La Communauté andine: entre déconstruction et

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La Communauté andine: entre déconstruction et
Centre d’études interaméricaines – Chronique – Novembre 2009
Centre d’études interaméricaines
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CHRONIQUE
La Communauté andine : entre déconstruction et
convergence
Par Marie-Claude Lamonde*
Introduction
Plusieurs fois revitalisée depuis sa création en 1969, la Communauté andine regroupe aujourd’hui plus de
96 millions d’habitants de quatre pays (Colombie, Équateur, Bolivie et Pérou) au sein d’un marché
commun qui garantit la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services. Depuis
2006 toutefois, la Communauté andine se trouve secouée par une série de crises internes majeures qui
remettent en question sa survie. Le retrait du Venezuela en avril 2006, l’échec successif des négociations
commerciales avec l’Union européenne, les nombreux conflits politiques entre ses membres (crise
diplomatique entre l’Équateur et la Colombie, tensions entre le Pérou et la Bolivie) sont autant
d’éléments qui contribuent à miner les efforts d’intégration. Devant une Communauté andine de plus en
plus divisée, les interrogations se multiplient au sujet de l’avenir de cette organisation régionale.
Cette chronique vise, dans un premier temps, à dresser un portrait général de l’évolution de
l’organisation régionale, de sa création en 1969 jusqu’au début des années 2000. Dans un deuxième
temps seront abordés certains des principaux défis actuels auxquels doit faire face la Communauté
andine ainsi que des pistes de revitalisation qui ont été récemment suggérées afin de faire face à ses
nombreux problèmes internes.
1
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1— Origine et évolution de la Communauté andine
A — Les débuts du Pacte andin
Le processus d’intégration de la région andine a été initié le 26 mai 1969 avec la signature de
l’Accord de Carthagène. Alors connu sous le nom de Pacte andin (ou Groupe andin), l’accord régional
regroupait à l’origine cinq pays sud-américains : la Colombie, la Bolivie, l’Équateur, le Chili et le
Pérou. Selon plusieurs experts, l’Accord de Carthagène émane en fait de l’insatisfaction des pays
andins face à l’Association latino-américaine de libre-échange (ALALE) 1, une organisation régionale
créée en 1960 à Montevideo, en Uruguay. Mécontents du rythme d’intégration trop lent et soutenant
que l’ALALE avantageait principalement les grands pays latino-américains tels que le Brésil, le
Mexique et l’Argentine, les pays andins se donnèrent rendez-vous à Bogota, en 1966, avec pour
principal objectif de trouver de nouvelles options qui soient plus conformes à leurs besoins. Cette
rencontre débouchera sur la Déclaration de Bogota, dans laquelle les chefs d’État de la Colombie, du
Chili et du Venezuela ainsi que les représentants du Pérou, de la Bolivie et de l’Équateur s’engagent à
entreprendre un intense processus de négociations en vue d’une intégration économique. Dès juin
1967, une Commission mixte est créée afin de préparer la mise en œuvre du programme contenu
dans la Déclaration de Bogota. Après trente mois de pourparlers, les États aboutiront à la signature
d’un accord économique, l’Accord de Carthagène, qui sera ratifié par cinq des six pays signataires de
la Déclaration de Bogota soit, la Colombie, la Bolivie, le Chili, le Pérou et l’Équateur, le Venezuela
préférant alors s’abstenir. Dans les années suivantes, le processus d’intégration andin se poursuivit
via la signature de deux accords à caractère non économique : l’Accord Andrés Bello, avec comme
axe central le développement du secteur culturel et les accords Hipolito Unanue, sur le domaine de la
santé, et Simon Bolivar, axé sur le secteur socio-laboral 2.
Par le biais de l’Accord de Carthagène, les pays de la région andine posent plusieurs grands objectifs
pour le regroupement régional. Ces objectifs peuvent être regroupés en trois volets. Le premier vise
1
David E. Hojman. 1981, « The Andean Pact : Failure of a Model of Economic Integration? », Journal of Common
Market Studies, XX (2) :139; William P. Avery, James D Cochrane. 1973, « Innovation in Latin American
Regionalism : The Andean Common Market », International Organization, 27 (2) :183; Kevin J. Middlebrook. 1978,
« Regional Organizations and Andean Economic Integration, 1969-75 », Journal of Common Market Studies, XVII
(1) :64.
