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FRANCE MONDE
LA VOIX DU NORD
VENDREDI 26 NOVEMBRE 2010
LA VOIX DU NORD
VENDREDI 26 NOVEMBRE 2010
FRANCE MONDE
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REPORTAGE
Gros avis de tempête en terre d’Irlande
Ces Français qui résistent à la crise
® L’ESSENTIEL
Il en va ainsi. La météo est brutalement changeante en Irlande : grand soleil le matin,
pluie glaciale l’après-midi.
Laurent Girard-Claudon est né à
Douai et vit en Irlande depuis
une dizaine d’années. Ces fameu-
Après quinze années de croissance folle, l’Eire et son gouvernement désormais détesté sont
à genoux, forcés d’accepter
l’aide financière de l’Union
européenne, du FMI et même
du voisin honni, le RoyaumeUni, réduits à imposer un nouveau plan d’austérité drastique.
Mais sauver les banques est
une chose, retrouver du travail
et continuer à rembourser sa
maison, une autre…
À DUBLIN,
PAR OLIVIER BERGER
Sean vient d’être refoulé par la
garde après avoir forcé brièvement
la lourde grille du palais du gouvernement, Upper Merrion Street à Dublin. L’étudiant de 21 ans, aux
yeux mangés par un bonnet gris,
est un militant du Sinn Féin, petit
parti nationaliste et socialiste, branche politique de l’IRA, l’ancienne
Armée républicaine irlandaise.
L’effet est trompeur. Ils ne sont
qu’une cinquantaine ce jour-là à
hurler leur colère et à réclamer la
démission du gouvernement et du
Taoiseach (le Premier ministre en
gaélique) Fianna Fáil (centredroit), Brian Cowen.
« Je veux vivre et
travailler ici. Pas comme
mes cousins qui sont
tous partis à Londres. »
Le reste de l’Irlande se terre et ça
énerve Sean : « Que les gens se réveillent, il s’agit de notre avenir ! Je
veux vivre et travailler ici. Pas
comme mes cousins qui sont tous
partis à Londres. Ce gouvernement
qui nous a mis au bord de la faillite
doit démissionner. On doit renégocier tous les accords avec ces banques incapables de s’occuper de notre argent. J’en ai marre ! »
Lendemain de cuite
à Temple Bar
Le réveil est douloureux comme un
lendemain de cuite à Temple Bar,
le quartier festif de Dublin. D’habitude, comme on dit ici, ce sont les
quatre premières pintes de Guinness les plus délicates. Le miracle ir1072.
Le Sinn Féin dénonce la trahison du pouvoir, devant le palais du gouvernement, tandis qu’une affiche dans Grafton Street accuse :
landais était un mirage ; le dumping fiscal un piège (12,5 % d’impôts sur les sociétés). Depuis 2008,
il se referme.
Après dix années de croissance insolente, le « Tigre celtique » (en référence à la croissance des pays
asiatiques) feule de désespoir, le
PIB est en recul et le chômage en
hausse. Du plein emploi en 2006
(3 %, ça fait rêver, non ?), on approche les 14 % de sans emploi.
Sans compter le départ estimé de
100 000 jeunes à travers le monde
(vieille habitude irlandaise, datant
de la Grande Famine du XIXe siècle) et tous les self employed (chefs
d’entreprise) qui ne peuvent bénéficier de l’allocation.
En haut de Grafton Street, la rue piétonne commerçante, Mary s’accroche timidement au panneau qui dénonce son licenciement de la boutique Laura Ashley. Quand on passe
en un mois d’un confortable salaire
de vendeuse au dole (l’aide au chômage, maximum 800 euros), les angoisses montent. « C’est simple. Il
m’est devenu très, très difficile de
rembourser l’emprunt de la maison.
Mon dole ne suffit pas à payer. Heureusement, mon mari continue à
travailler sinon, nous serions à la
rue », se désole Mary.
Là aussi, à l’instar des aléas du ciel,
les apparences sont en partie trompeuses. Il existe deux Irlande en
une. Les multinationales, pour la
plupart américaines, continuent à
profiter de l’attractivité fiscale du
pays et restent éloignées du chaos
intérieur. L’Irlande subit un équivalent de la crise US des subprimes.
