Universite du Quebec a Montreal Philippe Roy. Le livre franfais au

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Universite du Quebec a Montreal Philippe Roy. Le livre franfais au
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Papers of the Bibliographical Society of Canada
Le cahier se termine avec deux chroniques archivistiques qui
demontrent de maniere tres simple I'interet de sites Internet consacres
aux archives (le reseau canadien d'information archivistique et
le reseau de diffusion des archives du Quebec - RDAQ) et une
description plus approfondie de la Collection Neilson conservee a
Bibliotheque et Archives Canada. Une derniere chronique presente
Je projet HLIC/HBiC alors en chantier, dont tous les volumes sont
aujourd'hui publies.
Ce cahier de recherche est un exemple concret du dynamisme des
jeunes chercheurs et de la richesse de leurs travaux. Ces quatre articles
ne sont pas exempts de faiblesses, mais ils reussissent a ouvrir de
nouvelles perspectives de recherche et sunout, ce qui plait davantage a
une historienne de la presse, amontrer toute la richesse du corpus de
la presse periodique, corpus encore trop peu exploite au Quebec.
DOMINIQUE MARQUIS
Universite du Quebec aMontreal
Philippe Roy. Le livre franfais au Quebec, I939-I972. Coll. «Sciences
humaines et sociales-Histoire». [Paris], Publibook [2oo8], 316 p.;
36 euros. ISSN 1950-6856
Ce livre, qui etudie la penetration du livre fran~ais au Canada - et
paniculierement au Quebec-, etait al'origine un memoire de master
d'histoire soutenu a l'Universite d'Angers (France) par un etudiant
quebecois. Ce tres bon memoire a donne lieu a un livre publie par
Publibook, une maison d' edition a compte d' auteur, a toutle moins
avec participation des auteurs aux frais d' edition, faisant pattie du
groupe Petit Fute. Cette maison d' edition parisienne n' assume pas
de tirage minimal; les exemplaires sont imprimes au fur et a mesure
des commandes.
·
La trame de ce livre est connue: age d' or de l'edition quebecoise
pendant la Deuxieme Guerre mondiale, periode creuse entre la fin de
laguerre et le tournant des annees 1960, reprise de l'edition quebecoise
et invasion de maisons fran~aises, et principalement Hachette, durant
la Revolution tranquille. Ce qui est original dans ce livre, et ce qui en
fait la richesse, c' est que l' auteur va plus loin qu' une simple recherche
en histoire du livre. Il fait un appon majeur dans la connaissance
des relations culturelles internationales entre le Quebec et la France.
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Sa vaste bibliographie montre sans conteste sa connaissance des
sources en histoire du livre au Quebec. Surtout, il a exploite avec
intelligence les archives diplomatiques fran«;:aises a Nantes et celles
du Quai d'Orsay, concernant l'Ambassade de France a Ottawa et
le Consulat general de France a Quebec. II a aussi eu recours aux
archives de Ia maison Hachette deposees a l'Institut Memoire de
I'edition contemporaine (IMEC) a Caen. Le tableau qui en ressort
s' avere une contribution a une avancee dans Ia recherche en histoire
du livre au Quebec et en France.
En introduction a son travail, I' auteur dresse, sans doute a
!'intention de son universite d'attache, un tableau du developpement
de l'historiographie au Quebec, des influences fran«;:aises sur cette
historiographie, de meme qu' une vue d' ensemble sur les nombreux
travaux en histoire du livre au Quebec au cours de Ia derniere
generation. Pour lui, le livre n' est pas un objet comme les autres.
V ehicule culturel, objet politique, commercial, symbolique et
d'influence, il est un instrument privilegie permettant une etude
originale des societes et des relations internationales. En cela, il
rejoint le propos de Guy Fregault qui avait ecrit: «Dans nos societes
contemporaines, Ia situation du livre est un bon indicateur de I'etat
general d'une communaute culturelle. Elle permet de mesurer
a Ia fois une productivite intellectuelle, !'importance de certains
equipements essentiels, I'efficacite d' une organisation collective et
les preoccupations que peut inspirer a un groupe humain le partage
equitable des biens de I'esprit».
