plus de l’introduction de l’agriculture
moderne, d’autres facteurs contribuèrent au
cours des années 1990 à l’interaction du Souss
avec un environnement élargi. Des
phénomènes
antérieurement
locaux
s’inscrivirent désormais dans un contexte
global et par conséquent dans une perspective
juridique relevant de l’échelle transnationale.
38
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Ainsi, c’est tout le modèle local d’exploitation
des ressources naturelles qui se trouva mis à
l’épreuve.
Cette phase débuta par la prise en
considération, au niveau transnational, de
l’importance de l’arganeraie comme un
écosystème unique. La coopération en faveur
du développement porta sur l’utilisation
durable des ressources naturelles, sur la
protection de l’environnement et sur la
conservation du patrimoine. En même temps,
la modernisation de l’agriculture et la lutte
contre la pauvreté s’organisèrent très
rapidement dès que les acteurs transnationaux
découvrirent l’arganeraie comme un champ
d’intervention. Le Souss accueillit alors des
organisations d’aide au développement,
comme l’organisation allemande GTZ
(Coopération
Technique
pour
le
Développement), Oxfam Canada, ainsi que
des acteurs globaux comme la Banque
Mondiale (BM), le Fond Monétaire
International (FMI) et l’UNESCO. Le
principal « paquet » de règles législatives fut
fixé par le programme de l’UNESCO « Man
and the Biosphere » et par le programme de
l’ONU contre la désertification. La structure
la plus large fut définie par les conventions
internationales telles que la « Convention de
Rio » (1992) et la « Convention de la Lutte
contre
la
Désertification
»
(1994).
Parallèlement
quelques
agences
de
développement se sont également engagées
comme consultants dans l’agriculture
hypermoderne.
Dans le même temps, la connexion de
la région avec le marché global et l’économie
néolibérale s’est intensifiée. L’ouverture du
marché du foncier aux investissements
agricoles, ainsi que la convention de libre
échange avec les Etats-Unis (2006) et l’accord
d’association avec l’Union Européenne (2004)
complétèrent la mise en forme de ces
interactions d’échelles reliant directement la
région avec l’économie globale. Les acteurs du
développement appliquèrent une approche
participative et tentèrent de prendre en
considération les besoins de la population
locale. Cependant la mobilisation des Souassa
dans le projet de mondialisation demeura
limitée. Cette réticence locale s’explique entre
autres par le fait que les conceptions
transnationales contradictoires, par exemple
celle de la protection de l’arganeraie comme
« patrimoine de l’humanité » et celle de
l’intégration de la même ressource dans
l’économie néolibérale, aboutiraient de toutes
manières à priver les Souassa de leurs droits.
Tandis que des discours contradictoires sur
ces différentes facettes de l’intégration du
Souss dans le processus de mondialisation
influençaient la notion locale de propriété, y
compris les dimensions morales et religieuses
de la production en association agricole dans
la forêt, un autre acteur, engagé dans le
discours transnational du religieux basé sur ou
inspiré par l’approche islamique du salafisme,
se faisait remarquer. Cette influence
commença à devenir évidente à partir de 1999
dans le Souss rural. Les adhérents de ce
mouvement, imbus de leur devoir de donner
des conseils religieux et juridique à la
population locale sur n’importe quelle affaire
rurale, furent toutefois bien peu préparés à
cette tâche. En réalité, les activistes
prétendant représenter le salafisme dans le
Souss ne semblèrent guère être en phase avec
la vie rurale. Pourtant, les Salafi critiquèrent
les Souassa pour ce qu’ils considéraient être
des violations des prescriptions islamiques.
Les adhérents de ce groupe propagèrent une
approche juridique intégrant une vision
islamique universelle de la gestion et de l’accès
aux ressources naturelles, qui se trouva en
directe contradiction avec le modèle
néolibéral. Ces positions ont cependant en
commun avec ce dernier leur faible
compatibilité avec les exigences de la société
rurale. Idéologie néolibérale et prescriptions
39
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Salafi furent introduites de force par des
intéressés externes.
Sans entrer dans les détails, ce qui est
utile de mentionner ici, c’est le fait que la
pratique des associations agricoles (fondée sur
l’identité religieuse locale) dans l’arganeraie est
devenue la cible de la critique plus ou moins
ouverte des acteurs des interventions
extérieures. Les acteurs transnationaux
impliqués
dans
la
protection
environnementale de la forêt considérèrent
que les associations de producteurs
dégradaient la biosphère. Il faut souligner que
ces agents du développement ignorèrent
complètement la connotation socio-religieuse
de la production en association. Le fait que les
liens entre les membres des communautés
rurales reposent sur un maillage d’obligations
distributives et de droits partagés leur
échappa, et ils ciblèrent leurs efforts sur les
conséquences
écologiques
estimées
dévastatrices sur ce système. Il faut en effet
reconnaître que depuis l’introduction de
l’agriculture
moderne,
les
habitudes
d’exploitation de la forêt développées par tous
les paysans du Souss ne furent jamais en
accord avec les principes d’un développement
durable. Le seul fait du surpompage incessant
en constitue une preuve évidente.
On constata que les villageois Souassa
concernés comprirent la critique adressée à
leurs associations agricoles comme visant leur
réseau social et leur religiosité locale. Aussi,
les adhérents locaux du mouvement Salafi ne
s’en prirent pas aux associations agricoles
malgré leur position ambiguë devant la loi
islamique, mais insistèrent pour qu’elles soient
réformées. Ils se préoccupèrent moins du
caractère d’économie à risque des associations
et leur ancrage dans l’Islam populaire avec sa
charge spirituelle spécifique, mais davantage
de « protéger » la femme travailleuse. Ils
demandèrent un habillement correct des
femmes même pendant le travail agricole, ce
qui signifie, entre autres, le port du voile ainsi
que de gants. De plus, ils exigèrent de
surélever les brise-vents pour les transformer
ainsi en paravents anti-regards. L’introduction
de telles mesures aurait considérablement
augmenté les coûts de production. De
surcroît, même l’investisseur qui est censé
faire des visites de contrôle devrait crier avant
de s’approcher du champ. Cela aurait signifié
une contradiction avec son devoir de
contrôler le développement de l’opération.
Mais l’exigence la plus curieuse était
l’interdiction des chants traditionnels pendant
le travail. Ce dernier point rendit finalement
l’approche religieuse des Salafi peu crédible
aux yeux de la majorité des Souassa.
*
L’interconnexion croissante des champs
juridiques et religieux
D’un point de vue général,
l’articulation de toutes ces réserves envers la
production agricole en association et
particulièrement envers son encadrement
juridique et spirituel a inspiré une
accentuation du religieux dans les réflexions
juridiques au niveau local. Les dynamiques
décrites ici déclenchèrent finalement un regain
d’affirmation locale face aux diverses
interventions transnationales. Les ONG et les
autres acteurs du développement, les
représentants du pouvoir politique central de
l’État
et
les
activistes
islamiques
compromirent la gestion informelle de l’accès
aux ressources qui tirait sa légitimité de sa
référence aux valeurs coutumières. La
comparaison du modèle local avec les diverses
suggestions extérieures de réformes révéla
finalement les avantages d’un modèle local
équilibré, renforcé par quelques emprunts au
répertoire transnational. Ainsi les Souassa
préservèrent la signification de la production
agricole en association, en ce qui concerne la
construction de réseaux sociaux et d’alliances
stratégiques.
L’arrangement
le
plus
remarquable, celui qui assura la protection la
plus solide de l’ordre local, fut de faire reposer
40
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 ce dernier sur un règlement moral de la
gestion des ressources, un ordre adapté de
façon à permettre la participation des Souassa
aux échanges globaux et qui, finalement, ancra
l’identité collective rurale dans la version
locale de l’Islam populaire.
41
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Crimes et châtiments : intentionnalité et diya (prix du sang)
en Algérie et au Soudan
Yazid Ben Hounet
Chargé de recherche au CNRS
Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris
Dans le cadre de cette contribution, je
montrerai en quoi les seules références au
droit islamique, et à la coutume (‘ûrf), ne
permettent pas de comprendre entièrement
les applications actuelles de la diya (prix du
sang), pratique pourtant inscrite dans le Coran
et reprise dans différentes jurisprudences
islamiques. Il est vrai que d’autres chercheurs
(notamment Schlee, 2002 ; Drieskens, 2005)
ont montré l’importance des rapports de force
entre familles ou groupes claniques dans
l’application ou non du prix du sang et dans
les modalités mêmes de la compensation (en
particulier en ce qui concerne son montant).
Mais c’est sur d’autres éléments que portera
ma contribution. Après avoir présenté les
contours normatifs de la diya en islam, et plus
précisément en Algérie et au Soudan, je
prendrai deux exemples qui illustrent les
aspects pratiques (pragmatiques) qui orientent
les décisions des acteurs (juges ou médiateurs,
mashûl) quant à l’application ou non du prix
du sang. Je discuterai en particulier de la
question de la définition, toujours
contextuelle, de l’intentionnalité en montrant
que l’argumentaire religieux y est, tout au
moins dans les exemples étudiés, inexistant.
