lo ratas de Gabian

Transcription

lo ratas de Gabian
une histoire d’huile
lo ratas de Gabian
C
Herboristerie du prieuré de Cassan
’était il y a bien longtemps, vers l’année 1605. En ce temps-là, les chanoines1 du prieuré de Cassan étaient très
occupés. Les temps de prière, la préparation
des onguents2, pommades, potions et autres
remèdes, l’entretien du jardin des simples3,
un peu d’élevage… autant d’activités qui
laissaient peu de temps à la promenade ou
à la rêverie.
Parmi les frères, il en était un, frère Guilhem, qui se montrait toujours un peu distrait, tête en l’air quoi. Si on lui demandait
d’arroser le jardin, il y allait bien sûr, ouvrait
le béal4, mais aussitôt que l’eau coulait, il
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vailhan conception g. beugnon / illustrations b. heide, p. soulas, steen © CREDD
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se mettait à faire un bouquet pour fleurir
l’église et oubliait l’eau jusqu’à ce qu’elle ait
tout inondé ! Alors on l’envoyait à l’herboristerie pour aider frère Gérôme à préparer
ses potions. Il se trompait dans les proportions, mettait deux fois la même chose,
oubliait un ingrédient. Bref, il ne faisait que
des bêtises.
Quand on lui demandait d’aller nourrir les
animaux, il y allait sans rechigner le moins
du monde, mais voilà, il donnait du grain
aux vaches, du foin aux poules, des os aux
lapins et de la luzerne au chien. Alors vint
un temps où on ne lui demanda plus rien
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du tout parce que réparer ses étourderies les gouttes de pétrole. Et frère Guilhem est
prenait plus de temps que de faire le travail surpris de voir qu’au fil des jours la gale de
soi-même.
Mus, lo Salopaire cède du terrain. Un beau
On ne lui disait pas d’aller au diable, parce matin, Mus est guéri ! C’est toujours un rat,
que les chanoines ne disent pas ce genre de un gros, un énorme ratas, mais maintenant
qu’il a le poil soyeux et les yeux pétillants,
chose, mais on l’envoyait promener.
on aurait presqu’envie de le caresser, de lui
Alors il se promenait, nez en l’air ou nez en
faire des câlins.
bas. Il se promenait toute la journée, des
premiers aux derniers rayons du soleil. Il Les raisins ont fini de mûrir, le soleil
était un endroit qu’il aimait particulièrement commence à se faire moins chaud et les
parce que l’été l’ombre y était fraîche et promenades de frère Guilhem moins
qu’une pierre moussue lui faisait un siège longues. Il passe plus de temps au coin du
confortable pour se reposer. C’était au bord feu et il raconte, il raconte la campagne,
de la Thongue, vous savez, là où coule la les fleurs, les oiseaux, la mousse si douce et
source aux reflets irisés5 à cause des gouttes Mus, lo ratas plein de gale à qui les bains
de pétrole qui nagent sur l’eau. Dans le pays, dans l’eau de la source irisée ont rendu le
on l’appelle la Font de l’Oli, la fontaine de pelage si beau, si doux.
l’huile.
« Béni soit ce rat ! », s’écrie Monseigneur
En ce mois d’août 1605, la chaleur est Jean de Bonsy, en entendant frère Guilhem.
particulièrement torride et notre frère Car l’évêque de Béziers a compris les vertus
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Guilhem se rend tous les jours au bord de la de l’oli de pèire , comme on appelle ici le
rivière là où l’ombre est si fraîche, la pierre pétrole. Il ordonne aussitôt aux chanoines
si moussue et l’eau de la source si joliment de Cassan de recueillir ce pétrole et de le
irisée. Or voilà qu’un jour, entendant du vendre comme remède contre les maladies
bruit dans les joncs, il découvre un rat, un de peau. Et le prieuré devient riche, très
gros rat, un énorme ratas. Mais un rat atteint riche, grâce à son huile miraculeuse.
de la gale, une terrible maladie de peau Le bon docteur André l’utilise donc pour
contagieuse. Il a des moustaches énormes, soigner la gale, mais aussi pour apaiser
un pelage - ou ce qu’il en reste - couleur les douleurs de la goutte, du ventre et des
de feuilles fanées, de grands yeux noirs et le dents, contre la surdité, les fièvres, les vers,
regard vide. Frère Guilhem reste immobile les brûlures, la dysenterie, les indigestions,
et observe le manège du rat qui se roule et se les contusions, les foulures, les dislocations
roule encore dans l’eau si joliment irisée.
et j’en passe.
Portrait du cardinal
Jean de Bonsy, évêque
de Béziers (1554-1621)
(Domenico Zampieri,
1616, Musée Fabre,
Montpellier)
1. hommes
d’église
2. médicaments
d’usage externe
3. plantes
récoltées pour
leurs vertus
médicinales
4. petit canal
5. qui possèdent
toutes les
couleurs de l’arcen-ciel
6. huile de pierre
(pétrole)
7. « Et cric, et
crac, le conte est
terminé. Pouic,
pouic, faisait le
rat. »
Après son bain, le rat retourne au monde
souterrain de Gabian, laissant partout où il
passe des traces de pétrole, noires et huileuses, qui font rager les villageois. Car il est
bien connu dans le village, ce rat galeux. On
l’a même baptisé Mus, lo Salopaire, Mus le
crasseux.
Tous les jours de ce mois d’août torride, frère
Guilhem vient à la source et tous les jours le
rat vient se tremper dans l’eau où surnagent
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vailhan © CREDD ACp01
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Et moi, je prétends qu’elle guérit même de
la bêtise.
E cric et crac lo conte es acabat.
Pouic pouic, fasio lo rat7.
Lo ratas de Gabian bien sûr !

