De l`anthropologie du droit musulman
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De l`anthropologie du droit musulman
De l’anthropologie du droit musulman à l’anthropologie du droit dans les mondes musulmans Sous la direction de Yazid Ben Hounet et de Baudouin Dupret Les Rencontres du CJB, n° 1 Les Rencontres du Centre Jacques Berque N° 1 – Décembre 2011 Rabat (Maroc) De l’anthropologie du droit musulman à l’anthropologie du droit dans les mondes musulmans Réflexion sur les conditions de possibilité d’une anthropologie du droit dans le contexte des sociétés en tout ou partie musulmanes Textes des rencontres des journées d’études tenues à Rabat les 21 et 22 janvier 2011, dans le cadre des programmes ANDROMAQUE (ANR SudsII) et PROMETEE (ANR FRAL) Centre Jacques Berque pour les études en sciences humaines et sociales – USR3136 CNRS 35, avenue Tariq Ibn Zyad – 10010 Rabat, Maroc - Tél : +212(0)5 37 76 96 91 - Fax : +212(0)5 37 76 96 85 – mail : [email protected] www.cjb.ma Sommaire Introduction : Pertinence et perspectives de la référence anthropologique à la catégorie « droit islamique », Baudouin Dupret..........................................................................................................................................7 Positivisme Vs « Fiqhisme » Analyse dynamique d’un système juridique et normatif « composite », Mohammed Mouaqit .................................................................................................................................13 Islamic law in many arenas : Struggles for recognition and dominance, Franz and Keebet von Benda-Beckmann...............................................................................................17 Droit musulman, droit coutumier, droit tribal dans les sociétés ouest-sahariennes, Pierre Bonte ................................................................................................................................................23 La réconciliation du Mont Liban, médiation, pacification, indemnisation, Aïda Kanafani-Zahar .................................................................................................................................31 L’encadrement juridique des associations agricoles dans le Souss et le rôle du religieux, Bertram Turner...........................................................................................................................................35 Crimes et châtiments : intentionnalité et diya (prix du sang) en Algérie et au Soudan, Yazid Ben Hounet......................................................................................................................................42 Tracing the Spider’s Web : The Role of the Judge in Tunisian Divorce Cases, Sarah Vincent-Grosso................................................................................................................................50 An ethnomethodological study of judicial interpretation in Tunisia. The case of paternity law, Maaike Voorhoeve .....................................................................................................................................56 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Introduction Pertinence et perspectives de la référence anthropologique à la catégorie « droit islamique » Baudouin Dupret Directeur de recherche CNRS Directeur du Centre Jacques Berque Les textes ici rassemblés font suite à une rencontre tenue au Centre Jacques Berque les 21 et 22 janvier 2011. Le propos de ces journées scientifiques était de rompre avec le postulat d’exceptionnalité culturelle des constructions du juridique dans les sociétés en tout ou partie « musulmanes ». On peut en effet observer une propension des travaux sur le droit dans ces sociétés à « chercher » la part islamique du droit et à ne s’intéresser qu’à elle. Pourtant, déterminer dans quelle mesure telle ou telle part du droit est, de manière orthodoxe ou hétérodoxe, islamique et dans quelle mesure elle doit ou non être expliquée par quelque développement historique du droit islamique tend, à notre avis, à imposer leur structure aux phénomènes et activités juridiques au lieu de chercher à découvrir comment ils opèrent. Ce faisant, la recherche échoue à décrire les phénomènes qu’il lui appartient de documenter et, en particulier, les façons qu’ont les gens de comprendre et de manifester leur compréhension de n’importe quelle situation donnée, de s’orienter par rapport à un contexte et à ses contraintes et de se comporter et d’agir d’une manière plus ou moins ordonnée à l’intérieur de pareil contexte situé spatialement et temporellement. Pourtant, même dans les domaines où l’on peut identifier une généalogie islamique des choses (comme le droit de la famille dans de nombreux pays), la caractérisation à priori de « droit islamique » ne procure aucun accès à ce que les gens font dans un contexte judiciaire particulier, quand ils traitent de questions touchant à la famille, toutes choses qui ne peuvent être menées à bien qu’en décrivant les pratiques des gens en dehors de tout cadre interprétatif préétabli. Que dire alors de ces domaines où la relation à l’islam ne peut même pas être établie généalogiquement... Nous nous intéressons donc ici aux pratiques juridiques dans un environnement majoritairement ou minoritairement musulman, non à la culture islamique observée au travers du prisme du droit. À vrai dire, la culture islamique n’est qu’une des multiples composantes du contexte, toujours singulier, jamais uniforme, dans lequel se déploient les pratiques du droit. Supposer que cette composante culturelle est primordiale fait courir le risque de ne pas prêter suffisamment d’attention aux autres composantes possibles, toutes choses vers lesquelles les membres de l’environnement judiciaire et juridique de ces sociétés s’orientent pourtant de manière pratique dans le cours de leurs actions. Il nous appartiendra donc de poser la question de ce qui justifie l’usage de données juridiques tirées de contextes en tout ou partie musulmans, si ce n’est pas pour donner substance à l’affirmation d’une différence des cultures. Au cours de cette rencontre, nous avons eu l’occasion d’observer les formes multiples de référencement du droit à l’islam et à la charia (sharîca). On constatera à quel point la terminologie est ambiguë, voire confuse. Ainsi, certaines catégories de l’héritage juridique islamique classique, ce qu’on appelle le fiqh, trouvent à se prolonger dans différentes dispositions du droit positif, et principalement dans les domaines du mariage, du divorce, de la filiation et des successions. Il existe cependant aussi des formes de légalisation de l’islam dont on ne trouve pas d’antécédent dans la tradition classique. Ainsi en va-t-il du droit constitutionnel et de son 7 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 incorporation dans la charia en tant que source de législation. Nous ferons dès à présent la suggestion de distinguer « droit islamique » et « droit référé à l’islam » pour bien souligner la différence de nature des appels à la normativité islamique. Cette distinction ne doit cependant pas aboutir à occulter le fait que le droit islamique et, en particulier, le droit de la famille, qui est souvent présenté comme le dernier bastion du droit islamique classique, a connu une transformation profonde et radicale de toute son économie. Là où Joseph Schacht parlait à juste titre, s’agissant du droit islamique, de « droit de juristes », il faut bien constater qu’aujourd’hui, l’on a affaire à un « droit de législateurs et de juges ». Le centre de gravité du droit, fut-il qualifié d’islamique, s’est déplacé, au cours des deux derniers siècles, pour aboutir le plus souvent dans les enceintes parlementaires et judiciaires. En ce sens, et au-delà de la nature purement formelle des dispositions du droit applicable, c’est toute l’économie du droit qui s’est transformée, y compris dans les domaines où la référence est parfois faite à l’islam. Cette rencontre fut une invitation à réfléchir aux transformations de cette économie du droit islamique. Plus encore, il s’agissait d’une invitation à observer comment les gens s’orientent vers un objet religieux et confèrent à sa référence une autorité manifeste et intelligible. Cette autorité n’est pas nécessairement juridique, elle peut être aussi politique. Appréhender le droit islamique sous cet angle, quand cela est indiqué, permet de sérier les problèmes et, à tout le moins, de comprendre qu’un appel de telle ou telle formation politique à l’application de la charia n’est pas forcément plus une volonté de mise en œuvre du droit d’un autre âge qu’une mise en cause de la légitimité du régime en place. Il est un faux débat auquel il convient dès à présent de faire un sort : celui de savoir ce qu’est ou n’est pas le droit islamique. Pas plus la religion que le droit ne sont dotés d’une autorité intrinsèque, substantielle et naturelle. Autrement dit, l’autorité n’est pas une qualité inhérente aux objets, mais le fruit d’opérations continues d’imputation d’une capacité de peser sur le cours des choses. Il n’existe dès lors pas d’autorité d’un droit fondé religieusement dont on puisse parler en soi, mais seulement des situations ponctuelles où les gens s’orientent vers quelque chose qu’ils identifient comme étant du droit religieux et dont ils reconnaissent publiquement l’autorité, participant de ce fait aussi bien à la production de cette autorité qu’à sa réactualisation. On ne peut ainsi examiner la référence à la normativité islamique, souvent appelée charia, en dehors des usages qui en sont faits de manière circonstancielle et située, en dehors des pratiques de référencement à un objet qualifié de juridiquement islamique dans des contextes variés, chacun soumis à ses contraintes propres. On nous présente souvent la règle du droit islamique comme indépendante de toute pratique. Elle existerait, elle serait dotée d’un sens clair et elle déterminerait le comportement des gens de manière univoque. Ainsi nous dit-on que les relations sexuelles hors-mariage sont rares parce qu’elles ressortissent de la catégorie religieuse infâmante du harâm. Ainsi, nous dit-on encore, que tel interdit alimentaire s’impose du fait même de son inscription dans la normativité islamique. À chaque fois, ce qu’on nous dit substantiellement, c’est que la règle est revêtue d’une autorité intrinsèque qui tient à son appartenance au registre du religieux. Cette propriété lui permettrait d’échapper à toute herméneutique. Là où les normes juridiques sont dotées, selon la jolie formule de Herbert Hart, d’une « texture ouverte », les normes religieuses seraient, pour leur part, des objets rigides et atemporels, à l’abri des aléas et de la contingence, en vertu même de leur inspiration divine. Prenons l’exemple de la notice « tashrî` » de l’Encyclopédie de l’Islam. Se fondant sur l’étymologie du mot, qui renvoie à la même racine que sharîca, ses auteurs ignorent que le terme sert aujourd’hui à désigner la notion de législation dans son acception la plus générale. À partir de leur connaissance préétablie de la trajectoire étymologique du vocable, ils imposent au terme une acception qui est peu ou pas la sienne de nos jours. De surcroît, l’entreprise ne s’arrête pas là. S’attelant à 8 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 évaluer les transformations du tashrî` dans le monde contemporain, les auteurs établissent une distinction entre sharîca orthodoxe et sharîca déviante. Ils affirment ainsi que certains pays, comme l’Égypte et le Soudan, dans leur tentative de mise en œuvre du droit islamique, ont tellement dévié de la sharîca qu’ils ont fini par la déformer. Pareille affirmation n’est cependant pas sans poser un problème majeur. Elle suppose, en effet, que c’est aux chercheurs qu’il appartiendrait de juger de la conformité ou de la déviance du droit islamique d’aujourd’hui. En un mot, les chercheurs occuperaient une position leur permettant de savoir mieux que les gens concernés. Si ces derniers adoptent des législations déviantes, c’est par devers eux, inconsciemment. Enfin, cette affirmation suppose aussi que les mots traversent le temps sans en souffrir l’effet. Pourtant, l’on sait depuis longtemps que les textes ne flottent pas dans le vide, qu’ils n’ont pas de signification en soi, qu’ils n’existent pas en dehors de l’action de les écrire, de les lire et de les mettre en œuvre ; en somme, qu’ils n’ont pas de sens littéral pur. Tout à l’inverse, nous considérons la règle comme un accomplissement pratique et son autorité comme une modalité procédant de l’orientation publique des gens vers la force qu’ils lui reconnaissent. La règle ne préexiste donc pas à sa pratique et son autorité n’en est pas une qualité intrinsèque. Règle et pratique sont, au contraire, indissociables, et c’est de cette pratique même qu’émerge l’autorité de la règle. La règle est un accomplissement pratique et son autorité, une modalité contextuelle. En ce sens, dire d’une règle qu’elle est islamique et, partant, lui reconnaître une autorité spécifique est possible à la seule condition que cette qualification procède de la pratique contextualisée des gens concernés, non des présupposés que l’analyste peut avoir sur la règle en raison de sa connaissance de la trajectoire généalogique de cette dernière. Il convient donc de reformuler la question. Il n’y a, en effet, aucune raison de présumer que ce à quoi les gens se réfèrent comme étant du droit islamique est identique à cet ensemble de dispositions techniques formant le modèle idéalisé du droit islamique. Il n’y a pas non plus de raison de présumer le contraire. La question de savoir si, ce à quoi les gens se réfèrent comme étant du droit islamique correspond ou non au modèle idéalisé du droit islamique, n’est simplement pas pertinente. On ne peut y répondre, parce que la question est totalement désincarnée de pratiques réelles. De plus, cette question ne porte pas sur le phénomène qu’elle est censée traiter, à savoir la pratique consistant à faire référence au droit islamique. À la question : « Qu’est-ce que le droit islamique ? », il faudrait substituer la question : « Que font les gens quand ils font référence au droit islamique ? ». En lieu et place de ce souci de qualifier quelque chose d’« islamique », nous suggérons donc de centrer l’attention sur la description de comment les gens, dans des contextes variés, s’orientent vers quelque chose qu’ils appellent sharîca, fiqh, qânûn, huqûq, tous termes faisant partie de ce que le philosophe Wittgenstein appelle des jeux de langage, les jeux de langage de la normativité islamique dont on peut décrire la grammaire et l’inscription dans des formes de vie particulières. Cette attitude appelle à l’examen des méthodes utilisées par les gens engagés dans une activité qu’ils identifient comme juridique et islamique pour produire localement cette vérité et cette intelligibilité leur permettant de coopérer et d’interagir de manière largement ordonnée. Une première conséquence de cette reformulation est de ne pas chercher à décrire l’objet étudié en-dehors de ce que les gens identifient comme tel. Dans notre cas, l’on peut donc se contenter de dire que « le droit islamique est ce à quoi les gens se réfèrent comme étant du droit islamique » et s’attacher exclusivement à observer et décrire comment les gens engagés dans une pratique législative ou judiciaire conduisent leurs activités et établissent de manière pratique ce qui compte pour eux comme islamique. Nous avons eu l’occasion d’observer, dans plusieurs pays, comment cette référence à la normativité islamique opérait aux niveaux législatif et judiciaire. Nous évoquerons rapidement nos observations égyptiennes. Au niveau législatif, nous avons pu remarquer que 9 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 la référence au Coran sembait se suffire à ellemême : les parlementaires ne cherchaient pas de raisons supplémentaires pour expliquer la nécessité de respecter les dispositions du texte sacré. Le respect apparaissait comme une fin en soi. On peut envisager deux motifs à cela. Le premier est que, quoique l’on puisse penser, la sharîca est, du fait même du droit positif – l’article 2 de la constitution de 1971 tel qu’amendé en 1980 –, la source principale de la législation. Cette disposition oblige le législateur à veiller à la pertinence coranique des lois comme à s’orienter vers l’« audience » spécialisée qui aura, éventuellement, à en juger, c’est-à-dire à se prémunir contre un arrêt en inconstitutionnalité de la Haute Cour constitutionnelle. Le deuxième motif est que, depuis les années quatre-vingt, le langage politique et, plus largement, le langage normal de la sphère publique égyptienne sont religieux, tendus vers la promotion de la réislamisation de la société. L’islam, sinon l’islamisme, est ainsi devenu le langage qui convient à toutes les situations, et surtout à celles qui visent la plus large audience, celle qui est d’emblée catégorisée comme « musulmane » et « pieuse ». Le paradoxe de cette omniprésence de la référence à l’autorité coranique est qu’elle n’entraîne pas d’omnipotence. C’est ainsi qu’elle peut se rapporter à des positions normatives singulièrement différentes ; c’est ainsi, également, qu’elle est soumise à des limitations qui en déterminent drastiquement la portée. On peut se référer au Coran pour défendre telle ou telle disposition ou pour s’y opposer, mais ce n’est pas le Coran qui détermine l’acceptabilité législative du texte. Ce qui apparaît ici, c’est que la norme islamique n’acquiert son autorité que dans le corset de la procédure parlementaire, avec entres autres, ses règles de parole, de vote et de majorité. La pertinence coranique peut imposer la rhétorique des débats, mais elle s’avère insuffisante pour en déterminer l’issue. Au niveau judiciaire, en Egypte toujours, nous avons pu observer qu’à l’endroit même où elle est supposée massive et écrasante, à savoir le droit du statut personnel, la référence à la charia est loin d’apparaître systématiquement. Cette question ne procède, dans le domaine du droit, ni du poids que la tradition scientifique semble vouloir imputer à la référence islamique ni des voies exceptionnelles que son expression est présumée suivre. En d’autres termes, la référence explicite à l’autorité de l’islam est occasionnelle. Cette référence est, de plus, toujours médiatisée par le recours aux sources premières du droit positif égyptien d’aujourd’hui : la loi et la jurisprudence. Elle s’inscrit donc dans la banalité et la routine de l’accomplissement pratique de l’activité du juge qui consiste, avant toute autre chose, à qualifier juridiquement des faits qui lui sont soumis. Ce faisant, le juge s’attache sans doute plus à manifester sa capacité à juger correctement, selon les standards de la profession, les contraintes formelles qui s’appliquent à son exercice, les sources juridiques sur lesquelles elle s’appuie et les normes du travail interprétatif qu’elle suppose, qu’à réitérer le primat islamique du droit qu’il met en œuvre. Il ne fait pas de doute que, si on interrogeait ledit juge, il ne manquerait pas de souligner la conformité de son activité et du droit qu’il applique à la norme religieuse islamique, mais cette position relèverait de la justification plus que du principe d’action. Dans le cours de son travail, le juge ne semble pas s’orienter massivement vers la nécessité d’évaluer le prédicat islamique de toute chose, même dans le domaine du droit où la généalogie islamique des règles semble la plus manifeste. Faut-il en conclure à la dilution du droit islamique dans l’ordre constitutionnel moderne ou à la positivisation de la règle juridique islamique en matière de statut personnel ? Conformément à ce que nous énoncions, nous nous demandons si, au lieu de chercher à savoir de quel point de vue il faut se placer pour pouvoir évaluer l’autorité de la règle islamique, il ne convient pas davantage d’observer, en contexte, comment les députés et les magistrats élaborent et mettent en œuvre les règles, s’attachent à les référencer à des sources faisant autorité dans l’exercice de leur travail législatif ou judiciaire et les inscrivent dans le cours ordinaire du travail parlementaire et dans la séquence routinière du travail de juge. Il ne s’agit plus, 10 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 alors, de s’interroger, à partir d’une assemblée législative ou d’une cour de justice, sur le concept de droit islamique, mais bien de décrire les modes de formulation, d’usage et de référence à la règle de droit et la production toujours située et ponctuelle de son autorité, y compris quand celle-ci est présentée comme islamique. Chacune à sa manière, les communications dont les textes sont ici rassemblés, ont contribué à alimenter ce glissement paradigmatique à l’origine de la rencontre : passer d’une anthropologie du droit islamique ou musulman à une anthropologie du droit dans le contexte des sociétés en tout ou partie musulmanes. Qu’il s’agisse de discuter et de définir les cadres théoriques propices à l’appréhension des phénomènes juridiques (Mouaqit) ou encore de mettre en exergue les complexités et les imbrications des sources juridiques dans le contexte des sociétés retenues (von Benda-Beckmann, Bonte, Kanafani-Zahar, Turner), ou enfin de proposer à partir de terrains circonscrits des descriptions ethnographiques à même de rendre compte de l’exercice du droit en contexte (Ben Hounet, Vincent Grosso, Voorhoeve), les contributions ici rassemblées soulignent ce que l’anthropologie du droit dans les sociétés en tout ou partie musulmanes doit encore accomplir pour prendre le droit au sérieux, dans les multiples contextes où il opère. Elles en esquissent également certaines pistes à poursuivre… Ces rencontres ont également bénéficié des interventions d’Elisabeth Claverie, Alice Wilson, Barbara Casciarri, Hassan Rachik, Jean-Philippe Bras, John Bowen, Joern Thielmann, Jeff A. Redding, François Ireton. Nous les en remercions. 