Emprunts et collectivités locales: La Couleur de l`Argent

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Emprunts et collectivités locales: La Couleur de l`Argent
Emprunts et collectivités locales: La Couleur de
l’Argent
Le 11 juin dernier, la presse a relayé le combat de la petite commune de Sassenage, commune
d’Isère qui s’est rebellée contre sa banque (Dexia), après s’être trouvée étranglée, comme tant
d’autres collectivités locales françaises, par les taux d’intérêts d’un emprunt de plusieurs millions
d’euros imprudemment contracté. Type de prêt qui a été instantanément qualifié de « toxique »
par l’ensemble des médias, qui se sont ensuite massivement félicités que la Chambre régionale
des Comptes ait « donné raison à la commune ».
La question des prêts toxiques des collectivités territoriales dépasse bien évidemment le cas de
Sassenage, puisqu’elle touche plus de cinq mille municipalités en France, de toute taille et de
tous bords politiques. Elle a fait l’objet d’un rapport parlementaire
(http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-enq/r4030.pdf), en date du 6 décembre 2011,
présidé par notre nouveau président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, lequel était très
concerné pour traiter ce sujet puisque le département dont il préside le Conseil général – la Seine
Saint-Denis – est l’un des plus endettés de France.
Ce fait divers économique pose un grand nombre de questions :
comment une banque spécialisée dans les collectivités territoriales peut-elle proposer des produits
structurés à risque ?
comment une collectivité locale, qui est par ailleurs censée être toujours en équilibre, peut-elle avoir
de tels niveaux d’endettement et, pire, souscrire des prêts adossés sur une monnaie étrangère ?
quelle va être la conséquence de cet avis de la Cour régionale des comptes ?
qu’en penser quand on est libéral ? Cela ressemble tellement à un cas d’école que je pose à peine la
question…
1. A.
Les faits
En 2006, Sassenage emprunte 4 millions d’euros auprès de la banque Dexia. Le contrat signé
entre les deux parties stipule que le taux d’intérêt sera fixe pendant 3 ans, puis variable et indexé
pour moitié sur l’évolution du franc suisse pendant 18 ans, avant de redevenir fixe pendant
quinze ans (prêt sur 36 ans). Or le franc suisse s’est fortement réévalué face à l’euro en
2010-2011, et le montant des intérêts passe de 170 000 euros à 637 000 euros en un an.
Le 15 décembre 2011, la mairie décide de ne pas rembourser les intérêts du prêt à la banque, le
maire affirmant « ils ont trompé notre confiance ; les contribuables n’ont pas à payer pour des
financiers qui nous ont menti ». Le Préfet de l’Isère a ensuite saisi la Chambre régionale des
comptes (CRC) en vertu du code général des collectivités territoriales et celle-ci a statué, pour
l’heure, dans le sens de la mairie de Sassenage, estimant que le remboursement de cette dette
n’était pas une « dépense obligatoire » au sens de l’article L 1612-15 puisque l’emprunt faisait
l’objet d’un recours devant les tribunaux.
Il faut lire attentivement l’avis de la CRC: elle confirme la créance de la commune vis-à-vis de
Dexia et ne l’exonère nullement du paiement des intérêts (contrairement à ce que laisse sousentendre la dépêche AFP qui ont relayé la nouvelle) ; elle se borne à constater qu’ils ne peuvent
être exigés maintenant au titre du principe d’équilibre budgétaire, dans la mesure où il y a un
doute (qui sera tranché devant les tribunaux) sur la légalité du contrat. Une telle subtilité a
visiblement échappé à l’ensemble des commentateurs – journaux comme politiques – trop
contents d’avoir prétexte pour taper de nouveau sur les banques, avec l’argument d’autorité
imparable : « même la Cour des Comptes approuve » !
Dépassons le cas de Sassenage pour nous intéresser aux diverses collectivités locales : la dette
de toutes les institutions locales se chiffre à plus de 260 milliards d’euros (155 pour les
collectivités locales, 25 pour les hôpitaux, 90 pour les organismes de logement sociaux). Une
partie significative de ces emprunts a été structurée par Dexia, le Crédit agricole et les Caisses
d’Epargne sur un même modèle :
taux fixes très bas durant les premières années,
taux variables indexés sur … n’importe quoi les années suivantes ;
dans certains cas, retour au taux fixe à la fin du contrat.
