bilan pnrcc - Museum de Nantes
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Bilan PNRCC1 – Retraitement d’os gras : extraction difficile des graisses dégradées imprégnant des os fragilisés – Solution de traitement proposée PNRCC assessment – Retreatment of fat bone: hard extraction for degraded fats from weakened bones – Proposed treatment Elodie GUILMINOT1*, Gwenaël LEMOINE1, Isabelle LOUVET2, Jean-Yves MEVELLEC3, Charlène PELÉ1, Laurent POISSON4, Michel SUBLED5 * corresponding author Arc’Antique, 26 rue de la Haute Forêt, 44300 Nantes, France [email protected] 2 CEISAM, Université de Nantes, UMR 6230, UFR des Sciences et des Techniques - 2 rue de la Houssiniere BP 92208 - 44322 Nantes Cedex 3, France 3 Institut des Matériaux Jean ROUXEL (IMN) - UMR 6502 CNRS, 2 rue de la Houssinière BP 32229 44322 Nantes Cedex 3, France 4 IUT de Laval, Génie Biologique, 52 rue des docteurs Calmette et Guérin, BP 2045, 53020 Laval Cedex 09, France 5 Archimex, Parc d'innovation de Bretagne Sud - C.P. n°31, 56038 Vannes Cedex, France 1 Résumé : Dans le cadre de la problématique du retraitement du squelette gras de rorqual commun exposé au Muséum d’histoire naturelle de Nantes, un programme de recherche a été réalisé en regroupant différents spécialistes : conservateurs, restaurateurs et scientifiques. Plusieurs types de traitements ont été envisagés : voie enzymatique, CO2 supercritique, solvants verts ou organiques. Parmi toutes ces solutions, seule l’utilisation d’un solvant organique s’est avérée efficace. Le protocole retenu est la macération dans un bain d’heptane à température ambiante. La majorité des acides gras insaturés sont extraits dans les premiers bains. Les analyses CPG montrent que les graisses encore présentes dans l’os sont principalement les acides gras saturés (graisse blanche et solide à température ambiante). D’après les analyses, ces traitements en immersion dans l’heptane ne provoquent aucune dégradation de la partie organique de l’os. Ce traitement a été comparé à celui utilisé au Bündner Naturmuseum de Chur (Suisse). Abstract: We wanted to study the retreatment of fatty whale skeleton exposed to Natural History Museum of Nantes. That why we carried out a research program with different specialists: curators, conservators and scientists. Several treatments were considered: enzymatic treatment, the use of supercritical CO2, green or organic solvents. Among all these solutions, only organic solvents have been effective. The protocol is an immersion in heptane at room temperature. The majority of unsaturated fatty acids are extracted in the first baths. GC analyses show that the saturated fatty acids are still present in the bone (saturated fatty acids match the white solid fat at room temperature). According to the analysis, these treatments in heptane don’t degrade the organic part of bones. We compare this treatment with that used in the Bündner Naturmuseum, Chur (Switzerland). 1 PNRCC : Programme National de Recherche sur la Connaissance et la Conservation financé par le Ministère de la Culture. 1. Introduction Le Laboratoire Arc’Antique a été sollicité par le Muséum d’histoire naturelle de Nantes pour le traitement du squelette d’un rorqual commun (Balaenoptera physalus) dont le Muséum et l’Ecole Nationale Vétérinaire de Nantes (E.N.V.N.) rappelé l’historique lors de cette table ronde. Malgré un traitement par immersion dans une solution à base de trichloroéthane et de chloroforme, certains os présentent des dépôts de matière grasse brune suintant et dégageant une odeur rance à des températures estivales. La présence de graisses dans l’os et à sa surface posent deux problèmes majeurs : d’une part du point de vue esthétique (coloration brune) et d’autre part pour la conservation de l’os. La graisse favorise le développement de microorganismes et son évolution chimique peut altérer l’os. Un traitement de dégraissage est donc de nouveau nécessaire. Parmi les différentes méthodes appliquées sur des os frais que nous avions pu recenser (se référer à la présentation de Gwenaël Lemoine « Limites et inconvénients des méthodes traditionnelles de préparation des squelettes »), aucune ne nous est apparue efficace et sans danger pour des os déjà traités. Pour pouvoir répondre à cette problématique de retraitement d’os gras fragilisés, le laboratoire Arc’Antique a donc décidé de mener un projet de recherche, grâce au soutien financier du Ministère de la Culture, afin d’envisager une nouvelle solution nettoyante