Les mathématiques de la maternelle jusqu`à dix-huit ans.
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Les mathématiques de la maternelle jusqu`à dix-huit ans.
Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. B.Honclaire, M.Krysinska, N.Rouche, F.Van Dieren et M.-F. Van Troeye Synthèse d’une recherche en éducation réalisée par le Centre de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (CREM) 1 1 5, rue Emile Vandervelde, B-1400 Nivelles 34 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. Dans le courant de 1993, Monsieur le Ministre Elio Di Rupo a chargé le d’élaborer « un cadre global pour l’enseignement des mathématiques de la maternelle jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.» Ce travail difficile a pris deux ans et vient de s’achever. Nous en avons déjà donné une idée, alors qu’il se trouvait à un stade intermédiaire, dans le numéro 16 du Bulletin d’Informations Pédagogiques (février 1995), sous le titre «Un cadre global pour l’enseignement des mathématiques». La présente note est destinée à présenter le travail complet. Inévitablement, nous serons amenés ci-après à reprendre certains éléments de notre présentation précédente. 1. LE PROJET DE RECHERCHE Le projet de recherche, convenu avec le Ministère en 1993, comportait la rédaction « d’un programme cadre comprenant a) la mise au point et la description en termes généraux d’un noyau commun de formation mathématique couvrant la scolarité obligatoire ; b) une description en termes généraux de la formation mathématique à assurer, au delà du noyau commun, dans les différentes filières des enseignements général, technique et professionnel. » Les motivations de la recherche étaient présentées dans les termes suivants : « L’enseignement des mathématiques est difficile et il aboutit trop souvent à repousser les élèves et à les mettre en échec : ce sont là des faits graves, aux conséquences sociales immenses et que tout le monde peut constater. Deux déviations fréquentes responsables au moins partiellement des insuccès de cet enseignement sont les suivantes : a) le fait d’enseigner les mathématiques dans leur forme déductive, comme une succession d’axiomes, de définitions, de lemmes, de théorèmes et de corollaires, sans faire suffisamment la place à la genèse des théories, aux contextes problématiques où elles exhibent leur fonctionnement et leur sens, et à l’activité mathématique autonome des élèves ; b) le fait, bien pire, de réduire l’enseignement des mathématiques, pendant des moments trop longs, à l’entraînement au calcul de routine, l’attention se trouvant ainsi concentrée sur l’application de règles strictes, dont on perd de vue et l’origine et la fonction dans la culture mathématique globale. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 35 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. Une autre difficulté essentielle dont souffre l’enseignement des mathématiques dans notre Communauté est qu’il n’est pas pensé comme un tout cohérent allant de la prime enfance à l’âge adulte, mais bien par tranches horizontales étanches. Il ne s’agit pas ici de la pratique de cet enseignement sur le terrain des classes, mais bien de la manière dont il est conçu et mis en place par ceux qui en ont ou en prennent la responsabilité principale. On remarque en effet a) que les commissions de programme fonctionnent séparément, sans coordination substantielle, aux niveaux maternel, primaire et secondaire ; b) que les maîtres sont formés dans des filières distinctes, avec ici un compartimentage supplémentaire entre le secondaire inférieur et le secondaire supérieur ; c) que les recherches sur l’apprentissage et l’enseignement des mathématiques sont faites séparément, pour le maternel et le primaire dans les facultés de psychopédagogie, et pour le secondaire dans les départements de mathématiques. Il n’est pas étonnant qu’une organisation de ce type entrave la maturation dune conception globale et cohérente de l’éducation mathématique. L’absence d’une telle conception se traduit sur le terrain des classes par des dysfonctionnements observables, surtout aux passages entre le primaire et le secondaire, et entre le secondaire inférieur et le secondaire supérieur 2 » 2. INTERPRÉTATION DU PROJET Il allait de soi pour les auteurs de la recherche que le programme-cadre ne pouvait en tout cas pas se réduire à énoncer des matières à étudier aux différents âges. Il est bien question, en effet, dans le projet, de formation mathématique, et s’il est vrai que la formation comporte nécessairement des connaissances, il est clair aussi qu’elle ne se réduit pas à celles-ci (ce point est développé dans le Chap. 1 du travail). D’autre part, nous avions à traiter des grands axes de la formation mathématique. Par conséquent notre étude ne pouvait se confondre avec un programme, qui est un document spécifiant les matières en détail. Dans le domaine de recherche en question, les certitudes sont rares, ce qui renforce l’exigence d’un examen critique constant. 