UN SUJET D`ACTUALITÉ - Société de Pharmacie de Bordeaux

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UN SUJET D`ACTUALITÉ - Société de Pharmacie de Bordeaux
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Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 1999, 138, 113-120
SOULAGER LES DOULEURS
ÉVOLUTIVES INTENSES :
UN SUJET D'ACTUALITÉ (*)
Dr. Benoît BURUCOA
(1)
Première partie :
Considérations générales
Les douleurs liées aux maladies évolutives telles le cancer et le Sida
représentent un véritable problème de Santé Publique, tant par leur fréquence
(plus de 50 % durant la maladie, 75 à 80 % à la phase terminale) que par leur
intensité potentielle. Les douleurs sont sous-estimées et seulement 40 à 60 %
de douleurs intenses sont bien soulagées.
Des freins viennent limiter l'analgésie comme l'ancrage des mythes
autour de la morphine :
• morphine = mort, morphine = drogue ;
• l'incrédulité et la méfiance vis-à-vis des douleurs ;
• un certain fatalisme : "les douleurs sont inévitables".
(*)
Manuscrit reçu le 14 octobre 1999
(1)
Service de Soins Palliatifs et d'Accompagnement, CHU de Bordeaux.
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Mais, reconnaissons-le, le soulagement des douleurs peut être un art
difficile parce qu'elles sont multiples, lorsqu'il s'agit de douleurs par atteinte
nerveuse ou dans certains cas de douleurs séquellaires...
Il existe des moyens de lutte efficaces contre les douleurs :
• la pratique de la clinique (la sémiologie, la compréhension des
mécanismes...) ;
• l'analgésie par voie orale ;
• l'utilisation de la morphine ;
• la prise en compte de la souffrance globale ;
• le travail d'équipe ;
• un enseignement initial et continu pour les médecins.
La relation avec la personne souffrante et son entourage, et la prise en
compte de la souffrance globale (douleur totale) sont indispensables.
Durant cette dernière année, l'apparition de nouvelles présentations ou
molécules après une impulsion ministérielle, ont fait de l'analgésie un sujet
d'actualité. Plusieurs nouveaux médicaments sont à la disposition du
praticien. Citons :
• Tramadol, Zamudol, Topalgic
• une morphine à libération immédiate en comprimés : Sevredol
• une morphine à libération prolongée sous 24 h en gélules : Kapanol
• un morphinique utilisable par voie transdermique en patch d'une durée
de 3 jours : Fentanyl, Durogesic
Ces dernières années, des recommandations précises, de l'OMS, du
Sénat, de la Société Française du Cancer, de l'ANDEM, ont permis
l'élaboration de documents pédagogiques faciles d'utilisation (par exemple, le
dépliant du Groupe Hôpital Douleur St-André-CHU de Bordeaux). L'accent
est davantage mis sur l'importance de l'évaluation des douleurs et des outils
disponibles tant en domicile qu'en institution.
Enfin, il est intéressant de noter que les modalités de prescription des
opiacés ont été simplifiées par arrêtés ministériels.
Le sujet des douleurs nous intéresse tous. Le train est en marche,
puissions-nous le prendre ensemble !
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Deuxième partie : Guide à l'usage du Médecin
à domicile et en institutions pour la prescription
des morphiniques
1. Comment soulager une personne qui souffre de douleurs ?
— non soulagées par le dextropropoxyphène, la codéine ou le tramadol
(morphiniques faibles) ;
— évaluées à 6/10 au moins ;
— causées par un cancer : sa masse, sa compression ;
— à type de poids, pesanteurs ou tiraillements, lancements.
2. La morphine orale est-eIle indiquée ? OUI
— la douleur est intense, insupportable, invalidante ;
— la vie quotidienne du patient est altérée ;
— j'utilise une ordonnance infalsifiable (à partir du mois d'avril 99).
3. La prise de morphine orale induit-elle des risques ?
La morphine par voie orale ou en perfusion continue ne provoque :
— ni dépendance
— ni accoutumance
— ni dépression respiratoire
la morphine
drogue
n'est
pas
4. Comment passer :
du PALIER II ...