Le boom de l’immobilier, les prêts
faciles (110-120 % de crédit !) ont
déréglé le système bancaire. Gagner 30 % en achetant une maison
en 2003 et en la revendant en
2005 a fait perdre toute notion des
réalités à un peuple qui avait
oublié le sens des économies.
Une maison a perdu
la moitié de sa valeur
La récession est là. Une maison a
perdu la moitié de sa valeur. Impossible de vendre. Les loyers explosent (il faut bien rembourser). Les
métiers du commerce ou liés à l’immobilier sont en crise. La main
d’œuvre du bâtiment, notamment
polonaise, fuit. Les Irlandais se recroquevillent, font de nouveau attention à leurs dépenses. Les banques ne font plus face, d’où l’aide
européenne et du FMI évaluée à
85 milliards d’euros et un plan
d’austérité de 15 milliards sur quatre ans. La TVA va augmenter. De
nouvelles taxes vont tomber. Jusqu’ici, dans un pays qui n’en manque pas, on ne payait pas l’eau…
Les fonctionnaires ont subi l’an
passé une baisse de 15 % des salaires. On annonce une nouvelle
ponction de 10 %. Ce qui ne fait
rire personne, y compris Hélène
Conway, directrice du départe-
« Une génération de "bébés
tigres" a vu ses parents
vivre à crédit. Pour eux,
c’est devenu impossible. »
ment langues de l’Institut de technologie de Dublin (DIT) et élue à
l’assemblée des Français de l’étranger : « On passe du tout au rien.
Toute une génération de « bébés tigres » a vu ses parents vivre à crédit. Pour eux, c’est devenu impossible et ils ne s’y attendaient pas. Moi
aussi, j’ai une maison à payer et
c’est compliqué. »
L’Irlande est actuellement dans
l’œil du cyclone, plus très loin de
violentes turbulences. Le gouvernement cherche à sauver les banques
exsangues, nationalise. En tête des
grands malades : Allied Irish
Banks et Bank of Ireland. La
NAMA, une agence gouvernementale, rachète les actifs pourris, dans
une sorte de fuite en avant, mâtinée de soupçons de corruption.
La population râle en cachette ; le
Premier ministre flirtant autour
des 10 % d’opinions positives. Un
dessin de l’Irish Times caricature la
position de Brian Cowen, qui veut
boucler le budget le 7 décembre
avant d’appeler des élections début
2011. « IMFucked », se dit-il. « Je
suis foutu », peut-on traduire poliment dans un jeu de mots avec
l’acronyme anglais du FMI.
« Nous avons masqué les problèmes, regrette Brian Lucey, professeur d’économie au Trinity college
de Dublin. La clé, c’est de relever les
banques afin que les entreprises
aient accès au crédit. Il faut protéger les intérêts nationaux et faire le
ménage. » « Il faut arriver à capter
la mentalité du pays pour comprendre cette crise, précise Hélène
Conway. De par leur histoire, leur
climat, rien n’est définitif pour les
Irlandais. Ils sont tout à fait capables de rebondir. » Ou de partir. ᔡ
« Les loyers chers tuent nos emplois. » PHOTOS « LA VOIX »
ses années de folie et de félicité économiques qui lui ont permis de
créer avec succès sa boîte de recrutement, Approach People, installée
au bord de la mer à Blackrock, à
quinze minutes en DART (le TER local) de Dublin.
L’entreprise française qui l’emploie
à l’époque subit une restructuration. On lui propose une mutation
en Irlande : « Au début, je ne voulais pas venir. Et puis, l’Irlande a
une bonne image avec la musique,
la bière, la perspective de parler anglais… J’ai très vite vu qu’il y avait
quelque chose à faire. »
En réalité, son business doit tout à
la politique fiscale et financière de
l’Irlande. On évalue à plus de
25 000 le nombre de Français installés au vert pays de Daniel O’Connell et Michael Collins.
L’avantage fiscal (12,5 % d’impôts
pour les sociétés) a largement américanisé le paysage économique.
