L`enfant, entre les parents et les enseignants

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L`enfant, entre les parents et les enseignants
Réussite éducative, santé et bien-être à l’école
Dossier
L’enfant, entre les parents
et les enseignants
Le principe de l’ouverture de l’école aux parents fait consensus. Pourtant, les faits
démentent souvent cette vision bienveillante du système éducatif. Nombre de parents
se sentent mal accueillis, rarement reconnus comme les premiers éducateurs de
l’enfant. Il s’agit donc de penser des relations de coopération éducative, de changer
le regard sur l’enfant/élève, d’inventer une école de l’hospitalité et de la citoyenneté.
© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS
Jacqueline
Costa-Lascoux
Juriste et psychosociologue,
directrice de recherche au
CNRS associée au Cévipof
Sciences-Po Paris
Cévipof, 98, rue de l’Université,
75007 Paris, France
Mots clés - contrat éducatif ; dialogue ; école ; enseignant ; parents
The child, between the parents and the teachers. There is broad consensus regarding
the principle of schools opening up to parents. However, the facts often contradict this
caring vision of the educational system. Many parents feel they are not welcomed and
rarely recognised as the primary educators of their child. It is therefore important to
consider the educational cooperation relationships, to change the way we see the child/
pupil, to invent a school of hospitality and citizenship.
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Keywords - dialogue; educational contract; parents; school; teacher
L’
élève est aussi un enfant : cette évidence
est sans cesse rappelée dans les discours
sur les relations de l’école aux parents.
Dans les faits, cela s’avère beaucoup moins vrai,
comme si l’école ne voyait en l’enfant que sa qualité
d’élève. Là est le paradoxe : d’un côté, des propos qui
apparaissent aujourd’hui consensuels, de l’autre, une
perception de l’école par les parents et par les jeunes
qui en diffère très sensiblement.
Le paradoxe
J J Le projet d’ouverture de l’école aux parents
recueille désormais un large accord. Plusieurs
dispositifs ont été mis en place dans le cadre de
l’Éducation nationale. Citons “la mallette des
parents” [1], la circulaire du 15 octobre 2013 [2], le
guide Une école bienveillante face aux situations de
mal-être des élèves [3], les mesures faisant de la lutte
contre l’illettrisme la Grande cause nationale de
2013 [4] et l’accent mis sur les actions éducatives
familiales.
Les caisses d’allocations familiales (CAF), pour leur
part, ont développé les contrats locaux d’aide à la
scolarité, des lieux d’accueil et d’écoute parentsenfants [LAEP] et tout un ensemble de mesures de
soutien à la parentalité. Enfin, le programme de
réussite éducative donne un rôle essentiel au travail
avec les familles.
J J Pourtant, l’école est loin d’être perçue comme
hospitalière par les parents, ou même bienveillante.
Combien regrettent d’être convoqués uniquement
lorsque les choses vont mal et d’être si rarement gratifiés de leurs efforts ? Encourager leur enfant à mieux se
comporter à l’école et à obtenir de meilleurs résultats
scolaires ne semble pas leur être attribué, alors qu’ils
sont trop souvent comptables d’être des “parents
démissionnaires”. Ils se disent culpabilisés, infantilisés,
peu associés à la vie des établissements scolaires. Ils se
sentent ignorants des arcanes de l’Éducation nationale,
de son fonctionnement, de ses filières et de ses sigles.
J J Le paradoxe est d’autant plus grand que depuis
la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur
l’éducation, dite loi Jospin, les parents sont reconnus comme des partenaires de l’école et qu’un local
devait même être prévu dans chaque établissement
pour les recevoir et leur permettre de se réunir !
L’écart entre les pétitions de principe et la réalité est
flagrant dans toutes les enquêtes menées auprès des
familles. Faut-il alors s’étonner qu’un nombre croissant d’élèves disent partir à l’école “la boule au
ventre” à en croire le baromètre annuel de l’Association française des étudiants pour la ville (Afev) [5],
et que les phobies scolaires soient plus nombreuses ?
Le rapport mondial de l’Organisation des Nations
unies pour l’éducation, la science et la culture
(Unesco) sur l’évaluation de la situation et des
La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29
Adresse e-mail :
[email protected]
(J. Costa-Lascoux).
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http://dx.doi.org/10.1016/j.revssu.2014.08.005
Dossier
Notes
Eugénie Cotton (1881-1967) :
Physicienne française, ancienne
directrice de l’École normale de
Sèvres, militante communiste.
2 Paul Éluard (1895-1952) :
Poète français, résistant, militant
communiste.
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Réussite éducative, santé et bien-être à l’école
besoins des élèves (10 juin 2012) souligne le malaise
des jeunes Français en milieu scolaire [6].
Nombre de problèmes de santé, psychiques et physiologiques, ne sont pas détectés à l’école par manque
d’infirmières, de psychologues et de médecins scolaires, ainsi que d’assistantes sociales. À cela s’ajoute
les faibles relations des personnels de santé avec les
enseignants, et entre les enseignants et la vie scolaire,
alors que la France s’honore d’avoir des conseillers
principaux d’éducation (CPE), institution originale
en Europe.
