Le cœur culturel de l`Europe bat à Wroclaw

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Le cœur culturel de l`Europe bat à Wroclaw
Le cœur culturel de l’Europe bat à
Wroclaw
Les Echos | Le 08/01 à 07:00
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Le cœur culturel de l’Europe bat à Wroclaw CSP bloodua/Age Fotostock
La cité des rives de l’Oder est, depuis le 1 er janvier, capitale culturelle de l’Union.
Marquée par une histoire tourmentée, cette belle Silésienne abrite, entre ses
multiples îles, les secrets de l’âme polonaise et une certaine nostalgie hanséatique.
Elle n’est pas la ville de l’architecture d’avant-garde. Pas non plus celle des trépidantes nuits sans fin. Si
Wroclaw a été choisie comme capitale culturelle 2016, c’est simplement parce que cette ville d’étudiants et
de festivals a du potentiel. Car, comme le lac à Montreux, son chapelet de douze îlots alluvionnaires donne
leur peps aux bœufs nocturnes de Jazz sur l’Oder, de Jazztopad ou de ce One Love Sound qui réunit le toutworld music.
C’est vers l’an 900 que la future capitale de la Silésie naît des roseaux de la première île, Tumski. Ici
prospèrent des mariniers slaves, qui, de Cracovie à Novgorod – plus tard, de Hambourg à Florence –, font
l’import-export de sel, plomb, cuivre, argent, fourrure de martre et ventre d’écureuil. Wroclaw s’étend sur la
berge sud, colonisant au passage le reste de l’archipel, ce qui lui vaut le surnom usé de « Venise polonaise » :
île au Malt (Slodowa), qui fait vrombir la guitare chaque 21 mars, journée de l’Ecole buissonnière ; île au
Moulin (Mlynska), où l’ex-minoterie donne dans le tourisme industriel ; île au Sable (Piaskowa)… La principale
demeure Tumski, l’île de la Cathédrale dédiée à Saint Jean-Baptiste. Avec ses deux flèches tuilées de cuivre,
le Dôme est en concurrence avec Sainte-Elisabeth, l’église la plus riche, au toit à damier et clocher d’ardoise,
avec les nefs superposées de Sainte-Croix et avec Notre-Dame-des-Sables, dont la largeur a été bridée pour
donner de l’envol à la voûte. Toutes trouvent leur accord en septembre, pour le festival d’oratorio Wratislavia
Cantans.
LES FANTÔMES DE CHOPIN ET BISMARCK
C’est au xiiie siècle, alors que l’Europe n’est qu’un puzzle de fiefs, que la ville acquiert son autonomie – pied
de nez de marchands hardis aux castes enkystées de barons et d’archevêques. De l’époque, Wroclaw a gardé
son fringant « rynek », littéralement, « marché » : un grand carré de façades colorées où alternent graffites
et aigles courroucés grimpant au podium des demeures. Naguère, c’était un méli-mélo de trams et
d’aiguillages, résonnant de tous leurs timbres. C’est désormais une zone piétonnière, avec restaurants et
boîtes de nuit qui gravitent autour d’un bâti central. Fontaine de verre, figurines rabelaisiennes, pignons
dentelés, une horloge astronomique et une autre, à mi-hauteur des 70 m du beffroi, dont les quatre cadrans
donnent l’heure aux points cardinaux : voici le Ratusz – l’hôtel de ville. Le symbole d’une cité tour à tour
polonaise, hanséatique, autrichienne, prussienne… Au xive siècle, la capitale silésienne est devenue
allemande. Pour six cent ans, elle est Breslau. A l’intérieur du Ratusz, les salles du conseil ou des pas perdus se
parent de voûtes nervurées. Tradition des cités franches, l’édifice abrite une brasserie dans sa cave, où on
discute politique et amour sous les lustres forgés, les stalles peintes et les fresques jouant d’un bestiaire
médiéval. Chopin y tapait la chopine, Bismarck y mâchait ses harengs et on y rencontrait aussi Eichendorff,
poète mis en musique par Schubert et Schumann.