Le prix du sang (diya) : cadre normatif
Le prix du sang (diya en arabe, diyith
chez les berbérophones, diyeh dans le mode
turcophone) 1 est une des modalités de
1 La diya (plu. diyât), un terme coranique, qui dérive du
verbe wadâ, de la racine WDY, signifie
règlement de la violence que l’on retrouve
dans les mondes musulmans. La diya
correspond à une quantité déterminée de
biens due pour cause d’homicide ou autres
atteintes à l’intégrité physique, commis
injustement sur autrui. C’est un substitut du
droit de vengeance privée. Mais dans une
acception restreinte, qui est la plus courante
en droit, la diya désigne seulement la
compensation due pour l’homicide (Tyan,
1965, p. 350). La pratique de la diya est un fait
coutumier,
remontant
à
l’époque
préislamique, mais qui a également des racines
juridiques et théologiques puisque l’origine en
est rapportée dans la tradition islamique au
rachat du sacrifice du père du Prophète
(Chelhod, 1986, p. 141). Dans le Coran, la diya
est présentée comme un adoucissement, « une
faveur de la miséricorde de Dieu », à la loi du
talion (Sourate II « la vache », versets 178179). Elle est prescrite uniquement en ce qui
concerne l’homicide involontaire d’un croyant
sur un autre croyant. L’extension de la
compensation à l’homicide volontaire relève
quant à elle des hadiths, ensemble des dires,
décisions, jugements et actes imputés au
Prophète et à ses compagnons. Ceux-ci font
état de plusieurs cas de diya – dans le cadre
d’homicides volontaires – auxquels le
Prophète est confronté personnellement
(Daaïf, 2006). Cette possibilité est reconnue et
acceptée, mais pour ce faire, les ayants droit
étymologiquement
compensation ».
« ce
qui
est
versé
en
42
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 de la victime (awliyâ’ al-qatîl) doivent accorder
leur pardon au meurtrier, et accepter une
compensation financière qui sera à la charge
de celui-ci et non pas de son clan (‘âqila).
La diya fut ainsi reprise et discutée par
les divers fiqh, jurisprudences islamiques, de
l’islam sunnite (hanafite, hanbalite, shafiite et
notamment le fiqh malékite utilisé, entre
autres, en Afrique du Nord). Elle est
également reconnue dans la tradition shiite.
L’application du prix du sang varie selon les
écoles. Toutes s’accordent, comme dans le
Coran, sur le bien fondé de la diya s’agissant
de
l’homicide
involontaire.
Certaines
concèdent plus de possibilités de procéder au
prix du sang dans le cas d’homicide
volontaire. Les écoles hanbalite et shafiite
reconnaissent, par exemple, aux héritiers de la
victime le droit de choisir entre le talion,
lorsqu’il est applicable, et le prix du sang. Mais
les jurisprudences hanafite et malékite
admettent moins le droit de se prévaloir du
prix du sang quand le talion est prescrit. Les
héritiers peuvent cependant l’accepter si celuici est offert par le coupable ou son groupe
(Anderson, 1951, p. 812). On retrouve dans
ces jurisprudences des indications précises des
compensations, selon les cas, en cheptel ou en
argent. C’est également en référence à la
coutume (‘ûrf) 2 , ou à ce que Joseph Chelhod
appelle le droit coutumier 3 , en particulier
bédouin, que se justifie la pratique du prix du
sang, autant dans les pays ayant adopté la
sharîca (loi coranique) que dans d’autres
régions du monde musulman où la loi
coranique n’est pas appliquée. Le ‘ûrf est
souvent utilisé, selon notre auteur, par le juge
musulman (qâdî). Ainsi dit-il : « Le wergeld
[terme germanique définissant le prix du sang]
lui-même n’est envisagé, par l’Islam, que
2 Etymologiquement ce mot renvoie aux conventions
usuelles. Je dois cette précision à Abderrahmane
Moussaoui.
3 Ce dernier définit le ‘ûrf comme un droit non écrit
qui règle les rapports avec autrui (Chelhod, 1971).
d’une manière très générale […] Dans un
grand nombre de cas, le qâdî se réfère à des
règles coutumières » (Chelhod, 1986, p. 26).
En raison de son inscription dans la tradition
islamique et plus précisément dans le Coran,
la diya a été intégrée aux droits pénaux
étatiques de quelques pays ayant adopté la
sharîca (la loi coranique), tels l’Iran, l’Arabie
Saoudite, le Soudan… Il faut enfin noter que
la diya fait également, localement et parmi les
autorités religieuses, l’objet de débats et de
reconsidérations quant aux modalités de son
application actuelle. À titre d’exemple, en
2004, lors de la conférence internationale
pour la famille (Doha, Qatar), le grand
théologien Yusuf al-Qardawi a défendu l’idée
que le montant du prix du sang devait être le
même pour l’homme et la femme. Cette
prescription fut par la suite reprise dans le
droit de l’émirat du Qatar 4 .
La diya au Soudan 5
Contrairement à l’Algérie, le Soudan –
qui se veut une république islamique – a
intégré la diya dans le cadre de son droit pénal.
L’inscription de la diya dans le code
pénal soudanais remonte à 1983, mais son
application actuelle relève des dispositions du
nouveau code pénal de 1991. Les conditions
et estimations de la diya sont donc définies par
ce dernier qui distingue deux types : la diya
complète et la diya aggravée, ainsi que la
responsabilité juridique de la ‘aqila (le clan),
dont la définition intègre à la fois la parenté
agnatique, mais également l’assurance et
4 http://www.islamonline.net/English/News/200412/24/article05.shtml;
http://www.courrierinternational.com/article/2009/04
/30/le-prix-du-sang
5 Il est important de signaler que le prix du sang existe
aussi bien dans le Nord arabophone (diya) que dans le
Sud (sous d’autres appellations, cut chez les Nuer par
exemple). Certaines compensations, en particulier celles
ayant trait aux cas d’atteintes à l’intégrité physique, se
font en dehors de tout arbitrage des tribunaux d’Etat.
43
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 l’employeur,
voire
la
corporation
professionnelle. Dans l’article 43 du droit
pénal de 1991, relatif au jugement de la diya,
celle-ci peut être ordonnée par le juge dans les
cas suivants : a. meurtre ou blessures
volontaires, si le talion (qisas) est abandonné
(par la victime ou ses ayants droits) ; b.
homicide semi intentionnel ou blessures semi
intentionnelles ; c. homicide ou blessures
causées par négligences ; d. homicide ou
blessures causées par un mineur ou une
personne sans capacité de discernement.
L’article 45 stipule les personnes responsables
du règlement de la compensation : a. le
coupable dans le cas d’homicide ou blessures
volontaires ; b. le coupable et son clan (‘aqila)
dans le cas d’homicide ou blessures semi
intentionnelles ou causées par négligence.
Dans ce même article, il est indiqué que le
clan comprend la parenté paternel du
coupable, ou son assureur, les personnes
juridiquement responsables du coupable, et
l’employeur si l’offense a lieu durant la
période de travail.
Le prix du sang, pour homicide, a été
estimé, en 2000, à un maximum de trois
millions de dinars (diya aggravée, lorsque
l’homicide est volontaire et que la famille du
coupable accepte la compensation à la place
du talion) et à un minimum de deux millions
(diya complète, lorsque l’homicide est
involontaire, par négligence) 6 , soit environ
10 000 euros dans le premier cas et 6 600
euros dans le second. La commission
soudanaise chargée de l’évaluation de la diya a
ainsi procédé à l'estimation monétaire de son
montant, conformément à la jurisprudence
islamique (école malékite), qui prend en
considération l'âge des dromadaires, afin que
la diya comprenne 20 ibn makhad [dromadaires
6 Edit pénal n°1 de l'an 2000. Sujet : évaluation aux
dispositions de la diya [prix de sang] et les moyens de
l'exiger (traduction). Présidence du Corps judiciaire.
Bureau technique de la Cour suprême, daté du 13 mars
2000.
d'un an], 20 bint makhad [chamelles d'un an],
20 bint Laboun [chamelles de deux ans], 20
haqqa [dromadaires de trois ans] et 20 jazaa'a
[dromadaires de quatre ans].
La diya en Algérie
Dans certaines régions de l’Algérie, et
en particulier dans les zones sahariennes et
présahariennes, la diya est encore pratiquée
bien qu’elle ne soit pas reconnue dans le
droit algérien. Il s’agit donc d’une pratique
qui s’effectue parallèlement aux procédures
de la justice étatique. J’aborde ici plus
précisément la manière dont la diya est
appliquée dans la région d’Ain Sefra (Sud
Oranais). Je traite en particulier de la diya
pour les affaires d’homicide involontaire et
volontaire, et non pas les compensations
pour coups et blessures 7 .
Localement,
certains
de
mes
interlocuteurs impliqués dans les affaires de
diya soulignent qu’il ne s’agit plus de diya à
proprement parler. Dans le droit malékite et
dans la coutume bédouine, la compensation
de la diya est en effet normalement de 100
dromadaires pour un homicide involontaire.
Or, les montants des compensations dans la
région d’Ain Sefra sont nettement inférieures :
environ 100 000 Da 8 , soit le prix de 10
moutons 9 , pour un homicide involontaire. Les
raisons invoquées sont d’une part la cherté de
la vie et d’autre part le fait que le coupable ou
son assurance lorsqu’il s’agit d’accidents – et il
7 Lorsqu’il y a homicide, la justice d’Etat se saisit
obligatoirement de l’affaire. On notera cependant
qu’une grande partie des affaires de coups et blessures
involontaires et volontaires se règlent généralement
sans recourir à la justice étatique.
8 Le salaire minimum est de 12 000 Da (environ 120
euros) en Algérie.
9 Je mets cette indication à titre comparatif. Le mouton
ne constitue cependant pas l’unité de mesure actuelle
de la diya. Il est toutefois intéressant de noter que le
mouton, et son sacrifice, jouent un rôle important dans
les rituels de réconciliation (cf. également Ben Hounet
2010).
