Résumé de l`intervention - Fondation pour la Mémoire de la Shoah

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Résumé de l`intervention - Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Janine Doerry
Doctorante en histoire contemporaine
Leibniz Universität Hannover
« Des familles de prisonnier de guerre juif de France dans la Shoah.
Captivité de guerre, déportation à Bergen-Belsen et mémoire en France »
Présentation du sujet de thèse
Durant la Seconde Guerre mondiale, les soldats juifs français dans les camps de prisonniers
de guerre de l’armée allemande sont généralement traités dans le respect de la Convention de
Genève de 1929. Elle les protège des persécutions perpétrées à l'encontre des autres juifs. Les
représentants des prisonniers de guerre s’emploient afin que cette protection s’applique
également à leur famille en France, notamment à leur épouse et leurs enfants. Cependant,
dans les faits, des familles sont toutefois arrêtées et internées dans des camps en France, puis
déportées dans des camps d’extermination nationaux-socialistes.
Un groupe particulier de femmes et d’enfants juifs de prisonnier de guerre est déporté
directement de France au camp de concentration de Bergen-Belsen. Le groupe est interné
dans une section spécifique du camp, dans laquelle les nationaux-socialistes consignent des
juifs venant de différents pays sous occupation allemande. Ils entendent échanger ces détenus
juifs contre des citoyens allemands internés dans des pays ennemis.
Le groupe des femmes et enfants juifs de prisonniers de guerre français déporté à BergenBelsen est le point de départ de ma recherche doctorale. L’étude est axée sur ces familles
juives, c’est-à-dire sur les épouses et les enfants déportés, mais également les époux
prisonniers de guerre. Elle porte non seulement sur la captivité, la persécution en France et la
déportation à Bergen-Belsen, mais de même sur la période de la libération, du rapatriement
ainsi que sur l’évolution de la mémoire dès l’après-guerre et jusqu’à aujourd'hui.
L’expérience particulière des familles juives de prisonnier de guerre ainsi que l’évolution de
leur souvenir sont mises dans le contexte de la persécution des juifs et de la mémoire de la
Shoah en France.
Etat de la recherche
La recherche doctorale est soutenue par la FMS sous forme de deux bourses de séjour de
recherche (Paris 2010, Service International de Recherche/Bad Arolsen 2012). La date de
soutenance est prévue pour fin 2012. Plusieurs articles présentant les premiers résultats ont
été publiés, d’autres sont en cours de rédaction. Le texte suivant, présenté dans un premier
temps au séminaire des boursiers de la FMS début décembre 2011, résume les axes de la
recherche et les résultats actuels.
Captivité et déportation
En 1940, près d’un 1,6 million de prisonniers de guerre français sont transférés en Allemagne,
dont un million reste plusieurs années dans des camps de prisonniers de guerre tenus par la
Wehrmacht. Parmi eux, entre 10 000 et 15 000 soldats juifs vivent l'expérience de la captivité.
Selon leur pays d’origine, les juifs en captivité de guerre allemande connaissent des
conditions de détention très différentes. Les prisonniers de guerre juifs de France sont exposés
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aux discriminations antisémites, mais, à quelques exceptions près, traités conformément à la
Convention de Genève de 1929. Il s’agit d’une part de soldats français, d’autre part d’engagés
volontaires étrangers. Paradoxalement, le séjour dans les Stalags et les Oflags les protège de
la persécution en France. En revanche, ceux qui sont libérés et rapatriés en France sous
l’occupation allemande tombent sous le coup de la législation antisémite. Certains sont
arrêtés, internés et déportés à Auschwitz. Leur nombre demeure ignoré, ainsi que le nombre
de juifs parmi les soldats français morts en captivité.
Le statut de « prisonnier de guerre » des soldats juifs permet également des tentatives de
protection contre les mesures antisémites pour leur famille restée en France. Dès que des
juives épouses de prisonnier de guerre sont arrêtées, les organismes chargés de défendre les
intérêts des prisonniers de guerre essayent d’éviter leur déportation. Le nombre d’épouses et
d’enfants juifs de prisonnier de guerre déportés dans les camps d’extermination, malgré ces
tentatives, nous reste également inconnu.
