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36 FRANCE MONDE LA VOIX DU NORD VENDREDI 26 NOVEMBRE 2010 LA VOIX DU NORD VENDREDI 26 NOVEMBRE 2010 FRANCE MONDE 37 REPORTAGE Gros avis de tempête en terre d’Irlande Ces Français qui résistent à la crise ® L’ESSENTIEL Il en va ainsi. La météo est brutalement changeante en Irlande : grand soleil le matin, pluie glaciale l’après-midi. Laurent Girard-Claudon est né à Douai et vit en Irlande depuis une dizaine d’années. Ces fameu- Après quinze années de croissance folle, l’Eire et son gouvernement désormais détesté sont à genoux, forcés d’accepter l’aide financière de l’Union européenne, du FMI et même du voisin honni, le RoyaumeUni, réduits à imposer un nouveau plan d’austérité drastique. Mais sauver les banques est une chose, retrouver du travail et continuer à rembourser sa maison, une autre… À DUBLIN, PAR OLIVIER BERGER Sean vient d’être refoulé par la garde après avoir forcé brièvement la lourde grille du palais du gouvernement, Upper Merrion Street à Dublin. L’étudiant de 21 ans, aux yeux mangés par un bonnet gris, est un militant du Sinn Féin, petit parti nationaliste et socialiste, branche politique de l’IRA, l’ancienne Armée républicaine irlandaise. L’effet est trompeur. Ils ne sont qu’une cinquantaine ce jour-là à hurler leur colère et à réclamer la démission du gouvernement et du Taoiseach (le Premier ministre en gaélique) Fianna Fáil (centredroit), Brian Cowen. « Je veux vivre et travailler ici. Pas comme mes cousins qui sont tous partis à Londres. » Le reste de l’Irlande se terre et ça énerve Sean : « Que les gens se réveillent, il s’agit de notre avenir ! Je veux vivre et travailler ici. Pas comme mes cousins qui sont tous partis à Londres. Ce gouvernement qui nous a mis au bord de la faillite doit démissionner. On doit renégocier tous les accords avec ces banques incapables de s’occuper de notre argent. J’en ai marre ! » Lendemain de cuite à Temple Bar Le réveil est douloureux comme un lendemain de cuite à Temple Bar, le quartier festif de Dublin. D’habitude, comme on dit ici, ce sont les quatre premières pintes de Guinness les plus délicates. Le miracle ir1072. Le Sinn Féin dénonce la trahison du pouvoir, devant le palais du gouvernement, tandis qu’une affiche dans Grafton Street accuse : landais était un mirage ; le dumping fiscal un piège (12,5 % d’impôts sur les sociétés). Depuis 2008, il se referme. Après dix années de croissance insolente, le « Tigre celtique » (en référence à la croissance des pays asiatiques) feule de désespoir, le PIB est en recul et le chômage en hausse. Du plein emploi en 2006 (3 %, ça fait rêver, non ?), on approche les 14 % de sans emploi. Sans compter le départ estimé de 100 000 jeunes à travers le monde (vieille habitude irlandaise, datant de la Grande Famine du XIXe siècle) et tous les self employed (chefs d’entreprise) qui ne peuvent bénéficier de l’allocation. En haut de Grafton Street, la rue piétonne commerçante, Mary s’accroche timidement au panneau qui dénonce son licenciement de la boutique Laura Ashley. Quand on passe en un mois d’un confortable salaire de vendeuse au dole (l’aide au chômage, maximum 800 euros), les angoisses montent. « C’est simple. Il m’est devenu très, très difficile de rembourser l’emprunt de la maison. Mon dole ne suffit pas à payer. Heureusement, mon mari continue à travailler sinon, nous serions à la rue », se désole Mary. Là aussi, à l’instar des aléas du ciel, les apparences sont en partie trompeuses. Il existe deux Irlande en une. Les multinationales, pour la plupart américaines, continuent à profiter de l’attractivité fiscale du pays et restent éloignées du chaos intérieur. L’Irlande subit un équivalent de la crise US des subprimes. Le boom de l’immobilier, les prêts faciles (110-120 % de crédit !) ont déréglé le système