44
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 s’agit là des cas les plus fréquents – doit
encore payer à la famille de la victime les frais
relatifs aux dommages et intérêts prononcés
lors du jugement civil, ainsi que l’amende qui
aura été fixée lors du jugement pénal. La diya
est surtout pratiquée localement lorsqu’il s’agit
d’homicide involontaire. Il existe même un
système pour ces cas là : toutes les fractions
de la confédération tribale des ‘Amûr –
confédération tribale qui est implantée dans la
région d’Ain Sefra et qui constitue la majeure
partie de sa population 10 –, mais aussi avec
eux les habitants du qsar de Sfissifa (l’un des
villages traditionnels de la région) et les
familles des Awlâd Ziad (un lignage implanté
dans la région depuis les années 80)
contribuent à la diya 11 . Chaque fraction a un
ou deux médiateurs, responsables (mashûl)
chargés de collecter la somme qui sera donnée
à la famille de la victime. Celle-ci s’élevait à
80 000 Da pour l’homicide involontaire d’un
enfant, 100 000 Da pour une femme et
120 000 Da pour un homme. Elle a
récemment (début 2008) été fixée à 100 000
Da quel que soit le genre et l’âge de la victime.
Mais lorsqu’il s’agit d’homicide volontaire, ce
système ne fonctionne plus et lorsque le
principe de la compensation est accepté par la
famille de la victime, il appartient seulement à
la famille agnatique 12 du coupable de réunir la
somme qui est souvent plus importante (entre
100 000 et 400 000 Da).
10 Les ‘Amûr forment une confédération comprenant
trois grandes tribus : les Swala, les Awlâd Salim et les
Awlâd Bûbkar.
11 Les autres tribus et lignages de la région, tels les
Awlâd Bûtkhill (habitants du qsar d’Ain Sefra) et les
Awlâd Sid Tadj, ne participent pas à ce système. Ils
contribuent à la diya de manière indépendante.
12 Localement, on parle de ceux qui portent le même
nom que le coupable et non pas nécessairement de la
famille agnatique jusqu’au cinquième degré, les khamsa
mis en exergue par Joseph Chelhod pour les Bédouins
du Proche-Orient (1971).
L’intentionnalité en question
Comme on l’a vu, l’intentionnalité de
l’homicide conditionne l’application de la diya.
J’aimerais ici montrer que la définition de
l’intentionnalité ne va pas forcément de soi et
qu’elle relève de considérations qui ne
reposent pas nécessairement sur le droit
islamique ni sur la coutume (‘ûrf), ni même sur
l’argumentaire religieux. Je prendrai, pour
illustrer cette idée, deux exemples, l’un
soudanais, l’autre algérien.
Cas soudanais
Il s’agit ici d’une décision énoncée par
un juge à l’issu d’un procès ayant eu lieu au
tribunal de Khartoum Nord et établie en date
du 1er juillet 2007. Le procès en question porte
sur un homicide perpétré en 2005 dans le
marché arabe de Khartoum, l’accusé s’étant
par ailleurs enfui d’un hôpital psychiatrique
avant de poignarder la victime. L’objet du
procès fut de définir si l’homicide relevait du
meurtre (homicide intentionnel) ou s’il fut
involontaire (en raison de la probable
démence de l’accusé). On suivra ici l’exposé
de la décision, telle qu’elle apparaît dans sa
version écrite, et dans lequel il n’est pas fait
usage de référence au registre religieux, si ce
n’est en préambule avec la formule canonique
« Au nom de Dieu, Le Clément, Le
Miséricordieux », la décision se fondant sur des
considérations scientifiques (rapport du
médecin légiste) et un argumentaire qui se
veut logique/rationaliste et répondant aux
articles du code pénal soudanais (cf. annexe).
On extrait ici l’argumentation quant à
la question de savoir comment définir
l’intentionnalité de l’acte : « l’accusé a utilisé
un couteau exposé pour poignarder la victime
causant une blessure profonde au niveau du
thorax suivie d’une hémorragie intense. […]
Dans la déposition des témoins de
45
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 l’accusation, ces derniers constatent une
blessure au niveau du thorax et une
hémorragie due à la blessure. Le rapport du
médecin légiste confirme les faits. La cour a
conclu dans ce cas qu’en raison de l’utilisation
du couteau au niveau du cœur (partie sensible
du corps humain) et de sa localisation au
niveau du thorax, l’accusé était conscient que
cet acte entraînerait la mort ».
On remarquera donc que la décision
ne se fonde pas sur la personnalité de l’accusé,
ses éventuelles motivations, comme elle ne
fait que peu de cas du fait que l’arme n’était
pas originellement en sa possession (puisqu’il
s’agissait d’un couteau d’Oman exposé à la
vente). C’est bien des considérations plus
pragmatiques – la nature et l’emplacement du
coup porté – qui orientent la décision de la
cour : avec comme raisonnement « logique »
que l’emplacement du coup porté indique la
conscience de la gravité de l’acte.
L’accusé fut ainsi reconnu responsable et la
cour écarta l’hypothèse de l’instabilité
mentale. C’est à dire que l’homicide ne fut pas
considéré comme involontaire, mais comme
semi intentionnel 13 . La personne fut ainsi
emprisonnée et soumise au paiement de la
diya aggravée.
Cet exemple montre assez bien que,
comme le note Baudouin Dupret, le juge (et la
cour) « s’attache sans doute plus à manifester
sa capacité à juger correctement, selon les
standards de la profession, les contraintes
formelles qui s’appliquent à son exercice, les
13 Article 131/2 « Notwithstanding the provision of
section 130 (1), culpable homicide shall be deemed to
semi-intentional in any of the following case:
(i)
Where the offender commits culpable
homicide under the influence of mental, psychological
or nervous disturbance, which manifestly affects his
ability to control his acts.
131/3: Whoever commits the offence of
semi-intentional homicide shall be punished, with
imprisonment, for a term, not exceeding five years,
without prejudice to the right of diya.
sources juridiques sur lesquelles elle s’appuie
et les normes du travail interprétatif qu’elle
suppose, qu’à réitérer le primat islamique du
droit qu’il met en œuvre ». Ainsi, on constate
que la décision ne s’appuie sur aucun cas
inscrit, que ce soit dans la tradition islamique
(hadith), dans la jurisprudence islamique
classique, ou bien encore dans la coutume.
Passons maintenant au deuxième exemple,
algérien celui-ci.
Cas algérien
Lors de mon dernier séjour dans la
région d’Ain Sefra (Mont des Ksour), en
octobre dernier (2010), j’ai eu connaissance
d’un meurtre commis par un semi-nomade de
la fraction des Lamdabih et impliquant 5
membres de la fraction des Awlad Shahmi (un
meurtrier présumé et 4 complices présumés),
ce meurtre ayant eut lieu en mars 2010. Trois
tentatives de réconciliation ont été entreprises
par des notables de la région avec proposition
de diya, en vain, le père de la victime refusant
toute possibilité de réconciliation entre
fractions impliquées et l’acceptation de la diya
avant que la justice ne se prononce. Le père
attendait en effet que soit éclairci, au niveau
du tribunal, le rôle joué par les 4 autres
personnes pour mesurer le degré de
complicité et de préméditation du crime et
donc les possibilités de réconciliation, non pas
avec les coupables mais avec leurs clans
d’appartenance. Le procès n’ayant pas encore
eu lieu, le différend restait encore ouvert et,
par mesure de précaution et pour prévenir
d’autres attaques, les tentes de la fraction des
coupables, auparavant voisines de celles de la
famille de la victime, furent déplacées à plus
de 100 km. Ce cas de figure présente des
analogies mais se distingue également d’un
autre cas ayant eu lieu au sein de cette
confédération tribale en 2006. Deux membres
de la fraction des Awlâd ‘Abdallah (tribu des
Awlâd Bûbkar, confédération des ‘Amûr)
avaient en effet tué deux membres de la
46
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 fraction des Lambadbih (de la même tribu).
Ces deux homicides volontaires faisaient suite
à une dispute. Les coupables furent alors
emprisonnés. Les pères des coupables et les
membres du clan des Awlâd ‘Abdallah
cherchèrent à engager une diya. Plusieurs
notables appartenant à la confédération des
‘Amûr furent sollicités pour accompagner des
membres du clan des Awlâd ‘Abdallah et
obtenir un règlement du conflit latent. Après
maintes sollicitations et pressions des
notables, les familles des victimes acceptèrent
la compensation.
Ce qu’il y a d’intéressant dans ces deux
cas, ce n’est pas tant l’issue distincte, le fait
que la diya fut acceptée dans le cas survenu en
2006 et refusée, tout au moins jusqu’à présent,
dans celui de 2010. Ce qui interpelle c’est bien
l’implication des mashûl, des médiateurs,
responsables de la compensation, appartenant
aux différentes fractions, dans ces affaires. En
effet, la plupart des mashûl que j’ai eu à
interroger m’indiquait qu’ils ne s’impliquaient
pas dans le cadre d’homicide volontaire (qatl
‘amdi), à moins qu’il ne s’agisse d’un membre
de leur propre clan. Or, les cas présentés, sont
à priori, des homicides volontaires.
J’expliquerai ici que les conditions spatiotemporelles des homicides impliquent chez les
mashûl
une
autre
interprétation
de
l’intentionnalité. Utilisant le concept de
nomosphere, Bertram Turner montre par
exemple les incidences de la dimension
spatio-temporelle dans le cadre d’une affaire
d’alcoolisme et de dispute survenue de nuit et
à proximité d’un marché villageois de la
région du Souss marocain 14 .