11 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Positivisme Vs « Fiqhisme » Analyse dynamique d’un système juridique et normatif « composite » Mohammed MOUAQIT Professeur de science politique Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Aïn Chok, Casablanca Qu’il faille, pour se déprendre du prisme d’une exceptionnalité culturelle islamique, passer, dans le domaine du juridique et du normatif, d’une « anthropologie du droit musulman » à une « anthropologie du droit dans le monde musulman » est révélateur d’une exigence qui n’est pas seulement de l’ordre d’une inscription dans un champ disciplinaire, mais qui est également dictée par la réalité objective, dans sa constitution phénoménologique. Cela était vrai déjà de la réalité juridique et normative du monde musulman par le passé, car si elle est « musulmane » en tant que correspondant à une aire géoculturelle dominée politiquement par un gouvernement musulman, elle n’est pas nécessairement « islamique », c’est-à-dire correspondant à un contenu directement ou exclusivement puisé dans la Révélation islamique. Cela est encore plus vrai de la réalité juridique et normative dans le monde musulman contemporain, dans la mesure où elle est « composite » et, par conséquent, ne se laisse plus appréhender en dehors d’une imbrication entre différents registres de normativité. La différence entre ces registres est fondamentalement articulée autour d’un droit rattaché à une expérience géographique, historique et culturelle occidentale et un « droit » relié à une expérience (géographique, historique et culturelle) « musulmane ». Cette différence renvoie au problème de l’acculturation induit par la relation entre l’exogène et l’endogène. Cependant, dans la mesure où l’exogène est, par la force du temps et d’une acculturation qui a produit largement ses effets de réalité, suffisamment intégré à l’endogène, la dualité « exogène/endogène » perd de son acuité et le problème tend à se poser moins en termes d’acculturation qu’en termes d’imbrication entre des formes ou des logiques juridiques et normatives endogènes. Cette réalité de l’imbrication de formes ou de logiques juridiques et normatives différentes me semble constituer une dimension importante de l’anthropologie juridique du monde musulman. Elle détermine la signification qui s’attache au qualificatif « composite » ; celui-ci ayant été employé par Paul Pascon à propos de la réalité juridique au Maroc, mais convenant tout à fait à la description d’autres réalités juridiques et normatives dans le monde musulman. Seulement, l’anthropologie juridique qui procède de l’identification de la réalité juridique comme « composite » s’en tient à une « statique » du pluralisme juridique qui cherche, à rebours du formalisme et du dogmatisme des juristes, à mettre en exergue d’autres types de normativité que celle que produit l’Etat. La perspective anthropologique du pluralisme juridique ou normatif ne peut cependant ignorer ou faire abstraction de la perspective politologique pour laquelle l’Etat, qui se constitue comme un monopole de la violence légitime, s’organise tout aussi formellement comme un monopole de la production normative. L’anthropologue du Droit, qui accepte généralement l’idée que l’Etat est le détenteur du monopole de la violence légitime, n’accepte pas que l’Etat soit le détenteur légitime de la production normative et cherche au contraire à établir à la fois l’indépendance de la réalité normative par rapport à celle de l’Etat et la réalité d’un 13 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 pluralisme normatif qui persiste dans un cadre étatique. En fait, le positivisme juridique n’est pas totalement exclusif d’autres types de normativité, il tend seulement à en restreindre la variété (la coutume et la doctrine sont presque les seules à être reconnues comme « sources » du droit). L’anthropologue juridique ne peut cependant faire fi du fait que le positivisme juridique procède de/et se confond avec/la domination étatique. Si le « déterminisme normatif » de l’Etat ne s’exerce pas toujours à l’égard des normativités parallèles ou « autonomes » ou « segmentaires » pour les relativiser, ou encore ne s’instaure pas (ou ne peut s’instaurer) comme une négation pure et simple de leur réalité, il affecte néanmoins ces normativités d’une potentialité de dé légitimation ou de syncrétisme ou encore d’une capacité réelle de neutralisation s’il le veut ou s’il le peut. Comme la réalité juridique dans le monde musulman en général, et au Maroc en particulier, est faite aussi et surtout d’une imbrication de formes et de logiques juridiques et normatives ; comme de cette imbrication découlent des effets de conflit, de paradoxe et de syncrétisme, une perspective anthropologique ou de type anthropologique devrait rendre compte de cette réalité juridique et normative « composite » qui ne se réduit pas à une « statique » du pluralisme, et qui associe à ce caractère « composite » une « dynamique » de la composition, de la recomposition et de la décomposition. La dynamique qu’induit le caractère composite de la réalité juridique et normative dans le monde musulman est fondamentalement faite autour de l’articulation entre « positivisme » et « fiqhisme ». Le positivisme relève d’une normativité « autonome », c’est-à-dire produite par et pour des humains, tandis que le fiqhisme relève d’une normativité « hétéronome », c’est-à-dire produite par Dieu ou sur la base de Dieu pour les humains. Le rapport entre ces deux registres de normativité se traduit par une dynamique de composition qui fait relever les domaines de normativité de l’un ou de l’autre de ces deux registres, de décomposition qui amène un registre de normativité à se dissoudre ou à s’intégrer dans l’autre, de recomposition qui conduit à une normativité où les deux registres peuvent se combiner à un degré ou à un autre. L’imbrication dont découle cette dynamique de composition, de décomposition et de recomposition engendre des effets de sens et de signification qui sont liés à des usages et à des appropriations des droits, mais qui ne sont également pas voulus ou assumés par les acteurs individuels ou collectifs, qui découlent plutôt d’un agencement objectif de différentes composantes de la réalité juridique et normative. Une telle perspective implique que celui qui fait de l’anthropologie juridique soit autant anthropologue que juriste. Je voudrais illustrer cette perspective par le cas du Maroc. Le caractère composite du système et de la réalité juridique et l’imbrication qui s’ensuit entre positivisme et fiqhisme donne à voir les effets de composition, de recomposition et de décomposition dans la détermination étatique du système juridique et normatif, dans la subjectivité de son usage et de son interprétation par les acteurs juridiques, dans l’objectivité de ses effets de combinaison de ses constituants normatifs. 1- La manière dont l’Etat au Maroc aménage l’ordre juridique et normatif détermine un certain rapport entre la norme positive et la norme de la charia/fiqh. Dans l’ensemble, l’aménagement se fait au profit du positivisme juridique. La normativité de la charia/fiqh est positivée, et donc formellement sécularisée et désacralisée. D’une part, elle se trouve intégrée formellement au dispositif institutionnel et constitutionnel de hiérarchisation des normes et de répartition des compétences. D’autre part, la normativité axiologique de la charia/fiqh ne s’exerce plus formellement en tant que source directe religieuse. Le malikisme n’a pas valeur de madhhab d’Etat et n’est établi comme source normative qu’à un niveau infraconstitutionnel et seulement comme une source supplétive applicable, dans le contentieux relatif au statut personnel, en l’absence d’une disposition codifiée. La normativité de la charia/fiqh est aussi fonction du type de configuration théologicopolitique. Au Maroc, comme la symbolique de 14 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 la « Commanderie islamique » est forte dans la configuration institutionnelle de l’Etat, la normativité de la charia est moins déterminante dans l’ordre juridico-politique, comme si la force de la première compensait la faiblesse de la seconde. 2- La manière dont l’Etat aménage l’ordre juridique interne crée ensuite les conditions d’une imbrication entre la norme positive et la norme du fiqh/charia. Le rapport entre les deux types de norme variera en fonction de la prédominance que les acteurs juridiques conféreront à l’un des deux types. La tendance la plus significative est celle, dans la « doctrine » juridique, qui subordonne la norme du fiqh à la positivité de l’ordre juridique. Le domaine juridique du statut personnel a été le principal lieu d’illustration de cette tendance. La subordination du fiqh à la positivité de l’ordre juridique est le corollaire de l’intégration du domaine du statut personnel dans l’enseignement académique des facultés de Droit et dans la compétence des juristes marocains formés à l’école occidentale du Droit (on citera à cet égard les noms de Khamilichi, My R’chid, Farida Bennani…). L’opinion judiciaire, à travers l’interprétation de la loi, est également le lieu où se donne à voir cette imbrication entre positivisme et fiqhisme. En entrant en rapport avec une culture juridique positiviste, la culture « fiqhiste », à travers le juge, entre dans une relation dialectique de conflit ou de composition. L’évolution du système juridique marocain vers un modèle de type positiviste est allée initialement, au moins en principe, dans le sens de la restriction de la culture juridique fiqhiste. Le juge marocain participe de cette évolution. Il est de statut et de rôle « moderne », c’est-à-dire positiviste. Ce n’est que de manière secondaire et au travers particulièrement de l’enseignement dans les facultés de Droit de la matière du « statut personnel » et de quelques autres disciplines que la culture fiqhiste lui est transmise. Cette culture fiqhiste, parce que superficielle, devrait normalement se fondre dans une culture juridique positiviste, s’affaiblir au profit de cette dernière et conduire à la « positivisation » du fiqh, c’est-àdire à l’intégration de la législation du fiqh dans le moule rationnel du droit positif, avec ce que cela implique, notamment la relativisation des dispositions fiqhistes par les autres dispositions du droit positif et la hiérarchie des règles qui le structure (Constitution ; droit international…). En fait, le juge officiant dans le cadre de ce contentieux finit, au bout de plusieurs années d’exercice dans ce domaine, par acquérir un profil hybride de juge moderne positiviste en même temps que de « juge-faqîh ». La « fiqhisation » du juge positiviste se manifeste par exemple par la sur-motivation de ses jugements, par le recours à des références fiqhistes là où l’énoncé de la loi est autosuffisant. Elle se manifeste aussi par la « rationalité » qui caractérise le fonctionnement intellectuel du juge. En sens inverse, la positivisation du fiqh à travers le juge est aussi un fait avéré. Cela se traduit, sur le plan de l’opinion judiciaire, par une pusillanimité du juge dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation. Cette « pusillanimité » du juge fait contraste avec la « créativité », parfois « progressiste », du fiqh, et s’il arrive que le juge se fasse « progressiste » et féministe, c’est plutôt via le fiqhisme. Le principe jurisprudentiel du « kad wa sicâya » (qui reconnaît à l’épouse divorcée ou dont le mari est décédé le droit au partage des biens conjugaux) est un principe de la raison fiqhiste. Le juge positiviste n’a pas à son compte, dans le droit de la famille et du statut personnel, une créativité jurisprudentielle à la mesure de celle que le fiqh a pu favoriser par le principe de « kad wa sicâya ». 3- La manière dont l’Etat aménage l’ordre juridique interne crée enfin des effets de sens qui sont liés à la combinaison objective entre plusieurs constituants et logiques des données juridiques et normatives. La démarche anthropologique ou de type anthropologique peut être confrontée en effet à une situation où la signification de la réalité se détermine indépendamment des acteurs et de ce qu’ils veulent. Une telle situation peut également et en même temps illustrer le fait que cette signification peut émerger dans la 15 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 conscience des acteurs sans qu’ils se rendent compte qu’elle existe comme effet d’une réalité donnée et de la combinaison de ses constituants. Le sens qui découle de cette situation peut faire songer à celui que Lévistrauss à propos du rapport entre les mythes, sans que cette signification soit une interprétation de l’anthropologue, mais seulement l’effet de mythes qui « se parlent entre eux ». La détermination du sens Lévistraussien des mythes est cependant le résultat d’une démarche structuraliste qui entend se passer du sujet dans l’opération d’analyse des mythes, tandis que la détermination de la signification de la réalité que je vise ne procède pas d’une intention méthodologique de se passer du sujet, mais seulement d’une réalité dont les éléments combinés produisent un effet de sens non assumé par les acteurs. Dans la mesure où la constitution juridico-politique et institutionnelle de l’Etat au Maroc combine une double logique, une logique constitutionnaliste et une logique fiqhiste, la symbolique traditionnelle du pouvoir politique s’en trouve subrepticement affectée, et avec elle la logique fiqhiste. Si la bayca continue toujours de revêtir la signification religieuse de lien d’obéissance entre le « commandeur des croyants » et les « croyants musulmans », il s’avère qu’elle est aussi utilisée comme fondement du principe d’allégeance perpétuelle qui a pour conséquence le droit perpétuel de souveraineté de la monarchie marocaine sur tous ses sujets nationaux. Le principe d’allégeance a pour conséquence la « nationalité perpétuelle » du marocain d’origine qui n’a pas renoncé explicitement à sa nationalité ou dont la renonciation, par l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère, n’a pas été ratifiée par décret. L’application de ce principe à tous les sujets nationaux a pour effet que la bayca, qui est au fondement de ce principe, est étendue dans ses conséquences au-delà des seuls sujets musulmans tout en excluant dans son principe les sujets non-musulmans puisque la bayca continue à ne s’appliquer qu’aux rapports du « Commandeur des croyants » aux sujets marocains musulmans. On a là une situation où la réalité fait sens par les effets de la combinaison de ses éléments sans que les acteurs soient prêts à l’admettre subjectivement. La monarchie marocaine et les marocains ne sont pas disposés subjectivement à accepter que les citoyens juifs soient intégrés au cérémonial de la bayca, alors que par l’effet de combinaison entre la bayca, la nationalité et le principe d’allégeance perpétuelle, ils s’y trouvent déjà intégrés. Mais si la monarchie marocaine et les citoyens marocains musulmans ne sont pas encore prêts à agréer cette évolution, cela n’est pas le cas des citoyens marocains juifs. Une déclaration d’un représentant de la communauté juive marocaine est allée récemment dans ce sens 1 , le titre de « Commandeur des croyants » ayant été interprété comme s’étendant aux croyants juifs marocains. Mais en faisant cette interprétation, ce représentant de la communauté juive marocaine est loin de soupçonner que l’évolution du système juridico-politique marocain a déjà réalisé partiellement cette intégration sans que le pouvoir politique lui-même en soit conscient. Voir Al-massae, quotidien en arabe, vendredi 24 octobre 2008, n°652. 1 16 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Islamic law in many arenas : Struggles for recognition and dominance Franz and Keebet von Benda-Beckmann Professors, Social Anthropology MPI for Social Anthropology, Halle, Germany Islamic law exists nowhere in isolation. It is characteristically embedded in encompassing webs of diverse normative orders and institutions. Studying the significance of Islamic law therefore requires positioning it in relation to other normative orders. Constellations of legal and institutional pluralism of which Islamic law is a part vary widely. Indonesia, the state with the largest Muslim population worldwide, provides interesting counterpoints to the history of Islamic law in Arab and Middle Eastern states. It has a rich history in which the relationships between Islamic law and other legal orders have been shaped. Already in pre-colonial times, Islamic law entered into different relations with local ethnic legal orders, usually summarized as adat laws. With the coming of a colonial state legal order, the relationships have become more complex. The relationships between the bodies of law are generated and maintained through a variety of social processes in “many rooms”, to echo Galanter (1981). When speaking about these “relationships”, we mean two different kinds of relations. In the first place, we mean socially constructed schemes about how the different co-existing normative universes relate to each other; normative constructs expressed in political and ideological statements about complementarity, equivalence or superiority of the different orders. They may also be found in legal demarcations of the orders’ respective spheres of validity. These constructs are usually elaborated in social processes in different political, legislative and educational arenas, but they can also be stated in decision making processes in courts or other forums. They may serve to express the relationship at the all-inclusive level between systems, but may also define spheres of validity for specific fields of social organisation such as village constitution, kinship, property and inheritance, marriage affairs, banking, or public order. These legal constructions of spheres of validity from the perspective of state law have been called “weak legal pluralism” and treated as a variant of legal centralism as the respective non-state legal orders are recognised as law by state law. But as we have mentioned elsewhere, other legal orders such as Islamic law and adat laws may have their own normative constructions of the respective spheres of validity. All such normative constructions of legal pluralism are, of course, legal, and as such elements in (strong) legal pluralism. Secondly, we can observe (a different set of) relationships between legal orders in the social practices in which different legal repertoires are used, which provides information about the relative social significance of these differential uses in different social arenas. Examples would be the actual use made of the systems in property and inheritance affairs, in marriage and divorce, disputing processes in villages and different kinds of state courts, in the establishment of institutions and in processes of rule making and regulation. In all these processes, legal repertoires may be sharply distinguished and applied as distinct legal forms with their distinct legal substance and logic. But they may also be combined in one and the same social process, decision, institution or regulation, leading to hybrid legal forms that combine elements of Islamic law with elements of state law or adat. In the course of time, such hybrids may themselves become institutionalized as more or less stable legal versions and be attributed to one particular legal system. As a result of such processes, the reception of Islamic law in 17 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Indonesia has been a complex process in which “Islamic law” or “the sharîca” has been pluralized. Islamic concepts and rules may obtain local interpretations that differ in important ways from the interpretation of official Islamic jurisprudence. Rather than dismissing local interpretations as mere misunderstandings, understanding the social working of Islamic law therefore requires a careful analysis of the various interpretations as they are generated and put to use in a variety of arenas and of the different relationships with other legal orderings. In this paper we deal with these issues in West Sumatra, the homeland of the Minangkabau. The Minangkabau have a particularly interesting constellation because of the striking contradictions between Islam and the Minangkabau adat of matrilineal heritage that structures social, economic and political organisation. We shall focus on intergenerational transmission of property as one of the crucial issues around which the relationships between the three major normative systems over the past two centuries have been crafted. The issue is of particular interest for two reasons. In the first place it reveals the problems arising from fundamentally different legal logics underlying the relevant regulations of the normative orders, which actors have to grapple with, whether they are farmers, elders, politicians, judges or legislators. Secondly, the issue is important because it demonstrates clearly that the relationships are made in different arenas, in which actors struggle with incompatibilities but finding different modes out of the dilemmas posed by the plural legal order. We look at political arenas, at civil and religious courts, and at inheritance practices of the population and show that these arenas undergo quite diverse dynamics. In the last part of the full paper we present a court case in a Religious Court dealing with an inheritance and a donation. This example allows for an understanding of the attempts to negotiate a way among the competing legal logics, and for discussion of some of the tensions and confusion that have emerged among the judiciary. Minangkabau adat The Minangkabau population lived traditionally in nagari, polities with considerable political autonomy. The nagari were associations of matriclans (suku) consisting of one or more matrilineages within a territory. The core of Minangkabau social organisation was the adat pusako, the adat of matrilineal heritage. It is mostly assumed that the word adat came to Indonesia with Islam and the Arabic language. In the doctrines of Islamic law, adat means customary law or customs that can be accepted as law in sharîca terms. But in most Islamic and non-Islamic regions, the term adat has long become indigenised as the general concept that encompasses culture, law, morality, etiquette and customs. When we talk about adat law, we mean the legal elements of adat. It regulated kinship, group affiliation, inheritance of property and succession to office within the nagari, procedures for decision making and sanctions. In the Minangkabau property system, the socially and economically most important category was pusako, inherited lineage property. Pusako comprised both intangible values such as the title of the lineage elders as well the tangible property, which included irrigated rice land, family houses, and family (gold) jewellery. This lineage property-people complex was regarded as a constituent unit in the economic and political organisation of Minangkabau villages. In adat law and philosophy, the property and lineage members were ‘one’. Permanent alienation of inherited property was not allowed because this property served as the material basis for the continuity of the descent groups. However, under narrowly defined conditions a temporary transfer of lineage property was possible, e.g. for the installation of a lineage head, the marriage of a female lineage member, the restoration of the lineage house and burials. Under certain circumstances, a part of pusako property could be transferred from a father’s lineage (the bako) to the children of a father (their anak pisang). Property rights to use and exploit parts of the pusako complex were allocated and distributed in a number of ways. The most important 18 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 mechanism was the distribution of the exclusive rights to use specified parts of the common lineage property to sub-lineages of a woman and her descendants. Male and female members could be allotted a portion of pusako to be brought into marriage. If a sub-lineage became extinct, that is, when there were no female descendants to continue the descent line, its property would revert to the lineage to be distributed among the remaining sublineages. In principle, the pusako holding lineage was continuous, its property indivisible, and all rights to exploit pusako were temporary. Should a panghulu headed lineage grow too large, it could be split. The pusako would then be divided and the younger branch would be given an own titled lineage head. Group and property division regularly led to serious conflicts between the sublineages. If a whole lineage died out, its heirs would be the most closely related lineages of the same clan. The other important category was self-acquired property (harato pancaharian), i.e., property acquired through the cultivation of new land, (temporary) gifts, or through financial transactions and trade. It was destined to become inherited property. The lineage members as future heirs had to consent to any transfer which threatened their future inheritance. Men also made last will declarations (umanat) with the intent to give part of their property to their children. Permanent alienations required the consent of all adult lineage members. Contested inheritance law Inheritance has been the focal point at which the relation between adat and Islam was given shape, both in the discursive construction of “the relation” as well as in the social processes of defining and managing property and inheritance rights. It largely served as a pars pro toto for the general political and ideological relationship between adat and Islam, for kinship, familial authority, control over property and political offices. And while inheritance remained the most contested issue, it became by the same token the issue about which harmony and agreement had to be achieved. This relationship was always part of the wider context of triangular relations with the state authorities and state law. But as the colonial and post-colonial state never directly intervened into the regulation of inheritance, the most visible and dynamic developments during the colonial period occurred in the relation between Islam and adat and adat authority. With the coming of Islam, the Arabic language made its entrance in the 16th century, with the effect that