Evidemment, les premières années se passent très bien, le taux d’intérêt est avantageusement
bas… et puis, les choses se gâtent et les surcoûts commencent. Les premières estimations de ces
emprunts toxiques se chiffrent autour de 20 milliards d’euros, dont 14 pour les seules collectivités
locales… chiffres partiels sachant que nombre d’emprunts sont toujours dans leur
phase bonifiée (cf. rapport parlementaire, première partie).
J’emploierai le terme « souscrire » dans la suite du texte pour plus de simplicité, mais c’est un
abus de langage : les collectivités ont en effet :
soit réellement souscrit de nouveaux prêts correspondant à de nouveaux investissements,
soit refinancé des tranches arrivant à maturité,
soit restructuré des prêts en cours pour pouvoir bénéficier de taux plus avantageux.
Le journal Libération avait semé une jolie pagaille en publiant en septembre 2011 une carte des
municipalités embourbées dans ces emprunts toxiques. Les médailles d’or et d’argent étaient
pour Megève et Quiberon, avec des surcoûts respectivement à 79% et 70% du montant total de
l’emprunt… sur des montants de quelque 4 millions d’euros à chaque fois.
Mais on découvrait aussi à cette occasion que certaines municipalités ont des endettements assez
surprenants (sachant que la carte ne fait mention que des « emprunts toxiques », pas des
emprunts traditionnels, gardons en mémoire que tous les chiffres donnés ci-après ne sont qu’une
partie de la dette totale !) : Aubervilliers, Pantin, Plaisir, Bagnolet, Clichy, Levallois … toutes ont
plus de 50 millions d’euros d’emprunts pourris ! Argenteuil : 140 millions ! Et toutes ont entre 15
et 25% de surcoûts sur leurs emprunts (soit 31 millions pour la seule ville d’Argenteuil !).
Les mairies ne sont pas toutes seules dans cette orgie. Tous les échelons du mille-feuille se sont
elles-aussi goinfrées sans vergogne :
la région Auvergne a réussi à contracter pour 175 millions d’euros de prêts pourris (plus que toutes
les autres régions réunies… oui, c’est possible !) ;
le département de l’Ain atteint 155 millions d’euros d’emprunts toxiques, les deux Tarn (Tarn et Tarn
et Garonne) 200 millions à deux … et le Rhône pas loin du demi-milliard d’euros… avec un surcoût de
150 millions d’euros sur ces prêts. On en a le vertige. D’autant que pour les pauvres contribuables
lyonnais, il leur faut encore rajouter 50 millions pour la Communauté urbaine de Lyon ;
même chose pour Lille où, à défaut d’avoir souscrit des dettes toxiques au niveau municipal, c’est la
communauté urbaine de Lille qui a pris 282 millions de dette toxique !
Et ce n’est pas fini. Au titre des curiosités sympathiques, on notera que le syndicat de traitement
des ordures ménagères de Paris a contracté 133 millions d’euros de dette toxique (si, si !), que le
service départemental de protection contre l’incendie de Courcouronnes (sic !) a emprunté 22
millions d’euros, que le syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable de la presqu’île de
Rhuys a emprunté 30 millions d’euros, que la fondation de Sciences Po Paris doit 14 millions
d’euros…
Sans compter tous les hôpitaux de France et de Navarre, les offices HLM… N’en jetons plus, la
coupe est déjà bien pleine.
Rappelons que d’après la loi de mars 1982 sur la décentralisation, les collectivités locales n’ont
le droit d’emprunter que pour des dépenses d’investissement et que le strict principe
d’équilibre budgétaire prévaut, inscrit dans la constitution de 1959. Comment dans ces
conditions a-t-on pu laisser des collectivités locales dériver à ce point dans leurs finances
publiques ? Il faut toutefois reconnaître qu’un Etat français qui donnerait des leçons sur la
préservation de l’équilibre budgétaire aurait un côté franchement comique…
1. B.
Le rapport parlementaire
La commission d’enquête parlementaire a eu le mérite d’auditer plus de 80 personnes : les
banquiers qui ont structuré ces emprunts, les collectivités locales qui ont les souscrits
massivement, quelques institutionnels. Le rapport est structuré en trois parties :
description des emprunts « toxiques », quantitativement et qualitativement : qui, combien, quel
type d’emprunt ? ;
quelles responsabilités des acteurs ;
élaboration de propositions tant curatives (que faire avec ces stocks de créances ?) que préventives
(comment éviter qu’une telle absurdité se reproduise ?)