Lorsque j’ai discuté avec les différents
mashûl de leur implication dans le cadre de ces
14 Bertram Turner, « Religious Subtleties in Disputing:
spatiotemporal inscriptions of faith in the nomosphere
in rural Morocco », papier présenté au colloque Religion
in Disputes, Max Planck Institut, Halle, 27-29 octobre
2010.
affaires d’homicide volontaire, tous m’ont
indiqué les deux éléments suivants : que les
homicides avaient eu lieu « du coté de
Fortassa » et à l’époque du printemps « rbi‘ ».
Pas un seul ne m’avait indiqué les dates et
emplacements exacts des homicides, comme
aurait pu le faire par exemple un commissaire
ou un juge. Mais cette définition spécifique du
cadre spatio-temporel des homicides est en
soi une justification/interprétation de
l’intentionnalité. En effet, l’expression « mjit
Fortassa », « du coté de Fortassa », indique
que les homicides ont eu lieu loin de la ville
principale (Ain Sefra), dans un espace dévolu
au pastoralisme, à proximité par ailleurs de la
frontière marocaine (et donc également dans
un espace de contrebande). Quant au terme
« rbi‘ », il indique que les affaires ont eu lieu au
printemps, autrement dit à la période durant
laquelle les pasteurs nomades sont en quête de
pâturages pour leur bêtes, donc une période
potentiellement conflictuelle. Nombreux
furent par ailleurs les mashûl qui m’évoquèrent
la mauvaise foi des différents protagonistes.
En d’autres termes, le fait que les affaires
aient eu lieu sur un tel espace et à une telle
période implique que les homicides sont
davantage
considérés
comme
semi
intentionnels. Si les homicides avaient eu lieu
en ville ou à une autre période, ils auraient été
probablement qualifiés d’intentionnels et les
mashûl ne se seraient pas impliqués.
*
Ces deux cas illustrent bien que la
qualification de l’intentionnalité ne repose
aucunement sur l’argumentaire religieux. Les
acteurs sont ici inscrits dans différentes
logiques propres aux contextes dans lesquels
opèrent les règlements des affaires (cour de
tribunal dans un cas / arrangement
conciliatoire hors tribunaux dans le second).
Les arguments renvoient par ailleurs à des
interprétations situées et spécifiques : recours
aux témoins et médecin légiste dans le
47
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 premier cas ; connaissance du contexte spatiotemporel dans le second cas.
Chelhod, Joseph, 1971. Le droit dans la société
bédouine, recherches ethnologiques sur le ‘orf ou droit
coutumier des Bédouins. Paris, Marcel Rivière et Cie.
Chelhod, Joseph 1986. Les structures du sacré chez les
Arabes. Paris, Maisonneuve et Larose.
Daaïf, Lahcen, 2006. « Le prix du sang (diya) au
premier siècle de l’islam ». Hypothèses, n°1, p. 329342.
Références bibliographiques
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Homicide in islamic law ». Bulletin of the School of
Oriental and African Studies, vol. 13 (4), p. 811-828.
Ben Hounet, Yazid, 2010. « La diya (prix du sang) :
gestion sociale de la violence et logiques
sacrificielles en Algérie (Sud-Oranais) ». Annales de
la Fondation Fyssen, n° 24, p.196-215.
Drieskens, Barbara, 2005. « What happened?
Stories, judgements and reconciliations ». Egypte
Monde Arabe, n° 1, p. 145-158.
Schlee, Gunther, 2002. « Régularités dans le chaos.
Traits récurrents dans l’organisation politicoreligieuse et militaire des Somali ». L’Homme,
n° 161, p. 17-50.
Tyan, E., 1965. « Diya », Encyclopédie de l'Islam,
tome II. Leiden, E. J. Brill ; Paris, Maisonneuve &
Larose, p. 350-352.
Annexe : Décision du tribunal de Khartoum Nord (1er juillet 2007)
Au nom de Dieu, Le Clément, Le Miséricordieux
La décision se résume et est établie en date du 1/07/2007.
L’accusé Haitam O. marchait dans une ruelle du centre de carburant au marché arabe de
Khartoum, au sud de la Grande Mosquée, après s’être évadé du centre psychiatrique (kûbar). Il
rencontra le défunt Abderrahmane E., et voyant en lui et en les autres passants des monstres qui
voulaient le dévorer, il prit un couteau d’Oman, exposé à la vente, et poignarda Abderrahmane E.
dans le dos, puis se rendit. La victime fut envoyée à l’hôpital où elle mourut. Une autopsie fut
ordonnée suite à cet événement.
L’accusé était dans un état psychologique lamentable et fut l’objet de traitements pour être en
mesure de répondre de son acte. Il fut interrogé sur la base des faits attribués selon l’article 130
du code pénal. Dans sa déposition, il prétendit qu’il n’était pas conscient et qu’il ne pouvait pas
être légalement responsable. La cour, dans les débats qui ont suivi, s’est référée à l’article 129 du
code pénal qui se lit comme suit : « l’homicide, c’est donner la mort à une personne en vie avec ou sans
préméditation. Et le meurtre (homicide volontaire), c’est donner la mort avec l’intention de la donner ». Comme il
est stipulé dans l’article 130 du code pénal qui se lit comme suit : « le meurtre (homicide volontaire) c’est
1. donner la mort à une personne en vie ; 2. la préméditation de l’acte d’ôter la vie ; 3. la relation de l’acte avec la
mort ».
La cour a débattu des faits suivants : l’accusé Haitam O. a-t-il poignardé la victime Abderrahmane
E. ? La réponse fut « oui ». Les témoins de l’accusation ont affirmé avoir vu la victime poignardée
48
dans le dos au marché arabe en présence de la police et elle fut transportée à l’hôpital où une
autopsie fut ordonnée. Le rapport de l’autopsie révèle une plaie au niveau de la cage thoracique
d’une profondeur de 9cm et d’une largeur de 1cm du côté gauche. On a constaté aussi une plaie
au niveau du diaphragme, et le ventricule gauche du cœur est transpercé. Les causes du
décès sont la plaie au niveau du cœur et une hémorragie due à la blessure. Le document est signé
par le médecin légiste Dr. Akil Ennour S. E., en date du 01.07.2005.
Le deuxième débat tenta de déterminer si l’accusé avait l’intention de donner la mort au défunt.
L’intention est définie par l’article 3 du code pénal et sur la base du cas référencé
« Gouvernement du Soudan contre Aissa A. M. Vol n°72, p. 74 » : l’accusé a utilisé un couteau
exposé pour poignarder la victime causant une blessure profonde au niveau du thorax suivie
d’une hémorragie grave. […] Dans la déposition, des témoins de l’accusation constatent une
blessure au niveau du thorax et une hémorragie due à la blessure. Le rapport du médecin légiste
confirme les faits. La cour a donc conclu qu’en raison de l’utilisation du couteau au niveau du
cœur (partie sensible du corps humain) et de sa localisation au niveau du thorax, l’accusé était
conscient que cet acte entraînerait la mort.
Le troisième débat enfin chercha à savoir s’il y avait relation entre l’acte et la mort de la victime.
La réponse fut « oui ». Les témoins de l’accusation ont affirmé que la victime est tombée suite à la
blessure avec le couteau et qu’elle est décédée suite à cela dans la même journée après le coup
porté par l’accusé à la victime avec un objet tranchant (pièce à conviction n°2). Il n’y a pas
d’évidence que d’autres éléments aient entraîné la mort de la victime.
Après qu’il ait été prouvé que l’accusé eût commis un acte puni par l’article 130/2 du code pénal
et qu’il ne fût ni dans un état de légitime défense, ni provoqué par la victime, il nous faut débattre
quant à l’instabilité mentale, et nous posons la question suivante : est-ce que l’accusé était sous
l’influence d’une instabilité mentale, psychologique ou nerveuse à un degré tel qu’il en était
incapable de maîtriser ses actes ? Les témoins de l’accusation ont affirmé que l’accusé au moment
des faits était psychologiquement instable, ses habits étaient déchirés et étaient sales. Cette
déposition fut confirmée par le psychiatre qui déclara qu’il (l’accusé) était interné à l’hôpital
psychiatrique où il suivait un traitement avant de s’évader et de commettre son crime et ajouta
qu’il fut transféré d’un autre hôpital sous la recommandation d’un autre médecin (Dr. A.), sa
famille se plaignant qu’il était violent et psychologiquement instable. Il était aussi alcoolique. Il a
été interné sur la base de ce comportement. Dans un premier temps, il murmurait à l’hôpital, ce
qui voulait dire qu’il entendait des voix. Après le traitement, les murmures ont disparu. On
constate aussi que l’accusé avait, sans aucune raison, des crises de violence. Cette déclaration fut
confirmée par son frère, qui déclara à la cour qu’ils étaient, lui-même et sa soeur, victimes de
violence de la part de l’accusé avant qu’il ne soit interné.
L’accusé fut reconnu responsable et la cour écarta l’hypothèse de l’instabilité mentale en se basant
sur l’article 2/131 du code pénal qui définit la préméditation. Il fut reconnu coupable en vertu du
code pénal de 1991.
49
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Tracing the Spider’s Web: The Role of the Judge in Tunisian
Divorce Cases
Sarah Vincent-Grosso
PhD Candidate, Department of Anthropology
London School of Economics and Political Science
Khaled and Rachida (1)
Behind the closed doors of the Family Judge’s office,
Khaled and Rachida sit facing each other on leather
chairs huddled in anoraks and jeans to protect them
from the cold. In the early stages of their divorce case,
they have come for their first compulsory reconciliation
session with the judge. Both earn a decent salary
(around 500 dinars 1 per month), he as a salesman,
she as an accountant. He has remained living in their
home in the pleasant, seaside area of Ben Arous.
