L`or, le pétrole et la règle de Raymond Barre

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L`or, le pétrole et la règle de Raymond Barre
éditorial
L’or, le pétrole et la règle de
Raymond Barre
Jean-Marc Daniel
N
aguère, au moment du deuxième
choc pétrolier, Raymond Barre avait
énoncé une règle purement empirique selon laquelle le cours de l’once d’or
avait tendance à se fixer à dix fois celui du
baril de pétrole. L’évolution des cours des
matières premières ces derniers mois est
venue confirmer cette affirmation, affirmation dont Raymond Barre lui-même soulignait auprès de qui voulait l’entendre qu’elle
ne reposait sur aucune construction théorique élaborée.
Et pourtant, à y regarder de près, cette règle
constitue une grille de lecture à la fois puissante et pertinente des phénomènes monétaires actuels. Depuis 1976 et le sommet du
FMI à la Jamaïque, les monnaies mondiales
n’utilisent plus l’or comme référence ultime.
Alors que pendant des siècles, tous les mécanismes monétaires, organisés ou non autour
de l’existence d’une Banque centrale, se sont
développés autour de l’or, ce sommet a fait
basculer le monde dans un système où ce
qui est le noyau central de l’activité monétaire est la dette publique américaine. Ce
qui est particulièrement frappant dans les
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décisions prises dans les années 1970, c’està-dire le refus initial américain de fournir de
l’or contre des dollars puis la pérennisation
de ce refus conduisant le reste du monde à
accepter de ne plus utiliser l’or, c’est que les
États-Unis se sont arrogé, selon l’expression
de Jacques Rueff reprise par le général de
Gaulle, « un privilège exorbitant » qu’aucun
autre pays avant eux n’avait envisagé de
s’arroger. Ce privilège, celui de battre monnaie sans avoir à rendre compte à qui que
ce soit, les états-Unis en ont fait le moyen
de consommer sans limites et sans se soucier de ce que cela pourrait avoir comme
conséquences sur l’économie mondiale. Tous
les ans, à cause de leur déficit extérieur qui
traduit leur manque d’épargne et leur excès
de consommation et qui met en lumière la
réalité profonde de leur croissance si souvent admirée, ils injectent dans l’économie
mondiale 800 milliards de dollars de monnaie qui n’ont aucun répondant en termes
de richesse concrète dans l’économie américaine. Ces 800 milliards entretiennent de
ce fait l’inflation mondiale. Comme le salaire
moyen mondial a tendance à baisser du fait
L’or, le pétrole et la règle de Raymond Barre
de l’accès au marché du travail industriel d’un
nombre sans cesse croissant de travailleurs
asiatiques, cette inflation ne se porte pas sur
les prix des biens de consommation courante sortis des usines traditionnelles. Ce
qui augmente, ce sont les biens immobiliers,
les matières premières, les objets de spéculation.
La hausse des prix que l’on peut enregistrer
au niveau mondial ne doit rien à la pression sur la demande qu’exerceraient les
pays émergents : en effet, de par leur travail,
Chinois et Indiens mettent sur le marché
plus que ce qu’ils demandent. Leurs besoins
s’accroissent, leur niveau de vie augmente,
mais leur production suit et dans le commerce international, ces pays apportent plus
qu’ils ne retirent. L’inflation n’est donc pas
chinoise, elle est américaine. Et c’est pourquoi elle ronge la devise américaine, ce dollar que l’or ne protège plus et qui ne peut
continuer à s’affirmer que grâce à la puissance politique des états-Unis.
Et si l’on revient vers l’or, vers la monnaie historique qui s’imposa avec Crésus
550 ans avant Jésus-Christ et qui ne disparut qu’avec Nixon, il n’y a pas d’inflation :
en or, un baril de pétrole coûte toujours
un dixième d’once. C’est cela, la règle de
Raymond Barre. Ce qu’elle dit simplement
en termes monétaires, c’est que si le monde
avait conservé un système financier stable et
géré autour d’une référence internationale
et non d’une référence nationale comme
le dollar, nous n’aurions pas d’inflation. Les
économistes classiques qui s’inspiraient de
Ricardo l’avaient dit en leur temps : la croissance de la productivité sur le long terme et
la concurrence ont tendance à faire baisser
les prix et à améliorer le pouvoir d’achat. Ce
qui empêche ce mécanisme de jouer, ce sont
les manipulations monétaires. Plus on s’éloigne des règles monétaires que symbolisait
naguère l’étalon-or, plus l’inflation est possible. Plus l’inflation est possible et moins les
conséquences de la croissance sont claires
dans la répartition du pouvoir d’achat.
Les Américains se sont débarrassés de l’or
pour ne pas avoir à subir sa discipline et
pouvoir se livrer au charme vénéneux de
l’inflation. Barre leur avait annoncé qu’ils
prenaient des risques, que l’or resterait et
que son cours viendrait leur rappeler régulièrement qu’une autre politique monétaire
que la fuite en avant était possible et souhaitable. C’est ce que l’année 2008 est en
train de confirmer : vivre à crédit d’une
création monétaire suscitée par les déficits
jumeaux aura donné à l’économie américaine sa force et son aura des années 2000,
avant de la mettre à nu au point de menacer
son privilège monétaire. On se souvient de
la formule célèbre du secrétaire au Trésor
de Nixon : « le dollar, c’est notre devise et
votre problème ». Aujourd’hui, comme de
moins en moins de pays semblent accepter
cette situation, à Washington, on est en train
de s’apercevoir que le dollar est devenu un
problème américain. Et ce d’autant que l’or,
comme en ricanant, semble vouloir faire un
éternel retour…
2
ème
trimestre
2008
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