2
Gordon Mace. 1981, Intégration régionale et pluralisme idéologique au sein du groupe andin, Centre québécois des
relations internationales, Université Laval, Québec, p. 50; « Convenio Simon Rodriguez », Comunidad andina, [En
ligne], http://www.comunidadandina.org/sai/estructura_21.html, (Page consultée le 22 octobre 2009); « Organismo
Andino de Salud – Convenio Hipolito Unanue », Comunidad andina, [En ligne],
http://www.comunidadandina.org/sai/estructura_20.html, (Page consultée le 22 octobre 2009).
2
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la création d’une zone de libre-échange entre les membres (suppression des barrières tarifaires et
non tarifaires entre les membres) ainsi que d’une union douanière (tarif extérieur commun) au plus
tard en 1980 pour le Chili, la Colombie et le Pérou et en 1985 pour la Bolivie et l’Équateur (qui
bénéficie jusqu’à cette date d’un traitement préférentiel). Le deuxième axe central de l’accord
concerne le programme sectoriel de développement industriel (PSDI) qui vise une planification
conjointe du développement industriel de la région. En fait, le PSDI, basé sur une politique de
substitution aux importations traditionnelle (remplacement d’importation par une production
intérieure), vise à favoriser le processus d’industrialisation dans la région andine en augmentant la
taille du marché local et en créant des externalités et des économies d’échelle 3. Par le biais des
institutions chargées de faire appliquer le PSDI, les gouvernements peuvent jouer un rôle important
dans l’assignation des ressources « avec comme finalité l’obtention d’un développement harmonieux
et équilibré pour l’ensemble de la région » 4. Le dernier volet de l’Accord de Carthagène traite de
l’harmonisation des politiques commerciales entre les pays membres et il s’inscrit aussi dans cette
volonté du regroupement régional de favoriser un développement équitable de la région.
B — Un parcours parsemé d’embûches
Dès le départ, les politiques de libéralisation économique mises en place par le Pacte andin
connaissent des succès mitigés. Dans les premières années de l’accord, les droits de douane dans la
région vont diminuer significativement. Toutefois, la confusion entourant les tarifs dans les différents
pays membres va entraîner des difficultés en ce qui a trait à l’application du tarif extérieur commun
(TEC), causant de ce fait un retard majeur. Dans le but de contrer ce problème, la Commission
approuva la Décision 12, qui établit, de manière transitoire, un tarif extérieur commun minimum. De
ce fait, seuls la Colombie, le Chili et le Pérou (et le Venezuela après 1973) doivent appliquer le tarif
extérieur commun minimum dès 1970, alors que les pays ayant des tarifs inférieurs au tarif extérieur
commun minimum devaient les élever au niveau de ce dernier 5. Cette mesure s’avérait évidemment
beaucoup plus souple que la mesure initiale prévue, mais elle était nécessaire à la poursuite du
projet d’intégration andin étant donné les difficultés éprouvées par les pays membres à harmoniser
leurs politiques. Malgré ces quelques ennuis, le processus d’intégration andin continuera tout de
même à aller de l’avant alors que, en 1970, dans la visée du projet de développement régional
3
Axel Gastambide. 2001, « La CAN et le Mercosur : Bilan et perspectives », Bulletin Institut français études andines,
30 (2) :236.
4
Gordon Mace. Op. Cit., p.59
5
Gordon Mace. Op. Cit., p.58.
3
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harmonisé, les pays du groupe andin approuvent la Décision 24 6, concernant l’établissement d’un
régime commun de traitement des investissements étrangers. Cette décision vise, entre autres, à
restreindre les investissements étrangers aux secteurs où il y a peu de concurrence avec l’industrie
régionale, à poser une limite à la réexportation du capital à une somme égale au montant investi, à
obliger un contrôle local majoritaire et la propriété majoritaire des entreprises par des intérêts
nationaux dans un délai de 15 ans pour la Colombie, le Chili et le Pérou et de 20 ans pour la Bolivie
et l’Équateur 7. Au début des années 1970, l’approbation des trois premiers programmes sectoriels de
développement industriel démontre aussi la réelle mise en branle du processus d’intégration régional
du Pacte andin. Cela transparaitra d’ailleurs dans l’augmentation significative du commerce intrarégional entre 1971 et 1976, alors que ce dernier passe de 111 millions de dollars à 613 millions de
dollars.