Le rapport est très complet et je renvoie le lecteur éventuellement intéressé au résumé et à la
synthèse des propositions. Je vais juste insister sur certains points qui m’ont frappé à la lecture
des auditions.
a)
partialité de la commission
Il est tout de même curieux qu’une commission d’enquête parlementaire sur des prêts touchant
certaines collectivités locales inclue tant de députés concernés au premier chef par la question
(même s’ils n’étaient pas tous en fonction lorsque les emprunts ont été conclus). Le rapporteur,
M. Gorges, UMP, député-maire de Chartres (et président de Chartres métropole), est triplement
concerné par des emprunts toxiques (mairie + communauté d’agglomération + syndicat des
ordures ménagères). Le président, M. Bartolone, président du Conseil général de la Seine SaintDenis, ex-maire du Pré Saint-Gervais, est lui-aussi triplement concerné (conseil général, ville,
office HLM). Je n’ai pas regardé pour tous les membres de la Commission, mais six vice-présidents
sur huit sont députés-maires de villes qui ont souscrit ces emprunts toxiques avec Dexia.
Comment s’étonner dans ces conditions que le rapport, qui se targue de partager équitablement
les responsabilités entre banques et élus, ait tout de même la main nettement plus lourde sur les
banques ?
b)
apparition de ces produits structurés
Bizarrement, des produits qui n’existaient pas dans le début des années 2000 se sont mis à
proliférer à partir de 2005. Dexia en a proposé jusque 220 différents. La concurrence n’étant
d’ailleurs pas en reste – la lecture de la carte de Libération montre bien qu’outre Dexia et ses
consœurs françaises, JP Morgan, Crédit Suisse, Royal Bank of Scotland, … ont également
contribué au feu de joie.
D’où la question du pourquoi ? Même réponse que celle apportée par Charles Gave dans la Faillite
de l’Etat, au sujet des subprimes :
un contexte où les banques ont énormément de liquidité et où les emprunteurs se font rares (les
collectivités locales se sont engagées entre 1996 et 2003 dans une démarche de réduction de leur
dette), d’où une concurrence exacerbée des banques entre elles ;
une rémunération des banques trop faible (la rémunération des banques étant la différence entre le
taux de croissance et le taux d’intérêt, si la croissance est trop faible ou les taux trop élevés – merci M.
Trichet – les banques ne peuvent plus vivre).
On peut citer l’intervention de M. Bartolone : « l’apparition des produits structurés tient au fait
que l’équipe qui était alors à la tête de Dexia a pris conscience que, sur le flux de prêts, les
marges étaient très faibles – de l’ordre de 0,2 % en moyenne. Elle s’est alors spécialisée sur le
stock [NDLR : c’est-à-dire sur les encours de prêts, qu’elle s’est proposée de restructurer], où les
marges étaient plus importantes, entre 0,7 % et 0,9 %, et elle a engrangé des profits importants,
au point d’envisager de s’installer aux États-Unis et de racheter la Société Générale. »
En conséquence de quoi, les banques se sont mises à proposer des produits plus risqués et à plus
forte marge. Le rapport conclut par ailleurs que, contrairement aux affirmations des banques, ce
sont bien elles qui ont massivement démarché les collectivités locales pour qu’elles
refinancent ou restructurent leurs emprunts.
c)
inconséquence ou calcul malhonnête des élus ?
Mais pourquoi, de l’autre côté, les collectivités locales ont-elles souscrit/restructuré/refinancé ces
prêts ? A priori, aucun être normalement constitué ne signe, s’il s’agit de son propre
argent,un emprunt à taux variable adossé sur n’importe quoi, sans aucun « cap » (qui limiterait
les risques en cas de situation défavorable) et sur une période aussi longue.