sélective avec un pouvoir dégraissant élevé tout en respectant l’intégrité des constituants de l’os. Nous voulions aussi éviter la présence de résidu nocif, toxique ou inflammable post-traitement dans l’os pour des raisons de conservation et de respect de l’environnement. Plusieurs voies nous paraissaient intéressantes à explorer pour répondre au mieux à ces critères : la voie enzymatique, l’utilisation de CO2 supercritique ou le nettoyage dans différents solvants. Le choix du protocole de traitement dépendait de son efficacité et de l’impact de la solution de dégraissage sur les composants de l’os. Pour cette raison, nous avons accompagné tous nos tests d’analyses pour évaluer l’extraction des graisses et l’altération de l’os après traitement. Ce programme de recherche devait se clôturer avec cette table ronde afin d’échanger les connaissances que nous avons pu acquérir avec les personnes pouvant être intéressées par ce sujet. Cet article synthétise les principaux résultats obtenus au cours de ce programme. 2. Etat des os à traiter 2.1. Composition des os de rorqual Les os des mammifères marins sont spongieux : la partie interne de l’os, la spongiosa, est constituée d’un réseau de cavités ; la partie externe, le périoste, est plutôt fine, fibreuse, dure et compacte. L’os peut être qualifié de « biomatériau nanocomposite complexe » (Reiche 2007) : il est constitué d’une matrice de fibrilles de collagène rigidifiée par un remplissage extrêmement serré de cristaux d’hydroxyapatite. Ces deux phases sont étroitement imbriquées (à l’échelle nanométrique). La fraction organique, composée d’environ 95 % de collagène, confère à l’os sa cohésion et sa flexibilité. En l’absence de collagène, l’os devient friable (Williams 1999, MacGregor 1985, ICC 1989). Les os de rorqual présentent une structure variable : les vertèbres, les côtes et certains os du crâne sont très poreux, alors que la base du crâne (os temporal) est très dense, et les mandibules présentent une corticale très épaisse et dense mais un tissu interne très spongieux. Chez la plupart des cétacés, le crâne, les mandibules, les vertèbres lombaires et caudales sont les plus chargées en lipides, alors que les vertèbres thoraciques le sont beaucoup moins. Les os des cétacés permettent de stocker leurs graisses dont la nature et la composition varient en fonction de leur localisation mais aussi de l’âge de l’animal, de la saison … (Yunoki 2008). Les lipides des cétacés contiennent des triglycérides, des acides gras libres, du cholestérol libre, des cires mais aussi d’autres lipides complexes. Ces acides gras sont principalement insaturés et ont une longueur de chaine de 14 à 22 carbones. Les composants majoritaires sont l’acide oléique (C18:1)2 et l’acide palmitoléique (C16:1). 2.2. Constat d’état du squelette de rorqual du Muséum de Nantes Malgré six mois de dégraissage dans des solvants organiques, certains os, notamment les premières vertèbres thoraciques, les premières côtes thoraciques (une douzaine) et quelques vertèbres lombaires (moins d’une dizaine en tout), contiennent encore des graisses qui ont migré à la surface, formant un dépôt brun. Les omoplates sont particulièrement grasses ; cela s’explique par des contraintes techniques et budgétaires, et pas seulement morphologiques et structurelles : les solvants de dégraissage n’étaient pas disponibles en quantité suffisante et les omoplates émergeaient du bain. Sur le reste du squelette, seules quelques zones présentent un dépôt brun de graisse, les plus étendues se trouvant sur les extrémités des côtes et celles des rostres du crâne. Le dégraissage réalisé à l’école vétérinaire a toutefois permis d’extraire la majorité des graisses : la masse du squelette du Muséum de Nantes, évaluée après dégraissage, est de 1,5 tonne, soit près de 4,3 % de la masse totale de l’animal échoué, avant écharnage et dégraissage (35 tonnes). Par ailleurs, la nageoire pectorale senestre de l’animal, conservée dans sa graisse à l’École vétérinaire jusqu’en 2006, puis récupérée par le Muséum, s’est fortement détériorée (Fig.1). A sa place est exposé un moulage de la nageoire en chair. Figure 1 : Nageoire pectorale non traitée (2007). Le squelette du rorqual de Nantes présente de nombreuses fractures sur les mandibules, le crâne, les côtes et les vertèbres ; les fragments ont été recollés à l’époxy. Les os les plus fragiles ont été consolidés par injection de résine époxy. Un mortier de collage pour Placoplatre (Map®) aurait également