Malgré certaines avancées dans le processus d’intégration andin, les difficultés vont très vite se
multiplier pour le regroupement régional. Le coup d’État militaire au Chili en 1973 ainsi que les
problèmes économiques puis politiques que connut le Pérou à la même époque eurent pour effet de
ralentir le processus d’intégration 8. En 1976, suite au coup d’État militaire du général Pinochet, le
Chili se retire du regroupement régional et le Pacte andin entre graduellement dans une phase
d’« hibernation ». En fait, à l’époque, les problèmes politiques au Chili sont loin de représenter un
cas isolé dans la région alors que les instabilités politiques se multiplient. Mentionnons notamment le
conflit frontalier entre l’Équateur et le Pérou (1981) et le coup d’État du dictateur Garcia Meza en
Bolivie (1981). En plus de ces problèmes « politiques », le processus d’intégration se trouve aussi
doublement affecté par les problèmes économiques que connait la région durant les années 1980. En
effet, l’incapacité des gouvernements latino-américains à rembourser les emprunts des années 1970
va entraîner une crise de la dette publique externe dans la région, crise qui se trouvera largement
aggravée par les effets du deuxième choc pétrolier. Les problèmes des années 1980 vont entraîner,
selon Hubert Mazurek, « un coup d’arrêt du processus engagé, voire même un retour en arrière,
suite à l’adoption par les gouvernements de restrictions au commerce réciproque » 9. Face à cette
crise, la plupart des pays d’Amérique latine se replient sur eux-mêmes en mettant l’accent sur la
6
« Décision 24 », Comunidad andina, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/decisiones/DEC024.doc, (Page consultée le 22 octobre 2009);
7
« Décision 24 », Comunidad andina, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/decisiones/DEC024.doc, (Page consultée le 22 octobre 2009);
Gordon Mace. Op. Cit., p.64
8
Louis-Frédéric Gaudet. 2003, « La Communauté andine des nations », Les Notes d’information de l’Observatoire
des Amériques, p. 4; Stephan Sberro. 2001, « L’intégration régionale en Amérique latine : Le mythe de Sysiphe »,
CAIRN, 98 (3). http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-3-page-49.htm, (Page consultée le 20 septembre 2009)
9
Hubert Mazurek. 2004, L’intégration des pays andins, entre volonté et réalités, Centre d’Économie du
Développement – Bordeaux, p. 2.
4
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croissance économique nationale, aux dépens de l’intégration économique régionale. Au début des
années 1980, l’intégration commerciale entre les pays andins est presque complètement suspendue.
Le protocole de Quito
Le protocole de Quito, en 1987, représente un tournant majeur dans le processus d’intégration des pays
andins. En fait, il vient modifier en profondeur l’Accord de Carthagène en se basant sur la nouvelle
approche de la CEPAL, le « régionalisme ouvert » 10, de la Banque mondiale et du FMI, misant sur
l’ouverture des économies nationales et sur la nécessité de la diminution du rôle de l’État 11. Le protocole
de Quito établit de nouvelles mesures beaucoup plus flexibles d’harmonisation des politiques
économiques en plus de faire un retour en arrière dans le programme de libéralisation douanière et
commerciale. L’objectif prioritaire est la création d’une zone de libre-échange et l’adoption d’un tarif
extérieur commun, visant à augmenter, mais surtout à mieux gérer, le commerce entre les pays
membres. Aussi, le protocole maintient la possibilité pour les États de conclure des accords bilatéraux.