Les auditions des élus ou des banques sont parfois confondantes de naïveté :
–
l’immense majorité de ces collectivités locales ont tout bonnement « refusé » la montée des
taux fixes à partir de 2005 (soit pour leurs nouveaux emprunts, soit pour le refinancement des
tranches arrivées à maturité), pour éviter une charge de l’intérêt trop grande. Elles étaient alors
prêtes à signer n’importe quoi pour qu’on leur maintienne les taux bas pendant quelques temps…
Cf. l’audition du maire de Saint-Etienne : « Nous avons (…) souhaité investir pour restructurer la
ville, et pour cela nous avons eu besoin d’emprunter. Comme toutes les collectivités, nous avons
ouvert le jeu en direction des banques et choisi les produits les moins chers du marché de
l’époque. La chambre régionale des comptes indique dans son rapport que, si nous avions
souscrit à des taux fixes de 3,60 %, cela aurait représenté une charge supplémentaire pour la
ville de 14 millions d’euros. Or je suis obligé de dire que nous avions besoin de ces 14 millions
d’euros. »
–
il n’aura pas échappé au lecteur que lorsque les collectivités souscrivent ces emprunts
(2006 et 2007 principalement), on se trouve juste avant les élections municipales. Les
régions se sont, quant à elles, massivement endettées avec ces produits en 2009, juste avant
les régionales et pourtant, après qu’une première salve de ces emprunts ait mal tourné. Le
concept est donc fort simple : pouvoir garantir une baisse d’impôts ou, au moins, que les impôts
locaux n’augmentent pas à la veille de l’élection. Je cite le rapport : « plusieurs élus locaux ont
indiqué avoir constaté, peu de temps après leur élection, que des emprunts pour des montants
importants avaient fait l’objet de négociation et de conclusion dans les derniers jours du mandat
de la précédente équipe exécutive, quelquefois entre les deux tours des élections locales. »
–
il fait dès lors beau jeu de hurler à l’asymétrie de l’information et à la tromperie. L’offre
remise par Dexia à Sassenage est mise en annexe du rapport parlementaire (pages 455 à 470). Il
est exact que cette offre vante un produit « à taux faible » et « sécurisé », dans la mesure où « le
pari ne devient perdant que si le cours du franc suisse passe à la hausse un plafond historique
datant de 1991 ».
Néanmoins, la formule est parfaitement explicite et un exemple est même donné dans le
powerpoint, avec un cours défavorable. Le premier lecteur venu peut y lire que si le CHF/EUR
passe de 1,44 à 1,40 (faible variation s’il en est !), le taux d’intérêt passe de 3,6% à 5%. Comme
le CHF est aujourd’hui à 1,20, le taux d’intérêt est à plus de 12% !
Encore une fois, il suffisait juste de lire ! Et ce n’était pas en petits caractères dans une note de
bas de page… c’était en toutes lettres dans le powerpoint ! D’autant que si ce n’est pas le cas de
Sassenage, toutes les grosses collectivités locales (mairies, toutes les communautés
d’agglomération, tous les départements et régions) disposent d’un service financier ; certaines
font en plus appel à un conseil financier spécialisé !
Donc les collectivités locales s’en sont toutes donné à cœur joie, remettant à plus loin les
décisions difficiles et ne voyant pas plus loin que l’élection suivante. Alors stupidité ou
machiavélisme ? Théorème de Madelin oblige, optons pour la stupidité.
d)
structures de contrôle totalement absentes
On peut également se demander comment on peut réussir à faire souscrire des milliards d’euros
de ce type de prêts à des acteurs institutionnels sans que personne ne bouge. Et là encore, c’est
grandiose :
–
les agences de notation n’ont pas bronché. Certaines collectivités locales sont notées et bien
notées d’ailleurs à l’époque. Pourquoi ? Les agences se sont basées, comme d’habitude, sur deux
critères : le stock de dette et … la charge des intérêts dans le budget de la collectivité en
question… Or les prêts structurés ont contribué à abaissercette charge d’intérêts au cours des
premières années…
–
les préfets n’étaient habilités qu’à regarder les en-cours de dette et leur évolution, en aucun
cas la structure de cette dette – comme les budgets présentés étaient en équilibre, les préfets
n’avaient pas leur mot à dire ;
–
les assemblées d’élus ont été (et sont toujours) régulièrement – pour ne pas dire
systématiquement – shuntées lors de la renégociation d’emprunts ; par ailleurs, les documents
communiqués à ces assemblées a posteriorine contenaient ni la répartition des emprunts par
type de taux, ni le montant des soultes à verser, en cas de besoin, pour casser ces prêts. Autant
dire dans ces conditions que le pouvoir des élus locaux en termes de contrôle des finances
publiques locales est illusoire.
