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FORMATION SUR LE FILM D'ANIMATION
LE TOMBEAU DES LUCIOLES
de Takahata Isao
Le mercredi 13 janvier 2016, l’association Collège au Cinéma 37 a reçu Xavier Kawa-Topor, spécialiste du
cinéma d'animation, pour parler du film d'animation de Takahata Isao, Le Tombeau des Lucioles, programmé
au deuxième trimestre 2015/2016 dans le département de l'Indre-et-Loire.
I - PRÉSENTATION DU FILM
Ce film d'animation est un chef d’œuvre même si tout le monde ne partage pas cet avis à cause des
préjugés que le Japon peut véhiculer.
Le Tombeau des Lucioles est le premier film de Takahata Isao à avoir été diffusé dans les cinémas français.
Au-delà de la mauvaise image du cinéma d'animation japonais de cette époque et des a priori de la société
Japonaise, que le spectateur connaît peu, l'une des données essentielle de ce film est qu'il aborde dans une
forme, le dessin animé, un sujet extrêmement dur, grave et profond ; il le fait dans l'esthétisme du dessin
animé plus volontiers associé habituellement au merveilleux, à l'imaginaire et au domaine de l'enfance.
Du coup, le fait que ce soit un film d'animation a un impact particulier. Les spectateurs y vont sans forcément
être préparés et sont face à un film puissant auquel ils ne sont pas habitués. Ce film peut produire une
interpellation forte du spectateur ; il faut donc mettre de la distance avec cette émotion.
À noter qu'il y a des erreurs sur l'affiche du film : en effet, sur l'affiche est indiqué "un film écrit et animé par
Isao Takahata" alors que le film est une adaptation du livre de Nosaka Akiyuki et Takahata Isao n'anime pas ;
il aurait fallu mettre "un film réalisé par Isao Takahata".
II - LE RÉALISATEUR, TAKAHATA ISAO ET SON ŒUVRE
Takahata Isao est né en 1945 ; il a donc connu la guerre et les bombardements. Lors de ses
bombardements, il a perdu le contact avec ses sœurs pendant deux-trois jours.
Il a été traducteur de Jacques Prévert en japonais et est un vrai intellectuel. Il réalise chaque film avec une
idée précise et se demande ce qu'il apporte à son art avec cette réalisation. En 1956, il voit La Bergère et le
Ramoneur (première version du Roi et l'Oiseau), le film provoque un tel choc pour Takahata Isao qu'il décide
de sa vocation. En voyant ce film, il se rend compte que le cinéma d'animation est un art, qu'il y a quelque
chose à faire en dehors du formatage déjà en œuvre chez Disney. Le cinéma d'animation peut être un
vecteur pour proposer au public une vision à la fois sociale, politique et poétique de la société qui l'entoure. Il
rentre à la Toei en 1959 comme assistant réalisateur dans l'idée d'être réalisateur.
Takahata Isao aime être en phase avec des gens de son époque. Il a connu quatre périodes dans sa
carrière.
a/ 1956 - 1968 : Toei, l'école du mouvement
Pendant cette période, il apprend la mise en scène et il rencontre d'autres réalisateurs, Yasuo Ōtsuka,
Kotabe Yoichi et Miyazaki Hayao qui formeront un collectif, ils seront leaders syndicaux au sein de la Toei et
ils seront licenciés. Plusieurs films d'animation sont faits pour enfants mais avec une grande exigence.
Les influences :
- Grimault : La Bergère et le Ramoneur, 1956
- Lev Atamanov La Reine des Neiges, 1957
- Prévert : Le monde est une merveille
Il a une certaine idée du monde et de l'animation :
- Merveilleuse / Réalisme
- L'art du mouvement
- Trouver sa voie en animation
Les aventures d'Hols Prince du soleil, son premier long métrage, est un véritable manifeste et laboratoire de
ce que le collectif veut faire en animation ; c'est une déclaration d'intention. Ce film se passe mal car il est
réalisé lors des grandes grèves à Toei et la direction de Toei considère que le film revient trop cher. Takahata
est contraint de partir au milieu de la réalisation du film puis Yasuo Ōtsuka, Kotabe Yoichi et Miyazaki Hayao
donc le film tel qu'il est aujourd'hui est un film mutilé (50 % du projet initial) avec des séquences
extraordinaires et d'autres séquences peu ou pas animées. Ce film révolutionne la mise en scène en
animation, pas seulement au Japon. La mise en scène était jusque-là plutôt picturale et la composition de
l'image guidait cette mise en scène. Takahata Isao vante une mise en scène spatiale. Il introduit fortement la
notion de mouvement de caméra et le fait que la façon dont la caméra procède invente un espace
cinématographique. Le dessinateur est Miyazaki Hayao.