Les multinationales, souvent dans
l’informatique ou Internet, ont
trouvé une porte d’entrée idéale
sur le marché européen. Seulement, elles ont besoin d’employés
français, notamment pour les services de vente et les call-centers du
marché français. Bingo. Approach
people propose des jeunes diplômés
tentés par l’émigration. « On est
candidat prenait un job à
40 000 euros annuels ; le lendemain, il changeait de boîte pour
50 000 euros. Les coûts devenaient
de plus en plus fous. Ça bouillonnait
dans une sorte de fuite en avant suivie par les banques, le gouvernement, la télé… On savait que ça ne
pouvait pas durer comme ça et ce retour à l’équilibre n’est peut-être pas
un mal… »
Deux marchés
du travail
Laurent Girard-Claudon,
à Dublin depuis dix ans.
payé uniquement si le contrat est signé », souligne Laurent GirardClaudon, désormais à la tête de
quarante salariés. Depuis sa création, la société a fait embaucher
trois mille personnes en Irlande.
« Pendant dix ans, le pays est
monté en flèche. Ça recrutait tout le
temps. Le pays a commencé à se
construire. L’immobilier prenait
10-15 % par an. Les gens ici trouvaient normal d’acheter une maison
à 1 million d’euros à Dublin. Un
Crise, licenciements, fin de l’histoire ? Beaucoup de Français commencent à faire leurs bagages, touchés comme les autres. Mais il
existe en quelque sorte deux marchés du travail en Irlande : l’activité intérieure qui souffre, notamment dans l’immobilier et le commerce, et l’échelon européen. « On
a souffert en 2009 mais nous
n’avons pas dû licencier. Plein de
concurrents sont tombés car à un
moment, tout le monde s’improvisait recruteur. L’activité reste dynamique, tournée vers l’avenir. À la limite, Apple s’en moque un peu que
l’Irlande aille mal. Pour nous, la
crise est un peu passée », ose dire
Laurent Girard-Claudon.
Le mois dernier, grâce à la diversification de ses marchés (succursales
à Paris, Lyon, Barcelone), Approach People a réalisé son chiffre
d’affaires record (400 000 euros).
La crise n’est donc pas encore généralisée. ᔡ OL. B.
Même le rugby est au bord de la faillite
Imaginez, même le rugby irlandais est en crise ! Passe encore
que l’Afrique du Sud et la NouvelleZélande soient venues s’imposer à
Dublin lors des tests d’automne.
C’est le remplissage de l’Aviva Stadium flambant neuf, construit sur
les terres du glorieux Lansdowne
Road, et le remboursement des emprunts qui alarment.
L’Aviva Stadium est le dernier symbole en date du « Tigre celtique »,
un vaisseau spatial tout en verre
posé au milieu d’un vieux quartier
résidentiel. Il n’y a qu’un Français
pour regretter la tribune en bois
qui tremblait au passage du train
de banlieue…
Les fédérations irlandaises de
rugby et de football, propriétaires
des lieux, ont lancé la construction
quand tout allait bien, ne refusant
aucune dépense, tels ces vingtneuf bars qui peuvent écouler deux
mille pintes à la minute (5 euros le
verre). Quand même, on n’arrête
pas le progrès. L’investissement total se monte à 410 millions d’euros
pour un stade de 50 000 places.
Le hic, c’est que pour encaisser ce
financement colossal, les prix des
billets ont considérablement augmenté. L’IRFU, la fédé de rugby, a
ainsi tenté de vendre les places de
la tournée d’automne uniquement
par des packs à 340 euros, soit
85 euros par match, contre 70 à
Croke Park, le stade précédent.
Pour les enfants, le prix est passé
de 10 à 35 euros !
Résultat, pour le match de rugby
inaugural contre les champions du
monde sud-africains le 6 novembre, ils n’étaient que 35 000 à remplir les travées. Ici comme ailleurs,
la crise est passée par là. Les fans irlandais ne peuvent plus assurer le
même train de vie et ont préféré suivre les matchs au chaud au pub.
Au bord de la faillite, les propriétaires souffrent comme s’ils subissaient un plaquage plein buffet de
Brian O’Driscoll.
Pour le Tournoi des six nations et
la venue de la France le 13 février,
le prix pour une place moyennement située se monte à 229 euros.
Ça vous tente ? ᔡ OL. B.
L’Aviva Stadium, construit à la place de l’antique Lansdowne
Road, mène la fédération de rugby au bord de la faillite.