–
aucun contrôle ne s’est exercé sur les hôpitaux qui, eux aussi, ont massivement souscrit ce
type d’emprunts dans le cadre du Plan Hôpital 2007. Comme les hôpitaux n’avaient pas de
liquidité, il n’était évidemment pas question qu’ils paient une charge trop importante
d’intérêts…Comme la structuration de leur dette ne figure pas dans les documents qui doivent
être transmis annuellement au Trésor, les problèmes ne risquaient pas d’apparaître !De plus,
l’hôpital étant structurellement en déficit, comment le conseil d’administration des hôpitaux a-t-il
pu souscrire ce genre de prêt sans contrôle ?
–
la commission bancaire ne s’est pas non plus émue de la situation, bien qu’en ayant
parfaitement conscience ;
–
seule, comme d’habitude, la Cour des Comptes (et ses représentantes locales) ont alerté les
collectivités locales des risques… et comme d’habitude, ses avis sont restés lettre morte.
e)
quelles propositions ?
Le rapport ne fait pas franchement dans l’originalité dans ses propositions d’actions préventives :
un peu derégulation par ici (interdiction de produits structurés avec multiplicateur, mise en place
d’un cap sur tous les prêts à taux variables, obligation de provisionner les risques, interdiction de
souscrire un prêt pendant la durée d’une campagne électorale), un peu de verbiagepar là
(instauration d’un grand débat annuel sur la stratégie financière – j’imagine ce que cela va donner
dans ma commune de 800 habitants… ; amélioration de la qualité des enregistrements soumis
aux élus et au préfet ; rapport annuel au Parlement sur les dettes locales).
Là où cela devient intéressant, c’est dans les propositions d’actions curatives : que faire avec la
dette toxique existante ? Je ne résiste pas au plaisir de lister les deux propositions sur ce thème :
–
« Mettre en place un pôle d’assistance et de transaction, auquel les acteurs publics locaux
concernés pourraient donner mandat pour renégocier de façon groupée les encours d’emprunts
structurés et conclure de nouveaux contrats à taux fixes ou variables, en organisant le portage du
risque par les établissements prêteurs avec une participation des emprunteurs aux coûts
afférents ;
–
Primauté donnée aux produits atypiques ou fortement toxiques (ce qui veut dire que le pôle
d’assistance se penchera en priorité sur les emprunts dont les taux d’intérêts dépassent 20% ».
Bref, on va faire une grande médiation et la paume sera donc partagée entre les banques, les
collectivités locales, et l’Etat : de nombreux débats ont eu lieu au sein de la Commission pour
déterminer quelle devait être le bon partage des pertes, certains élus estimant qu’il convenait de
charger les banques, certains autres étant d’avis que c’est à l’Etat d’assurer les problèmes
rencontrés par les collectivités locales. A titre d’exemple, les députés voulaient savoir si Dexia
avait les reins suffisamment solides pour assumer, sinon l’intégralité des pertes, du moins les
25% les plus toxiques, Augustin de Romanet (patron à l’époque de la CDC) essayant au contraire
de défendre Dexia, reprise partiellement par la Caisse en 2011.
Autre proposition survenue depuis la parution du rapport, émanant cette fois d’une députée
socialiste : la création de « Francobonds », c’est-à-dire la mise en place des exacts équivalents
des Eurobonds tant désirés par notre Président normal, mais au niveau français (les collectivités
locales emprunteraient toutes ensembles sur le taux « bas » par exemple de l’Île de France et
bénéficieraient paieraient ainsi un taux d’intérêt bien plus bas, évitant ainsi aux vilains marchés
de prendre une prime de risque beaucoup plus importante sur une collectivité locale trop
endettée). Mais, comme pour les Eurobonds, les collectivités resteraient soi-disant
« individuellement » responsables de leur emprunt…
Ce qui est tragique dans l’histoire, c’est que dans tous les cas, c’est bien le contribuable qui finira
par payer les « violons ». Si ce sont les collectivités locales qui doivent payer les intérêts, ce sera
une hausse drastique des impôts locaux. Si c’est Dexia, 6 des 8 milliards d’euros qui ont été
injectés par l’Etat (soit directement, soit via la Caisse des Dépôts) qui partiront en fumée. Et tout
l’argent que la Caisse des Dépôts devra remettre sera autant d’argent en moins pour
l’investissement dans l’économie française.
1. C.
Qu’en penser ?