Miyazaki Hayao reprendra beaucoup d'Hols, Prince du soleil pour Princesse Mononoké.
Hols, Prince du Soleil marque le début d'une longue collaboration entre Takahata, Miyazaki, Ōtsuka et
Kotabe. Miyazaki se forme à la mise en scène sous Takahata.
b/ 1968 - 1979 : Formats courts
Il réalise Panda Petit Panda et la scène dans le train fait référence à celles dans Le Voyage de Chihiro et
dans Le Tombeau des Lucioles. En 1974, il révolutionne la série télévisée pour enfant avec Heidi. A partir de
Heidi, Takahata commence à creuser le sillon de l'attention apportée à la mise en scène de l'enfance qui se
trouve dans Le Tombeau des Lucioles.
c/ 1979 - 1984
Deux films importants sont réalisés en 1981, Gauche le violoncelliste et Chie la petite peste. Gauche le
violoncelliste est proche du film Le Tombeau des Lucioles et est la base du cinéma de Takahata Isao. Chie
la petite peste est proche du burlesque.
- Fixation du style cinématographique
- Réalisme en animation : il qualifie le cinéma de Takahata par rapport à tous les autres. Il cherche à rendre
compte au plus près d'une vérité humaine (comment on arrive par l'animation rentrer dans la psychologie
d'un personnage et à rendre les personnages attachants, crédibles et profond), d'une vérité sociale (rendre
compte d'un cadre, d'une époque), le réalisme ne touche pas forcément à l'animation.
- Psychologie, sociologie
- Retour définitif au Japon comme cadre
- Sujet de la communauté humaine Japonaise
d/ 1984 - 2014 : Studio Ghibli
- Nausicaä (producteur artistique : Takahata Isao) et la fondation de Studio Ghibli en 1985. Ce studio
permettra de réaliser leurs films en toute indépendance.
- Un vieux rêve de communauté
- Alternance des projets de Miyazaki et de Takahata
- 1988 : "Doublé magique"
- Deux œuvres parallèles ce qui permet d'affirmer et de creuser une esthétique, rare dans le cinéma
d'animation.
- La "patte" d'un metteur en scène et l’œuvre d'un studio.
- Le dessin animé : une technique, une esthétique, un art
TAKAHATA Isao
1988
1991
1994
1999
Le Tombeau des Lucioles
1984
Le château dans le ciel
1986
Mon voisin Totoro
1988
Kiki La Petite sorcière
1989
Porco Rosso
1992
Princesse Mononoké
1997
Le Voyage de Chihiro
2001
Le château ambulant
2004
Ponyo sur la falaise
2008
Le vent se lève
2013
Souvenirs goutte à goutte
Pompoko
Nos voisins les Yamada (même technique
utilisée pour Ernest et Célestine)
2013
MIYAZAKI Isao
Nausicaä de la vallée du vent
Les contes de la princesse Kaguya
Takahata Isao et Miyazaki Hayao s'intéressent à la guerre mais la traitent différemment. La femme est mieux
traitée dans la filmographie de ces deux réalisateurs que chez les autres réalisateurs. La Nature est
présente chez les deux hommes. Takahata Isao traite du Japon plutôt de l'ordre de la chronique et du
réalisme alors que Miyazaki Hayao suit l'exotisme européen du côté de l'épopée. Miyazaki Hayao n'écoute
l'avis de personne sauf celui de Takahata Isao.
III - LE TOMBEAU DES LUCIOLES
Ce film est le quatrième long métrage de Takahata Isao et sa première adaptation littéraire, celle de Nosaka
Akiyuki.