Rachida has moved in with her brother. They also
have a baby daughter who Khaled has not seen for 6
weeks, as she has been sent to live with his wife’s
parents outside the capital.
As it is Khaled who filed for divorce (without
grounds 2 ), the judge turns to him first to ask about
the reasons for their dispute. The troubles began when
they left their rented flat and moved into a storey above
his parent’s house, in spite of his promise that they
would live independently. The judge, who has been
leaning back against his chair and fumbling with his
mobile phone, finally begins to make a call as Rachida
starts telling her side of the story. Startled by this
seemingly rude behaviour, I search the litigants’ faces
for signs of a reaction. Later on, I would discover that,
Equivalent to 259 euros or just over twice the
Tunisian minimum wage.
2 There are three types of divorce available to men and
women alike in Tunisia. Couples may divorce by
consent, without grounds or for harm. The litigant
filing for divorce without grounds must pay his or her
spouse compensation. The litigant filing for divorce for
harm may receive compensation for the harm suffered,
provided they are able to provide sufficient evidence of
this.
1
far from wishing to appear rude, the misplaced phone
call was a strategy employed by the judge to cope with
the frustrations encountered when carrying out this
task of reconciling couples or, as some of the judges
saw it, of saving families, a task which he personally
endows with a great deal of moral significance.
If law is a ‘spider’s web’, 3 as Latour
has suggested in an enticing metaphor, what
can be learned about its nature by following
the activities of spiders? Or at least by
following one of the potential spiders who
weave and retrace its filaments, reproducing
and reshaping its intricacies in practice?
The interconnectedness implied by the
image of the web is of particular appeal
recalling Mitchell, who found that drawing a
dividing line between legal structure and
‘society’ ‘fails to correspond to the
complexities of what actually occurs, where
code and practice tend to be inseparable
aspects of one another.’ 4
Following spiders helps to unveil the
falsity of this dichotomy in practice. The
spider that this paper will focus on is the
judge, or more specifically the Tunisian
Reconciliation Judge who appears in the
opening sketch. By exploring his frustrations
and strategies, it aims to demonstrate how the
judge serves as a crucial bridge between the
‘legal’ world inside the court and the ‘social’
world that is deemed to lie outside it. Based
3
4
Latour, 2010, p.277
Mitchell, p. 76
50
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 on ethnographic fieldwork 5 in the Court of
First Instance of Ben Arous in the chamber
dealing with Personal Status matters, 6 the
paper will focus on the reconciliation sessions
that are compulsory before a couple are
entitled to divorce. Specifically, I will draw on
my observations of these sessions and
interviews with judges and litigants. To
perform his 7 role as ‘Reconciliation Judge’, a
judge must be present both as ‘legal’ and
‘social’ actor; he must be able to decipher the
performances of the litigants who enter the
court, situating them within a far broader
context.
All the time the judge is engaged in
tracing these webs, he remains within the law.
The legal code remains silent and does not
define either ‘harm’ 8 or ‘marital duties’,
concepts which are central to these divorce
cases and to the arguments used by litigants as
they strive to win a favourable divorce
settlement. By defining ‘marital duties’
according to ‘custom and habit’, the legal
code leaves the judge considerable
interpretative power 9 and requires him to
draw on particular forms of ‘social’
knowledge in his work. Equally, litigants
display their understanding of the need to win
the trust and support of the judge. A great
deal (the divorce settlement and the custody
of the children) is at stake in persuading him
that you are a ‘good’ moral person and a
‘good’ husband or wife and that your spouse
is not. During these sessions, the judge writes
a summary of what has been said that is
signed by the litigants; as these documents
enter the divorce files and can be used as
legally-valid evidence, it would be unwise for
litigants to state anything that may be noted
by the judge and used against them. This
procedural fact contributes to a seemingly
unavoidable paradox summed up by one
judge: ‘the status of judge and the function of
reconciliation are incompatible.’ As he put it,
he saw his role in these sessions as “not to
judge them, but to make them get on.”
Consequently, it is not surprising that there
may be “camouflage”, to use the judge’s term
and to find that the couple do not want to
talk about the “real reason.”
Under the Camouflage
The apparently misplaced phone call
during the session was a strategy aimed at
tearing down this ‘camouflage’ in order to get
to the ‘real reasons’ for the divorce and to
locate the couple socially to try to reconcile
them. The judges I interviewed echoed a
sense I had felt in the neighbourhood: a sense
of unease based on the difficulty of locating
people socially and knowing who to trust,
given changing patterns of sociality in the
rapidly expanding urban jungle. The proximity
they craved and felt necessary to their task
had been replaced by distance.
A key source of identification for
many of my informants was place of origin,
inherited via the patriline. However,
increasingly, place of origin does not
correspond to place of residence or place of
birth. Over the last few decades, waves of
Field research was partially funded by a Sutasoma
Award from the RAI. All names and some identifying
details have been changed.
6 Fieldwork took place between May 2007 and
December 2008 and was carried out both in the court
and in a lower middle-class neighbourhood in the
court’s jurisdiction. Ben Arous forms part of Greater
Tunis.
7 It is of note that both male and female judges are
present in Tunisia. The male pronoun is used here to
reflect the gender of the judges discussed in this paper.
8 Further relevant dispositions in the legal code and
jurisprudence coupled with the need to produce legally
valid evidence do restrict the judge’s interpretative
space in defining ‘harm’ in divorce cases. For a more
detailed discussion see Vincent, Maktoub’: An
Ethnography of Evidence in a Tunisian Divorce Court,
in Voorhooeve (ed.), Family Law in Islam: Divorce,
Marriage and Women in the Muslim World,
Forthcoming.
9 See Voorhooeve’s chapter in the above volume for a
detailed discussion of factor’s curtailing and opening
these interpretative spaces.
5
51
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 migration from the country to the city saw the
population of Ben Arous grow such as to
merit opening its own Court of First Instance
in the mid 1980s. As a judge explained, ‘the
majority of people in Ben Arous and Greater
Tunis come from all over Tunisia.’ The
Family Judge gains an idea of the litigants
from the information included in the file: job,
salary, level of studies, where they were born
and age. This enables him to place them in
socio-economic categories: ‘well-off, middle,
poor.’ The former judge, however, found that
this information does not make up for other
social clues that are lacking; it cannot tell him
whom to trust: ‘after five minutes with them,
I find that they have no character. They try to
run away. They do not want to give me any
information I could use to reconcile them…
we cannot distinguish between right and
wrong… They wear masks.’ I could not help
wondering
whether
this
unsettling
heterogeneity of population was contributing
to an orientation towards norms or ideals,
which are increasingly homogenized at a
national level. Some parts of the wider web
have become inaccessible; other threads must
be traced, and may be strengthened, instead.
By the end of my time observing the
court, the Family Judge had decided to carry
out all the reconciliation sessions himself,
rather than delegating some of them to his
colleagues. He was willing to take on this
heavy workload due to the responsibility he
felt. He did not want to ‘divorce people he
had never seen.’ ‘If I can see them, I can see
their situation and who is right,’ he explained.
‘It is not the same just seeing the documents.
It is personal status law, so you need to know
the person.’ In the face of increasing distance,
he seeks proximity with those he must judge.
Acknowledging that much remains
camouflaged, what are Khaled and Rachida
willing to reveal in front of the judge? How
do they attempt to persuade the judge that
they are ‘right’ and their spouse is ‘wrong’?
Which masks do they put on? Their
performances speak to an implicit
understanding of which arguments will be
compelling to the judge and are underpinned
by a common sense of shared morality.
Khaled and Rachida (2)
Rachida complains that she and Khaled had agreed to
live away from his family, but that he had made her
move in next to his parents when she was heavily
pregnant. The judge tells her that she is wrong: “you
cannot reject his family”. She reassures him that she
does not reject them; she goes to them for Aid. But she
cannot live there as they restrict her freedom.
After she gave birth, her family managed to reconcile
them and she returned to live with her husband on the
promise that his father would allow her independence
and freedom. In spite of this, his mother interfered.
“His mum asked, ‘are his clothes washed?’” explains
Rachida. “Who is responsible for my husband? Me or
his mum.” The judge, trying to calm her, says, “If my
mother asked my wife that, she would just say yes and
she knows how to treat her.” Rachida insists that she
tried to love her mother-in-law, but she interferes in
their intimate relationships, even coming up to visit
them at 5am.
Khaled retaliates by claiming that she neglects her
duties: “She goes out all day and leaves the baby with
my mother. From 8am- 6pm. She wants me to erase
my mum and dad from my life. My mother cooks us
dinner. She thinks …. My mother dominates me. My
wife left the baby in Sousse with her parents.”
The judge asks the husband again if he wants to
divorce. Rachida speaks over his reply saying that
their daughter is ill and that she was thrown out. The
judge asks her if she agrees to divorce. (If she agrees,
the couple can divorce by consent; the case will be able
to progress more quickly, but she will lose her
entitlement to compensation). Rachida replies, “I don’t
want to divorce. If I did, I would have asked for the
divorce from the start. Do you men marry women for
their salaries?” She claims that she has evidence that
he caused problems for her at work.
52
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 She adds: “When he tastes my food, he says it is not
delicious and his mother cooks better. He is not
diplomatic. I don’t care about money. I have paid
maintenance since I married and don’t keep
count/accounts.”