... au PALIER III ?
(morphinique faible)
(morphine)
dose de la journée divisée par 10.
une
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5. Comment passer :
Buprénorphine sublinguale ...
(Temgésic ®)
... à morphine orale ?
PALIER III
PALIER III
dose de la journée multipliée par 60.
6. Comment répartir les prises de morphine orale ?
En fonction de la présentation, le schéma ci-dessous peut être suivi :
• Solution (chlorhydrate)
Une prise toutes les ...
— Ampoules buvables à 10 et 20 mg pour 10 ml
— Ampoules buvables à 10 et 20 mg pour 1 ml
4 h
• Forme à libération prolongée (LP, sulfate)
— Moscontin ® 10, 30, 60, 100, 200 mg
(14 comprimés par boîte)
12 h
— Skénan ® 10, 30, 60, 100, 200 mg
(14 gélules par boîte)
12 h
— Kapanol ® 20, 50, 100 mg (7 gélules par boîte)
24 h
7. Puis je associer deux morphiniques ?
JAMAIS …
buprénorphine (Temgésic ®)
pentazocine (Fortal ®, peu
utilisé)
nalbuphine inj. (Nubain ®)
… ET UN AUTRE
morphinique
8. Dois-je continuer les antalgiques antérieurs ?
OUI, car il faut tenir compte du délai d'action du nouveau morphinique :
— Pendant 3 h pour le Moscontin ® et le Skénan ®
— Pendant 8 h pour le Kapanol ®
— Pendant 24 h pour le Durogésic ®
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9. Quels objectifs
personne malade ?
du traitement antalgique
fixer
avec
la
La douleur doit être soulagée et évaluée à 4/10 au maximum, ceci par étapes :
— stopper les crises
— permettre le sommeil
— permettre les soins corporels
— pouvoir se mobiliser
— reprendre les activités
10. Quelle idée fixe dois-je garder en tête ? Faire circuler l e
transit intestinal.
Associer par exemple, un laxatif doux tous les jours (osmotique, lubrifiant,
émolIient), et un stimulant trois fois par semaine (bisacodyl, séné ...)
11. Quelle précaution dois-je prendre s'il existe des nausées o u
des vomissements ?
TOUJOURS prescrire un antiémétique avant de commencer la morphine :
métoclopramide (comprimés, suppositoires, solution) ou halopéridol en
gouttes à 2 mg/ml. Sinon, prévoir un traitement de recours en cas
d'apparition.
12. Quels effets indésirables initiaux prévenir et expliquer
d'emblée au patient ?
À dose adéquate, ils durent entre 3 et 7 jours puis s'atténuent ou
disparaissent :
— somnolence
60 % des cas
— nausées, vomissements (à prévenir pendant sept jours)
30 % des cas
— dysphorie, rêves éveillés
— cauchemars, soubresauts
20 % des cas
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13. Quels sont les éventuels signes de surdosage à rechercher ?
— mineurs : symptômes précédents quand ils persistent après une semaine.
Je réduis la dose de 30 %.
— avancés : troubles des fonctions supérieures, flapping, rétention urinaire.
Je réduis la dose de 50 %.
— majeurs : myosis serré aréactif, myoclonies répétées, bradypnée (5-6
cycles/min). J'arrête toute administration de morphine. J'envisage
éventuellement une injection de Narcan ® : 1/4 à 1 ampoule SC, IM ou Iv.
14. Quelle voie d'administration et quelle présentation utiliser ?
• Existe-t-il des douleurs instables ? une atteinte métabolique grave ?
S'agit-il d'un vieillard ?
→ la morphine en solution (préparation magistrale), à libération immédiate
(Sevedrol à 10, 20 mg comprimés), ou à libération prolongée sur 12 heures.
• Existe-t-il des douleurs stables ? Sans atteinte hépatique ou rénale
grave ?
