Le secret bancaire helvétique n`est pas mort !
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Le secret bancaire helvétique n`est pas mort !
CONSEILS VU DE SUISSE Le secret bancaire helvétique n’est pas mort ! L’échange automatique de renseignements avec l’Union européenne, dans le cadre de l’accord sur la fiscalité de l’épargne, représente de manière tangible un nouveau paradigme pour la clientèle étrangère détentrice de comptes bancaires en Suisse, mais aussi pour les citoyens helvétiques, propriétaires de comptes bancaires en Europe. Cependant, les Suisses échappent à l’élargissement du droit pénal fiscal sur leur territoire. Le secret bancaire sera donc levé pour les uns, mais pas pour les autres. T ant le Conseil des Etats (Sénat) que le Conseil national (Assemblée nationale) helvétiques ont (finalement) accepté l’échange automatique de renseignements (EAR) avec l’Union européenne (UE), histoire d’harmoniser les politiques fiscales en matière d’épargne et de mettre un terme aux comptes non déclarés. Il s’agit néanmoins d’une contrepartie incontournable pour la Suisse, afin de maintenir ses accords bilatéraux, de les renforcer et d’en assurer de nouveaux, comme l’accès au marché. Cet accord entrera en vigueur en janvier 2017 de manière bilatérale ou multilatérale, mais son application sera effective dès septembre 2018. Il met fin à des décennies d’un modèle d’affaires bancaire axé sur l’évasion fiscale, autrement dit l’accueil rémunéré et fort rémunérateur d’avoirs non conformes fiscalement sur des comptes, ou dans des coffres-forts. Sont directement concernés la clientèle étrangère détentrice de comptes bancaires en Suisse, mais aussi les citoyens helvétiques propriétaires de comptes bancaires en Europe. Bien évidemment, un grand nombre de clients étrangers « sur la sellette » n’ont pas attendu cette échéance pour régulariser leur situation fiscale, d’autant que les banques ont été contraintes de collaborer avec les services fiscaux suisses et étrangers, au risque de condamnations pénales assorties d’amendes prohibitives. Pour ceux ne s’étant pas encore manifestés, une certaine urgence prévaut, puisque tous les comptes soldés en Suisse de janvier 2017 n à octobre 2018 feront l’objet de transmissions aux services fiscaux compétents. La levée du secret bancaire ne concerne pas les Suisses Le Conseil fédéral (gouvernement suisse) a retoqué la proposition d’unification du droit pénal fiscal élaborée par la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf, qui l’élargissait aux citoyens helvétiques... Son petit parti centriste ayant enregistré une lourde défaite lors des élections d’octobre au Conseil national (Assemblée nationale), la politicienne quittera le Conseil fédéral début décembre, lors des élections de ses sept Sages par le Parlement. La levée du secret bancaire ne concerne donc plus les Suisses, puisque la révision du droit fiscal pénal n’autorisera pas les cantons à accéder aux données bancaires de contribuables helvétiques, soupçonnés de dissimuler des revenus. Cette mesure, assortie de garde-fous, aurait été appliquée en cas d’ouverture d’une procédure pénale et la discrétion absolue aurait été maintenue pour la procédure de taxation, mais cela n’a pas suffi aux yeux du gouvernement suisse. En réalité, il a décidé de stopper cette proposition, car elle risquait d’être balayée par le Parlement. Car il faut savoir qu’à la fin septembre, l’initiative populaire « Oui à la protection de la sphère privée » a été déposée à la Chancellerie fédérale. Lancée en 2013 par certains milieux politiques conservateurs et l’Union suisse des arts et métiers (défense des PME), elle veut renforcer la protection constitutionnelle de la sphère privée en l’étendant au secteur financier ; en clair, 60 GESTION DE FORTUNE – n° 265 – Décembre 2015 Didier Planche cette initiative refuse que les banques transmettent aux fiscs cantonaux des informations sur leurs clients établis en Suisse, de même qu’elle souhaite maintenir la distinction entre soustraction et fraude fiscales sur le plan international. Vraisemblablement l’année prochaine, les citoyens helvétiques se prononceront ainsi sur la garantie par la Constitution de la confidentialité des données financières. Pour les initiants, il s’agit de conserver la relation de confiance entre les citoyens suisses et leur administration, comme d’appliquer le modèle existant au Luxembourg et en Autriche qui préserve le secret bancaire interne. Il n’empêche que le Conseil fédéral rejette cette initiative, estimant que la sphère privée est suffisamment protégée en Suisse; idem pour l’Association suisse des banquiers (ASB) qui la considère comme « inadéquate », car le maintien de la notion de soustraction fiscale nuit à l’objectif d’une place financière fiscalement conforme. Et puis, le Groupe d’action financière (GAFI) se manifesterait illico en cas d’acceptation de cette initiative... Une convergence existe cependant entre les initiants et le Conseil fédéral, à savoir relancer la réforme de l’impôt anticipé qui offrirait aux Suisses le choix entre une déclaration de leurs avoirs au fisc et une taxe préventive de 35 %. A l’instar du Conseil fédéral, l’initiative prône ce système d’impôt anticipé, prélevé à la source et remboursé au contribuable lorsqu’il remplit sa déclaration fiscale. Selon