été utilisé par la société de remontage belge, ainsi que de la colle à pistolet. Des chevilles métalliques internes et des agrafes maintiennent les fragments entre eux. Lors du dernier remontage du squelette en 2007, les joints de collage et comblements en résine époxy chargée ont été mis en teinte à la peinture acrylique. Une vertèbre très poreuse a totalement été consolidée avec une résine polyuréthane et des essais de dégraissage de surface ont été réalisés à l’acétone sur l’omoplate senestre (communication 2 Nomenclature des acides gras : le premier chiffre correspond au nombre de carbones, le second chiffre correspond au nombre d’insaturation(s). personnelle de Thierry Boisgard, responsable du Laboratoire Restauration et Préparation des collections du Muséum de Nantes). 2.3. Composition des graisses en présence Les graisses encore présentes dans le squelette du rorqual commun exposé au Muséum de Nantes ont évolué. Les résultats des analyses de ces graisses obtenus dans le cadre de ce projet sont donnés dans la présentation de Laurent Poisson (« Dégraissage par voie enzymatique d’os de baleine »). Ils montrent que les principaux acides gras libres sont, par ordre d’importance, les suivants : - C18:1 (acide oléique), - C16:0 (acide palmitique), - C16:1 (acide palmitoléique), - C14:0 (acide myristique), - C20:1 (acide gadoléique), - C18:0 (acide stéarique). Parmi ces acides gras majoritaires, nous retrouvons des acides gras saturés (C16:0, C14:0 et C18:0), caractéristiques des graisses dégradées. 2.4. Etat des os du squelette de rorqual du Muséum de Nantes Un fragment d’os du squelette exposé au Muséum a été analysé par spectroscopie Raman. Ces analyses ont montré que par endroits, les pics associés au collagène ne sont pas détectés (ou très faiblement) et les pics associés aux graisses sont toujours présents mais en faible proportion. Le traitement subi par le squelette a permis d’extraire la graisse efficacement sur certains os mais a entrainé une forte altération de la partie organique. Cette altération est à l’origine de la friabilité de ces os. 2.5. Corpus Dans le cadre de cette étude, des échantillons d’os de balénéidés ont été collectés (Fig. 2). La majorité de ces os ont déjà été traités mais présentent de nouveau des suintements de graisses en surface, ils sont donc représentatifs de la problématique du squelette de rorqual exposé au Muséum de Nantes. Les résultats obtenus par Chromatographie en Phase Gazeuse (CPG) sur ces os montrent que les compositions des graisses sont assez proches de celle obtenue pour les graisses prélevées sur le squelette de rorqual exposé au Muséum de Nantes. Pour les graisses de nos échantillons, les mêmes pics sont identifiés mais leurs proportions varient : l’acide gras majoritaire est le C16:0 au lieu du C18:1 pour le rorqual de Nantes. b a Figure 2 : Echantillons - (a) vertèbres de balénéidés provenant du CRMM, (b) métacarpes de rorqual fournis par P.H. Fontaine. La majorité des tests est réalisée sur des cubes d’os découpés dans les vertèbres de balénéidés provenant du Centre de Recherche des Mammifères Marins (La Rochelle). Quelques tests ont été menés sur des os entiers (métacarpes de rorqual fournis par P.H. Fontaine). 3. Solutions envisagées dans le cadre du PNRCC L'objectif de ce projet était le développement d’un procédé de dégraissage des os gras de rorqual déjà traités, en respectant certaines contraintes : simplicité, rapidité, coût faible, absence de danger pour les personnes et les objets et respect de l'intégrité du matériau de l'os. Pour répondre à ces critères, plusieurs solutions ont été envisagées : - utilisation d’enzymes, - utilisation de CO2 supercritique comme solvant, - utilisation de solvants (végétaux ou organiques) avec ou sans moteur d’extraction. Plusieurs moteurs d’extraction peuvent être proposés : micro-onde, mise sous pression, agitation, chauffage … Les enzymes La voie enzymatique est basée sur l’utilisation d’enzymes spécifiques, les lipases. Les principaux résultats obtenus dans le cadre de ce projet sont présentés par Laurent Poisson (« Dégraissage par voie enzymatique d’os de baleine »). Cette solution donne peu de satisfaction sur des graisses déjà dégradées. Le CO2 supercritique Les capacités dégraissantes du CO2 supercritique sont exploitées dans le nettoyage industriel de pièces métalliques. Les triglycérides sont en effet solubles dans le CO 2 supercritique : solubilité de 1 % à 250-300 bar et à 35-40 °C, qui s’élève à 10 % en présence