Toutefois, plusieurs centaines de femmes et d’enfants juifs de prisonniers de guerre restent
dans le camp de transit de Drancy. Les Allemands font travailler une partie de ces femmes de
prisonnier de guerre dans des camps au cœur de Paris : à Levitan, Austerlitz et Bassano. Au
lieu de demeurer à Drancy, des enfants de prisonnier de guerre sont internés dans des maisons
d'enfants de la région parisienne. Au mois de mai et de juillet 1944, 168 femmes et 77 enfants
sont déportés directement de Drancy au le « camp de l’échange » de Bergen-Belsen. Dans
cette partie du camp de concentration de Bergen-Belsen, les nationaux-socialistes détiennent
des juifs susceptibles d'être échangés contre des Allemands internés à l'étranger. La
déportation à Bergen-Belsen survient trois mois, voire un mois, avant la libération de Paris et
du camp de Drancy. La détention à Bergen-Belsen a pour effet de retarder leur libération
jusqu’en avril 1945, mais elle leur permet en outre de ne pas être déportés au camp
d'extermination d'Auschwitz. Avec les autres détenus du « camp de l’échange », les femmes
et les enfants français sont expédiés de Bergen-Belsen en destination de Theresienstadt au
mois d’avril 1945. Ils n’y arrivent pourtant pas, mais sont libérés par des troupes alliées.
Quatorze femmes et quatre enfants de prisonnier de guerre français décèdent à BergenBelsen, au cours de l’évacuation du « camp de l’échange » ou dans les semaines qui suivent la
libération. C’est à dire : 154 femmes et 73 enfants survivent à la déportation. De même, un
enfant né au mois d’août 1944 au camp de concentration de Bergen-Belsen. Ensemble, ils
représentent plus de 8 % des – selon Klarsfeld – 2569 juifs de France ayant survécu à leur
déportation. Le rapatriement de la plupart de ces femmes et enfants est retardé jusqu’à la fin
du mois de juin 1945. Ils ne retrouvent leur époux et père libéré et également rapatrié
qu’après leur retour en France.
Le souvenir collectif de la captivité et de la déportation
Le groupe des femmes et enfants de prisonnier de guerre se constitue à travers la déportation à
Bergen-Belsen et sous forme d’un regroupement coercitif. Des regroupements survenus
durant l’internement en France précèdent ce regroupement coercitif à Bergen-Belsen. Les
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femmes se rendent compte que la détention à Bergen-Belsen leur évite la déportation à
Auschwitz. Elles réfèrent alors activement et positivement au statut de l’époux prisonnier de
guerre et à la France. Ainsi, le regroupement intègre les prisonniers de guerre de façon
indirecte. Certaines femmes et enfants déportés restent en contact avec le prisonnier de guerre
jusqu’à l’évacuation du « camp de l’échange » : L’échange de lettres et de colis renforce
l’effet intégratif. Dans certains camps se constituent des groupes de prisonniers de guerre juifs
dont l’épouse et les enfants se trouvent à Bergen-Belsen. D’une part, il s’agit d’un
regroupement coercitif, d’autre part, d’un groupe qui partage activement un même sort. Par
conséquent, il est question si le regroupement persiste en quelque sorte après la libération des
camps, et s’il en découle un souvenir collectif.
L’étude du souvenir focalise des points de départs communs du groupe : l’expérience de la
captivité et de la déportation, du rapatriement et de la réinsertion, du regroupement dans les
associations d’anciens combattants et de déportés. Mais, malgré les points de départ en
commun, l’expérience de partage de souvenirs reste souvent limitée. L’apparition d’un groupe
de mémoire échoue à différentes reprises. Il en résulte des voies individuelles du souvenir
jusqu’à ce qu’une mémoire collective commence à surgir au début des années 1990.
Les associations des déportés du camp de concentration de Bergen-Belsen n’évoluent pas de
façon continue. Trois amicales de Bergen-Belsen se succèdent : Les activités de la première
amicale se limitent aux années 1945-48, les activités de la deuxième aux années 1958-70.
Certaines femmes et enfants juifs de prisonnier de guerre font partie des deux premières
amicales, mais sans y constituer un groupe de mémoire en soi et sans y être représentés en
tant que déportés juifs du « camp de l’échange ».
