Nature et diversité des éléments patrimoniaux dans le - e

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Nature et diversité des éléments patrimoniaux dans le - e
nature et diversité des éléments
patrimoniaux dans le projet urbanistique
et architectural au Nord du Maroc :
Les cas de Tanger‑Tétouan
Boussif Ouasti 1
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espaces urbains à l’aube du xxie siècle • pups • 2010
Tétouan et Tanger, deux villes du Nord du Maroc, constituent des carrefours
des civilisations. La Fille de Grenade – Tétouan – se situe sur la Méditerranée en
face de l’Espagne et la cosmopolite Tanger, au croisement de l’océan Atlantique
et de la Méditerranée. Grâce à leur ouverture, ces deux villes marocaines se
singularisent par un patrimoine architectural polyvalent résultant d’une culture
plurielle. Si depuis fort longtemps, les deux villes sont restées fidèles à leur
tradition, avec l’arrivée du xxie siècle, elles se sont lancées dans une dynamique
de croissance, d’urbanisation et d’embellissement sans précédent. De nombreux
projets ambitieux ont commencé à changer le visage serein du nord du Maroc.
Vont‑elles alors conserver leur cachet de villes‑musées, et préserver leur
patrimoine contre le courant transformateur de la mondialisation ? Vont‑elles
plutôt participer à la concurrence de l’urbanisme moderne pour dynamiser
leur patrimoine architectural et infléchir son évolution vers les tendances du
xxie siècle tout en maintenant leur authenticité ?
Faisant preuve d’audace, d’inventivité et de modernité, le Maroc exprime la
volonté d’être un acteur structurant de la mondialisation, créant des lieux de
l’international : candidat aux Jeux olympiques, à l’Exposition internationale
2012, la construction du port Tanger Méditerranée aspire à figurer parmi les
premiers ports du monde en 2020, etc. Cet esprit d’entreprise, sans modestie
il est vrai, pousse le pays à devenir ainsi le centre du Maghreb. Parallèlement
à l’ambition d’une telle politique, la ville marocaine doit garder son essence
arabo‑musulmane dans son rapport à la modernité. Or, Tétouan et Tanger
n’ont, de ce point de vue, pas la même histoire. Ce sont donc deux itinéraires
et deux défis à la modernité.
1 Professeur honoraire à l’université de Tétouan (Maroc).
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« TANGER SE RÊVE EN DUBAÏ » (pl. XVII-XX)
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La région Tanger‑Tétouan a initié de grands projets d’envergure, en
partenariat avec divers organismes scientifiques et culturels, nationaux
et étrangers. Ces grands projets s’inscrivent dans le cadre d’un ambitieux
programme de mise à niveau de la ville et de l’aménagement de son territoire ;
ils doivent permettre à la ville de « changer de peau », car Tanger est appelée
à être la « nouvelle vitrine du royaume ». Pour ce faire, divers projets
d’aménagement, de construction et d’embellissement, ont été lancés pour
améliorer le paysage urbain des deux villes. La ville du détroit de Gibraltar
est en chantier bien avant 2000 :
– Mise en route du port Tanger Méditerranée et installation de zones franches
dans la région 2.
– Candidature pour l’Expo 2012.
– Mise à exécution du grand projet du complexe touristique et immobilier
Tanger City Center 3.
– Réaménagement et rénovation des espaces verts.
– Réaménagement des médinas, des sites culturels et historiques à valeur
patrimoniale.
– Le futur projet de la reconversion du port de Tanger vers la croisière et la
plaisance.
Les autorités visent ainsi l’amélioration du positionnement de Tanger parmi les
premières destinations touristiques.
On remarque que l’aménagement du territoire de Tanger implique une mise à
niveau de la ville. Pour ce faire, l’agence urbaine de Tanger a créé une cellule du
patrimoine chargée de mettre à exécution la stratégie générale de la protection
du patrimoine local :
2 Les premiers bateaux accostent en 2007. Dès lors le trafic atteint 3,5 millions de conteneurs,
un million de voitures et 500 000 camions attendus chaque année. On vise la création de 200 à
300 hôtels, 7 golfs, 3 parcs naturels, 1 cité des sciences, 1 lac artificiel, 6 centres commerciaux,
etc. Voir pl. XIX.
