Dossier EITC

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Dossier EITC
Programme de formation continue SES
Politiques d’emploi et politiques sociales : autour du RSA
Février 2010
Dossier : L’effet du Earned Income Tax Credit (EITC) américain
sur l’offre de travail des femmes
Synthèse de :
N. Eissa et J. Liebman, « Labor supply response to the Earned Income Tax Credit »,
Quarterly Journal of Economics, 111, 1996.
N. Eissa et H. Hoynes, « Taxes and the labor market participation of married couples: the
Earned Income Tax Credit », Journal of Public Economics, 88, 2004.
1. N. Eissa et J. Liebman, « Labor supply response to the Earned Income Tax Credit »,
Quarterly Journal of Economics, 111, 1996.
L’EITC
L’aide sociale apportée aux familles pauvres avec enfants aux Etats-Unis s’appuie
principalement sur l’Aid to Families with Dependent Children (AFDC) depuis les années
1930. Cette aide est maximum pour les familles sans autre revenu et est réduite d’un dollar
pour chaque dollar supplémentaire de revenu, ce qui, en théorie est susceptible de décourager
l’offre de travail.
Depuis 1975, existe un dispositif incitatif, l’Earned Income Tax Credit (EITC), qui a été
fortement développé à partir de1986, puis à nouveau en 1990 et 1993. A partir de la fin des
années 1990, il représente une dépense fédérale 1.7 fois plus importante que l’AFDC.
Pour être éligible à l’EITC, un ménage doit vérifier trois conditions : il doit déclarer un revenu
du travail positif ; ce revenu doit être inférieur à un certain seuil, qui dépend de la structure
familiale et qui a varié au cours du temps ; il doit avoir au moins un enfant à charge. L’EITC
est géré par l’administration fiscale et se présente comme un crédit d’impôt, c’est-à-dire qu’il
est versé aux ménages non imposables, ou, le cas échéant, déduit des impôts.
En 1988, le barème se présente comme suit : le crédit croît au taux de 14% avec le revenu
déclaré depuis un revenu de 1$ jusqu’à $7 400, le crédit maximum étant de $1 036. Lorsque le
revenu déclaré est compris entre $7 400 et $11 670, le crédit reste à $1 036. Le crédit est
ensuite réduit au taux de 10%, si bien qu’un ménage qui déclare $22 031 ou plus, ne perçoit
plus aucun crédit. La forme du barème est décrite par la figure IV, pour l’année 1986 (avant la
réforme de 1986) et l’année 1988 (après cette réforme) : le montant en abscisse est le revenu
du travail déclaré et le montant en ordonnée est le montant du crédit perçu par les familles
avec au moins un enfant (à cette époque, le barème ne dépend pas du nombre d’enfants).
Avec l’EITC, n’importe quel temps de travail (et revenu du travail associé) assure au moins
autant de revenu disponible qu’en l’absence de EITC. N’importe quel agent qui souhaite
travailler sans l’EITC souhaite aussi travailler avec. Certains des agents qui seraient inactifs
sans l’EITC pourront souhaiter travailler avec l’EITC, dès lors que le supplément apporté par
l’EITC suffit à compenser leur coût d’opportunité du travail rémunéré. Au total, l’impact
théorique de l’EITC sur l’offre de travail (ou la décision de participation) est positive.
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Pour les heures de travail, la situation est plus ambigüe. Dans la zone de montée en charge du
dispositif, le revenu effectif de chaque heure de travail supplémentaire est supérieur au salaire.
En général, on s’attend à ce que cela augmente l’offre de travail (mais l’effet d’un prix plus
grand pour le travail peut être compensé par l’effet revenu). Dans la zone de plateau du
dispositif, le revenu disponible augmente seulement avec le salaire, il n’y a donc pas de
modification du prix marginal, mais un effet revenu potentiellement négatif. Dans la zone de
décroissance du crédit, le taux de salaire effectif est inférieur au salaire perçu, car chaque
dollar de salaire supplémentaire est accompagné d’une décroissance de l’EITC perçu de 10%.
Cela incite à réduire le nombre d’heure, par rapport à une situation sans EITC. Au total, l’effet
sur les heures souhaitées parmi les actifs est ambiguë, mais potentiellement négatif pour une
partie des agents.
Objectif de l’article
L’article estime l’évolution de l’offre de travail des femmes seules avec enfants (qui
représentent 48% des éligibles à ce dispositif) en réponse à la réforme de 1986 (Tax Reform
Act, TRA86), en s’efforçant d’isoler l’évolution de la participation que l’on peut attribuer à
cette réforme. Comme l’indique la figure IV, les incitations à la participation ont été
renforcées, car la générosité du dispositif s’est élargie dans toutes les dimensions : on s’attend
donc à un effet positif sur la participation, dont la réalité empirique reste à valider et dont
l’ampleur est en tout état de cause inconnue. Cet effet théoriquement positif est renforcé, et
non affaibli, par les autres dispositions de la loi TRA86.