Au début des années 1990, des déportés de Bergen-Belsen prennent l’initiative d’ériger un
monument au Père Lachaise. L’inauguration du monument à la mémoire des déportés de
Bergen-Belsen attire l’attention d’un grand nombre de rescapés. Des enfants juifs de
prisonnier de guerre s’engagent alors dans la fondation de la troisième Amicale de BergenBelsen, officialisée en 1995. C’est ainsi que le souvenir collectif des femmes et des enfants
juifs de prisonnier de guerre commence à surgir. Quant aux prisonniers de guerre dont la
femme et les enfants furent déportés à Bergen-Belsen, ils adhèrent aux associations d’anciens
combattants, mais également sans y constituer un groupe de mémoire en soi.
Jusque dans les années 1990, le souvenir du groupe reste un souvenir individuel et au sein des
familles. En règle générale, ce souvenir est un souvenir privé. Il existe cependant deux
exemples de souvenir public :
Robert et Marcelle Christophe, un officier prisonnier de guerre et son épouse déportée à
Bergen-Belsen, publient leurs souvenirs de captivité et de déportation en 1974. L’ouvrage
raconte leurs expériences à travers les camps et leurs retrouvailles au bout de cinq ans de
séparation. Le témoignage des Christophe devient une référence importante pour la mémoire
du groupe des déportés français du « camp de l’échange ».
Denise Lorach, une femme d’officier déportée à Bergen-Belsen, se consacre à un travail de
mémoire différent. Elle crée le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon,
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ouvert au public également en 1974. Le musée ne donne pas une place particulière à la
déportation à Bergen-Belsen, mais présente des informations tant sur la Résistance que sur la
persécution des Juifs et sur les déportations de France. C’est d’ailleurs au musée de Besançon
que les rescapés de Bergen-Belsen qui prennent l’initiative d’ériger le monument au Père
Lachaise se réunissent la première fois.
Quant à l’évolution du souvenir individuel et familial, des témoignages individuels sont les
bases de la réflexion sur le souvenir des femmes et des enfants déportés au « camp de
l’échange » de Bergen-Belsen et de leur époux et père prisonnier de guerre juif. L’analyse
porte non seulement sur des témoignages individuels, mais également sur des entretiens
collectifs. Ces entretiens de trois témoins réunis ont été réalisés à l’initiative de la troisième
Amicale de Bergen-Belsen en 2008. Ils représentent ainsi la mémoire collective du groupe. À
travers les témoignages individuels et les entretiens collectifs, l’étude focalise l’impact de la
mémoire en groupe sur le souvenir individuel.
Bibliographie indicative
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Alexandra-Eileen Wenck, Zwischen Menschenhandel und „Endlösung“ (Paderborn :
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Sélection des principales publications
Janine Doerry, « Rettungsbemühungen für jüdische Frauen und Kinder von Kriegsgefangenen
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Janine Doerry, « Captivité de guerre en Allemagne et déportation à Bergen-Belsen. Des
familles de prisonniers de guerre juifs dans la Shoah », in Mémoire Vivante 66 (2010) : 3-9.
Janine Doerry, « ‚... éviter le pire aux femmes Israëlites de prisonniers‘. Des tentatives de
protection de la Maison du Prisonnier de la Seine au mois de mai 1943 », in Medaon.
Magazin für jüdisches Leben in Forschung und Bildung 7 (2010).
Articles en cours
Janine Doerry, « Die Amicale de Bergen-Belsen in Frankreich. Ein Überlebendenverband im
Spiegel seines Bulletins », in Bergen-Belsen. Neue Forschungen, Dir. : Stiftung
Niedersächsische Gedenkstätten (Göttingen : Wallstein, 2012).
Janine Doerry, « Frauen und Kinder aus Frankreich im Austauschlager Bergen-Belsen:
Geschlechtsspezifische und generationelle Erinnerungsmuster », in Das soziale Gedächtnis
und die Gemeinschaften der Überlebenden: Bergen-Belsen in vergleichender Perspektive,
Dir. : Janine Doerry, Thomas Kubetzky et Katja Seybold (Göttingen : Wallstein, 2012).
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