bancaire. Gagner 30 % en achetant une maison en 2003 et en la revendant en 2005 a fait perdre toute notion des réalités à un peuple qui avait oublié le sens des économies. Une maison a perdu la moitié de sa valeur La récession est là. Une maison a perdu la moitié de sa valeur. Impossible de vendre. Les loyers explosent (il faut bien rembourser). Les métiers du commerce ou liés à l’immobilier sont en crise. La main d’œuvre du bâtiment, notamment polonaise, fuit. Les Irlandais se recroquevillent, font de nouveau attention à leurs dépenses. Les banques ne font plus face, d’où l’aide européenne et du FMI évaluée à 85 milliards d’euros et un plan d’austérité de 15 milliards sur quatre ans. La TVA va augmenter. De nouvelles taxes vont tomber. Jusqu’ici, dans un pays qui n’en manque pas, on ne payait pas l’eau… Les fonctionnaires ont subi l’an passé une baisse de 15 % des salaires. On annonce une nouvelle ponction de 10 %. Ce qui ne fait rire personne, y compris Hélène Conway, directrice du départe- « Une génération de "bébés tigres" a vu ses parents vivre à crédit. Pour eux, c’est devenu impossible. » ment langues de l’Institut de technologie de Dublin (DIT) et élue à l’assemblée des Français de l’étranger : « On passe du tout au rien. Toute une génération de « bébés tigres » a vu ses parents vivre à crédit. Pour eux, c’est devenu impossible et ils ne s’y attendaient pas. Moi aussi, j’ai une maison à payer et c’est compliqué. » L’Irlande est actuellement dans l’œil du cyclone, plus très loin de violentes turbulences. Le gouvernement cherche à sauver les banques exsangues, nationalise. En tête des grands malades : Allied Irish Banks et Bank of Ireland. La NAMA, une agence gouvernementale, rachète les actifs pourris, dans une sorte de fuite en avant, mâtinée de soupçons de corruption. La population râle en cachette ; le Premier ministre flirtant autour des 10 % d’opinions positives. Un dessin de l’Irish Times caricature la position de Brian Cowen, qui veut boucler le budget le 7 décembre avant d’appeler des élections début 2011. « IMFucked », se dit-il. « Je suis foutu », peut-on traduire poliment dans un jeu de mots avec l’acronyme anglais du FMI. « Nous avons masqué les problèmes, regrette Brian Lucey, professeur d’économie au Trinity college de Dublin. La clé, c’est de relever les banques afin que les entreprises aient accès au crédit. Il faut protéger les intérêts nationaux et faire le ménage. » « Il faut arriver à capter la mentalité du pays pour comprendre cette crise, précise Hélène Conway. De par leur histoire, leur climat, rien n’est définitif pour les Irlandais. Ils sont tout à fait capables de rebondir. » Ou de partir. ᔡ « Les loyers chers tuent nos emplois. » PHOTOS « LA VOIX » ses années de folie et de félicité économiques qui lui ont permis de créer avec succès sa boîte de recrutement, Approach People, installée au bord de la mer à Blackrock, à quinze minutes en DART (le TER local) de Dublin. L’entreprise française qui l’emploie à l’époque subit une restructuration. On lui propose une mutation en Irlande : « Au début, je ne voulais pas venir. Et puis, l’Irlande a une bonne image avec la musique, la bière, la perspective de parler anglais… J’ai très vite vu qu’il y avait quelque chose à faire. » En réalité, son business doit tout à la politique fiscale et financière de l’Irlande. On évalue à plus de 25 000 le nombre de Français installés au vert pays de Daniel O’Connell et Michael Collins. L’avantage fiscal (12,5 % d’impôts pour les sociétés) a largement américanisé le paysage économique. Les multinationales, souvent dans l’informatique ou Internet, ont trouvé une porte d’entrée idéale sur le marché européen. Seulement, elles ont besoin d’employés français, notamment pour les services de vente et les call-centers du marché français. Bingo. Approach people propose