C’est ainsi qu’au terme d’un long processus de négociation, les chefs d’État conviennent finalement, le 18
mai 1991, de créer un Marché commun andin, que viendra consacrer la signature, à Carthagène en
décembre 1991, de l’Accord de Barahona. Le projet prévoit l’élimination des barrières commerciales (dès
le premier janvier 1992), l’harmonisation des politiques économiques et la mise en place d’un tarif
extérieur commun à quatre niveaux (5 % à 20 %) pour le début de l’année 1995, avec des exceptions
particulières pour la Bolivie et l’Équateur 12. Le processus d’intégration connaitra par la suite des avancées
significatives. Le 31 janvier 1993, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Venezuela forment une zone de
libre-échange. Le 26 novembre 1994, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Venezuela adoptent un TEC
qui entre en vigueur le 1er février 1995. Toutefois, l’union douanière demeure partielle puisque la Bolivie
et l’Équateur disposent d’un traitement préférentiel provisoire. Bref, le processus d’intégration andin
connaît des avancées marquées à cette époque, tout en demeurant largement dilué par rapport au projet
initial.
Les protocoles de Trujillo et de Sucre
Les fondements du projet d’intégration régional andin seront de nouveau revitalisés en 1996 et 1997 par
le biais des protocoles de Trujillo et de Sucre. Ces derniers introduisent de nouvelles institutions et
élargissent les sphères d’intégration au-delà des activités commerciales. Notamment, le protocole de
Trujillo vient renforcer le Parlement andin en plus de consolider les institutions andines sous la direction
10
Le concept de « régionalisme ouvert » a été proposé par la CEPAL dans le document El Regionalismo
abierto en América Latina y el Caribe. La integración económica en servicio de la transformación
productiva con equidad, qui a été adopté dans le cadre de la XXV Réunion ministérielle de la CEPAL
célébrée à Carthagène en Colombie, en avril 1994.
11
Hubert Mazurek. Op. Cit., p. 3; Alex Gastambide. 2001, Op Cit., p. 237.
12
Louis-Frédéric Gaudet. Op Cit., p. 4
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du Conseil présidentiel andin et du Conseil andin, formé des ministres des Affaires étrangères des pays
membres. Par le biais du protocole de Trujillo, le Pacte andin devient officiellement la Communauté
andine 13. Un des points les plus importants découlant de ces deux accords est sans aucun doute
l’introduction de la supranationalité, exprimé notamment par les principes de l’application directe et de la
prééminence. Par le biais de ces principes, les pays s’assurent que les lois andines engagent les pays
membres et que celles-ci ne requièrent aucune action nationale pour être effectives, en plus de s’assurer
que les États ne puissent pas utiliser leurs lois internes comme excuse pour ne pas respecter les lois ou
décisions de la Communauté andine 14. En fait, ces deux accords visent avant tout à affaiblir les chances
de voir surgir des poussées nationalistes au sein des États membres considérant que celles-ci ont déjà
largement contribué à retarder le processus d’intégration.
La signature de ces deux accords introduit des avancées juridiques considérables pour la Communauté
andine. Toutefois, sur les plans économique et politique, la fin des années 1990 est caractérisée par une
série de crises nationales, notamment la crise bancaire au Venezuela, l’annonce du retrait du Pérou de la
Communauté andine durant la période du gouvernement Fujimori, la crise bancaire en Équateur et le
passage à l’utilisation du dollar dans son économie nationale, la guerre Pérou-Équateur de 1995 ainsi que
l’émergence de nombreux troubles sociaux et politiques au Venezuela, en Équateur, au Pérou et en
Bolivie15. Le Sommet des présidents à Lima, en 2000, va finalement redéfinir le calendrier d’intégration
en prévoyant l’instauration du Marché commun, caractérisé par une libre circulation des biens, des
services, des personnes ainsi que des capitaux, au plus tard le 31 décembre 2005.