d’un co-solvant, tel que l’éthanol. Par contre, les protéines sont insolubles dans le CO2 supercritique. Ce procédé, dit "propre", semblait très prometteur pour le dégraissage d’os. Mais les essais menés sur des cubes d’os de balénéidés ont montré l’inefficacité de l’utilisation du CO2 supercritique avec ou sans co-solvant à la cause de la nature des graisses à extraire (graisses dégradées). Les solvants végétaux Les solvants végétaux, dits biosolvants, possèdent les mêmes fonctionnalités que les solvants organiques. Ils proviennent d’amidon, d’oléagineux, ou d’autres végétaux tels que les agrumes, le pin, le colza, le lin, l’olivier … Ils sont déjà couramment utilisés comme dégraissants. La difficulté réside dans leur élimination après traitement. Parmi les solvants testés, nous pouvons citer les huiles végétales telles que le limonène mais ils n’ont pas été retenus comme solution satisfaisante car ils sont en fait peu efficaces sur les os et ne sont pas volatils. Ils nécessiteraient l’utilisation d’un second solvant volatil afin de les extraire de l’os après le traitement. Le limonène pourrait être efficace si on le chauffe à 85 °C, mais c’est un solvant allergène. Les solvants organiques Comme les solutions alternatives envisagées se sont avérées peu concluantes, l’étude s’est concentrée sur l’utilisation de solvants organiques. Les solvants qui ont permis d’extraire les graisses dégradées de ces os de baleine sont : l’hexane, l’heptane, les mélanges alcane / alcool, le dichlorométhane, les mélanges chloroforme / méthanol (CHCl3 / MeOH) dont le mélange azéotropique non seulement particulièrement efficace mais également volatil et facile à recycler. Ces solvants ont été associés à différents facteurs d’amélioration d’efficacité du transfert de matière : - extraction par solvant sous micro-ondes, - extraction par solvant sous pression, - extraction par solvant sous agitation, - extraction par solvant en chauffant (température variant entre T amb et 75°C). Le principe du traitement sous micro-ondes est d'imprégner l'os en profondeur à l'aide d'un solvant chauffé sous micro-ondes jusqu’à ébullition afin de créer une surpression interne qui chassera de l'os le solvant chargé de matière grasse. Le choix des solvants est restreint car leur température d'ébullition doit être faible (ex : éthers de pétrole, pentane, dichlorométhane). Cette voie de traitement a été abandonnée à cause du manque de maîtrise de la température au cœur de l’os et de l’inadaptabilité des appareillages pour le traitement d’os de grande taille. La méthode par pressurisation, avec pression pulsée, a alors été privilégiée. Les oscillations de pression créent des turbulences qui favorisent l’extraction des graisses. Le dégraissage est rapide (quelques heures) et très efficace (Fig. 3). a b Figure 3 : Os de baleine non traité (très gras) provenant du CRMM (a), os après traitement dans une solution hexane/isopropanol 80/20 sous pression pulsée de N2 (b). Malgré ces résultats probants, l’utilisation d’un autoclave pour des os entiers reste peu envisageable (conditions de sécurité et coût d’un autoclave de grandes dimensions trop importants). D’autres facteurs d’amélioration du transfert de matière ont été étudiés : le chauffage, l’agitation notamment grâce à l’utilisation d’un soxhlet 3 (Fig. 4). Figure 4 : Traitement d’un cube d’os (vertèbre de balénéidé du CRMM) en soxhlet à Archimex. Le dégraissage dans l’heptane à 70-80°C pendant 24H est efficace mais il n’est pas total. La solution d’hexane à chaud (60-65°C) pendant 25H (soit 200 cycles en soxhlet) est aussi efficace. L’utilisation d’un alcane à chaud nécessite des conditions indispensables de sécurité qu’offre la technique du soxhlet, mais celle-ci n’est pas envisageable pour le traitement d’un os entier à cause des dimensions des os de rorqual. L’utilisation de l’hexane en simple immersion à température ambiante reste efficace, le dégraissage n’est pas total mais 2/3 de la graisse sont tout de même extraits. Les mélanges alcane / alcool à 80°C sont aussi efficaces : le mélange heptane / isopropanol (80/20) a été testé en simple immersion pendant 6 heures. Les solvants chlorés restent les solvants les plus efficaces mais leur utilisation est très risquée pour l’intégrité de l’os. Le mélange chloroforme / méthanol (CHCl3/MeOH) a été utilisé en soxhlet à 45-50°C comme finition afin de pouvoir établir des bilans massiques lors des essais. Il faut noter que la graisse à extraire est particulièrement