ses laudateurs, ce système a fait ses preuves et rapporte plusieurs milliards de francs à la Confédération helvétique. n VU DE SUISSE / CONSEILS « La protection de la sphère privée reste bien vivante en Suisse » Entretien avec Yves Mirabaud, président de l’Association de banques privées suisses, associé-senior de Mirabaud SCA Pour Yves Mirabaud, président de l’Association de banques privées suisses (ABPS), la future application de l’Echange Automatique de Renseignements (EAR) avec l’Union européenne (UE), relevant de la fiscalité de l’épargne, n’est aucunement préjudiciable à la place financière suisse, puisqu’elle corrige simplement un manquement en matière de fraude fiscale. D’ailleurs, il constate que la clientèle étrangère continue toujours à solliciter les services et prestations bancaires helvétiques. Avec la récente validation par le Parlement helvétique de la future loi sur l’EAR, cette fois-ci le secret bancaire suisse est-il définitivement mort et enterré ? Yves Mirabaud : Non, le secret bancaire helvétique n’est pas mort. La protection de la sphère privée reste une notion très importante en Suisse, mais elle ne couvre plus l’évasion fiscale. Il convient donc de préciser que l’EAR ne lève le secret bancaire que vis-à-vis des seules autorités fiscales. Les autorités suisses veilleront, pour leur part, à ce que ces dernières ne transmettent pas à des tiers les données qu’elles recevront. Néanmoins, comment expliquez-vous que les banquiers, en particulier actifs dans la gestion de fortune, ont finalement cédé après avoir âprement combattu l’EAR, de même que certains sénateurs et députés de droite qui y étaient farouchement opposés ? YM : En 2013, les banquiers privés ont été les premiers, en Suisse, à reconnaître la nécessité de passer à l’EAR, après l’échec des accords dits «Rubik»; ceuxci, qui prévoyaient un impôt libératoire à la source, auraient livré des recettes fiscales directement aux Etats étrangers, tout en préservant la sphère privée des clients. Notons aussi que l’EAR est devenu très récemment un standard international, sous l’égide de l’OCDE. Désormais, à quelle sauce seront mangés les clients suisses et étrangers en matière de fiscalité de l’épargne? YM : L’accord entre la Suisse et l’UE sur la fiscalité de l’épargne sera modifié avec effet au 1er janvier 2017 et remplacé par le standard OCDE d’échange automatique. Les banques européennes seront donc également tenues de livrer à la Suisse les données fiscales de leurs clients helvétiques. Craignez-vous une érosion de la clientèle étrangère, qui appréciait justement la place financière suisse pour son secret bancaire, lequel semblait inébranlable à leurs yeux? YM : Presque tous les clients qui avaient besoin de régulariser leur situation fiscale l’ont déjà fait, ou sont en train de le faire. Et il est réjouissant de constater que la plus grande partie d’entre eux ont décidé de conserver leur compte en Suisse. La stabilité politique et économique du pays, couplée à la qualité des services qui y sont rendus, les y ont sans doute incités. L’initiative populaire « Oui à la protection de la sphère privée », lancée par les milieux conservateurs, vient d’être déposée à la Chancellerie fédérale. Autrement dit, les citoyens suisses s’exprimeront en votation sur cet objet en 2016. Quelle chance a-t-elle d’aboutir et quelles seraient les conséquences de son acceptation ? YM : Au vu des résultats des élections fédérales d’octobre dernier (forte poussée de la droite nationaliste au Conseil national, le pendant de l’Assemblée nationale, ndlr), les chances d’une acceptation de cette initiative par le peuple se montent à un peu plus de 50 %. Une telle acceptation viendrait confirmer le système fiscal suisse actuel, où l’Etat fait confiance à ses citoyens, tout en prévoyant un impôt de garantie. La ministre suisse des Finances, Eveline Widmer-Schlumpf, qui a été la principale fossoyeuse du secret bancaire, a annoncé son départ du gouvernement helvétique en décembre prochain, à l’occasion des élections au Conseil fédéral. Etes-vous satisfait, ou rassuré, sachant que les banquiers suisses ne la portaient vraiment pas dans leur cœur ? YM : Confrontée à des pressions internationales qui étaient, et restent immenses, Eveline Widmer-Schlumpf a surtout joué le rôle de la messagère des mauvaises nouvelles. Nos soucis ne vont hélas pas disparaître avec elle. Le véritable enjeu est de s’assurer que les autres places financières appliquent, elles aussi, correctement les standards internationaux. La place financière suisse suit de très près le dossier sur l’accès au marché européen, notamment, qui est de première importance pour le secteur bancaire. A quel stade se trouvent aujourd’hui les négociations avec l’UE ? YM : Selon notre analyse de la position de l’UE, la Suisse doit d’abord régler les difficultés et malentendus liés à la libre circulation des personnes, découlant de l’acceptation par le peuple, en février 2014, de l’initiative contre l’immigration de masse. La Confédération helvétique doit également résoudre les questions institutionnelles avec l’Europe. En matière de services financiers, des discussions techniques ont déjà lieu pour préparer un éventuel accord, même si, aujourd’hui, un tel accord semble assez lointain... n n° 265 – Décembre 2015 – GESTION DE FORTUNE 61