Rachida and Khaled enter into a battle
over which of them has failed to carry out
their marital duties. They orientate their
discussion around those ideals of marital roles
which are deemed not only to be
comprehensible to the judge but find backing
in law. The husband, as head of the
household, 10 has a legal obligation to provide
for his family; equally, all my informants
unanimously agreed that maintenance is a
male duty, just as caring for children and
preparing the dinner are female duties. Given
the difficulties of locating litigants and
knowing who to trust, these arguments
surrounding marital duties both speak of
material issues and constitute a moral
discourse seeking authority in the eyes of the
judge. By appearing to be a good wife and
mother, Rachida not only strives to improve
her divorce settlement, but she simultaneously
builds her moral authority in the hope of
gaining his trust; she seeks to present herself
as a good, moral person. As we will see,
Khaled performs a similar role, stressing his
‘moral’ obligation to his parents as a good
son.
However, marital roles have been
shifting in practice, 11 due to factors such as
female education and unemployment.
(Rachida, who holds a Master’s degree, is
better educated than her husband). In
addition, material reality does not often allow
for the ideal to be realised. For financial
reasons, young couples may be required to
live with in-laws. Two salaries are frequently
Article 23, Personal Status Code.
Given the scope of this paper, here I am merely
hinting at a subject worthy of far more nuanced and
detailed debate.
10
needed to sustain the material needs of the up
and coming middle-classes. Working mothers
may well leave their children with their
mother-in-law during working hours. The
judge appears sympathetic to these
contradicting demands as he encourages
Rachida to be patient with her husband’s
family. Following the webs back to his
personal life, he uses his own wife to depict
an ideal model of behaviour.
Although I observed 61 reconciliation
sessions, the judge only saw a glimmer of
hope and actively sought to reconcile the
couple in 8 of these. Among these, Rachida
and Khaled were one of three couples where
the heart of the problem seemed to lie
between the wife and the husband’s family. In
each of these cases, the judge put the onus on
the husband to smooth out the relationship
between his wife and parents to enable the
marriage to continue.
Rachida and Khaled (3)
Rachida and Khaled argue between themselves, whilst
the judge makes another phone call. Khaled says that
the real problem lies with his parents. She tells him
that he has no “character”. He replies that he has a
“moral obligation” as they are his parents.
Judge to Khaled: “Women are women. You must stop
your mum, if she crosses her boundaries. It is not for
the court to do this. Now I will give you advice about
women. Sometimes a mother does not know her
boundaries. A mother tries to... you must tell her,
when she goes too far. Can you get your wife and
mother to agree?”
Khaled: “She thinks that everything my mother does is
a mistake.”
Judge to Khaled: “This is all down to you. This is
your duty and you failed! As I see it, there is no
problem between you as a couple.”
11
Khaled: “It is a problem between my parents and my
53
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 wife. But I feel now that she does not respect me.”
‘Passion is the least appropriate term
to describe the attitude of judges in
the course of a hearing … leaning
back in their chairs, attentive or
asleep, interested or indifferent, the
judges always keep themselves at a
distance. Only the claimants suffer to
any degree.’ 12
Rachida: “Your parents dominate you and you just
watch.”
Judge to Khaled: “Don’t you try to convince yourself
that these are not real reasons. I will give you another
reconciliation session. Think how you imagine your
life. What differentiates between men? There is no
success, unless you can resolve problems. People
management. Especially for men, more than for
women, marriage, parents, colleagues etc. Each man
has power.”
The judge’s advice seems to address
Khaled’s fear that his wife no longer respects
him. It also reflects an understanding of
expected marital roles, as opposed to actual
marital
roles,
given
the
increasing
impossibility of fulfilling these in the
prevailing economic climate. Amidst what can
be
presumed
about
their
material
circumstances, that they are constrained to
live with his parents and that her salary is
essential to the household, the ideal, gendered
division of labour cannot be upheld. Instead,
the judge spins another thread, offers another
possible path to enable Khaled to restore his
injured masculinity, emphasising that he must
manage the relationship between the women
in his life; ‘each man has power.’
*
The judge’s ability to get under the
camouflage and remove the litigants’ masks
relies on his capacity to act as a spider and
navigate the multiple webs that extend out
from his office. His frustrations arise from
parts of the web that appear cut off. His
strategies develop from his ability to navigate
the intricate threads of the ideals and practice
of marriage and to spin his own lines to help
catch the litigants before they are lost.
Latour, describing the judge at the French
Conseil d’Etat, wrote that:
The question remains as to whether
the differences between Latour’s judge and
the one described here result from a
difference in methodological approach or the
contrasting contexts of different types of law
and different cultures. Whilst acknowledging
these differences in context, this depiction
nonetheless provides a foil to allow me to
draw out some of the features of my spiderlike judge. Needless to say, I did not find my
judge distant or indifferent; litigants and
lawyers repeatedly emphasised the importance
of his role and his powers of interpretation
and did not expect to find him indifferent
either. If anyone could have been seen to
keep themselves at a distance, it was the
litigants rather than the judge.
By emphasizing the personal in
personal status, the Family Judge sought to
maximise his proximity with the divorcing
litigants, a proximity he deemed vital to carry
out his work successfully. One judge summed
up the difficulty of these cases for the judges.
In his opinion, he felt that our assiduous and
well-respected Family Judge, ‘must sacrifice
himself and his family’ by working on divorce
cases. ‘It is not easy making a ruling that will
split up a family.’ Caught up in the web that
binds and that enables him to understand the
litigants’ problems, he too may suffer.
The interactions described between
the judge and litigants are framed, if not
determined, by the legal process. The
‘complexities of what actually goes on’ 13 , the
12
13
Latour, 2004, p.78
Mitchell, supra.
54
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 interconnectedness of the web that the spider
has to trace, are acknowledged in the legal
code that defines ‘marital duties’ according to
‘custom and habit.’ This acknowledges the
impossibility of providing a satisfactory
definition for ‘marital duties’ or ‘harm’,
concepts as perpetually in flux as the
economic and social webs in which they are
held. The significance of the role of our
spider, required to traverse complex webs in
search of understanding and proximity, would
seem to arise as the logical conclusion of this.
Simultaneously, in navigating the web in
certain ways, the spider contributes to its
design; spinning new threads to strengthen
the old in these reconciliation sessions, the
nature of the web itself is perpetually
reinforced and rewritten as this particular legal
process is carried out in practice.
References
Latour, Bruno, Scientific Objects and Legal
Objectivity in Pottage & Mundy (eds.), Law,
Anthropology and the Constitution of the
Social: Making Persons and Things,
Cambridge University Press, 2004.
Latour, Bruno, The Making of Law: An
Ethnography of the Conseil d’Etat, Polity Press,
(2002) 2010.
Mitchell, Timothy, Society, Economy and the State
Effect in G. Steinmetz (ed.), State/ Culture:
State-Formation after the Cultural Turn,
Cornell University Press, 1999, pp. 76.
55
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 An ethnomethodological study of judicial interpretation in Tunisia
The case of paternity law
Maaike Voorhoeve
PhD candidate, Law Faculty
University of Amsterdam
Directly after Tunisia’s independence
in 1956, the new president Habib Bourguiba
issued the Personal Status Code (PSC, 1956). 1
This code has often been called ‘secular’ 2 , as
‘[t]he whole tenor of the [PSC] ran counter to
traditional Muslim jurisprudence’. 3 Moreover,
it applies to all Tunisians regardless of their
religion 4 , and the code does not provide that
in case of lacunae, judges should have
recourse to the fiqh. 5
Nevertheless, Tunisian authors argue
that judges continue to apply sharîca to
interpret personal status law or even contra
legem. 6 For example, Hafidha Chekir argues
that ‘in all cases, when it concerns the
interpretation of the PSC, the judge refers to
Islamic law. C’est là une constante.’ 7 This
situation made Yadh Ben Achour conclude
that judges do not consider themselves bound
by legislation, which leads to an ‘échec de l’Etat
de droit’. 8
The statement that judges continue to
apply sharîca in personal status cases is
interesting, but its foundations are
problematic. The authors in question argue
that a judge applies sharîca if the decision
resembles what the authors perceive as sharîca,
1 Law of 13 August 1956, published in Journal officiel
tunisien, n° 104, 28 December 1956
2 Sana Ben Achour writes ‘None of the family codes
that followed [the PSC] can be compared with it, not
even the Moroccan Mudawwana that was recently issued
(2004). More by what it grants, the PSC is remarkable
for what it rejects. Fact is, that it pushed forward,
unlike any other code, a secular logic […] [curs. MV].’
Sana Ben Achour, 2005-2006, p. 55.
3 C. H. Moore, 1965, p. 51
4 Law n° 57-39 of 27 September 1957
5 See for example Article 400 of the Moroccan
Mudawwanat al-usra.
6 Kalthoum Méziou, 1992, p. 268, Mohamed Moncef
Bouguerra, 2005, p. 567, Sana Ben Achour, 2007.
7 Hafidha Chékir, 1986, p. 449
8 Yadh Ben Achour, 1990, p. 69-71
even if the judge appoints other sources such
as legislation or jurisprudence. In this way, the
observers pretend to know more than the
observed: they look from the outside at what
judges do. 9
This study examines Tunisian judicial
decision-making from within, following
Garfinkel’s approach. Garfinkel investigated
the rules that organise everyday activities,
following the actor’s accounts. 10 In the
footsteps of Garfinkel, I examine what rules
judges appoint for the organisation of their
activity of adjudication. 11 This is done on the
basis of material collected during fieldwork in
Tunisia (2008 - 2009), consisting of decisions
from several Courts of First Instance (CFI),
interviews with family judges and the
observation of court sessions. I focus on
paternity cases.
The adjudication of paternity cases
One morning, when I was attending sessions
run by the adoption judge at the Cantonal Court in
Tunis, an 18-year-old girl came in with her mother,
aunt and uncle (sister and brother-in-law of the
mother). The mother demanded that her daughter be
adopted by the aunt and uncle. She told the judge that
the girl was born out of wedlock, and that the mother
had not seen the girl’s father in years. The girl said
that she was happy to be adopted by her aunt and
uncle, as she had been much with them all her life,
spending a few days a week at their home, playing
with her cousins.