3 Les deux groupes immobiliers espagnols Fadesa et Anjoca sont désignés comme propriétaires
de ce projet. Le projet Tanger City Center se distingue par sa situation stratégique au
cœur de la baie de Tanger à proximité de la nouvelle gare ferroviaire. Ce projet comporte
cinq zones s’étendant sur une superficie de 3,4 hectares. La zone hôtelière se présente
sous forme de deux hôtels 5* et 4* et dont la capacité respective est de 560 et 440 lits.
La zone résidentielle est composée de 900 appartements haut standing. Najat Faïssal,
« Tanger change de peau grâce aux grands projets », 18 janvier 2008 : DNCR à Tanger, PW :
<www.aujourdhui.ma/magazine‑details407236.html>.
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Le potentiel patrimonial tangérois se caractérise par la richesse et la diversité de
ses composantes archéologique et architecturale. Toutefois, son état inquiétant
de conservation nous incite tous à œuvrer de toute urgence pour sa sauvegarde,
sa valorisation et son intégration dans la dynamique de développement
socio‑économique de la ville 4.
4 A. Benmlih, directeur de l’agence urbaine de Tanger, « Proposition de réaménagement et de
réhabilitation du site Fendak Chejra », dans Le Patrimoine architectural de Tanger, organisé
par l’Association al‑Boughaz et l’IFTT, 2003 (actes non publiés), <http://tangier.free.fr/
alboughaz/seminaire2002benmlih.htm>.
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On remarque que le patrimoine entre dans la politique d’aménagement de
la ville. Plusieurs sites historiques, notamment les médinas, connaissent un
réaménagement pour les transformer en lieux touristiques et culturels, au‑delà
de leur nature de lieux de mémoire.
À Tanger comme à Tétouan, il s’agit en fait d’un travail de réhabilitation,
de restauration et de transformation (grands projets de culture et de loisirs,
embellissement des corniches, etc.). On remarque que loin de détruire, il
est plutôt question d’embellir le paysage urbain, de restaurer un patrimoine
historique et de transformer la nature commerciale d’édifices vétustes pour
leur restituer une fonction culturelle. Cette reconversion urbaine implique une
requalification des paysages tangérois.
D’autre part, on observe des projets de construction de nouveaux édifices
aux objectifs divers. Pour ce qui est du tourisme et des stations balnéaires, les
concepteurs sont obligés d’intégrer dans l’architecture moderne des motifs et
un décor d’architecture arabo‑musulmane. Ceci est d’autant plus vrai que les
promoteurs sont, soit des investisseurs marocains, soit des entreprises espagnoles
familiarisées avec l’architecture arabo‑musulmane, héritée de l’Andalousie. Par
contre, les nouveaux projets de grande envergure optent pour une architecture
moderne et un style international. Dans ce cas, les investisseurs, mais aussi les
architectes, sont étrangers.
Il va sans dire que les grands projets tels que le Port Med et la candidature de
Tanger à l’Exposition internationale 2012 ont été l’œuvre du gouvernement
avec l’appui de maîtres d’ouvrage issus de sociétés étrangères. Or, le projet,
en lui‑même, devait refléter l’image de l’identité marocaine. En effet, le
gouvernement a voulu réaliser un vaste programme d’investissement sous
forme d’un projet innovant et ambitieux dans l’aménagement de ce futur espace
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urbain. Le Wali de Tanger déclare que cette opportunité tend à rendre à la ville
cosmopolite son rayonnement passé, grâce à l’accélération de la modernisation
des infrastructures et à la « revalorisation de son patrimoine architectural
unique » 5. Le projet se situe alors dans un prolongement mariant l’authentique à
l’universel. L’aménagement d’un espace, situé à l’intérieur du périmètre urbain,
bordé par un lac artificiel de 33 hectares, va offrir un cadre d’exception où se
conjuguent, harmonieusement, patrimoine et universalité : « Le site sera conçu
comme un espace futuriste et innovateur, où tous les flux associent ergonomie,
convivialité, confort et efficacité. Cependant, il conservera un cachet marocain
qui l’inscrit dans la longue tradition architecturale du Royaume » 6.
Sa forme optera pour un style architectural futuriste sous forme d’une étoile
à cinq branches, symbole marocain se trouvant dans le drapeau national et
par extension évoquant les cinq continents, d’où la quête d’un paysage pluriel
et symbolique, visant ainsi la construction d’une identité culturelle à la fois
nationale et universelle 7 ; c’est pourquoi, on a choisi le titre : « Routes du
monde, rencontre des cultures pour un monde plus uni ».