En 1945, Breslau est « volontaire d’office » pour endiguer le déferlement de l’Armée rouge. Résultat ? La ville
est rasée à 70%. Et quand Staline annexe Lvov à l’Ukraine, les 250 000 Polonais qui y vivent sont expulsés vers
celle qu’on appelle désormais Wroclaw. Cynique jeu de pétanque : les 300 000 Allemands de Breslau doivent,
eux, trouver un toit entre Dresde ou Leipzig. Pour « dégermaniser » la cité, la propagande communiste insiste
alors sur son passé polonais. Les nouveaux arrivants n’ont, de toute façon, pas le choix : ils font un mariage de
raison avec Wroclaw. Ordre est donné de ne reconstruire que les monuments gothiques – associés à l’époque
polonaise –, et de laisser par terre le baroque des Habsbourg. Mais les bannis de Lvov redonneront vie au
rococo germain, comme s’ils en étaient les auteurs – étincelle d’amour dans l’union forcée. Les statues de
kaisers et de feld-maréchaux sont parties à la fonte ? Les remplacent les sculptures déboulonnées à Lvov par
les Soviétiques, qui transfèrent la sublime bibliothèque de l’Ossolineum – archives du génie de toute la
Pologne, amassées par l’érudit Ossolinski.
PONTS, REMPARTS ET ART BAROQUE
On réceptionne aussi une peinture circulaire et patriotique, contant sur 120 mètres de circonférence la bataille
de Raclawice : en 1794, l’indépendantiste Tadeusz Kosciuszko avait essayé sur les troupes du tsar la tactique
apprise en Amérique, lorsqu’il combattait pour Franklin et Washington. Embusqués, les partisans polonais font
du tir au pigeon sur les rangs bien ordonné des cosaques, bientôt taillés à revers par des paysans armés de
faux. Une déculottée russe ? Ce n’était pas trop du goût de Moscou. Il a fallu guetter la fin de l’ère socialiste
pour déployer enfin ce trésor pictural…
Leurs câbles puissants suspendus à des flèches crénelées, les piles maculées par un street art génial, les
tabliers étroits tressautant sous le croisement des trams et des dentelles de fer boulonnées par l’ère
industrielle : il faut traverser les 110 ponts de Wrocław pour être conquis par ce fleuve au nom si laid, l’Oder,
et saisir la nostalgie de l’exilé Walter Meckauer : « Pendant longtemps il avait entendu – car il était parti au
loin – tant de cours d’eaux murmurer leur chant à son oreille : Danube et Adige, Seine et Tibre, Colorado et
Hudson. Mais aucun n’avait bruissé comme l’avait fait l’Oder de son enfance. » La berge a magnétisé
l’intellect de la ville : la jolie demeure rouge de l’Ossolineum, le Muséum drapé de vigne-vierge, l’université
et son Aula Leopoldina, spectaculaire chambre baroque où les angelots dorés se penchent sur les remises de
diplômes.
Les rues voisines sentent la cuisine exotique et peu chère, la colle à affiches, le moteur déréglé des
guimbardes des temps brejnéviens. Phénomène du shopping 1930, le Feniks a perdu son arrogant globe
terrestre de 6 mètres, foudroyé par un ciel jaloux. Marchands de tableaux et créateurs design ont posé leurs
étals dans les anciennes boucheries d’Ulica Jatki, où les enfants brûlent des bougies pour le repos de l’oie, du
cochon ou du lapin statufiés en rappel des victimes des abattoirs. Au bout de jolies rues à oriels, on tombe sur
les remparts en crémaillère et frangés d’eau : sur les restes des défenses du xviiie siècle ne patrouillent plus
que joggeurs, barques et cygnes. Wroclaw n’est que surprises, comme ce jardin japonais créé pour l’exposition
mondiale de 1913, la fausse gare de Hala Targowa qui n’est que la charpente ovoïde et vertigineuse d’un
marché bruyant, l’aquarium du mall d’Arkady, où les requins suivent l’escalier roulant, ou bien encore ce
bunker antiaérien devenu lieu de happenings, sans oublier le Borobudur industriel que constitue la Halle du
Centenaire de 1913, au dôme cristallin aux allures de pièce montée. Le monstre de 9 000 places continue
d’incarner la cité polonaise. Et tant pis s’il est dû au Prussien Max Berg...
5 CHOSES QUE L’ON NE SAIT PAS SUR LA CAPITALE DE LA CULTURE 2016
01. L’Union finance 100 millions d’euros d’aides pour 54 événements.
02. Les 12 îles seront la scène de performances, du spectacle sur pont à l’envoi de vœux par
fusée.
03. Des liens ont été tissés avec Lvov et l’autre capitale 2016, Saint-Sébastien. Le 20 janvier,
les rues seront ainsi peuplées de figurants basques.
04. 44 architectes locaux réaliseront une cité modèle, Nowe Zerniki.
05. La ville espère attirer 6 millions de visiteurs de plus cette année.
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