‘But why adoption?’ the judge asked. The
girl explained. As she was born out of wedlock, she
did not have a family name (her mother’s name was
inscribed on her birth certificate, but a child does not
obtain his or her mother’s family name). Having
finished high school at eighteen, she was looking for a
Baudouin Dupret, 2005
Harold Garfinkel, 1967
11Baudouin Dupret 1998, 2005, 2006a and 2006b
9
10
56
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 job. However, whereas other Tunisians obtain an IDcard at the age of eighteen, she could not, due to the
fact that she did not have a family name. Therefore, it
was impossible to have a job legally, as she did not
have a social security number either. For this reason,
she needed to be adopted, as she would then be able to
use her uncle’s family name. But her life would
continue as it had always been: she would move
between her mother’s house and the home of her soon
to be adoptive parents. 12
If the child’s birth certificate does not
mention the father’s family name, the Family
Chamber at a CFI can summon the civil
servant to register a family name on the
child’s birth certificate. As is shown by the
case described above, a family name is crucial
to obtain full citizenship. Besides, it involves
important financial rights vis-à-vis the father.
Inscription of a family name on the
child’s birth certificate can be requested on
different grounds, namely Article 68 PSC, the
‘Law concerning the attribution of a family
name to abandoned children and children of
unknown descent’ (introduced in 1998,
hereafter: the 1998 law) 13 and adoption (law
of 1958). 14 My study focuses on the
application of Article 68 PSC and the 1998
law.
Article 68 PSC
Article 68 PSC provides that ‘paternity
(nasab) is proven by the bed (al-firash), or by
recognition (iqrar) by the father, or by the
testimony of two or more reliable witnesses’.
The question arises whether this Article only
applies to legitimate children, in the sense that
legitimate paternity is proven by the three
means mentioned (unclear). Let me explain.
If Article 68 PSC applies to both
legitimate and illegitimate children, the
12 Adoption session, President of the Cantonal Court
Tunis, 27 August 2009
13 Law n° 98-75, 28 October 1998, revised by law no
2003-51, 7 July 2003
14 Law n° 58-27 of 4 March 1958. The Public Guardian
can also provide the child with a name, which is
generally a name derived from their place of birth (e.g.
‘Sfaxi’ for a child from Sfax). Previously, former
president Bourguiba attributed his last name to
children born out of wedlock (‘the children of
Bourguiba’).
provision would also allow the judge to effect
a bond of legal paternity if it is clear that the
child is born out of wedlock. In this case, the
judge would be able to apply Article 68 PSC if
the father states that he is the biological father
of the child (recognition) or if witnesses
testify that the mother was having a
relationship with a certain man (witness
declaration). In this case, effecting a bond of
legal paternity would have the sense of a legal
confirmation of biological paternity.
If, however, Article 68 PSC only
applies to legitimate children, this would
mean that a judge will only summon the civil
servant to inscribe the father’s name on the
child’s birth certificate if the child is born
during marriage. Normally in these cases the
father’s name is registered on the birth
certificate. But if for some reason it is not, the
judge could apply Article 68 PSC on the
grounds that recognition or witness
declaration established that the parents were
married at the moment of the child’s birth. In
this case, the recognition or witness
declaration would not concern the paternity,
but the marriage.
My material shows the following
interpretation of this provision and the
sources invoked for this interpretation by
judges.
In a case treated by the CFI Tunis, the
man demanded application of Article 68 PSC,
arguing that he was the biological father of his
little girl Emna, and that he had married the
mother three years after Emna’s birth. The
Court stated that Article 68 PSC provides that
paternity can be effected on the grounds of
‘the bed’, recognition and testimony, and that
as ‘the bed’ in the context of Article 68
denotes ‘the marital bed’, the man’s
recognition of his biological paternity can
only bring about legal paternity if the child is
born during marriage. 15
This decision only mentions Article 68
PSC as the rule that organises the act of
adjudication. The lack of argumentation
shows that the case is perceived as a matter of
routine: as he does not deviate from his
15
CFI Tunis, 6 January 2009, 71289 (unpublished)
57
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 routine, the judge does not feel obliged to
explain his act. 16
In a second case where the couple got
married after their children were born, the
argumentation is more developed. The Court
argues:
‘the benefit of legal paternity is not awarded in
the forbidden way (tariq muharram), as is
imposed by the Tunisian legislator (al-tashri‘ altunisi) […] and this legal principle/sharîca
principle (al-qa‘ida al-shar‘iyya) is affirmed in
jurisprudence (fiqh al-qadha’) in a number of
decisions from the Court of Cassation.’ 17
Although the difference with the previous
case does not become clear from the decision,
the argumentation shows that this time, the
court does realize that it has discretionary
powers. The first argument is that the Court
of Cassation decided that such cases are not
covered by Article 68 PSC. The second
argument is less clear: the term tariq muharram
(‘the forbidden way’) might point at the law
(‘forbidden’), but Tunisian legislation does not
prohibit sexual relations between people who
are not married to each other, except in
specific situations (sex with a minor,
homosexuality, rape, or adultery). 18 As the
case at hand did not concern one of these
situations, it seems that ‘the forbidden way’
does not denote ‘legally forbidden’, but makes
reference to another source of normativity.
This is affirmed by the term al-qa‘ida alshar‘iyya: ‘shar‘iyya’ could literally mean ‘lawful’
or ‘according to sharîca’. As the law does not
prohibit to have a child out of wedlock, it
seems again that the court refers to another
source of normativity, namely what the court
calls sharîca.
The 1998 law
The practice to apply Article 68 PSC
to legitimate children only, inspired the
Association des Tunisienne des Femmes Démocrates
(ATFD) to demand protection of children
born out of wedlock. 19 In response, the ‘Law
concerning the attribution of a family name to
abandoned children and children of unknown
descent’ was introduced in 1998. This law,
concerning illegitimate children only, did not
replace Article 68 PSC: they stand side by
side.
The 1998 law provides that if
biological paternity is proven (by recognition,
testimony or a DNA test), the child has the
right to the biological father’s family name.
This has consequences for marriage
impediments, and possibly for guardianship
and custody, but most importantly it involves
the father’s duty to pay child support (Articles
3 bis and 5). However, the law is silent about
inheritance rights. In this sense, the 1998 law
does not effect ‘full’ paternity. The following
cases show how judges deal with this gap in
the law.
In three cases where the Public
Prosecutor demanded application of the 1998
law, the two different Family Chambers at the
CFI Tunis attributed the father’s family name
only, depriving the child from child support,
let alone inheritance rights. 20 There is no
further elaboration of reasons for this
restriction.
In cases where the plaintiff demands
full paternity on the grounds of the 1998 law,
decisions do elaborate on the question why
full paternity is not covered by the 1998 law.
The CFI Sousse explains that ‘Article 68 PSC
provides that paternity is proven by three
means [i.e. the bed, recognition and
testimony]. That these are limitative [i.e. that
the means of proof in Article 68 PSC cannot
be extended to the means of a DNA test] is
confirmed by the fact that the 1998 law
[which mentions the DNA test and] delimits
[the use of this means] to the attribution of
Founded in 1982 as Femmes Démocrates, legalised in
1989 as the ATFD. This organisation is one of the only
organisations that is independent of the government,
and that addresses issues with regard to women’s rights
that trespass the limits of the official féminisme d’état,
such as domestic violence, rape, and equal inheritance
rights. See Sana Ben Achour, 2001.
20 CFI Tunis 5 January 2009, 71324, CFI Tunis 6
January 2009, 71173 and 71011 (all unpublished).
19
Garfinkel, 1968, especially pp. 35-75 (‘Studies of the
routine grounds of everyday activities’), see also Van
Rossum, 2003, pp. 160-161. On routine in adjudication:
see Posner, 2008, p. 46
17 CFI Tunis 13 January 2009, 70831 (unpublished)
18 Articles 227 bis (sex with a minor), 230 (sodomy),
227 (rape) and 236 (adultery), Penal Code
16
58
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 the father’s family name without bringing about
paternity.’ 21
The restrictive interpretation of the
1998 law is in line with the restrictive
interpretation of Article 68 PSC, in the sense
that this provision does not cover illegitimate
paternity. Thus, assuming that Article 68 PSC
prohibits illegitimate paternity, and assuming
that the 1998 law is not in contradiction with
Article 68, a DNA test cannot effect ´full´
legal paternity. In this decision, the rule that
organizes the interpretation of the 1998 law is
the relation between Article 68 PSC and the
1998 law, or the internal coherence of
Tunisian legislation.
This material shows that many judges
do not accord ‘full’ paternity in cases where a
child is born out of wedlock, invoking the
law, on its own or together with other
sources. But I came across one decision where
a court did accord ‘full’ paternity despite the
fact that the child was born out of wedlock.
The Manouba case
On 3 September 2003, a little girl
named Taysir is born. The Public Attorney
demands the attribution of the father’s family
name on the grounds of the 1998 law. The
demand is based on documents that prove
that the mother had a relationship (‘alaqa)
with the man. During court proceedings, a
DNA test confirms the man’s biological
paternity, after which the man acknowledges
that he is the biological father of the child.