Le nouveau grand port Tanger Med, construit par Bouygues, l’un des grands
ports de la Méditerranée, est appelé à rivaliser avec les plus grands ports du
monde et à faire de Tanger un hub des échanges commerciaux de dimension
mondiale ; il aspire à faire de la région un carrefour de l’Europe, de l’Asie et de
l’Amérique. La réalisation de ce port ne va pas sans évoquer les Émirats arabes
unis comme on lit dans un article : « Tanger se rêve en Dubaï » ; dans le même
esprit, L’Hebdomadaire souligne que le Maroc, dans un souci de « soigner le
symbole », s’est doté d’un partenaire prestigieux, Dubaï, passé maître dans le
pilotage de la plus grande plate‑forme du Moyen‑Orient, grâce à sa célèbre
zone franche Jbel Ali 8. Ancré dans l’espace euro‑méditerranéen, il est adossé
à des zones franches logistiques, commerciales et industrielles. Il sera doté
d’infrastructures performantes routières, ferroviaires et de communication.
Il permettra une nouvelle dynamique par le développement économique et
5 <www.webershandwick.fr/NET/document/communiques/tanger_candidate_a_
lexposition_internationale_de_2012/index.htm>.
6 Tanger, Expo‑1012 : « Routes du monde, rencontre des cultures pour un monde plus uni »,
<www.expo2012.ma/web/articles>.
7 <www.tanger555.tchatcheblog.com>.
8 « Le port Tanger‑Med : une promesse de 140 000 emplois », Baladi‑Net, 2005, <www.bladi.
net/6351‑le‑port‑tanger‑med‑une‑promesse‑de‑140‑000‑emplois.html>.
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La Fille de Grenade : ville hispano‑mauresque (pl. XXI)
Avec bien de disparités et face au pôle urbain que constitue Tanger, on ne peut
qu’opter pour un renforcement de la complémentarité fonctionnelle du bipôle
Tanger‑Tétouan ; cette jonction reste stratégique pour le développement de la
Fille de Grenade.
L’aménagement du « Grand Tétouan » s’inscrit dans la consolidation du
binôme Tanger‑Tétouan dans la configuration de l’organisation du territoire
national. Avec l’aménagement touristique de la côte méditerranéenne,
connue sous le nom de Tamuda Bay – Tétouan a été édifiée par les Andalous
chassés d’Espagne sur l’ancien emplacement de la ville romaine Tamuda en
1399 (voir la médina, pl. XXI) –, l’aménagement urbain de la ville et les
spéculations qui en résultent accusent une rénovation qui ne respecte pas
le patrimoine célèbre de cette ville. Pourtant la ville se distingue par une
architecture hispano‑mauresque spécifique.
Si l’on passe en revue rapidement l’histoire architecturale, on saura qu’au
départ, il n’y avait aucune différence entre les murs d’une maison d’un riche
et celle d’un pauvre, car il n’y avait aucun motif architectural à l’extérieur.
Cette pratique relève peut‑être bien du fait que l’on ne voulait pas marquer la
différence entre les catégories sociales de la médina et qu’en raison du pillage des
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social de la région et il offre un environnement d’affaires performant, dans une
logique de développement durable.
En revanche, le complexe touristique et commercial Tanger City Center
opte pour une architecture moderne. Voulant créer « un quai canari jaune »,
Tanger ambitionne de devenir une destination culturelle et touristique
mondiale, témoin l’édifice sophistiqué et luxueux de Tanger City Center, avec
sa transparence, sa tour, ses cubes et ses parallélépipèdes, où tout serait affaires
lucratives et absolue modernité teintées de volupté hâtive et itérative.
Ainsi, l’architecture de Tanger dans sa renaissance, à l’orée du xxie siècle,
malgré son penchant séculaire vers la tradition, se tourne résolument vers
un style architectural mondial ; néanmoins, cette ville ne peut abandonner
l’authenticité qui fait d’elle un arbre millénaire, dont les racines sont ancrées
dans le terroir marocain, le tronc en Europe et les feuilles respirent dans le
firmament l’air des autres continents. Qu’en est‑il de Tétouan la Fille de
Grenade ?