C- Les avancées du projet d’intégration
À partir du début des années 1990, la relance du processus d’intégration entre les pays andins se traduit
par une augmentation substantielle du commerce intra-bloc. En effet, celui-ci passe de 2 milliards de
dollars en 1991 à plus de 6 milliards de dollars au cours des meilleures années de la décennie 16. En
moyenne, la croissance intra-bloc pour la période de 1990 à 1999 tourne autour de 14,6 % 17. Toutefois,
le commerce entre le Venezuela et la Colombie représente presque 70 % des échanges au sein du
13
Acuerdo de Trujillo. http://www.sice.oas.org/Trade/Junac/Carta_Ag/Trujillo.asp, (Page consultée le 20 septembre
2009)
14
Richard V. Adkisson. 2003, « The Andean Group : Institutional Evolution, Intraregional Trade, and Economic
Development », Journal of Economic Issues, 37(2) :375.
15
Hubert Mazurek. Op Cit., p. 6.
16
Guillermo Hillcoat, Nicole Madariaga. 2003, « CAN-Mercosur : Libéralisation commerciale et potentiel d’échange
bilatéral », Université Paris, Cahier 2003, [En ligne], ftp://mse.univ-paris1.fr/pub/mse/cahiers2003/Bla03084.pdf.
(Page consultée le 29 septembre 2009).
17
José M. Salazar-Xirinachs. 2004, « The Proliferation of Regional Trade Agreements in the Americas : An
Assessment of Key Issues », dans Vinod K. Aggarwal, Ralph Espach, Joseph S. Tulchin. The Strategic Dynamics of
Latin American Trade, Woodrow Wilson Center Press, Washington, p. 128
6
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regroupement régional. Sur le plan politique, cette période sera caractérisée par d’intenses activités extra
régionales pour la Communauté andine. En effet, en 1996, le regroupement entame un dialogue
politique avec la Communauté européenne qui mènera, en 2003, à la signature d’un accord de dialogue
politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la
Communauté andine d’autre part. Cet accord, au départ axé principalement sur le dialogue politique, vise
à amorcer dans les plus brefs délais un dialogue commercial entre les deux regroupements régionaux.
Aussi, en 1995 se tiendra la première réunion d’exploration entre la CAN et le Mercosur pour la création
d’une zone de libre-échange entre les deux blocs. Malgré le fait que les négociations aient pris du retard
à cause, notamment, des négociations parallèles entourant la ZLEA, les membres des deux blocs (à
l’exception de la Bolivie 18) signent, en 2002, un accord de coopération économique avec pour objectif la
conclusion, en 2003, des négociations commerciales et la formation d’une zone de libre-échange entre
les deux blocs. Malgré le fait que cette dernière ne soit toujours pas concrétisée, les relations entre les
pays de la CAN et le Mercosur s’intensifieront dans les années suivantes alors que le Pérou signe un
accord de libre-échange avec le Mercosur en décembre 2003, suivit de près par la signature de l’accord
de libre commerce entre le Mercosur et la Colombie, le Venezuela et l’Équateur, en mars 2004.
Malgré des avancées importantes au niveau de l’intégration économique, le regroupement régional doit
faire face à des divisions internes au tournant du XXIe siècle. Alors que la Communauté andine poursuit
ses efforts d’intégration économique, les divergences idéologiques concernant les politiques de
libéralisation économiques ainsi que sur l’orientation générale que doit prendre la politique économique
de l’organisation régionale ont pour effet de creuser le fossé entre les États membres. En avril 2006, ces
divergences vont mener à l’annonce officielle du retrait du Venezuela de la Communauté andine. Pour le
président Hugo Chavez, la décision du Venezuela doit être perçue comme un signal clair de son
désaccord avec les politiques de libéralisation économique poursuivies par la Colombie et le Pérou, et
plus principalement avec la volonté de ces pays de signer des accords de libre-échange avec les ÉtatsUnis. Le retrait du Venezuela va évidemment porter un dur coup au regroupement régional. Il deviendra
un nouveau facteur de division, alors que la Colombie et le Pérou vont critiquer ouvertement le
gouvernement vénézuélien pour cette mesure drastique. De son côté, la Bolivie, en accord avec les
critiques vénézuéliennes à l’encontre des politiques de libéralisation économique du Pérou et de la
Colombie, va décider de demeurer au sein de la Communauté andine, tout en joignant l’Alternative
bolivarienne pour les Amériques (ALBA), une création du président Hugo Chavez. Le rapprochement qui
s’effectua alors entre le Venezuela et la Bolivie demeure un des résultats central du retrait du Venezuela
de la CAN. Celui-ci permit, entre autre, à la Bolivie d’aller chercher le support nécessaire auprès de son
allié vénézuélien pour faire appliquer le décret lui permettant de nationaliser son industrie des
18
La Bolivie signe, indépendamment du regroupement régional, un accord de libre-échange avec le Mercosur en
décembre 1996.