many Arab words which had a specific meaning under Islamic law were adopted into Minangkabau language. These terms also expressed a new model of social, political and economic organisation, and by doing so, the introduction of Islam and Islamic law created an emerging legal pluralism within the region. Rather than adopting Islamic institutions wholesale, these were largely “adatised” and came to denote adat institutions. Concepts like hak and milik became subject to the principles of pusako and pancaharian. The warith, denoting the Koranic heirs, in adat became the warih (waris), the matrilineal heirs. Hibah, donation, became the concept for donations in adat, often also called hibah-wasiyat. In adat, hibah was mainly a donation propter mortem by which fathers transferred part of their property to their children. It was not a contract as in Islamic law, and in contrast with Islamic law it was also revocable. Before the late 18th century, Islam and the sharîca had not changed the social and political organisation of the nagari substantially. Islamic offices of chatib and malin were incorporated into the matrilineal clan organisation. Succession to these offices was according to matrilineal principles. After the early 19th century civil war and colonisation, the relationship became more strained. The first battles were fought to widen men’s autonomy to dispose of their self-acquired property, most notably to give it to their children by gift or testamentary disposition without the consent of their matrilineal heirs. These gifts were originally called “pemberian” but the notion of hibah increasingly replaced the older term. It also became more common to use the Islamic term of wasiyat instead of the adat term (umanat) for a will, while keeping 19 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 to the adat regulations of wills. While in the 19th century, hibah was only used in connection with self-acquired property, it was gradually also used for gifts of pusako property by a man’s lineage to his children. Transfers could be made for the lifetime of the children or for their lineage segment in continuity. In all events it required the consent of the matrilineal relatives of the giver. In the course of time a compromise was formulated in the provincial political arena between Islamic scholars and Adat leaders. In 1930, the ulama of the old school issued a fatwa stating that pusako lineage property should be inherited according to adat and the self-acquired property according to Islam (Abdullah 1985: 143). This would become known as the “inheritance consensus” to which political discourse would consistently refer in the decades to come, even if the practice in courts and inheritance practice was different. In day to day inheritance practices and also in the courts, scope for devolution to a man’s children gradually broadened within the realm of adat law. The Dutch colonial courts continued to validate those adat rules which required the consent of the matrilineal heirs for donations to children. Men increasingly conferred property upon their children by means of hibah which was considered an adat concept, a gift made a person to take place after his or her death that is revocable during the lifetime of the giver. Legal officials in the administration and colonial courts consistently considered matters of intestate inheritance, donations and testaments as falling under adat law. The adat law itself, in particular the extent to which Minangkabau men could dispose of pancaharian property to their children, however, was in flux. This issue was only unequivocally answered by the landmark case in 1930, in which the highest colonial court stated that a father could also give away (by testament) his self-acquired property before his death without his matrilineal relatives’ consent. Intestate inheritance of pancaharian, however, remained subject to matrilineal inheritance principles. This was only changed in the 1960, when the Supreme Court ruled that according to the changed Minangkabau adat law, self-acquired property was inherited “by the children”. At the national level, debates about the introduction of religious courts led to the establishment of religious courts which were to apply Islamic law to matrimonial matters and inheritance and gifts “if these subjects are, according to the living law to be decided according to Islamic law”. Until the end of the 1980s, there was widespread consensus within West Sumatra among judges, administrators, and the general population, that inheritance disputes were mainly a matter for the civil courts. The Religious Judicature Act (1989-7) broadened the Religious Courts’ jurisdiction to explicitly include inheritance. Religious courts were to apply Islamic law, while civil courts would continue to apply adat. However, the judiciary in West Sumatra interpreted the law as providing disputants freedom of choice. They could either bring their inheritance disputes to the civil court or to the religious court. In practice, disputants continued to bring their inheritance disputes exclusively to the state civil courts. Thus, in inheritance practice, both disputed and not disputed, the rules of inheritance of faraidh were hardly ever applied. At the provincial political level, the topic of the proper inheritance law became a prominent issue again. The inheritance consensus – adat for lineage property, faraidh for self-acquired property – was restated at two major province wide meetings of local leaders in 1952 and 1968. In inheritance practices and courts, however, the situation was quite different. Hibah of pusako was only possible according to adat law with the consent of the lineage or, in case the lineage was extinct, without consent of matrilineal relatives. However, transferring self-acquired property by hibah without consent of a man’s matrilineal was kin no longer contested. Increasingly, self-acquired property was also inherited within a man’s conjugal family “by his children” without a will. But if a man left no children, the normal matrilineal principles would take over again. To further strengthen Islamic law, the central government issued a “Compilation of Islamic law” in 1991, a set of guidelines for 20 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 interpreting and applying Islamic laws in the religious courts. The Compilation did not follow Islamic law in all details and contained substantial adjustments to Indonesian notions of family law and inheritance. For example, the rules of hibah differ both from the learned fiqh interpretations of inheritance law and from the adat regulations pertaining to hibah. The Compilation posed an additional potential source of conflict. On the one hand it follows the general adat view that hibah is part of the set of regulations pertaining to inheritance. This deviates from Islamic jurisprudence in which gift giving is not part of the inheritance complex. Yet the Compilation explicitly limits the amount that may be given by way of hibah to one third of the estate, which would be the limit that Islamic law imposes on testaments but not on hibah. Thus it applies a rule taken from inheritance law to gift giving which does not make sense in the logic of Islamic jurisprudence, but fits the Indonesian – and Minangkabau – logic of inheritance. However, since the civil courts did not refer to the Compilation, this regulation had no impact on the outcome of disputes during the last decade of the Suharto era. Civil Courts continued treating cases involving hibah as adat cases and religious courts would pass on such cases to the civil courts. The few inheritance cases that religious courts accepted were declaratory cases in which a person asked to be confirmed as the heir to a deceased person. It was only during the 1990s that religious courts started to handle substantive inheritance cases, but this amounted to no more than a handful of disputes for the whole province. The majority of substantive inheritance cases were decided by civil courts. Changes in jurisdiction had hardly affected court practice. Litigation rates for inheritance cases had remained remarkably stable over a period of 25 years. logics of adat and Islam clash. It creates much confusion and uncertainty not only among disputing parties but also among the courts. The dispute about the inheritance of Datuk Batuah (reported in the full paper) shows the complications resulting from the different logics implied in Islamic and adat regulations concerning inheritance and gift giving. This is quite an extraordinary case. Here we have a civil court of appeal that does not follow the civil court in first instance but refers the case to the religious court. Instead of defining it as a dispute about lineage property for which it clearly had competence, it declares it to be about hibah that falls within the jurisdiction of the religious court. On the other hand we have a religious court that accepts the case as falling within its competence, but declares adat law to be applicable because it concerns pusako and the validity of a hibah-donation understood in its adat sense, and not in the sense of Islamic law. * In short, practices of intergenerational transmission of property occurred at a different pace from changes in the normative constructions in courts, in political arenas of the national legislators. While compromises and an ideology of harmony and mutual compatibility are possible at an abstract level of political negotiation, the implications of the different logics underlying the legal orders only surface in the nitty-gritty details of disputing processes in which people argue about concrete valuables. Competing logics The fact that conflicts concerning hibah donations were seen as regarding both Islamic law and adat, especially if the land under dispute had (alleged) pusako status has important implications. In such situations the 21 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Droit musulman, droit coutumier, droit tribal dans les sociétés ouest-sahariennes Pierre Bonte Directeur de recherche émérite au CNRS Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris Les observations qui suivent ne relèvent pas des analyses d’un spécialiste du droit mais procèdent d’une recherche de terrain sur une région du trab al-baydân ouestsaharien, l’Adrar (Bonte, 2008). Dans une perspective anthropologique, cette recherche sur une société tribale arabophone, pastorale et nomade, m’a conduit à une réflexion plus large, aux ambitions comparatives, sur les formations tribales dans le monde arabomusulman (L’Homme, 1987 ; Bonte et al., 1991 ; Bonte, 1994 ; Bonte et al., 2001 ; Ben Hounet et Bonte, 2010). C’est dans ce cadre que j’ai été amené à faire le constat de la distinction qu’établissent, en ce qui concerne la jurisprudence (fiqh), aussi bien les juristes que les anthropologues, entre le « droit musulman » se référant à la Loi religieuse (sharîca), s’appuyant sur le Coran et la Sunna prophétique, et le « droit coutumier » (curf ou c âda). Cette distinction révèle immédiatement sa complexité si on note que le curf est considéré comme une des composantes, et même la source du fiqh : « les sentences du fiqh se fondent sur le curf » note ainsi al-Suyûti. De manière plus pragmatique, les populations tribales ouest-sahariennes, suivant exclusivement l’école sunnite malékite (à laquelle une des meilleures introductions reste Schacht, 1999), considèrent que « la coutume est respectée tant qu’elle ne s’oppose pas à la loi religieuse ». Les règles principielles sur lesquelles fonder la distinction entre règles religieuse et coutumière apparaissent singulièrement brouillées et se réfèrent à des logiques diverses selon les auteurs. De manière un peu trop simple peut-être, elles opposent ainsi transmission écrite et orale – mais le fiqh peut être transmis « auralement », sous une forme versifiée dans l’Ouest-saharien, et la coutume, mise par écrit en fait dans de nombreux kanûn –, ou encore traditions islamiques et traditions préislamiques se perpétuant après l’islamisation des mondes berbères ou sudarabiques (Chelhod, 1985, au Yémen s’appuyant sur le terme taghûb, « idoles » désignant le droit coutumier). L’opposition entre fiqh et curf est souvent conçue comme résultant de l’émergence de jurisprudences distinctes au niveau étatique et au niveau local. Le droit coutumier est alors associé aux organisations villageoises, tribales, corporatistes, etc. On parle ainsi, de manière équivalente par rapport au droit coutumier, d’un « droit tribal », en particulier dans une tradition anthropologique britannique qui donne une large extension au terme « tribu » comme mode d’organisation des sociétés « sans État », ces sociétés tribales partageant des valeurs afférentes (« égalitarisme », « anarchie organisée », « équilibre »/balance, arbitrage, etc.). On parlera alors de « droit tribal » dans des sociétés qui ne sont que partiellement (Palestine) ou pas du tout organisées en « tribus », et qui n’appartiennent pas au monde arabo-musulman. Dans une perspective assez comparable, des auteurs considèrent que le droit coutumier, ou tribal, recouvre des domaines particuliers de la jurisprudence, plus particulièrement les comportements, sanctionnés par la communauté, d’atteintes aux personnes, à l’honneur et aux biens, incluant les modalités de règlement des conflits, pourtant fortement codifiées dans le fiqh « classique ». On notera que, dans cette perspective comme dans la précédente, le « droit coutumier » se voit assigner d’un point de vue extérieur un champ d’application spécifique, 23 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 le phénomène étant particulièrement clair dans le contexte colonial. On en voit la manifestation déjà dans la législation ottomane, à l’occasion de la réforme de la mejelle (1877) et certains auteurs font remonter la spécification du droit coutumier à Ibn Nujaym (m. en 1563). Une étude historique s’imposerait, que je n’ai aucune compétence à mener. J’en resterai donc à mes expériences de terrain. Il faut dire quelques mots des particularités de celui-ci du point de vue dont nous traitons. Je rappellerai d’abord que le monde tribal ouest-saharien présente une remarquable homogénéité linguistique (dialecte arabe hassâniya), culturelle (« bédouine »), religieuse (sunnisme malékite) et sociale, naturellement, dans ses fondements tribaux, mais une toute aussi notable diversité des institutions politiques (tribus « segmentaires », chefferies confédérales, émirats) et, par la même occasion, des casuistiques juridiques. La problématique de formation d’un droit coutumier doit tenir compte de cette homogénéité et de cette diversité. J’en esquisserai d’abord quelques traits. Les tribus ouest-sahariennes se répartissent de manière ordonnée (« ordres émiraux ») ou relative (« rangs » plus ou moins hégémoniques) selon des hiérarchies statutaires et/ou politiques, particulièrement développées au sein des émirats. Elles distinguent alors hassân, « arabes », guerriers, détenteurs du pouvoir émiral, zawâya, gestionnaires du sacré et d’une partie des activités économiques, et znâga, « protégés », tributaires des premiers, les uns et les autres répartis en tribus distinctes. La « gestion du sacré » (Ould Cheikh, 1985) correspond au monopole qu’exercent plus ou moins les zawâya dans le domaine des rituels et des savoirs islamiques, en particulier dans le domaine du droit (positions de qadis, de fuqahâ et culamâ). Même là où se développent de fortes hiérarchies politiques, au profit généralement mais non exclusivement des hassân (chefferies, émirats), les zawâya s’accordent majoritairement pour considérer qu’il n’existe pas d’autorité politique légitime du point de vue religieux, que l’on se trouve dans un « pays d’anarchie », bilâd al-sayba, expression que l’on trouve déjà chez le célèbre qadi Belcamash (m. 1695) et dont ils déduisent d’importantes conséquences dans le domaine du droit. La pratique juridique locale, dans la tradition malékite, souligne l’importance de la coutume et affirme souvent que curf a la même valeur que ijmac, le consensus unanime des docteurs, sans néanmoins distinguer clairement le droit coutumier par rapport aux prescriptions du fiqh en général. Elle considère en effet assez unanimement que les dispositions coutumières relèvent de la catégorie camal, c’est-à-dire, dans une tradition maghrébine, des sentences s’écartant de l’opinion dominante en considération des nécessités du temps ou d’utilités temporaires ou temporelles tombant avec les circonstances qui les ont inspirées. C’est le cas du mode de vie nomade qui exclut la purification par l’eau, la prière collective du vendredi, la zakat en numéraire, etc.), dispositions qui tombent si on adopte un mode de vie sédentaire, en particulier dans le monde contemporain majoritairement urbain. Dans le contexte ouest-saharien, la prise en compte de la coutume s’exprime prioritairement à propos de l’évocation des « cas d’espèce » (nawâzil) auxquelles répondent les consultations (fatâwâ) des fuqahâ qui apprécieront la compatibilité des solutions juridiques avec le fiqh. Au final, se dessine moins un domaine identifié de la coutume (câda) qu’un champ d’interprétations ouvertes, circonstancielles ou non, qui peuvent s’inscrire dans le cadre de la revendication de l’ijtihâd, l’interprétation élargie plus ou moins tolérée par le fiqh. Certains docteurs musulmans ouest-sahariens la revendiquent ouvertement, tel Shaykh Muhammed Almâmi, l’auteur du Kitab al-Badiyya (m. 1865). De manière générale, comme en témoigne le titre de cet ouvrage, les réalités locales sont fortement affirmées dans le fiqh ouest-saharien (Ould el-Hassene, 1989). Une étude d’ensemble de la manière dont, en particulier, les fatâwâ intègrent le fait tribal au cours des siècles passés a été développée par Yahya ould el-Barra dans sa thèse (2000) où il met en évidence une sorte de « tribalisation » 24 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 du fiqh. Je suis clairement redevable à l’auteur (qui a, depuis, édité en arabe un recueil de plusieurs milliers de fatâwâ) de nombre de mes références et je m’appuierai souvent sur ses travaux). Me réservant de renvoyer pour le moment aux recherches que j’ai consacrées à cette question (Bonte, 1994 ; Benkheira et Bonte, 2009-2010), je ne ferai qu’évoquer un premier point qui aborde les problèmes soulevés par les pratiques de l’alliance de mariage du point de vue de la définition de la norme. Ces problèmes illustrent d’abord le fait que la « coutume » intervient aussi de manière notable dans des domaines comme celui du droit de la famille et du statut personnel que l’on considère généralement comme relevant prioritairement, voire exclusivement des prescriptions de la sharîca. Je serai néanmoins bref, car il s’agit surtout d’introduire à un second point que je développerai plus longuement et qui concerne ce qui a trait à la « protection ». La pratique du « mariage arabe », entre enfants de frères, est légale du point de vue de la définition coranique des interdits matrimoniaux. Elle s’accompagne souvent de droits reconnus à un homme en ce qui concerne le mariage de sa cousine parallèle patrilatérale, ne serait-ce que d’être consulté pour le choix du conjoint de sa cousine et de pouvoir s’y opposer. Quelle que soit son extension selon les sociétés concernées, cette pratique ne correspond pas à une disposition de la sharîca. On observe qu’elle se diffuse cependant tendanciellement avec l’islamisation. J’ai montré qu’elle correspondait en fait à une exigence de la sharîca, celle de kafâca, la nécessité de la parité du mari et de son épouse, exigence concernant exclusivement la femme et qui aboutit à l’interdiction de l’hypogamie féminine. Dans cette mesure, l’institution malékite du wali, tuteur matrimonial de la femme, peut être rapprochée de ce « droit (coutumier) du cousin ». Celui-ci est le plus proche parent – de statut généalogiquement « identique » à celui de sa cousine – susceptible de pouvoir l’épouser une fois posés les interdits matrimoniaux légaux. Ces pratiques, tant légales que coutumières, enrichissent notre conception du droit patrilinéaire musulman comme l’expression d’un droit masculin, défini par rapport au féminin et s’exerçant sur un « capital » matrimonial et symbolique féminin qui renvoie à une hiérarchie première des genres. D’autres dispositions coutumières s’éclairent aussi sous cette perspective. C’est le cas du « mariage par échange » (badal), fondé sur un échange de sœurs entre deux hommes qui établit d’une autre manière la parité des conjoints. Malgré les fortes réserves des c ulâma, ce mariage est très pratiqué au Machrek, mais je l’observe aussi, sans qu’il soit nommé badal, dans l’Ouest-saharien. De même, le sororicide et autres « crimes d’honneur » trouvent des significations nouvelles interprétés dans le cadre de cette problématique. Ceci mériterait des analyses plus précises, que j’ai approfondies à partir de mes recherches de terrain. Je m’arrêterai simplement sur un point. Cette hiérarchie « première », « structurelle » des genres est susceptible de lectures juridiques qui peuvent apparaître contradictoires. L’une est illustrée par la fameuse « Constitution de Médine » (Rubin, 1985) qui réduit les effets des hiérarchies patrilinéaires/masculines à propos de l’héritage, du tutorat matrimonial ou encore du « prix du sang » au profit d’une sorte d’égalité/parité des nouveaux croyants au sein de la umma. Les fuqahâ ouest-sahariens, à l’inverse, retiennent et même plutôt accentuent la dimension hiérarchique de la société tribale qui se traduit par une circulation non hiérarchique des femmes entre les groupes tribaux et un encadrement strict de la politique matrimoniale par la jamâca tribale pour éviter les mésalliances et le mélange des ansab (généalogies) dont rend compte la maxime : « le contact des peaux rend les grands parents égaux ». L’union réalisé suppose une certaine parité des lignées généalogiques concernées qui, si elle n’est pas établie incontestablement, peut se traduire par un déclassement des « donneurs » ou un reclassement des « preneurs » de femme qui ont consenti un mariage féminin hypogame. 