La mobilité des jeunes8 dec11

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La mobilité des jeunes8 dec11
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La mobilité des jeunes : un enjeu de santé ?
Education Santé Ardèche / Education santé Drome
8 décembre 2011
Intervention de Patricia Medina, sociologue, chargée d’études à l’ORS Rhône-Alpes
1/ Rappel sur la santé des jeunes (15-25 ans)
- Les jeunes constituent la tranche d’âge qui est en meilleure santé par rapport aux autres
tranches d’âge (enfants, adultes et personnes âgées)
- Les jeunes jouissent donc globalement d’une bonne santé : c’est majoritairement en
matière de santé mentale, de mal-être que les difficultés peuvent exister.
- La principale cause de mortalité chez les jeunes : les accidents de la route (les garçons sont
plus concernés que les filles). La deuxième cause de mortalité chez les jeunes : le suicide (cf
souffrance psychique, mal-être). Une réflexion à mener sur mobilité et genre : les filles ontelles les mêmes démarches, ressources, contraintes et objectifs de mobilité que les
garçons ?
2/ La mobilité des jeunes : de quelle mobilité parle-t-on ?
- La mobilité ponctuelle : festive, conviviale, pour avoir accès à certaines ressources
o Bouger pour aller vers ses amis, vers des ressources de loisir, ponctuellement
o La mobilité ponctuelle en zones rurales : les lieux de regroupement dans les
villages, les plans d’eau, les bals, les boîtes de nuit,…Auxquels on n’accède pas si
l’on n’est pas motorisés. Sans cette possibilité de mobilité : l’ennui des jeunes, en
banlieues défavorisées comme en zone rurale « il y a rien à faire ici pour les
jeunes ».
- La mobilité de longue durée : déménager, changer de territoire pour faire ses études
trouver un emploi :
o La mobilité « migratoire » positive, qui ouvre de nouvelles perspectives de vie
(formation, réseaux sociaux, …), un changement positif, une amélioration des
conditions de vie, un enrichissement personnel
o La mobilité « migratoire » négative qui, en impliquant un changement de contexte
de vie plus ou moins important, peut parfois être vécue comme un déracinement
qui peut entrainer une perte des repères, de la souffrance psychique… La
migration peut alors constituer un facteur de déstabilisation moral, psychique,
notamment lorsqu’elle s’effectue dans un contexte de précarité économique, ou
aussi de précarité des liens avec les parents. L’absence ou la faiblesse de « portage »
parental peut rendre la mobilité plus difficile (cf jeunes suivis par les missions
locales)
o Une mobilité qui peut tout simplement faire peur, soulever des craintes (aller vers
l’inconnu, la ville qui semble immense et dangereuses, l’ailleurs qui semble
menaçant, même pour les jeunes… S’éloigner de l’univers que l’on maîtrise, où l’on
a ses repères).
Ainsi, les jeunes sont mieux « armés » que les personnes plus âgées pour une mobilité de
migration, mais la « mobilité migration » à néanmoins souvent un coût psychologique pour les
jeunes aussi, même lorsqu’elle a lieu au sein de la France (peur de l’éloignement, de la
nouveauté, …), et lorsqu’il y a n’ya pas de barrière de la langue…
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Patricia Medina – Observatoire Régional de la Santé Rhône-Alpes
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3/ L’effet « CSP » sur la mobilité des jeunes
- Pour les jeunes de CSP défavorisées, dans les zones rurales ou urbaines mais
économiquement sinistrées : une mobilité de survie, relativement subie, pour trouver un
emploi
- Pour les jeunes de CSP favorisées, dans ces mêmes territoires : plus facilement une mobilité
anticipée, choisie, facteur-clef d’évolution et de réussite : la mobilité pour faire des études,
faire évoluer sa carrière. Ex : les enfants des cadres internationaux, bi ou multilingues qui
changent de pays régulièrement et sont « préparés » à étudier dans de grandes universités
Les distances spatiales se réduisent pour les CSP élevées, mais restent importantes pour les
CSP défavorisées… De même le sentiment « d’appartenance territoriale » n’est pas le
même en fonction de la CSP, en fonction de la mobilité à laquelle les parents préparent
leurs enfants : des familles où la mobilité est une évolution qui va de soi, des familles qui
redoutent et freinent la mobilité.