figée et faiblement soluble à température ambiante. Il est impossible de l’extraire totalement sans utiliser le traitement par CHCl3 / MeOH en soxhlet à 45-50°C pendant 15 à 90 cycles. Les quantités de graisse à extraire sont très importantes, elles représentent 40 à 50% de la masse de certains échantillons. Généralement une première graisse de couleur brune est extraite, elle correspond au 2/3 du contenu lipidique total de l’os. Le tiers restant est un résidu de graisse blanche. D’après les analyses CPG, la texture fluide et la couleur marron des premières graisses extraites proviendraient principalement des acides gras insaturés. Les acides gras saturés sont quant à eux majoritaires lorsque l’extrait est de couleur blanche et poudreuse. 4. Cahier des charges L’exploration des différentes solutions envisagées en début de projet a montré que la nature même de la graisse à extraire limitait le choix des procédés de traitement à l’utilisation d’un solvant organique. Au vu de l’impossibilité de trouver un solvant répondant à l’ensemble des 3 Pièce de verrerie utilisée en chimie qui permet de faire l'extraction par solvant à chaud d'une espèce chimique contenue dans un solide. Cet appareil porte le nom de son inventeur : Franz von Soxhlet. critères du cahier des charges initial, un compromis a du être formulé et les priorités ont été revues : 1 - Respect de l’intégrité de l’os pour sa conservation à long terme. 2 - Efficacité du solvant (fort pouvoir dégraissant) : extraction uniquement de la graisse brune et odorante. 3 - Mise en œuvre du traitement des os simple et peu coûteuse (solution de la macération privilégiée). 4 - Respect de la sécurité du personnel réalisant les traitements. La question s’est aussi posée sur le degré de dégraissage nécessaire pour la conservation de l’os. Au vu des analyses CPG, il semble préférable de limiter le dégraissage à l’élimination de la graisse brune. Le résidu de graisse blanche à l’intérieur de l’os, principalement composé d’acides gras libres saturés, ne semble pas dommageable pour la conservation à long terme de l’os, au contraire il semble contribuer à sa tenue mécanique. Un critère visuel a donc été établi à partir de ces résultats : la couleur des extraits détermine l’arrêt ou non d’un traitement de dégraissage ; tant que l’extrait est de couleur brune, le traitement est poursuivi. 5. Solution adoptée dans le PNRCC Le dégraissage rapide des pièces de petite taille est possible en simple immersion dans un alcane sous agitation à pression atmosphérique (notamment en soxhlet). Le dégraissage rapide des pièces de grandes dimensions nécessite l’utilisation d’une force motrice d’extraction. La pression est un excellent moteur d’extraction mais les installations sont difficilement gérables (coût et sécurité) pour les pièces de grandes dimensions. Pour des conditions de sécurité, le chauffage des solutions est aussi difficilement envisageable, même dans des bacs étanches. Des nouveaux tests ont donc été menés pour définir les paramètres de traitement de dégraissage en immersion à température ambiante dans l’heptane 4, en faisant varier le nombre de bains et la durée d’immersion (Fig. 5). a b Figure 5 : Essais de traitement de dégraissage en immersion dans l’heptane de cubes d’os (vertèbre de balénéidés du CRMM) (a) ou d’os entiers (métacarpes de rorqual mis à disposition par Pierre-Henri Fontaine) (b). 4 Lors des premiers essais de dégraissage, l’heptane et l’hexane donnaient les mêmes résultats d’efficacité. Le choix s’est porté sur l’heptane car il est moins volatile que l’hexane. Les conditions d’utilisation sont donc moins dangereuses. Le forage des os dans leur longueur favorise les transferts de matière (circulation du solvant et extraction de la graisse). Initialement il avait été envisagé de forcer la circulation du solvant grâce à l’utilisation d’une pompe. L’estimation du coût supplémentaire induit par l’utilisation de cette pompe, répondant aux normes ATEX5, représentait 20 à 30% du coût du traitement de dégraissage. L’utilisation d’une pompe a donc été abandonnée pour des raisons budgétaires. Quelque soit le traitement subi par les échantillons d’os, en termes de durée ou de nombre de renouvellements de bains, les résultats obtenus sont similaires : la graisse extraite représente 30% de la masse initiale de l’échantillon et la majorité de cette graisse (environ 85%) est extraite lors du premier bain. Lorsque les traitements sont menés sur des échantillons dont la porosité