→ la morphine LP sur 24 H (Kapanol®) ou le fentanyl transdermique
Durogésic®) selon l'équivalence suivante :
morphine, 50 mg / jour
(3 jours)
=
fentanyl transdermique, 25 µg /
h
(3 jours)
15. Quelle dose initiale de morphine utiliser ?
• 50 à 60 mg par jour, si des morphiniques faibles ont déjà été utilisés ;
• 20 à 40 mg par j. chez le vieillard, si le patient n'a pas pris de morphinique
faible auparavant, s'il existe une insuffisance hépatique ou rénale grave.
16. Comment anticiper une crise aiguë ?
En prévoyant une entredose, c'est-à-dire une prise d'antalgique
supplémentaire si besoin: → 1/6 de la dose quotidienne de morphine ou son
équivalent en médicaments du palier II, pour les voies orale, rectale, SC.
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Par exemple : une ampoule buvable à 20 mg ou un comprimé à 20 mg de
morphine à libération immédiate pour un patient sous morphine orale
120 mg/24 h.
17. Quelles sont les alternatives si la voie orale est impossible
(vomissements, troubles de la déglutition, de l'absorption, de la
conscience ou occlusion) ?
• Si la douleur est instable ?
→ Choix 1 : — surtout la perfusion sous-cutanée posée en région sousclaviculaire ou abdominale.
— la buprénorphine sublinguale si l'état du patient le permet
et si les doses sont faibles (en divisant la dose orale
quotidienne par 2).
→ Choix 2 :
— surtout la perfusion intra-veineuse continue en divisant
la dose orale quotidienne par 3 (une contre-indication: le
flash intra-veineux !)
— rarement la voie rectale en instillant la morphine en
solution, à dose identique à celle de la voie orale.
• Si la douleur est stable ?
— Fentanyl transdermique ;
— Si le patient est porteur d’une sonde gastrique ou de gastrostomie :
→ la morphine LP en gélules à ouvrir, à mélanger dans 50 ml de sérum
physiologique ou de glucosé, à instiller par une sonde de diamètre
supérieur à 16 F.G.
18. Pourquoi le soulagement n'est-il pas obtenu ?
• S'agit-il de vomissements, d’une mauvaise observance ?
• La dose est-elle insuffisante ? C'est le cas le plus fréquent !
Toujours ré-évaluer la douleur. Augmenter la morphine quotidienne de 30
à 50 %, par paliers de 1 à 2 jours.
• La morphine est-elle une panacée ? Non.
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Des douleurs lui résistent en partie ou en totalité :
— douleurs neuropathiques ;
— hypertension intracrânienne ;
— métastases osseuses ;
— spasmes musculaires ;
— colopathie fonctionnelle ;
— céphalées de tension nerveuse ...
• Quelle co-antalgie rechercher ?
— très souvent un anti-inflammatoire non stéroïdien en cas d'atteinte
nerveuse, osseuse, articulaire, muqueuse (situations très fréquentes).
— un corticostéroïde en cas d'œdème lésionnel tumoral (situation
fréquente).
— un antidépresseur tricyclique et/ou un anti-convulsivant si la douleur
est mixte avec désafférentation.
— un antispasmodique en cas de spasmes viscéraux.
— un myorelaxant, une radiothérapie, une contention, une neurostimulation, etc.
19. Quand faut-il diminuer la dose de morphine ?
Dans plusieurs situations, par exemple :
— en cas d'association aux AINS ou aux corticoïdes, car leur efficacité
apparaissant au 4-5ème jour peut diminuer les besoins en morphine.
— si potentialisation, par exemple avec les antidépresseurs tricycliques,
notamment sédatifs.
— si le traitement spécifique est efficace : radiothérapie, hormonothérapie ...
— lorsque la nociception diminue et que la désafférentation augmente.
20. Les traitements antalgiques suffisent-ils ? NON
Sont indispensables :
— la relation avec celui qui souffre : essayer de comprendre, écouter ;
— la relation avec ses proches ;
— la coopération en équipe.

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