L’estimation procède en comparant l’évolution de la participation des femmes qui ont vu leur
incitation croître, les femmes avec des enfants à charge, avec celle des femmes sans enfants,
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qui ne sont pas concernées par le dispositif. Prendre l’évolution de la participation de ces
femmes avant et après la loi comme référence, revient à supposer que cette évolution
caractérise ce qu’aurait pu être l’offre de travail des femmes avec enfants en l’absence de
réforme de l’EITC.
L’évaluation pourra porter sur l’ensemble des femmes seules avec/sans enfants ou sur un
groupe davantage susceptible d’être concerné par l’EITC, comme les femmes de faible niveau
scolaire.
Principaux résultats
Les données utilisées sont celles du March Current Population Survey (CPS), qui enquête
chaque année environ 57 000 ménages américains. Les auteurs utilisent les années 1985 à
1987 d’une part et 1989 à 1991 d’autre part. La table I décrit les échantillons : les femmes
sans enfants en première colonne, puis les femmes avec enfants en deuxième colonne, ensuite
détaillées en trois niveaux d’éducation croissants (colonnes 3 à 5). Les variables sont, dans
l’ordre : âge, éducation (en années), non-blanc, nombre d’enfants de moins de 6 ans, taille de
la famille, revenu disponible, revenu du travail, taux de participation (heures positives dans
l’année), proportion de semaines travaillées, heures de travail annuelles. Attention, la notion
de « participation » telle qu’elle est mesurée dans ces données correspond à l’emploi effectif,
non à la participation au sens actif/inactif.
Le tableau II présente les taux d’emploi des femmes seules avant et après la loi TRA86 (19851987 et 1989-1991), pour les femmes concernées par la réforme (« treatment group »), c’està-dire les femmes seules avec enfants, et pour les femmes de l’échantillon témoin (« control
group ») c’est-à-dire les femmes sans enfants. Le panel A concerne toutes les femmes de
l’échantillon ; le panel B isole les femmes n’ayant pas le bac (« less than high school ») et les
femmes ayant fait des études supérieures (« beyond high school ») ; le panel C isole en outre
les femmes ayant exactement le bac (« high school »).
Ce tableau fait apparaître, par exemple (panel A), que l’emploi des femmes concernées par la
réforme a augmenté de 2.4 points de pourcentage, tandis que l’emploi des autres femmes n’a
pas changé. Cela donne à penser qu’aucune évolution importante du marché du travail n’a eu
lieu sur la période, si bien que l’on est tenté d’attribuer à l’EITC et non à des facteurs
contemporains, l’évolution observée sur les femmes avec enfants. Des conclusions similaires
peuvent être tirées des analyses par sous-populations.
Naturellement, le risque est que les femmes de caractéristiques différentes ne soient pas
soumises de la même manière aux évolutions du marché du travail indépendantes de l’EITC.
Les auteurs présentent les tendances d’emploi des deux types de femmes sur le long terme
(figure II) pour souligner qu’elles ne sont pas soumises à des évolutions structurellement
différentes sur le long terme. Des analyses complémentaires sont menées en tenant compte
d’un ensemble de caractéristiques individuelles susceptibles d’influer l’état sur le marché du
travail, par le biais de régressions multivariées. Elles ne modifient pas le diagnostic
d’ensemble.
Enfin, la même méthode de comparaison des évolutions dans le temps est utilisée pour
évaluer l’impact de l’EITC sur le nombre d’heures travaillées, parmi celles qui travaillent. On
ne trouve aucun effet significatif. Ce résultat est compatible avec l’idée que la sensibilité de
l’offre de travail aux incitations financières est plus forte sur la marge extensive (la décision
de participer) que sur la marge intensive (la décision de travailler plus ou moins d’heures).
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2. N. Eissa et H. Hoynes, « Taxes and the labor market participation of married couples: the
Earned Income Tax Credit », Journal of Public Economics, 88, 2004.
L’article précédent de Eissa et Liebman portait sur les femmes seules. Pour celles-ci, l’EITC a
augmenté incontestablement le taux d’emploi. Qu’en est-il de l’offre de travail des couples
mariés, sachant que la condition de revenu pour être éligibile à l’EITC porte non pas sur le
revenu individuel mais sur le revenu du ménage ?
Au sein des ménages, les femmes apportent souvent un complément de revenu, le revenu
principal provenant de l’emploi du mari. On peut alors représenter la décision d’offre de
travail du couple de la manière suivante : mari et femme prennent leurs décisions de manière
séquentielle, d’abord le mari, puis la femme. L’effet de l’EITC pour le mari, lorsqu’il prend sa
décision en premier, est identique à celui d’une personne seule : son offre de travail augmente.