1/ L'adaptation d'une œuvre littéraire :
a) Présentation de l'auteur :
Nosaka Akiyuki, l'auteur de la nouvelle La tombe des lucioles, dont s'est inspiré le film, est l'un des grands
auteurs japonais d'après-guerre, au style brillant et singulier. Il raconte en partie sa propre enfance dans ce
livre. Né en 1930, orphelin de mère, abandonné par son père, il va perdre ses parents adoptifs lors des
bombardements de Kôbe. "Devant les bombes, écrira-t-il, c'est une autre réalité qu'il faut apprendre :
l'instinct, la fuite-panique, une affreuse impuissance, et après les bombes, l'humiliation pour survivre, le
chacun-pour-soi-la-patrie-pour-tous, le sentiment d'avoir été trahi, salement." (extrait de la fiche pédagogique
élève du CNC – Dossier 149).
 Bibliographie :
1963 – Les Pornographes
1967 – La Tombe des lucioles
1967 – Les embaumeurs
Nosaka Akiyuki se réfère dont à une expérience autobiographique : il était adolescent pendant la Seconde
Guerre Mondiale et a perdu sa sœur pendant les bombardements. Il a un style d'écriture particulier et se
positionne en marge avec un côté dandy décalé. Il se positionne de façon très en marge et très provocatrice
sur la scène littéraire de cette période.
Suzuki Toshio donne le texte à Takahata Isao ; ce dernier trouve qu'il y a quelque chose à faire avec ce
texte. Takahata Isao adopte un point de vue, au sens de Xavier Kawa-Topor, complètement différent de celui
de Nosaka Akiyuki.
Le livre :
 Œuvre originale de Nosaka Aikiyuki
 La tombe des lucioles, 1967
 Le genre : shinjû-mono "double suicide amoureux", convention littéraire dont le lecteur sait que la fin
sera tragique.
 Récit autobiographique à la troisième personne (mis à distance de Nosaka Akiyuki pour se
décharger) ; l'utilisation du pronom de la troisième personne rend le récit possible.
 Le rythme se ressent par ce roulement, cette nausée permanente.
Extrait du livre :
"Dos voûté en appui contre le béton dénudé sous la mosaïque tombant en capilotade d'un pilier de la sortie
"côté plage" dans la gare des chemins de fer nationaux à Sannomiya, cul par terre, jambes étendues toutes
raides ; et bien que rôti tant et plus par le soleil, bien qu'il ne se fût plus lavé depuis près d'un mois, sur ses
joues décharnées stagnait une blafarde blancheur ; ses yeux fixaient des silhouettes d'hommes qui fanfaronnades d'âmes que la nuit gonflait d'orgueil ? - allumaient des torchères et proféraient des injures, à
tue-tête, comme des forbans ; ..."
Absence de points, une ponctuation très hachée, phrase dans la phrase, on a effectivement ce roulement
qui n'arrête pas, marquant ainsi un style particulier et très évocateur.
b) Analyses de séquences :
 Première séquence du film (étudiée dans le dossier pédagogique du CNC n°149) :
Cette séquence se trouve avant le générique. Nosoka Akiyuki utilisait la troisième personne, Takahata Isao
rétablit le "je" et prend le contre-pied en utilisant la première personne ; façon de resituer dès le départ la
question de la responsabilité, de regarder les responsabilités en face.
Takahata Isao met en place quelque chose qui n'est pas dans le roman c'est-à-dire l'intrusion des doubles
des personnages entraînant une mise en abyme ce qui permet la triangulation du "je", "il" et "nous". D'une
certaine manière, Takahata Isao dit "nous" car il veut parler des Japonais, de cette épreuve du passé en en
faisant une question qui nous regarde.
Seita dit "La nuit du 21 septembre 1945, je suis mort", l'inéluctabilité du destin est posée dès le début du film.
Setsuko n'est pas consciente qu'elle est morte et quand elle voit Seita couché dans la gare, elle s'apprête à
courir et le double de Seita l'arrête.
1ère piste - Mise à distance avec l'introduction des doubles
2ème piste - Forme de crédulité : la façon dont la caméra porte son regard sur le corps. La Mort n'est pas
édulcorée. La caméra prend du champ et le spectateur s'aperçoit que d'autres enfants sont dans la gare.
Dès le départ, l'intention de Takahata Isao est claire, l'histoire suit Seita mais le destin de Seita est un destin
du "nous" collectif d'une génération. Nous sommes d'emblée dans un propos parlant d'un fait historique et
d'un fait qui concerne la société japonaise de cette époque. Par rapport au texte existant, il y a une
correspondance, à la fois, dans ce qui est dit et, à la fois, un parti pris, un point de vue et une forme
d'éthique radicalement différente. En dehors de Pompoko, tous les films de Takahata Isao sont des
adaptations de bandes dessinées, de romans mais à chaque fois, il cherche dans l’œuvre la faille qui existe
c'est-à-dire qu'il recherche un point de vue différent ou une réponse à quelque chose qui le questionne.