25 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Si les conflits à ce propos et les « crimes d’honneur » sont moins répandus qu’au Mashrek, du fait d’un statut de la femme plus favorable, ces crimes se produisent néanmoins – cette année encore un imam d’Aleg a été condamné à mort pour un acte de cet ordre – et la tradition a retenu significativement le souvenir de la guerre légendaire de Tinâdhmin, qui aurait eu lieu au XIVe siècle, aboutissement d’un conflit à propos de l’application de la kafâca. Les sociétés tribales ouest-sahariennes présentent un remarquable développement institutionnel des modalités de la protection. La relation protecteur/protégé concerne toutes les catégories du monde tribal. Elle associe par nature hassân et znâga mais concerne aussi les relations entre hassân et zawâya, et peut intervenir entre des tribus de statut paritaire. Les zawâya développent aussi des relations particulières dans le cadre desquelles la protection qu’ils fournissent est fondée sur leur baraka (bénédiction) ou sur l’autorité de la tazubba (malédiction). L’institutionnalisation de la protection se traduit généralement par le versement de prestations régulières ou occasionnelles. Les fondements normatifs de la protection prolongent immédiatement les hiérarchies des genres. Protéger est un privilège masculin, dont rend compte l’expression « se mettre dans le dos ». Le dos, dhahr, est l’expression habituelle de la parenté agnatique masculine, à l’opposé du batn, « ventre », parenté utérine. La protection implique une sorte de « féminisation » des protégés qui se traduit notamment dans le cas des znâga, « protégés », par le fait qu’ils sont considérés comme des « donneurs » de femmes, sans contrepartie. Le terme hurma qui désigne la prestation régulière du protégé znagi au protecteur, dérivé d’une racine H.R.M. connotant les valeurs féminines et celles du sacré, souligne que le protégé est inscrit dans le harîm du protecteur, incluant tous ceux qu’il a le devoir de protéger, en priorité les femmes de sa parentèle. L’hospitalité consiste de même à intégrer un homme au monde féminin de la tente, durant la période où il est sous la protection de son hôte. Saisir les piquets de la tente est l’équivalent de la demande d’asile. Un autre terme, lahma, désignant la catégorie des znâga, rapproché à tort étymologiquement de la « chair », de la « viande », renvoie plus vraisemblablement à la racine L.H.M., connotant la « trame », qui a donné luhma, la parenté cognatique, soulignant la dimension féminine du lien. Ce système de protection/prestation – il en existe d’autres dans la société baydân – réfère au « coutumier » et est largement organisé au profit d’une catégorie tribale particulière, les hassân, dans le cadre des émirats dont la formation remonte à la fin du XVIIe siècle. Les fuqahâ ouest-sahariens ont été amenés cependant à l’interpréter en fonction des principes du fiqh. Leurs positions sont contradictoires. Certains condamnent, de manière virulente parfois, ces prestations qu’ils assimilent à des « taxes injustes », levées sans légitimité étatique et qui remettent en question la pratique religieuse des hassân. D’autres, privilégiant une approche purement casuistique des conséquences du système, les interprètent de manière à privilégier une conception contractuelle, juridiquement acceptable, des fondements de la protection. Ainsi des fatâwâ sont délivrées concernant l’héritage des protégés/tributaires sans héritiers légaux. Reviennent-ils ou non au protecteur ? De même en ce qui concerne la diya, le « prix du sang » : y a-t-il participation réciproque des deux parties aux diya données et reçues par l’une d’entre elle ? La zakat sur les biens du protégés/tributaires doit elle être levées comme s’il était propriétaire de ses biens ? Si certains de ces fuqahâ restent fermes en ce qui concerne l’illégalité de la hurma, d’autres, nombreux et influents, acceptent une interprétation contractuelle de la protection qui les amène à remettre en question la pleine propriété du protégé sur ses biens et à justifier la prestation. Au XVIIe le qadi Belcamash, déjà cité, énonçait que : « les protecteurs ont une contrepartie proportionnelle au degré de veille ». Au XIXe, le célèbre docteur soufi, Shaykh Sidiyya al-Kabir, écrit de manière plus explicite encore : « Les biens des tributaires et leur tutelle matrimoniale sont propriétés de leurs maîtres », ils en sont seulement des gardiens ! 26 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Les mêmes fuqahâ tireront les conséquences de cette conception contractuelle de la relation de protection en défendant la possibilité de rachat au protecteur des prestations qu’elle impliquait (fidâ), le plus souvent au profit du zawî qui développait ainsi sa propre clientèle et disposait de main d’œuvre de bergers en particulier. Cet « acte louable » était même valorisé comme mettant fin à une injustice pesant sur des musulmans. Cette pratique a ouvert la voie à une contractualisation « marchande » généralisée des hrûm, qui peuvent être l’objet d’achats ou de ventes, de prêts (mnîha), de redistributions, par l’autorité politique émirale en particulier pour s’attacher des partisans. Les positions des fuqâhâ s’expriment aussi à propos des prestations (aghfar) que versent, dans un cadre initialement contractuel, les zawâya à des protecteurs extérieurs, pour garantir leur accès aux pâturages, le passage des caravanes, etc. Elles sont versées collectivement par la tribu et non individuellement comme les hrûm qui se transmettent en ligne masculine. Certaines de ces « taxes » consenties pour se prémunir des pillages, conçues comme une sorte de « racket », les mudârât en particulier, sont condamnées par certains fuqâhâ ouestsahariens. La plupart cependant les acceptent et les interprètent comme l’une des modalités des obligations collectives qui relèvent de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Elles sont une expression des solidarités tribales légales (muwâsât). Mais doivent-elles être égalitaires ou réparties au prorata des richesses ? Qu’en est-il quand elles relèvent évidemment d’intérêts particuliers ? Les positions peuvent varier. Les fuqahâ considèrent généralement que ces prestations sont acceptables car apportant plus de bienfaits que de méfaits ! L’argument est même avancé que leur légitimité tient au fait qu’elles bénéficient aux « nécessiteux » qui n’ont d’autres ressources que le pillage ! Les fuqâhâ aménagent enfin un règlement global et définitif de l’injustice et du mal à travers le « repentir », tawba, des hassân, pratique d’inspiration coranique (sourate 9), valorisée dans la tradition soufie, de retour des musulmans à un juste exercice de la religion. La légitimité juridico-religieuse est aussi soulignée dans le terme synonyme de muhâjri. Le repentir peut répondre à des motivations religieuses mais correspond aussi, souvent, à un déclassement statutaire résultant de conflits militaires et politiques. Les hassân qui renoncent à leurs droits de protecteurs et parfois aussi au port des armes, rejoignent généralement la clientèle des zawâya. Les positions de ceux-ci varient aussi quant au sort qui est fait aux biens qu’ils ont auparavant acquis illégalement. Cet exemple de l’interprétation normative des représentations et pratiques concernant la protection, institution centrale de la société tribale ouest-saharienne, pose en termes particuliers la question de la place du « droit coutumier » dans la société ouestsaharienne. Dans cette dernière, les relations entre protecteurs et protégés s’établissent selon des normes juridiques qui sont considérées par les fuqahâ comme relevant de leur compétence ; elles sont l’objet de nombreuses fatâwâ. On constate cependant que les juristes sont divisés quant à la compatibilité entre ces normes et les enseignements du fiqh. Les règles de droit qu’ils fixent éventuellement en ce domaine ne sont pas élaborées en référence à un droit coutumier qui n’est invoqué qu’en des circonstances très précises : les relations d’évitement avec les beaux-parents, la garde maternelle des enfants, le calendrier des vacances accordées aux élèves des écoles coraniques, etc. (Ould el-Barra, 2000). Ils invoqueront parfois pour légiférer les conditions conjoncturelles (amal) et ils s’emploieront généralement à réinterpréter ces règles dans le cadre du fiqh malékite, non sans rencontrer des difficultés et susciter des débats. L’existence d’une catégorie tribale ayant pour fonction particulière de « faire le droit » et qui exerce d’autres fonctions économiques, politiques et religieuses dans la société ouest-saharienne, défendant des intérêts particuliers tout en définissant la norme générale, contribue vraisemblablement à ces traits particuliers. La position des zawâya et de leurs juristes est ainsi justifiée 27 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 principalement par le constat qu’ils font de la situation de sayba, de l’absence d’autorité légitime nécessaire à l’application stricte du fiqh. Ils en tirent cependant des conclusions contradictoires. Certains fuqahâ importants, se référant, en remontant jusqu’aux enseignements d’al-Maghîlî à époque des Songhay, et aux expériences politiques régionales ultérieures (Sharr Bubbah, XVIIe ; Almamat du Fuuta Tooro, XVIIIe ; el-Hajj Umar, XIXe), revendiquent l’établissement d’une autorité légitime (imamat) dans l’Ouestsaharien et les régions subsahariennes voisines. C’est le cas de Shaykh Muhammed Almâmi dans la seconde partie du XIXe. D’autres, parmi lesquels le qadi Belcamash, qui s’oppose au mouvement théocratique de Sharr Bubbah, s’inspirant de textes malékites, se réclament de considérations, plus ou moins eschatologiques, soulignant les dangers de remettre en question le (des)ordre établi. C’est la position défendue par le Kunta Shaykh Sîdi al-Mukhtar, qui introduit la tarîqa qâdiriyya dans ces régions, et de son disciple Shakh Sîdiyya al-Kabir qui écrit : « les conditions de vie des habitants de ce pays, tel qu’il est aujourd’hui, se caractérisent soit par l’incapacité d’établir une contrainte efficace tendant à supprimer matériellement les pratiques scandaleuses et faire montre en cette matière de ferme autorité, soit par la crainte d’engendrer la corruption ou d’éveiller la guerre civile ». Les zawâya auront cependant, dans leur relecture et réinterprétation du fiqh, à gérer cette tension entre le particulier et le général, en légitimant leur propre autorité et leur capacité à dire le droit et à le faire reconnaître dans l’ensemble de la société, une des conditions par ailleurs de la préservation de leurs positions statutaires et de la défense de leurs intérêts particuliers (commerciaux par exemple, Lydon, 2009). Ils y procéderont à travers une relecture de l’ordre tribal luimême qu’a analysé Abdel Wedoud ould Cheikh, dans son étude sur « La tribu comme volonté et comme représentation » (Bonte et al., 1991). Dans cette perspective, l’accent est mis sur la jamâcat al-qabîla, l’assemblée tribale, institution généralisée sous des formes diverses dans la société tribale ouestsaharienne, assemblée de notables traitant des affaires tribales. Chez les zawâya, elle va être considérée comme une « assemblée de droit » (jamâcat al-shacriyya), assemblée « qui lie et qui délie » (jamâcat al-hall wa el caqd) définissant consensuellement les positions de la communauté musulmane (ijmac) source du droit. L’assemblée tribale est ainsi investie de la « commanderie du bien » (hisba) et de l’interdiction du mal, dont elle tire sa légitimité. Elle supplée dans une certaine mesure aux défaillances de la suzeraineté légitime et intervient pour remplir les fonctions qui sont dévolues à celle-ci : nommer les qadis tribaux, veiller à la conciliation, gérer l’héritage des biens vacants, collecter la sadâqa, etc. D’autres exemples pourraient être développés à l’appui de ces premières analyses. C’est le cas des atteintes aux biens et aux hommes, de la gestion des conflits et de la violence. Ce domaine est souvent, dans les sociétés tribales, considéré comme relevant prioritairement du droit coutumier. En fait, les dispositions de la sharîca sur ce point sont clairement codifiées. Les fuqahâ ouest-saharien en font cependant une lecture particulière. La règle du talion n’est pratiquement jamais appliquée en invoquant l’absence d’autorité légitime. Le règlement des violences conflictuelles privilégie le versement de la diya. Mais une attention particulière est accordée au partage, en ces circonstances, des droits et des devoirs au sein du groupe de filiation (caqîla). Les fuqahâ considèrent généralement que ceux-ci sont étendus des agnats aux différents affiliés à la tribu (clients, protégés), au nom de l’unité de la jamâca tribale et de la tribu dont elle conforte les solidarités (muwwâsât) mais dont elle suscite aussi les fissions (mufasakka). Le règlement des diya devient ici l’instrument de redéfinition des dynamiques tribales à travers les pactes casab solidaires qui peuvent introduire des clivages au sein de la tribu ou rassembler des tribus distinctes. C’est le cas de la confédération Tashumsha renouvelée régulièrement en réitérant officiellement ce pacte casab. Il importerait de multiplier ces analyses et de les comparer avec celles menées 28 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 sur d’autres « terrains tribaux » pour développer l’approche esquissée dans les pages précédentes. Elle souligne que le fiqh n’est pas seulement un corpus de textes que le droit positif moderne s’emploie à transformer en codes. Malgré la proclamation de la fin de l’ijtihâd, le fiqh est resté largement ouvert aux conjonctures et interprétations particulières que l’on ne peut réduire à la définition d’un « droit coutumier » qui en perpétuerait la cohérence contextuelle. Les zawâya de l’Ouest-saharien procèdent plutôt à une « tribalisation » du fiqh qui satisfait à leurs besoins et à ceux de l’ensemble de la société tribale. Références bibliographiques Ben Hounet Yazid et Pierre Bonte (textes réunis et présentés par). « La tribu à l’heure de la globalisation ». 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Paris, Maisonneuve et Larose, 1999. 29 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 La réconciliation du Mont Liban, médiation, pacification, indemnisation Aïda Kanafani-Zahar Chargée de recherche au CNRS Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris Commencée en 2000, ma réflexion sur la réconciliation (musâlaha, de sâlaha, réconcilier) du Mont Liban s’est inscrite dans un travail plus général sur la mémoire du déplacement et des massacres dans le Mont Liban sud, une région historiquement multiconfessionnelle (districts du Chouf et d’Aley, chrétienne [maronite, grecquecatholique, grecque-orthodoxe, protestante…] et musulmane [druze, chi'ite, sunnite…]). Il a été mené à Bîri et Brîh, deux villages du Chouf. Le premier est exclusivement chrétien, le second est druzo-chrétien. Il a également été mené à Abay, village druzo-chrétien du district d’Aley. Les chrétiens de ces trois villages ont été déplacés en septembre 1983 lors de la « guerre de la montagne » à l’instar de la population chrétienne de cette région. Cette guerre a éclaté en septembre 1983 entre les Forces libanaises chrétiennes et les forces druzes du Parti Socialiste Progressiste (PSP) et leurs alliés respectifs après le retrait de l'armée israélienne qui a envahi le Liban en juin 1982. Un nouveau repli de l'armée israélienne, effectué au Liban sud dans les régions de l'Iqlîm al-Kharrûb et à l'est de Saïda en avril 1985, a provoqué des transferts massifs de population vers Beyrouth et sa banlieue. À partir du 25 avril 1985, 80.000 chrétiens essentiellement de la communauté grecquecatholique, ont été chassés de l'Iqlîm alKharrûb et de la région comprise entre Saïda et Kfar Fâlous (Valognes 1994, p. 667). Botros Labaki et Khalil Abou Rjeily estiment à 163.670 le nombre de chrétiens expulsés des villages du Chouf et d’Aley (1993, p. 59). Mon travail a également été conduit au ministère des Déplacés (MD). J'ai assisté à des signatures d’ « accords de réconciliation » qui clôturent les pourparlers entre les villageois et les officiels du ministère des Déplacés ministre, directeur du MD et responsable technique - (par exemple à Majdlaya et à Shwît) ainsi qu'à des réunions de comités villageois avec le responsable technique. Même si des pourparlers pour le retour des déplacés de la montagne ont eu lieu en janvier 1989 lors du Congrès chrétien entre Walid Joumblatt, chef du PSP et Camille Chamoun, chef du Parti Libéral National, les deux chefs traditionnels de la montagne 1 , il faut attendre l’Accord d’entente nationale connu comme Accord de Taëf (1989) pour que les modalités du retour des déplacés soient définies. En énonçant que « Chaque Libanais dispose du droit de résider sur toute partie de ce territoire et d’en jouir sous la protection de la loi » (Volet I « Principes généraux et réformes »), cet accord fournit l’habillage national de la réconciliation. L’alinéa 4, volet II [« Souveraineté de l’Etat libanais sur l’ensemble de son territoire »], préconise néanmoins qu’une structure est nécessaire pour organiser ce retour - adoption de lois et mise en place d’arrêtés. En conformité avec l’Accord, un ministère des Déplacés et une Caisse Centrale des Déplacés, sont créés le 7 juillet 1992 (Lois 190 et 193 du 4 janvier 1993). Leur mandat est d'assurer le retour des Libanais dans leurs régions et de les indemniser. Bîri, d’une part, et Brîh et Abay de l’autre, illustrent les deux situations que le MD a distinguées pour gérer le retour des chrétiens dans leurs villages. La première, concerne les déplacés originaires de villages exclusivement chrétiens ou mixtes dans lesquelles il n’y pas eu de confrontations armées ni de massacres. Un système 1 « L’alliance », terme utilisé par Dominique Chevallier, de Kamal Joumblatt et de Camille Chamoun commence au lendemain de la seconde guerre mondiale (Chevallier 1988, p. 219). 31 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 d’indemnisations a été mis en place pour faire évacuer les habitations occupées, participer à la reconstruction des habitations endommagées ou détruites. La seconde situation concerne les villages mixtes, théâtre de confrontations armées et de massacres. C’est dans ces villages qu’une réconciliation entre les villageois est programmée par les officiels du MD. Ils ont été appelés « villages de réconciliation ». La réconciliation est un processus de pacification dont l’objectif principal est de neutraliser les velléités de vengeance. Un événement majeur, intervenant en septembre 1991, a sans doute contribué à recourir à la réconciliation comme procédure de gestion des conflits. Un an après la fin de la guerre, la vengeance a armé le bras d’un chrétien qui, pour venger les siens, morts lors du massacre de son village, a tué plusieurs druzes. L’inquiétude était bien réelle de voir les villageois y recourir d’autant que cette forme de violence structure toujours les relations sociales dans certaines régions. La réconciliation comporte plusieurs actions étalées dans la durée (formation des deux comités druze et chrétien de réconciliation, discussions avec les officiels du MD portant sur les litiges, identification des bénéficiaires druzes et chrétiens des indemnisations – évacuation, restauration ou reconstruction des habitations, indemnisations des familles des victimes). Elle est locale dans la mesure où les règles conçues par le MD sont appliquées au cas par cas dans chaque « village de réconciliation ». Sa spécificité qui rend nécessaire l’appellation « la réconciliation du Mont Liban » est de réconcilier les habitants de ces villages pour écarter toute tentation de représailles. Sa logique de pacification et d’indemnisation et son processus de médiation avec les deux comités druze et chrétien ainsi qu’avec des acteurs nationaux procèdent de cette finalité. Toute locale qu’elle est, la réconciliation du Mont Liban est aussi un enjeu national soumis aux rapports de force politiques qui régissent la scène nationale à un moment donné. Sa loi cadre, nous l’avons vu, se réfère à l’Accord de Taëf. Elle s’inscrit donc dans la politique du retour des Libanais dans leurs villages et dans un contexte plus général de restauration de l’autorité de l’État. La raison d’Etat stipulée dans cet Accord (pacification, allégeance nationale dans un contexte de pluralisme religieux) est d’ailleurs le concept politique autour duquel elle a été construite. Sa logique de médiation entre toutes les parties de la scène politique et religieuse énonce également son caractère national. Le retour des déplacés a, en effet, été considéré comme illustrant une « volonté d’unité nationale », une « nécessité nationale » contribuant à « consolider la paix civile » et les réconciliations dans les villages un aspect de la « réconciliation et de l’unité nationales ». Le Congrès National Général pour les Déplacés qui s'est tenu à Beyrouth entre le 19 et le 28 juin 1992, au moment où le nouveau ministère des Déplacés se mettait en place, avec des dizaines d’intervenants politiques, religieux et civils, illustre l'aspect consensuel que reçoit alors cette question. Députés, ministres, délégations de divers partis politiques de toutes tendances, autorités religieuses, avocats, organisations non gouvernementales et universitaires participent à une réflexion commune autour de la question du retour. Pour donner l’image d’un Etat réconciliateur, les premières réconciliations réalisées en 1994 et 1995 dans les villages où des chrétiens ont été massacrés en réaction à l'assassinat de Kamal Joumblatt, par exemple à Bârûk /Fraydis (10 septembre 1994), ont été accompagnés d’un festival politique sous le parrainage du président de la République. Le MD a voulu donner une visibilité nationale aux réconciliations locales druzo-chrétiennes du Mont Liban pour étayer son discours officiel : elles constituent un aspect de la « réconciliation et de l’unité nationales ». La réconciliation du Mont Liban s’est inspirée d’une procédure coutumière de gestion des conflits, son modèle spontané. Elle est la prérogative de zu’amâ’ (pluriel de za’îm, chef politique d’une communauté religieuse), de personnalités religieuses et elle est axée sur la reconnaissance du tort et le paiement d’une réparation. Elle rétablit le lien entre les familles de l’agresseur et de l’agressé, et, plus généralement, le pacte social. Les 32 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 victimes – celles qui ont été atteintes par la perte d’un proche - sont au cœur de la procédure coutumière. Si la réconciliation du Mont Liban les a visées, elles n’ont, en général, pas fait partie du processus institué. Il n’y a pas eu d’espace aménagé pour leur parole. Mais elles ont toujours tenu à exprimer le besoin de mémoire dans sa finalité : se rappeler pour éviter la récidive. Les victimes réclament d’interroger ce qui s’est passé. Elles ne comprennent pas pourquoi la mémoire du lien n’a pu éviter massacres et déplacements et pourquoi un conflit politique s’est confessionnalisé ignorant cette mémoire (mémoire du « pain et du sel », mémoire d’un lien privilégié « nous étions une seule personne », « nous ne savions pas qui était qui »). La musâlaha n’est donc pas le fruit d’une « Commission de vérité et de réconciliation » comme ce fut le cas dans certains pays sortis de guerre (Argentine, Afrique du Sud, Maroc…). Cet organisme non judiciaire a pour objectif de faire la lumière sur les violations des droits de l’homme ainsi que des propositions pour que celles-ci ne se reproduisent pas. La réconciliation du Mont Liban est en revanche un processus de pacification et d’indemnisation qui a neutralisé les velléités de vengeance permettant ainsi aux déplacés de revenir dans leurs localités, du moins au niveau de la décision politique. Quant au retour réel, il est intimement associé aux conditions économiques provoquées par l’exode rural et exacerbées par la guerre et ses conséquences. Etant au cœur de l’identité du villageois peu importe son appartenance confessionnelle, la terre devrait donc être au cœur de la problématique du retour et de la reconstitution du lien social. Aïda Kanafani-Zahar, préface d’Antoine Garapon 2011. Liban : la guerre et la mémoire. Presses Universitaires de Rennes. Collection Histoire, 260 p. - 2004. « La réconciliation des druzes et des chrétiens du Mont Liban ou le retour à un code coutumier ». Critique internationale, n° 23, p. 55-75. 2004. Documentaire : Liban : réconciliations d’après-guerre (57’) écrit par Aïda Kanafani-Zahar et réalisé par Olivier Doat et Aïda Kanafani-Zahar, Paris, Alif Productions. Labaki Boutros et Khalil Abou Rjeily, 1993. Bilan des guerres du Liban 1975-1990. Paris, L'Harmattan, 256 p. Valognes Jean-Pierre 1994. Vie et mort des chrétiens d'Orient. Des origines à nos jours. Paris, Fayard, 973 p. Références bibliographiques Chevallier Dominique 1988. « Comment l’Etat a-t-il été compris au Liban ? ». In Lebanon : a History of Conflict and Consensus, Nadim Shehadi and Dana Haffar Mills (eds). London, The Centre for Lebanese Studies in association with I.B. Tauris & Co Ltd Publishers, pp. 210-223. 