Légende adaptée par Pascale THERON
2
nom
prénom
date
/
/
lo ratas de Gabian
légende adaptée par Pascale THERON
1. Où se passe cette histoire ? En quelle année ? En quel siècle ?
2. Indique ce siècle par une croix rouge sous la frise historique.
construction
de l’église
de Cassan
Xe
XIe
XIIe
construction
du prieuré
de Cassan
XIIIe
XIVe
XVe
XVIe
XVIIe
XVIIIe
3. L’église de Cassan existait-elle déjà ?
oui
non
4. Le prieuré actuel de Cassan existait-il déjà ?
oui
non
5. Cite trois occupations des moines de Cassan.
6. Cite trois éléments qui montrent l’étourderie de frère Guilhem.
7. XIXe
XXe
XXIe
La légende du rat de Gabian est en partie vraie. Relève le nom de l’évêque de Béziers
au début du XVIIème siècle.
8. L’eau de la source est irisée. Qu’est-ce que cela signifie ?
9. Qu’est-ce qui rend l’eau irisée ?
10. Au début de l’histoire, le rat est atteint d’une maladie de peau. Quel est le nom de cette
maladie ?
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vailhan lecture de texte / CM
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11. A la fin de l’histoire, le rat est guéri. Comment s’explique cette guérison ?
12. L’huile de pétrole de la Font de l’Oli était supposée soigner de nombreuses maladies.
Cites-en au moins trois.
13. Associe à chacune de ces maladies la partie du corps qui est touchée.
acné