Takahata utilise le noir et le rouge c'est-à-dire des couleurs chromatiques pour les doubles.
Le processus de cet objet dérisoire, la boîte, est intéressant : qu'est-ce qu'il y a dans la boîte que l'homme
de la gare jette ? Qu'est-ce qui en sort ? C'est encore plus émouvant au deuxième visionnement car Setsuko
tenait particulièrement à cette boîte et qu'elle soit jetée de telle sorte est émouvant pour les spectateurs.
C'est un programme de retour permanent. Cette séquence est faite comme si elle devait être revue.
Le processus de la boîte, de la petite fille et de la ritournelle fait penser à une boîte à musique qui est
significative quand le spectateur a déjà vu le film ; c'est une épreuve terrible car cette ritournelle est
l'annonce que l'histoire recommence. La référence à la boîte à musique est liée à l'enfance.
Ensuite le pont fait penser au film Gauche, le violoncelliste.
c) L'équipe du film :
Scénario, réalisation : Takahata Isao
Création des personnages, direction de l'animation : Kondo Yoshifumi (1959 – 1998), il peignait sur les
instantanés de Tokyo. Il avait des enfants de bas âge et il savait dessiner les enfants d'une manière réaliste.
Il avait été pressenti pour prendre la relève de Takahata et de Miyazaki mais est décédé en 1998.
Compositeur : Momiya Mickio (né en 1929), travail sur les registres japonais avec la musique contemporaine
Décorateur : Yamamoto Nizo (né en 1953), connu pour son univers plutôt sombre et est très porté sur la
reconstitution du quotidien.
Les avants plans sont consacrés aux personnages et les arrières plans sont des éléments plutôt fixes.
2/ La recherche du réalisme :
a) Extrait du bombardement (de 5 minutes 13 à 10 minutes)
La transition entre la scène du prégénérique et l'histoire s'effectue avec les bombardiers américains qui
survolent Kôbe.
Dès le départ, Seita prend en charge Setsuko. Le son participe à la dramaturgie de cette séquence,
notamment un réalisme du son très clair, très matériel. Takahata Isao dit que tout le monde connaît le son
des bombes incendiaires. À la fois, il y a un réalisme du son et une stylisation du son, nous ne sommes pas
dans un son d'images réelles c'est-à-dire les sons choisis sont des sons qui se détachent car toute la bande
son est composée. Chaque élément est choisi pour participer à la dramaturgie et à la mise en scène ; le
souffle du personnage donne le côté physique de l'effort ; le spectateur n'entend que ça, le réalisateur
désigne bien le côté matériel, le côté réaliste des choses mais c'est un réalisme stylisé. Notamment tout ce
qui relève de la corporalité est donné par le souffle mais également par les mouvements du personnage qui
relèvent aussi du même réalisme et de la même stylisation ; ce sont des mouvements qui ne sont pas de la
pleine animation de façon "disneyien" c'est-à-dire que ce n'est pas de l'animation d’une fluidité absolue mais
dans une stylisation du mouvement ; c'est une animation bien réalisée mais qui souligne les moments
d'intensité du mouvement notamment les moments où il fait un effort pour soulever sa charge, le spectateur
voit l'attitude soulignée.
À chaque fois que la caméra prend la place de Seita, le spectateur ne voit pas d'issue. Dès le départ, Seita
cherche une issue personnelle, il va contre les gens, il ne suit pas instinctivement la foule. Le spectateur se
trouve dans le temps du quotidien, dans la matérialité du temps. Ce film fait date dans la façon dont
l'animation peut rendre compte d'une réalité.
Le dessin animé pourrait être disqualifié pour rendre compte de la réalité car il n'y a pas plus artificiel. André
Bazin disait de l'animation que "le dessin animé n'a pas de rapport avec le réel" et "il est totalement inapte à
enregistrer le réel". L'intérêt du dessin animé est qu'il signe ce qu'il est, qu'il y a une représentation. À aucun
moment, le documentaire est évoqué ; il n'y a donc pas de confusion possible, le spectateur est devant une
représentation ce qui n'empêche pas de produire un point de vue, des éléments donnant à réfléchir sur le
passé. Kiarostami disait "d'une certaine manière, c'est le propre de la fiction de créer un mensonge mais un
mensonge qui peut produire une vérité plus grande qu'elle-même" et quel plus grand mensonge qu'un
dessin animé ?