Dans tous les cas, il est important de souligner que les jeunes héritent des avantages ou
désavantages de leurs parents selon la CSP qu’occupent ces derniers et que cela a un impact sur la
mobilité des jeunes : plus les parents sont défavorisés, plus la mobilité sera compliquée à organiser
(coût des transports, du logement, de la « vie ailleurs »). Dans certains cas, cette mobilité de longue
durée va même accroître la précarité du jeune, et « l’enfermer » dans des formes d’isolement plus
ou moins marquées (étudiants, apprentis, …), et des formes de dépressivité.
Tous les jeunes ne sont pas égaux face aux possibilités ou aux obligations de mobilité, tant au plan
sociologique que psychologique.
4/ Les effets psychologiques de la mobilité
La mobilité de longue durée peut entraîner un « déracinement » ou a minima une
« désorientation » chez certains jeunes, qui sont aggravés par les difficultés économiques, les
privations. La désorientation : perte des repères spatiaux, symboliques, en termes de réseaux
sociaux, qui sont en grande partie liés à la famille. Exemple des apprentis en CFA (Bourgoin-Jallieu,
Isère) qui en cas de maladie (angine, …) préfèrent attendre de rentrer chez eux le week-end pour
voir le médecin de famille, plutôt que de voir un médecin dans la ville où ils travaillent, ou dans la
ville où ils étudient. De même, les jeunes qui quittent le toit familial (emploi, mise en couple) et
changent de territoire : les logiques repérées de retour sur le « territoire des parents » pour
retrouver les ressources de santé cautionnées par les parents (médecins généraliste, gynécologue,
dentiste). Le recours aux ressources de santé n’est pas anodin : il est favorisé, facilité par le lien de
confiance tissé entre le jeune et ses parents, les parents et les professionnels de santé. Une partie
des jeunes, lorsqu’ils quittent le toit et le territoire familial préfèrent continuer à utiliser les
ressources de santé « validées » par les parents : la confiance prime sur la distance (CF étudiants,
jeunes suivis par les missions locales).
5/ La mobilité en zone urbaine, en zone rurale : des contraintes spécifiques
- En rural :
o éloignement et frontières physiques
La peur de certains parcours déplacements (la cote de Laffrey en Alpes-Sud
Isère, en hiver) : peur des accidents de la route et donc limitation de
certains trajets
L’éloignement des ressources et la dépendance aux parents si pas de
véhicule ou de scooter. Comme pour les adultes et les personnes âgées,
l’éloignement des ressources de santé rend le recours à ces ressources plus
difficile tant au plan du soin que de la prévention.
Des parents qui acceptent d’aider leurs enfants à se déplacer pour aller vers
les loisirs, notamment la nuit, mais aussi les ressources de santé, d’emploi,
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… L’acceptation par les parents d’aider leurs enfants à se déplacer : un bon
marqueur du lien parents-enfants ?
-
o Le scooter ou la voiture : des risques divers :
le risque d’accident de la route est très important (exemple : en Ardèche, sur
la période 2066-2008, 40% des décès des 15-24 ans sont du aux accidents
de la route et 34% dans la Drome, contre 32% en Rhône-Alpes et 33% en
France… Les garçons sont les plus touchés, et les accidents ont souvent un
lien avec la consommation d’alcool)
surinvestissement de la voiture en zone rurale ou péri-urbaine :
aménagements multiples et baffles surpuissantes… Risques d’altération de
l’audition.
o Le manque de transports en commun en zones rurales : difficultés à être mobiles
pour les jeunes qui ne peuvent pas conduire un véhicule ou un scooter (âge,
coût…). Le problème des jeunes qui conduisent sans permis et sans assurance
(zones rurales et péri-urbaines… Le permis à « un euro » ne semble pas fonctionner
très bien ?)
