Rigueur du formalisme procédural et respect du droit au procès

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Rigueur du formalisme procédural et respect du droit au procès
Version pré-print – pour citer ce commentaire :
E. Vergès, « Rigueur du formalisme procédural et respect du droit au procès équitable », observations sous
CEDH 26 juillet 2007 Walchi c/ France, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2007-4, p. 893
PROCEDURE PENALE
Etienne VERGES
Professeur à l’Université de Grenoble II
II) Rigueur du formalisme procédural et respect du droit au procès équitable
CEDH, 26 juillet 2007, Walchli c/ France, Requête n° 35787/03
Le formalisme procédural est traditionnellement conçu comme un facteur de protection des droits
fondamentaux dans le procès pénal. Ainsi, les différentes mesures qui ont pour effet de porter atteinte aux libertés et
droits individuels sont encadrées par des règles de forme qui limitent le pouvoir des autorités publiques sous le
contrôle de l’autorité judiciaire 1. Transposée mutatis mutandis à la procédure pénale, la célèbre formule de Jhering
prend alors tout son sens : « ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est sœur jumelle de la liberté ». Mais le formalisme n’est pas
seulement un mécanisme de contrôle des actes des autorités publiques. Il s’impose encore aux parties privées,
notamment pour garantir la qualité des actes réalisés et échangés entre les acteurs du procès. Pour autant, l’excès de
formalisme est de nature à faire échec à l’efficacité de la procédure ou encore aux droits procéduraux des parties. Les
sanctions qui y sont attachées (nullité, irrecevabilité) peuvent ruiner des mois d’enquête, ou à l’inverse, faire échec au
droit d’une partie d’être entendue sur sa prétention.
Le Code de procédure pénale assouplit le respect des exigences formelles en les cantonnant aux dispositions
substantielles et en soumettant la nullité à la preuve d’un grief. En revanche, les juridictions pénales font preuve
d’une grande rigueur lorsqu’il s’agit d’appliquer les règles de forme aux actes accomplis par les parties privées. Ce
contraste est illustré par l’arrêt Walchli c/ France rendu par la CEDH le 26 juillet 2007.
Dans cette espèce, un élu local avait été mis en examen pour faux en écritures publiques. A l’issue de
l’instruction, il avait formulé une requête en nullité dans laquelle il soulevait à la fois un défaut d’information de
l’autorité judiciaire au cours de la garde à vue et une mise en examen tardive. Cette requête fut déposée au greffe par
l’avocat de la personne poursuivie et selon les termes de l’arrêt « le greffier de la chambre de l'instruction estampilla la requête,
en haut à droite, du cachet de la juridiction, constatant la date et l'heure de dépôt, puis apposa sa signature sous ledit cachet ». Le
recours paraissait en tous points conforme aux conditions de l’article 173 CPP. Toutefois, le président de la chambre
de l’instruction le déclara irrecevable au motif qu’il n'avait pas fait l'objet d'une déclaration au greffe de la chambre de
l'instruction. Le raisonnement juridique était d’une grande finesse, distinguant le « dépôt » et la « déclaration » de la
requête. Selon la juridiction d’instruction, l’avocat du mis en examen aurait dû remplir un formulaire spécialement
destiné à « déclarer » sa requête au greffe de la juridiction et ne pas se contenter de la « déposer ».
Cette interprétation particulièrement rigoureuse de l’article 173 CPP fut contestée devant plusieurs
juridictions nationales et, une fois les voies de recours épuisées, la personne mise en examen, qui entre-temps avait
été condamnée, exerça un recours devant la CEDH. Elle estimait que l’excès de formalisme portait atteinte à son
droit à un procès équitable.
Ce litige mettait en jeu le droit d’accès à un tribunal inhérent à l’article 6§1 de la Conv. EDH 2, et plus
précisément le droit de former un recours 3. La question se posait de savoir dans quelle mesure il était possible
d’encadrer par un formalisme procédural, l’exercice d’un recours, et notamment d’une requête en annulation d’actes
de procédure.
Comme à son habitude la CEDH a adopté une position mesurée. Elle a considéré que le droit d’accès au juge
garanti par la Conv. EDH n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitations, lesquelles peuvent prendre la forme de
conditions de recevabilité du recours. Ces restrictions doivent poursuivre un but légitime et respecter une
1
Conformément aux prévisions de l’article 66 de la Constitution.