7
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hydrocarbures, mesures qui aura des impacts majeures dans la région. En plus de miner les relations de
la Bolivie avec ses voisins (Brésil, Argentine et Chili principalement), ce décret aura pour effet
d’intensifier le rapprochement avec le Venezuela et Cuba, pays avec lesquels la Bolivie signa un accord
de libre-échange (Tratado de Comercio de los Pueblos ou TCP), le 29 avril 2006 à La Havane.
Finalement, l’Équateur va décider d’opter pour la neutralité, s’abstenant de faire des déclarations
orageuses et déclarant plutôt être en faveur de l’intégrité de la Communauté andine 19.
2— Quel avenir pour la Communauté andine?
Le projet d’intégration porté par les pays andins a, comme nous avons pu le constater, évolué en
montagnes russes depuis sa création en 1969. Regroupant près de 97 millions d’habitants et comptant
un commerce intra-régional de près de 7.17 milliards de dollars 20, la Communauté andine représente
aujourd’hui, de par son PIB, environ 10% de l’Amérique du Sud 21. Malgré son parcours tumultueux, la
Communauté andine a connu des avancées significatives dans les dernières années. En effet, le
regroupement régional a récemment vu la valeur de son PIB faire un bond de géant. De 16 milliards de
dollars en 1970 à 173 milliards de dollars en 1995, le PIB de la région a atteint plus de 408 milliards de
dollars en 2008.
Pourtant, malgré l’augmentation des échanges intra-régionaux dans les dernières années, ceux-ci
demeurent encore très faibles en comparaison des échanges extra-régionaux qu’entretiennent les pays
membres, lesquels atteignent près de 93 milliards de dollars en 2008. En fait, les échanges intrarégionaux ne représentent qu’environ 12% du total des échanges des pays andins 22. Aussi, malgré le fait
que ces chiffres démontrent une réelle avancée au niveau du développement économique, ceux-ci
n’illustrent que trop peu les grandes disparités qui continuent d’exister au sein même du regroupement
régional. En effet, en 2007, la Bolivie ne contribuait que pour 394 millions des 5,8 milliards d’échanges
commerciaux intra-régional, loin derrière la Colombie (2.148 milliards $), l’Équateur (2.102 milliards $)
et le Pérou (1.214 milliard $) 23. C’est ainsi que, pour plusieurs de ces pays, le développement des
relations extra-régionales s’est fait au détriment du commerce intra-régional. Par exemple, depuis
19
Carlos Malamud. 2006, « Venezuela’s Withdrawal from the Andean Community of Nations and the Consequences
for Regional Integration », Real Instituto Elcano, Working Paper 28, p.8.
20
« La CAN: 40 anos de integración », Comunidad Andina, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/DEstadisticos/SGde255.pdf, (Page consultée le 1er octobre
2009).
21
CEPAL., 2006, « Anuario estadístico de America latina y el Caribe 2006 », [En ligne], http://www.eclac.org/cgibin/getprod.asp?xml=/publicaciones/xml/3/28063/P28063.xml&xsl=/deype/tpl/p9f.xsl&base=/deype/tpl/topbottom.xsl, (Page consultée le 23 octobre 2009).