J J Ce ne serait pas si difficile, pourtant, de
rythmer l’année scolaire par des moments de
rencontre avec les parents – moments d’information, de participation, de partage, de fête, etc. – et
pas seulement à l’occasion des conseils de classe.
Comment parler de partenariat sans reconnaissance
des parents dans leur rôle et leur fonction, mais
aussi sans reconnaissance réciproque, chacun à sa
place, les uns ne se substituant pas aux autres, pour
construire une coopération, voire une coéducation ?
Ce que l’on constate, en effet, c’est l’amélioration
évidente du bien-être des enfants à l’école et l’amélioration tant de leur motivation que des résultats
scolaires, lorsque les relations entre les enseignants
et les parents sont harmonieuses, constantes et
fondées sur le respect réciproque.
Dès le début de l’année scolaire, il est possible de
prévoir une vraie rentrée, qui suppose la qualité de
l’accueil. On présente l’établissement avec l’historique de son nom (à la fin du collège, certains élèves
et parents ne savent toujours pas qui étaient Eugénie
Cotton1 ou Paul Éluard2 dont ils ont prononcé le nom
pendant quatre ans), l’organigramme des lieux et, bien
sûr, les personnes qui dirigent et celles qui y travaillent, les points forts du projet d’établissement et
des activités – sportives, artistiques, scientifiques…
C’est aussi l’occasion d’expliquer le contrat éducatif,
les valeurs qui le fondent, les missions de l’école, la
laïcité, le respect des personnes et du bien commun,
qui forment les attendus du règlement intérieur.
Le contrat éducatif
J J Un contrat éducatif initial prévient les malentendus et les incidents. À chaque accroc de la vie
scolaire, on en rappelle les termes – culturellement,
il n’y a rien de plus universel que le respect de la
parole donnée. Le moyen d’éviter les incivilités, les
violences, les expressions de racisme, de sexisme,
d’homophobie, tient notamment à la qualité du
premier accueil et à l’échange contractuel qui fonde
le vivre ensemble. L’école est une communauté
éducative, qui réunit des personnes de milieux, de
croyances, de modes de vie différents ; ce n’est pas
un bâtiment à la porte duquel on dépose son enfant.
J J La coopération éducative entre l’école et les
parents est donc un contrat qui se fortifie tout au
long de la scolarité et pas seulement le jour de la
rentrée. Les neuf mois de l’année scolaire sont ceux
d’une progression dans les apprentissages, mais
également dans la vie collective, celle d’une classe et
d’une école. Or, cette dernière est une communauté
qui rassemble des composantes multiples : mixité
sociale et diversité des origines, des milieux de vie,
des classes d’âge, des cultures, mixité de genre,
autant d’éléments sur lesquels repose l’école républicaine, laïque et obligatoire (au sens du droit de
chaque enfant à l’éducation et non d’une obligation
parentale permettant de “toucher des allocations”).
Il s’agit de prévoir des moments privilégiés qui marquent cette histoire collective (la classe de nature,
les échanges avec d’autres établissements, le voyage
à l’étranger, les événements sportifs, le spectacle de
fin d’année, les sorties) et auxquels sont conviés les
parents.
Les parents, premiers éducateurs
J J Au-delà des moments de rencontre, c’est la
reconnaissance des parents en tant que premiers
éducateurs qu’il convient d’affirmer. Ce qui s’entend à plusieurs titres :
• au sens d’une antériorité dans le temps, dès la
période déterminante de la périnatalité et de la
naissance ;
• par la durée de la présence auprès de l’enfant
et du jeune jusqu’à l’âge adulte et, parfois au-delà,
du fait de la dépendance économique et résidentielle à l’égard des parents ;
• par la vision globale et évolutive de l’enfant
dans sa fratrie, dans son environnement social et
familial ;
• au sens, enfin, d’une éducation qui relie à une
mémoire familiale, une généalogie, des traditions,
une culture avec des liens identitaires, affectifs et
symboliques forts.
J J Les parents sont donc premiers éducateurs
chronologiquement parce qu’ils s’inscrivent dans la
durée, avec la vision globale de l’enfant et par l’inscription de l’éducation au sein de l’histoire longue
d’une famille, par exemple, dans une trajectoire
migratoire. En ce sens, les actions de soutien à la
parentalité visent à une continuité et à une cohérence éducatives.
J J Les parents n’ont, certes, pas tous le même
niveau d’investissement : certains sont très présents
et d’autres complètement absents. Mais a-t-on
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Changer de regard
J J Nombre d’élèves disent ressentir le jugement
qui est posé sur leurs parents par l’institution
scolaire et, le plus souvent, par les enseignants.
C’est l’une des causes majeures du mal-être des
jeunes, qui peut aller jusqu’à un sentiment de honte,
celui qu’ils éprouvent aussi lorsqu’on leur dit qu’ils
“sont nuls” : si un devoir peut être nul, l’enfant lui,
ne l’est pas ! Trop fréquemment, des phrases stéréotypées et dépréciatives sur les “parents démissionnaires” ou les “familles immigrées” tombent comme
des jugements sans appel.
