Fiche complète - Emergence de la vie

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Fiche complète - Emergence de la vie
Émergence de la vie multicellulaire :
né dans les océans, un nouveau chapitre de l'histoire de la vie,
vieux de 2,1 milliards d'années
Auteur : Abderrazak EL ALBANI
Professeur, université de Poitiers,
UFR Sciences fondamentales et appliquées,
Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers,
UMR 7285 (HydrASA – Hydrogéologie, Argiles, Sols et Altérations),
Poitiers
L’histoire de la vie entre sa première apparition, il y a environ trois milliards et demi d’années (époque
archéenne), et « l’explosion cambrienne », autour de 600 millions d’années, est très peu connue. Mais c’est
au cours de cette période, appelée Protérozoïque, que la vie se diversifie : aux micro-organismes
unicellulaires ayant une simple membrane, mais privés de noyau – les procaryotes – s’ajoutent les
eucaryotes, organismes uni- ou pluricellulaires à organisation et métabolisme plus complexes et de plus
grande taille, caractérisés par des cellules qui, comme les nôtres, possèdent un noyau contenant l’ADN.
Cette phase extraordinaire de l’histoire de la vie de notre planète, qui passionne tant géologues, biologistes,
paléontologues et géochimistes, est malheureusement mal documentée par le registre fossile.
L'interprétation de ses rares traces, notamment des niveaux sédimentaires du Mésoprotérozoïque (1,61 milliard d’années), est l’objet depuis toujours de discussions animées entre spécialistes.
L’équipe internationale coordonnée par le professeur A. El Albani, composée d’une vingtaine de chercheurs
provenant de seize institutions scientifiques a apporté récemment une contribution majeure à l’histoire de
la vie multicellulaire macroscopique, la vieillissant de plusieurs centaines de millions d’années. Les résultats
de cette découverte sont publiés dans les revues anglaise Nature [2] et américaine Plos One [3].
En 2008, les chercheurs ont découvert, parfaitement préservés dans des sédiments marins du Gabon, vieux
de 2,1 milliards d'années (Ga), les restes fossiles d’une impressionnante variété d’organismes coloniaux
complexes, les plus anciens documentés à ce jour, de formes et de dimensions diverses, atteignant parfois
10-12 centimètres, et une densité de plus de 40 spécimens au mètre carré (photos 1 et 2). Ce biota gabonais
a été appelé « groupe des Gabonionta ».
Date de création : Février 2015
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Photo 1. Le site à macro-fossiles de 2,1 Ga, affleurant près de la ville de Franceville, au Gabon (© El Albani).
Photo 2. Les restes fossilisés des macro-organismes coloniaux du Gabon (© El Albani).
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Planche I. Reconstruction virtuelle (par microtomographie) de la morphologie externe (à gauche) et interne (à droite)
de trois spécimens fossiles du site gabonais (© El Albani - Mazurier).
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Outre les résultats des analyses minéralogiques et géochimiques (isotopes du soufre et géochimie du fer),
l’étude des figures et des structures sédimentaires a révélé que les macro-organismes du Gabon (planche I),
ayant subi une fossilisation rapide dans des conditions rarement aussi favorables, vivaient dans un
environnement marin d’eaux oxygénées peu profondes, souvent calmes mais périodiquement soumises à
l’influence conjuguée des marées, des vagues et des tempêtes. Pour se développer et se différencier à un
niveau jamais atteint auparavant, ces formes ont effectivement profité d’une phase temporaire
d’augmentation significative de la concentration en oxygène dans l’atmosphère, qui s’est produite entre 2,45
et 2,32 milliards d’années.
En effet vers 2,4 milliards d’années, la concentration en oxygène dans les océans et dans l’atmosphère se
met à augmenter pour atteindre un pic vers 2,1 milliards d’années [1]. Ce taux de concentration est très
inférieur à celui que nous connaissons aujourd’hui mais il est suffisant pour que l’oxygène se diffuse dans
l’hydrosphère, jusqu’à 30 à 40 m de profondeur. Puis l’oxygène va brusquement chuter vers 1,9 milliard
d’années, jusque vers 670 millions d’années. C’est une « période noire » en termes de registres fossiles pour
les paléontologues. Viendra ensuite l’explosion des formes de vie au Cambrien.
Mais par la suite, comme il est récurrent dans l’histoire de notre planète, les conditions de l’océan primitif
devinrent moins favorables aux organismes à métabolisme complexe. Il faudra donc attendre le début du
Cambrien, plus d’un milliard d’années après, pour assister à une nouvelle phase significative de diversification
et expansion de la vie (« l’explosion cambrienne »), à moins de nouvelles découvertes extraordinaires comme
celles du Gabon.
Jusqu'à présent, on retenait qu'avant deux milliards d'années la Terre était peuplée uniquement de microorganismes. Mais les fossiles du Gabon montrent que quelque chose de radicalement nouveau survint à cette
époque : des cellules avaient commencé à coopérer pour former des unités plus complexes et plus grandes.
À partir de ce moment, la voie s'est ouverte à de nouvelles expériences évolutives qui transformeront la
biosphère en l'enrichissant d'organismes qui jouent encore aujourd'hui un rôle majeur dans la biodiversité.
Pour en savoir plus :
[1] Canfield D.E., Ngombi Pemba L., Hammarlund E., Bengtson S., Chaussidon M., Gauthier-Lafaye F., Meunier
A., Riboulleau A., Rollion Bard C., Rouxel O., Asael D., Pierson-Wickmann A.-C. & El Albani A., 2013. Oxygen
dynamics in the aftermath of the Great Oxidation of Earth’s atmosphere. PNAS,
www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1315570110.
[2] El Albani A., Bengtson S., Canfield D.E., Bekker A., Macchiarelli R., Mazurier A., Hammarlund E., Boulvais
P., Dupuy J.-J., Fontaine C., Fürsich F.T., Gauthier-Lafaye F., Janvier P., Javaux E., Ossa Ossa F., PiersonWickmann A.-C., Riboulleau A., Sardini P., Vachard D., Whitehouse M. & Meunier A. (2010). Large colonial
organisms with coordinated growth in oxygenated environments 2.1 Gyr ago. Nature, Vol. 466, 1 July
2010 : 100-104. doi:10.1038/nature09166
[3] El Albani A., Bengtson S., Canfield D.E., Riboulleau A., Rollion Bard C., Macchiarelli R., Ngombi Pemba L.,
Hammarlund E., Meunier A., Moubiya Mouele I., Benzerara K., Bernard S., Boulvais P., Chaussidon M.,
Cesari C., Fontaine C., Chi-Fru E., Garcia Ruiz J.M., Gauthier-Lafaye F., Mazurier A., Pierson-Wickmann A.C.,
Rouxel O., Trentesaux A., Vecoli M., Versteegh G.J.M., White L., Whitehouse M. & Bekker A. (2014). The
2.1 Ga Old Francevillian Biota: Biogenicity, Taphonomy and Biodiversity. PLOS ONE, 9(6): e99438.
doi:10.1371/journal.pone.0099438, 26 juin 2014.
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