Avant Ia Deuxieme Guerre mondiale, on doit constater Ia mevente
du livre fran«;:ais au Canada: 4 452 livres vendus en 1932, 2 816 en
1933. Les causes en sont notamment les desavantages douaniers et Ia
surevaluation du franc par rapport au dollar canadien. En 1935, le
gouvernement federal supprime Ia taxe de 15 o/o qui frappe le livre
broche qui est le propre du livre fran«;:ais. En raison de I'occupation de
Ia France par l'Allemagne, le gouvernement canadien a mis sur pied,
en 1940, le Sequestre des biens ennemis qui permettait de reimprimer
les livres fran«;:ais en remettant aOttawa, pour Ia duree de Ia guerre,
10 o/o des droits d' auteurs des livres publies; ceux-ci seraient remis
aux maisons fran«;:aises a Ia Liberation. De 1940 a 1944, les editeurs
quebecois ont publie plus de 1 6oo ouvrages, dont quelques livres
d' auteurs locaux. On estime a16 millions les ouvrages publies en cinq
ans; les tirages de 5 000 et meme de 10 000 exemplaires n' etaient pas
exceptionnels. lis ont tire profit des marches traditionnels de Ia France
et ils ont exporte en Amerique latine, aux Etats-Unis, aux Antilles, en
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Mrique du Nord et dans le Pacifique. Le Canada, qui exportait 156
88o livres en 1939, exportait I 027 771 en 1945, et le. Quebec comptait
pour beaucoup dans ce marche a la fin de la guerre.
Cette situation particuliere de 1'edition pendant la guerre a permis
1'edosion de dizaines de maisons d' edition, surtout a Montreal. De
celles.:.ci, trois maisons ressortent: Valiquette, Varietes et de l'Arbre.
Bernard Valiquette en a mene large dans son activite d' edition
litteraire: il a edite 136 titres et il a exporte a travers le monde. Les
Editions Varietes, propriete de Paul Peladeau et d'Andre Dussault,
avaient publie, en 1946, 6oo titres differents et ils avaient fait imprimer
un million d' exemplaires par an pendant la guerre. De leur cote, les
Editions de l'Arbre de Claude Hurtubise et de Robert Charbonneau
ont publie, de 1941 a 1948, 200 titres dont 6o auteurs quebecois; cette
maison a publie tres peu de reimpressions (6% de leur catalogue).
Le 30 janvier 1945, le regime des licences de reimpression prend
fin. Les editeurs frans;ais, avec 1'aide de leur gouvernement, veulent
reconquerir leurs marches. Le livre frans;ais est de retour sur le
territoire canadien des 1946. Pourtant, au lendemain de la Liberation,
des editeurs frans;ais s' adressent aux imprimeurs du Quebec pour
proceder a des travaux qu'ils ne peuvent faire effectuer en France, a
cause de la penurie de matieres premieres. La plupart des maisons
quebecoises nees avec la guerre font faillite a la fin de la guerre. Celles
qui survivent sont celles dont 1'activite repose sur la production de
manuels scolaires: Beauchemin, Granger, Fides, la librairie Dussault.
De la fin des annees 1940 au debut des annees 1960, c' est le regne
du manuel scolaire; editeurs, grossistes, detaillants luttent pour
approvisionner les etablissements scolaires. En 1955, Beauchemin,
Granger, Fides et Dussault se mettent d' accord pour uniformiser
leurs prix et leurs remises sur le livre importe; avec un coefficient
multiplicateur de 2,5 et des remises de 20% aux institutions, ces
maisons s' assurent une marge brute de 6o o/o sur le prix de detail.
Cette politique de cartellisation a ete mise en lumiere, en 1963, lors
de 1'enquete sur le commerce du livre presidee par Maurice Bouchard.
A la fin des annees 1950, le Centre de psychologie et de pedagogie
qui produisait alors la moitie des manuels scolaires met en place une
politique commerciale qui met le feu aux poudres dans le monde de
la distribution au. Quebec: il s' attaque au cartel en coupant les prix
sur le livre importe.
A la fin des annees 1940, il y a reorganisation du commerce du
livre chez les editeurs frans;ais pour reprendre pied sur les marches
exterieurs. Jusqu'alors, ceux-ci ne vendaient leurs livres qu'a compte
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ferme, ne reprenant pas les invendus, ce qui incitait les libraires
etrangers a une grande prudence dans la constitution de leurs stocks.
La maison Flammarion s'installe a Montreal en 1950, et la societe
de distribution Fomac (Hatier) en 1952. Hachette acquiert en 1959
la librairie montrealaise Pony. Par le rappon Bouchard, on apprend
qu'il y a, en 1962, 106 librairies au Quebec, dont 6o a Montreal et a
Quebec, et 63 d' entre elles dependent exdusivement de la vente du
manuel scolaire, et que 8o% des ouvrages vendus en librairie vient
de France; cette annee-la, 266 ouvrages ont paru au Quebec.