2 Depuis 1993, moment où le projet de recherche a été rédigé, diverses initiatives ont été prises pour atténuer ces difficultés. Mais elles demeurent, dans l’ensemble, timides et incomplètes. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 36 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. Nous nous sommes efforcés d’argumenter le plus clairement possible toutes les options présentées. S’il arrive par endroits que notre document emprunte un style normatif (« il faut», «il faudrait que», ...), il s’agit seulement d’une commodité d’expression, car le CREM n’a et ne revendique aucun pouvoir de décision. Ainsi, notre travail préserve la possibilité d’apporter des solutions diverses aux difficultés rencontrées, ce qui est sans doute important. Que deviendrait en effet un système d’enseignement privé d’un large espace de liberté ? Qui plus est, nos analyses n’ont aucune prétention à être définitives : le passé récent montre à suffisance que la société, les mathématiques, les sciences et les techniques évoluent sans cesse. Un étude comme celle-ci devrait être reprise périodiquement. 3. UN CADRE GLOBAL POUR QUI ? Notre souhait est de mettre à la disposition de tous les acteurs concernés dans le système éducatif, non pas un dogme nouveau, mais une base de discussion aisément accessible, qui permette à chacun de situer son effort et de le coordonner à ceux des autres. Nous avons cherché à rédiger ce document dans le style le plus simple possible, de sorte qu’il soit en bonne partie lisible par des personnes sans formation mathématique particulière. ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ L’espoir est qu’il permette à chaque enseignant de se situer et de reconnaître son rôle entre ceux qui enseignent avant lui et ceux qui enseignent après ; aux enseignants et élèves des écoles normales des divers niveaux et des universités de situer de même les matières qu’ils étudient ; aux enseignants des autres disciplines de clarifier la relation de leur enseignement avec celui des mathématiques et leur apport à la formation des élèves considérée dans son ensemble ; aux parents de voir d’où vient et où va leur enfant ; aux élèves d’un certain âge de comprendre le sens de leur effort et de le mettre en perspective ; aux commissions de programmes et aux auteurs de manuels d’enchaîner leurs propositions à celles qui les précèdent et les suivent, de manière à éviter les transitions mal préparées ; aux responsables administratifs et politiques de l’enseignement d’apprécier plus facilement la portée et les implications globales de leurs décisions. Enfin, last but not least, ce cadre global devrait aussi aider à reconnaître comment s’acquièrent et s’expriment, à travers la matière mathématique, les compétences de base qui font aujourd’hui l’objet de beaucoup d’attention dans l’enseignement. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 37 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. 4. SOURCES Comme on pouvait le lire également dans le projet de recherche, « Beaucoup de réflexions, de débats et de rapports ont été consacrés, surtout depuis dix ans, aux difficultés de l’enseignement des mathématiques. Signalons surtout, pour la Communauté Française de Belgique, le Rapport de la Commission « Danblon » [Dan90] et le Livre blanc de la Société Belge des Professeurs de Mathématique d’Expression Française [Noë91] 3. Les études étrangères les plus marquantes, et qui d’ailleurs ont inspiré les contributions belges, sont le Rapport Cockroft [Coc82] pour l’Angleterre, le Rapport Dacunha Castelle [Dac89] pour la France et les Curriculum and evaluation standards [Rom89] pour les États-Unis. Ce dernier document doit retenir particulièrement l’attention dans la mesure où il ne se borne pas à communiquer des observations, un débat d’idées et des recommandations générales : il propose pour tous les âges de la maternelle à la fin du secondaire des exemples détaillés de situations d’apprentissage et de contrôle des connaissances. Cette étude ne se contente donc pas de dire en général ce qu’il faudrait faire, mais elle montre de manière assez explicite comment le faire dans les classes. » Attardons-nous un moment sur cette étude américaine, car elle a été une de nos principales sources d’inspiration. Elle est divisée en quatre parties. Les trois premières sont consacrées à des tranches d’âges (de la maternelle à 9 ans, de 10 à 13 ans, de 13 à 18 ans) et la dernière aux problèmes d’évaluation (des élèves, des enseignants, du système éducatif). On retrouve dans chaque tranche d’âges, à peu près les mêmes sections. Par exemple, pour la tranche d’âges de 10 à 13 ans : ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ 3 4 les mathématiques comme résolution de problèmes ; les mathématiques comme communication ; les mathématiques comme raisonnement ; les connexions mathématiques (c’est-à-dire les liens qui unissent les divers concepts et théories) ; les nombres et les relations numériques ; les systèmes de nombres et la théorie relative aux nombres; le calcul et les estimations ; les « patterns » 4 et fonctions ; l’algèbre ; les statistiques ; les probabilités ; la géométrie ; les mesures. Le rapport « Damblon » est repris tout entier dans le Livre blanc. C’est-à-dire les régularités, les symétries, les rythmes. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 38 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. On note tout d’abord, dans ce plan, l’importance accordée aux questions relatives à l’activité mathématique en général, telles que la résolution de problèmes, la communication, le raisonnement. Mais on s’étonne aussi de voir ces questions traitées en quelque sorte sur le même pied que les matières particulières telles que l’algèbre, les probabilités, la géométrie. Les premières sections sont illustrées d’exemples au même titre que celles relatives aux matières, et on se demande pourquoi ces exemples concernant la résolution de problèmes, la communication, le raisonnement n’apparaissent pas plutôt dans les sections relatives aux matières. Voyons maintenant comment et pour quelles raisons nous avons structuré notre étude de façon assez différente. 5. PLAN DU CADRE GLOBAL Le Premier chapitre analyse la notion de compétence et sa relation avec celle de savoir. Il fait le lien avec le texte officiel actuellement disponible sur les socles de compétences [SOC94]. Le Deuxième chapitre expose une philosophie générale de l’éducation mathématique, parente de celle développée dans le Rapport « Damblon » [Dan90]. La philosophie en question sous-tend le reste de notre ouvrage. Son exposé s’appuie sur quelques termes techniques (tels que phénomène, objet mental, acquis méthodologique, ...) dont nous avons veillé à limiter le nombre. Seuls ceux qui s’avéraient indispensables ont été retenus. Le Troisième chapitre montre pourquoi il faut combattre l’analphabétisme mathématique et en quoi une culture mathématique minimale concerne tout être humain, tout citoyen conscient et actif. Il essaie en outre de cerner, dans les grandes lignes, le contenu de cette culture minimale. Les Chapitres 4 à 9 traitent des différentes matières d’enseignement, à savoir les grandeurs, les nombres, la géométrie, l’algèbre, les statistiques et probabilités (avec le traitement des données et la combinatoire), et enfin l’analyse. Traiter ainsi chaque matière d’un bout à l’autre de la scolarité nous permet de réaliser notre objectif principal : montrer la continuité des apprentissages de la prime enfance à l’âge adulte. Certains chapitres (ceux relatifs aux grandeurs, aux nombres et à l’algèbre) commencent par une Section 0, destinée à clarifier le vocabulaire relatif à la matière traitée. Nous devions en effet, dès le départ, lever certaines ambiguïtés terminologiques. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 39 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. Cette Section 0 mise à part, nous avons structuré tous les chapitres de la même façon, de manière à faciliter la circulation entre eux. Voici, à titre d’exemple, le plan commenté du Chapitre 6, celui qui est consacré à la géométrie. VUE D’ENSEMBLE La géométrie au niveau de base On expose dans cette première sous-section quels sont les objets et les phénomènes qui, dans l’environnement quotidien et la pensée commune, enclenchent la pensée en direction de la géométrie : qu’est-ce qui autour de nous est en quelque sorte en attente d’une explication géométrique ? La construction de la géométrie On expose à grands traits ce qui doit ou éventuellement pourrait constituer l’enseignement de la géométrie depuis la maternelle jusqu’à la fin de l’école secondaire. C’est l’esquisse - et pas plus que l’esquisse - d’un programme. Cette section, exprimant et argumentant les convictions des auteurs, est rédigée dans un style parfois normatif : il s’agit, nous l’avons déjà dit, d’une simple commodité d’expression, car si nous souhaitons proposer des idées, nous ne voulons en imposer aucune. La géométrie approfondie Sous ce titre, la troisième section explique, également à grands traits, ce qu’est la géométrie au niveau de l’enseignement supérieur, d’abord dans les études scientifiques, et ensuite dans la recherche : est-ce que la géométrie est aujourd’hui une science vivante et de quoi s’occupe-t-elle ? Il s’agit d’un aperçu bref. La géométrie comme forme de pensée On tente de dégager ce qui fait la spécificité de la pensée géométrique, ce qui la distingue des autres grands chapitres des mathématiques et les relations essentielles quelle entretient avec eux. Les applications de la géométrie On évoque les applications principales de la géométrie dans les sciences et les techniques. La géométrie dans l’histoire, la philosophie, la culture On explique, dans une mesure à vrai dire modeste (mais en renvoyant à des exposés plus complets), quelques grands événements qui ont jalonné l’histoire de la géométrie, quelques questions géométriques intrigantes qui ont entretenu la réflexion philosophique au cours des siècles, et enfin les relations qui ont uni la géométrie et les arts plastiques à diverses époques. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 40 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. La géométrie dans l’enseignement fondamental Cette deuxième section du chapitre dégage quelques principes susceptibles d’inspirer un enseignement fructueux de la géométrie à l’école fondamentale. On y expose au passage, comme exemples d’application de ces principes, des situations et questions diverses susceptibles d’être utilisées en classe. La géométrie au premier degré du secondaire On montre comment les principes appropriés à l’enseignement fondamental évoluent lorsqu’on arrive au premier degré de l’enseignement secondaire. Ici aussi, des situationsproblèmes illustrent la mise en oeuvre possible des principes dans les classes. La géométrie aux deux derniers degrés du secondaire Cette dernière section propose et illustre, elle aussi dans le prolongement des deux précédentes, quelques principes applicables cette fois aux deux derniers degrés du secondaire, en distinguant dune part ce qui est applicable à tous les élèves, et d’autre part ce qui concerne soit les spécialités professionnelles et techniques, soit les sections qui préparent aux carrières scientifiques. 6. CE QUI RESTE À FAIRE Concevoir un cadre global pour l’enseignement des mathématiques, de la maternelle jusqu’à 18 ans est a priori un travail gigantesque. Les auteurs ont fait ce qu’ils ont pu, dans les deux années qu’a duré la recherche, en s’appuyant sur leur longue expérience de l’enseignement à divers niveaux (mais non à tous), sur de nombreuses lectures et discussions, et enfin sur la collaboration bénévole d’un assez grand nombre de collègues. Ce travail, apparemment le premier du genre dans notre pays, est un essai ques essai dont on aperçoit dès maintenant certaines limites, et qui mériterait d’être poursuivi. En particulier, l’enseignement de la géométrie pose aujourd’hui des problèmes tant en ce qui concerne le choix et l’organisation des matières que les étapes de maturation de l’dée de preuve. Une étude complémentaire, nécessairement longue, serait la bienvenue. Nous n’avons pas justifié en détail la place restreinte réservée dans notre étude aux éléments de théorie des ensembles et de logique. Pour une discussion détaillée de cette question, on pourra se reporter à [Rou95]. Sans doute serait-il utile de montrer, plus que nous ne l’avons fait, comment les éléments de théorie naïve des ensembles et de logique se mettent en place au fil de l’étude des matières particulières. Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 41 Les mathématiques de la maternelle jusqu’à dix-huit ans. Enfin, nous souhaiterions, peut-être dans des contributions ultérieures, montrer plus explicitement les points d’appui que l’enseignement peut trouver dans l’histoire des mathématiques, ainsi que l’importance des problèmes de communication orale et écrite dans l’activité mathématique. BIBLIOGRAPHIE [Coc82] W.H. Cockroft, coord. Mathematics counts, Report of the Committee of Enquiry into the Teaching of Mathematics in School. H.M.S.O., Londres, 1982. [Dac89] D.Dacunha Castelle. Rapport de la mission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques. Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports, Paris, 1989. [Dan90] P. Danblon, coord. Perspectives sur l’Enseignement des mathématiques dans la Communauté Française de Belgique, Rapport de la Commission scientifique d’étude de l’enseignement des mathématiques et des sciences. Ministère de l’Education, de la Recherche et de la Formation, Bruxelles, 1990. [Noë91] G. Noël, coord. Enseigner la mathématique ? Livre blanc sur l’enseignement des mathématiques en Communauté Française de Belgique. Société Belge des Professeurs de Mathématique d’expression française, Mons, 1991. [Rom89] T.A. Romberg, coord. Curriculum and evaluation standards for school mathematics. National Council of Teachers of Mathematics, Reston, Virginia, 1989. [Rou95] N. Rouche. L’enseignement des mathématiques d’hier à demain. CREM, Nivelles, 1995. [Soc94] P. Mahoux, coord. Socles de compétences dans l’enseignement fondamental et au premier degré de l’enseignement secondaire. Cabinet du Ministre de l’Education, Bruxelles, 1994. v v v Informations Pédagogiques n°22 - janvier 1996 42