33 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 L’encadrement juridique des associations agricoles dans le Souss et le rôle du religieux Bertram Turner Senior Research Fellow Institut Max-Planck pour l’Anthropologie Sociale Dans ma présentation, j’analyse la réintroduction et la transformation d’un ancien mode de production agricole, suite aux effets croissants de la mondialisation. Ce processus nécessita une révision du cadre juridique. Celle-ci, en revanche, reflète une mise au point du juridique en accord avec les conceptions locales du religieux. Elle a démarré à une époque où la prédominance d’une interprétation locale du religieux n’était pas remise en cause. Entretemps, la situation a changé. À l’instar d’autres régions du monde, le Maroc est aujourd’hui le théâtre d’une reconfiguration des relations entre le juridique et le religieux. Le rapport entre ces deux sphères apparaît plus que jamais contesté. L’expansion des modèles religieux et juridiques standardisés au niveau global a remis en question certains arrangements locaux de la gestion des ressources naturelles. De plus, la confrontation avec de nouveaux modèles de ce qui est considéré juste, correcte ou pieux, a engendré un état de confusion sociale ainsi qu’une vulnérabilité économique dans le milieu rural. J’avance l’hypothèse que cette situation peut donner lieu à un renforcement de l’expression locale du religieux, sans que pour autant il y ait un rattachement à un quelconque modèle transnational du salut. Les données empiriques que j’ai recueillies dans la plaine du Souss, dans le sud-ouest du Maroc, entre 1996 et 2005, mettent en lumière le défi récent d’un modèle classique du type imbrication juridicoreligieux. Le modèle des associations agricoles, une stratégie locale face à l’état d’insécurité juridique permanent Un bref aperçu du modèle local des associations agricoles et de leur relance dans le Souss permet de comprendre ce qui était en jeu lorsque l’intervention internationale toucha la région. Commençons avec la création des conditions préalables pendant l’ère du protectorat. La transformation fondamentale des relations de la propriété foncière s’accompagna de la mainmise des colons français sur de vastes terrains dans la plaine du Souss. De grandes plantations d’agrumes et plus tard de légumes y ont été créées à partir des années 1940 malgré la loi du protectorat qui interdisait aux colons de s’engager dans cette partie du Maroc classée « Maroc inutile ». Cette époque marqua pour le Souss le début d’une production agricole orientée vers les marchés extérieurs et le début d’un défrichement progressif de la forêt d’arganier, écosystème unique et objet d’intervention transnational progressif depuis 1998. Ce mouvement se poursuivit après l’indépendance du Maroc et aboutit à la transmission des fermes des propriétaires français aux mains d’une nouvelle élite rurale. En plus de cette élite rurale naissante, seul un petit nombre d’investisseurs locaux, disposant de budgets moyens et plus proches de la classe inférieure, parvint à acheter des terrains. Ainsi s’amorça la stratification sociale de la population paysanne. Ceux qui furent forcés de vendre leurs terrains à l’époque du protectorat sont devenus des journaliers 35 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 dépendant de l’offre d’emploi des grands fermiers. Lorsque la propriété foncière passa aux mains des Marocains, le besoin important en main d’œuvre agricole dans ces fermes, notamment pour la gestion de l’irrigation, permit aux paysans qui avaient vendu leurs terrains de trouver un emploi. Cependant, effet secondaire de la modernisation, le surpompage hydrique dans la région du Souss augmenta considérablement le coût de l’eau. À partir des années 1980, les fermiers commencèrent donc à rationaliser le système d’irrigation et à économiser la main d’œuvre grâce à l’introduction de techniques modernes comme l’irrigation au goutte à goutte. En conséquence, de nombreux ouvriers furent licenciés. Pendant ce temps-là s’opéra une nouvelle transformation dans la région suite à l’introduction de la tomate comme nouvelle denrée commerciale destinée au marché international : les paysans paupérisés adaptèrent l’exemple de la production des tomates dans les grandes fermes et commencèrent à réactiver le modèle traditionnel des associations de production agricole (chr’ka) afin de trouver un nouveau moyen de subsistance. Ils combinèrent donc le savoir nécessaire pour la culture d’un nouveau produit agricole commercial avec un ancien mode de production. Ce modèle repose sur le principe du contrat de coopération entre, d’une part, un propriétaire et fermier ayant assez de moyens pour assumer le rôle d’investisseur et, d’autre part, un petit paysan. Ce dernier n’a souvent à offrir que sa force de travail et, dans le cas précis étudié ici, la main-d’œuvre de tous les membres de sa famille, y compris les femmes. En principe, la répartition des responsabilités entre les deux partenaires est toujours à négocier. La version la plus courante est nommée khémisset d’après les cinq (khamsa) composantes de la production agricole : la terre, les semences, les outils (engrais inclus) et l’eau sont à la charge de l’investisseur ; le travail est fourni par « l’associé actif ». Pour devenir « associé actif », il faut donc trouver pour partenaire un investisseur qui fournisse les moyens de production à l’exception du travail. À la fin d’un cycle agricole, les deux partenaires se partagent le profit selon la répartition initiale. En cas de khémisset, l’investisseur prendra quatre parts des bénéfices, alors que le travailleur n’aura droit qu’à une part. Les champs utilisés pour les cultures peuvent faire partie de la propriété de l’investisseur ou être loués par lui. Il ne s’agit que rarement du terrain appartenant au travailleur qui, dans ce cas-là, peut réclamer deux parts des bénéfices. Ces associations ont disparu durant la période du protectorat. Elles avaient la réputation d’être basées sur des relations de dépendance et d’exploitation de celui qui ne participe que par sa capacité de travail. Néanmoins ce modèle sembla applicable à la production de tomates et permit à ceux qui n’étaient pas propriétaires de terrains de participer aussi au marché agricole moderne. Les fermiers disposés à servir d’investisseurs ne font pas partie du petit groupe de l’élite rurale. Ce dernier regarde les petits journaliers et les propriétaires de petits terrains comme un obstacle à une production agricole moderne. Les investisseurs potentiels sont les propriétaires qui ont réussi à résister aux offres de vente de terrains susmentionnées. Il s’avéra que le modèle disposa de plusieurs avantages. Les investissements nécessaires ne furent que très faibles par rapport aux plantations d’agrumes qui prédominaient jusqu’alors. De plus, comme la culture de la tomate nécessite toujours un champ fertile, il fallait cycliquement louer de nouveaux terrains. Au fil du temps, une grande partie des terrains agricoles étaient tombés en jachère. Ce manque de terrains 36 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 irrigables entraîna une extension de la production de tomates dans la forêt où les petits paysans disposaient toujours de leurs droits de jouissance individuels. En s’associant avec des investisseurs, ils pouvaient mettre à contribution leurs droits d’exploitation de parcelles de la forêt. Il y eut alors un changement considérable dans le système de production en coopération. La production se concentra dès lors sur la forêt et mit ainsi les associés actifs dans une situation plus favorable, puisqu’ils pouvaient profiter de leurs droits de jouissance comme composante territoriale d’un contrat khémisset. Toutefois, ce système présente de multiples risques. La production en association est un système de coopération qui n’est pas couvert par la loi nationale. Ainsi ces associations opèrent dans une insécurité juridique. L’État, en effet, considère cette manière de produire en association comme une méthode ancienne de production assimilable au capitalisme rentier oriental. Comme on m’a assuré mainte fois à l’ORMVA (Office Régional de Mise en Valeur Agricole) et autres institutions étatiques depuis 1995 : « Ça va disparaître très bientôt ». De plus, ces agences agricoles de l’État se montrent plus favorables à la concentration des moyens de production entre les mains des élites rurales de l’après-indépendance et ne sont apparemment pas trop motivées pour assurer un cadre favorisant la survie des petits producteurs. La loi islamique orthodoxe non plus n’est pas favorable à un mode de production considéré comme basé sur le risque et la spéculation illicite. En somme tous ces aspects ont nécessité un ajustement du juridique et c’est ici que le religieux entre en jeu. D’une part, il faut reconnaître que ces associations se trouvent toujours dans une situation juridique incertaine au-delà du contexte social et local. D’autre part, on peut souligner que les Souassa se mirent à consolider cette forme de production fondée sur leurs valeurs religieuses et sociales. Ils l’intégrèrent dans le répertoire juridique local et créèrent ainsi un terrain de confiance nécessaire entre partenaires inégaux. La seule référence juridique fiable dans le domaine de la production agricole collective est donc celle légitimée par le consensus local, ancrée dans une conception morale de l’Islam populaire. C’est ainsi qu’avec le rétablissement de la production agricole en association, une réévaluation de la morale locale eut lieu. Les associations se fondent désormais sur un contrat oral conclu en public devant l’assemblée du village et sont reconnues par les institutions locales. Conclure un contrat s’accompagne de pratiques religieuses comme le partage d’un repas béni et une prière en commun. L’interdépendance des deux parties est régie par un ensemble d’obligations à connotation religieuse. Le recours à la religion assure une protection des partenaires productifs autrement vulnérables vis-à-vis des partenaires investisseurs. Celui qui travaille la terre s’engage à remplir le contrat par un serment religieux ; ainsi il est tenu de montrer sa capacité et sa fiabilité. Pour sa part, le partenaire investisseur apporte sa réputation de personne pieuse et honnête comme garantie qu’il remplira le contrat. L’association lie dès lors des partenaires aux positions asymétriques ; celui qui offre sa force de travail ne reçoit comme garantie de la future bonne conduite de l’investisseur que la réputation de ce dernier. Pour être crédible, ce dernier devrait être de préférence hajj, c’est-à-dire qu’il doit avoir accompli le pèlerinage de la Mecque. Il est largement admis qu’un hajj ne peut se permettre un comportement compromettant et qu’il est en général soucieux de ne pas endommager son « capital spirituel ». Par conséquent, un investisseur potentiel dont la réputation se trouve entachée ne trouvera plus 37 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 d’associés. L’individu religieux Souassa apparaît en fait défini par l’adoption d’une identité morale locale qu’il doit exercer à travers un comportement approprié, des actes symboliques et des actions de la vie quotidienne qui lui permettent de gagner la confiance de l’entourage. Il se doit, par exemple, d’investir une partie de ses biens dans l’infrastructure sociale de la communauté et dans l’entraide (tou’iza). Il se doit aussi d’observer des règles de redistribution de ses bénéfices et d’accomplir des gestes de solidarité prescrits par des préceptes religieux. Ainsi, il doit régulièrement pratiquer la charité (sadaqa signifie littéralement « bienfaisance »), aider les pauvres, contribuer à l’organisation des rituels locaux ou montrer son intention de partager une partie de ses revenus d’une autre façon. Les obligations qu’il doit assumer envers son partenaire sont, cependant, limitées et liées à des occasions précises. L’investisseur invite son partenaire à l’occasion de la conclusion du contrat, il lui accorde un crédit pendant la pousse des cultures, il consent à une petite association supplémentaire, par exemple l’élevage de quelques chèvres, même si cela ne lui rapporte pas grand-chose, et il fait des petits cadeaux à l’occasion des fêtes religieuses. Les relations de coopération ainsi fondées peuvent durer pendant des années. La faible position du partenaire travaillant apparaît surtout à la fin du contrat. Il est, par exemple, du devoir de l’investisseur de s’occuper de la vente de la récolte. Il peut donc en profiter pour prétendre avoir obtenu un prix plus bas que le prix réel. Son associé, ayant droit à sa part du bénéfice, ne peut en appeler qu’à la réputation de l’investisseur. La religion locale agit alors comme un répertoire provisoirement mis en veille et revalorisé à l’occasion. De cette manière, les obligations distributives liées à l’exploitation des ressources naturelles sont réintroduites dans un système de production commerciale et sont mises à jour en particulier par les associés d’aujourd’hui. Il en a résulté de ce développement que l’expansion de la production des tomates dans la forêt a comporté des modifications du droit coutumier. Le statut des parcelles dans la forêt a été assimilé à de la propriété foncière individuelle toutefois sans perdre complètement son ancrage dans la conception traditionnelle d’une gestion collective des ressources naturelles. L’introduction de la production intensive de la tomate a favorisé l’établissement d’un marché des parcelles. Concrètement, les terrains dans la forêt accessibles selon le droit coutumier de jouissance individuelle, ont été commercialisés. Ces parcelles ont été de plus en plus traitées comme des terrains melk et les ayant droit ont commencé à louer ou à vendre leur droit de jouissance. En plus, les périodes traditionnelles de fermeture de la forêt (agdal) n’ont plus été respectées ainsi que le droit de pâturage collectif parce que tous ces détails du droit local sont allés à l’encontre de la logique d’une production agricole irriguée destinée à l’exportation. En somme l’exploitation de la ressource forestière pour la production et pour l’exportation a accru la pression sur la forêt d’arganiers. L’intervention compétitive des acteurs transnationaux et son impact local Le recours aux associations agricoles apparaît donc à la fois stimulé et mise en compétition par l’intégration de la région dans le marché global des produits agricoles. En plus de l’introduction de l’agriculture moderne, d’autres facteurs contribuèrent au cours des années 1990 à l’interaction du Souss avec un environnement élargi. Des phénomènes antérieurement locaux s’inscrivirent désormais dans un contexte global et par conséquent dans une perspective juridique relevant de l’échelle transnationale. 38 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Ainsi, c’est tout le modèle local d’exploitation des ressources naturelles qui se trouva mis à l’épreuve. Cette phase débuta par la prise en considération, au niveau transnational, de l’importance de l’arganeraie comme un écosystème unique. La coopération en faveur du développement porta sur l’utilisation durable des ressources naturelles, sur la protection de l’environnement et sur la conservation du patrimoine. En même temps, la modernisation de l’agriculture et la lutte contre la pauvreté s’organisèrent très rapidement dès que les acteurs transnationaux découvrirent l’arganeraie comme un champ d’intervention. Le Souss accueillit alors des organisations d’aide au développement, comme l’organisation allemande GTZ (Coopération Technique pour le Développement), Oxfam Canada, ainsi que des acteurs globaux comme la Banque Mondiale (BM), le Fond Monétaire International (FMI) et l’UNESCO. Le principal « paquet » de règles législatives fut fixé par le programme de l’UNESCO « Man and the Biosphere » et par le programme de l’ONU contre la désertification. La structure la plus large fut définie par les conventions internationales telles que la « Convention de Rio » (1992) et la « Convention de la Lutte contre la Désertification » (1994). Parallèlement quelques agences de développement se sont également engagées comme consultants dans l’agriculture hypermoderne. Dans le même temps, la connexion de la région avec le marché global et l’économie néolibérale s’est intensifiée. L’ouverture du marché du foncier aux investissements agricoles, ainsi que la convention de libre échange avec les Etats-Unis (2006) et l’accord d’association avec l’Union Européenne (2004) complétèrent la mise en forme de ces interactions d’échelles reliant directement la région avec l’économie globale. Les acteurs du développement appliquèrent une approche participative et tentèrent de prendre en considération les besoins de la population locale. Cependant la mobilisation des Souassa dans le projet de mondialisation demeura limitée. Cette réticence locale s’explique entre autres par le fait que les conceptions transnationales contradictoires, par exemple celle de la protection de l’arganeraie comme « patrimoine de l’humanité » et celle de l’intégration de la même ressource dans l’économie néolibérale, aboutiraient de toutes manières à priver les Souassa de leurs droits. Tandis que des discours contradictoires sur ces différentes facettes de l’intégration du Souss dans le processus de mondialisation influençaient la notion locale de propriété, y compris les dimensions morales et religieuses de la production en association agricole dans la forêt, un autre acteur, engagé dans le discours transnational du religieux basé sur ou inspiré par l’approche islamique du salafisme, se faisait remarquer. Cette influence commença à devenir évidente à partir de 1999 dans le Souss rural. Les adhérents de ce mouvement, imbus de leur devoir de donner des conseils religieux et juridique à la population locale sur n’importe quelle affaire rurale, furent toutefois bien peu préparés à cette tâche. En réalité, les activistes prétendant représenter le salafisme dans le Souss ne semblèrent guère être en phase avec la vie rurale. Pourtant, les Salafi critiquèrent les Souassa pour ce qu’ils considéraient être des violations des prescriptions islamiques. Les adhérents de ce groupe propagèrent une approche juridique intégrant une vision islamique universelle de la gestion et de l’accès aux ressources naturelles, qui se trouva en directe contradiction avec le modèle néolibéral. Ces positions ont cependant en commun avec ce dernier leur faible compatibilité avec les exigences de la société rurale. Idéologie néolibérale et prescriptions 39 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Salafi furent introduites de force par des intéressés externes. Sans entrer dans les détails, ce qui est utile de mentionner ici, c’est le fait que la pratique des associations agricoles (fondée sur l’identité religieuse locale) dans l’arganeraie est devenue la cible de la critique plus ou moins ouverte des acteurs des interventions extérieures. Les acteurs transnationaux impliqués dans la protection environnementale de la forêt considérèrent que les associations de producteurs dégradaient la biosphère. Il faut souligner que ces agents du développement ignorèrent complètement la connotation socio-religieuse de la production en association. Le fait que les liens entre les membres des communautés rurales reposent sur un maillage d’obligations distributives et de droits partagés leur échappa, et ils ciblèrent leurs efforts sur les conséquences écologiques estimées dévastatrices sur ce système. Il faut en effet reconnaître que depuis l’introduction de l’agriculture moderne, les habitudes d’exploitation de la forêt développées par tous les paysans du Souss ne furent jamais en accord avec les principes d’un développement durable. Le seul fait du surpompage incessant en constitue une preuve évidente. On constata que les villageois Souassa concernés comprirent la critique adressée à leurs associations agricoles comme visant leur réseau social et leur religiosité locale. Aussi, les adhérents locaux du mouvement Salafi ne s’en prirent pas aux associations agricoles malgré leur position ambiguë devant la loi islamique, mais insistèrent pour qu’elles soient réformées. Ils se préoccupèrent moins du caractère d’économie à risque des associations et leur ancrage dans l’Islam populaire avec sa charge spirituelle spécifique, mais davantage de « protéger » la femme travailleuse. Ils demandèrent un habillement correct des femmes même pendant le travail agricole, ce qui signifie, entre autres, le port du voile ainsi que de gants. De plus, ils exigèrent de surélever les brise-vents pour les transformer ainsi en paravents anti-regards. L’introduction de telles mesures aurait considérablement augmenté les coûts de production. De surcroît, même l’investisseur qui est censé faire des visites de contrôle devrait crier avant de s’approcher du champ. Cela aurait signifié une contradiction avec son devoir de contrôler le développement de l’opération. Mais l’exigence la plus curieuse était l’interdiction des chants traditionnels pendant le travail. Ce dernier point rendit finalement l’approche religieuse des Salafi peu crédible aux yeux de la majorité des Souassa. * L’interconnexion croissante des champs juridiques et religieux D’un point de vue général, l’articulation de toutes ces réserves envers la production agricole en association et particulièrement envers son encadrement juridique et spirituel a inspiré une accentuation du religieux dans les réflexions juridiques au niveau local. Les dynamiques décrites ici déclenchèrent finalement un regain d’affirmation locale face aux diverses interventions transnationales. Les ONG et les autres acteurs du développement, les représentants du pouvoir politique central de l’État et les activistes islamiques compromirent la gestion informelle de l’accès aux ressources qui tirait sa légitimité de sa référence aux valeurs coutumières. La comparaison du modèle local avec les diverses suggestions extérieures de réformes révéla finalement les avantages d’un modèle local équilibré, renforcé par quelques emprunts au répertoire transnational. Ainsi les Souassa préservèrent la signification de la production agricole en association, en ce qui concerne la construction de réseaux sociaux et d’alliances stratégiques. L’arrangement le plus remarquable, celui qui assura la protection la plus solide de l’ordre local, fut de faire reposer 40 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 ce dernier sur un règlement moral de la gestion des ressources, un ordre adapté de façon à permettre la participation des Souassa aux échanges globaux et qui, finalement, ancra l’identité collective rurale dans la version locale de l’Islam populaire. 41 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Crimes et châtiments : intentionnalité et diya (prix du sang) en Algérie et au Soudan Yazid Ben Hounet Chargé de recherche au CNRS Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris Dans le cadre de cette contribution, je montrerai en quoi les seules références au droit islamique, et à la coutume (‘ûrf), ne permettent pas de comprendre entièrement les applications actuelles de la diya (prix du sang), pratique pourtant inscrite dans le Coran et reprise dans différentes jurisprudences islamiques. Il est vrai que d’autres chercheurs (notamment Schlee, 2002 ; Drieskens, 2005) ont montré l’importance des rapports de force entre familles ou groupes claniques dans l’application ou non du prix du sang et dans les modalités mêmes de la compensation (en particulier en ce qui concerne son montant). Mais c’est sur d’autres éléments que portera ma contribution. Après avoir présenté les contours normatifs de la diya en islam, et plus précisément en Algérie et au Soudan, je prendrai deux exemples qui illustrent les aspects pratiques (pragmatiques) qui orientent les décisions des acteurs (juges ou médiateurs, mashûl) quant à l’application ou non du prix du sang. Je discuterai en particulier de la question de la définition, toujours contextuelle, de l’intentionnalité en montrant que l’argumentaire religieux y est, tout au moins dans les exemples étudiés, inexistant. Le prix du sang (diya) : cadre normatif Le prix du sang (diya en arabe, diyith chez les berbérophones, diyeh dans le mode turcophone) 1 est une des modalités de 1 La diya (plu. diyât), un terme coranique, qui dérive du verbe wadâ, de la racine WDY, signifie règlement de la violence que l’on retrouve dans les mondes musulmans. La diya correspond à une quantité déterminée de biens due pour cause d’homicide ou autres atteintes à l’intégrité physique, commis injustement sur autrui. C’est un substitut du droit de vengeance privée. Mais dans une acception restreinte, qui est la plus courante en droit, la diya désigne seulement la compensation due pour l’homicide (Tyan, 1965, p. 350). La pratique de la diya est un fait coutumier, remontant à l’époque préislamique, mais qui a également des racines juridiques et théologiques puisque l’origine en est rapportée dans la tradition islamique au rachat du sacrifice du père du Prophète (Chelhod, 1986, p. 141). Dans le Coran, la diya est présentée comme un adoucissement, « une faveur de la miséricorde de Dieu », à la loi du talion (Sourate II « la vache », versets 178179). Elle est prescrite uniquement en ce qui concerne l’homicide involontaire d’un croyant sur un autre croyant. L’extension de la compensation à l’homicide volontaire relève quant à elle des hadiths, ensemble des dires, décisions, jugements et actes imputés au Prophète et à ses compagnons. Ceux-ci font état de plusieurs cas de diya – dans le cadre d’homicides volontaires – auxquels le Prophète est confronté personnellement (Daaïf, 2006). Cette possibilité est reconnue et acceptée, mais pour ce faire, les ayants droit étymologiquement compensation ». « ce qui est versé en 42 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 de la victime (awliyâ’ al-qatîl) doivent accorder leur pardon au meurtrier, et accepter une compensation financière qui sera à la charge de celui-ci et non pas de son clan (‘âqila). La diya fut ainsi reprise et discutée par les divers fiqh, jurisprudences islamiques, de l’islam sunnite (hanafite, hanbalite, shafiite et notamment le fiqh malékite utilisé, entre autres, en Afrique du Nord). Elle est également reconnue dans la tradition shiite. L’application du prix du sang varie selon les écoles. Toutes s’accordent, comme dans le Coran, sur le bien fondé de la diya s’agissant de l’homicide involontaire. Certaines concèdent plus de possibilités de procéder au prix du sang dans le cas d’homicide volontaire. Les écoles hanbalite et shafiite reconnaissent, par exemple, aux héritiers de la victime le droit de choisir entre le talion, lorsqu’il est applicable, et le prix du sang. Mais les jurisprudences hanafite et malékite admettent moins le droit de se prévaloir du prix du sang quand le talion est prescrit. Les héritiers peuvent cependant l’accepter si celuici est offert par le coupable ou son groupe (Anderson, 1951, p. 812). On retrouve dans ces jurisprudences des indications précises des compensations, selon les cas, en cheptel ou en argent. C’est également en référence à la coutume (‘ûrf) 2 , ou à ce que Joseph Chelhod appelle le droit coutumier 3 , en particulier bédouin, que se justifie la pratique du prix du sang, autant dans les pays ayant adopté la sharîca (loi coranique) que dans d’autres régions du monde musulman où la loi coranique n’est pas appliquée. Le ‘ûrf est souvent utilisé, selon notre auteur, par le juge musulman (qâdî). Ainsi dit-il : « Le wergeld [terme germanique définissant le prix du sang] lui-même n’est envisagé, par l’Islam, que 2 Etymologiquement ce mot renvoie aux conventions usuelles. Je dois cette précision à Abderrahmane Moussaoui. 