Les annees 1960 apportent a une nouvelle donne: creation du
ministere des Affaires culturelles, du Conseil superieur du livre,
reforme de 1'edition et de la librairie (agrement des librairies), et
surtout reforme de 1'education. En dix ans, de 1960 a 1970, 1'edition
quebecoise passe annuellement de 2oo a 2 ooo volumes. La reforme
de 1'education attire des maisons d' edition etrangeres, americaines
(McGraw-Hill, Holt, Rinehart, Prentice-Hall) etfran<;aises (Hachette).
En 1969, le Conseil superieur du livre publie un Livre blanc sur
1'affaire Hachette. Hachette, qui est au Quebec depuis les annees 1950
fait, en 1965, une offensive du cote des manuels scolaires, ouvre une
deuxieme librairie a Montreal, cree les Messageries internationales
du livre. En 1971, Hachette acquien avec le concours de la Societe
generale de financement le Centre educatif et culture! (CEC), alors
le plus important editeur de manuels scolaires du Quebec, et se
porte aussi acquereur de la librairie Garneau de Quebec avec ses cinq
succursales. Les milieux quebecois du livre parlent de !'implantation
tentaculaire de Hachette, de la «pieuvre Hachette)). Rappelons qu'audela de 1972, le CEC, dont Hachette detient 50%, achete, en 1977,
le reseau des librairies Dussault pour les fusionner avec les librairies
Garneau qu' elle possedait deja. Ce faisant, le nombre des librairies
Hachette au Quebec passe de 16 a 25.
Dans ce livre, Roy montre bien la faiblesse du gouvernement
quebecois face a Hachette, soutenue par le gouvernement frans;ais.
Le gouvernement fran<;ais se sert de la cooperation franco-quebecoise
pour exercer des pressions sur le gouvernement du Quebec. De son
cote, le gouvernement du Quebec a besoin des ententes FranceQuebec pour acceder, par le biais de la France, a !'international, ce
qui mettait Quebec dans un etat de faiblesse dans ses rapports et ses
negociations avec la France. De plus, il semble bien, au debut de la
decennie 1970, le gouvernement Bourassa avait besoin de capitaux
pour developper la Baie James. Face a cet imperatif, le dossier du livre
et la defense des editeurs quebecois ne pesaient pas lourd.
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S'il etait le plus visible, Hachette n' etait pas seul. Le Quebec a
connu une veritable invasion de maisons d' edition frans;aises dans
les annees 1960 ; 26 nouvelles maisons s'y implanterent. Le livre
frans;ais exporte au Canada qui etait de 58 ooo exemplaires en
1970 avait augmente a IOO 000 en 1976; quant au livre quebecois
exporte en France, de 300 qu'il etait en 1970, il etait passe a 2 500
en 1976.Les distributeurs frans;ais dominent le marche: les Nouvelles
messageries internationales (Hachette), SOCADIS (Gallimard,
Denoel, Flammarion, Bordas-Dunod), Dimedia (Le Seuil), Editions
fran<;aises (Larousse, PUF, Presses de Ia Cite).
II est evident qu'a Ia fin de Ia Revolution tranquille, le livre
frans:ais est .dans une situation dominante au Quebec, les editeurs
frans:ais s'imposent de plus en plus et les editeurs quebecois se voient
forces de passer par des maisons de distribution frans;aises pour etre
diffuses sur leur propre territoire. Cette situation de domination
touche le domaine scolaire, Ia distribution en gros et Ia librairie de
detail.
En conclusion, I' auteur resume bien le commerce du livre et de
l'imprime au Quebec entre 1939 et 1972 de Ia fas:on .suivante: tantot
florissant, tantot en crise, jamais autonome.
MARCEL LAJEUNESSE
EBSL Universite de Montreal
LaCharite, Claude (dir.). Gabrielle Roy traduite. Quebec: Nota bene,
coli. «Seminaires», n° 18, 2oo6; 19,95$. ISBN 2-89518-243-4
Cet ouvrage tres interessant se situe dans le prolongement de deux
titres .publies chez le meme editeur sous Ia direction de Jane Everett
et de Frans:ois Ricard: Gabrielle Roy reecrite (2003) et Gabrielle Roy
inedite (2005). Dans le cas du present collectif, publie cette fois sous la
direction de Claude La Charite, on se demande des I' abord si Gabrielle
Roy traduite est synonyme de Gabrielle Roy denaturee, mise a mal,
victime des «gauchissements» (p. 8) qu'induirait ineluctablement
I' acte de traduction. C' est en definitive Ia question a laquelle tentent
de repondre, chacun a sa maniere, les auteurs des textes reunis dans
ce livre, qui s'interessent so us divers angles ace qui se produit lorsque
I' reuvre de Gabrielle Roy est soumise a «I' epreuve de I' etranger », po!lf
reprendre le titre d' une reuvre d'Antoine Berman.