est ouverte (cas des cubes d’os), le dégraissage est jugé satisfaisant. L’augmentation de la durée d’un bain (de 2 à 8 jours) n’améliore pas l’efficacité de l’extraction, par contre le renouvellement des bains assure l’extraction de la majorité des graisses insaturées. Lorsque l’os est entier (cas des métacarpes), quelque soit le traitement subi, les derniers extraits contiennent plus de 50% d’acides gras insaturés et la perte de masse de ces échantillons varie entre 10 et 16% : le traitement ne peut être considéré comme terminé. Ces essais n’ont été menés que sur 2 bains (3 et 8 jours). Après ce second bain, l’extrait de graisse était coloré et huileux ; selon le critère visuel précédemment établi, le traitement aurait du être poursuivi. Les analyses CPG montrent en effet que les extraits contiennent encore une majorité d’acides gras insaturés. Ce traitement de dégraissage ne peut donc pas être considéré comme suffisant. Ces essais menés sur un os entier mettent en évidence les difficultés à extraire les graisses dans ces conditions. Le transfert de matière est limité par la présence du périoste (matériau osseux avec une faible porosité) mais aussi certainement à cause de la nature même de la graisse. Sur un os entier, la graisse semble « polymérisée » en surface. Ce film formé pourrait en effet provenir du séchage des huiles (Mills, 1987). L’impact des traitements a été évalué à partir des analyses des os par spectroscopie Raman, et des extraits par spectroscopie de Résonance Magnétique Nucléaire (RMN). Après traitement, les résultats des analyses Raman montrent une légère diminution des pics relatifs au collagène (partie organique de l’os) par rapport au pic de l’apatite (partie minérale de l’os). Les spectres Raman sont difficilement interprétables : à cause de la très forte présence des graisses avant traitement, les pics associés aux graisses masquent partiellement les pics caractéristiques de la partie organique. Malgré la déconvolution des pics, les pics relatifs au collagène peuvent être surestimés avant traitement. Les spectres RMN des extraits ne détectent que la présence des acides gras libres, aucune trace des liaisons peptidiques, caractéristiques du collagène, n’est visible. L’absence de liaisons peptidiques prouve que ces traitements dans des solvants organiques (heptane ou hexane) n’altèrent pas la partie organique de l’os. 5 Les normes ATEX suivent une réglementation spécifique afin de maîtriser les risques relatifs à l'explosion, dus à l’utilisation de solvants organiques, tels que l’hexane ou l’heptane. 6. Comparaison avec une méthode utilisée au Bündner Naturmuseum (Chur, Suisse) Parmi les contacts établis par Gwenaël Lemoine, nous avons eu plusieurs échanges avec Ulrich Schneppat travaillant au Bündner Naturmuseum, à Chur en Suisse. Il nous a proposé un des protocoles de dégraissage qu’il utilisait. Ce procédé, peu coûteux, a donc déjà fait ses preuves en termes d’efficacité. Nous avons souhaité le tester sur nos échantillons d’os afin de comparer son efficacité à celle obtenue avec les bains en heptane et d’évaluer l’impact de ce traitement sur l’intégrité de l’os. Ce protocole s’effectue selon trois étapes : - Etape n°1 : ½ ammoniaque 25% + ½ eau du robinet + 1 ml/l de Supralan UF® 6 jusqu’à ce que le pH diminue à 8,5. - Etape n°2 : chlorure de sodium (1 %) + Supralan UF® 1 ml/l (60°C) pendant 4 à 6 heures + ajout enzyme OSA 7 après 2 heures : Le pH est ajusté à 8,5 avec de l’hydrogénocarbonate de sodium toutes les heures. - Etape n°3 : chlorure de sodium (1%) + Supralan UF® 0,5 ml/l + Supralan 67® 0,5 ml/l (35 – 40°C) pendant 12 heures + peroxyde d’hydrogène (quantité en fonction de la réaction, mais limitée à 1ml/l) à renouveler pendant 1 à 3 jours en fonction des réactions (ajout de peroxyde d’hydrogène lorsque le bullage cesse). Les résultats obtenus sur les échantillons d’os à porosité ouverte (cubes d’os provenant d’une vertèbre de balénéidé du CRMM) sont visuellement satisfaisants (Fig. 6) mais les quantités de graisse extraite (5 à 9% de perte massique) sont bien inférieures à celles obtenues lors des traitements en immersion dans l’heptane (30 % de perte massique). La solubilité des graisses semble limitée dans ces solutions de traitement. a b a’ b’ Figure 6 : Cubes d’os (vertèbre de balénéidé du CRMM) - avant (a) et après (a’) immersion en bain d’heptane ; avant (b) et après (b’) dégraissage selon la méthode proposée par Ulrich Schneppat. 