3 Ce dernier définit le ‘ûrf comme un droit non écrit qui règle les rapports avec autrui (Chelhod, 1971). d’une manière très générale […] Dans un grand nombre de cas, le qâdî se réfère à des règles coutumières » (Chelhod, 1986, p. 26). En raison de son inscription dans la tradition islamique et plus précisément dans le Coran, la diya a été intégrée aux droits pénaux étatiques de quelques pays ayant adopté la sharîca (la loi coranique), tels l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Soudan… Il faut enfin noter que la diya fait également, localement et parmi les autorités religieuses, l’objet de débats et de reconsidérations quant aux modalités de son application actuelle. À titre d’exemple, en 2004, lors de la conférence internationale pour la famille (Doha, Qatar), le grand théologien Yusuf al-Qardawi a défendu l’idée que le montant du prix du sang devait être le même pour l’homme et la femme. Cette prescription fut par la suite reprise dans le droit de l’émirat du Qatar 4 . La diya au Soudan 5 Contrairement à l’Algérie, le Soudan – qui se veut une république islamique – a intégré la diya dans le cadre de son droit pénal. L’inscription de la diya dans le code pénal soudanais remonte à 1983, mais son application actuelle relève des dispositions du nouveau code pénal de 1991. Les conditions et estimations de la diya sont donc définies par ce dernier qui distingue deux types : la diya complète et la diya aggravée, ainsi que la responsabilité juridique de la ‘aqila (le clan), dont la définition intègre à la fois la parenté agnatique, mais également l’assurance et 4 http://www.islamonline.net/English/News/200412/24/article05.shtml; http://www.courrierinternational.com/article/2009/04 /30/le-prix-du-sang 5 Il est important de signaler que le prix du sang existe aussi bien dans le Nord arabophone (diya) que dans le Sud (sous d’autres appellations, cut chez les Nuer par exemple). Certaines compensations, en particulier celles ayant trait aux cas d’atteintes à l’intégrité physique, se font en dehors de tout arbitrage des tribunaux d’Etat. 43 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 l’employeur, voire la corporation professionnelle. Dans l’article 43 du droit pénal de 1991, relatif au jugement de la diya, celle-ci peut être ordonnée par le juge dans les cas suivants : a. meurtre ou blessures volontaires, si le talion (qisas) est abandonné (par la victime ou ses ayants droits) ; b. homicide semi intentionnel ou blessures semi intentionnelles ; c. homicide ou blessures causées par négligences ; d. homicide ou blessures causées par un mineur ou une personne sans capacité de discernement. L’article 45 stipule les personnes responsables du règlement de la compensation : a. le coupable dans le cas d’homicide ou blessures volontaires ; b. le coupable et son clan (‘aqila) dans le cas d’homicide ou blessures semi intentionnelles ou causées par négligence. Dans ce même article, il est indiqué que le clan comprend la parenté paternel du coupable, ou son assureur, les personnes juridiquement responsables du coupable, et l’employeur si l’offense a lieu durant la période de travail. Le prix du sang, pour homicide, a été estimé, en 2000, à un maximum de trois millions de dinars (diya aggravée, lorsque l’homicide est volontaire et que la famille du coupable accepte la compensation à la place du talion) et à un minimum de deux millions (diya complète, lorsque l’homicide est involontaire, par négligence) 6 , soit environ 10 000 euros dans le premier cas et 6 600 euros dans le second. La commission soudanaise chargée de l’évaluation de la diya a ainsi procédé à l'estimation monétaire de son montant, conformément à la jurisprudence islamique (école malékite), qui prend en considération l'âge des dromadaires, afin que la diya comprenne 20 ibn makhad [dromadaires 6 Edit pénal n°1 de l'an 2000. Sujet : évaluation aux dispositions de la diya [prix de sang] et les moyens de l'exiger (traduction). Présidence du Corps judiciaire. Bureau technique de la Cour suprême, daté du 13 mars 2000. d'un an], 20 bint makhad [chamelles d'un an], 20 bint Laboun [chamelles de deux ans], 20 haqqa [dromadaires de trois ans] et 20 jazaa'a [dromadaires de quatre ans]. La diya en Algérie Dans certaines régions de l’Algérie, et en particulier dans les zones sahariennes et présahariennes, la diya est encore pratiquée bien qu’elle ne soit pas reconnue dans le droit algérien. Il s’agit donc d’une pratique qui s’effectue parallèlement aux procédures de la justice étatique. J’aborde ici plus précisément la manière dont la diya est appliquée dans la région d’Ain Sefra (Sud Oranais). Je traite en particulier de la diya pour les affaires d’homicide involontaire et volontaire, et non pas les compensations pour coups et blessures 7 . Localement, certains de mes interlocuteurs impliqués dans les affaires de diya soulignent qu’il ne s’agit plus de diya à proprement parler. Dans le droit malékite et dans la coutume bédouine, la compensation de la diya est en effet normalement de 100 dromadaires pour un homicide involontaire. Or, les montants des compensations dans la région d’Ain Sefra sont nettement inférieures : environ 100 000 Da 8 , soit le prix de 10 moutons 9 , pour un homicide involontaire. Les raisons invoquées sont d’une part la cherté de la vie et d’autre part le fait que le coupable ou son assurance lorsqu’il s’agit d’accidents – et il 7 Lorsqu’il y a homicide, la justice d’Etat se saisit obligatoirement de l’affaire. On notera cependant qu’une grande partie des affaires de coups et blessures involontaires et volontaires se règlent généralement sans recourir à la justice étatique. 8 Le salaire minimum est de 12 000 Da (environ 120 euros) en Algérie. 9 Je mets cette indication à titre comparatif. Le mouton ne constitue cependant pas l’unité de mesure actuelle de la diya. Il est toutefois intéressant de noter que le mouton, et son sacrifice, jouent un rôle important dans les rituels de réconciliation (cf. également Ben Hounet 2010). 44 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 s’agit là des cas les plus fréquents – doit encore payer à la famille de la victime les frais relatifs aux dommages et intérêts prononcés lors du jugement civil, ainsi que l’amende qui aura été fixée lors du jugement pénal. La diya est surtout pratiquée localement lorsqu’il s’agit d’homicide involontaire. Il existe même un système pour ces cas là : toutes les fractions de la confédération tribale des ‘Amûr – confédération tribale qui est implantée dans la région d’Ain Sefra et qui constitue la majeure partie de sa population 10 –, mais aussi avec eux les habitants du qsar de Sfissifa (l’un des villages traditionnels de la région) et les familles des Awlâd Ziad (un lignage implanté dans la région depuis les années 80) contribuent à la diya 11 . Chaque fraction a un ou deux médiateurs, responsables (mashûl) chargés de collecter la somme qui sera donnée à la famille de la victime. Celle-ci s’élevait à 80 000 Da pour l’homicide involontaire d’un enfant, 100 000 Da pour une femme et 120 000 Da pour un homme. Elle a récemment (début 2008) été fixée à 100 000 Da quel que soit le genre et l’âge de la victime. Mais lorsqu’il s’agit d’homicide volontaire, ce système ne fonctionne plus et lorsque le principe de la compensation est accepté par la famille de la victime, il appartient seulement à la famille agnatique 12 du coupable de réunir la somme qui est souvent plus importante (entre 100 000 et 400 000 Da). 10 Les ‘Amûr forment une confédération comprenant trois grandes tribus : les Swala, les Awlâd Salim et les Awlâd Bûbkar. 11 Les autres tribus et lignages de la région, tels les Awlâd Bûtkhill (habitants du qsar d’Ain Sefra) et les Awlâd Sid Tadj, ne participent pas à ce système. Ils contribuent à la diya de manière indépendante. 12 Localement, on parle de ceux qui portent le même nom que le coupable et non pas nécessairement de la famille agnatique jusqu’au cinquième degré, les khamsa mis en exergue par Joseph Chelhod pour les Bédouins du Proche-Orient (1971). L’intentionnalité en question Comme on l’a vu, l’intentionnalité de l’homicide conditionne l’application de la diya. J’aimerais ici montrer que la définition de l’intentionnalité ne va pas forcément de soi et qu’elle relève de considérations qui ne reposent pas nécessairement sur le droit islamique ni sur la coutume (‘ûrf), ni même sur l’argumentaire religieux. Je prendrai, pour illustrer cette idée, deux exemples, l’un soudanais, l’autre algérien. Cas soudanais Il s’agit ici d’une décision énoncée par un juge à l’issu d’un procès ayant eu lieu au tribunal de Khartoum Nord et établie en date du 1er juillet 2007. Le procès en question porte sur un homicide perpétré en 2005 dans le marché arabe de Khartoum, l’accusé s’étant par ailleurs enfui d’un hôpital psychiatrique avant de poignarder la victime. L’objet du procès fut de définir si l’homicide relevait du meurtre (homicide intentionnel) ou s’il fut involontaire (en raison de la probable démence de l’accusé). On suivra ici l’exposé de la décision, telle qu’elle apparaît dans sa version écrite, et dans lequel il n’est pas fait usage de référence au registre religieux, si ce n’est en préambule avec la formule canonique « Au nom de Dieu, Le Clément, Le Miséricordieux », la décision se fondant sur des considérations scientifiques (rapport du médecin légiste) et un argumentaire qui se veut logique/rationaliste et répondant aux articles du code pénal soudanais (cf. annexe). On extrait ici l’argumentation quant à la question de savoir comment définir l’intentionnalité de l’acte : « l’accusé a utilisé un couteau exposé pour poignarder la victime causant une blessure profonde au niveau du thorax suivie d’une hémorragie intense. […] Dans la déposition des témoins de 45 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 l’accusation, ces derniers constatent une blessure au niveau du thorax et une hémorragie due à la blessure. Le rapport du médecin légiste confirme les faits. La cour a conclu dans ce cas qu’en raison de l’utilisation du couteau au niveau du cœur (partie sensible du corps humain) et de sa localisation au niveau du thorax, l’accusé était conscient que cet acte entraînerait la mort ». On remarquera donc que la décision ne se fonde pas sur la personnalité de l’accusé, ses éventuelles motivations, comme elle ne fait que peu de cas du fait que l’arme n’était pas originellement en sa possession (puisqu’il s’agissait d’un couteau d’Oman exposé à la vente). C’est bien des considérations plus pragmatiques – la nature et l’emplacement du coup porté – qui orientent la décision de la cour : avec comme raisonnement « logique » que l’emplacement du coup porté indique la conscience de la gravité de l’acte. L’accusé fut ainsi reconnu responsable et la cour écarta l’hypothèse de l’instabilité mentale. C’est à dire que l’homicide ne fut pas considéré comme involontaire, mais comme semi intentionnel 13 . La personne fut ainsi emprisonnée et soumise au paiement de la diya aggravée. Cet exemple montre assez bien que, comme le note Baudouin Dupret, le juge (et la cour) « s’attache sans doute plus à manifester sa capacité à juger correctement, selon les standards de la profession, les contraintes formelles qui s’appliquent à son exercice, les 13 Article 131/2 « Notwithstanding the provision of section 130 (1), culpable homicide shall be deemed to semi-intentional in any of the following case: (i) Where the offender commits culpable homicide under the influence of mental, psychological or nervous disturbance, which manifestly affects his ability to control his acts. 131/3: Whoever commits the offence of semi-intentional homicide shall be punished, with imprisonment, for a term, not exceeding five years, without prejudice to the right of diya. sources juridiques sur lesquelles elle s’appuie et les normes du travail interprétatif qu’elle suppose, qu’à réitérer le primat islamique du droit qu’il met en œuvre ». Ainsi, on constate que la décision ne s’appuie sur aucun cas inscrit, que ce soit dans la tradition islamique (hadith), dans la jurisprudence islamique classique, ou bien encore dans la coutume. Passons maintenant au deuxième exemple, algérien celui-ci. Cas algérien Lors de mon dernier séjour dans la région d’Ain Sefra (Mont des Ksour), en octobre dernier (2010), j’ai eu connaissance d’un meurtre commis par un semi-nomade de la fraction des Lamdabih et impliquant 5 membres de la fraction des Awlad Shahmi (un meurtrier présumé et 4 complices présumés), ce meurtre ayant eut lieu en mars 2010. Trois tentatives de réconciliation ont été entreprises par des notables de la région avec proposition de diya, en vain, le père de la victime refusant toute possibilité de réconciliation entre fractions impliquées et l’acceptation de la diya avant que la justice ne se prononce. Le père attendait en effet que soit éclairci, au niveau du tribunal, le rôle joué par les 4 autres personnes pour mesurer le degré de complicité et de préméditation du crime et donc les possibilités de réconciliation, non pas avec les coupables mais avec leurs clans d’appartenance. Le procès n’ayant pas encore eu lieu, le différend restait encore ouvert et, par mesure de précaution et pour prévenir d’autres attaques, les tentes de la fraction des coupables, auparavant voisines de celles de la famille de la victime, furent déplacées à plus de 100 km. Ce cas de figure présente des analogies mais se distingue également d’un autre cas ayant eu lieu au sein de cette confédération tribale en 2006. Deux membres de la fraction des Awlâd ‘Abdallah (tribu des Awlâd Bûbkar, confédération des ‘Amûr) avaient en effet tué deux membres de la 46 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 fraction des Lambadbih (de la même tribu). Ces deux homicides volontaires faisaient suite à une dispute. Les coupables furent alors emprisonnés. Les pères des coupables et les membres du clan des Awlâd ‘Abdallah cherchèrent à engager une diya. Plusieurs notables appartenant à la confédération des ‘Amûr furent sollicités pour accompagner des membres du clan des Awlâd ‘Abdallah et obtenir un règlement du conflit latent. Après maintes sollicitations et pressions des notables, les familles des victimes acceptèrent la compensation. Ce qu’il y a d’intéressant dans ces deux cas, ce n’est pas tant l’issue distincte, le fait que la diya fut acceptée dans le cas survenu en 2006 et refusée, tout au moins jusqu’à présent, dans celui de 2010. Ce qui interpelle c’est bien l’implication des mashûl, des médiateurs, responsables de la compensation, appartenant aux différentes fractions, dans ces affaires. En effet, la plupart des mashûl que j’ai eu à interroger m’indiquait qu’ils ne s’impliquaient pas dans le cadre d’homicide volontaire (qatl ‘amdi), à moins qu’il ne s’agisse d’un membre de leur propre clan. Or, les cas présentés, sont à priori, des homicides volontaires. J’expliquerai ici que les conditions spatiotemporelles des homicides impliquent chez les mashûl une autre interprétation de l’intentionnalité. Utilisant le concept de nomosphere, Bertram Turner montre par exemple les incidences de la dimension spatio-temporelle dans le cadre d’une affaire d’alcoolisme et de dispute survenue de nuit et à proximité d’un marché villageois de la région du Souss marocain 14 . Lorsque j’ai discuté avec les différents mashûl de leur implication dans le cadre de ces 14 Bertram Turner, « Religious Subtleties in Disputing: spatiotemporal inscriptions of faith in the nomosphere in rural Morocco », papier présenté au colloque Religion in Disputes, Max Planck Institut, Halle, 27-29 octobre 2010. affaires d’homicide volontaire, tous m’ont indiqué les deux éléments suivants : que les homicides avaient eu lieu « du coté de Fortassa » et à l’époque du printemps « rbi‘ ». Pas un seul ne m’avait indiqué les dates et emplacements exacts des homicides, comme aurait pu le faire par exemple un commissaire ou un juge. Mais cette définition spécifique du cadre spatio-temporel des homicides est en soi une justification/interprétation de l’intentionnalité. En effet, l’expression « mjit Fortassa », « du coté de Fortassa », indique que les homicides ont eu lieu loin de la ville principale (Ain Sefra), dans un espace dévolu au pastoralisme, à proximité par ailleurs de la frontière marocaine (et donc également dans un espace de contrebande). Quant au terme « rbi‘ », il indique que les affaires ont eu lieu au printemps, autrement dit à la période durant laquelle les pasteurs nomades sont en quête de pâturages pour leur bêtes, donc une période potentiellement conflictuelle. Nombreux furent par ailleurs les mashûl qui m’évoquèrent la mauvaise foi des différents protagonistes. En d’autres termes, le fait que les affaires aient eu lieu sur un tel espace et à une telle période implique que les homicides sont davantage considérés comme semi intentionnels. Si les homicides avaient eu lieu en ville ou à une autre période, ils auraient été probablement qualifiés d’intentionnels et les mashûl ne se seraient pas impliqués. * Ces deux cas illustrent bien que la qualification de l’intentionnalité ne repose aucunement sur l’argumentaire religieux. Les acteurs sont ici inscrits dans différentes logiques propres aux contextes dans lesquels opèrent les règlements des affaires (cour de tribunal dans un cas / arrangement conciliatoire hors tribunaux dans le second). Les arguments renvoient par ailleurs à des interprétations situées et spécifiques : recours aux témoins et médecin légiste dans le 47 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 premier cas ; connaissance du contexte spatiotemporel dans le second cas. Chelhod, Joseph, 1971. Le droit dans la société bédouine, recherches ethnologiques sur le ‘orf ou droit coutumier des Bédouins. Paris, Marcel Rivière et Cie. Chelhod, Joseph 1986. Les structures du sacré chez les Arabes. Paris, Maisonneuve et Larose. Daaïf, Lahcen, 2006. « Le prix du sang (diya) au premier siècle de l’islam ». Hypothèses, n°1, p. 329342. Références bibliographiques Anderson, James Norman Dalrymple, 1951. « Homicide in islamic law ». Bulletin of the School of Oriental and African Studies, vol. 13 (4), p. 811-828. Ben Hounet, Yazid, 2010. « La diya (prix du sang) : gestion sociale de la violence et logiques sacrificielles en Algérie (Sud-Oranais) ». Annales de la Fondation Fyssen, n° 24, p.196-215. Drieskens, Barbara, 2005. « What happened? Stories, judgements and reconciliations ». Egypte Monde Arabe, n° 1, p. 145-158. Schlee, Gunther, 2002. « Régularités dans le chaos. Traits récurrents dans l’organisation politicoreligieuse et militaire des Somali ». L’Homme, n° 161, p. 17-50. Tyan, E., 1965. « Diya », Encyclopédie de l'Islam, tome II. Leiden, E. J. Brill ; Paris, Maisonneuve & Larose, p. 350-352. Annexe : Décision du tribunal de Khartoum Nord (1er juillet 2007) Au nom de Dieu, Le Clément, Le Miséricordieux La décision se résume et est établie en date du 1/07/2007. L’accusé Haitam O. marchait dans une ruelle du centre de carburant au marché arabe de Khartoum, au sud de la Grande Mosquée, après s’être évadé du centre psychiatrique (kûbar). Il rencontra le défunt Abderrahmane E., et voyant en lui et en les autres passants des monstres qui voulaient le dévorer, il prit un couteau d’Oman, exposé à la vente, et poignarda Abderrahmane E. dans le dos, puis se rendit. La victime fut envoyée à l’hôpital où elle mourut. Une autopsie fut ordonnée suite à cet événement. L’accusé était dans un état psychologique lamentable et fut l’objet de traitements pour être en mesure de répondre de son acte. Il fut interrogé sur la base des faits attribués selon l’article 130 du code pénal. Dans sa déposition, il prétendit qu’il n’était pas conscient et qu’il ne pouvait pas être légalement responsable. La cour, dans les débats qui ont suivi, s’est référée à l’article 129 du code pénal qui se lit comme suit : « l’homicide, c’est donner la mort à une personne en vie avec ou sans préméditation. Et le meurtre (homicide volontaire), c’est donner la mort avec l’intention de la donner ». Comme il est stipulé dans l’article 130 du code pénal qui se lit comme suit : « le meurtre (homicide volontaire) c’est 1. donner la mort à une personne en vie ; 2. la préméditation de l’acte d’ôter la vie ; 3. la relation de l’acte avec la mort ». La cour a débattu des faits suivants : l’accusé Haitam O. a-t-il poignardé la victime Abderrahmane E. ? La réponse fut « oui ». Les témoins de l’accusation ont affirmé avoir vu la victime poignardée 48 dans le dos au marché arabe en présence de la police et elle fut transportée à l’hôpital où une autopsie fut ordonnée. Le rapport de l’autopsie révèle une plaie au niveau de la cage thoracique d’une profondeur de 9cm et d’une largeur de 1cm du côté gauche. On a constaté aussi une plaie au niveau du diaphragme, et le ventricule gauche du cœur est transpercé. Les causes du décès sont la plaie au niveau du cœur et une hémorragie due à la blessure. Le document est signé par le médecin légiste Dr. Akil Ennour S. E., en date du 01.07.2005. Le deuxième débat tenta de déterminer si l’accusé avait l’intention de donner la mort au défunt. L’intention est définie par l’article 3 du code pénal et sur la base du cas référencé « Gouvernement du Soudan contre Aissa A. M. Vol n°72, p. 74 » : l’accusé a utilisé un couteau exposé pour poignarder la victime causant une blessure profonde au niveau du thorax suivie d’une hémorragie grave. […] Dans la déposition, des témoins de l’accusation constatent une blessure au niveau du thorax et une hémorragie due à la blessure. Le rapport du médecin légiste confirme les faits. La cour a donc conclu qu’en raison de l’utilisation du couteau au niveau du cœur (partie sensible du corps humain) et de sa localisation au niveau du thorax, l’accusé était conscient que cet acte entraînerait la mort. Le troisième débat enfin chercha à savoir s’il y avait relation entre l’acte et la mort de la victime. La réponse fut « oui ». Les témoins de l’accusation ont affirmé que la victime est tombée suite à la blessure avec le couteau et qu’elle est décédée suite à cela dans la même journée après le coup porté par l’accusé à la victime avec un objet tranchant (pièce à conviction n°2). Il n’y a pas d’évidence que d’autres éléments aient entraîné la mort de la victime. Après qu’il ait été prouvé que l’accusé eût commis un acte puni par l’article 130/2 du code pénal et qu’il ne fût ni dans un état de légitime défense, ni provoqué par la victime, il nous faut débattre quant à l’instabilité mentale, et nous posons la question suivante : est-ce que l’accusé était sous l’influence d’une instabilité mentale, psychologique ou nerveuse à un degré tel qu’il en était incapable de maîtriser ses actes ? Les témoins de l’accusation ont affirmé que l’accusé au moment des faits était psychologiquement instable, ses habits étaient déchirés et étaient sales. Cette déposition fut confirmée par le psychiatre qui déclara qu’il (l’accusé) était interné à l’hôpital psychiatrique où il suivait un traitement avant de s’évader et de commettre son crime et ajouta qu’il fut transféré d’un autre hôpital sous la recommandation d’un autre médecin (Dr. A.), sa famille se plaignant qu’il était violent et psychologiquement instable. Il était aussi alcoolique. Il a été interné sur la base de ce comportement. Dans un premier temps, il murmurait à l’hôpital, ce qui voulait dire qu’il entendait des voix. Après le traitement, les murmures ont disparu. On constate aussi que l’accusé avait, sans aucune raison, des crises de violence. Cette déclaration fut confirmée par son frère, qui déclara à la cour qu’ils étaient, lui-même et sa soeur, victimes de violence de la part de l’accusé avant qu’il ne soit interné. L’accusé fut reconnu responsable et la cour écarta l’hypothèse de l’instabilité mentale en se basant sur l’article 2/131 du code pénal qui définit la préméditation. Il fut reconnu coupable en vertu du code pénal de 1991. 