des jeunes diplômés tentés par l’émigration. « On est candidat prenait un job à 40 000 euros annuels ; le lendemain, il changeait de boîte pour 50 000 euros. Les coûts devenaient de plus en plus fous. Ça bouillonnait dans une sorte de fuite en avant suivie par les banques, le gouvernement, la télé… On savait que ça ne pouvait pas durer comme ça et ce retour à l’équilibre n’est peut-être pas un mal… » Deux marchés du travail Laurent Girard-Claudon, à Dublin depuis dix ans. payé uniquement si le contrat est signé », souligne Laurent GirardClaudon, désormais à la tête de quarante salariés. Depuis sa création, la société a fait embaucher trois mille personnes en Irlande. « Pendant dix ans, le pays est monté en flèche. Ça recrutait tout le temps. Le pays a commencé à se construire. L’immobilier prenait 10-15 % par an. Les gens ici trouvaient normal d’acheter une maison à 1 million d’euros à Dublin. Un Crise, licenciements, fin de l’histoire ? Beaucoup de Français commencent à faire leurs bagages, touchés comme les autres. Mais il existe en quelque sorte deux marchés du travail en Irlande : l’activité intérieure qui souffre, notamment dans l’immobilier et le commerce, et l’échelon européen. « On a souffert en 2009 mais nous n’avons pas dû licencier. Plein de concurrents sont tombés car à un moment, tout le monde s’improvisait recruteur. L’activité reste dynamique, tournée vers l’avenir. À la limite, Apple s’en moque un peu que l’Irlande aille mal. Pour nous, la crise est un peu passée », ose dire Laurent Girard-Claudon. Le mois dernier, grâce à la diversification de ses marchés (succursales à Paris, Lyon, Barcelone), Approach People a réalisé son chiffre d’affaires record (400 000 euros). La crise n’est donc pas encore généralisée. ᔡ OL. B. Même le rugby est au bord de la faillite Imaginez, même le rugby irlandais est en crise ! Passe encore que l’Afrique du Sud et la NouvelleZélande soient venues s’imposer à Dublin lors des tests d’automne. C’est le remplissage de l’Aviva Stadium flambant neuf, construit sur les terres du glorieux Lansdowne Road, et le remboursement des emprunts qui alarment. L’Aviva Stadium est le dernier symbole en date du « Tigre celtique », un vaisseau spatial tout en verre posé au milieu d’un vieux quartier résidentiel. Il n’y a qu’un Français pour regretter la tribune en bois qui tremblait au passage du train de banlieue… Les fédérations irlandaises de rugby et de football, propriétaires des lieux, ont lancé la construction quand tout allait bien, ne refusant aucune dépense, tels ces vingtneuf bars qui peuvent écouler deux mille pintes à la minute (5 euros le verre). Quand même, on n’arrête pas le progrès. L’investissement total se monte à 410 millions d’euros pour un stade de 50 000 places. Le hic, c’est que pour encaisser ce financement colossal, les prix des billets ont considérablement augmenté. L’IRFU, la fédé de rugby, a ainsi tenté de vendre les places de la tournée d’automne uniquement par des packs à 340 euros, soit 85 euros par match, contre 70 à Croke Park, le stade précédent. Pour les enfants, le prix est passé de 10 à 35 euros ! Résultat, pour le match de rugby inaugural contre les champions du monde sud-africains le 6 novembre, ils n’étaient que 35 000 à remplir les travées. Ici comme ailleurs, la crise est passée par là. Les fans irlandais ne peuvent plus assurer le même train de vie et ont préféré suivre les matchs au chaud au pub. Au bord de la faillite, les propriétaires souffrent comme s’ils subissaient un plaquage plein buffet de Brian O’Driscoll. Pour le Tournoi des six nations et la venue de la France le 13 février, le prix pour une place moyennement située se monte à 229 euros. Ça vous tente ? ᔡ OL. B. L’Aviva Stadium, construit à la place de l’antique Lansdowne Road, mène la fédération de rugby au bord de la faillite.