o Les politiques de mobilité des jeunes en zones rurales : souvent les jeunes sont une
tranche d’âge sous-représentée par rapport aux autres (ex : pyramide des âges en
Ardèche), de ce fait l’accent est davantage mis sur les couples avec enfants, les
personnes âgées… Les questions de mobilité des jeunes ne sont pas prioritaires en
zones rurales, alors que la mobilité des personnes âgées est davantage aménagée
(ex : système de transport des personnes âgées en véhicule de la communauté de
communes dans le Pays de Gex, pour faire des courses, aller à l’hôpital…)
En urbain : l’importance des frontières et distances symboliques
o Dans certaines zones urbaines sensibles : la logique des « quartiers » et la difficulté à
bouger d’un quartier à l’autre pour une partie des jeunes (parfois conflits,
altercations) : la mobilité entravée
o Les frontières urbaines physiques difficiles à franchir, pour les adultes comme pour
les jeunes (exemple quartier Terre des Fleurs « séparé » de Bourg-en-Bresse et relié
au reste de la ville par un souterrain : un passage très anxiogène et évité le soir).
o Le contrôle social dans les banlieues : sortir du « quartier », de la commune pour
utiliser des ressources sensibles à une distance qui permet de protéger la vie
privée, par exemple pour se rendre au Centres de Planification et d’Education
Familiale. La mobilité donne la liberté et une certaine autonomie
o Vivre en zone sensible en périphérie des villes ou en zone sensible à côté du centre
ville : un vécu et des représentations différents. Exemple : Les Minguettes
(Vénissieux), le Mas du Taureau (Vaulx-en-Velin) : sentiment de relégation, de
stigmatisation chez certains jeunes qui se sentent « tenus à l’écart » du centre-ville,
des beaux quartiers : la distance physique semble « aggraver » la distance socioéconomique avec les beaux quartiers… D’où aussi méconnaissance et crainte des
« beaux quartiers » : peurs de certains jeunes des banlieues défavorisées à utiliser
des ressources dans les beaux quartiers, ou éventuellement à accepter un emploi :
des distances « symboliques » qui rendent la mobilité difficile (Cf jeunes suivis par
les missions locales).
A l’inverse, habiter un quartier défavorisé en lisière des beaux quartiers : une
habitude de la proximité des beaux quartiers qui facilite la mobilité : un
apprivoisement de la « différence » plus facile pour les jeunes comme pour les
adultes.
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6/ Conclusion Coûts et avantages de la mobilité pour les jeunes
- La mobilité pour améliorer ses perspectives d’emploi, ses possibilités d’études : changer de
ville, de département, de région, de pays (hôtellerie restauration en Angleterre par
exemple, ERASMUS en Europe pour les Etudiants ou autres stages à l’étranger) : une
mobilité positive pour avoir plus d’opportunités
- La mobilité pour une plus grande ouverture intellectuelle, pour sortir du confort d’un
« entre soi » parfois enfermant, se libérer du poids de certains réseaux sociaux, de la
famille…Une mobilité positive pour avoir plus d’autonomie, de liberté de pensée et de
mouvement
- Mais la mobilité, ponctuelle ou de longue durée présentent également des risques :
o Physiques : les accidents de la route (ponctuel), dégradation des conditions de vie
chez les jeunes des CSP défavorisées (longue durée), …
o Psychiques (mobilité de longue durée) : risques de déracinement, de
désorientation, perte des réseaux sociaux et affectifs… Risque de mal-être, de
sentiment d’isolement, de perte de repères : de dépressivité
- A notre époque : une norme sociale, une injonction à la mobilité dans toutes ses
dimensions : souplesse, adaptabilité, flexibilité, capacité à changer de métier, de territoire,
de fonctions, … Mais la mobilité, surtout de longue durée créée de l’incertitude : et tous les
jeunes ne sont pas psychologiquement et sociologiquement préparés à gérer de fortes
doses d’incertitude. Tous les jeunes ne sont pas prêts à « bouger », immédiatement,
facilement, près ou loin…
D’où la nécessité de préparer les jeunes aux perspectives de mobilité, au plan psychique et
intellectuel (notamment s’il n’y a pas de préparation ou de portage parental), et de
développer des ressources d’accompagnement concretes pour ceux qui « partent » et qui
quittent leur territoire familier (cf jeunes suivis par les missions locales).
La mobilité est donc bien un enjeu pour accéder aux ressources de santé sur un territoire,
mais c’est également un enjeu de santé en soi, au plan psychique, du fait de ce qu’elle peut
impliquer pour le jeune en termes de contraintes ou de nouvelles possibilités.
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