Ce sujet pose une véritable question philosophique : qu’en est-il de la responsabilité de celui qui
signe un contrat ? Une grande partie de la Commission parlementaire prétend que cette
responsabilité ne peut être retenue attendu « qu’il y avait asymétrie de l’information et que la
banque a abusé de la faiblesse et de la crédulité de ses interlocuteurs, qui ne sont pas des
professionnels de la finance ». Les parlementaires se substitueraient bien volontiers au tribunal
qui va statuer et déclareraient la banque seule responsable de la situation. Espérons qu’il n’en
sera rien.
Pourquoi ?
D’abord parce quele contrat de prêt laissait apparaître clairement le risque. Même si les termes
employés sur la présentation prêtent à confusion, cela n’exonère pas celui qui signe, dès lors qu’il
est visible que le pari peut mal tourner.
Ensuite, parce que ceux qui ont signé le contrat sont au moins d’aussi mauvaise foi que la
banque. Trop heureux de bénéficier de taux favorables avant les élections, ils veulent jouer à
« face je gagne, pile je ne perds pas ». Cela se passe rarement ainsi dans la vraie vie.
Enfin, parce que la liberté contractuelle est un des principes fondamentaux du Code civil.
Rappelons qu’elle repose sur deux choses :
1/
le concept d’autonomie de la volonté :
chacun est libre de signer ou non le contrat,
et la forme du contrat est elle aussi libre.
Dans le cas d’espèce, personne n’ayant contraint la commune à s’engager et la formule de calcul
des intérêts étant indiquée en toutes lettres, on ne voit pas très bien ce qui s’opposerait à la
légalité du contrat ;
2/
la force obligatoire du contrat à l’égard des parties et du juge : les contractants sont tenus
d’exécuter les obligations du contrat et ne peuvent les modifier ou y mettre fin que par un accord
réciproque. Le juge est tenu de respecter ce contrat et ne peut en modifier les termes, même s’ils
sont injustes pour l’une ou l’autre des parties.
Au plan du droit, même si le principe de liberté contractuelle n’est pas inscrit dans la Constitution,
le Conseil constitutionnel reconnaît que les atteintes à cette liberté portent généralement atteinte
à des droits qui, eux, sont constitutionnels. Deux exemples :
si un contrat concerne la location, la vente ou l’échange d’un bien, il repose à l’évidence sur le fait
que ce bien est ma propriété. Si l’on m’interdit d’en disposer comme je le veux, c’est bien une atteinte
à mon droit constitutionnel à la propriété privée ;
de même, le Conseil Constitutionnel a statué pour affirmer que les collectivités locales ont le droit de
souscrire tous les contrats qu’elles souhaitent, puisqu’une remise en question de ce droit serait une
remise en question du principe de libre administration des collectivités territoriales, qui lui a valeur
constitutionnelle : pour le CC, « si, grâce à la décentralisation, les collectivités territoriales peuvent
s’administrer librement, elles ont acquis une autonomie de la volonté, pendant de la liberté
contractuelle ».
Je n’ai évidemment pas pris ce deuxième exemple au hasard : les collectivités locales ne peuvent
pas revendiquer leur droit à la libre administration et contester les ingérences du préfet dans leur
budget, pour se déclarer ensuite irresponsables des contrats qu’elles signent.
C’est pourquoi les prises de position des journalistes et celle des élus, militant pour que les
communes qui se sont endettées échappent aux conséquences de leurs actes, sont
particulièrement désolantes, tant elles révèlent la préférence française caractérisée pour la
protection des « soi-disant faibles » au détriment du libre-arbitre et de la responsabilité
individuelle. Ceci ne peut qu’avoir des répercussions néfastes à moyen terme : si, chaque fois que
je contracte une dette irresponsable, un mécanisme de solidarité arrive pour me sauver
(Eurobonds ? …), quelle incitation ai-je à l’intelligence ou à la tempérance?
Quant au niveau exact de responsabilité des banques, comme nul n’a la prétention d’avoir
participé à tous les entretiens entre les banques et les différentes collectivités locales, il sera très
difficile de déterminer quel a été le niveau de « défaut de conseil » d’un côté, et de « cupidité »
de l’autre ; faisons confiance au système judiciaire.
Ricardo disait que pour que le système économique fonctionne, il fallait que les personnes
constituant l’Etat et le système bancaire soient des gentlemen.
Cherchons les ensemble ?