The CFI of La Manouba decides as follows: 22
As the wording in Article 68 PSC is general, it
applies in principle to the case in question
concerning natural paternity
And as paternity in the sense of a legal
recognition of a biological bond is a fundamental
right, which every child enjoys, and which is
connected to other fundamental rights, like
identity and moral and material rights
CFI Sousse 29 February 2000, 40376. See also CFI
Sfax 11 June 1999, 41164 (both in: Abd el-Kader,
1999-2000, annex 4) and Court of Cassation,16
November 2000, 4182/2000, in Ali Mezghani, 2005,
pp. 679-680
22 CFI La Manouba, 2 December 2003, 16189/53
(unpublished).
21
And as a fundamental right is not protected
except when it is recognised equally to all those
who are entitled to it, without favouring some
children while denying [this right] to others, out
of respect of Article 6 of the Constitution which
protects equality in rights and duties
And as paternity is a right of the child, and
recognition [of this right] should not depend on
factors which exist by nature, and which [the
child] cannot control,
and as it would be unthinkable and illogical that
the paternity of the child depends on the form
which his parents have chosen for the organisation
of their relationship
And as these considerations explain the choice of
the legislature to generalize the term nasab in
Article 68 PSC
And as this is confirmed by Article 2 paragraph
2 of the UN Convention of the Rights of the
Child, ratified by the law of 29 November
1991, which protects the child against all forms
of discrimination […] on the grounds of the
situation of its parents, [discrimination] such as
the denial of the right to paternity under the
pretext that there is no bond between the parents
by marriage, which would be a sanction which
deprives the child from some of its fundamental
rights, and moreover, which would lead to a
situation in which there are two categories of
children: a category who enjoys paternity with all
its moral and material effects, and a category that
is deprived of it, despite the fact that [the latter]
is not considered to be guilty
On the grounds of these considerations, the
court applies Article 68 PSC to the case
(going ultra vires as the demand was based on
the 1998 law), stating that the arguments
employed confirm that Article 68 PSC also
applies to illegitimate children. The court
invokes the following rules:
‐ Interpretation methods: grammatical
interpretation, the intention of the
legislator, and ‘logic’.
The court argues that Article 68 PSC also
applies to children born out of wedlock
because the term nasab is general: it denotes
‘paternity’ instead of ‘legal paternity’, meaning
that paternity, including biological paternity, is
proven by recognition etc. (grammatical
interpretation). Moreover, the court argues
that the fact that the legislator employed the
59
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 vague term ‘nasab’, indicates that he intended
to include both legitimate and illegitimate
children.
But the Court goes further when it
argues that it would be illogical and unthinkable
that the attribution of the right to paternity
would depend on the question if its parents
were married or not. Here, the court implies
that this simply cannot be the idea behind the
law, as that would be illogical. Here, the court
almost seems to invoke justice, in the sense
that it would be unjust if the right to paternity
would depend on factors that the child cannot
control.
‐ Additional sources of law:
fundamental
rights,
the
constitution and the CRC.
The Court argues that Article 68 PSC also
applies to illegitimate children as paternity is a
fundamental right that is connected to other
fundamental rights such as the right to an
identity (a family name) and other moral and
material rights (such as financial rights vis-àvis the father). When paternity is perceived as
a fundamental right, this implies that it cannot
be denied to anyone.
Moreover, the court states that it
follows from Article 6 of the Tunisian
Constitution (the equality principle) that all
children are equally entitled to the right to
paternity and therefore, that Article 68 PSC
also applies to children born out of wedlock.
Finally, the court alleges that as the
UN Convention of the Rights of the Child
(CRC) protects the child from all
discrimination and obstacles on the basis of
the situation (markaz) of the parents, Article
68 PSC also applies to illegitimate children.
Ethnomethodological analysis of the
material
The material shows how the law is
applied and what sources are invoked as rules
that organise adjudication. It allows us to
draw conclusions on three levels. First, it
demonstrates how judges understand their
task of adjudicating in matters where a child is
born out of wedlock. Second, it shows how
judges understand the sources they invoke.
Third, additional material from interviews
might shed a differentiated light on the
sources invoked.
The courts invoke the following
sources. For a restrictive interpretation of the
law, courts mention legislation only, or
together with an interpretation method (the
coherence of the law in the case of the 1998
law) or additional sources of law
(jurisprudence and sharîca) For an extensive
interpretation of the law, the CFI of La
Manouba equally invoked the legislation,
together with interpretation methods
(grammatical, the intention of the legislator
and the logic of the law) and additional
sources of law (fundamental rights, the
constitution and the CRC).
Yadh Ben Achour argued that judges
apply sharîca instead of legislation and thus,
they do not feel bound by the law. My
material demonstrates that judges do invoke
legislation, and thus, they perceive it as their
task to apply the law. 23 Similarly, the
ethnomethodological study of court decisions
does not confirm that judges constantly apply
sharîca: court decisions show a broad pallet of
interpretation methods and additional
sources.
When we take a closer look at the
sources invoked by judges, it is interesting to
note that where judges interpret the law
restrictively, their understanding of what
sources can be employed differs from what is
explicitly provided by law in this regard.
Judges invoke jurisprudence and sharîca,
although the law does not provide that
jurisprudence and sharîca are a source of law. 24
The sources invoked for an extensive
interpretation of the law (the Manouba case)
are provided by law: the constitution and
Baudouin Dupret calls this ‘the aim for procedural
correctness’: judicial discretion is limited by the fear
that the decision will be annulled in appeal. Baudouin
Dupret, 2005.
24
Mohammed Charfi states that in Tunisia,
jurisprudence is not an official source of law
(Mohammed Charfi, 1997, pp. 194-197). With regard to
sharia it should be remarked that neither the
constitution, nor the civil code nor the PSC provide
that this is a source of law.
23
60
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 international conventions take precedence
over national law. 25
A second conclusion concerns the
question of how judges understand the
sources invoked. With regard to the 1998 law,
it can be concluded that this is understood in
the sense that it does not provide for full
paternity. With regard to Article 68 PSC on
the other hand, it can be concluded that this
provision can be understood in two
diametrically opposite ways: illegitimate
children do and do not fall within the orbit of
this provision.
With
regard
to
sharîca
and
jurisprudence it can be concluded that both
are understood as prohibiting paternity out of
wedlock. This is interesting, as both sources
are clearly open to many different
interpretations. Ben Halima argues that the
fiqh does allow paternity out of wedlock, and
Llewellyn underlined the fact that
jurisprudence does not direct judicial
decisions in any way, as there are always
decisions
in
diametrically
opposite
26
directions.
With regard to fundamental rights, the
constitution, and international conventions (in
casu the CRC) it can be concluded that they
are understood so as to oblige to accord the
bond of paternity between the father and the
child born out of wedlock. This is interesting
as well, as these sources are vague and open
to many different interpretations too. For
example, it has equally been argued that the
Tunisian constitution obliges to apply sharîca,
as Article 1 provides that Islam is the state
religion. 27
A third conclusion concerns the
question of whether the sources invoked really
directed the judge. I explicitly employed the
verb ‘invoke’ instead of ‘employ’: that a
decision mentions a source does not mean
that it is actually used. This ironic stance vis-à Article 32, Constitution provides that ratified
international conventions take precedence over
national law. Rafaa Ben Achour argues that the same is
true for the constitution (Rafaa Ben Achour, 1983).
26 Sassi Ben Halima argued that the Islamic legal notion
of istilhaq provides for paternity outside marriage (Sassi
Ben Halima, 1976, p. 121). Karl Llewellyn, 1930, pp.
70-76.
27 Sana Ben Achour, 2005-2006
25
vis legal argumentation is not contradictory
with the ethnomethodological approach, as
this approach explicitly remains as objective
vis-à-vis the material as possible: the actor’s
account shows how the actor understands his
task, but it does not mean that he actually acts
in accordance with it. This is especially true in
the field of legal argumentation, as this
activity has a significant convincing and thus
rhetorical aspect. This rhetorical aspect of
legal argumentation made some conclude that
the sources invoked in court decisions are
mere post hoc rationalizations. 28
In this light, I should point out that
interviews with two family judges shed a
differentiated light on the sources invoked in
their decisions. These judges presided the
Family Chambers of the Emna decision and
the second decision described with regard to
Article 68 PSC, as well as the three decisions
concerning the 1998 law. In the interviews
with these judges I asked why they interpreted
Article 68 PSC restrictively. While in the
decisions, these chambers refer to legislation,
in interviews these judges did not. Both
judges said that according to ‘Islamic law’
(‘droit islamique’), paternity cannot be
established in cases of extra-marital sexual
relations, as these relations are in themselves
prohibited, constituting the crime of zina.
One of the judges explained that in Tunisia,
Islamic law is the highest source of legislation.
When I asked how this relates to the
Constitution and more specifically to the
equality principle in Article 6, the judge
answered that sharîca has a higher position in
Tunisia than the Constitution, as the State
religion is Islam [Article 1 Constitution].’ 29
The other Family Judge replied that indeed,
Tunisian law cannot be contrary to Islamic
law, as Tunisia is a Muslim country. This
confirms Yadh Ben Achour’s statement that
at least these two judges do not feel bound by
legislation; they merely apply sharîca.
The same might be true for the
Manouba decision in the sense that the
sources invoked did not direct the judge in
any way, but were mere post hoc
rationalisations. The Manouba decision is
28
29
A. A. d’Amato, 1984, p. 60
Interview 9 February 2009
61
Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 clearly an act of judicial activism: my
informants stressed that this decision in
unique as it goes against general judicial
practice. According to Kennedy, invoking
fundamental rights, international conventions
and the constitution is a typical feature of acts
of judicial activism; they are mere ‘argument
bytes’. 30 This would mean that this decision is
not directed by legislation or the other
sources invoked, which would again confirm
Ben Achour’s statement that judges do not
feel bound by legislation.
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