aphte

carie

gale

gastrite

gengivite

herpès

ulcère

verrue


dents et bouche

estomac

peau
14. Résume en quatre ou cinq phrases la légende du rat de Gabian.
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vailhan lecture de texte / CM
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le coin des ENSEIGNANTS
Compétences attendues
• Dégager l’idée essentielle d’un texte lu
• Manifester sa compréhension de textes divers
• Rédiger un texte bref, cohérent
• Résumer un texte
• Connaître un vocabulaire juste et précis
• Utiliser des dictionnaires
Socle commun de connaissances et de compétences - juillet 2006
• Lire seul des textes du patrimoine
• Lire seul et comprendre une consigne
• Utiliser ses connaissances pour réfléchir sur un texte
• Rédiger un texte d’une quinzaine de lignes
• S’exprimer à l’écrit dans un vocabulaire approprié et précis
• Utiliser avec aisance un dictionnaire
Programme du cycle des approfondissements - juin 2008
Correction
1. Au prieuré de Cassan et à la Font de l’Oli, vers 1605, au XVIIème siècle
3/4. Oui / Non
5. La prière, la préparation de remèdes, le jardinage, l’élevage
6. Il oublie de fermer le béal, se trompe dans les proportions et les ingrédients des
remèdes, dans la nourriture des animaux.
7. Jean de Bonsy
8. Elle possède toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
9. La présence de pétrole
10. La gale
11. Par ses bains répétés dans l’eau irrisée de la Font de l’Oli
12. Gale, douleurs de la goutte, de la sciatique, de la colique et des dents, surdité, fièvres,
vers, brûlures, dysenterie, indigestions, contusions, foulures, dislocations...
13. carie/dent, gale/peau, goutte/orteil, foulure/ligaments, dysenterie/intestins, sciatique/
bassin
Pour aller plus loin
www.chateau-cassan.com
Site du « château-abbaye de Cassan »
www.amisdecassan.org
Site de l’association « Les Amis de Cassan »
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vailhan lecture de texte / CM
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LO RATAS DE GABIAN
C’était il y a bien longtemps, vers l’année 1605. En ce temps-là, les chanoines du prieuré de Cassan étaient
très occupés. Les temps de prière, la préparation des onguents, pommades, potions et autres remèdes,
l’entretien du jardin des simples, un peu d’élevage… autant d’activités qui laissaient peu de temps à la promenade ou à la rêverie.
Parmi les frères, il en était un, frère Guilhem, qui se montrait toujours un peu distrait, tête en l’air quoi. Si on
lui demandait d’arroser le jardin, il y allait bien sûr, ouvrait le béal, mais aussitôt que l’eau coulait, il se mettait
à faire un bouquet pour fleurir l’église et oubliait l’eau jusqu’à ce qu’elle ait tout inondé ! Alors on l’envoyait
à l’herboristerie pour aider frère Gérôme à préparer ses potions. Il se trompait dans les proportions, mettait
deux fois la même chose, oubliait un ingrédient. Bref, il ne faisait que des bêtises.
Quand on lui demandait d’aller nourrir les animaux, il y allait sans rechigner le moins du monde, mais voilà,
il donnait du grain aux vaches, du foin aux poules, des os aux lapins et de la luzerne au chien. Alors vint un
temps où on ne lui demanda plus rien du tout parce que réparer ses étourderies prenait plus de temps que
de faire le travail soi-même.
On ne lui disait pas d’aller au diable, parce que les chanoines ne disent pas ce genre de chose, mais on l’envoyait promener.
Alors il se promenait, nez en l’air ou nez en bas. Il se promenait toute la journée, des premiers aux derniers
rayons du soleil. Il était un endroit qu’il aimait particulièrement parce que l’été l’ombre y était fraîche et
qu’une pierre moussue lui faisait un siège confortable pour se reposer. C’était au bord de la Thongue, vous
savez, là où coule la source aux reflets irisés à cause des gouttes de pétrole qui nagent sur l’eau. Dans le pays,
on l’appelle la Font de l’Oli, la fontaine de l’huile.
En ce mois d’août 1605, la chaleur est particulièrement torride et notre frère Guilhem se rend tous les jours
au bord de la rivière là où l’ombre est si fraîche, la pierre si moussue et l’eau de la source si joliment irisée.
Or voilà qu’un jour, entendant du bruit dans les joncs, il découvre un rat, un gros rat, un énorme ratas. Mais
un rat atteint de la gale, une terrible maladie de peau contagieuse. Il a des moustaches énormes, un pelage
- ou ce qu’il en reste - couleur de feuilles fanées, de grands yeux noirs et le regard vide. Frère Guilhem reste
immobile et observe le manège du rat qui se roule et se roule encore dans l’eau si joliment irisée.
Après son bain, le rat retourne au monde souterrain de Gabian, laissant partout où il passe des traces de
pétrole, noires et huileuses, qui font rager les villageois. Car il est bien connu dans le village, ce rat galeux. On
l’a même baptisé Mus, lo Salopaire, Mus le crasseux.
Tous les jours de ce mois d’août torride, frère Guilhem vient à la source et tous les jours le rat vient se tremper
dans l’eau où surnagent les gouttes de pétrole. Et frère Guilhem est surpris de voir qu’au fil des jours la gale
de Mus, lo Salopaire cède du terrain. Un beau matin, Mus est guéri ! C’est toujours un rat, un gros, un énorme
ratas, mais maintenant qu’il a le poil soyeux et les yeux pétillants, on aurait presqu’envie de le caresser, de
lui faire des câlins.
Les raisins ont fini de mûrir, le soleil commence à se faire moins chaud et les promenades de frère Guilhem
moins longues. Il passe plus de temps au coin du feu et il raconte, il raconte la campagne, les fleurs, les
oiseaux, la mousse si douce et Mus, lo ratas plein de gale à qui les bains dans l’eau de la source irisée ont
rendu le pelage si beau, si doux.
« Béni soit ce rat ! », s’écrie Monseigneur Jean de Bonsy, en entendant frère Guilhem. Car l’évêque de Béziers
a compris les vertus de l’oli de pèire, comme on appelle ici le pétrole. Il ordonne aussitôt aux chanoines de
Cassan de recueillir ce pétrole et de le vendre comme remède contre les maladies de peau. Et le prieuré
devient riche, très riche, grâce à son huile miraculeuse.
Le bon docteur André l’utilise donc pour soigner la gale, mais aussi pour apaiser les douleurs de la goutte,
du ventre et des dents, contre la surdité, les fièvres, les vers, les brûlures, la dysenterie, les indigestions, les
contusions, les foulures, les dislocations et j’en passe.
Et moi, je prétends qu’elle guérit même de la bêtise.
E cric et crac lo conte es acabat.
Pouic pouic, fasio lo rat.
Lo ratas de Gabian bien sûr !
Texte de Pascale Théron