Takahata Isao est pionnier dans ce genre de cinéma d'animation ; suivra Valse avec Bachir d'Ari Folman. Ce
dernier utilise l'animation pour dire ce qui ne peut pas être dit avec des images réelles.
b) Les composants du réalisme
- "Naturalisme" des décors, des sons, historicité des événements : le dessin peut être qualifié pour proposer
une représentation disparue. Le travail extrêmement précis des décorateurs pour rendre compte des
bâtiments de Kôbe de 1945, plus facile en animation qu'en image de prise de vue réelle.
- Nuance et profondeur psychologique des personnages
- Réalisme des situations
- Filiations : néoréalisme italien (Allemagne année zéro, 1947 / Jeux interdits, 1952) pour la dimension de
l'enfant dans la guerre
Takahata Isao a d'ailleurs demandé à Kondo Yoshifumi de regarder Jeux interdits pour s'inspirer de Brigitte
Fossey pour le jeu de Setsuko car il trouve qu'il y a une justesse extraordinaire dans l'interprétation de
Brigitte Fossey. Il serait intéressant de comparer des scènes des deux films, Jeux interdits et Le Tombeau
des lucioles.
Un point important du film est la représentation de la Mort. Takahata Isao ose le réalisme jusqu'à montrer la
Mort en face ; puisque nous sommes dans le domaine de la représentation, Takahata s'autorise à être dans
la frontalité de la Mort et cela peut dérouter le spectateur car la représentation de la Mort est mise en œuvre,
sans voyeurisme mais lorsque l'on voit un cadavre, c'est un cadavre et nous ne sommes pas habitués dans
le monde du dessin animé.
Autant le film regarde la Mort en face, autant Seita est dans le déni de la Mort de son père (représentation
iconique : photo du père en militaire) avec le discours du retour de son père. Il est également dans le déni de
la Mort de la mère et à aucun moment, Seita le dit à sa sœur mais Setsuko, avec l'enterrement des lucioles,
le devine et le dit à Seita. L'absence de réalité condamne Seita à la fuite. La Mort est à la fois montrée et,
dans le même temps, Seita, le personnage principal, ne veut pas la voir. Cette stratégie d'évitement le
condamne d'une certaine manière c'est-à-dire que cette absence de réalisme, du point de vue de Seita le
condamne à une fuite en avant, vers quelque chose qui est de l'ordre de l'utopie.
c) Le propos de Takahata Isao
Dans Valse avec Bachir, l'animation sert à montrer ce que la mémoire a occulté.
Autant Seita ne veut pas voir la Mort, autant Takahata nous la montre. "Le tombeau des lucioles" est la mise
au tombeau. Le film n'est pas un déni de la Mort mais une façon d'accomplir ce que, peut-être, des
mémoires individuelle ou collective du Japon, n'ont pas accompli ; ce processus de retour est une invitation
de Takahata aux Japonais à retourner vers leur passé et à voir ce que leurs mémoires ont caché à l'intérieur
d'eux-mêmes pour, faire ce travail de deuil.
La dernière scène montre que la vie continue, que le passé est derrière et la dernière scène est une mise au
tombeau. Aujourd'hui, la vie est possible.
Chaque introduction des films de Takahata Isao explique tout le film.
Le réalisme se fonde sur une documentation très précise, crédible des faits. L'univers est très évocateur.
- Nuances et profondeur psychologiques "Une grammaire des larmes" (Dossier pédagogique du CNC pages
12 et 13)
Il serait intéressant de comparer les personnages de Miyazaki et de Takahata : quand vous prenez les
petites filles chez Miyazaki quand elles pleurent, notamment Mon voisin Totoro, il y a du drame chez Mei
mais nous ne sommes pas dans cette amplitude de différents pleurs qui correspondent à des situations à la
fois de désarroi ou de caprice. Setsuko exprime tout cela ; elle a des pleurs qui relèvent du caprice
déconnecté du contexte et tout cela rend les personnages attachants (scène où elle pleure et où Seita fait le
tour des barres, ce dernier est désarmé).