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montagnards rifains, de nombreux vrais palais et des maisons princières aient
été construits, avec des murs identiques, abritant des bijoux comme c’est le cas
des maisons des Rzini, Qsar Bricha, etc. Autant dire que la richesse et l’opulence
étaient soustraites aux regards comme les femmes du harem. L’architecture,
héritée des Andalous, ornait exclusivement l’intérieur des maisons. Or, avec
l’arrivée des Espagnols au milieu du xixe siècle, l’architecture commence à
décorer les façades, d’abord timidement, puis de façon de plus en plus patente,
surtout au début du xxe siècle avec le protectorat (1912‑1956). La construction
d’el Ensanche – extension de la ville ou ville moderne espagnole –, par des
architectes espagnols, militaires et civils, assigne à la ville une architecture qui lui
confère à présent le cachet authentique de Tétouan l’andalouse. L’architecture
coloniale s’était vite intégrée à l’architecture arabo‑musulmane, si bien qu’elle
en constitua un patrimoine commun pour différentes raisons. Les architectes
espagnols étaient des artistes familiers avec l’architecture arabo‑musulmane en
Espagne, du fait de l’héritage andalou. El Ensanche présente une architecture
particulière qui paraît typiquement andalouse, mais en réalité, les architectes
espagnols ont puisé dans plusieurs styles.
Une observation des monuments historiques de la ville révèle une mixité et
une intégration étonnantes dans le même édifice. Tout d’abord, il est intéressant
de souligner que les architectes espagnols s’inspirent abondamment des tours
carrées de Séville, de Cordoue ou de Grenade. Ce modèle géométrique se
retrouve dans les immeubles, voire dans les lieux du culte comme l’église de
Tétouan, l’ancienne gare, l’école des infirmières, le fameux immeuble Phœnix
ou Aguila, etc. On peut facilement distinguer dans l’architecture de l’église
de Tétouan plusieurs formes de portes : style musulman sous forme de fer
à cheval, style gothique, style iranien, asiatique, etc. Le motif architectural
constitué au moyen de briques, présent dans plusieurs lieux, notamment
à la Délégation de l’enseignement, est aussi présent dans les façades de
l’église ; ce motif architectural se trouve en Asie centrale, plus précisément
en Ouzbékistan et en Afghanistan. Au‑delà de l’architecture almohade, on
identifie également le zellige vert, décor typiquement tétouanais, à l’église et
à l’ancienne gare, convertie actuellement en musée moderne à la suite d’un
partenariat avec la Junta de Andalucia ; celle‑ci a procédé par « façadisme »
pour les immeubles del Ensanche qui commençaient à se détériorer ; on
rappelle que cette ancienne ville de Tétouan a été classée en 1997 comme
patrimoine mondial par l’UNESCO. Elle doit cet honneur à son charme
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9 « Les peintres de Tétouan », voir le site web de l’Association Tétouan‑Asmir.Org PW :
<http://medina.tetouanasmir.org/cdrom3.htm>.
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pittoresque révélé par les artistes espagnols au milieu du xixe siècle et au sein
de son École des beaux‑arts 9.
Quoi qu’il en soit, ces motifs architecturaux pluriels ont été intégrés au
patrimoine culturel de Tétouan et servent comme référence à l’architecture
tétouanaise, célèbre pour son décor intérieur des maisons et pour ses façades.
Pourtant, dans les nouvelles constructions, notamment les quartiers modernes
comme celui de l’Aviation‑Wilaya, où la majorité des administrations ont
emménagé, l’architecture tétouanaise n’a point été respectée dans les édifices
même de l’État. L’aménagement de la ville, malgré les promesses, ne reflète
point un projet culturel et d’aménagement clair, dans la mesure où tous les
projets relèvent de l’initiative du gouvernement et des communes, sans accord
avec la sensibilité de la population locale.
D’autre part, le littoral Tamuda Bay, situé entre Tétouan et Ceuta, où se trouve
également la résidence d’été du roi du Maroc, a fait l’objet de la construction de
plusieurs complexes touristiques et de résidences secondaires ; la conception et
la construction de ces complexes sont partagées entre des investisseurs locaux
et étrangers, notamment le consortium espagnol Fadesa. Comme les premiers
villages touristiques avaient opté pour une architecture méditerranéenne et
andalouse, à l’instar de Kabila, de Cabo Negro, de Marina Smir, de Restinga,
les nouveaux investisseurs ont continué à s’inspirer de la même tradition. La
réhabilitation ou l’investissement de l’architecture authentique devient parfois
copie de l’ancien, reconstruction d’un pur décor pour un spectacle touristique.