J J Porter une attention aux parents est un impératif éducatif. Cela ne signifie pas, cependant, une
attitude inquisitoriale, surtout lorsque certaines
familles sont des habituées des guichets de préfecture,
des administrations, de la justice ou de la police, qui
contrôlent leur identité et leur situation. Les actions
de soutien à la parentalité ont pour but de restaurer
les parents dans leur dignité, quelles que soient les
difficultés rencontrées. Il est d’autant plus nécessaire
d’établir des relations qui favorisent le bien-être de
l’enfant/élève ; cela fait partie de la lutte contre les
injustices et du combat pour l’égalité des chances.
J J De même, il est absurde de juger au nom du
“métier” de parent. Être et devenir parent ne se
résume pas à une série de compétences certifiées
par un diplôme ni à des capacités mesurées à l’aune
d’une grille préformée. En revanche, il est important
de penser les complémentarités avec l’école.
Les parents sont porteurs de cultures, de mémoires,
de langues, d’expériences du monde, de connaissance d’autres régions, d’autres pays… Ils sont détenteurs d’identités qui ont les saveurs du “sel de la vie”.
Si l’enfant reste enfermé dans son identité familiale,
claquemuré dans son quartier, emprisonné dans un
système de croyance hermétique, il sera déstabilisé
par la socialisation à l’école, par le pluralisme des
idées et des savoirs, auxquels il sera confronté. Mais
©BSIP/Lemoine
réfléchi au moyen de joindre ces derniers : téléphoner aux parents éloignés, aux parents illettrés ou
analphabètes, par exemple, plutôt que de mettre
un mot dans le cartable ou dans le carnet de correspondance ? Pourquoi ne pas organiser, avec des
associations partenaires, des ludothèques et des
médiathèques itinérantes ou des rencontres à domicile comme le fait l’Afev pour nouer un contact ?
Quant aux parents trop présents, il est toujours
possible de d’apaiser les inquiétudes, de leur rappeler les règles, de leur expliquer que l’intérêt général
dépasse leur intérêt particulier et que l’enseignant
n’est pas un précepteur.
La place des parents en tant que premiers éducateurs doit être affirmée.
cette perturbation sera l’occasion de son émancipation si elle s’accompagne d’une attitude bienveillante
de la part des enseignants. La démocratie doit se
garder, en effet, de ces « identités meurtrières » [7]
qui font obstacle à l’accession à une pensée libre.
À l’inverse, si l’école ignore les cultures familiales et
les identités, la citoyenneté devient pure abstraction,
une injonction qui suscitera des résistances.
Une éducation humaniste
J J L’école enseigne des savoirs afin de former un
futur citoyen, éclairé et instruit, avec des méthodes
de pensée, la formation de l’esprit critique, le goût
de la découverte et de la liberté par la confrontation
des points de vue et par le débat argumenté. Elle ne
doit pas, cependant, humilier ceux dont les familles
n’ont jamais été scolarisées ou n’ont jamais vécu dans
une société démocratique et qui tentent de survivre
dans la précarité.
Des conflits ou des formes de désintérêt, des attitudes de rejet ou de décrochage, peuvent apparaître
chez l’élève/enfant. Il sera alors nécessaire de reconstruire la relation aux parents sur un projet éducatif
auquel ils seront associés, de l’élaboration des actions
entreprises jusqu’à leur évaluation. Les notes scolaires
ne suffisent pas à apprécier l’évolution d’un enfant !
J J L’école doit assurer sa mission pédagogique
pour le bien-être de tous, enfants, parents, enseignants. Il s’agit de faire vivre le plaisir d’apprendre
et d’éduquer, de tisser des liens de confiance avec
« cet enfant réel qui est une personne », disait Hélène
Romano [8] ; un enfant/élève reconnu avec les siens
par une école hospitalière et bienveillante, une école
qui assure sa mission humaniste.
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Références
[1] http://www.education.gouv.
fr/cid53083/le-dispositif-mallettedes-parents.html
[2] Circulaire n° 2013-142 du
15 octobre 2013. Renforcer la
coopération entre les parents et
l’école dans les territoires. http://
www.education.gouv.fr/cid74543/
publication-de-la-circulaire-n2013-142-du-15-octobre-2013renforcer-la-cooperation-entreles-parents-et-l-ecole-dans-lesterritoires.html
[3] MEN. Une école bienveillante
face aux situations de mal-être
des élèves. 2014. http://cache.
media.eduscol.education.fr/file/
Actu_2014/43/5/2014_ecole_
bienveillante_bdef_315435.pdf
[4] http://www.
illettrismegrandecause2013.fr/
[5] www.afev.fr
[6] Unesco. Rapport mondial de
suivi de l’éducation pour tous.
2012. Jeunes et compétences :
l’éducation au travail. http://
unesdoc.unesco.org/
images/0021/002180/218015f.pdf
[7] Maalouf A. Les identités
meurtrières. Paris: Grasset; 1998.
[8] Romano H. Santé et bien-être
à l’école. Recommandations de
l’Unicef. Journée scientifique de
l’Afpssu : Réussite éducative, santé
et bien-être... agir ensemble. Paris;
31 mars 2014.
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir
de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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