3/ La dramaturgie de la mise au tombeau :
- Shinjû-mono = inéluctable
- Se joue dès le générique avec la musique
- Épreuve des personnages : mélodrame
- Chronique, psychologie
- Le récit d'un amour fraternel
- Le récit d'une fuite
- Fuite vaine dans le passé et dans le futur
a) la trajectoire de fuite
Seita se trouve à avoir la charge de Setsuko ; ils retrouvent refuge dans cette famille éloignée où il subit des
brimades de la tante. Ils en viennent à déserter ce refuge pour se retrouver dans cet endroit où ils
s'aventurent dans une robinsonnade impossible.
Si Seita était resté chez la tante, malgré les réprimandes, ils seraient encore vivants. Par cette décision
enfantine et non adulte, de partir, il montre son irresponsabilité, son absence de maturité. Le choix de partir
entraîne leur Mort.
b) Note d'intention de Takahata
"... Le comportement adopté par Seita et son mouvement intérieur ne ressemblent-ils pas, d'une certaine
manière, aux enfants et adolescents d'aujourd'hui qui, favorisés sur le plan matériel, prennent le caractère
d'agrément/désagrément pour un critère majeur dans leurs rapports humains, leur comportement et leur
existence, et répugnent aux rapports humains embarrassants ? Pis, il en va de même pour les adultes qui
partagent la même époque que ces enfants.
Ce temps qui est le nôtre, préservé par un double ou triple cadre de protection et/ou de contrôle social, dans
la mesure même où le lien familial se relâche, et que l'esprit de communauté entre voisins s'est affaibli. Et
nous, qui plaçons la non-ingérence mutuelle à la base de nos relations avec autrui, et nous assurons
mutuellement de notre propre délicatesse à travers une distrayante prévenance qui évite d'aborder
l'essentiel. Guerre ou non peu importe, à supposer qu'un grand désastre vienne à frapper et que, en
l'absence de toute idée pour orienter les uns et les autres vers l'entraide et l'entente, ce couvercle social
vienne à sauter, dans des rapports humains de total dénuement, il est certain que l'homme deviendrait un
loup pour l'homme, plus encore que dans l'immédiat après-guerre. Ils se battraient avec à l'esprit la
possibilité pour eux de se trouver placés dans une situation comme dans l'autre. Et à supposer que, fuyant
le contact des hommes, l'on tente de vivre comme Seita seul avec sa jeune sœur, combien de garçons,
combien de gens seraient capables de prendre soin autant que Seita de leur petite sœur ?..."
Souvent, les adultes regardent le film en occultant ce propos ou en ne voyant pas l'importance du choix de
Seita sur le destin tragique de Setsuko. Avant de se rendre compte de l'irresponsabilité de Seita, le
spectateur juge plutôt l'absence de solidarité, l'absence de la responsabilité des adultes c'est-à-dire
responsabilité des adultes qui bombardent, responsabilité des adultes qui les briment, responsabilité des
adultes qui, à un moment donné, ne leur donnent plus à manger et les condamnent de ce fait à mourir. On
est tellement attaché à cette petite fille qu'il n'y a rien de plus intolérable pour un adulte que de voir une
enfant mourir et, en effet miroir, on se sent coupable du premier devoir d'un adulte qui est de protéger les
enfants.
Takahata pose la question des circonstances qui poussent Seita à partir. La robinsonnade est une utopie de
l'enfance. Ils sont dans un processus de désocialisation et de mort qui se passe en très peu de temps et de
lieux. L'étang touche la ville et il y a les enfants qui rentrent à la maison (1 h 17 min 15 sec) dans un endroit
à l'abri alors que proches d'eux, des enfants peuvent mourir.
À travers ce film, Takahata se demande s'il y a une possibilité d'exister en dehors de la communauté
humaine.
Dès le départ, Seita est traité comme l'adulte (la mère lui confie Setsuko), il est à la place du père absent
mais il n'est pas armé, ce n'est encore qu'un enfant. Au lieu de se référer aux adultes, il cherche une issue
ailleurs, qu'il pense être meilleure et finalement, cette issue est pire.
La première scène se passe après la guerre et le 21 septembre 1945 est le jour où une loi est promulguée
pour aider les enfants orphelins de la guerre.
Takahata Isao s'adresse en premier lieu, à son public, les Japonais.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Xavier Kawa-Topor de sa venue pour son intervention à Tours
sur ce film devant les professeurs de collège investis dans le dispositif Collège au cinéma.

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