Cependant, lorsque la femme prend ensuite sa décision, elle tient compte du revenu familial,
c’est-à-dire, celui de son mari augmenté de l’EITC. Si le revenu familial augmenté du salaire
du mari se trouve dans la tranche où l’EITC décroît avec un revenu supplémentaire (au-delà
de 11 670 dollars dans le barème 1988 présenté dans la figure IV du 1er article), alors les
incitations à travailler pour la femme peuvent être négatives car chaque dollar qu’elle ajoute
au budget familial entraîne une réduction de l’EITC.
L’effet général de l’EITC sur la participation sur le marché du travail dépend donc de la
répartition du revenu des couples mariés. Le tableau 1 montre la part des familles avec enfants
recevant l’EITC, selon que leur revenu en 1994 se situe dans la partie ascendante (phase-in)
ou le plateau (flat) du barème présenté dans la figure IV du 1er article, ou dans la partie
descendante du barème (phase-out). On voit que les couples mariés avec enfants se situent
plutôt dans la tranche de revenu où l’EITC diminue avec le revenu.
Méthodologie
L’article étudie l’effet de l’expansion du programme EITC entre 1984 et 1996 sur les couples
mariés avec enfants. Les données sont tirées des March Current Population Surveys de 1985 à
1997. L’échantillon est formé de couples mariés, âgés entre 25 et 44 ans, dont la femme a
moins de 12 ans d’éducation (elle a moins qu’une éducation secondaire). En effet, plus de
60% de ces couples sont éligibles pour l’EITC, alors que seuls 20% des couples où la femme
a reçu exactement une éducation secondaire sont éligibles à l’EITC .
La figure 1 retrace la forme des barèmes des différentes années entre 1984 et 1996, pour un
couple avec un enfant (A) et un couple avec deux enfants ou plus. L’abscisse est le revenu
déclaré (en dollars constants de 1996) ; l’ordonnée est le crédit au titre de l’EITC (en dollars
constants).
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Les auteurs utilisent deux méthodes.
Tout d’abord, les auteurs comparent le taux d’emploi des couples avec enfants (le groupe
bénéficiaire) à celui des couples sans enfants (le groupe de contrôle), lorsque la femme est
peu éduquée (moins de 12 ans d’éducation). Les auteurs tiennent compte des différences
intrinsèques entre les deux groupes (les femmes sans enfants sont par exemple, plus âgées que
les femmes avec enfants)
La figure 5 montre la différence du taux de participation (LFP) pour les femmes mariées, par
rapport à leur taux de participation en 1984 (axe de gauche) ainsi que la différence du montant
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moyen de crédit EITC par rapport à 1984 en dollars constants (axe de droite). Le montant de
l’EITC est calculé pour les femmes, en supposant que la répartition du salaire de leur mari
reste celui de 1996. En gardant constante la répartition des salaires des maris, la courbe de
l’EITC ne varie qu’en fonction du changement du barème.
Le taux de participation des femmes mariées peu éduquées semble répondre à l’EITC, en
particulier à la suite de son augmentation conséquente dans les dernières années.
Dans la 2e méthode, les auteurs estiment la probabilité de participer sur le marché du travail,
chez des couples avec enfants et peu éduqués, entre 1984 et 1996. La probabilité de participer
dépend du salaire, du revenu hors travail, et du taux de taxe sur le revenu. Pour la femme, qui
prend sa décision de participation en second, après son mari, le « revenu hors travail » inclut
le salaire du mari. Le « taux de taxe » de la femme est calculé sur un revenu incluant
également, outre son propre salaire, celui de son mari. En revanche, l’homme, qui prend sa
décision de participation en premier, ne prend pas en compte le salaire de la femme. Sous ces
hypothèses, en comparant les taux d’emploi selon les taux de taxe, on obtient les élasticités
d’offre de travail suivantes :
Elasticités d’offre de travail
femmes mariées
hommes mariés
salaire
0.267
0.032
revenu hors travail
-0.039
-0.007
Note : sur couples mariés où la femme a moins de 12 ans d’éducation.
Ces élasticités servent à simuler la réponse des taux de participation aux réformes de l’EITC
entre 1984 et 1996 pour la population des couples mariés (tableau 8 ci-dessous). La première
ligne présente le résultat général (overall). Les résultats sont ensuite donnés par déciles du
salaire du mari ; puis regroupés selon la position dans le barème de l’EITC en 1996 (« phasein » phase ascendante ; « flat » plateau ; « phase-out » phase descendante ; «>phase out » audelà de la phase descendante). Les deux dernières colonnes donnent la différence du montant
de crédit reçu par la famille (en dollars constants), à la suite des réformes de l’EITC, en brut
(« gross ») puis en net (ajusté des réponses de l’offre de travail du mari et de la femme).
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Au total, l’expansion de l’EITC a eu des effets modestes : la participation des femmes
mariées avec enfants a diminué de 1.1 point de pourcentage (2.4%) ; celui des pères a
augmenté de 0.2%. Les réformes du barème ont augmenté le crédit de 927 dollars, ou de 857
dollars en tenant compte des changements d’offre de travail. Cet effet général est dû au grand
nombre de couples mariés situés dans la zone descendante du barème de l’EITC.
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