22
«Indicadores mensuales de la Comunidad andina: Enero 2009», Comunidad andina, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/DEstadisticos/SGde246.pdf, (Page consultée le 23 octobre 2009)
23
« La CAN en cifras: 2004-2007 », Comunidad Andina, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/DEstadisticos/SGde231.pdf, (Page consultée le 1er octobre 2009)
8
Centre d’études interaméricaines – Chronique – Novembre 2009
plusieurs années maintenant, la Bolivie a plutôt opté pour le développement de ses relations avec le
Mercosur, au sein duquel elle détient le statut de membre associé depuis 1996. Le gouvernement
bolivien cherche d’ailleurs à intensifier ses relations avec les pays du cône sud, alors qu’il a fait la
demande officielle pour l’obtention du statut de membre direct permanent au sein de Mercosur en janvier
2007, lors de la XXXIIe Réunion des chefs d’État du Mercosur à Rio de Janeiro 24, demande qui demeure
en suspend jusqu’à maintenant. C’est ainsi que, dans les dernières années, les relations commerciales
entre la Bolivie et le regroupement régional ne firent que s’intensifier, facilitées, notamment, par
l’instauration d’une zone de libre-échange entre la Bolivie et le Mercosur en 1996 25. En 2008, les
exportations de la Bolivie vers le Mercosur ont atteint 3.573 milliards de dollars, un montant qui
représente plus de 64 % des exportations de la CAN vers ce regroupement régional 26. Le Pérou, la
Colombie et l’Équateur ont aussi développé un vaste réseau de relations extra-régionales, dont le point
central se trouve orienté vers le commerce avec les États-Unis 27. En augmentation constante depuis
2001, les exportations de ces pays andins vers leur voisin du nord dépassent largement celles
maintenues à l’intérieur du regroupement régional. Ainsi, en 2008, les exportations de la Colombie vers
les États-Unis ont atteint plus de 14 milliards de dollars, 8.35 milliards de dollars pour l’Équateur et 5.795
milliards de dollars pour le Pérou 28. En prévoyant la possibilité pour les pays andins de signer des accords
bilatéraux, la Communauté andine a facilité la multiplication des échanges extra-régionaux, au détriment
du développement des relations commerciales intra-régionales et du processus d’intégration andin dans
son ensemble. Au sein de la Communauté andine, les différences idéologiques sur le plan des politiques
économiques, qui se sont intensifiées dans les dernières années, ont aussi contribué à creuser le fossé
entre les pays andins et à les diriger dans des voies souvent opposées.
Dans les dernières années, les échecs successifs dans les négociations d’un accord de libre-échange avec
l’Union européenne ont contribué à démontrer la faiblesse de l’organisation en tant qu’institution
régionale et à faire ressortir les tensions qui existent entre ses membres. À la suite des profondes
divisions entraînées par la signature des accords de libre-échange avec les États-Unis par la Colombie et
le Pérou, la tentative de négocier un accord avec l’Union européenne, dans lequel la libéralisation
économique prendrait une place centrale, va contribuer à miner, une fois de plus, l’unité de la
24
Julie Schmied. « Cenarios da integracao regionao : os desafios da Uniao de Nacoes Sul-americanas (UNASUL) o
novo camino da integracao na America do Sul », Fundacao Konrad Adenauer no Brasil, p.8, [En ligne],
http://www.adenauer.org.br/livros/caderno/01_07schmied.pdf, (Page consultée le 1er octubre 2009).
25
Andres Serbin Bartosch. 2002, « El largo (y dificil) camino hacia una integración sudamericana », dans Comunidad
Andina y Mercosur en la perspectiva del ALCA: Memorias de tres Foros realizados en el ano 2002, Pontificia
Universidad Javeriana, p.25
26
« El Comercio exterior de bienes entre la Comunidad Andina y el Mercosur: 1999-2008 », Comunidad Andina,
Secretaria General, p.3, [En ligne], http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/DEstadisticos/SGde261.doc,
(Page consulté le 8 octobre 2009)
27
Hubert Mazurek. Op. Cit. p.15
28
« El comercio exterior de bienes entre la Comunidad andina y Estados Unidos: 1999-2008 », Comunidad Andina,
Secretaria General, 31 juillet 2009, p.2, [En ligne],
http://intranet.comunidadandina.org/Documentos/DEstadisticos/SGde266.doc, (Page consultée le 8 octobre 2009).