6 7 Polyglycol-éther d'alcool gras, agent dégraissant non ionique, fournisseur Bauer Handels. Mélange d’enzymes digestives, fournisseur Bauer Handels. Par contre les tests menés sur les os entiers (Fig. 7) donnent de meilleurs résultats avec la méthode proposée par Ulrich Schneppat. Les quantités de graisse extraite sont de l’ordre de 13-14% de perte massique, il est du même ordre de grandeur que ceux obtenus avec les traitements dans l’heptane. a b b’ a’ Figure 7 : Métacarpes de rorqual (mis à disposition par Pierre-Henri Fontaine) - avant (a) et après (a’) immersion en bain d’heptane ; avant (b) et après (b’) dégraissage selon la méthode proposée par Ulrich Schneppat. Les analyses pour évaluer l’impact de ce traitement proposé par Ulrich Schneppat sont en cours. 7. Conclusion Dans le cadre de la mise au point d’un retraitement du squelette du rorqual exposé au muséum de Nantes, plusieurs expériences ont été menées sur des os gras de baleine. Les graisses encore présentes dans le squelette sont dégradées. Elles sont principalement constituées d’acides gras libres insaturés et saturés. Les analyses CPG ont montré que les graisses brunes huileuses, que nous souhaitons extraire, sont majoritairement composées d’acides gras libres insaturés. L’utilisation d’enzymes, de CO2 supercritique ou de solvants verts s’est révélée peu efficace. Seuls les solvants organiques nous ont permis d’obtenir l’extraction de ces graisses. L’extraction est très importante dans le cas des échantillons découpés en cubes. Le rendement chute lorsque le traitement est appliqué à un os entier. Ces résultats sont associés à deux phénomènes : la modification de la porosité des échantillons (porosité ouverte pour les os découpés en cubes / porosité fermée pour les os entiers) et la nature des graisses (sur les os entiers, la graisse en surface semble former un film). Extraire ces graisses s’est donc révélé très difficile. Les meilleurs résultats de dégraissage ont été obtenus lors des traitements en immersion dans l’hexane ou l’heptane. La majorité des acides gras insaturés est extraite dans les premiers bains. Les analyses ont montré que ces traitements n’altèrent pas la partie organique de l’os. Toutefois ces traitements doivent être améliorés afin d’augmenter leur efficacité sur les os entiers. Un pré-traitement est à envisager pour éliminer cette graisse « polymérisée » à la surface de l’os. Remerciements Ce projet a été initié à la demande du Muséum d’histoire naturelle de Nantes et a pu être mené grâce au soutien financier du Ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre d’un PNRCC, nous les en remercions. Nous tenons aussi à remercier les personnes qui nous ont mis à disposition des os de rorqual ou de balénéidés, Willy Dabin du CRMM (Centre de Recherche de Mammifères Marins de la Rochelle) et Pierre-Henri Fontaine (Musée du Squelette de l’Île-Verte, Québec), ainsi que tous les stagiaires qui ont participé à ce projet : Claire Musso, Sabine Le Blond, Thibaut Foucher, Laurence Dubreuil et Delphine Morvan. Bibliographie Institut Canadien de Conservation (ICC), (1989), Entretien des objets en ivoire, en os, en corne et en bois de cervidé, Notes de l’ICC 6/1, Institut Canadien de Conservation, Ottawa. Le Blond S., Guilminot E., Lemoine G., Huet N., Mevellec J.Y., (2009), "FT-Raman spectroscopy: A positive means of evaluating the impact of whale bone preservation treatment.”, Vibrational Spectroscopy, 51, p. 156-161. MacGregor A., (1985), “Bone and Antler as Materials”, in Bone, antler, ivory and horn: the technology of skeletal materials since the Roman period, Ed. Barnes & Noble, p.23-29. Mills J., White R., (1987), “Oils and fats”, The organic chemistry of museum objects, Butterworths, p. 26-40. Reiche I., Chadefaux C., Vignaud C., Menu M., (2007), “Les matériaux osseux archéologiques. Des biomatériaux nanocomposites complexes“, L’actualité chimique, 312313, p.86-92. Slover H. 