2
Cf. CEDH 21 fév. 1965, Golder c/ RU, série A, n°18.
3
Cf not. le § 29 de l’arrêt étudié.
proportionnalité entre l’atteinte au droit garanti et le but légitime. La cour constate ensuite que le formalisme
procédural poursuit un but légitime, qui consiste dans « la bonne administration de la justice et le respect de la sécurité
juridique ». Pour autant, dans cette affaire, la tâche du juge européen était rendue délicate en raison d’une difficulté
d’interprétation de l’article 173 CPP. Le gouvernement français prétendait, en effet, que la « déclaration au greffe »
correspondait à un document particulier que les parties devaient compléter afin de formuler une requête en nullité.
Selon cette thèse, la déclaration permettait de préciser l’objet exact de la requête et d’assurer un dépôt formel devant
la juridiction compétente. Le requérant considérait, quant à lui, qu’il avait, par un simple dépôt, respecté les
conditions de forme imposées par l’article 173 CPP et que la décision d’irrecevabilité était justifiée, en réalité, par une
politique de filtration excessive des requêtes mise en œuvre par les présidents des juridictions d’instruction. La Cour
européenne a refusé de trancher ce conflit d’interprétation, mais elle a exercé son contrôle autrement. D’abord, elle a
considéré que l’interprétation des règles de droit interne relevait de la compétence des juridictions nationales.
Ensuite, elle a entériné, l’interprétation de l’article 173 CPP par les juridictions françaises. Enfin, elle a opéré un
contrôle de cette interprétation au regard de l’article 6 de la Conv. EDH.
La Cour a ainsi constaté que le « dépôt » de la requête en annulation remplissait tous les objectifs du
formalisme informatif de l’article 173. L’objet de la requête était exposé avec clarté et la date du dépôt au greffe ne
faisait aucun doute. La Cour est allée plus loin en considérant que le greffier saisi de la requête aurait dû
communiquer à l’avocat du mis en examen le formulaire adéquat permettant la « déclaration » au sens de l’article 173.
Elle en déduit que l’attitude des juridictions françaises a été excessive dans le respect des règles imposées par le Code.
Cet excès a créé une disproportion entre « le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et,
d'autre part, le droit d'accès au juge ». La conclusion s’est imposée d’elle-même : le droit d’accès au tribunal de la personne
poursuivie a été violé.
Le raisonnement tenu par la CEDH est plus que salutaire. L’arrêt Walchli laisse apparaître une différence de
traitement tout à fait regrettable entre le formalisme imposé aux parties et celui attendu des autorités publiques.
Plusieurs arrêts récents rendus par la Cour de cassation montrent à quel point la haute juridiction peut faire preuve
de souplesse, lorsque les autorités de poursuites ou d’instruction omettent certaines formalités procédurales. Ainsi,
une chambre de l’instruction peut déroger à la règle de la publicité des audiences sur la détention provisoire dès lors
qu’aucune atteinte aux intérêts du mis en examen n’a pu être rapportée 4. Dans le même esprit, un procureur de la
République peut se dispenser d’informer le juge des libertés et de la détention d’une mesure d’écoutes téléphoniques
prévue à l’article 706-95 CPP car la personne écoutée n’a pas précisé la nature du grief qui lui aurait été causé par
l’omission de la formalité 5. Ces arrêts qui font une application large et disciplinée de l’article 802 CPP tendent à
montrer que le respect des procédures instituées par le Code est loin de présenter un caractère impératif et que les
autorités publiques ne sont pas tenues de s’y soumettre en toutes circonstances. On peut, dès lors, s’étonner que de
telles largesses à l’égard des autorités de poursuites et d’instruction ne soient pas reproduites lorsqu’il s’agit
d’examiner la recevabilité des requêtes en nullité formulées par une partie privée. La CEDH ne s’y est pas trompée.
Elle a su procéder, dans l’arrêt Walchli, à une appréciation finalisée du formalisme procédural. En définitive, on
pourrait trouver dans cet arrêt un critère intéressant de contrôle du respect des formes à travers la téléologie de la
règle. Le respect du formalisme procédural, éloigné d’une application aveugle, y retrouverait certainement ses lettres
de noblesse.
4
Cass. crim. 25 juillet 2007, n° de pourvoi : 07-83550.
5
Cass. crim. 26 juin 2007, n° de pourvoi : 07-82401.