49 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 Tracing the Spider’s Web: The Role of the Judge in Tunisian Divorce Cases Sarah Vincent-Grosso PhD Candidate, Department of Anthropology London School of Economics and Political Science Khaled and Rachida (1) Behind the closed doors of the Family Judge’s office, Khaled and Rachida sit facing each other on leather chairs huddled in anoraks and jeans to protect them from the cold. In the early stages of their divorce case, they have come for their first compulsory reconciliation session with the judge. Both earn a decent salary (around 500 dinars 1 per month), he as a salesman, she as an accountant. He has remained living in their home in the pleasant, seaside area of Ben Arous. Rachida has moved in with her brother. They also have a baby daughter who Khaled has not seen for 6 weeks, as she has been sent to live with his wife’s parents outside the capital. As it is Khaled who filed for divorce (without grounds 2 ), the judge turns to him first to ask about the reasons for their dispute. The troubles began when they left their rented flat and moved into a storey above his parent’s house, in spite of his promise that they would live independently. The judge, who has been leaning back against his chair and fumbling with his mobile phone, finally begins to make a call as Rachida starts telling her side of the story. Startled by this seemingly rude behaviour, I search the litigants’ faces for signs of a reaction. Later on, I would discover that, Equivalent to 259 euros or just over twice the Tunisian minimum wage. 2 There are three types of divorce available to men and women alike in Tunisia. Couples may divorce by consent, without grounds or for harm. The litigant filing for divorce without grounds must pay his or her spouse compensation. The litigant filing for divorce for harm may receive compensation for the harm suffered, provided they are able to provide sufficient evidence of this. 1 far from wishing to appear rude, the misplaced phone call was a strategy employed by the judge to cope with the frustrations encountered when carrying out this task of reconciling couples or, as some of the judges saw it, of saving families, a task which he personally endows with a great deal of moral significance. If law is a ‘spider’s web’, 3 as Latour has suggested in an enticing metaphor, what can be learned about its nature by following the activities of spiders? Or at least by following one of the potential spiders who weave and retrace its filaments, reproducing and reshaping its intricacies in practice? The interconnectedness implied by the image of the web is of particular appeal recalling Mitchell, who found that drawing a dividing line between legal structure and ‘society’ ‘fails to correspond to the complexities of what actually occurs, where code and practice tend to be inseparable aspects of one another.’ 4 Following spiders helps to unveil the falsity of this dichotomy in practice. The spider that this paper will focus on is the judge, or more specifically the Tunisian Reconciliation Judge who appears in the opening sketch. By exploring his frustrations and strategies, it aims to demonstrate how the judge serves as a crucial bridge between the ‘legal’ world inside the court and the ‘social’ world that is deemed to lie outside it. Based 3 4 Latour, 2010, p.277 Mitchell, p. 76 50 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 on ethnographic fieldwork 5 in the Court of First Instance of Ben Arous in the chamber dealing with Personal Status matters, 6 the paper will focus on the reconciliation sessions that are compulsory before a couple are entitled to divorce. Specifically, I will draw on my observations of these sessions and interviews with judges and litigants. To perform his 7 role as ‘Reconciliation Judge’, a judge must be present both as ‘legal’ and ‘social’ actor; he must be able to decipher the performances of the litigants who enter the court, situating them within a far broader context. All the time the judge is engaged in tracing these webs, he remains within the law. The legal code remains silent and does not define either ‘harm’ 8 or ‘marital duties’, concepts which are central to these divorce cases and to the arguments used by litigants as they strive to win a favourable divorce settlement. By defining ‘marital duties’ according to ‘custom and habit’, the legal code leaves the judge considerable interpretative power 9 and requires him to draw on particular forms of ‘social’ knowledge in his work. Equally, litigants display their understanding of the need to win the trust and support of the judge. A great deal (the divorce settlement and the custody of the children) is at stake in persuading him that you are a ‘good’ moral person and a ‘good’ husband or wife and that your spouse is not. During these sessions, the judge writes a summary of what has been said that is signed by the litigants; as these documents enter the divorce files and can be used as legally-valid evidence, it would be unwise for litigants to state anything that may be noted by the judge and used against them. This procedural fact contributes to a seemingly unavoidable paradox summed up by one judge: ‘the status of judge and the function of reconciliation are incompatible.’ As he put it, he saw his role in these sessions as “not to judge them, but to make them get on.” Consequently, it is not surprising that there may be “camouflage”, to use the judge’s term and to find that the couple do not want to talk about the “real reason.” Under the Camouflage The apparently misplaced phone call during the session was a strategy aimed at tearing down this ‘camouflage’ in order to get to the ‘real reasons’ for the divorce and to locate the couple socially to try to reconcile them. The judges I interviewed echoed a sense I had felt in the neighbourhood: a sense of unease based on the difficulty of locating people socially and knowing who to trust, given changing patterns of sociality in the rapidly expanding urban jungle. The proximity they craved and felt necessary to their task had been replaced by distance. A key source of identification for many of my informants was place of origin, inherited via the patriline. However, increasingly, place of origin does not correspond to place of residence or place of birth. Over the last few decades, waves of Field research was partially funded by a Sutasoma Award from the RAI. All names and some identifying details have been changed. 6 Fieldwork took place between May 2007 and December 2008 and was carried out both in the court and in a lower middle-class neighbourhood in the court’s jurisdiction. Ben Arous forms part of Greater Tunis. 7 It is of note that both male and female judges are present in Tunisia. The male pronoun is used here to reflect the gender of the judges discussed in this paper. 8 Further relevant dispositions in the legal code and jurisprudence coupled with the need to produce legally valid evidence do restrict the judge’s interpretative space in defining ‘harm’ in divorce cases. For a more detailed discussion see Vincent, Maktoub’: An Ethnography of Evidence in a Tunisian Divorce Court, in Voorhooeve (ed.), Family Law in Islam: Divorce, Marriage and Women in the Muslim World, Forthcoming. 9 See Voorhooeve’s chapter in the above volume for a detailed discussion of factor’s curtailing and opening these interpretative spaces. 5 51 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 migration from the country to the city saw the population of Ben Arous grow such as to merit opening its own Court of First Instance in the mid 1980s. As a judge explained, ‘the majority of people in Ben Arous and Greater Tunis come from all over Tunisia.’ The Family Judge gains an idea of the litigants from the information included in the file: job, salary, level of studies, where they were born and age. This enables him to place them in socio-economic categories: ‘well-off, middle, poor.’ The former judge, however, found that this information does not make up for other social clues that are lacking; it cannot tell him whom to trust: ‘after five minutes with them, I find that they have no character. They try to run away. They do not want to give me any information I could use to reconcile them… we cannot distinguish between right and wrong… They wear masks.’ I could not help wondering whether this unsettling heterogeneity of population was contributing to an orientation towards norms or ideals, which are increasingly homogenized at a national level. Some parts of the wider web have become inaccessible; other threads must be traced, and may be strengthened, instead. By the end of my time observing the court, the Family Judge had decided to carry out all the reconciliation sessions himself, rather than delegating some of them to his colleagues. He was willing to take on this heavy workload due to the responsibility he felt. He did not want to ‘divorce people he had never seen.’ ‘If I can see them, I can see their situation and who is right,’ he explained. ‘It is not the same just seeing the documents. It is personal status law, so you need to know the person.’ In the face of increasing distance, he seeks proximity with those he must judge. Acknowledging that much remains camouflaged, what are Khaled and Rachida willing to reveal in front of the judge? How do they attempt to persuade the judge that they are ‘right’ and their spouse is ‘wrong’? Which masks do they put on? Their performances speak to an implicit understanding of which arguments will be compelling to the judge and are underpinned by a common sense of shared morality. Khaled and Rachida (2) Rachida complains that she and Khaled had agreed to live away from his family, but that he had made her move in next to his parents when she was heavily pregnant. The judge tells her that she is wrong: “you cannot reject his family”. She reassures him that she does not reject them; she goes to them for Aid. But she cannot live there as they restrict her freedom. After she gave birth, her family managed to reconcile them and she returned to live with her husband on the promise that his father would allow her independence and freedom. In spite of this, his mother interfered. “His mum asked, ‘are his clothes washed?’” explains Rachida. “Who is responsible for my husband? Me or his mum.” The judge, trying to calm her, says, “If my mother asked my wife that, she would just say yes and she knows how to treat her.” Rachida insists that she tried to love her mother-in-law, but she interferes in their intimate relationships, even coming up to visit them at 5am. Khaled retaliates by claiming that she neglects her duties: “She goes out all day and leaves the baby with my mother. From 8am- 6pm. She wants me to erase my mum and dad from my life. My mother cooks us dinner. She thinks …. My mother dominates me. My wife left the baby in Sousse with her parents.” The judge asks the husband again if he wants to divorce. Rachida speaks over his reply saying that their daughter is ill and that she was thrown out. The judge asks her if she agrees to divorce. (If she agrees, the couple can divorce by consent; the case will be able to progress more quickly, but she will lose her entitlement to compensation). Rachida replies, “I don’t want to divorce. If I did, I would have asked for the divorce from the start. Do you men marry women for their salaries?” She claims that she has evidence that he caused problems for her at work. 52 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 She adds: “When he tastes my food, he says it is not delicious and his mother cooks better. He is not diplomatic. I don’t care about money. I have paid maintenance since I married and don’t keep count/accounts.” Rachida and Khaled enter into a battle over which of them has failed to carry out their marital duties. They orientate their discussion around those ideals of marital roles which are deemed not only to be comprehensible to the judge but find backing in law. The husband, as head of the household, 10 has a legal obligation to provide for his family; equally, all my informants unanimously agreed that maintenance is a male duty, just as caring for children and preparing the dinner are female duties. Given the difficulties of locating litigants and knowing who to trust, these arguments surrounding marital duties both speak of material issues and constitute a moral discourse seeking authority in the eyes of the judge. By appearing to be a good wife and mother, Rachida not only strives to improve her divorce settlement, but she simultaneously builds her moral authority in the hope of gaining his trust; she seeks to present herself as a good, moral person. As we will see, Khaled performs a similar role, stressing his ‘moral’ obligation to his parents as a good son. However, marital roles have been shifting in practice, 11 due to factors such as female education and unemployment. (Rachida, who holds a Master’s degree, is better educated than her husband). In addition, material reality does not often allow for the ideal to be realised. For financial reasons, young couples may be required to live with in-laws. Two salaries are frequently Article 23, Personal Status Code. Given the scope of this paper, here I am merely hinting at a subject worthy of far more nuanced and detailed debate. 10 needed to sustain the material needs of the up and coming middle-classes. Working mothers may well leave their children with their mother-in-law during working hours. The judge appears sympathetic to these contradicting demands as he encourages Rachida to be patient with her husband’s family. Following the webs back to his personal life, he uses his own wife to depict an ideal model of behaviour. Although I observed 61 reconciliation sessions, the judge only saw a glimmer of hope and actively sought to reconcile the couple in 8 of these. Among these, Rachida and Khaled were one of three couples where the heart of the problem seemed to lie between the wife and the husband’s family. In each of these cases, the judge put the onus on the husband to smooth out the relationship between his wife and parents to enable the marriage to continue. Rachida and Khaled (3) Rachida and Khaled argue between themselves, whilst the judge makes another phone call. Khaled says that the real problem lies with his parents. She tells him that he has no “character”. He replies that he has a “moral obligation” as they are his parents. Judge to Khaled: “Women are women. You must stop your mum, if she crosses her boundaries. It is not for the court to do this. Now I will give you advice about women. Sometimes a mother does not know her boundaries. A mother tries to... you must tell her, when she goes too far. Can you get your wife and mother to agree?” Khaled: “She thinks that everything my mother does is a mistake.” Judge to Khaled: “This is all down to you. This is your duty and you failed! As I see it, there is no problem between you as a couple.” 11 Khaled: “It is a problem between my parents and my 53 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 wife. But I feel now that she does not respect me.” ‘Passion is the least appropriate term to describe the attitude of judges in the course of a hearing … leaning back in their chairs, attentive or asleep, interested or indifferent, the judges always keep themselves at a distance. Only the claimants suffer to any degree.’ 12 Rachida: “Your parents dominate you and you just watch.” Judge to Khaled: “Don’t you try to convince yourself that these are not real reasons. I will give you another reconciliation session. Think how you imagine your life. What differentiates between men? There is no success, unless you can resolve problems. People management. Especially for men, more than for women, marriage, parents, colleagues etc. Each man has power.” The judge’s advice seems to address Khaled’s fear that his wife no longer respects him. It also reflects an understanding of expected marital roles, as opposed to actual marital roles, given the increasing impossibility of fulfilling these in the prevailing economic climate. Amidst what can be presumed about their material circumstances, that they are constrained to live with his parents and that her salary is essential to the household, the ideal, gendered division of labour cannot be upheld. Instead, the judge spins another thread, offers another possible path to enable Khaled to restore his injured masculinity, emphasising that he must manage the relationship between the women in his life; ‘each man has power.’ * The judge’s ability to get under the camouflage and remove the litigants’ masks relies on his capacity to act as a spider and navigate the multiple webs that extend out from his office. His frustrations arise from parts of the web that appear cut off. His strategies develop from his ability to navigate the intricate threads of the ideals and practice of marriage and to spin his own lines to help catch the litigants before they are lost. Latour, describing the judge at the French Conseil d’Etat, wrote that: The question remains as to whether the differences between Latour’s judge and the one described here result from a difference in methodological approach or the contrasting contexts of different types of law and different cultures. Whilst acknowledging these differences in context, this depiction nonetheless provides a foil to allow me to draw out some of the features of my spiderlike judge. Needless to say, I did not find my judge distant or indifferent; litigants and lawyers repeatedly emphasised the importance of his role and his powers of interpretation and did not expect to find him indifferent either. If anyone could have been seen to keep themselves at a distance, it was the litigants rather than the judge. By emphasizing the personal in personal status, the Family Judge sought to maximise his proximity with the divorcing litigants, a proximity he deemed vital to carry out his work successfully. One judge summed up the difficulty of these cases for the judges. In his opinion, he felt that our assiduous and well-respected Family Judge, ‘must sacrifice himself and his family’ by working on divorce cases. ‘It is not easy making a ruling that will split up a family.’ Caught up in the web that binds and that enables him to understand the litigants’ problems, he too may suffer. The interactions described between the judge and litigants are framed, if not determined, by the legal process. The ‘complexities of what actually goes on’ 13 , the 12 13 Latour, 2004, p.78 Mitchell, supra. 54 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 interconnectedness of the web that the spider has to trace, are acknowledged in the legal code that defines ‘marital duties’ according to ‘custom and habit.’ This acknowledges the impossibility of providing a satisfactory definition for ‘marital duties’ or ‘harm’, concepts as perpetually in flux as the economic and social webs in which they are held. The significance of the role of our spider, required to traverse complex webs in search of understanding and proximity, would seem to arise as the logical conclusion of this. Simultaneously, in navigating the web in certain ways, the spider contributes to its design; spinning new threads to strengthen the old in these reconciliation sessions, the nature of the web itself is perpetually reinforced and rewritten as this particular legal process is carried out in practice. References Latour, Bruno, Scientific Objects and Legal Objectivity in Pottage & Mundy (eds.), Law, Anthropology and the Constitution of the Social: Making Persons and Things, Cambridge University Press, 2004. Latour, Bruno, The Making of Law: An Ethnography of the Conseil d’Etat, Polity Press, (2002) 2010. Mitchell, Timothy, Society, Economy and the State Effect in G. Steinmetz (ed.), State/ Culture: State-Formation after the Cultural Turn, Cornell University Press, 1999, pp. 76. 55 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 An ethnomethodological study of judicial interpretation in Tunisia The case of paternity law Maaike Voorhoeve PhD candidate, Law Faculty University of Amsterdam Directly after Tunisia’s independence in 1956, the new president Habib Bourguiba issued the Personal Status Code (PSC, 1956). 1 This code has often been called ‘secular’ 2 , as ‘[t]he whole tenor of the [PSC] ran counter to traditional Muslim jurisprudence’. 3 Moreover, it applies to all Tunisians regardless of their religion 4 , and the code does not provide that in case of lacunae, judges should have recourse to the fiqh. 5 Nevertheless, Tunisian authors argue that judges continue to apply sharîca to interpret personal status law or even contra legem. 6 For example, Hafidha Chekir argues that ‘in all cases, when it concerns the interpretation of the PSC, the judge refers to Islamic law. C’est là une constante.’ 7 This situation made Yadh Ben Achour conclude that judges do not consider themselves bound by legislation, which leads to an ‘échec de l’Etat de droit’. 8 The statement that judges continue to apply sharîca in personal status cases is interesting, but its foundations are problematic. The authors in question argue that a judge applies sharîca if the decision resembles what the authors perceive as sharîca, 1 Law of 13 August 1956, published in Journal officiel tunisien, n° 104, 28 December 1956 2 Sana Ben Achour writes ‘None of the family codes that followed [the PSC] can be compared with it, not even the Moroccan Mudawwana that was recently issued (2004). More by what it grants, the PSC is remarkable for what it rejects. Fact is, that it pushed forward, unlike any other code, a secular logic […] [curs. MV].’ Sana Ben Achour, 2005-2006, p. 55. 3 C. H. Moore, 1965, p. 51 4 Law n° 57-39 of 27 September 1957 5 See for example Article 400 of the Moroccan Mudawwanat al-usra. 6 Kalthoum Méziou, 1992, p. 268, Mohamed Moncef Bouguerra, 2005, p. 567, Sana Ben Achour, 2007. 