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D’autres techniques ont permis d’identifier la composition des graisses et d’évaluer l’efficacité des traitements en analysant les graisses extraites : - CCM (Chromatographie sur Couche Mince), - CPG (Chromatographie en Phase Gazeuse). Chromatographie sur Couche Mince (CCM) La chromatographie sur couche mince permet de déterminer les différentes familles de lipides en présence. Un double développement est effectué dans un premier solvant qui permet de séparer les glycolipides et les phospholipides, puis dans un second solvant qui permet de séparer les lipides neutres. La vitesse de migration de chaque composé varie en fonction de la nature du composé et celle du solvant. Les échantillons de graisses sont comparés à des échantillons de référence : un acide gras (C22:6), un phospholipide (phosphatidylcholine), un triglycéride (trioléine), un ester de cholestérol et une cire (oléate d’oléyle). Un composé de la graisse à analyser peut ainsi être identifié lorsqu’il est révélé au même niveau qu’une des références. Chromatographie en Phase Gazeuse (CPG) La chromatographie en phase gazeuse (CPG) est une méthode séparative qui permet d’analyser qualitativement et quantitativement des mélanges complexes de composés qui peuvent être volatilisés sans être décomposés. L’analyse de graisses nécessite toutefois une préparation : les extraits de graisse sont saponifiés puis méthylés selon la méthode décrite par H.T. Slover et al. (Slover, 1979). Les échantillons sont alors introduits dans l'injecteur pour être vaporisés avant d’être entraînés dans la colonne par le gaz vecteur. Suivant l’affinité avec la phase stationnaire présente dans la colonne, les composés sont séparés avant d’être détectés en sortie de colonne. Le temps de rétention de chaque composé permet de l’identifier en le comparant à celui obtenu avec des références. Spectroscopie Raman L’interaction entre une lumière monochromatique (laser) et les molécules de l'échantillon provoque la diffusion Raman de photons, caractéristiques des vibrations des liaisons entre les atomes des molécules. Le spectre ainsi obtenu présente des pics correspondant à chaque composé de l’échantillon. Dans le cas de nos échantillons d’os, des pics sont associés à la partie minérale, à la partie organique ou aux graisses (Le Blond, 2009) : - 960 cm-1 pour la partie minérale, - 1270 cm-1 et à 2940 cm-1 pour la partie organique, - 2850 cm-1 et à 1296 cm-1 pour la graisse. La proximité des pics caractéristiques de la partie organique avec ceux caractéristiques des lipides limite leur exploitation et nécessite que les spectres soient déconvolués. L’intensité d’un pic dépend de la quantité de composé mais aussi des conditions opératoires. Pour étudier l’évolution des différents constituants de l’os, il est nécessaire d’utiliser des valeurs relatives : le rapport des intensités des pics de chaque composé. Ainsi l’efficacité du dégraissage peut être estimée avec les rapports suivants : Minéral (960 cm-1) / Lipides (2850 cm-1), Organique (Collagène) (1270 cm-1) / Lipides (2850 cm-1), Organique (Protéines) (2940 cm-1) / Lipides (2850 cm-1) ; l’impact du traitement de dégraissage sur les composés de l’os peut être évalué avec les rapports suivants : Minéral (960 cm-1) / Organique (Collagène) (1270 cm-1) et Minéral (960 cm-1) / Organique (Protéines) (2940 cm-1) (Le Blond, 2009). Spectroscopie de Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) La RMN, Résonance Magnétique Nucléaire, tire des informations de l’interaction qui peut apparaitre entre les noyaux des atomes présents dans l’échantillon quand on le soumet à un champ magnétique intense et constant produit par un aimant. Cette technique permet entre autre une analyse structurale des molécules. C’est pourquoi elle est souvent utilisée en chimie organique. Une extension de ce procédé d’analyse est sans doute plus connue du grand public sous le nom d’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM). Dans les cas présentés, le noyau étudié est le proton. La technique est alors appelée RMN du proton (RMN 1H) : si on place une molécule comportant des atomes d’hydrogène dans un champ magnétique, chaque noyau de ses atomes d’hydrogène se comporte comme un petit aimant ; ensuite, sous l’effet d’impulsions de radiofréquence, et en fonction de leur environnement électronique, chaque proton du composé rentre en résonnance à une fréquence liée à son emplacement dans la molécule. On peut dire alors que chaque molécule comportant de l’hydrogène possède une « empreinte digitale », qui par analyse RMN sera traduite sous forme d’un diagramme, représentant les signaux de résonance, appelé spectre RMN. Spectrométrie d'absorption de flamme La spectrométrie d’absorption de flamme permet de doser spécifiquement un élément dans une solution. Cette analyse repose sur la capacité des atomes à absorber et émettre de la lumière à une longueur d’onde spécifique. Cette technique est utilisée pour doser l’élément Ca dans les solutions de traitement afin d’évaluer l’impact du traitement sur la partie minérale.