Dans cette réhabilitation passéiste, du pastiche et de la copie servile de l’existant,
ce n’est qu’une façade et non la nature de l’ancien. Contrairement à l’identité
de Tétouan, ces nouveaux repères ressemblent étrangement à ceux des sociétés
modernes occidentales.
Au‑delà du centre‑ville (médina, centre colonial et nouvelles extensions), la
bande littorale tétouannaise (de Martil, via Cabo Negro, à Castillejo) concentre
les principaux équipements touristiques, les résidences secondaires, le complexe
Golden Beach et quelques hôtels (Sofitel, ClubMed, Ibis, etc.). En dépit de
la qualité de ses plages, risquant une surpopulation durant la période estivale
seulement, le développement de ce pôle touristique laisse à désirer :
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Le littoral tétouanais a connu un grand développement urbain marqué par
l’absence d’une vision globale de la gestion de l’espace. À cet effet, la plupart
des investissements touristiques se sont transformés à des projets de promotion
immobilière. Ils sont caractérisés par l’absence d’un tracé urbain cohérent et
forment de simples juxtapositions spontanées. La gestion de ces unités est
généralement autonome même vis‑à‑vis des autorités locales 10.
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Les projets immobiliers, soucieux de marché lucratifs, ne s’intéressent
nullement à une architecture locale authentique, ils insèrent quelques motifs
relevant de la pratique du facaçisme.
Il apparaît des dysfonctionnements résultant de l’absence de politique
stratégique de la gestion urbaine et des outils de la gouvernance locale. Or,
la planification urbaine doit aussi revenir sur le bâti existant et le patrimoine
urbain devrait être inscrit dans le devenir de la ville, comme condition du
maintien de sa spécificité et de ses espaces identitaires. Le remède consiste en
un projet transparent de dynamique d’intégration urbanistique, réhabilitant
et revalorisant la ville. Il doit y avoir des propositions consensuelles autour
d’un projet culturel à venir qui consiste à l’envisager dans sa relation à
l’environnement, pour mettre en œuvre un outil de planification stratégique de
développement durable : requalification de la ville évoque patrimonialisation,
revalorisation de patrimoine urbain méditerranéen et andalou, promotion
du patrimoine culturel et naturel de Tétouan, amélioration de son paysage
conformément à sa dimension culturelle et historique qui fait son image de
marque.
En définitive, lorsque nous parlons de la nature et de la diversité des
éléments patrimoniaux dans les projets d’urbanisme qui valorisent les
identités culturelles du Nord du Maroc, nous voudrions évoquer comment
sont intégrés les ingrédients fédérateurs d’une identité culturelle dans un
projet de renouvellement de Tanger et de Tétouan. Les deux villes possèdent
un patrimoine architectural authentique, bien qu’il provienne à l’origine de
plusieurs sources. C’est cet heureux mariage d’architectures qui a investi le
patrimoine du nord marocain d’une dimension humaine, sensible, créative,
10 Abdelatif Ennahli, « Le projet urbain du grand Tétouan : composante d’une stratégie de
développement de ville », séminaire sur le développement de la ville, Marrakech, décembre
2004, <www.euromedina.org/bibliotheque_fichiers/marrakech_projet_tetouan.pdf>.
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voire attentive aux caractéristiques de chaque contrée, aux us et coutumes de
ses populations, aux particularités de son climat, de ses paysages naturels de
leur environnement fécond. Les spécialistes de la patrimonialisation affirment
que le regard sur le passé n’a de sens que dans une perspective d’avenir, que le
patrimoine architectural et urbain ne doit pas être momifié et, loin d’en faire
un objet nostalgique ou un gadget culturel, on doit le mettre en mesure d’être
réinvesti par la vie.
Il s’agit, dans ce projet de grande envergure, en cours d’exécution, d’une
dynamique polyvalente qui dote l’espace des deux villes d’infrastructures
performantes, de projets ambitieux et innovants, favorisant la main d’œuvre et
embellissant le paysage. Or, on ne doit oublier que si nous façonnons les villes,
pour paraphraser Churchill, nous ne devons pas oublier qu’elles nous façonnent
à leur tour. La pierre reste une pierre dans un édifice mais c’est le sens que lui
attribue l’homme qui lui donne sa valeur. Aussi faut‑il réfléchir profondément
sur la place de l’homme, parallèlement aux visées économiques et esthétiques,
dans la restauration des médinas, la conception et l’évolution des ensembles
urbains et l’aménagement des sites touristiques.
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