7 Hafidha Chékir, 1986, p. 449 8 Yadh Ben Achour, 1990, p. 69-71 even if the judge appoints other sources such as legislation or jurisprudence. In this way, the observers pretend to know more than the observed: they look from the outside at what judges do. 9 This study examines Tunisian judicial decision-making from within, following Garfinkel’s approach. Garfinkel investigated the rules that organise everyday activities, following the actor’s accounts. 10 In the footsteps of Garfinkel, I examine what rules judges appoint for the organisation of their activity of adjudication. 11 This is done on the basis of material collected during fieldwork in Tunisia (2008 - 2009), consisting of decisions from several Courts of First Instance (CFI), interviews with family judges and the observation of court sessions. I focus on paternity cases. The adjudication of paternity cases One morning, when I was attending sessions run by the adoption judge at the Cantonal Court in Tunis, an 18-year-old girl came in with her mother, aunt and uncle (sister and brother-in-law of the mother). The mother demanded that her daughter be adopted by the aunt and uncle. She told the judge that the girl was born out of wedlock, and that the mother had not seen the girl’s father in years. The girl said that she was happy to be adopted by her aunt and uncle, as she had been much with them all her life, spending a few days a week at their home, playing with her cousins. ‘But why adoption?’ the judge asked. The girl explained. As she was born out of wedlock, she did not have a family name (her mother’s name was inscribed on her birth certificate, but a child does not obtain his or her mother’s family name). Having finished high school at eighteen, she was looking for a Baudouin Dupret, 2005 Harold Garfinkel, 1967 11Baudouin Dupret 1998, 2005, 2006a and 2006b 9 10 56 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 job. However, whereas other Tunisians obtain an IDcard at the age of eighteen, she could not, due to the fact that she did not have a family name. Therefore, it was impossible to have a job legally, as she did not have a social security number either. For this reason, she needed to be adopted, as she would then be able to use her uncle’s family name. But her life would continue as it had always been: she would move between her mother’s house and the home of her soon to be adoptive parents. 12 If the child’s birth certificate does not mention the father’s family name, the Family Chamber at a CFI can summon the civil servant to register a family name on the child’s birth certificate. As is shown by the case described above, a family name is crucial to obtain full citizenship. Besides, it involves important financial rights vis-à-vis the father. Inscription of a family name on the child’s birth certificate can be requested on different grounds, namely Article 68 PSC, the ‘Law concerning the attribution of a family name to abandoned children and children of unknown descent’ (introduced in 1998, hereafter: the 1998 law) 13 and adoption (law of 1958). 14 My study focuses on the application of Article 68 PSC and the 1998 law. Article 68 PSC Article 68 PSC provides that ‘paternity (nasab) is proven by the bed (al-firash), or by recognition (iqrar) by the father, or by the testimony of two or more reliable witnesses’. The question arises whether this Article only applies to legitimate children, in the sense that legitimate paternity is proven by the three means mentioned (unclear). Let me explain. If Article 68 PSC applies to both legitimate and illegitimate children, the 12 Adoption session, President of the Cantonal Court Tunis, 27 August 2009 13 Law n° 98-75, 28 October 1998, revised by law no 2003-51, 7 July 2003 14 Law n° 58-27 of 4 March 1958. The Public Guardian can also provide the child with a name, which is generally a name derived from their place of birth (e.g. ‘Sfaxi’ for a child from Sfax). Previously, former president Bourguiba attributed his last name to children born out of wedlock (‘the children of Bourguiba’). provision would also allow the judge to effect a bond of legal paternity if it is clear that the child is born out of wedlock. In this case, the judge would be able to apply Article 68 PSC if the father states that he is the biological father of the child (recognition) or if witnesses testify that the mother was having a relationship with a certain man (witness declaration). In this case, effecting a bond of legal paternity would have the sense of a legal confirmation of biological paternity. If, however, Article 68 PSC only applies to legitimate children, this would mean that a judge will only summon the civil servant to inscribe the father’s name on the child’s birth certificate if the child is born during marriage. Normally in these cases the father’s name is registered on the birth certificate. But if for some reason it is not, the judge could apply Article 68 PSC on the grounds that recognition or witness declaration established that the parents were married at the moment of the child’s birth. In this case, the recognition or witness declaration would not concern the paternity, but the marriage. My material shows the following interpretation of this provision and the sources invoked for this interpretation by judges. In a case treated by the CFI Tunis, the man demanded application of Article 68 PSC, arguing that he was the biological father of his little girl Emna, and that he had married the mother three years after Emna’s birth. The Court stated that Article 68 PSC provides that paternity can be effected on the grounds of ‘the bed’, recognition and testimony, and that as ‘the bed’ in the context of Article 68 denotes ‘the marital bed’, the man’s recognition of his biological paternity can only bring about legal paternity if the child is born during marriage. 15 This decision only mentions Article 68 PSC as the rule that organises the act of adjudication. The lack of argumentation shows that the case is perceived as a matter of routine: as he does not deviate from his 15 CFI Tunis, 6 January 2009, 71289 (unpublished) 57 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 routine, the judge does not feel obliged to explain his act. 16 In a second case where the couple got married after their children were born, the argumentation is more developed. The Court argues: ‘the benefit of legal paternity is not awarded in the forbidden way (tariq muharram), as is imposed by the Tunisian legislator (al-tashri‘ altunisi) […] and this legal principle/sharîca principle (al-qa‘ida al-shar‘iyya) is affirmed in jurisprudence (fiqh al-qadha’) in a number of decisions from the Court of Cassation.’ 17 Although the difference with the previous case does not become clear from the decision, the argumentation shows that this time, the court does realize that it has discretionary powers. The first argument is that the Court of Cassation decided that such cases are not covered by Article 68 PSC. The second argument is less clear: the term tariq muharram (‘the forbidden way’) might point at the law (‘forbidden’), but Tunisian legislation does not prohibit sexual relations between people who are not married to each other, except in specific situations (sex with a minor, homosexuality, rape, or adultery). 18 As the case at hand did not concern one of these situations, it seems that ‘the forbidden way’ does not denote ‘legally forbidden’, but makes reference to another source of normativity. This is affirmed by the term al-qa‘ida alshar‘iyya: ‘shar‘iyya’ could literally mean ‘lawful’ or ‘according to sharîca’. As the law does not prohibit to have a child out of wedlock, it seems again that the court refers to another source of normativity, namely what the court calls sharîca. The 1998 law The practice to apply Article 68 PSC to legitimate children only, inspired the Association des Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) to demand protection of children born out of wedlock. 19 In response, the ‘Law concerning the attribution of a family name to abandoned children and children of unknown descent’ was introduced in 1998. This law, concerning illegitimate children only, did not replace Article 68 PSC: they stand side by side. The 1998 law provides that if biological paternity is proven (by recognition, testimony or a DNA test), the child has the right to the biological father’s family name. This has consequences for marriage impediments, and possibly for guardianship and custody, but most importantly it involves the father’s duty to pay child support (Articles 3 bis and 5). However, the law is silent about inheritance rights. In this sense, the 1998 law does not effect ‘full’ paternity. The following cases show how judges deal with this gap in the law. In three cases where the Public Prosecutor demanded application of the 1998 law, the two different Family Chambers at the CFI Tunis attributed the father’s family name only, depriving the child from child support, let alone inheritance rights. 20 There is no further elaboration of reasons for this restriction. In cases where the plaintiff demands full paternity on the grounds of the 1998 law, decisions do elaborate on the question why full paternity is not covered by the 1998 law. The CFI Sousse explains that ‘Article 68 PSC provides that paternity is proven by three means [i.e. the bed, recognition and testimony]. That these are limitative [i.e. that the means of proof in Article 68 PSC cannot be extended to the means of a DNA test] is confirmed by the fact that the 1998 law [which mentions the DNA test and] delimits [the use of this means] to the attribution of Founded in 1982 as Femmes Démocrates, legalised in 1989 as the ATFD. This organisation is one of the only organisations that is independent of the government, and that addresses issues with regard to women’s rights that trespass the limits of the official féminisme d’état, such as domestic violence, rape, and equal inheritance rights. See Sana Ben Achour, 2001. 20 CFI Tunis 5 January 2009, 71324, CFI Tunis 6 January 2009, 71173 and 71011 (all unpublished). 19 Garfinkel, 1968, especially pp. 35-75 (‘Studies of the routine grounds of everyday activities’), see also Van Rossum, 2003, pp. 160-161. On routine in adjudication: see Posner, 2008, p. 46 17 CFI Tunis 13 January 2009, 70831 (unpublished) 18 Articles 227 bis (sex with a minor), 230 (sodomy), 227 (rape) and 236 (adultery), Penal Code 16 58 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 the father’s family name without bringing about paternity.’ 21 The restrictive interpretation of the 1998 law is in line with the restrictive interpretation of Article 68 PSC, in the sense that this provision does not cover illegitimate paternity. Thus, assuming that Article 68 PSC prohibits illegitimate paternity, and assuming that the 1998 law is not in contradiction with Article 68, a DNA test cannot effect ´full´ legal paternity. In this decision, the rule that organizes the interpretation of the 1998 law is the relation between Article 68 PSC and the 1998 law, or the internal coherence of Tunisian legislation. This material shows that many judges do not accord ‘full’ paternity in cases where a child is born out of wedlock, invoking the law, on its own or together with other sources. But I came across one decision where a court did accord ‘full’ paternity despite the fact that the child was born out of wedlock. The Manouba case On 3 September 2003, a little girl named Taysir is born. The Public Attorney demands the attribution of the father’s family name on the grounds of the 1998 law. The demand is based on documents that prove that the mother had a relationship (‘alaqa) with the man. During court proceedings, a DNA test confirms the man’s biological paternity, after which the man acknowledges that he is the biological father of the child. The CFI of La Manouba decides as follows: 22 As the wording in Article 68 PSC is general, it applies in principle to the case in question concerning natural paternity And as paternity in the sense of a legal recognition of a biological bond is a fundamental right, which every child enjoys, and which is connected to other fundamental rights, like identity and moral and material rights CFI Sousse 29 February 2000, 40376. See also CFI Sfax 11 June 1999, 41164 (both in: Abd el-Kader, 1999-2000, annex 4) and Court of Cassation,16 November 2000, 4182/2000, in Ali Mezghani, 2005, pp. 679-680 22 CFI La Manouba, 2 December 2003, 16189/53 (unpublished). 21 And as a fundamental right is not protected except when it is recognised equally to all those who are entitled to it, without favouring some children while denying [this right] to others, out of respect of Article 6 of the Constitution which protects equality in rights and duties And as paternity is a right of the child, and recognition [of this right] should not depend on factors which exist by nature, and which [the child] cannot control, and as it would be unthinkable and illogical that the paternity of the child depends on the form which his parents have chosen for the organisation of their relationship And as these considerations explain the choice of the legislature to generalize the term nasab in Article 68 PSC And as this is confirmed by Article 2 paragraph 2 of the UN Convention of the Rights of the Child, ratified by the law of 29 November 1991, which protects the child against all forms of discrimination […] on the grounds of the situation of its parents, [discrimination] such as the denial of the right to paternity under the pretext that there is no bond between the parents by marriage, which would be a sanction which deprives the child from some of its fundamental rights, and moreover, which would lead to a situation in which there are two categories of children: a category who enjoys paternity with all its moral and material effects, and a category that is deprived of it, despite the fact that [the latter] is not considered to be guilty On the grounds of these considerations, the court applies Article 68 PSC to the case (going ultra vires as the demand was based on the 1998 law), stating that the arguments employed confirm that Article 68 PSC also applies to illegitimate children. The court invokes the following rules: ‐ Interpretation methods: grammatical interpretation, the intention of the legislator, and ‘logic’. The court argues that Article 68 PSC also applies to children born out of wedlock because the term nasab is general: it denotes ‘paternity’ instead of ‘legal paternity’, meaning that paternity, including biological paternity, is proven by recognition etc. (grammatical interpretation). Moreover, the court argues that the fact that the legislator employed the 59 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 vague term ‘nasab’, indicates that he intended to include both legitimate and illegitimate children. But the Court goes further when it argues that it would be illogical and unthinkable that the attribution of the right to paternity would depend on the question if its parents were married or not. Here, the court implies that this simply cannot be the idea behind the law, as that would be illogical. Here, the court almost seems to invoke justice, in the sense that it would be unjust if the right to paternity would depend on factors that the child cannot control. ‐ Additional sources of law: fundamental rights, the constitution and the CRC. The Court argues that Article 68 PSC also applies to illegitimate children as paternity is a fundamental right that is connected to other fundamental rights such as the right to an identity (a family name) and other moral and material rights (such as financial rights vis-àvis the father). When paternity is perceived as a fundamental right, this implies that it cannot be denied to anyone. Moreover, the court states that it follows from Article 6 of the Tunisian Constitution (the equality principle) that all children are equally entitled to the right to paternity and therefore, that Article 68 PSC also applies to children born out of wedlock. Finally, the court alleges that as the UN Convention of the Rights of the Child (CRC) protects the child from all discrimination and obstacles on the basis of the situation (markaz) of the parents, Article 68 PSC also applies to illegitimate children. Ethnomethodological analysis of the material The material shows how the law is applied and what sources are invoked as rules that organise adjudication. It allows us to draw conclusions on three levels. First, it demonstrates how judges understand their task of adjudicating in matters where a child is born out of wedlock. Second, it shows how judges understand the sources they invoke. Third, additional material from interviews might shed a differentiated light on the sources invoked. The courts invoke the following sources. For a restrictive interpretation of the law, courts mention legislation only, or together with an interpretation method (the coherence of the law in the case of the 1998 law) or additional sources of law (jurisprudence and sharîca) For an extensive interpretation of the law, the CFI of La Manouba equally invoked the legislation, together with interpretation methods (grammatical, the intention of the legislator and the logic of the law) and additional sources of law (fundamental rights, the constitution and the CRC). Yadh Ben Achour argued that judges apply sharîca instead of legislation and thus, they do not feel bound by the law. My material demonstrates that judges do invoke legislation, and thus, they perceive it as their task to apply the law. 23 Similarly, the ethnomethodological study of court decisions does not confirm that judges constantly apply sharîca: court decisions show a broad pallet of interpretation methods and additional sources. When we take a closer look at the sources invoked by judges, it is interesting to note that where judges interpret the law restrictively, their understanding of what sources can be employed differs from what is explicitly provided by law in this regard. Judges invoke jurisprudence and sharîca, although the law does not provide that jurisprudence and sharîca are a source of law. 24 The sources invoked for an extensive interpretation of the law (the Manouba case) are provided by law: the constitution and Baudouin Dupret calls this ‘the aim for procedural correctness’: judicial discretion is limited by the fear that the decision will be annulled in appeal. Baudouin Dupret, 2005. 24 Mohammed Charfi states that in Tunisia, jurisprudence is not an official source of law (Mohammed Charfi, 1997, pp. 194-197). With regard to sharia it should be remarked that neither the constitution, nor the civil code nor the PSC provide that this is a source of law. 23 60 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 international conventions take precedence over national law. 25 A second conclusion concerns the question of how judges understand the sources invoked. With regard to the 1998 law, it can be concluded that this is understood in the sense that it does not provide for full paternity. With regard to Article 68 PSC on the other hand, it can be concluded that this provision can be understood in two diametrically opposite ways: illegitimate children do and do not fall within the orbit of this provision. With regard to sharîca and jurisprudence it can be concluded that both are understood as prohibiting paternity out of wedlock. This is interesting, as both sources are clearly open to many different interpretations. Ben Halima argues that the fiqh does allow paternity out of wedlock, and Llewellyn underlined the fact that jurisprudence does not direct judicial decisions in any way, as there are always decisions in diametrically opposite 26 directions. With regard to fundamental rights, the constitution, and international conventions (in casu the CRC) it can be concluded that they are understood so as to oblige to accord the bond of paternity between the father and the child born out of wedlock. This is interesting as well, as these sources are vague and open to many different interpretations too. For example, it has equally been argued that the Tunisian constitution obliges to apply sharîca, as Article 1 provides that Islam is the state religion. 27 A third conclusion concerns the question of whether the sources invoked really directed the judge. I explicitly employed the verb ‘invoke’ instead of ‘employ’: that a decision mentions a source does not mean that it is actually used. This ironic stance vis-à Article 32, Constitution provides that ratified international conventions take precedence over national law. Rafaa Ben Achour argues that the same is true for the constitution (Rafaa Ben Achour, 1983). 26 Sassi Ben Halima argued that the Islamic legal notion of istilhaq provides for paternity outside marriage (Sassi Ben Halima, 1976, p. 121). Karl Llewellyn, 1930, pp. 70-76. 27 Sana Ben Achour, 2005-2006 25 vis legal argumentation is not contradictory with the ethnomethodological approach, as this approach explicitly remains as objective vis-à-vis the material as possible: the actor’s account shows how the actor understands his task, but it does not mean that he actually acts in accordance with it. This is especially true in the field of legal argumentation, as this activity has a significant convincing and thus rhetorical aspect. This rhetorical aspect of legal argumentation made some conclude that the sources invoked in court decisions are mere post hoc rationalizations. 28 In this light, I should point out that interviews with two family judges shed a differentiated light on the sources invoked in their decisions. These judges presided the Family Chambers of the Emna decision and the second decision described with regard to Article 68 PSC, as well as the three decisions concerning the 1998 law. In the interviews with these judges I asked why they interpreted Article 68 PSC restrictively. While in the decisions, these chambers refer to legislation, in interviews these judges did not. Both judges said that according to ‘Islamic law’ (‘droit islamique’), paternity cannot be established in cases of extra-marital sexual relations, as these relations are in themselves prohibited, constituting the crime of zina. One of the judges explained that in Tunisia, Islamic law is the highest source of legislation. When I asked how this relates to the Constitution and more specifically to the equality principle in Article 6, the judge answered that sharîca has a higher position in Tunisia than the Constitution, as the State religion is Islam [Article 1 Constitution].’ 29 The other Family Judge replied that indeed, Tunisian law cannot be contrary to Islamic law, as Tunisia is a Muslim country. This confirms Yadh Ben Achour’s statement that at least these two judges do not feel bound by legislation; they merely apply sharîca. The same might be true for the Manouba decision in the sense that the sources invoked did not direct the judge in any way, but were mere post hoc rationalisations. The Manouba decision is 28 29 A. A. d’Amato, 1984, p. 60 Interview 9 February 2009 61 Les Rencontres du CJB, n°1, 2011 clearly an act of judicial activism: my informants stressed that this decision in unique as it goes against general judicial practice. According to Kennedy, invoking fundamental rights, international conventions and the constitution is a typical feature of acts of judicial activism; they are mere ‘argument bytes’. 30 This would mean that this decision is not directed by legislation or the other sources invoked, which would again confirm Ben Achour’s statement that judges do not feel bound by legislation. Bibliography Abd el-Kader, A. La filiation paternelle après la loi du 28 octobre 1998, PhD thesis (unpublished), University of Tunis el-Manar, 1999-2000 Amato, A. A.. d’ Jurisprudence: a description and normative analysis of law. Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1984 Ben Achour, Rafaa « Le problème du contrôle de la constitutionnalité des lois par le juge ordinaire en Tunisie ». In Revue tunisienne de droit, 1983 Ben Achour, Sana « Féminisme d’État : féminisme ou défiguration du féminisme ? ». In Mélanges Mohammed Charfi. 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