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Centre d’études interaméricaines – Chronique – Novembre 2009
Communauté andine. Les négociations avec l’UE ont, en fait, démontré la fracture qui existait entre, d’un
côté, le Pérou et la Colombie, qui cherchent à faire avancer les négociations pour la signature d’un accord
de libre-échange avec l’UE et, de l’autre, la Bolivie et, à plus petite échelle l’Équateur, qui ont mis un
frein au processus de négociation en refusant, entre autres, de négocier la privatisation des ressources
naturelles et des services de base. Devant le refus de la Bolivie et les hésitations de l’Équateur, l’UE, qui
avait jusqu’alors maintenu sa position voulant qu’elle ne négocie qu’avec la Communauté andine en tant
que bloc, a finalement changé sa position. Il y a quelques mois, la commissaire européenne aux Affaires
étrangères, Benita Ferrero-Waldner, a donc finalement annoncé que Bruxelles était prête à entreprendre
des négociations commerciales bilatérales avec les États andins, laissant la Bolivie de côté si celle-ci
décidait de ne pas se joindre aux négociations 29. Cette annonce a entraîné une réponse intempestive de
la Bolivie qui a accusé l’UE de vouloir saper l’unité de la CAN. Lorsque, quelques mois plus tard,
l’Équateur a annoncé sa décision d’ériger des barrières tarifaires aux produits provenant de la Colombie
et du Pérou, le projet d’intégration andin semblait sur le point de s’effondrer. La mesure équatorienne a
évidemment causé la consternation au sein des gouvernements colombien et péruvien puisqu’elle va
totalement à l’encontre de l’objectif central d’établir un marché commun.
À l’heure actuelle, la Communauté andine tente de surpasser cette crise interne en recentrant son
agenda sur des thématiques moins conflictuelles. Au printemps 2009, devant l’amplification des conflits
au sein de la CAN, principalement sur des sujets liés au commerce international, le ministre des Affaires
étrangères péruvien a déclaré, à la veille de prendre la présidence pro tempore de l’organisation, que la
CAN avait besoin d’un agenda « moins économique et commercial et plus axé sur l’énergie, le
développement frontalier et le développement social »30. Ces sujets, tout en permettant de poursuivre
l’effort d’intégration, risquent moins de causer des conflits entre les membres. Aussi, la Communauté
andine mise désormais sur le nouveau projet d’intégration sud-américain, l’Unasur, qui a été mis en
branle en novembre 2004 31, lors de la IIIe Réunion des présidents d’Amérique latine qui s’est tenue à
Cuzco, au Pérou. Ce projet d’intégration extrêmement ambitieux vise la convergence de la CAN, du
Mercosur, du Chili, de la Guyane et du Suriname au sein d’un grand forum politique intergouvernemental, l’Union des nations sud-américaines (Unasur) 32. Pour plusieurs spécialistes, l’Unasur
revêt une importance fondamentale pour la Communauté andine puisqu’elle permet la convergence avec
le Mercosur sans toutefois risquer l’absorption pure et simple de l’organisation. Surtout, le projet de
l’Unasur pourrait permettre au processus d’intégration andin de se revitaliser au sein d’un projet
beaucoup plus grand d’intégration économique et politique. Effectivement, considérant les problèmes
29
«UE admite fracaso de negociación con CAN y avanzara solo con Peru y Colombia», AFP, 11 novembre 2008.
« Buscan salvar la CAN con agenda de desarrollo social», El Comercio, 27 mai 2009.
31
Le projet d’intégration était alors connu sous le nom de Communauté sud-américaine des nations (CSN)
32
Diego Cardona. 2005, « Tiene futuro la Comunidad sudamericana de naciones? », Foreign Affairs En Espanol,
Abril-Junio, p.1.
30
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Centre d’études interaméricaines – Chronique – Novembre 2009
actuels auxquels la CAN se trouve confrontée et la paralysie institutionnelle qui en découle depuis
plusieurs mois déjà, l’incorporation du processus d’intégration andin au sein du grand projet d’intégration
sud-américain pourrait permettre de donner un second souffle au processus d’intégration pour les pays
andins.
* Marie-Claude Lamonde est étudiante à la maîtrise en Études internationales à l'Institut québécois des hautes
études internationales (HEI) et collaboratrice au Centre d'études interaméricaines (CEI).
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